L'art de parler pour ne rien dire

 


«Dans la tête des filles» de Catherine Fol



Peu de temps après les événements de Polytechnique, il y a maintenant presque dix ans, Catherine Fol, elle-même diplômée de l'École Polytechnique et gagnante de la Course Destination Monde, avait réalisé documentaire «Au delà du 6 décembre», film qui cherchait à minimiser le mobile misogyne du massacre de Polytechnique. Elle récidive cette fois avec un essai Dans la tête des filles ou Chroniques de l'après-féminisme publié aux Éditions Stanké. Avec un titre aussi pompeux et une préface de Jacques Godbout, on peut s'attendre au pire...ou à rien. Et on ne s'y trompera pas.

Les mêmes clichés qui circulent depuis vingt ans. Je commencerais tout de suite ici, en disant combien il est navrant de publier un livre qui n'apporte absolument rien à la question du féminisme ou de «l'après-féminisme» comme l'avance ainsi l'auteure dans son sous-titre. En effet, cette interprétation qui affirme que le féminisme est terminé est soi faite par grande naïveté et ignorance historique soi par mépris pour les représentantes encore bien vivantes et celles en devenir, n'en déplaise à Madame Fol, car elle a beau ne pas aimer le mot et ce qu'il signifie, c'est bel et bien un mouvement qui existe encore avec l'évolution qu'on lui connaît. Ne sommes nous pas excédés d'entendre toujours les mêmes lieux communs, les mêmes descriptions éculées et dépassées dès que l'on veut détruire ou faire disparaître un mouvement idéologique ? Terminé le féminisme

Comment peut-on avouer impunément et ce, sans arguments pour le prouver, que nous n'avons plus besoin du féminisme, que le féminisme n'a plus sa raison d'être ? Il faut sortir de sa bulle pour voir qu'il reste encore beaucoup de choses à faire et ce, les yeux bien grands ouverts sans misérabilisme. Il me semble en effet que l'équité salariale n'est pas encore atteinte pour bien des femmes, la faible présence des femmes dans les postes de haute direction dans les grandes entreprises et en politique, la violence conjugale qui finit trop souvent par le meurtre des femmes par leur conjoint ou l'ex-conjoint, la surenchère du corps des femmes dans la publicité et les médias, l'exploitation sexuelle, ne sont-ce pas là encore quelques problématiques qui habitent notre société et dont les femmes font encore les frais, Si il n'y a personne pour se pencher sur ces questions, qui le fera sinon les vilaines féministes ?

Une femme vaut bien un homme

Dans la tête des filles reste donc dans la superficialité, dans l'anecdotique. Pour prouver ces propos, l'auteure nous raconte ses histoires personnelles, ce qui ne vient aucunement nous convaincre de la véracité de ses propos. Ce qu'on perçoit plutôt à travers ces anecdotes, est le reflet d'une fille de bonne famille gâtée par la vie et qui, même si elle a beaucoup voyagé - elle a fait quand même la Course Destinations Monde - n'a pas réussi à sortir de sa bulle et à voir ce qui se passe réellement dans le vrai monde. Ce monde qu'elle décrit est incroyablement naïf et irréel. Parce qu'elle ne voit pas de sexisme autour d'elle, parce qu'elle ne sent pas les effets directs sur sa personne, elle semble se figurer que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Pas de problèmes pour elle, donc pas de problèmes pour le reste des femmes.

«Comme il n'y a pas de frictions sexistes apparentes entre les gars et les filles de Poly, un discours féministe n'y a pas sa place. Ce serait une perte de temps. De toute façon, tous semblent s'entendre sur la place des femmes dans la société.»

Lorsqu'elle parle de ces filles qui réussissent haut la main leurs études et bien souvent mieux que les garçons, Catherine Fol oublie cependant de mentionner que ces mêmes filles sur le marché du travail ne sont pas toujours engagés les premières, la majorité des patrons préférant engager les garçons, même si ceux-ci ont moins bien performé que les filles sur les bancs d'école.

Plusieurs autres chapitres sont exaspérants, dont celui qui s'intitule La victime bourreau et qui traite des hommes battus par leur femme. Je n'ai rien contre la dénonciation de c e fait, mais si c'est pour démontrer que les femmes sont les égales de l'homme dans l'accomplissement de la violence conjugale, alors là, je débarque. Surtout, lorsqu'on connaît les faits réels et les statistiques à ce niveau. *

«Le voyez-vous, ce petit homme modeste qui rentre docilement du travail ?... Sa femme ne lui laisse pas le temps d'enlever son manteau. Elle lui tombe dessus pour un rien. Il a laissé traîné sa robe de chambre, ou il est arrivé quelques minutes en retard. ...Madame est excédée, elle a les nerfs à vif.»

Voilà donc un livre qui selon moi a été écrit pour rien, mais surtout qui a été publié. Il aurait été intéressant qu'une jeune femme se penche sur cette question sérieusement avec des faits et une argumentation qui se tiennent, peut-être n'aurions-nous pas été d'accord sur tout, mais au moins le débat en aurait valu la chandelle.www

FOL, Catherine, Dans la tête des filles ou chroniques de l'après-féminisme,Éditions Stanké, 1999, 158 p.

*D'après une vaste enquête de 1993 de Statistique Canada, 30 % des Canadiennes ont signalé avoir été victimes d'au moins un acte de violence physique et sexuelle infligé par leur conjoint.