Pour un moratoire sur toutes nouvelles négociations à l'OMC

 


À la veille de la Conférence ministérielle de Seattle.



Du 30 novembre au 5 décembre prochain se tiendra à Seattle une réunion à l'échelon ministériel des 134 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour établir l'agenda et le contenu d'un nouveau cycle de négociations baptisé Cycle du Millénaire. Avant même que cette rencontre n'ait commencé, une grande mobilisation s'est développée au sein de la société civile internationale pour réclamer un moratoire sur ces pourparlers. Cette mobilisation trouve maintenant des échos au Québec où l'opération SalAmi avait déjà eu, l'année dernière, un certain retentissement.

Pourquoi toute cette effervescence ? C'est qu'après l'échec des pourparlers sur un Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) en octobre 1998, dû à la pression de l'opinion publique et au retrait de la France, tous les yeux se sont tournés vers Genève et l'OMC où ce type de négociations pouvaient se poursuivre. Il est vite apparu que, d'une part, c'était la structure et le mode de fonctionnement mêmes de cette organisation qu'il fallait remettre en cause et que, d'autre part, une offensive majeure de toutes les forces néolibérales se préparait, visant à mettre le point final aux efforts entrepris depuis 1980 pour asservir l'économie mondiale. Il s'est aussi avéré que ce n'était pas sur les gouvernements, même ceux qui se prétendent de gauche, qu'il fallait compter pour stopper cette évolution (au moins en ce qui concerne les pays dits développés). C'est ce qu'ont compris beaucoup d'organisations progressistes et ce qui explique leur mobilisation.

L'OMC, mythes et réalités.

Certains politiciens naïfs voient en cette organisation le défenseur des petites nations qui peuvent y faire valoir leurs revendications commerciales au même titre que les grandes. Ils croient que les négociations à venir visant la libération totale des échanges assureraient à tous, avec la croissance économique, bonheur et prospérité. La meilleure preuve, disent-ils, c'est que des 134 pays qui en font partie aucun n'a jamais demandé à s'en retirer. Au contraire une trentaine, dont la Russie et la Chine, attendent impatiemment d'y entrer.

La réalité, hélas, est tout autre. L'OMC est largement dominée par la Quadrilatérale 0 États-Unis, Canada, Union Européenne et Japon. Seules les grandes nations peuvent y déléguer un nombre de représentants suffisant pour participer à tous les comités et ont les moyens d'y entretenir ambassadeurs, experts et conseillers juridiques. Les petits pays doivent se partager à plusieurs le même délégué et les décisions importantes se prennent souvent lors de réunions informelles dont ils sont absents. Comme la règle de fonctionnement est celle du consensus négatif cela veut dire que qui ne dit mot consent et que les absents ont toujours tort, Martin Khor, directeur du Third World Network a très bien décrit cette situation lors d'une conférence prononcée à San Francisco en janvier 1997. (1)

Plus encore, une fois les décisions prises, le rouleau compresseur se met en route. Tous devront les appliquer à la lettre et si un pays manque de compétences, qu'à cela ne tienne, on lui fournira des experts qualifiés qui l'aideront à se couler dans le moule. La classification même des pays est insultante 0 il y a au sommet les pays développés, puis les économies émergentes (d'où ?), ensuite les pays en voie de développement et enfin les cancres, les PMA, pays moins avancés. Il ne vient pas à l'esprit de ces bureaucrates que ces PMA peuvent être dotés de civilisations ancestrales bien supérieures à la civilisation Mac Do. En fait il s'agit d'une nouvelle forme de colonialisme, plus subtile, plus insidieuse mais peut-être encore plus destructrice.

Résultat 0 le taux de croissance des pays en développement est passé de presque 6 % en 1996 à moins de 2 % en 1998. Ces chiffres sont tirés du rapport annuel de la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement). Selon le rapport, la constante est que la libéralisation s'est effectuée principalement dans les secteurs qui présentent un intérêt pour les exportations des pays civilisés (sic) (2)

L'offensive néolibérale ultime

Derrière tout cela, tirant les ficelles, il y a l'énorme puissance des multinationales financières et industrielles (la plupart oeuvrent dans les deux champs à la fois). Ces manoeuvres souterraines se concoctent en des lieux consacrés comme Davos ou le Bilderberg Forum. S'y retrouvent les membres de la Chambre de commerce internationale, du Business Council on National Issues (pour le Canada) et combien d'autres. Le résultat visible en a été la transformation progressive du GATT original en une OMC, avec des pouvoirs renforcés et élargis, envahissant sans cesse d'autres champs avec la signature de nouveaux accords tels, l'AGCS et l'ADPIC. (Voir l'encadré ci-contre).

Il s'agit maintenant d'étendre encore les notions de services avec un plus large accès aux marchés publics, la propriété intellectuelle inclurait le brevetage du vivant et donc les organismes génétiquement modifiés. L'agriculture, la concurrence et, bien entendu, l'investissement seraient également au programme ; Susan George (3) dénombre 160 sous-secteurs et activités qui tomberaient sous la juridiction de l'OMC. Cet envahissement est tel qu'il sera bientôt plus facile de dénombrer les secteurs non couverts, s'il y en a.

