L'Équateur fait trembler l'économie mondiale

 


Maillon le plus faible de la chaîne ...



En forçant le gouvernement équatorien, le 25 septembre dernier, à annoncer à tous ses créanciers qu'il ne pouvait pas rembourser complètement un paiement d'intérêts sur sa dette extérieure, les manifestations populaires qui ont secoué le pays tout l'été ont semé la panique chez les prêteurs privés. Ceux-ci, craignant un effet d'entraînement dans toute l'Amérique latine, voire dans tout le Tiers-Monde, pressent le FMI et les gouvernements du G7 de ne pas les laisser tomber.

Le 25 août dernier, le président Jamil Mahuad de l'Équateur prévenait le monde que son pays n'allait pas pouvoir rembourser en entier un paiement en intérêts de 96 millions $ sur sa dette extérieure et qu'en conséquence, il se prévaudrait d'une période de grâce de 30 jours prévue à cet effet.

Un mois plus tard, l'Équateur devenait le premier pays du monde à sauter un paiement sur sa dette depuis l'instauration des bonds Brady , détenus par des prêteurs privés et garantis à toutes épreuves par le Trésor américain. Ces bonds avaient été institués dans les années 1980 pour résoudre la crise mondiale de la dette.

L'Équateur annonçait qu'il rembourserait 51,8 des 96 millions $ dus et demandait à ses créanciers de coopérer à restructurer le montant total de sa dette extérieure en bonds Brady, soit 6,1 milliards $. En même temps, le ministre des finances, Alfredo Arizaga, admettait que des mesures avaient été prises pour protéger les avoirs équatoriens à l'étranger mais que des saisies étaient bel et bien possibles.

Cause nationale

Le pays n'a d'avenir ni économique ni social si sa dette extérieure n'est pas considérablement réduite, plaidait le président Mahuad à la nation, le 25 septembre. L'option que nous choisissons aujourd'hui est radicale et doit devenir une cause nationale. Nous avons aussi besoin, à compter de maintenant, d'appuis au niveau international.

C'est que le petit pays d'Amérique du Sud étouffe sous les dettes! Ce qu'il doit hors de ses frontières est plus élevé que son produit intérieur brut (PIB) et, cette année, les paiements sur la dette représentaient à eux seuls la moitié du budget national.

Toujours cette année, 60% de l'autre moitié de son budget servait à renflouer les onze banques du pays qui ont déclaré faillite pendant que le prix des aliments augmentait de 70%, celui des deux principaux produits d'exportation du pays (l'huile et la banane) s'effondrait et la monnaie nationale (le sucre) perdait plus de la moitié de sa valeur.

Réaction molle

Curieusement, les États-Unis et le FMI ont réagi plutôt mollement au défaut de paiement équatorien. Les premiers se permettaient même d'appuyer un plan de restructuration de la dette extérieure totale du pays (voir encadré).

Selon le New York Times (29 sept), le gouvernement américain et le FMI ne voient pas d'un mauvais oeil le défaut de paiement d'un petit pays comme l'Équateur. Il s'agirait plutôt d'un utile avertissement aux prêteurs privés, ce qu'un officiel américain justifie ainsi0 Tôt ou tard, les investisseurs se rendront compte que le monde ne pourra pas toujours compenser les risques qu'ils prennent et (...) plus tôt ils comprendront cela, plus on pourra empêcher une grande crise d'éclater.

Le Financial Time, lui, révélait plus tôt (28 août) que le FMI et les membres du Club de Paris avaient demandé aux prêteurs privés de partager davantage les conséquences de prêts risqués à des pays pauvres. Mais les prêteurs privés ont réagi avec colère et cela n'étonnera personne étant donné les sommes incroyables en jeu. Au cours des dix dernières années, stimulés par les garanties d'argent public des prêteurs officiels (FMI, Banque mondiale, gouvernements des pays riches, etc), le secteur privé a prêté l'inimaginable somme de 1,7 trillion $ aux pays pauvres du globe! En seuls bonds de type Brady , le Tiers-Monde devrait un montant de 300 milliards $!

Dangereux précédent

Qualifiant les événements en Équateur de dangereux précédent , l'Institut international de la finance affirme, dans une lettre signée par l'un de ses directeurs administratifs, Charles Dallara, que le secteur privé a l'intention de ne rien concéder à l'Équateur. L'association, qui réunit les 300 plus grandes banques et institutions financières du monde, réclame même à ce pays un remboursement immédiat de 1,5 milliard $.

Nous allons virer l'Équateur à l'envers même si on doit y perdre nos paiements du gouvernement, affirme un prêteur au El Nuevo Herald, un journal de Miami. On veut que ces pays-là comprennent qu'ils ne peuvent pas sélectionner les bonds qu'ils vont rembourser et que ne pas payer ses dettes, ça fait mal!

Nicolas Brady, architecte du système de bonds qui portent son nom et ancien secrétaire au Trésor américain, a livré sa colère au Financial Time (20 sept)0 En pratiquant une politique d'exception à l'égard du maillon le plus faible de la chaîne, le FMI joue avec le feu (...). Son rôle ne consiste sûrement pas à dire à un pays de ne pas payer ses dettes au secteur privé!

Combat pour la vie

La force véritable à l'origine de ce mouvement de panique dans les rangs de la finance mondiale, c'est la population équatorienne0 une population de 12 millions de personnes parmi les plus humbles de la terre, indigène à 40% et pauvre à 80%, qui, tout l'été, a frôlé l'insurrection dans ce qu'elle appelait un combat pour la vie et contre la faim .

Les chauffeurs de taxi ont parti le bal en bloquant des routes suite à une hausse du prix de l'essence. Les autochtones sont ensuite descendus des montagnes pour bloquer des routes à leur tour, occuper les bureaux de la compagnie nationale d'électricité et prendre le contrôle des tours de communication.

Le mouvement s'est rapidement mobilisé contre les politiques néolibérales, le poids de la dette et la possible implantation de bases militaires américaines dans le pays. L'ont rejoint les enseignants et les travailleurs de la santé impayés depuis des mois, les travailleurs des plantations de bananes, les camionneurs, les travailleurs des transports (autobus, trains), les vendeurs du secteur informel, les travailleurs des commerces et des boutiques de même que ceux des petites entreprises.

Matraqueurs impayés

Mêmes les bureaux de la haute hiérarchie de l'Église catholique, accusée de collaborer avec le néolibéralisme, ont été occupés tandis que la police s'est retrouvée, à un moment donné, sans le sou pour payer les salaires de ses matraqueurs!

Malgré l'état d'urgence accordant au président des pouvoirs extraordinaires (mainmise sur le budget national, liberté d'ordonner l'intervention de l'armée où et quand bon lui semble, etc), malgré cette journée d'août où la police a arrêté 400 manifestants et tiré sur treize autres, les émeutes et occupations ont persisté.

Dès lors, le président n'avait plus d'autre choix que celui d'annoncer au reste du monde le défaut de paiement de son gouvernement.