Les COFI 0 prochaines victimes du couperet ?

 

Le gouvernement du Québec songe à fermer les Centres d'orientation et de formation des immigrants (COFI). Nous sommes en droit de nous poser des questions sur les véritables intentions du gouvernement dans ce dossier. Luc Perron, le président du Syndicat des professeurs de l'État du Québec (SPEQ) nous explique les intentions véritables du gouvernement.

“ Ce sont des technocrates qui ne connaissent rien au milieu qui ont imaginé un tel scénario. C'est ainsi que M. Perron décrit les instigateurs du plan de fermeture, qui se pourléchent les babines à l'idée des économies qu'entraînerait la fermeture des COFI. Ils se disent, comme par enchantement, que notre clientèle pourrait s'intégrer au réseau régulier d'enseignement (commissions scolaires, cégeps et universités) ! Évidemment, ils n'ont pas tenu compte du fait que ces gens ne vivaient pas les mêmes problématiques que les autres étudiants de ces institutions. Actuellement, des tentatives sont menées dans des cégeps et des universités et les résultats sont peu concluants.

Ce qui n'est pas étonnant sachant que la clientèle des COFI est composée de nouveaux arrivants au Québec qui ne parlent pas un mot de français au début des cours. Ils sont dirigés vers les COFI pour les apprentissages de base, axés sur l'oral surtout, et s'ils le désirent, ils poursuivent leur apprentissage du français dans les commissions scolaires, celles-ci se chargeant principalement du volet écrit. Il est aussi à noter que, contre toute logique, le gouvernement se prépare à donner le volet écrit aux cégeps et aux universités, rendant encore plus précaire la situation des professeurs de francisation (écrite) dans les commissions scolaires.

Une simple récupération d'argent ?

Il est malheureusement à redouter que la véritable raison de ce triste projet soit économique plutôt que pédagogique. En comparant les conditions de travail des professeurs du SPEQ et celles des professeurs de l'éducation des adultes à la CEQ, on s'aperçoit que, pour la même tâche effectuée dans une commission scolaire, les enseignants aux adultes gagnent environ 25 % de moins que leur collègues du SPEQ, même s'il n'y a pas de différence entre les tables salariales des professeurs de la CEQ et ceux du SPEQ.

À l'éducation des adultes, il faut totaliser 800 heures d'enseignement (peu importe la répartition heures/semaine) dans un contrat pour être considéré temps plein 100 % de tâche. Dans les COFI, par contre, les professeurs occasionnels sont considérés à temps plein lorsqu'ils enseignent 20 heures/semaine, peu importe le nombre total de semaines travaillées à l'intérieur du contrat.

Nos fameux technocrates s'y connaissent peu en pédagogie, mais ils savent compter. Ils ont constaté que le programme enseigné dans les COFI avait une durée standard totalisant 600 heures d'enseignement. En le faisant faire en sous-traitance dans les commissions scolaires, ils paient l'enseignant à 75 % d'un salaire temps plein parce que l'on calcule son salaire sur une base de 800 heures (600/800 = 0,75), même si ce dernier donne 20 heures de cours/semaine comme son collègue du COFI. Donc une récupération de 25 % pour le gouvernement, la passe quoi !

Quelques explications

Perron nous explique en partie pourquoi le transfert des activité des COFI dans les commissions scolaires ne s'est pas encore fait 0 Notre convention collective dit clairement que les professeurs permanents transférés ou cédés à une autre institution doivent conserver leur statut et les avantages auxquels ils avaient droit dans les COFI. C'est une obligation de la part du gouvernement. Du coup, les technocrates ont dû comprendre que la récupération salariale projetée se faisait évacuer par cette clause... Sauf que la moyenne d'âge étant élevée chez les professeurs des COFI, il se pourrait très bien que le gouvernement n'attende que les nombreux départs à la retraite qui se profilent pour réaliser son projet. En effet, il n'aura qu'à ne pas remplacer les professeurs permanents qui partiront à la retraite pour faire appel à la sous-traitance des commissions scolaires au fur et à mesure que les départs se confirmeront...|184| 
792|Les 155 ans de la Grande bibliothèque|Jean-Claude Germain| Il arrive parfois que le passé nous rejoigne et que de vieilles histoires trouvent inopinément leurs résolutions dans ce qui peut sembler à première vue la toute dernière des nouveautés. C'est le cas de la Grande bibliothèque du Québec.

Elle peut bien avoir germé dans le cerveau d'un ancien ambassadeur à Paris devenu premier ministre, mais son origine remonte à la deuxième moitié du XIXème siècle et son hérédité conditionne déjà beaucoup plus son avenir immédiat que toutes les velléités qu'on peut lui prêter de se vouloir une copie, en modèle réduit, de tout ce qu'on a pu faire récemment dans le genre à Paris.

La bibliothèque fait son apparition et devient un enjeu majeur de notre évolution socioculturelle au lendemain de l'Acte d'Union qui marquait l'établissement d'une nouvelle donne politique. Dans ce cadre, la pensée québécoise va se cristalliser dans deux idéologies qui s'incarneront à leur tour dans deux institutions antagonistes 0 L'Oeuvre des bons livres de la droite ultramontaine et l'Institut canadien de Montréal de la gauche libérale.

La gauche relève la tête

Replaçons-nous dans le contexte. En 1840, le clergé peut se frotter la tonsure d'aise. Il a touché la récompense de sa bonne conduite pendant la Répression de 1837 et de 1838. Londres a enfin accordé une reconnaissance officielle à l'Église catholique. Son utilité préventive a eu raison de l'antipapisme viscéral des Britanniques anglicans.

Les Patriotes, pour leur part, se sont recyclés, pour la plupart, dans un réformisme qui bleuit à vue d'œil. Ils continueront de lutter pour préserver leur langue et conserver leur foi, mais leurs ambitions politiques se limitent désormais aux gratifications, aux postes et aux pensions que les nouveaux leaders unionistes, La Fontaine et Cartier, sont en mesure de leur accorder.

Le radicalisme de Papineau n'est pas mort pour autant. Sa relève est assurée par ses fils spirituels, une nouvelle génération de libéraux démocrates, républicains, anticléricaux et nationalistes dont les figures de proue sont Louis-Antoine Dessaules, Joseph Doutre et les frères Dorion, Antoine-Aimé et Jean-Baptiste-Éric. Pour les Rouges, seule la libre fréquentation des livres et des idées peut libérer la société québécoise de l'obscurantisme clérical. Le salut de la nation passe par l'éducation populaire.

La droite attaque

Monseigneur Bourget a de la suite dans les idées. Il n'a pas excommunié les révolutionnaires qui sont morts les armes à la main pour laisser leurs héritiers reprendre la place qu'ils occupaient dans l'esprit de la population. L'évêque de Montréal prend les devants. Il confie aux Sulpiciens le soin de mettre sur pied l'Oeuvre des bons livres et le 14 septembre 1844, la Bibliothèque de Montréal ouvre ses portes pour rendre accessibles les ouvrages dignes d'être lus après avoir été vus et approuvés par le curé de la paroisse. Le but de l'Oeuvre qui sera relayée trois ans plus tard par le Cabinet de lecture paroissial est d'opposer aux livres impies, obscènes et corrupteurs des livres qui ne respirent que la morale la plus pure.

La gauche riposte

Trois mois plus tard, le 17 décembre 1844, deux cents jeunes gens se réunissent, à la salle de la Société d'histoire naturelle, rue Saint-Jacques, pour fonder une société qui prend le nom d'Institut canadien de Montréal. Jean-Baptiste-Éric Dorion la conçoit comme un point de ralliement pour la jeunesse montréalaise et un centre d'émulation où chaque jeune homme qui entre dans le monde pourra venir s'inspirer d'un pur patriotisme, s'instruire en profitant des avantages d'une bibliothèque commune, et s'habituer à prendre la parole en public.

Le succès est immédiat. De 1856 à 1871, l'Institut présentera 128 conférences publiques, 68 conférences privées réservées à ses membres et tiendra 213 débats, sous la forme d'une joute oratoire, qui ont lancé la mode des assemblées contradictoires en temps d'élection.

Il va de soi que toute l'effervescence intellectuelle de l'Institut gravite autour d'une bibliothèque, laïque, libérale et libertaire, qui comprend plus de 10 000 volumes, et d'une salle de lecture et de consultation, où on trouve les principaux journaux du pays et plus de cent-vingt-cinq périodiques d'Europe et des Etats-Unis.

L'Institut canadien est un centre culturel avant la lettre. C'est un foyer de réflexion, de promotion et de diffusion. Toute la presse rouge du XIXème siècle va naître et mourir dans son ombre 0 L'Avenir de Jean-Baptiste-Éric Dorion (1847-1875), Le Pays de Louis-Antoine Dessaules (1852-1871) et La Lanterne d'Arthur Buies (1868-1869).

La droite porte un coup bas

Encore une fois, Monseigneur Bourget n'attend pas la naissance de la presse radicale pour la combattre. Dès 1841, Les Mélanges religieux entrent en lice à son initiative et avec le support financier du clergé. Puis ce sera Le Nouveau Monde (1867-1900). Sa Grande Noirceur ne fait pas dans la dentelle. C'est un apôtre de l'intolérance et un templier de la censure. La liberté d'opinion n'est rien d'autre chose que la liberté de l'erreur qui donne la mort à l'âme, professe-t-il en agitant son goupillon comme une masse d'armes. Si un journal attaque la divinité de la religion, c'est un journal irréligieux. S'il combat les vérités définies par l'Église, c'est un journal hérétique. S'il publie des choses impures, c'est un journal immoral. S'il se moque des choses saintes ou des personnes consacrées à Dieu, c'est un journal impie. S'il se prétend libre dans ses opinions religieuses ou politiques, c'est un journal libéral.

Bourget ne s'y trompe pas. La source et la fontaine de tous les maux, c'est l'Institut canadien. Le grandissime, l'illustrissime, l'infaillibilissime, le gracissime, le richissime, et le sime, sime, évêquissime de Montréal, écrit Arthur Buies, dans La Lanterne, prie et fait prier ses fidèles depuis plusieurs années pour que ce monstre affreux du rationalisme qui vient de montrer à nouveau sa tête hideuse dans l'Institut ne puisse plus répandre son venin.

La gauche rend l'âme

En 1869, le Vatican exauce les prières de l'Évêquissime en lui accordant la permission de procéder à la mise à mort. Désormais, sous peine d'excommunication, il est défendu d'appartenir à l'Institut tant qu'il enseignera des doctrines perverses, annonce-t-on du haut de la chaire dans toutes les paroisses de Montréal. Tout comme il est défendu de publier, de conserver et de lire l'Annuaire de l'Institut pour l'année 1868, qui est à l'Index, c'est-à-dire toute la bibliothèque de l'Institut canadien.

Le coup sera fatal aux Rouges qui sont déjà ébranlés par un échec électoral aux premières élections de la Confédération. Leur déclin correspond à celui de l'Institut dont la salle de conférences ferme ses portes en 1871 et la bibliothèque en 1880. Entretemps, Wilfrid Laurier aura pondu le libéralisme modéré pour le rendre acceptable au clergé. Il devra néanmoins attendre jusqu'en 1896 pour que son bleuissement devienne électoralement rentable.

De même que nous avons le Grand Tronc de chemin de fer pour dévorer nos ressources matérielles, de même nous possédons le Grand Tronc de l'obscurantisme pour atrophier toutes nos ressources intellectuelles, écrit Louis-Antoine Dessaules qui meurt à Paris après vingt ans d'exil.

C'est la faute à Gagnon

La bibliothèque publique réapparaît dans le paysage montréalais au début de ce siècle. En 1910, la Ville de Montréal qui a déjà adopté la résolution de créer une bibliothèque ne peut plus en repousser la construction. Elle a un urgent besoin d'espace pour loger les livres de la collection de Philéas Gagnon qu'elle vient d'acquérir pour la somme de 30 000 $.

Pour contrer ce projet où il subodore l'influence sournoise des francs maçons, Monseigneur Bruchési emprunte la tactique qui a déjà réussi à Monseigneur Bourget. Il invite aussi tôt les Sulpiciens à reprendre du service et à construire une bibliothèque sur un terrain qui leur appartient rue Saint-Denis. La Bibliothèque Saint-Sulpice sera ouverte au public tout en demeurant sous le contrôle moral des Sulpiciens et elle est prête à accueillir le fonds Philéas Gagnon qui était d'ailleurs un ultramontain bon teint. Pourquoi engager une dépense coûteuse et faire double emploi ? demande benoîtement l'évêque de Montréal qui a l'appui inconditionnel du Devoir d'Henri Bourassa.

