On est pas sorti du bois

 


Un pour cent des travailleurs sont syndiqués



Pendant que les fusions ramènent en force le contrôle des grandes papetières américaines, sans doute pour s'assurer la mainmise sur les dernières forêts nordiques, la population manifeste de plus en plus la volonté de se réappropier cette ressource qui lui appartient. Pourtant, l'État québécois refuse de modifier substantiellement le régime forestier basé sur des contrats d'approvisionnement et d'aménagement de 25 ans aux entreprises forestières.

Le gouvernement avait réussi à faire croire à tout le monde que la forêt allait bien, qu'on reboisait, que le régime forestier instauré en 1987 était révolutionnaire, . affirme Pierre Dubois, coordonnateur de la Coalition pour la sauvegarde des forêts nordiques. La population a compris maintenant qu'il y a de sérieux problèmes, des risques réels de surexploitation et même de liquidation de ce bien collectif qui lui appartient. La population a pour ainsi dire renoué avec ses racines forestières. Un an après l'Erreur boréale, , ce qui a changé, c'est la perception populaire face à la forêt publique.

Cependant, la bataille pour revenir à une utilisation de la forêt qui garantisse sa préservation, sa régénération et son utilisation diversifiée sera longue et difficile.

Le régime actuel privilégie l'exploitation de la matière ligneuse par les grandes entreprises forestières. Il vise l'augmentation de la productivité par un aménagement forestier basé sur une hypothèse qui n'est pas vérifiée à l'effet que la forêt artificielle qu'on met en place produira davantage. Pierre Dubois se réfère notamment à des études récentes qui démontrent qu'une plantation qu'on a éclaircie produit à long terme des arbres plus gros mais pas nécessairement plus de bois au total. Devant l'appétit grandissant de compagnies forestières de plus en plus productives, les risques de surexploitation sont réels.

Partager la forêt

Pour ce qui est de la cohabitation des usagers, de la gestion intégrée en forêt et du partage de la ressource avec la population locale dans les forêts proches des communautés, le système des CAAF (Contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestiers) risque de continuer à en compliquer l'application.

Le problème, c'est que les CAAF servent de garantie aux compagnies forestières pour leurs emprunts. Ils ne veulent donc pas les partager, fait remarquer Pierre Dubois. De plus, la consultation de la population prévue lors de l'approbation des plans et du renouvellement des contrats est une consultation bidon. Il faut souhaiter qu'on oblige les compagnies à négocier avec les populations et avec les autochtones. Ce n'est pas vrai, comme on tente de le faire croire au public, qu'ils veulent empêcher la coupe, mais l'encadrer, soumettre les plans d'approvisionnement à des études d'impact, assurer un partage équitable de la forêt.

Des forêts naturelles témoins

Le ministère des Ressources naturelles est peu favorable à la demande de la Coalition en faveur de l'instauration d'aires forestières protégées. Nos gouvernements se sont engagés devant les organismes internationaux à protéger de 7 à 8% des espaces naturels. Dans la forêt nordique présentement, on ne protège guère plus que .03%!, nous rappelle Pierre Dubois. Comment peut-on protéger la biodiversité, si on ne préserve pas des forêts qui puissent au moins témoigner de la dynamique naturelle quand toute la forêt sera cultivée artificiellement? Les industriels manifestent plus d'ouverture sur ce point que nos gouvernements, qui ne veulent même pas en discuter avec nous.

L'État coincé entre les multinationales et la population

Ici comme ailleurs, la compétition internationale et la concentration des entreprises autour des conglomérats américains font pression sur le gouvernement pour qu'il consolide leurs acquis plutôt que de donner suite aux revendications des populations locales. D'ailleurs, ces populations profitent de moins en moins d'emplois de la part de ces entreprises modernes et voient les seules ressources qu'elles ont pour survivre diminuer rapidement.

