BOMBARDIER TOWN (PART 2)

 

15 juin 1999. Sur les ondes, on pourrait croire à s'y méprendre à une autre de ces méprisantes annonces ouvrières de Wall-Mart. Mais ce qui se trame en direct dans les rues de Valcourt devant les médias dépasse toute forme de pub-vérité. On est dans la réalité vive. Celle du mépris pour les siens d'un boss canadien-français qui n'a rien à envier aux Américains.

Devant les kodaks, la madame, assembleuse de service au comité de relation de travail bidon (CRT) mis sur pied par LE patron, Laurent Beaudoin, est toute contente. Sa lettre a reçu l'imprimatur de la haute direction de Bombardier et a été remise à tous les employéEs. Beaudoin n'a pas fabriqué la missive antisyndicale, ni sa firme. Il a fait pire.

Il a fabriqué et entretenu depuis les années soixante un tel régime de terreur qu'aujourd'hui il n'a plus à se salir les doigts d'encre comme en 1969, alors qu'il affichait partout dans l'usine son code de lois signé de sa main.

Les doigts des autres

La bienheureuse auteure de la lettre d'aujourd'hui traduit la profondeur et l'ampleur de cette peur intériorisée qui sévit à l'usine de Valcourt et tout autour. En point de presse improvisé patenté par les p'tits boss, elle clame sans ambages, à s'arracher la peinture Bombardier des poumons 0 Nous (du CRT) sommes comme les doigts de la main avec la direction... Et la lettre ? Ma lettre, renchérit-elle, je l'ai soumise à la compagnie. C'est vrai. Rien n'a été changé. C'est le texte intégral. J'ai été autorisée à le faire et à le distribuer...

La direction, ainsi, peut prétendre avoir les doigts propres. La compagnie, en fait, n'a qu'à sanctionner ce qui fait l'affaire du Roi pour que les clones des doigts de la main Bombardier marchent tout seuls! À l'intérieur de l'usine comme à l'extérieur.

Même la Chambre de commerce régionale et son président, Mario Larivière, propriétaire du restaurant de la place ont été mis à contribution et se sont tout de go prononcés publiquement contre la syndicalisation... Retour d'ascenseur oblige. Hier, le roi Beaudoin sollicitait les membres du clergé et des personnages politiques. Aujourd'hui, autres temps autres mœurs, c'est au milieu des affaires qu'il a recours.

Punitions et privilèges de haut en bas

Combien de gens de la haute de Valcourt ont dû prêter leurs doigts à la sale besogne du clan Beaudoin? Notamment à ce régime de terreur en force chez le fleuron de Bombardier à Valcourt 0 depuis que le clan a évincé l'inventeur de la motoneige, on peut estimer, selon des documents internes de la compagnie (voir l'aut'journal de novembre) à quelques 3000 le nombre de congédiements, en bonne partie pour insubordination, ce qui représente l'équivalent de près de deux fois la totalité des effectifs de l'usine actuelle! Et on ne compte plus les suspensions, les rétrogradations, les mises à pieds arbitraires, les déménagements et autres représailles de toute nature y compris la répression physique et les variations de la cadence des chaînes de production.

Aujourd'hui, la répression se raffine et s'amplifie. Ainsi, Bombardier, pour relancer sa traditionnelle propagande sur les relations de travail, n'hésite pas à faire cyniquement appel à des femmes de service aux relations publiques avec les médias alors même que, dans l'usine, comme le souligne un document syndical, le groupe des travailleuses est des plus cruellement touché par les précaires conditions de santé et de sécurité au travail.

Les victimes d'accidents ou de maladies professionnelles sont littéralement abandonnées à leur sort. Non seulement elles ne sont pas soutenues devant la CSST, mais Bombardier conteste systématiquement tous leurs recours.

À l'intérieur de l'usine, ça demeure encore le fief du buck Beaudin, le p'tit v.p. aux ressources humaines qui se prend pour l'autre et agit comme si, dans son nom, entre le d et le i, il y avait un p'tit zéro de rien du tout !

Pour lui, la situation est simple 0 qui ose vouloir se syndiquer chez Bombardier est un frustré. Ça commence à en faire pas mal de frustrés dans l'empire de la motoneige jaune! À l'entendre il n'y aurait jamais eu de gestes d'intimidation0 la direction a bien procédé à la rencontre individuelle des employéEs mais, selon lui, il s'agissait là d'une simple routine annuelle. Aucune représaille n'aurait été exercée à l'encontre de leaders syndicaux0 sauf le recours à la suspension pour absence injustifiée, à l'écart de la liste de rappel, à des rencontres non annuelles , à des avertissements personnels, à la dénonciation (délation), aux ordres formels de cesser…

Aujourd'hui comme hier

Par ailleurs, pas un mot du v.p. au sujet des réunions fortuites qu'il tient sur les lieux de travail, souvent sous de faux prétextes. Comme, par exemple, celle du 21 mai, soit disant en rapport avec la retraite, alors que les employéEs se sont fait servir des sermons à la pelletée et ont été l'objet de pressions indues, les incitant à déchirer leur carte de membre du syndicat en formation.

Quant à l'arrêt spontané d'une heure des chaînes de production (11 mai) et à la manifestation spontanée du quart de jour dans les rues de Valcourt (15 juin), la direction se défend bien d'être derrière de tels événements antisyndicaux. Même si, dans les deux cas, les médias les plus éloignés ont été convoqués quelques heures à l'avance! Même si, dans les deux cas, la direction a attendu plus d'une heure avant d'intervenir, confiant ainsi aux hommes de main de la compagnie l'intégrité physique des leaders syndicaux les plus connus (des plaintes au Commissaire du travail ont été déposées par ces derniers). Même si, dans les deux cas, malgré des pertes de plusieurs milliers de dollars en arrêts de travail, Bombardier a admis publiquement qu'elle ne sévirait pas contre les responsables.

Tout comme elle avait refusé, malgré leur condamnation judiciaire pour assaut grave, de sévir contre ces fiers-à-bras qui, sous les yeux complices du président et des membres du Comité de bonne entente (l'ancienne appellation du CRT), avaient attaché et traîné flambant nu l'employé et le leader syndical François Massicotte à travers les rues de Valcourt, dans la soirée et la nuit du 8 au 9 décembre 1969. z

Bombardier Town n'a pas changé 0 hier, l'usurpateur Beaudoin achetait le silence d'une ville, aujourd'hui il subventionne la prise de parole, en autant qu'elle reflète servilement la sienne. Sauf que, cette fois, de l'usage de la parole publique, même enchaînée, à la prise de la parole libre sans peur, il n'y a qu'un pas que Valcourt s'habitue à franchir un peu plus à chaque jour.