Parce qu'une bibliothèque municipale n'est pas un cabinet de lecture paroissial pour jeunes filles et que pour guider les lecteurs dans leur choix, il est mieux de confier la tâche à des bibliothécaires professionnels et éclairés, rétorque le sénateur Raoul Dandurand que l'évêché considère comme le chef des libéraux radicaux.

La décision des élus municipaux n'est pas idéologique mais elle est unanime. Dans la république des pots de vin, seul le patronage est souverain. Pour le plus grand bien de la culture et dans le meilleur intérêt de tous ceux qui ont des intérêts dans l'expropriation des terrains, la Bibliothèque municipale sera érigée sur Sherbrooke et elle sera deux fois plus grande que celle des Sulpiciens.

Dis-moi quelle bibliothèque tu fréquentes ?

En moins de trois ans, Montréal se retrouve nantie de deux institutions qui, à l'instar de l'Oeuvre des bons livres et de l'Institut canadien au siècle précédent, incarnent deux approches culturelles irréconciliables 0 la censure et la liberté de choix.

La Bibliothèque Saint-Sulpice est inaugurée en 1915 et la Bibliothèque municipale en 1917. Construites ironiquement par le même architecte, Eugène Payette, ni l'une, ni l'autre n'assumera pleinement son hérédité.

La première en sera plutôt la victime et sa fermeture au monde la portera naturellement à se refermer sur elle-même pour se protéger des tentations de l'extérieur. À Saint-Sulpice, le décor est austère et accueillant comme un confessionnal. Quant à l'abonné, c'est un intrus en sursis d'expulsion dont toute curiosité manifeste est immédiatement suspecte. Les bibliothécaires sont des cerbères teigneux qui ont pour mission de défendre les livres contre les abus physiques et intellectuels des usagers. Saint-Sulpice est une sacristie du livre qui sera de moins en moins fréquentée jusqu'à ce que la bibliothèque ferme dans les années cinquante.

La Bibliothèque nationale du Québec prend le relais dans les années soixante. La localisation de l'édifice sur la rue Saint-Denis en fait le centre culturel naturel du nouveau Quartier latin, qui s'est mis à revivre depuis l'Expo 67.

Claude Haeffely, le responsable de l'animation de la BN, l'a saisi tout de suite. Il donne la parole aux artistes, aux poètes. Il accroche les oeuvres des peintres, des graveurs et des photographes sur les murs. Il présente des spectacles et des concerts. Il organise la première Nuit de la poésie, accueille la lecture historique de Wouf-Wouf de Sauvageau et fait place à la contestation de l'Opération Déclic qui occupe sa salle pendant plusieurs jours.

La réaction du ministère des Affaires culturelles aurait pu être celle de Monseigneur Bruchési. Après deux ans d'activités, on coupe le budget d'animation de la BN et on tablette Claude Haeffely. Il semblerait qu'il soit dans la nature d'une bibliothèque nationale d'être aussi terne, aussi grise et aussi rébarbative que l'était l'ancienne Saint-Sulpice. Bref, la BN est absente de la vie culturelle montréalaise depuis trente ans.

Merci encore une fois MonsieurGagnon

Le principal attrait de la Bibliothèque municipale était et demeure sa collection Gagnon. De l'héritage de l'Institut canadien, elle n'a conservé que l'éclectisme de ses choix et son souci de mettre constamment à jour le catalogue de la bibliothèque, dans la plupart des domaines du savoir.

L'institution de la rue Sherbrooke n'a pas retenu dans son mandat d'être un foyer de réflexion, de promotion et de diffusion. Sa seule expérience d'animation a été la création d'une salle de lecture pour les enfants, dans les années quarante, qui a connu un énorme succès.

Malheureusement, au moment de passer à la bibliothèque des adultes, la plupart des anciens enfants n'y ont jamais remis les pieds. La Bibliothèque municipale de Montréal est ouverte à tous mais elle n'est au service de personne. Les coupures dramatiques de personnel, d'achat de livres et du temps d'ouverture n'ont fait qu'aggraver une tare endémique. Les préposés peuvent souffrir la présence des livres ou des usagers mais pas des deux en même temps,

La Grande bibliothèque du Québec, qui est appelée à consacrer la fusion de deux moribonds en phase terminale, risque fort de n'être rien d'autre que leur mausolée.

Cent cinquante-cinq ans après l'Oeuvre des bons livres et l'Institut canadien, la bibliothèque publique occupe un espace, mais elle n'a toujours pas sa place dans la société québécoise.|184| 
793|La vraie révolution automatiste|Michel Lapierre| Les automatistes étaient encore plus révolutionnaires qu'on ne le croit, mais ils n'étaient pas révolutionnaires comme on le pense. La lecture patiente de la Chronique du mouvement automatiste québécois (1941-1954), de François-Marc Gagnon, m'a confirmé dans mon jugement, quelque peu malicieux, je l'avoue bien volontiers.

Le monument d'érudition de mille pages, élevé par Gagnon, a le grand avantage de nous étourdir. Et il n'y a rien comme l'étourdissement, causé par l'accumulation héroïque des détails, pour goûter à la Grande Noirceur et pour découvrir que cette tranquille insulte à l'intelligence n'était qu'une ombre projetée par des élites de pacotille et que, malgré tout, notre évolution historique restait sauve. La médiocrité est toujours fragile et sa dénonciation n'est pas nécessairement géniale. Voilà du moins ce que croyait le docteur Ferron, au début des années soixante-dix, en ramenant le Refus global à ses justes proportions. Il reprochait même à Borduas d'avoir, dans sa vision trop négative du passé, oublié le courant révolutionnaire, irrationnel et aventureux qui traverse notre histoire, d'avoir oublié Papineau, la chasse-galerie et le Survenant !

Nous accordons si peu d'importance à l'art !

François-Marc Gagnon n'est pas Jacques Ferron. Ce professeur d'université brille par sa prudence. Il ne se permet pas de sortir du contexte des années quarante et cinquante. Il signale que Ferron, à l'époque, fréquentait et défendait les automatistes. Comme quoi il est toujours plus facile de critiquer une chose après coup. Ferron l'avouera d'ailleurs tacitement. Les idées font leur temps, écrira-t-il, lorsque lui viendra le goût de dégonfler le mythe du Refus global.

Cela dit, nous sous-estimons la portée véritable de l'automatisme dans le Québec d'après-guerre. Obnubilés par les répercussions philosophiques, politiques et sociales que nous lui avons reconnues vingt ans trop tard, nous oublions qu'il s'agissait d'un mouvement artistique. La raison en est simple, hélas. Raisonneurs comme l'étaient la plupart des curés que nous renions, nous accordons si peu d'importance à l'art !

Les automatistes étaient allergiques au nationalisme incarné par Lionel Groulx; mais, en obéissant aux seules exigences de l'art, ils ont, sans trop s'en rendre compte, contribué à notre libération dans tous les sens du terme. Ils ont imposé l'art véritablement moderne aux Anglais de Westmount, en défiant l'académisme des parvenus coloniaux. Et il se trouvait que leur esthétique, aussi évoluée que celle des peintres de Paris et de New York, avait de secrètes racines populaires.

Mieux que Borduas, Claude Gauvreau a su verbaliser cette révolution de l'imaginaire, cette révolte de l'intuition. Vous avez oublié Papineau, écrit-il en 1949 à un détracteur du Refus global, vous avez oublié Nelson, vous avez oublié les valeureux ouvriers de la révolution de 1837, vous avez remisé à la garde-robe ces pères de la pensée libérale canadienne qui s'inspiraient de Robespierre. La même année, Borduas et plusieurs autres automatistes signaient un manifeste en faveur des grévistes d'Asbestos, sans doute rédigé par Gauvreau. Mais là n'est pas l'essentiel.

Les arts plastiques ont précédé la parole

La merveille de l'automatisme, c'est qu'il fut infiniment plus révolutionnaire dans l'action que dans le discours. C'était, en fait, une révolution d'illettrés. Le Refus global et les autres textes des automatistes ne furent qu'accessoires. Le lettrisme furibond de Claude Gauvreau, dans lequel la lettre et le son se substituent au mot, confirmera par l'absurde cet illettrisme, au sens le plus élevé du terme.

Les arts plastiques ont, chez nous, précédé la parole, devancé la littérature. Les décorateurs d'églises étaient plus modernes et plus profonds que les curés et les écrivains! L'automatisme fut, à sa façon, une révolution ouvrière et même l'expression la plus haute du génie ouvrier. Et j'exagère à peine.

Le plus grand des automatistes 0 Jean-Paul Riopelle

L'artiste ne travaille-t-il pas de ses mains ? Fils de menuisier, Borduas, après ses études primaires, fit son apprentissage à l'atelier d'art sacré d'Ozias Leduc, le maître autodidacte de Saint-Hilaire. L'ombre de Leduc, de nos artisans et même de nos patenteux planent sur les automatistes. J'admets volontiers que la peinture de Leduc, l'homme du terroir, n'exprime pas tout à fait la modernité. L'infini semble même séparer ses natures mortes, comme Le Repas du colon, des abstractions des automatistes.

Mais le plus grand des automatistes, et tout simplement le plus grand de nos peintres, Jean-Paul Riopelle, ne se réclame-t-il pas de Leduc plutôt que de Borduas ? À la suite du vieux maître de Saint-Hilaire, Riopelle s'inspire de la nature québécoise, qui deviendra sous ses mains la plus chaude des abstractions. André Breton n'a pas tort de reconnaître en lui un trappeur supérieur.

Le plus authentique des illettrés supérieurs

Et Riopelle est le plus authentique des illettrés supérieurs. Il se moque de toute théorie. Vive la peinture tout court sans sur... et sans isme ! s'écrie-t-il, dès 1947. Homme du peuple, il admire Maurice Richard, à qui il réservera une place dans son oeuvre.

Des longues et fréquentes conversations qu'il eut avec son ami Samuel Beckett, Riopelle ne retiendra que le goût fameux du whisky. La lumineuse absence de pensée de l'artiste charma l'Irlandais, qui fit appel à ses talents. Tout porte à croire que le petit arbre qui, en 1953, servait d'unique décor à En attendant Godot était parfaitement québécois.

Le trappeur et le cow-boy

Riopelle était au centre du monde. Que notre trappeur ait eu quelque influence sur son aîné Jackson Pollock, le cow-boy du Wyoming qui, lui aussi, peignait des toiles abstraites, je le pense très sérieusement, comme je pense que Pollock est le plus grand de tous les peintres américains. D'autres, je le sais bien, préfèrent parler de l'influence inverse... En réalité, les deux peintres du Nouveau Monde se complètent. L'évocation abstraite de la nature a, semble-t-il, l'étrange faculté de souder les fragments de l'histoire continentale.

Au beau milieu de ma peinture, soutient Pollock en 1947, je ne me rends pas compte de ce que je fais Cette petite phrase, qui pourrait, encore aujourd'hui, se retrouver sur les lèvres de Riopelle, aurait dû servir de définition à l'automatisme. Ça nous aurait épargné bien des malentendus.

François-Marc Gagnon, Chronique du mouvement automatiste québécois (1941-1954), Lanctôt, 1998.|184| 
794|Pour un moratoire sur toutes nouvelles négociations à l'OMC|André LeCorre|

À la veille de la Conférence ministérielle de Seattle.



Du 30 novembre au 5 décembre prochain se tiendra à Seattle une réunion à l'échelon ministériel des 134 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour établir l'agenda et le contenu d'un nouveau cycle de négociations baptisé Cycle du Millénaire. Avant même que cette rencontre n'ait commencé, une grande mobilisation s'est développée au sein de la société civile internationale pour réclamer un moratoire sur ces pourparlers. Cette mobilisation trouve maintenant des échos au Québec où l'opération SalAmi avait déjà eu, l'année dernière, un certain retentissement.

