Moumoute masquée ne s'assoit plus, il se répand...

 


La restructuration municipale



Prologue

Un soir à la taverne, un jardinier, devenu maire il y a 5 ans, se commande un troisième pichet en compagnie de son frère.

— Ouais, Pierre... Tu donnes peut-être ton salaire à une fondation, mais ton compte de dépenses...

— Coudon, André, connais-tu le principe de la patate?

— La patate? Moi? Non! Ça fait 5 ans que j'en suis rendu au caviar.

— Y a rien de trop joli pour la grosse bourgeoisie! Écoute-moi bien... La patate, c'est l'incarnation de la déesse de la fertilité, rien de moins. Au-dessus de la terre, la patate est une petite tige avec des feuilles. Mais en dessous... la patate a des racines qui forment un petit tubercule - une patate - qui fait des racines lesquelles font un autre tubercule, et ainsi de suite. Puis, woups, 10 pieds plus loin, sort une autre tige avec des feuilles! De tubercule en tubercule jusqu'à la victoire finale!

— Ouais, pis?

— Si on faisait la même chose avec Montréal...

— Quossé, Moumoute Masquée? Tu trouves pas qu'on en a assez avec nos fraudes électorales, le patronage, les magouilles...

— Maudit qu't'as pas d'envergure! Penses-y0 si on agrandissait notre empire à toute l'île de Montréal, une île, une ville, on jouerait dans la ligue majeure planétaire! A quoi ça sert, tu penses, la mondialisation?

— Oh boy! Tu m'ouvres des horizons grandioses... J'pourrais m'ouvrir un compte dans une banque suisse...

— Mes fonctionnaires ont rédigé un document de propagande pour une île, une ville.

— Minute, Moumoute Masquée, minute! Si on met 29 villes ensemble pour en faire une seule, on va être obligé d'augmenter prodigieusement le nombre de conseillers municipaux0 l'opposition risque de se renforcer...

— Épais! Tu sais ce qu'on en fait de l'opposition0 on la bâillonne, à moins qu'elle ne se bâillonne elle-même! A part ça, ma proposition règle ton problème0 60 conseillers municipaux pour toute l'île! 1 pour 30 000 personnes! Déjà que la population n'a pas de contrôle sur nous-autres à 1 ppurr 20 000 à Montréal, imagine-toi 1 pour 30 000.

— Pis comment tu justifies ça?

— Le plus simplement du monde0 on va faire des économies de 27 à 30 millions. Tu sais à quel point le monde trippe sur la réduction du déficit... On va pouvoir se bâtir un petit conseil d'administration comme une compagnie privée...

— Pendant que je pense à ça, commande donc un autre pichet et... sur ton compte de dépenses!

Partie où l'auteur fait plaisir à son rédacteur en chef en lui montrant qu'il est sérieux et qu'il a fait des recherches.

• Comparativement aux 27 autres villes de l'île (excluant la ville de l'Île de Dorval), Montréal est bonne dernière dans pratiquement tous les domaines concernant la vie démocratique;

• dernière pour le nombre de citoyens représentés par chaque conseiller municipal. Un conseiller de Montréal représente en moyenne 19 929 citoyens, alors que la moyenne des 27 autres villes est de un conseiller pour 3 713 habitants. Montréal-Nord arrive avant-dernière avec un conseiller pour 8 158 habitants, soit 59 % de moins que Montréal.

• Un conseiller municipal de Montréal représente plus de citoyens que 14 maires (sur 27) de l'île! Sur ces 14 maires, 4 ont une rémunération supérieure à celle d'un conseiller montréalais (sans ajouter le salaire des conseillers municipaux);

• dernière en ce qui concerne le coût par citoyen, par année, de la vie démocratique (salaires des conseillers et du maire)0 2,46 $ par citoyen montréalais alors que la moyenne des autres villes est de 5,48 $. Les citoyens de Anjou, ville qui arrive avant-dernière sous ce chapitre, paient 3,75 $, soit 52 % de plus que les Montréalais;

• dernière quant au pourcentage du coût de la démocratie sur le budget total de la ville0 Montréal y consacre 0,12 % de son budget (incluant les budgets alloués aux partis politiques) alors que la moyenne des autres villes de l'île se situe à 0,34 %. La Ville de Pointe-Claire, avant-dernière, y consacre 0,20 %, soit 66 % de plus que Montréal.

