L'Anti-Drapeau

 


À Porto Alegre au Brésil



À l'invitation des groupes Alternatives et FOCUS-Montréal, le maire de la ville brésilienne de Porto Alegre, M. Raul Pont, a prononcé une conférence publique sur le Budget participatif, le mercredi 25 août 1999, à l'Université du Québec à Montréal. Ce n'était qu'à 5 stations de métro de chez moi, et je ne le savais pas...

Ça m'est arrivé, je m'en souviendrai longtemps, le mercredi 25 août 1999, juste après le souper. J'ai pris le métro et je suis descendu à Berri-UQÀM. J'ai longé les longs corridors de l'université comme on longe ceux des aéroports avant de partir pour une destination soleil... Enfin, je dis ça, mais ça fait des lustres que je n'ai pas mis les pieds dans un aéroport.

Je suis entré dans une grande salle et je me suis assis. Banal, vous direz-vous, une autre histoire d'étudiant... Oui mais voilà, ça fait des lustres aussi que je ne suis plus étudiant... Et c'est ici que se situe la magie...

Il n'y a pas de globalisation...

Donc, je me suis assis, je me suis fermé les yeux... et soudainement, je me suis retrouvé comme en vacances0 mon siège, un transat; mes pieds, dans le sable. J'étais au Brésil, sur une plage de la ville de Porto Alegre.

Et j'entends une voix de sonorité portugaise. C'est le maire de Porto Alegre, M. Raul Pont, qui parle et qui dit une petite phrase assassine qui m'a presque sorti de mes vacances. Il a dit0 Il n'y a pas de globalisation, il y a un processus inégal et autoritaire... Et puis, bof... je suis en vacances, bon!

Distraitement, j'écoute quand même un peu, et des chiffres déboulent... Porto Alegre est une ville de 1,3 millions d'habitants; l'espérance de vie y est de 70,3 années comparativement à 61,8 années pour le Brésil dans son ensemble; 83 % de la ville est servi par un système d'égouts (42 % pour le Brésil); 99 % des gens ont l'eau courante (73,4 % pour le pays); la collection des déchets se fait sur 100 % du territoire urbain comparativement à 64,5 % pour le territoire brésilien... Des chiffres, des chiffres... J'enlève un peu de sable entre mes orteils et je re-farniente. Mais mes torpinouches d'oreilles refusent de fermer boutique, maudites oreilles!

Le Parti des travailleurs au pouvoir

J'entends M. Pont dire qu'il est du Parti des travailleurs qui est au pouvoir depuis 1989 mais que lui, il est maire depuis 3 ans. Il dit ça juste au moment où j'envoie ad patres une fourmi qui avait entrepris l'ascension de ma jambe. Maudites fourmis...

Comme je me replongeais dans le néant de mes pensées, la voix de M. Pont murmure que le Brésil a longtemps vécu sous la dictature qui avait érigé en système la corruption, le favoritisme, le clientélisme... Pour combattre cette gangrène, le Parti des travailleurs, au pouvoir à Porto Alegre, en collaboration avec la population, avait instauré un budget participatif. Bon, une autre patente... Le principe est simple, qu'il dit. Tant mieux...

La démocratie participative

Porto Alegre a un budget aux environs de 850 millions $ U.S. Après avoir rempli les obligations essentielles (comme les salaires...), il reste aux environs de 102 millions $ U.S. C'est là que la population intervient dans le long processus du budget participatif qui s'échelonne sur 1 an.

D'abord, les citoyens, réunis en régions (un regroupement de quartiers) entendent le bilan des réalisations et non-réalisations de l'année précédente, bilan présenté par la mairie. Ensuite, ils se réunissent en quartiers pour discuter de leurs priorités en termes d'investissements. Puis, ils reviennent en régions pour continuer la discussion et élire des conseillers au Conseil populaire du budget participatif. Ici, le maire Pont prend la peine de dire que les mandats des conseillers sont révocables. Intéressant... Pendant ce temps-là, il y a aussi, parallèlement à l'approche territoriale, une approche sectorielle par des forums thématiques (loisirs, transports, santé, habitation...).

Enfin, le Conseil populaire du budget participatif établit les priorités d'utilisation du 102 millions $ U.S. pour la prochaine année. Le tout est soumis au Conseil de ville qui serait bien mal placé pour tout rejeter. C'est vrai que c'est simple...

Dans tout le processus, c'est certain qu'il y a des conflits mais, comme dit le maire Pont, la démocratie est faite de conflits. Et puis... la transparence de cette démocratique opération, qui recommence année après année, réduit les risques de corruption, de clientélisme, de patronage... puisque ça inverse les priorités0 ce ne sont plus les lobbys, les amis, les entrepreneurs ou la presse qui dictent ce qu'il faut faire, c'est la population.

Un autre ordre de priorités

Pendant que je replace ma serviette de plage sous ma nuque, le maire Pont clame que le budget participatif est un outil de changement profond de la culture politique parce que ça remet en valeur la participation citoyenne.

En 1999, les priorités de la population étaient0 1. l'hygiène publique; 2. le pavage des rues; 3. le logement (en 1997, c'était la priorité no 1); 4. l'éducation et 5. la santé.

Mais il y a de l'opposition à cette pratique démocratique, entre autres de certains conseillers municipaux. Il me semblait bien aussi... Tout seul, sur la plage, c'est là qu'on est le plus unanime... Ces élus disent que la démocratie participative enlève du pouvoir à la démocratie représentative parce que ça enlève du pouvoir au conseil municipal. On sait bien0 donnez du pouvoir à quelqu'un et il va se battre bec et ongles pour le conserver... A Porto Alegre, ils ont réglé le problème de la légalité. Ils ont introduit, dans la charte de la ville, une petite phrase qui dit0 le pouvoir émane du peuple et est exercé par ses représentants et par le peuple. Là je me suis bidonné en me disant que si on faisait ça ici...

50 000 personnes pour faire un budget

En terminant... Déjà? Mes vacances sont déjà finies? Merde... En terminant, le maire Pont livre une statistique et une réflexion. La statistique0 en 1989, 403 citoyens on participé au Budget participatif; en 1999, ils étaient 50 000... Coudon, l'exercice du pouvoir, ça s'apprend... Et la réflexion, encore une petite phrase assassine0 une des conditions essentielles, premières, à l'établissement de la démocratie participative, c'est que le parti que la prône l'applique dans sa vie interne... Eh ben... on est pas sorti du bois, ici...

J'ai épousseté le sable sur mon corps, j'ai plié ma serviette de plage, je me suis ouvert les yeux et je suis parti. En longeant les longs corridors de l'université, retournant dans ma morne réalité, mes épaules courbaient. Pendant quelques instants, je me suis cru un être humain, responsable, partie prenante des décisions qui concernaient ma vie et là, je retournais dans ma société où je redeviens un mineur sous tutelle...