Pourquoi toute cette effervescence ? C'est qu'après l'échec des pourparlers sur un Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) en octobre 1998, dû à la pression de l'opinion publique et au retrait de la France, tous les yeux se sont tournés vers Genève et l'OMC où ce type de négociations pouvaient se poursuivre. Il est vite apparu que, d'une part, c'était la structure et le mode de fonctionnement mêmes de cette organisation qu'il fallait remettre en cause et que, d'autre part, une offensive majeure de toutes les forces néolibérales se préparait, visant à mettre le point final aux efforts entrepris depuis 1980 pour asservir l'économie mondiale. Il s'est aussi avéré que ce n'était pas sur les gouvernements, même ceux qui se prétendent de gauche, qu'il fallait compter pour stopper cette évolution (au moins en ce qui concerne les pays dits développés). C'est ce qu'ont compris beaucoup d'organisations progressistes et ce qui explique leur mobilisation.

L'OMC, mythes et réalités.

Certains politiciens naïfs voient en cette organisation le défenseur des petites nations qui peuvent y faire valoir leurs revendications commerciales au même titre que les grandes. Ils croient que les négociations à venir visant la libération totale des échanges assureraient à tous, avec la croissance économique, bonheur et prospérité. La meilleure preuve, disent-ils, c'est que des 134 pays qui en font partie aucun n'a jamais demandé à s'en retirer. Au contraire une trentaine, dont la Russie et la Chine, attendent impatiemment d'y entrer.

La réalité, hélas, est tout autre. L'OMC est largement dominée par la Quadrilatérale 0 États-Unis, Canada, Union Européenne et Japon. Seules les grandes nations peuvent y déléguer un nombre de représentants suffisant pour participer à tous les comités et ont les moyens d'y entretenir ambassadeurs, experts et conseillers juridiques. Les petits pays doivent se partager à plusieurs le même délégué et les décisions importantes se prennent souvent lors de réunions informelles dont ils sont absents. Comme la règle de fonctionnement est celle du consensus négatif cela veut dire que qui ne dit mot consent et que les absents ont toujours tort, Martin Khor, directeur du Third World Network a très bien décrit cette situation lors d'une conférence prononcée à San Francisco en janvier 1997. (1)

Plus encore, une fois les décisions prises, le rouleau compresseur se met en route. Tous devront les appliquer à la lettre et si un pays manque de compétences, qu'à cela ne tienne, on lui fournira des experts qualifiés qui l'aideront à se couler dans le moule. La classification même des pays est insultante 0 il y a au sommet les pays développés, puis les économies émergentes (d'où ?), ensuite les pays en voie de développement et enfin les cancres, les PMA, pays moins avancés. Il ne vient pas à l'esprit de ces bureaucrates que ces PMA peuvent être dotés de civilisations ancestrales bien supérieures à la civilisation Mac Do. En fait il s'agit d'une nouvelle forme de colonialisme, plus subtile, plus insidieuse mais peut-être encore plus destructrice.

Résultat 0 le taux de croissance des pays en développement est passé de presque 6 % en 1996 à moins de 2 % en 1998. Ces chiffres sont tirés du rapport annuel de la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement). Selon le rapport, la constante est que la libéralisation s'est effectuée principalement dans les secteurs qui présentent un intérêt pour les exportations des pays civilisés (sic) (2)

L'offensive néolibérale ultime

Derrière tout cela, tirant les ficelles, il y a l'énorme puissance des multinationales financières et industrielles (la plupart oeuvrent dans les deux champs à la fois). Ces manoeuvres souterraines se concoctent en des lieux consacrés comme Davos ou le Bilderberg Forum. S'y retrouvent les membres de la Chambre de commerce internationale, du Business Council on National Issues (pour le Canada) et combien d'autres. Le résultat visible en a été la transformation progressive du GATT original en une OMC, avec des pouvoirs renforcés et élargis, envahissant sans cesse d'autres champs avec la signature de nouveaux accords tels, l'AGCS et l'ADPIC. (Voir l'encadré ci-contre).

Il s'agit maintenant d'étendre encore les notions de services avec un plus large accès aux marchés publics, la propriété intellectuelle inclurait le brevetage du vivant et donc les organismes génétiquement modifiés. L'agriculture, la concurrence et, bien entendu, l'investissement seraient également au programme ; Susan George (3) dénombre 160 sous-secteurs et activités qui tomberaient sous la juridiction de l'OMC. Cet envahissement est tel qu'il sera bientôt plus facile de dénombrer les secteurs non couverts, s'il y en a.

Dans le cas du Québec, la pression mise sur la privatisation des services publics toucherait des secteurs particulièrement chers au coeur des Québécois et Québécoises comme la santé, l'éducation, la gestion de l'eau et des forêts. Sans compter les autres impacts sur l'environnement, les règles du travail et la protection sociale.

Qu'est-ce que l'OMC ? (Organisation mondiale du commerce)

Origines de cette organisation

À la fin de la dernière guerre (1944) une conférence historique se tenait aux États-Unis à Bretton Woods. Ses objectifs étaient très vastes 0 mettre de l'ordre dans les finances internationales en imposant des taux de change fixes ; assurer la reconstruction d'un monde dévasté par la guerre et le développement du tiers-monde.

Deux organismes sont nés de cette conférence 0 le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Un volet restait à compléter 0 la supervision du commerce multilatéral. En 1947, lors d'une conférence des Nations Unies à La Havane, voyait le jour l'OIC (Organisation internationale du commerce) dont la charte n'a jamais été ratifiée (notamment par suite du refus du Congrès américain).

La même année, 23 pays réunis à Genève adoptaient un accord provisoire 0 le GATT (Général Agreement on Tariffs and Trade ou en français 0 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

Le GATT a fonctionné sous forme de cycles de négociations, huit au total, dont les plus importants ont été le cycle Kennedy (1963-1967), le cycle de Tokyo (1973-1979) et finalement le cycle d'Uruguay (1986-1993). Ce dernier cycle est le plus important puisqu'après les accords de Marrakech, il devait donner naissance à l'OMC qui entrait en fonction le 1er janvier 1995.

Structure et fonctionnement

L'OMC a son siège à Genève, 134 pays en sont membres et une trentaine ont demandé leur adhésion dont la Chine et la Russie. Son organigramme comprend 0 la Conférence ministérielle qui se réunit au moins une fois tous les deux ans, le Conseil général formé des ambassadeurs et chefs de délégations à Genève et les conseils sectoriels. Les membres du Conseil général se réunissent en tant qu'Organe d'examen des politiques commerciales et en tant qu'Organe de règlement des différends.

Un secrétariat d'environ 500 personnes dirigé par un directeur général assure l'appui technique avec un budget annuel d'environ 120 millions de dollars canadiens. Les décisions sont prises par la totalité des membres, généralement par consensus.

Attributions et pouvoirs

Dans l'optique d'une libération toujours plus poussée des échanges et de l'abolition progressive des barrières tarifaires et non tarifaires, l'OMC surveille l'application des accords du GATT tels que modifiés et étendus lors des différents cycles de négociations, plus un nouvel accord sur les services (2), l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), plus un Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

La mobilisation de la société civile

De ce qui précède il ressort que tous les aspects de la vie quotidienne des citoyens et des citoyennes seraient affectés. Il ne s'agit pas ici de banales discussions commerciales pouvant se dérouler, en circuit fermé, entre les instances concernées. Elles peuvent au contraire modifier toute la dynamique de nos sociétés pour les décennies à venir et requièrent donc un vaste débat public.

Devraient être incluse dans ce débat, outre la limitation des pouvoirs exorbitants que s'est donnée l'OMC, une révision du rôle du FMI (Fonds monétaire international) et de la Banque mondiale qui, tous deux, ont largement dévié de leur mission originale. Enfin ne faudrait-il pas profiter du Sommet du millénaire organisé par l'ONU pour revoir toute l'architecture mondiale en donnant la priorité aux valeurs humaines de justice et de solidarité qui doivent avoir préséance sur les droits commerciaux.

La société civile internationale est prête à relever ce défi. Déjà, à l'appel des Amis de la terre, 1 200 organisations de l'Australie au Zimbabwe ont signé une déclaration demandant un moratoire sur toutes négociations qui étendent la portée et le pouvoir de l'OMC. Il est probable que ce mouvement va s'amplifier jusqu'au 30 novembre moment où, parallèlement à la réunion officielle, se tiendra à Seattle une grande manifestation.

Au Québec la filiale du groupe français ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens) recueille des signatures pour un appel semblable adressé au gouvernement canadien et le 26 novembre prochain à l'UQÀM (Pavillon Hubert Aquin salle AM 050 à 19h00) se tiendra une assemblée publique organisée par le Réseau québécois sur l'intégration continentale. L'aut'journal sera là. Et vous ?

1. Khor, Martin. Forum international sur la globalisation, San Francisco, janvier 1997. http0//www.ccoropa.org/obs/martin.html

2. Agence France-Presse-citée par Le Devoir, 21 septembre 1999

3. George, Susan. Le Monde diplomatique,. Juillet 1999, pages 8 et 9.|184| 
795|Mensonges néolibéraux, mensonges fiscaux|Michel Bernard| Les néolibéraux veulent éliminer la capacité redistributive des États et abolir pratiquement les programmes sociaux. Ils déploient une argumentation et une série de comparaisons boiteuses pour nous faire gober que les moins nantis ont le même intérêt que les bien nantis à exiger des réductions d'impôts importantes. L'économiste Murray Dobbin anéantit quelques mythes fiscaux entretenus par ces amis qui nous veulent du bien en réduisant leurs impôts. (1)

La seule question pertinente est 0 sommes-nous surtaxés pour les services que nous recevons ? Nous ne pouvons nous comparer avec des pays qui ont beaucoup moins de services publics que nous.

Mythe 1 0

On ne reçoit pas de services pour nos impôts

Dernièrement, le comptable Cyrenne nous serinait combien les impôts étaient plus élevés au Québec qu'aux USA. C'est par distraction sans doute qu'il a évité de dire que 43 millions d'Américains ne peuvent se payer d'assurance-santé privée, que les coûts de santé y sont de 50 % plus élevés, car on y paye une rançon en juteux profits aux compagnies privées qui font de la maladie une business.

C'est sans doute aussi par inattention qu'il a passé sous silence les frais de scolarité de 37 500 $ CAN par année que les étudiants universitaires américains doivent débourser aux institutions privées ; rien non plus sur la violence créée par les inégalités extrêmes, sur les working poors, etc.

Selon Dobbin et l'OCDE, malgré le fait que nous recevons plus de services publics, le revenu disponible après impôts des Canadiens était de 81,8 % du revenu brut contre 81,7 % pour les Américains et 85,1 % pour l'ensemble des pays de l'OCDE en 1996. Si on ajoute aux impôts des Américains les dépenses privées de santé et les coûts d'éducation, il n'y a plus de différence entre le Canada et les USA, à part leurs dizaines de millions d'exclus.

Mythe 2 0

La journée de la libération fiscale

Une autre sirène néolibérale, le Fraser Institute, fait beaucoup de bruit chaque année à propos du jour de la libération fiscale. On nous dit que nous commençons à travailler pour nous-mêmes fin juin-début juillet, ou le 6 juillet pour les Québécois, tandis que dans le paradis américain la libération survient le 12 juin.

Les riches veulent obtenir des baisses d'impôt en utilisant la force politique des moins nantis, alors qu'on sait bien que ceux-ci ont besoin de revenus de transferts financés par les impôts. Leurs mercenaires entretiennent donc l'idée que pauvres comme riches sont libérés ensemble fin juin du méchant État, que la guerre à l'impôt sur le revenu est une entreprise de salut public également profitable à tout le monde… Selon les données de Revenu Canada une proportion de 75 % des particuliers, soit 15 millions de contribuables sur 20,8 millions, gagnent moins de 35 000 $ par année.

Mythe 3 0

Plus d'impôts au Canada que dans les autres pays

Le think-tank patronal nous dit que les riches sont mobiles et que nous devons baisser leurs impôts et ceux de leurs compagnies pour concurrencer les États-Unis. Dobbin rappelle que les taxes et les impôts totaux perçus au Canada correspondent à 36,8 % du PIB comparé à une moyenne de 37,7 % pour 29 pays de l'OCDE. Nous ne sommes donc pas dans l'enfer fiscal , mais dans la bonne moyenne.

Au Québec, la ponction fiscale totale serait de 42,4 % du PIB, soit le même taux que celui de l'Union européenne, mais ils auraient de meilleurs programmes sociaux… Le poids de l'impôt des particuliers est de 15,7 % du PIB au Québec contre 14,9 % dans l'admirable Ontario qui réduit ses programmes sociaux et multiplie ses banques alimentaires. Où est l'enfer social, sinon en Ontario et aux États-Unis ? En réalité, nous sommes moins imposés que dans plusieurs autres pays, là où dépenses de santé et d'éducation sont davantage privatisées qu'au Canada.

