Je me vois comme un guerrier de la culture0 c'est ma façon de résister à l'uniformisation !

 


Entrevue avec Gilles Garand



Il y a de ces gens, qui, peu importe ce qu'ils font dans leur vie, poursuivent toujours la même constante0 changer le monde! Gilles Garand fait partie de ces gens. Conseiller syndical au Conseil central Montréal métropolitain, président de la Société pour la promotion de la danse traditionnelle québécoise (SPDTQ), président du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV) et musicien actif dans le groupe Lueurs d'Espoir, peu importe le chapeau qu'il porte, il poursuit toujours le même but 0 faire reconnaître la musique traditionnelle québécoise au sein de notre cheminement historique, social, politique et culturel. Rencontre avec un homme de projets.

A.J0 Gilles Garand, quelle serait ta définition de la Culture ?

Gilles Garand0 Ma définition s'exprime vraiment au sens large, un peu comme l'UNESCO, pour moi, la culture s'insère dans une notion de patrimoine culturel. C'est l'ensemble des manifestations qui identifient, qui valorisent un peuple. Ça peut être autant le geste, le savoir, la parole, les actions communautaires, les actions collectives0 l'identitaire d'un peuple.

C'est sûr que je privilégie certains aspects de cette définition là; la tradition orale, par exemple. C'est aussi une vision planétaire, historique, une vision qui doit être intégrée à la connaissance de l'histoire. L'Histoire commence avant l'Histoire, c'est-à-dire que celle qu'on nous a montré a toujours été celle de la culture dominante, alors qu'il faut creuser un peu plus loin pour avoir une autre vision des choses. Jeter le regard le plus loin possible dans le temps pour être capable de faire ressortir les vérités, les authenticités et en même temps, c'est toute la transmission du savoir qui est mise à jour.

Alors moi, je travaille pour faire reconnaître la culture comme une priorité collective, car sans elle, on devient American way of life, qui est aussi une culture, mais une culture dominante et je me suis toujours battu contre ça, je me considère comme un guerrier de l'art, un guerrier de la culture.

A.J0 À qui cette culture devrait-elle s'adresser ?

Gilles Garand0 De plus en plus, je me rends compte que la culture que je veux valoriser est une culture populaire, qui touche les gens ordinaires, à travers des festivals, des manifestations collectives, etc. Je me rends compte aussi qu'elle est un élément de développement, c'est-à-dire qu'on assiste présentement à l'épuisement de nos richesses naturelles, on n'a plus de bois, de poissons, etc.

Mais il y a cependant une ressource qui est renouvelable, durable et c'est la personne, donc si tu agis pour mettre en valeur les manifestations autour de la personne avec, par exemple, des soirées de contes, de musique, des festivals, des manifestations dans la rue, tu deviens un moteur de transmission.

Ça c'est renouvelable, c'est permanent et je pense qu'il est temps que nos gouvernements investissent dans la culture comme développement collectif et pas juste dans la business culturelle. On veut créer des emplois. Il y en a plein à créer dans le domaine de la culture, dans les écoles, dans les centres culturels; il faut l'intégrer à la vie.

A.J0 Pourquoi au Québec semble-t-il y avoir une résistance à la musique traditionnelle, alors que dans d'autres pays comme Cuba ou l'Irlande, elle est perçue de façon positive ?

Gilles Garand 0 Je pense que ça fait partie essentiellement de notre peur d'être nous-mêmes. En même temps, pendant des années, il y a eu beaucoup de manifestations qui ne l'ont pas mise nécessairement en valeur, on l'a rejetée pour la forme, mais on ne s'est pas plus interrogé sur son contenu.

Moi, par exemple, ce qui me fascine dans notre musique, ce qui m'émeut, c'est toute la chaîne d'oralité de la musique. Que des airs soient portés par la mémoire depuis des centaines d'années, ça me stimule et je suis fier d'être dans cette chaîne de continuité. La musique traditionnelle m'est rentrée dans le corps parce qu'elle est originale et vient d'en dedans.

Quand tu dis que la majorité des musiciennes et musiciens, s'ils n'ont pas de partition devant eux, ne peuvent pas jouer, alors que les musiciens traditionnels apprennent à l'oreille et peuvent jouer des veillées de temps sans partition! Il y a une mystique, une sorcellerie, dans le fait d'être capable de faire danser.

Tu es intemporel quand t'es capable de faire ça, t'es autant un africain, un brésilien, tu tombes dans un autre niveau de langage.