Dans le cas du Québec, la pression mise sur la privatisation des services publics toucherait des secteurs particulièrement chers au coeur des Québécois et Québécoises comme la santé, l'éducation, la gestion de l'eau et des forêts. Sans compter les autres impacts sur l'environnement, les règles du travail et la protection sociale.

Qu'est-ce que l'OMC ? (Organisation mondiale du commerce)

Origines de cette organisation

À la fin de la dernière guerre (1944) une conférence historique se tenait aux États-Unis à Bretton Woods. Ses objectifs étaient très vastes 0 mettre de l'ordre dans les finances internationales en imposant des taux de change fixes ; assurer la reconstruction d'un monde dévasté par la guerre et le développement du tiers-monde.

Deux organismes sont nés de cette conférence 0 le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.

Un volet restait à compléter 0 la supervision du commerce multilatéral. En 1947, lors d'une conférence des Nations Unies à La Havane, voyait le jour l'OIC (Organisation internationale du commerce) dont la charte n'a jamais été ratifiée (notamment par suite du refus du Congrès américain).

La même année, 23 pays réunis à Genève adoptaient un accord provisoire 0 le GATT (Général Agreement on Tariffs and Trade ou en français 0 Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

Le GATT a fonctionné sous forme de cycles de négociations, huit au total, dont les plus importants ont été le cycle Kennedy (1963-1967), le cycle de Tokyo (1973-1979) et finalement le cycle d'Uruguay (1986-1993). Ce dernier cycle est le plus important puisqu'après les accords de Marrakech, il devait donner naissance à l'OMC qui entrait en fonction le 1er janvier 1995.

Structure et fonctionnement

L'OMC a son siège à Genève, 134 pays en sont membres et une trentaine ont demandé leur adhésion dont la Chine et la Russie. Son organigramme comprend 0 la Conférence ministérielle qui se réunit au moins une fois tous les deux ans, le Conseil général formé des ambassadeurs et chefs de délégations à Genève et les conseils sectoriels. Les membres du Conseil général se réunissent en tant qu'Organe d'examen des politiques commerciales et en tant qu'Organe de règlement des différends.

Un secrétariat d'environ 500 personnes dirigé par un directeur général assure l'appui technique avec un budget annuel d'environ 120 millions de dollars canadiens. Les décisions sont prises par la totalité des membres, généralement par consensus.

Attributions et pouvoirs

Dans l'optique d'une libération toujours plus poussée des échanges et de l'abolition progressive des barrières tarifaires et non tarifaires, l'OMC surveille l'application des accords du GATT tels que modifiés et étendus lors des différents cycles de négociations, plus un nouvel accord sur les services (2), l'Accord général sur le commerce des services (AGCS), plus un Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC).

La mobilisation de la société civile

De ce qui précède il ressort que tous les aspects de la vie quotidienne des citoyens et des citoyennes seraient affectés. Il ne s'agit pas ici de banales discussions commerciales pouvant se dérouler, en circuit fermé, entre les instances concernées. Elles peuvent au contraire modifier toute la dynamique de nos sociétés pour les décennies à venir et requièrent donc un vaste débat public.

Devraient être incluse dans ce débat, outre la limitation des pouvoirs exorbitants que s'est donnée l'OMC, une révision du rôle du FMI (Fonds monétaire international) et de la Banque mondiale qui, tous deux, ont largement dévié de leur mission originale. Enfin ne faudrait-il pas profiter du Sommet du millénaire organisé par l'ONU pour revoir toute l'architecture mondiale en donnant la priorité aux valeurs humaines de justice et de solidarité qui doivent avoir préséance sur les droits commerciaux.

La société civile internationale est prête à relever ce défi. Déjà, à l'appel des Amis de la terre, 1 200 organisations de l'Australie au Zimbabwe ont signé une déclaration demandant un moratoire sur toutes négociations qui étendent la portée et le pouvoir de l'OMC. Il est probable que ce mouvement va s'amplifier jusqu'au 30 novembre moment où, parallèlement à la réunion officielle, se tiendra à Seattle une grande manifestation.

Au Québec la filiale du groupe français ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens) recueille des signatures pour un appel semblable adressé au gouvernement canadien et le 26 novembre prochain à l'UQÀM (Pavillon Hubert Aquin salle AM 050 à 19h00) se tiendra une assemblée publique organisée par le Réseau québécois sur l'intégration continentale. L'aut'journal sera là. Et vous ?

1. Khor, Martin. Forum international sur la globalisation, San Francisco, janvier 1997. http0//www.ccoropa.org/obs/martin.html

2. Agence France-Presse-citée par Le Devoir, 21 septembre 1999

3. George, Susan. Le Monde diplomatique,. Juillet 1999, pages 8 et 9.