Mythe 4 0

Réduire l'impôt des compagnies et attirer les investissements étrangers

Mais la démagogie atteint le summum lorsqu'on parle, dans les petits instruments de propagande à Black, à Desmarais et à Péladeau, de l'impôt des compagnies comme tueur de l'emploi.

Selon la firme de comptables KPMG, le taux effectif combiné (fédéral-provincial) d'impôt sur le profit net des compagnies était de 27,4 % au Canada après déduction des crédits et exemptions ; il est de 40 % aux USA. En Allemagne et en France, c'était 60,5 % et 54 % (2). Dobbin note aussi que les payroll taxes sont 30 % inférieures au Canada par rapport aux USA et le coût du terrain industriel est ici de 2,16 $ comparé à 2,92 $ le pied carré. Une étude plus récente de KPMG montrait que les coûts totaux liés aux affaires sont 2,1 % plus faibles au Québec par rapport à la moyenne canadienne et 9,7 % moins chers par rapport aux USA. Bernard Landry, obsédé de mondialisation, se félicitait d'ailleurs du pouvoir d'attraction créé par l'appauvrissement des travailleurs québécois ; veut-on en plus baisser les impôts des compagnies ?

Le fédéral se pète les bretelles avec la mondialisation et sa capacité d'attirer des investisseurs étrangers. Le PQ le copie en voulant donner 350 millions à GM. Pourtant, Dobbin rapporte que, de 1985 à 1997, 93,4 % des 184 milliards d'investissements étrangers au Canada n'ont été que des acquisitions par les étrangers d'actions d'entreprises canadiennes existantes ; seulement 6,6 % ont été consacrés à de nouveaux moyens de production. Souvent les étrangers ont procédé à des licenciements pour amortir le coût des acquisitions.

Mythe 5 0

Les taux d'impôt sont progressifs

Dobbin fait un calcul du taux global d'impôt (impôt sur le revenu plus taxe de vente, sur l'essence, taxes foncières, taxes de payroll, etc.) et il en arrive à la conclusion que trois familles de la Colombie-Britannique, gagnant 30 000 $, 55 000 $ et 90 000 $, paient respectivement un taux global de 23,8 %, 29,9 % et 31,7 % de leur revenu.

Donc, la progressivité de l'impôt global des Canadiens exige une étude plus sérieuse que celle des petits journaux jaunes. Dobbin établit que ceux ayant gagné un revenu supérieur à 300 000 $, toutes sources comprises, ont payé 14,4 % d'impôt sur ce revenu. Le hic, c'est que le revenu imposable des riches est beaucoup moins élevé que leur revenu brut, car ils disposent de beaucoup d'exemptions et déductions comme la non-imposition de 25 % de leurs plantureux gains de capitaux, la déduction des frais d'intérêt et de placement, etc.

Mythe 6 0

La fuite des cerveaux

L'institut CD Howe, un think-tank affairiste, rabâche que l'impôt canadien fait fuir les cerveaux. Statistique Canada a montré que, dans les années 90, nous avons perdu annuellement 8 500 gradués universitaires en faveur des États-Unis, mais les petits démagogues ne disent pas qu'il entrait 32 800 immigrants avec grades universitaires annuellement en provenance d'autres pays que les USA.

Par exemple, en 1996, le gain canadien net par l'immigration a été de 7 772 ingénieurs, 6 319 informaticiens, 1 999 scientifiques. Nous avons perdu 683 infirmières et c'est à cause du retrait de l'État de la santé. Invité à l'émission du matin de Homier-Roy, l'indécrottable comptable Cyrenne, gourou du PQ, déclarait que l'exode des cerveaux est bien réel puisqu'il connaissait de ses amis comptables qui avaient l'intention de déménager à leur retraite pour ne pas payer d'impôt au Québec sur leur régime de retraite engrangé au cours des années à partir de déductions fiscales québécoises. Premièrement, on ne peut généraliser abusivement à partir de quelque cas, deuxièmement, on ne peut conclure de la fuite de cerveaux à partir de la fuite de trous de cul.

(1) La majorité des données fiscales de cet article sont tirées de DOBBIN, Murray, 10 tax myths in The CCPA Monitor, vol. 6, no. 5, Oct. 99, The Canadian Centre for Policy Alternatives, pp. 9-32.

(2) Dobbin, p. 17, cite l'étude de KPMG publiée en 1997 The competitive alternative 0 a comparaison of business costs in Canada, Europe and the United States, oct 1997|184| 
796| J'accuse la Couronne, les policiers et la Ville de Montréal de collusion — Jean Lapierre|Pierre Dubuc| Vingt-neuf jours de prison ne sont pas venus à bout de la détermination de Jean Lapierre et Denis Maynard, respectivement président et secrétaire-trésorier du Syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal. Au terme de leur sentence, ils reviennent sur les circonstances entourant la manifestation du 13 septembre 1993 au cours de laquelle les portes de l'hôtel de ville ont été défoncées à coup de bélier et sur leur condamnation à six mois pour avoir soi-disant comploté ces événements.

D'entrée de jeu, Lapierre et Maynard ont présenté aux journalistes assistant à leur conférence de presse du 22 septembre dernier des extraits des bulletins de nouvelles télévisées du 13 septembre 1993 au cours desquels les reporters affirment que Jean Lapierre est intervenu pour calmer les manifestants casqués occupés à défoncer les portes de l'hôtel de ville à l'aide d'un bélier. Des extraits que jamais on n'a repassé à la télévision par la suite lorsqu'on a rappelé ces événements.

Jean Lapierre et Denis Maynard nient avoir comploté pour pénétrer par effraction à l'hôtel de ville. Si nous avions voulu pénétrer à l'intérieur de l'édifice, nous aurions pu le faire facilement. Nous avons 70 cols bleus qui y travaillent . Lapierre ajoute 0 Les individus qui se sont servis du bélier ne faisaient pas partie de la structure syndicale . Il précise que lorsqu'il est allé les arrêter, il a trouvé des types très costauds qui faisaient peur. On peut trouver pour le moins curieux qu'aucun d'entre eux n'ait fait l'objet de poursuites, ni ne se soit retrouvé devant les tribunaux.

Une provocation

Lapierre rappelle le déroulement pour le moins intrigant des événements de cette journée-là. Nous n'en étions pas à notre première manifestation spectaculaire devant l'hôtel de ville. Le scénario habituel était le suivant 0 les policiers de l'anti-émeute formaient un cordon devant l'édifice et des représentants de la sécurité venaient me chercher pour me conduire à l'intérieur de la salle du conseil où je pouvais prendre la parole. Par la suite, nous quittions tous pacifiquement .

Mais le 13 septembre, des choses bizarres se sont produites. Il n'y avait pas de cordon policier devant l'hôtel de ville, mais des policiers de l'anti-émeute étaient cachés à l'intérieur. Voulait-on que la manifestation dégénère ? demande le président du syndicat, qui précise que la présence de cols bleus portant casques avec visière n'avait pour but que de protéger les manifestants contre une intervention policière.

Tout en évoquant la possibilité d'une provocation, Lapierre n'en continue pas moins d'assumer la responsabilité des événements du 13 septembre 1993. Nous avions organisé la manifestation, son bon déroulement était de notre responsabilité. Nous avons commis l'erreur de ne pas tout prévoir. Nous en avons assumé les conséquences .

En arrière-plan 0 la privatisation de l'eau

Lors de la conférence de presse, Jean Lapierre a rappelé les circonstances bien spéciales de cette manifestation. Les cols bleus étaient engagés dans des négociations intensives avec la Ville de Montréal dans le cadre de la loi 102 qui, rappelons-le, prévoyait une coupure de salaire de 1 % récurrente pour tous les employés municipaux et le gel des conditions de travail pour une période de deux ans, à moins que les parties en viennent à une entente avant minuit, le 14 septembre 1993.

Les négociations allaient bon train mais, coup de théâtre, à 03h40 du matin, le 13 septembre, la Ville dépose un projet de convention qui prévoyait la privatisation de plusieurs services, y incluant un projet de privatisation de l'eau ! Rappelons qu'à l'époque, sous l'administration Doré, les projets de privatisation étaient très avancés. Déjà, raconte Lapierre, l'ancien ministre Yves Séguin faisait du lobbying auprès de nous au nom de la Lyonnaise des Eaux . Devant ce revirement, les Cols bleus mettent fin aux négociations, convoquent leurs instances syndicales et organisent la manifestation devant l'hôtel de ville.

Un procès politique

Pour Lapierre et Maynard, il est clair que le procès qu'on leur a fait était un procès politique. L'intervention de Claude Champagne, gérant de la sécurité à la Ville mais également membre du comité de négociations, comme principal témoin, les irrégularités qui ont entaché le procès, la procédure d'accusation, la sévérité de la sentence si on la compare à d'autres causes ; tout démontre qu'on a cherché à intimider, à briser le Syndicat des cols bleus, un des syndicats les plus militants au Québec, et conséquemment l'ensemble du mouvement syndical.

Lapierre et Maynard ont étayé leurs accusations à l'aide d'une solide documentation. Nous vous la présentons dans notre dossier en pages 6 et 7. À vous de juger.|183| 
797|Université Coke|Anne-Marie Tremblay et Anne-Marie de la Sablonnière|L'Université du Québec à Montréal s'apprête à signer un contrat d'exclusivité de dix ans avec la multinationale Coca-Cola, qui lui permettra d'empocher 550 000 $ par année. Plus de 19 000 étudiants et étudiantes, ceux d'art, de lettres, de communication, de sciences humaines et d'éducation sont en désaccord avec cette entente.

Par ce contrat d'approvisionnement, Coca-Cola vise une augmentation de la consommation de 130 %. L'entente prévue de dix ans se prolongerait de deux ans sans compensation financière si Coca-Cola n'a pas atteint ses objectifs de vente. Le nombre de machines distributrices, contenant eau, jus, boissons gazeuses et autres boissons non alcoolisées, devrait doubler.

Une hausse déguisée des frais de scolarité

Dans la plupart des points de vente, le format de boisson passerait de 355 ml à 610 ml, ce qui équivaut à une augmentation du prix de 50 cents. L'argent versé à l'UQAM représenterait près de 0,25 % du budget annuel. Cette somme servirait entre autres, à l'amélioration du matériel informatique, à financer des bourses d'étude et à l'embauche d'étudiants dans des projets de recherche. Il faudra voir quel genre de recherche...

Le contrat n'oblige pas l'université à afficher des publicités de Coca-Cola, mais les 206 distributrices aux couleurs éclatantes de Coke, Fruitopia, Powerade ou Minute Maid, par exemple, sont aussi efficaces qu'un panneau publicitaire. En plus, chaque personne qui déambule avec, à la main, un produit Coca-Cola ou qui le dépose sur son bureau devient une publicité ambulante, comme le soulignait un étudiant lors de l'Assemblée générale de l'AGEsshalcUQAM (Association étudiante de sciences humaines, art, lettres et communication de l'UQAM). D'ailleurs, la multinationale estime que 80 % des achats se font d'une manière impulsive.

En fait, Coca-Cola achète une clientèle captive, déjà surendettée. Selon Dominic Pilon, responsable aux finances et aux services à l'AGEsshalcUQAM (représentant 14 000 étudiants), C'est encore les étudiants qui vont payer, parce que 40 % du prix déboursé retournera dans les poches de l'université. En fait, c'est une hausse des frais de scolarité déguisée .

Non au contrat d'exclusivité

Selon l'Unité, le journal de l'association étudiante, la rectrice Paule Leduc a déclaré que si les étudiants ne veulent pas de contrat d'exclusivité, ils peuvent le refuser . Reste à voir si la rectrice tiendra ses promesses , souligne Dominic Pilon. Les membres de l'AGEsshalcUQAM se sont justement prononcés le 23 septembre dernier contre l'entente avec Coca-Cola et contre toute forme de contrat d'exclusivité avec un organisme à but lucratif. Les membres de l'association des étudiants en éducation se sont également prononcés contre, mais les étudiants en gestion sont pour.