Il y a aussi beaucoup de préjugés bourgeois en ce qui a trait à la reconnaissance de notre musique traditionnelle. Prends le Printemps du Québec à Paris, où la musique traditionnelle n'était pas du tout représentée, ça faisait pas assez moderne ! Ça, si c'est pas la peur d'être nous-mêmes ...

A.J0 Qu'est-ce qui a fait que tu as voulu t'impliquer au sein de la Société pour la promotion de la danse traditionnelle (SPDTQ) et au Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV)?

Gilles Garand0 Pour ce qui est de la SPDTQ, j'ai joué en 1972, pour La Veillée des veillées au Plateau et je suivais aussi les Veillées du Plateau organisées par la SPDTQ qui se passaient à cette époque là au Pavillon Latourelle. Moi, je suivais ces veillées-là, non pas pour la danse, mais pour la musique et pour l'esprit de la fête.

Ensuite, pour toutes sortes de raisons, j'ai émigré en campagne et j'ai continué de suivre la musique. J'ai fait le tour du Québec avec le Syndicat de la musique qui m'a permis également de connaître les musiques du Québec.

En 1991, la SPDTQ m'a approché pour que j'organise un festival de musique et de danse traditionnelles parce que je connaissais tout le monde, je suis un homme de réseau et, en même temps, je suis un organisateur, mon expérience de conseiller syndical n'était certainement pas négligeable. Nous avons donc organisé La Grande Rencontre. Parallèlement à ça, j'étais sur le comité provisoire des États généraux sur le Patrimoine vivant à Québec. On m'avait mandaté pour organiser le congrès de fondation du CQPV. Pour moi, c'est donc important de travailler au niveau des deux paliers0 organisationnel et politique, pour avoir une vision globale du développement culturel.

A.J0 Quels sont tes projets pour l'avenir rapproché?

Gilles Garand0 De façon concrète, on prépare la 8ème Édition de La Grande Rencontre qui doit accueillir cette année 20 musiciennes et musiciens bretons qui proviennent de la Rencontre des musiques traditionnelles bretonnes. Toujours, pour La Grande Rencontre, nous avons déposé un projet pour Patrimoine Canada, qui nous permettrait de faire venir des artistes de la francophonie de d'autres provinces, on pense aux provinces maritimes, à l'Acadie et au Manitoba. On travaille afin que cette Grande Rencontre devienne un festival pancanadien des musiques traditionnelles francophones, toujours dans la poursuite du même but0 lier l'histoire populaire à la culture populaire.

Comme président du CQPV, je vais mettre beaucoup d'énergie à redonner à ce Conseil un itinéraire qui va le brancher sur le vrai monde et où l'on va tenter de rebâtir les solidarités. Tout ça en continuant de jouer avec mon groupe Lueurs d'Espoir, que ce soit pour des manifestations, des soirées de solidarité, des festivals. De manière non-officielle, j'ai aussi été approché pour être porte-parole pour Les Journées de la Culture, peut-être parce que je suis quelqu'un capable de faire les liens sociaux, syndicaux, populaires, culturels et que je transporte tout ce bagage avec moi peu importe où je passe. En tous les cas, ce serait une belle reconnaissance à faire pour notre musique traditionnelle.

A.J0 Penses-tu qu'il y a un rapport entre le peu de considération qu'on porte à notre musique traditionnelle et la question nationale?

Gilles Garand 0 Je dirais que c'est plus profond que ça. C'est pas seulement la question nationale. Notre présent gouvernement a pris la tangente néolibérale et, d'après moi, pour avoir une vision de ce que peut être une culture nationale, il faut que tu aies une vision de ce que peut être un peuple, une nation.

J'ai plutôt l'impression que, ces temps-ci, c'est l'idéologie néolibérale qui l'emporte sur l'identité, sur la volonté d'être un pays. Si Lucien Bouchard veut avoir des conditions gagnantes pour que le Québec accède à l'indépendance, il va falloir qu'il écoute le peuple, qu'il accorde des services adéquats en santé, en éducation, qu'il assure des outils pour le développement de la culture vivante afin qu'elle puisse se manifester de façon dynamique auprès de toute la population et non seulement pour une élite.

Je reviens là-dessus 0 il faut que le gouvernement écoute le monde et à partir de ça, on va les avoir nos conditions gagnantes. C'est une question de volonté, de projets de société, de rêves... Probablement que je suis encore poète et j'espère que je vais mourir poète. Le mot de la fin0 Tam tam di de lam ! Tam Tam dit de l'âme !