D'une lune à l'autre

 

Le mois dernier, je vous confiais avoir remarqué dans les médias une sorte de discours unique qui, partant de faits n'ayant en apparence aucun lien entre eux, semblait cependant mener toujours à une même conclusion 0 les hommes sont désormais les principales victimes du système et les femmes en sont responsables. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, le pouvoir serait passé entre nos mains !

La féminité comme repoussoir

Le rapport du Conseil supérieur de l'éducation conclut que le processus de socialisation des enfants est une des causes déterminantes du retard scolaire des garçons. Dès l'âge de 18 mois, les enfants apprennent à se conformer aux attentes de leur milieu quant à la masculinité et à la féminité, l'appartenance sexuelle constituant le pôle central de leur identité. On peut constater, dès ce moment, une différence fondamentale 0 les garçons construisent leur masculinité en se servant de la féminité comme repoussoir, sont plus sensibles aux pressions de leurs pairs et cherchent à se dissocier de tout ce qui pourrait être identifié comme féminin (1).

Il est clair que c'est la transmission de stéréotypes dès la plus tendre enfance qui génère les attitudes futures des garçons et des filles et non des clivages inhérents et insurmontables dus à leur sexe. C'est le modèle patriarcal, encore en vigueur, qui est à remettre en question parce qu'il constitue de plus en plus une impasse pour les garçons. Le manque d'implication des pères dans l'apprentissage scolaire de leurs enfants donne à croire que l'apprentissage de la connaissance ne constitue pas un enjeu de pouvoir et que, pour les hommes, l'essentiel se joue ailleurs.

Les pères lésés

Dans un article intitulé Masculinisme et criminalité sexiste , paru dans le dernier numéro de Recherches féministes, Martin Dufresne, du Collectif masculin contre le sexisme (CMCS), met en lumière les actes et les écrits qui visent à reproduire le pouvoir masculin en appuyant au besoin la criminalité sexiste, allant des faux témoignages dans les causes d'agression sexuelles au harcèlement et au meurtre. Pour lui, ce mouvement masculiniste utilise la notion de droit des hommes dans le but d'entraver l'établissement d'une véritable société de droit, fondée sur l'équité sexuelle.

Il me signale également que Guy Corneau, auteur de Père manquant, fils manqué, a lancé récemment l'impératif de restaurer l'importance de l'agressivité masculine, et que, depuis dix ans, il y a, au Québec, une augmentation alarmante du nombre d'enfants assassinés par leur père à l'occasion d'un droit de visite ou d'une garde partagée. Des pères qui ne renoncent jamais à exercer le contrôle sur la vie de leurs ex-conjointes et de leurs enfants, de plus en plus souvent par la violence, tout en cherchant à se faire passer pour de bons pères injustement lésés par les femmes de leurs prérogatives masculines. Et les hommes ? est tout ce que Foglia trouve à dire après l'assassinat de Ginette Roger par son conjoint, à Saint-Jean-sur-le-Richelieu, le 9 juin dernier, suggérant lui aussi que les victimes ne sont pas celles qu'on pense.

S'unir contre nos ennemis mutuels

Jamais pourtant les femmes et les hommes n'ont eu autant d'intérêts communs. Les unes et les autres sont victimes d'un même système qui fait des humains de simples consommateurs ou de purs objets de consommation. Susan Faludi, constatant la détresse et la colère grandissante des hommes, leur a consacré son dernier livre, Stiffed (2). Au lieu d'alimenter un discours conservateur visant à creuser le fossé entre les sexes, les hommes qui se sentent victimes auraient, selon elle, intérêt à cibler les véritables responsables, certainement pas les femmes qui sont non seulement encore tenues à l'écart du pouvoir, mais comptent parmi les plus pauvres et les plus opprimées de la planète.

Faludi constate qu'aujourd'hui l'efficacité et la loyauté envers l'entreprise ne garantissent plus le respect ou la sécurité d'emploi. Il n'y a que les richissimes comme Bill Gates, les vedettes des médias, du sport et du spectacle qui bénéficient encore de prestige. Ils présentent des modèles aliénants dont le rôle est de sublimer les aspirations et la révolte de l'humanité, changée en spectatrice de sa propre dépossession. Si les hommes réagissent si mal à la perte de privilèges que l'appartenance au sexe masculin semblait leur garantir, c'est qu'ils ont le sentiment que les femmes montent, alors qu'eux-mêmes sont en chute libre. En réalité, les femmes ne sont montées que de la cave au sous-sol. Au lieu de conspuer les féministes et de s'apitoyer sur la perte de leur masculinité, il serait grand temps pour les hommes de réaliser que 0 Leur priorité ne consiste pas, en fin de compte, à chercher comment être viril, mais la virilité consiste plutôt à chercher comment devenir plus humain.

(1) Voir la série d'ouvrages publiés sur ce sujet par les Éditions du remue-ménage en 1998, notamment de Pierrette Bouchard et Jean-Claude St-Amant, Garçons et filles 0 stéréotypes et réussites scolaires.

(2) Susan Faludi, Stiffed 0 The Betrayal of the American Man..., New York, William Morrow & Co., 1999.