Les ententes d'exclusivité fusent au moment où un réinvestissement massif dans l'éducation est demandé de toutes parts. Le cégep du Vieux-Montréal a déjà signé un contrat avec Coca-Cola et l'Université de Montréal avec Pepsi. L'UQAM a déjà de tels contrats avec Rougemont et Pepsi par exemple. La différence, c'est que ces ententes ne visent pas une hausse de consommation et qu'elles sont de courte durée. Dans notre société, la publicité est de plus en plus agressive et omniprésente. Ne serait-il pas nécessaire que les écoles soient protégées de ce fléau ? La publicité nous poursuit partout, même dans les toilettes ! Jusqu'où cela ira-t-il ? Un débat sur la publicité dans l'éducation est plus que nécessaire.|183| 
798|Coalition pour empêcher Desjardins de transformer les caisses populaires en banque|Paul Cliche| Le Mouvement coopératif Desjardins, qui a été jusqu'ici un des principaux fleurons de la société québécoise, est en train de transformer son réseau de 1500 caisses populaires autonomes, propriétés de leurs cinq millions de membres, en une banque où, selon le plus pur modèle capitaliste, toutes les décisions seront centralisées dans les mains d'un conseil d'administration.

Devant l'urgence d'agir pour éviter le naufrage de notre mouvement coopératif, une large coalition de la société civile est en train d'être mise sur pied. À l'invitation du président de la CSN, Marc Laviolette, une réunion, où sont invité(e)s des représentant(e)s d'un éventail impressionnant d'organismes, d'associations, de syndicats et de groupes en provenance de toutes les régions du Québec, aura lieu au début d'octobre.

Un référendum parmi les membres?

Parmi les invités à la réunion, on compte René Croteau, ex-directeur général de la Confédération des caisse populaires et d'économie Desjardins qui a adressé à l'actuel président, Claude Béland, un mémoire qui est devenu le manifeste des défenseurs de l'esprit coopératif. Il y déclare que le projet de restructuration de Desjardins est trop important et porteur de trop de conséquences pour être laissé à la seule discrétion des élus et des gestionnaires. Seuls les membres, en leur qualité de propriétaires, ont le pouvoir et la légitimité pour statuer sur cette question , soutient-il.

Suite au manifeste de l'ancien numéro deux de Desjardins, qui a encore une autorité morale très forte dans le mouvement et qui en est maintenant devenu la conscience , il semble logique que la coalition qui verra le jour en octobre réclamera la tenue d'un référendum parmi les sociétaires membres des caisses. Mais il lui faudra certes beaucoup d'efforts pour l'obtenir car la machine qui procède à la transformation des caisses en banque fonctionne comme un rouleau compresseur, nantie qu'elle est des ressources financières et humaines de l'establishment du mouvement.

C'est en mars dernier que quelque 75 % des délégués à un congrès d'orientation de la Confédération ont appuyé l'idée de fusionner, d'ici cinq ans, les 10 fédérations régionales de Desjardins en une fédération unique; ainsi que de démanteler la Fédération des caisses d'économie et ses 108 caisses qui sont implantées dans 700 milieux de travail. Mais dans une proportion encore plus forte (87 %), ils ont d'abord demandé la création d'un comité de révision pour mesurer l'impact de ce changement qui affecte non seulement les structures mais aussi la nature du mouvement.

On s'attend à ce que le rapport de ce comité de révision des structures, qui doit être rendu public ces jours-ci, recommande d'appliquer l'orientation adoptée au congrès en transformant la Confédération en une fédération unique qui serait décrite sous l'appellation de banque coopérative . Les fédérations actuelles seraient remplacées par des bureaux régionaux sans aucun pouvoir, tandis que la Fédération des caisses d'économie serait dissoute.

Parallèlement on assisterait à la centralisation des opérations et au déménagement du siège social de Lévis à Montréal, au retrait d'un nombre important de pouvoirs des caisses populaires locales et à l'accélération des fusions obligatoires de caisses sur tout le territoire, particulièrement en milieu rural.

De 10 000 à 12 000 emplois perdus

Ce branle-bas se produit alors même qu'un immense plan de réingénierie des processus administratifs est à mi-chemin de son implantation. Amorcée en 1995 cette opération, qui a déjà fortement ébranlé les conditions de travail du personnel et la qualité des services rendus aux sociétaires, a entraîné jusqu'ici la disparition de 5 000 à 6 000 emplois. Le président de la FTQ, Henri Massé, dont la centrale est fortement implantée chez Desjardins, le plus gros employeur privé au Québec avec 40 000 salariés, estime que si on ajoute à la réingénierie la reconfiguration proposée, ce sont 5 000 à 7 000 emplois de plus qui disparaîtront d'ici quelques années.

Le président Massé tient à mettre Desjardins en garde contre toute tentative de faire disparaître la Fédération des caisses d'économie ainsi que ses 108 caisses affiliées qui comptent 260 000 membres. Cette fédération a en effet une mission unique du fait qu'elle est implantée dans des lieux de travail fortement syndiqués et qu'elle a des liens privilégiés avec les centrales. Si cette fédération devait s'écarter du Mouvement Desjardins pour garantir sa survie - ce que la FTQ ne souhaite pas - elle recevrait un plein appui de la centrale a déclaré M. Massé. On sait que la Fédération des caisses d'économie a entamé des procédures judiciaires contre la Confédération et les Fédérations régionales de Desjardins, le printemps dernier, suite au refus de ces dernières de la maintenir comme entité distincte et autonome dans la nouvelle structure qui doit compter une seule fédération.

Par ailleurs, le président Massé a déclaré que la FTQ s'opposera farouchement à toute centralisation et reconfiguration du réseau des caisses populaires qui continueraient à détériorer les emplois existants de même que les services essentiels à une large fraction de la population, souvent la moins bien nantie .|183| 
799|Le monde coopératif en ébullition|Paul Cliche| Les transformations accélérées que subit le mouvement coopératif québécois suscitent plusieurs réactions. L'aut'journal en a recueilli quelques-unes qui dénonce l'orientation capitaliste que l'establishment de Desjardins tente d'imposer à son réseau de caisses populaires.

Une loi pour exproprier les sociétaires ?

Gaston Michaud, président du conseil d'administration de la Caisse populaire de Racine, est un des animateurs du Regroupement pour la survie des caisses rurales, créé afin de combattre le plan de Desjardins.

L'aspect qui le préoccupe le plus est l'adoption éventuelle d'une loi qui autoriserait la transformation du réseau des caisses populaires en banque. Il dit qu'un projet de loi en ce sens est en préparation actuellement dans les hautes sphères de Desjardins et que le lobbying a commencé auprès du gouvernement. Cela confirmerait l'expropriation des sociétaires qui sont les propriétaires des caisses. Ces dernières deviendraient ainsi de simples succursales comme dans le cas des autres banques. Il ne faut pas que cela se produise et il faut livrer un combat énergique , insiste-t-il. Il conclut en disant que le président Béland a un comportement schizophrénique0 il tient un discours coopératif mais il agit selon les règles du capitalisme sauvage.

Un choix suicidaire

Clément Guimond est coordonnateur général de la Caisse d'économie des travailleurs (Québec). Selon lui, le problème se pose à deux niveaux. D'abord, les dirigeants de Desjardins font preuve d'un manque de transparence et de franchise qui frise la malhonnêteté. Il ne s'agit pas que d'aménagements de structures, comme ils le prétendent, mais d'un changement de cap car on touche au coeur de l'action coopérative. Le président Béland a le sophisme facile , dit-il. Par ailleurs, le choix de Desjardins d'opter pour la stratégie des banques est suicidaire, estime-t-il. Le mouvement n'a d'avenir au Québec que s'il demeure une organisation coopérative. Comme banque, il se coupera de ce qui a fait sa force jusqu'ici et il ne tardera pas à disparaître, prédit-il.

Les défis sont grands, admet-il, mais si Desjardins avait mis autant d'énergie à s'adapter aux défis nouveaux en construisant une alternative solidaire de l'action collective des travailleurs qu'à reléguer la coopération aux oubliettes pour satisfaire les donneurs de cotes de chez Moody's, il aurait certainement réussi.

On coupe au mauvais endroit

Pour faire face à la mondialisation, les dirigeants de Desjardins veulent augmenter la compétitivité en réduisant les coûts. Dans ce but, ils coupent dans les services aux membres et réduisent leur personnel. Il préconisent aussi une accélération des fusions des caisses en fermant plusieurs d'entre elles surtout dans les régions rurales.

Mais plusieurs dirigeants locaux font valoir que ces coupures se font au mauvais endroit. Gérard Beaulieu, directeur général de la Caisse des Trois-Pistoles fait valoir que c'est la proportion de 35 % de frais d'exploitation que sa caisse verse à la fédération et à la confédération qui accable de dettes son budget. Il signale aussi que la rémunération des dirigeants est beaucoup trop élevée0 750 000 $ par année pour le président Béland et des salaires de 300 000 à 500 000 $ pour de nombreux cadres. C'est là qu'il y a du gras et qu'on devrait faire des coupures; pas dans les services aux membres , dit-il.

Les caisses rurales0 Maîtres chez nous

C'est le titre du manifeste publié par le Regroupement qui lutte pour la survie des caisses rurale qui compte des appuis dans plusieurs régions du Québec. En voici quelques extraits.

Les dirigeants de Desjardins tentent de nous faire croire que pour faire face à la mondialisation les petites et les moyennes caisses doivent se fusionner au profit de super-caisses disposant de centaines de millions d'actifs. Nous ne sommes pas d'accord! Nous croyons que cette centralisation constitue une perversion du message d'Alphonse Desjardins et du rôle même des caisses populaires. Notre mission n'est pas de faire des profits à l'échelle planétaire, mais de permettre à nos membres de s'entraider dans un contexte de sécurité financière. Il ne sert à rien d'ergoter sur le village global pendant qu'on fait mourir le village local. Notre mission c'est de constituer un outil de développement de notre communauté locale; ce n'est pas de devenir une grosse banque. Nous avons le pouvoir d'agir sur notre milieu. Nous avons le devoir de défendre nos institutions locales. Ces institutions comme l'église, l'école, la municipalité, le bureau de poste et la caisse populaire constituent le coeur et les poumons de nos communautés. Ne nous laissons pas amputer. Nous sommes loin d'être impuissants. Nous avons le pouvoir et le devoir d'exercer une influence sur notre milieu de vie. Nous en avons aussi les moyens, nos caisses étant financièrement solides.|183| 
800|Le Front commun, un des derniers remparts|Michel Bernard et Michel Chartrand| L'enjeu des négociations du Front commun n'est que secondairement le partage d'un surplus que le gouvernement dissimule. Partout, les salaires stagnent, les travailleurs sont docilisés par la précarisation pendant que le capital explose. La montée générale de l'ultralibéralisme et de sa mythologie économique placent le capital en position de force pour obtenir des réductions d'impôts, la compression de l'État, de sa capacité de redistribuer et de réglementer. L'enjeu est politique, c'est la réduction du pouvoir résiduel des syndicats devant la libéralisation du capital.

Le libéralisme pouvait s'approcher d'une pratique sociale de coexistence quand les résultats de la productivité étaient partiellement partagés avec les travailleurs par les hausses de salaires, avec les consommateurs par la réduction des prix et avec le capital par le profit. Mais l'indice Toronto Stock Exchange a augmenté de 75 % de 1995 à 1998. Le capital des compagnies canadiennes a obtenu un rendement de 16,2 % en 1997. Pendant ce temps, de 1983 à 1997, les gains hebdomadaires moyens des travailleurs salariés québécois ont chuté de 595 $ à 566 $ en termes réels 1.

Ce n'est jamais le temps pour les travailleuses et les travailleurs salariés

Les employés des secteurs publics et parapublics n'ont pas participé à de véritables négociations depuis 1989. Cette concentration du capital permet aux politiques gouvernementales de servir les intérêts d'une petite minorité de riches.

De 1989 à 1995, ce fut la guerre à l'inflation. Les piles d'argent des riches fondaient, exposées qu'elles étaient à l'inflation pendant que la plupart des Canadiens endettés bénéficiaient du phénomène en remboursant avec des dollars de pouvoir d'achat dévalués.

La Banque du Canada déclencha sa politique de hauts taux d'intérêt et une stupide politique d'inflation zéro qui ont coûté 475 milliards à notre économie de 1989 à 19972. Une fois l'inflation domptée, ce fut le déclenchement de la guerre du déficit zéro qui a supprimé 30 000 postes dans la fonction publique québécoise.

