Fermeture de la Gaspésia. À Chandler, on discute d'expropriation

 

L'avenir est entre nos mains, on doit tenter d'acheter l'usine et d'en faire notre propriété. Si les dirigeants syndicaux et les ouvriers veulent se serrer les coudes, je pense que la seule avenue plausible, c'est d'être maître chez nous , a déclaré l'ex-maire de Chandler, M. Jean Paquin, sur les ondes de la radio de Radio-Canada (Matane) en interpellant les investisseurs intéressés principalement le Groupe Cèdrico, ainsi que les travailleurs de l'usine. Dans l'entrevue téléphonique qu'il nous accordait, le président du Syndicat des papetiers de la Gaspésia, Denis Luce, adoptait la même perspective0 Il va falloir qu'Abitibi vende et que le gouvernement porte ses culottes.

Après avoir opposé un refus catégorique, la multinationale, suite aux pressions de la population et des travailleurs, annonce maintenant qu'elle pourrait consentir à vendre l'usine, à condition qu'elle ne concurrence pas sa propre production, notamment celle du papier journal. Or, les activités papetières d'Abitibi impliquent 80 produits !

Denis Luce répond0 On ne peut pas respecter cette condition-là. D'accord pour exclure le papier journal, mais pas l'ensemble des produits d'Abitibi. M. Paquin nous a déclaré en entrevue qu'il semblerait que des pourparlers entre le Premier ministre Bouchard et le président d'Abitibi, Jonh Weaver, pourraient conduire à une entente qui réduirait de 80 à 3 ou 4 le nombre de produits exclus de la production de la Gaspésia.

L'expropriation, une solution envisagée

Pour la population de Chandler, il n'en reste pas moins que cette fermeture de la Gaspésia et les conditions de vente présentées par la multinationale cachent une volonté d'éliminer du marché une usine dans laquelle elle n'a jamais voulu investir. Aussi, pour l'ex-maire Jean Paquin, la solution passe par la voie de l'expropriation de la Gaspésia. D'ailleurs, le 5 novembre dernier, avant de terminer leur mandat, les membres du conseil municipal, sous la gouverne de M. Paquin, ont adopté une résolution en faveur de l'expropriation.

En effet, une instance gouvernementale, en l'occurrence une municipalité, a le droit d'acheter de force une propriété en invoquant une cause d'intérêt public et moyennant une juste indemnité. Dans ce cas, le seul droit du propriétaire consiste à contester, en cour du Québec, le montant de l'indemnité et c'est le tribunal qui le fixe alors.

Or, suite à l'adoption de la résolution en faveur de l'expropriation, l'ex-maire de Chandler estimait à 60 millions $ la valeur de l'indemnité à verser aux propriétaires de la Gaspésia. Cette estimation rejoint les offres faites jusqu'alors, tant par F. S. Soucy de Rivière-du-Loup que par le Groupe Cèdrico, deux industriels qui se sont montrés intéressés à devenir partenaires pour investir dans la modernisation de la Gaspésia. Mais la fermeture définitive de l'usine a mis fin aux discussions.

Élections à Chandler0 l'expropriation mise au rancart

Mais voilà, après 18 ans à la mairie, Jean Paquin n'a pas sollicité de nouveau mandat, le 7 novembre dernier. Près de 70 % des électeurs ont exercé leur droit de vote, une forte participation pour des élections municipales. Candidat à la mairie, le conseiller sortant, Gervais Marcoux, était le seul à être favorable à la résolution adoptée par l'ex-conseil municipal, mais c'est Michel St-Pierre, chirurgien orthopédiste de profession, qui a été élu avec 918 voix, soit 201 de plus que son adversaire.

Le nouveau maire ne privilégie pas l'expropriation0 Il s'agit d'une solution de dernier recours et on doit être prudent avant d'entreprendre une démarche en ce sens , nous a-t-il dit en entrevue téléphonique. C'est également le point de vue du président du syndicat0 J'ai des réserves. L'expropriation d'une entreprise, dans un contexte de mondialisation, peut entraîner des difficultés pour l'écoulement de nos produits. On pourrait faire face à un embargo. La vente de gré à gré, sans passer par les tribunaux, serait préférable , propose Denis Luce. Mais pour ce faire, le Québec doit se mobiliser pour appuyer Chandler0 “ Le président d'Abitibi, Jonh Weaver, a donné sa parole. Les gouvernements, les syndicats, les travailleurs, toute la population doivent exiger de lui le respect de ses engagements ”, conclut-il.

Quand Lucien Bouchard fait d'un dossier son affaire, on peut craindre le pire…

La population de Chandler se souvient des propos du Premier ministre Bouchard qui clamait, durant la dernière campagne électorale0 La Gaspésia, j'en fais mon affaire. Or, face à une volonté ferme de se prendre en mains en devenant propriétaire de la Gaspésia, le gouvernement du Québec propose aux travailleurs et à la population de Chandler des assouplissements aux règles d'accès à l'aide sociale. Autrement dit, quand des travailleurs cherchent à s'affranchir d'une multinationale sans âme, le Parti québécois leur offre la dépendance sociale. Cela leur fait une belle jambe! Pendant ce temps, ce même gouvernement s'empresse de mettre sur la table 360 millions $ pour une compagnie qui n'est pas à ses premières subventions; GM, plus qu'à son tour, a bénéficié des deniers publics. Avec le dossier de la Gaspésia, le Premier ministre du Québec a l'opportunité de démontrer que l'État n'est pas totalement assujetti aux diktats économiques de la grande entreprise privée et du patronat. Si M. Bouchard plie l'échine à l'appel du Conseil du patronat de ne pas intervenir dans des décisions d'affaires - notamment celles d'Abitibi Consolidated -, nous allons devoir nous méfier à l'avenir quand notre Premier ministre annoncera qu'il prend en main un dossier...

* Correspondant pour la Gaspésie