Partie où l'auteur fait plaisir à son rédacteur en chef en lui montrant qu'il sait réfléchir.

• Allons-y de deux truismes0 plus le nombre de citoyens représentés par un élu est grand, moins les citoyens ont d'emprise sur ses actions, ses politiques, son travail d'élu... et d'autre part, plus son élection coûte cher et plus il a de dettes (réelles et politiques) envers ses bailleurs de fonds0 boss, compagnies, cartels, banques...

• Un député canadien représente, en moyenne, 99 069 habitants. Un député québécois, quant à lui, représente, en moyenne, 58 704 habitants. Nous, les citoyens, qui ne sommes ni Lavallin, ni Alcan, ni Conrad Black, ni la Banque de Montréal, ni Molson ni les Expos... avons-nous une emprise quelconque sur ces députés, une fois qu'ils sont élus?

• Lors d'une éventuelle restructuration municipale - comme celle qu'on discute actuellement dans les officines et les antichambres du pouvoir, entre notables et possédants - deux principes devraient être avancés0 a) ce sont les citoyens concernés qui doivent discuter et décider de leurs formes de gouvernement et b) le pouvoir doit se rapprocher des citoyens et non s'en éloigner. Et c'est à nous de les imposer, les élites occultant sciemment ces principes pourtant fondamentaux, en démocratie. Parce que si la démocratie, dans le bilan de santé d'une société, ne s'inscrit que dans la colonne dépenses, aussi bien l'abolir!

Partie où l'auteur fait plaisir à son rédacteur en chef en faisant preuve d'initiative.

• Rapprocher le pouvoir des citoyens, cela veut dire, entre autres, un ratio citoyens / conseiller municipal le plus bas possible. Bourque propose de passer de 19 929 citoyens par conseiller municipal à 30 000. Il n'y a pas de meilleure façon d'ajouter au déficit démocratique actuel et d'exproprier les citoyens de leurs droits.

• Montréal-Nord a 1 conseiller pour 8 158 citoyens (le plus haut ratio de l'île, à part Montréal); la Ville de Québec de 1 pour 8 365; la Ville de Longueuil de 1 pour 7 528.

Une hypothèse de travail

• Regardons ce qu'un ratio de un pour 8 500 donnerait pour Montréal. Ajoutons que le salaire d'un conseiller serait, dans cette hypothèse, de 30 000 $ par année, que celui du maire serait de 100 000 $ et que les partis politiques seraient dotés d'un budget global annuel de 1 000 000 $.

• Si rien ne changeait sur l'île de Montréal (29 villes), selon cette hypothèse, la ville de Montréal, avec 120 conseillers municipaux, arriverait toujours au dernier rang (sur 28) quant à son ratio conseiller / habitants, au 21e rang quant aux coûts de la démocratie par habitant (4.62 $) et au 25e rang quant au pourcentage des coûts de la démocratie sur son budget total (0,22 %).

• Si Une île, une ville du maire Bourque s'appliquait, on en arriverait à ceci0 un maire et 208 conseillers. Par rapport aux 28 villes actuelles de l'île, cette éventuelle méga-cité arriverait évidemment au dernier rang quant à son ratio conseiller / habitants, au 25e rang quant aux coûts de la démocratie par habitant (4.13 $) et au 25e rang quant au pourcentage des coûts de la démocratie sur son budget total (0,22 %). Pas de quoi se péter les bretelles...

• Si l'on ajoute la proposition de FOCUS-Montréal d'instaurer un scrutin à la proportionnelle pour la Ville de Montréal ainsi que la proposition du RCM des années '70 d'établir des conseils de quartier décisionnels, nous pourrions commencer à parler de démocratie, d'une ville par et pour ses citoyens.

• On ne ré-organise pas des organes de représentation des citoyens comme on rationalise des compagnies privées. A moins que l'on considère Montréal comme une business0 les petits payent et les gros empochent...

Épilogue

— Coudon, André, connais-tu le principe du peuplier?

— Bon... C'est quoi encore c't'affaire-là?

— Quand un peuplier pousse quelque part, tu peux être certain qu'il n'y aura pas d'autres arbres autour parce que le peuplier absorbe, à lui seul, toute l'eau disponible. Si on appliquait ce principe à Montréal, je deviendrais roi de droit divin!

— Call un autre pichet, Moumoute Masquée, que je pense à ça...