Le déficit zéro atteint, les travailleurs du secteur public ne peuvent toujours pas en profiter, car l'ère des réductions d'impôt est venue pour concurrencer les sociétés qui versent dans le néolibéralisme comme l'Ontario et les États-Unis.

On oppose maintenant aux syndicats nationaux les impératifs de la concurrence internationale dont les coordonnées échappent présumément aux États. On parle de geler le salaire minimum cette année à 6,90 $ pour imiter l'Ontario qui a gelé le sien à 6,85 $.

Dans vingt ans, on paiera dix fois pour cette bombe à retardement, pour les coupures actuelles du PQ dans la santé et l'éducation; mais qui fera le lien avec l'absurde politique du déficit zéro, qui se rappellera de Bouchard ou de Landry, de leur manque à investir dans l'avenir inspiré par leur obsession à balancer les comptes courants ?

La stratégie de division des travailleurs

Le PQ utilise une petite stratégie de démobilisation en montant les parents, les organismes culturels et les étudiants contre les professeurs. Il soutient que les activités parascolaires boycottées par les professeurs sont cruciales pour l'éducation des enfants; or, elles s'appuient sur le bénévolat des professeurs et le bénévolat des acteurs des organismes culturels. Si c'est si indispensable, qu'on les inclut dans le budget des dépenses publiques plutôt que de les faire reposer sur la charité.

Bouchard a qualifié les travailleurs du secteur public de privilégiés. Il y a pourtant 13 000 employés précaires seulement au Syndicat de la fonction publique. Le gouvernement veut régler en désolidarisant et même en dressant les travailleurs du secteur privé contre ceux du secteur public, comme il a entretenu son absurde politique du déficit zéro sur le dos des démunis, multipliant le désespoir pour ne pas dire les enterrements. A-t-il parlé une seule fois des rendements outrageux du capital financier, dont fait état notre encadré en page 5 ? Jamais. Bouchard ne montre ainsi sa préférence pour courtiser le capital aux dépens des travailleurs.

L'oreille est tendue vers le Conseil du patronat et l'Alliance des manufacturiers qui réclament des baisses d'impôts 0 sans doute une autre condition gagnante !

Ajuster les salaires du secteur public sur les plus bas salaires du privé

La seule chose que cela démontre, c'est que le secteur privé a, comme le secteur public, besoin de syndicalisation pour affronter le nouveau rapport de force avec le capital. Bouchard parle de la présumée sécurité d'emploi du secteur public comme si la précarité instituée par le capital dans le privé au nom de la concurrence constituait la norme à universaliser.

Le président d'une compagnie de bière ou un pousseux de rondelles de hockey peut gagner plus que 150 professeurs ou 200 infirmières, c'est le juste prix, c'est le marché, c'est le privé, c'est la référence.

Bouchard use sciemment de démagogie en opposant une réduction d'impôt à la hausse salariale des employés publics, comme si les deux étaient mutuellement exclusifs. Il lance en l'air 5 % sur trois ans sans avancer aucune justification.

Le secteur public a déjà un droit de grève encadré par les services essentiels, Bouchard parle de grève intolérable. Le cheuf affirme d'avance qu'il ne négociera pas, rejetant l'obligation de négocier de bonne foi pour des conventions échues depuis plus d'un an. Même s'il s'agit d'une négociation dans le secteur public, elle a valeur d'exemple, car il importe de brûler les derniers hérétiques qui s'opposent à l'ultralibéralisme.

La raison sert de paravent à une nouvelle mythologie économique qui ne bénéficie qu'au capital et à une minorité et qui nous présente la mondialisation, la mise en concurrence de tous les travailleurs de la terre, la privatisation, la précarisation du travail, comme la seule voie possible. On comprend la tactique du Fraser Institute et du Conseil du patronat d'entretenir le mépris envers les employés du secteur public, car ils veulent l'État minimal.

Les tactiques de l'État employeur ne devraient pas nous faire oublier que les employés du secteur public, les serviteurs de l'État occupent des fonctions cruciales dans la santé, dans l'éducation, dans la fonction publique et qu'ils méritent notre respect.

Nous préférons avoir affaire à la bureaucratie de l'État tournée vers le bien public plutôt qu'à la bureaucratie de Bombardier, de Bell ou de Power tournée vers la maximisation du profit de son organisation. Quand l'État dérive et se propose de réaliser le programme du capital de destruction des structures collectives, la désobéissance civile devient un devoir, il n'y a plus de grèves illégales.

1. LANGLOIS, Simon, Québec 1999, Fides-Le Devoir, p. 43.

2. OSBERG, Lars, FORTIN, Pierre, Credibility Mountain in Hard Money, Hard Times, James Lorimer & Co. Toronto, 1998, p. 163.|183| 
801|Les dividendes et les gains de capitaux financés par les baisses de salaires.|Michel Bernard et Michel Chartrand|On parle de la pression des gros syndicats ; on devrait plutôt parler de la pression du capital qui produit une société tendue vers le profit-éclair, qui rase à blanc, qui vide les océans pour la fortune d'une minorité. Le capital ne partage plus avec le travail.

On a tenté de nous faire accroire que les actions des compagnies étaient tellement largement détenues par le petit peuple canadien, qu'il s'agissait d'un capitalisme populaire, presque un néo-communisme. En vérité, les 10 % des Canadiens mieux nantis détiennent 50 % de la richesse (incluant actifs financiers, maisons familiales, autres immobiliers, etc.) et environ 70 % des actifs financiers du genre actions et obligations. Les 1 % des mieux nantis détiennent environ 25 % de la richesse et 40 % des actifs financiers1. Donc, les actions de compagnies sont concentrées entre les mains d'une minorité.

Les 300 000 contribuables qui gagnent plus de 100 000 $ par année (1,5 % des contribuables) récoltent 45,3 % des dividendes ; ils bénéficient donc de 45,3 % du total des crédits d'impôts pour dividendes. Ils récoltent 70,2 % des gains de capital (par exemple le gain que l'on fait en vendant des actions) et en bons free-riders bénéficient de 80,6 % des exemptions sur gain de capital (25 % des gains de capital sont exemptés d'impôt, petite faveur de nos gouvernements aux riches).

Ces derniers réclament 41,6 % des frais de placement (intérêt, commission) qui sont déductibles d'impôt contrairement aux dépenses des salariés. Ce sont eux qui pressurisent les managers qui pressurisent les travailleurs. Ils ne sont pas dans la rue mitraillette à la main, mais ils ont leur armée de mercenaires intellectuels et ils déterminent tout aussi sûrement nos vies.

Ils ont su donner à leur coup de force des dernières décennies la forme du droit et conférer un air de légitimité à leur richesse en s'appuyant sur le discours néolibéral que leurs économistes concoctent. La Cour d'appel du Québec vient même d'accorder aux employeurs le loisir de surveiller clandestinement les employés dans le contexte de leur vie privée s'ils ont des motifs de douter de leur loyauté. C'est un appauvrissement de la dignité des travailleurs et une exonération des patrons face au respect des droits de la personne.

1. Les données et le tableau sont tirés de STANFORD, Jim, Debunking the Myth of People's Capitalism, Vast Majority of Shares Held but Élite of Well-off Families , The CCPA Monitor, The Canadian Centre for Policy Alternatives, vol. 6, no. 4, p. 15-17.|183| 
802|Les cols bleus 0 bouclier contre les privatisations|Pierre Dubuc|

L'enjeu caché de la fusion des municipalités



Au cours de sa conférence de presse, Jean Lapierre a dévoilé les motifs qui ont mené aux événements du 13 septembre 1993. Dans la nuit du 12 au 13 septembre, la Ville de Montréal a cherché à imposer au Syndicat des cols bleus un projet de convention collective qui prévoyait la privatisation de plusieurs services municipaux, y incluant la privatisation de l'eau. Aujourd'hui, les cols bleus des différentes villes du Québec forment l'os sur lequel se brisent les projets de privatisations. Le dernier-né des projets pour lever cet obstacle 0 la fusion des municipalités.

Dans une étude récemment publiée en appui au projet du maire Bourque Une île, une ville , la firme Secor avance le chiffre de 100 millions de dollars d'économies potentielles avec la fusion des municipalités de l'île de Montréal. Les journalistes ont laissé croire que de telles économies seraient réalisées par la diminution du nombre de maires et de conseillers municipaux et par la rationalisation des services.

En fait, Secor identifie plutôt les économies dans les possibilités de diminuer le plancher d'emploi des cols bleus des différentes municipalités de l'île et de confier de plus en plus de travaux à la sous-traitance. Bien sûr, cela ne se traduira pas par des économies, comme l'exemple de privatisations ailleurs nous l'a démontré, mais par la possibilité pour les petits amis du régime de s'enrichir.

Les cols bleus ont la couenne dure

Hier, les cols bleus de la Ville de Montréal refusaient de se laisser acheter en échange de leur accord à des projets de privatisation, en particulier de la gestion de l'eau. Aujourd'hui, ce sont leurs confrères de la Ville de Verdun qui résistent aux projets de sous-traitance et de privatisation du maire Bossé.

Depuis maintenant un an, les 137 cols bleus de Verdun affrontent les scabs embauchés par la ville, la police anti-émeute et la demi-douzaine d'agences de sécurité qui suivent, photographient et filment les membres du syndicat pour les intimider.

Le maire Bossé préfère dépenser des milliers de dollars en agences privées et faire effectuer les travaux municipaux par des cadres payés 100 000 $ par année plutôt que de régler avec les bleus . C'est dire l'importance de l'enjeu et la nécessité de les appuyer. On peut le faire en envoyant un message à leur adresse internet 0 www.camorg/˜scfp302 ou à scfp.ca/que/index.html.

Privatisation de l'eau 0 On l'a échappé belle !

Au mois de septembre 1993, le dossier de la privatisation des services municipaux, dont celui de la gestion de l'eau, était très avancé. Déjà, la multinationale française Bouyges, une alliée de SNC-Lavallin au Québec, avait planifié une mission en Europe pour convaincre différents décideurs québécois des vertus de la privatisation. Des représentants des cols bleus avaient été invités à faire partie de la délégation qui s'est envolée vers l'Europe en janvier 1994.

On a cherché à nous convaincre de consentir aux privatisations proposées , de déclarer Jean Lapierre en rappelant qu'il y avait de nombreux projets de privatisations sur la planche à dessins du maire Doré. On se souviendra que Jean Doré s'est retrouvé à l'empoi de SNC-Lavallin après sa défaite électorale.

Soulignons que Bouygues, avec un chiffre d'affaires annuel de 20 milliards $, était le numéro 1 français des travaux publics et la plus importante compagnie française dans le domaine de l'eau. Son PDG a été mis en examen par la justice française dans des affaires de corruption.

Quant à l'ancien ministre Yves Séguin, il faisait du lobbying auprès des cols bleus au nom d'une autre multinationale française, la Lyonnaise des Eaux. En 1997, la Lyonnaise a fusionné avec le groupe Suez et son chiffre d'affaires est passé à 50 milliards $. La corporation financière Power de Paul Desmarais est devenu un actionnaire important du nouveau groupe. Les dirigeants de la Lyonnaise ont également été impliqués dans diverses affaires de corruption et les procédés de la Lyonnaise sont reconnus pour être particulièrement douteux. En Argentine, la Lyonnaise faisait peindre de couleurs vives le trottoir devant la porte des mauvais payeurs pour signaler qu'on allait leur couper l'eau.

Grâce au travail de conscientisation de la Coalition Eau Secours nous savons aujourd'hui que la privatisation de l'eau serait un désastre social. La Coalition nous a fait connaître la réalité des privatisations ailleurs dans le monde (hausse des tarifs, mauvais service, scandales financiers, pots-de-vin, etc.) On sait moins cependant que le Syndicat des cols bleus est un des initiateurs de la Coalition Eau Secours.|183| 
803|Petit lexique syndical comparé|Jacques Larue-Langlois| En cet automne houleux où les positions respectives des patrons et des travailleurs syndiqués se radicalisent, il importe que tous les intervenants tiennent le même . Or. il s'avère dans les faits que des mots ou des expressions largement connues et répandues dans le vocabulaire des relations de travail utilisé de part et d'autres revêtent un sens particulier selon que la personne qui les utilise appartient à un clan ou à l'autre. C'est cette disparité de sens que nous avons voulu étayer ici pour nos lecteurs, dans l'espoir que les deux parties puissent y puiser une meilleure compréhension de la vision de l'autre et ainsi faciliter la compréhension.

Voici donc un certain nombre de termes communs dont nous offrons à tour de rôle les définitions que leur accordent les deux clans.

Patronat

Syndicat 0 engeance de nantis désireux de profiter davantage des privilèges que leur accorde le fait d'être bien nés en exploitant des travailleurs au plus bas salaire possible, tout en profitant au maximum de toutes les possibilités de déduction d'impôt qui leur sont offertes.

Patronat 0 classe sociale supérieure, héritière des pouvoirs de droit divin qui relevaient jadis du seigneur et, à ce titre, détentrice de tous les droits relevant du maître souverain de qui dépend le bon fonctionnement.

Syndicat

Syndicat 0 regroupement formel des travailleurs d'une unité de travail donnée en vue de parvenir à une solidarité qui puisse constituer une force comparable à celle qui est octroyée de facto à l'employeur et de permettre aux employés de négocier des conditions de travail saines et équitables pour les deux parties.

Patronat 0 organisme ennemi du progrès de l'entreprise qui permet aux plus mauvais employés de bénéficier du même traitement que celui qui est accordé aux meilleurs d'entre eux.

Négociations

Syndicat 0 tentative d'en arriver à une entente sur les salaires et les conditions de travail par l'élaboration d'une convention collective de travail.

Patronat 0 nécessité imposée par le gouvernement de discuter avec la main-d'œuvre qui ne sait pas reconnaître les privilèges dont elle est l'objet et qui cherche à gruger une part de plus en plus importante des profits de l'entreprise.

Convention collective

Syndicat 0 document officiel ayant fait l'objet d'un consensus bipartite, régissant les conditions de travail et de rémunération et faisant office de contrat entre une entreprise et ses employés.

Patronat 0 concessions écrites arrachées à l'employeur par quelques têtes fortes au nom de la masse, pourtant satisfaite, des travailleurs d'une entreprise et dont il importe peu de respecter les conditions puisque la majorité des employés ne les ont même pas lues.

Moyens de pression

Syndicat 0 recours par des travailleurs à des mécanismes divers susceptibles de déstabiliser le fonctionnement d'une entreprise tout en attirant l'attention du public en général sur l'état des conditions de travail et sur la gestion déficiente des patrons qui les emploient.

Patronat 0 indiscipline caractérielle des employés qui s'arrogent le droit de perturber le fonctionnement de l'entreprise et d'en réduire la marge de profit, sans tenir compte des droits sacrés du patronat.

Grève

Syndicat 0 ultime moyen de pression auquel se trouvent acculés les membres d'une unité syndicale en vue de revendiquer un statut légal leur permettant de négocier ouvertement et légalement leurs droits, jusque-là niés par l'entreprise.

Patronat 0 insubordination massive organisée par quelques têtes chaudes aux seules fins d'acculer l'entreprise qui leur fait la faveur de les employer et de les sous-payer à la faillite financière.

Lock-out

Syndicat 0 mise à pied massive par le patron des employés syndiqués d'une entreprise visant à briser les reins d'un syndicat considéré comme récalcitrant, en confiant à des cadres, la plupart du temps incompétents, des tâches relevant des membres certifiés de l'unité syndicale.

Patronat 0 juste retour des choses qui autorise le patronat à mettre en péril la sécurité de revenu des syndiqués mécontents du sort, pourtant généreux, que leur confère le privilège de travailler.

Services essentiels

Syndicat 0 nécessité de maintenir en état de fonctionnement certains secteurs d'activité indispensables au bien-être de la population et au bon fonctionnement des mécanismes dits d'urgence.

Patronat 0 ensemble des activités assurant le bon fonctionnement de l'entreprise et donc réalisant l'objectif essentiel des patrons 0 augmenter les profits.|183| 
804|Un bien étrange procès|Pierre Dubuc|

Notes détruites... bandes vidéos perdues... des flics qui se contredisent...



Lapierre et Maynard questionnent plusieurs éléments du procès au terme duquel ils ont été condamnés à six mois de prison pour complot. Leur arrestation, la fabrication de preuves par les policiers, la collaboration de l'appareil judiciaire à cette mise en scène. Revoyons les principaux éléments du dossier que Lapierre et Maynard ont déposé aux journalistes.

L'arrestation

Une première vague d'arrestations, impliquant six accusés a eu lieu le 30 septembre 1993, soit dix-sept jours après les événements. Ce n'est que six semaines plus tard, soit le 22 octobre, que Lapierre et un autre syndicaliste ont été arrêtés. Et, contrairement à ce qui se fait habituellement en pareil cas alors qu'on envoie des assignations à comparaître, les syndicalistes ont été arrêtés et détenus en prison jusqu'à leur comparution. À signaler surtout 0 AUCUN des individus casqués qui ont défoncé la porte n'a été poursuivi en justice ! On a clairement visé la structure syndicale et ses dirigeants.

Fabrication de preuve 0 le cas Lajoie

C'est à partir du témoignage de l'agent de filature Mathieu qu'a été constitué l'essentiel de la preuve contre Lapierre et Maynard et contre le col bleu Normand Lajoie. Parlant des constatations de l'agent Mathieu, le juge Boisvert écrit 0

Ils voient des hommes descendre des véhicules et traverser la rue St-Antoine pour adresser la parole aux occupants d'un véhicule de marque Crown Vitoria immatriculé FZF-1599, stationné du côté nord de la rue. Un occupant du Crown Victoria en descend et traverse avec le groupe du côté sud alors que le Crown Victoria quitte les lieux. Près du convoi, huit à neuf personnes discutent et semblent attendre quelque chose. L'agent Mathieu identifie un seul de ces individus, soit l'accusé Normand Lajoie.

Voyons d'abord comment les agents de filature procèdent. On a appris au procès qu'ils sont en communication constante par walkie-talkie avec le poste central et que toutes leurs conversations, leurs observations sont enregistrées et consignées dans un rapport. Évidemment, il y a des risques à ce que tout soit enregistré ainsi en direct, aussi les policiers peuvent, à la fin de l'opération, corriger leur rapport d'activités, c'est-à-dire enlever des observations qui pourraient être gênantes ou en rajouter d'autres pour appuyer une thèse. Ils peuvent donc modifier la réalité.

Dans son rapport d'activités, l'agent Mathieu avait identifié certains individus, dont le syndicaliste Lajoie, et des plaques d'immatriculation. Pour s'assurer que ces identifications n'avaient pas été ajoutées au rapport après coup, la défense a demandé lors du procès à ce que soit produites les bandes d'enregistrement de l'opération et les notes personnelles que l'agent Mathieu avait admis avoir prises. Mais, ô surprise, l'agent Mathieu dit avoir détruit ses notes et il en est de même pour les enregistrements !

Des flics se contredisent

L'affirmation de l'agent Mathieu au procès à l'effet qu'il aurait vu M. Lajoie s'emparer d'un bélier dans un camion de location Monkland et s'élancer à l'assaut des portes de l'hôtel de ville sont contredites par le témoignage de l'agent Ross qui prenait place avec lui dans la même voiture lors de la filature.

Alors que l'agent Mathieu affirme être sorti de la voiture et avoir pu identifier, à l'aide de jumelles d'approche, Lajoie qui n'aurait pas porté de casque protecteur près du camion, l'agent Ross, dans son témoignage, affirme quant à lui que Mathieu ne serait pas sorti de la voiture, ne se rappelle pas qu'il ait eu en sa possession des lunettes d'approche et soutient qu'il était impossible d'identifier qui que ce soit près du camion parce qu'ils portaient tous un casque protecteur !

Le juge a considéré que tant d'invraisemblances soulevaient un doute raisonnable et a acquitté le syndicaliste Lajoie.

Cependant, malgré les invraisemblances et les contradictions de l'agent Mathieu, le juge Boisvert ne rejette pas l'ensemble de son témoignage. Ce témoignage est contredit par le rapport d'activités qu'il a rédigé le soir même. C'est le rapport qui est erroné ! Le témoignage de Mathieu est contredit par celui de l'agent Ross qui, lui, corrobore le rapport d'activités. C'est le témoignage de Ross qui est écarté !

Un témoignage qui pose problème

Dans son témoignage, l'agent Mathieu déduisait que Lapierre et Maynard s'étaient trouvés dans une voiture bleu foncé de marque Crown Victoria immatriculée FZF-1599-8, stationnée sur le côté nord de la rue St-Antoine au coin de St-Urbain, et avaient discuté avant la manifestation avec les casseurs au nombre desquels il identifiait Normand Lajoie.

Ce témoignage-clef pose plusieurs problèmes. 1. Dans le rapport, Mathieu situait la voiture du côté sud de la rue St-Antoine, mais cela n'aurait pas été crédible, parce que la plaque n'aurait pas été visible de l'endroit où il prétendait l'avoir vu ; il a donc changé sa version. 2. La Crown Victoria portant ce numéro de plaque et qui appartient au CUPE (Canadian Union of Public Employee) est de couleur verte. 3. Un autre Crown Victoria, appartenant au SCFP, qui aurait pu être présent sur les lieux, est de couleur bleu pâle et non foncé et n'a pas le numéro de plaque correspondant. 4. L'agent Ross, dans son témoignage, reconnaît avoir vu des autobus scolaires et un camion de location Monkland au coin des rues St-Antoine et St-Urbain, mais PAS DE CROWN VICTORIA !

Lapierre et Maynard réfutent ce témoignage-clef qui avait pour objectif de les relier à un complot avec les gens casqués. Ils affirment n'avoir jamais été présents au coin des rues St-Antoine et St-Urbain. Selon eux, c'est le gérant de la sécurité de la Ville, Claude Champagne, qui connaissait le numéro de plaque d'immatriculation du Crown Victoria du conseiller au SCFP, Michel Poirier, dans lequel ils prenaient place ce soir-là, qui a refilé cette information à l'agent Mathieu qui l'a intégrée par la suite dans son rapport d'activités pour fabriquer la preuve qui lui manquait.

Déboutés en appel

Lapierre et Maynard auraient pu en appeler du jugement à partir de ces technicalités. Mais ils ne voulaient pas qu'il reste l'ombre d'un doute, aussi en ont-il appelé sur le fond. Et ils ont été déboutés. C'est pour cette raison qu'ils ont choisi de présenter cette défense devant le grand public. Nous devions cela au monde syndical, à nos confrères et consoeurs et à nos familles , disent-ils.

Les cas Dastous et Maynard

Claude Champagne, le gérant de la sécurité de la Ville, s'est acharné pendant trois ans contre le militant syndical Jean Dastous. Il a déclaré le reconnaître sur les vidéos de la firme de sécurité C.V.S. même si plusieurs personnes, tant des employés que des représentants de la ville, ont dit que ce n'était pas lui. Ce n'est que lorsqu'ils ont vu que la défense s'apprêtait à faire témoigner M. Brunet, le gérant en titre de M. Dastous, qui avait affirmé avec certitude que ce n'était pas Jean Dastous qu'on voyait sur le vidéo, que la Couronne s'est décidé à aviser la Cour qu'elle ne croyait pas avoir en mains la preuve nécessaire pour faire déclarer Dastous coupable des infractions reprochées.

Le cas Denis Maynard

Dans les jours qui ont précédé la manifestation, Denis Maynard était à Québec à préparer le congrès du Conseil provincial du secteur municipal dont il était le président. Il n'est revenu à Montréal que le matin du 13 septembre pour participer aux assemblées. Aucune preuve n'a été déposée quant à sa participation à la préparation d'un complot. Pour le Syndicat des cols bleus, il est clair qu'il a été condamné parce qu'il était secrétaire-trésorier du syndicat.

Collusion entre le politique et le judiciaire

Fait troublant, le principal témoin à charge de la Ville était le gérant de la sécurité, M. Claude Champagne, qui siègeait également sur le comité de négociations de la Ville ! En fait, tout le processus disciplinaire dans ce dossier a été pris en main par le comité patronal. Politique et justice ont été entremêlées tout au long du procès. Pourtant, la division des pouvoirs entre le politique et le judiciaire est censé être la clef de voûte de notre système démocratique.

Cassettes disparues

La preuve vidéo produite en preuve était un montage fait à partir d'enregistrements de l'agence d'investigation C.V.S. embauchée par la Ville. Curieusement, lorsque les avocats de la défense ont demandé à voir les bandes originales à partir desquelles le montage avait été fait, ils se sont fait répondre qu'elles avaient DISPARU ! Soulignons que, selon le témoignage du sergent Réjean Fiset au procès, l'identification des accusés a été faite à partir d'un montage des séquences vidéos.|183| 
805|Moumoute masquée frappe encore|Pierre Gélinas|Un soir de taverne, un jardinier et son frère regardent la lutte professionnelle à la télévision, tout en buvant...

— Le bon gagne, le méchant perd, tout le monde est content et les lutteurs font de l'argent! C'est ça, la vraie vie, hein, Pierre...

— Coudon André, si on appliquait les mêmes principes que les lutteurs mais sur la scène politique... Doré est en fin de règne, je pourrais...

— Hey Monsieur! Est bonne, la bière!

— Écoute-moi... Pre-pre-premier principe0 comme à la lutte, les électeurs ont une moyenne de 4 ans d'âge mental...

— T'exagères pas un peu ?

— Pan-pan-pantoute! Penses aux promesses électorales!!! Et penses à l'argent qu'on pourrait faire...

— S'il y a une piastre à faire, je suis ton homme. Je suis même prêt à faire le méchant0 Gros-Gras le méchant! Pis toi, tu serais la Moumoute Masquée. (Ils rigolent et se commandent un autre pichet.)

— Deu-deu-deuxième principe0 je joue à l'honnête niaiseux Téflon !

— T'auras vraiment pas de misère!

— Pendant que j'amuse la galerie, toi tu ramasses l'argent! On pourrait commencer par les contributions au parti... juste pour se faire la main...

— Il s'appellerait comment, ton parti ?

— Disons Vision quelque chose... Vision-immorale, Vision-fécale, Vision-du-capital... On a le choix !

— Une minute, Moumoute Masquée! Y a pas une loi sur le financement des partis ? (1)

— On s'en sacre! Sais-tu combien les compagnies sont prêtes à payer pour avoir l'oreille d'un maire?

— On va se remplir les poches...

— Hé que t'as pas d'envergure, Gros-Gras! Non! La première année on se sert de l'argent pour se faire élire !

— Pis si on se fait pincer? Parce que c'est une fraude...

— Pas de pro-pro-problème! Primo, les amendes sont insignifiantes; deuxio, ils ne nous pinceront pas sur plus de 10% ou 20% des fraudes, c'est statistique; et troisio, je serai maire... (2)

— Pas une cenne pour nous autres! Et on va passer pour des fraudeurs!

— Pas moi! T'oublies que je suis le bon maire honnête, niaiseux et Téflon ... On plaidera l'innocence d'une jeune formation. Là, on aura 4 ans devant nous autres... (3) Ça va être tellement gros, qu'ils ne pourront rien faire... (4)

— Mais les partis d'opposition, les journalistes... ils vont crier !

— Pis après ! Troi-troi-troisième principe0 si tu tues un homme, t'es un meurtrier, si t'en tues 100, t'es un héros de guerre! On va avoir commis tellement de fraudes que plus personne ne va s'en occuper ; ça va devenir banal, même normal ! Bingo ! Et puis, pendant que les journalistes et l'opposition vont s'occuper des fraudes, ils s'occuperont pas d'autre choses ! Re-bingo ! On va pouvoir faire plaisir à des petits copains gé-né-reux0 on va dézoner, privatiser, rationaliser, tout le kit! Sans arrêter de faire nos petites magouilles... Re-re-Bingo ! (5)

— Intéressant... Ton délire vaut un autre pichet ! (Il commande un autre pichet.)

— On va avoir assez d'argent pour se faire ré-élire ! Pis on passe aux ligues majeures0 on arrête de niaiser avec l'argent de poche et on se lance dans la pêche au gros! (6) Et si on se fait encore pincer, on re-joue la grande scène du troisième acte0 la bonne foi... (7)

— On va les fourrer à l'os, debout et tout habillés !

— Qua-qua-quatrième principe0 ne pas avoir de morale !

— ... sans parler des à-côtés ! (8) À la tienne, Moumoute Masquée! Je vais me lever de bonne heure, demain...

— Pour-pourquoi?

— Parce que je vais chercher des formulaires de candidature à la mairie !

Note de l'auteur0 Toute ressemblance... gna-gna-gna... purement fortuite...

(1) Selon la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités0

a) seul un électeur peut contribuer à un parti (donc, aucune compagnie);

b) la contribution maximum, à un ou plusieurs partis, est de 750 $ annuellement;

c) les contributions de plus de 100 $ doivent être faites par chèque;

d) pour solliciter ou recevoir de l'argent, il faut être désigné à cette fin, par écrit, par le parti.

Facile à comprendre, non?

(2) Pour l'année 1994, le Directeur général des élections (DGE) a émis 96 constats d'infraction contre Vision-Montréal, dont 17 pour des dons de compagnies. Un électeur a donné 1 500 $ à Vision-Montréal, dépassant le maximum de 750 $. Amende0 100 $. C'est rentable de frauder...

(3) Pour l'année 1995, le DGE a émis 128 constats d'infraction contre Vision-Montréal, dont 19 pour des contributions de compagnie. Un électeur a contribué 600 $, en argent comptant0 100 $ d'amende. Même si le parti Vision-Montréal avait payé l'amende de cet électeur, il ferait 500 $

(4) Pour les infractions de 1995, le DGE écrit0 Toutefois, considérant (...) les plaidoyers de culpabilité, (...) la volonté des dirigeants actuels du parti Vision-Montréal de se conformer (...) aux dispositions de la loi (...), le (DGE) a accepté de recommander au tribunal de réduire les amendes au minimum prévu par la loi (...)

(5) Un rapport d'un enquêteur du DGE fait état d'un informateur qui affirme que Vision-Montréal aurait tenu, en 1995, quatre 5 à 7 où des représentants de compagnie arrivaient avec des enveloppes contenant entre 1 500 $ et 3 000 $, en argent . Pas de poursuite...

(6) En février 1999, Bourque et sa gang organise un souper-bénéfice0 près de 450 billets à 500 $ chacun, pour un total d'environ 225 000 $. La Presse rapportait qu'il y avait des hommes d'affaires qui n'avaient pas le droit de vote à Montréal, que des billets avaient été achetés par des compagnies, que des paiements étaient faits en argent comptant, qu'il y avait des prête-noms, etc. Le DGE a émis trois constats d'infraction !!! Comme pourrait dire Bourque en rigolant0 Combien l'amende? que je paye tout-de-suite...

(7) Au sujet du souper-bénéfice de février 1999, le DGE écrit0 À propos des billets qui auraient été payés en argent comptant (...), tel que montré dans un reportage télévisé, il appert de nos vérifications que le parti a immédiatement remboursé les personnes concernées en leur précisant qu'elles ne pouvaient agir ainsi. C'est-tu pas cute ... Et s'il n'y avait pas eu de caméras?

(8) Une des nombreuses questions que cette saga soulève est celle-ci0 si les autorités dites compétentes (DGE, appareil judiciaire, ministres, gouvernement...) laissent un parti fraudeur récidiviste, qui plaide qu'il ne sait pas lire la loi, diriger une métropole comme Montréal, est-ce parce qu'une vraie enquête risquerait de démontrer que tous les politiciens et tous les partis prétendant au pouvoir mangent au même ratelier? C'est une question, comme ça...|183| 
806|Un journal pour le monde syndical et populaire|Pierre Dubuc|Le journal Le Devoir a résumé en un entrefilet non signé, intitulé Lapierre se déchaîne , le contenu de la conférence de presse de Jean Lapierre et Denis Maynard auquel nous accordons l'importance qu'elle mérite dans les pages de ce journal étant donné les enjeux en cause. L'entrefilet se termine par ces mots 0 Ça fait six ans que je me tais ; il n'y a personne qui va me bâillonner a lancé M. Lapierre après qu'une journaliste a tenté d'interrompre son long discours alambiqué (Le Devoir, 23/09/99).

En fait, le discours de Lapierre n'était pas alambiqué et la journaliste qui a tenté de l'interrompre était nulle autre que Kathleen Lévesque, la journaliste du Devoir, celle-là même évidemment qui relate de façon anonyme les événements la mettant en cause comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre ! Du grand journalisme ! Et dire qu'on retrouve au nombre des principaux bâilleurs de fonds du Devoir ces mêmes organisations syndicales que le journal massacre quotidiennement !

Le mouvement syndical est sans voix

Depuis plusieurs années, le mouvement syndical fait face à une offensive en règle. Dans le secteur privé, les syndicats sont souvent forcés de faire des concessions, de signer des contrats de longue durée. Dans le secteur public, les lois spéciales et les amendes s'abattent sur les grévistes et leurs organisations, comme ce fut le cas avec les infirmières cet été. Les tribunaux s'en mêlent ; apparaît au grand jour une justice de classe. Le dossier des cols bleus en témoigne, tout comme l'acharnement judiciaire contre Lorraine Pagé.

Face à cette offensive, le mouvement syndical et populaire est sans voix. C'est sa plus grande faiblesse. Tous les médias sont contrôlés par le patronat. La Presse de Desmarais, Le Soleil de Conrad Black, le Journal de Montréal et de Québec de Péladeau, Le Devoir d'Outremont entonnent en choeur le même discours néolibéral, capitaliste et patronal. Et, paresseusement, les médias électroniques ne font que reprendre ce qui se trouve dans les journaux.

Faites l'exercice de compter le nombre d'articles relatant les déclarations d'associations comme les Chambres de commerce, le Conseil du Patronat, l'Association des manufacturiers ou des banquiers en faveur d'une réduction d'impôt de 20 %. Ça semble faire l'unanimité car, rarement, on publie une voix discordante. Pourtant, les derniers sondages démontrent qu'une majorité de Québécoises et de Québécois favorisent plutôt un réinvestissement dans les soins de santé et de l'éducation plutôt qu'une baisse d'impôts. Le traitement journalistique qu'on réservera au cours des prochains mois aux salariés du secteur public sera une preuve supplémentaire du parti-pris patronal.

Le mouvement syndical n'a pas de presse nationale pour faire valoir son point de vue, discuter de stratégies, débattre de nouvelles idées. Alors que la droite a compris la nécessité d'articuler un discours unique vantant les mérites du marché, des privatisations, des compressions budgétaires et de le diffuser largement, le mouvement syndical se contente de déplorer le caractère biaisé des médias comme s'il était possible de les réformer.

Des solutions

Certains constats s'imposent. Premièrement, les grands médias ne sont pas réformables. Ils vont continuer à présenter le point de vue de leurs propriétaires. Deuxièmement, le mouvement syndical et populaire doit faire autre chose que se plaindre les bras croisés.

S'il apparaît utopique pour le moment de penser à la mise sur pied d'un quotidien ou d'un hebdomadaire progressiste à grand tirage, des initiatives peuvent y conduire. L'équipe de l'aut' journal en propose et invite l'ensemble du mouvement syndical et tous les individus progressistes à les prendre en considération.

Rappelons d'abord que l'aut' journal paraît à chaque mois depuis 15 ans et son tirage régulier est d'environ 20 000 exemplaires. Son budget pour l'année qui s'est terminée le 31 juillet dernier a été de 90 000 $. C'est dire qu'il compte surtout sur le militantisme de ses collaborateurs et collaboratrices pour la production du journal et sa diffusion.

Au début du mois d'octobre, l'association Les AmiEs de l'aut' journal verra le jour. Son objectif général est de mettre sur pied un réseau militant de distribution à travers le Québec, d'aider au financement du journal et d'organiser des activités tels des colloques, des conférences, des lancements de livres.

Le samedi 16 octobre, l'aut' journal organise avec d'autres publications progressistes un colloque sur la presse alternative à Drummondville. Notre objectif est de stimuler le développement d'une presse alternative dans les différentes régions du Québec. Nous discuterons également de l'utilisation possible des nouvelles technologies de communication pour briser le monopole des médias traditionnels et des multiples avenues qu'elles offrent.

Nous vous invitons, d'abord à vous abonner au journal, puis à vous joindre aux AmiEs de l'aut' journal et à participer au colloque sur la presse alternative. Il n'y a pas de solutions miracles. Seuls le militantisme et le soutien des organisations syndicales, populaires et des individus progressistes permettront l'émergence de cette presse progressiste dont nous avons tant besoin.