Pierre Dubois rappelle l'importance que donne la Coalition à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs sylvicoles. L'aménagement forestier aurait pu devenir au Québec un secteur d'emploi majeur et valorisant pour de nombreux travailleurs manuels des régions forestières. Malheureusement, c'est devenu un travail précaire, sous-payé, dévalorisé, soumis à une cascade de sous-traitants telle que les travailleurs ne savent plus pour qui ils travaillent. La loi sur les forêts a détruit les accréditations syndicales0 1% seulement sont syndiqués. Contrairement à ce qu'on essaie de faire croire, ce n'est pas un problème de formation mais un problème de condition et d'organisation du travail.|188| 
678|Nos ressources coulent vers les USA|Nathalie Marois|

Eau secours



Le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) tenait, l'automne dernier, des consultations publiques sur la gestion de l'eau au Québec, longtemps réclamées par de nombreux groupes sociaux, environnementaux et syndicaux. La coalition Eau Secours n'est pas étrangère à cette victoire, ainsi qu'au décret gouvernemental d'un moratoire sur l'exportation massive d'eau. Dans l'attente du dépôt du rapport des commissaires, reporté au début du mois de mai prochain, alors qu'on projette de démanteler le ministère de l'Environnement, Louise Vandelac, porte-parole de la coalition Eau secours et professeure au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, fait le point sur cet exercice démocratique.

L'aut'journal 0 Selon vous, le message sur les enjeux de l'eau au Québec est-il descendu dans la rue, comme c'est notamment le cas pour les OGM et la forêt?

Louise Vandelac 0 Sur la question de la privatisation, sûrement! Dans les différentes tribunes, dont les lignes ouvertes, les gens ont clairement réagi contre le projet de privatiser l'eau. Même chose pour l'exploitation commerciale de nos eaux souterraines. De toute évidence, ces questions éveillent un sentiment collectif. Après tout, l'eau n'est-elle pas le symbole de la nationalisation de nos ressources qui a servi de base à toute la révolution tranquille? Cependant, sur les questions de l'exportation et de la pollution de l'eau, je crois qu'il reste encore beaucoup à faire en matière de sensibilisation.

Une question des plus préoccupantes, c'est que le Québec et le Canada coulent littéralement vers les États-Unis d'ici la prochaine décennie. Avec l'ALENA, les Américains ont la possibilité de faire main basse sur notre eau. Il s'agit d'un enjeu de citoyenneté fondamental et de souveraineté sur nos ressources. Les citoyens doivent également saisir à quel point la mauvaise gestion actuelle de l'eau leur coûte cher et elle coûtera cher à leurs enfants.

Comment voyez-vous le rôle de la coalition alors que vous avez obtenu gain de cause sur l'essentiel de vos demandes, soit la tenue de consultations publiques sur la gestion de l'eau et un moratoire sur l'exportation massive d'eau?

Le principal objectif de la coalition, c'est que l'on arrive à l'établissement d'une politique de l'eau qui soit d'intérêt public et écosystémique, et qui implique la préservation et la mise en valeur de nos ressources. Il est absolument anormal que l'on ne se soit pas encore doté d'une politique sur l'eau alors que l'on dispose d'une des plus importantes ressources hydriques du monde.

Ne craignez-vous pas que le rapport du BAPE soit tabletté ou que le gouvernement ne le laisse dormir pour étouffer la mobilisation?

Ce qui m'apparaît le plus risqué, actuellement, c'est qu'il n'y ait plus de ministère de l'Environnement. Le dossier de l'eau constitue un des derniers grands mandats du ministère et on semble tout faire pour se débarrasser des éléments les plus actifs qui travaillent sur cette question.

Justement, comment réagissez-vous aux récents démantèlements de l'équipe de Montréal, qui oeuvre dans les secteurs de la décontamination de l'eau et des rejets industriels?

C'est hallucinant de démanteler un tel service, compte tenu que près de la moitié de la population du Québec se concentre dans la grande région de Montréal. C'est d'autant plus absurde de procéder à des réaménagements administratifs, qui sont en fait du domaine de l'abolition de services, avant le dépôt du rapport des commissaires du BAPE.

Est-ce que cela ne témoigne pas du manque de sérieux que le gouvernement accorde à cette commission?

On sait très bien que c'est de l'ordre du fait accompli depuis le début de cette commission. Pendant les audiences, le gouvernement a continué à autoriser des projets de petits barrages hydroélectriques même s'ils ne respectaient pas les critères sur l'environnement, comme ce fut le cas de celui de Batiscan. Même chose pour les projets de captage et d'embouteillage d'eau souterraine à des fins commerciales 0 le gouvernement a poursuivi ses études pendant la commission lesquelles avaient notamment pour mandat d'évaluer les impacts environnementaux de telles pratiques. Par exemple, à Barnston ouest, une vingtaine de citoyens ont manqué d'eau. Ils ont du faire recreuser leurs puits d'eau potable l'an dernier à des coûts de 2000 à 4000 dollars et, malgré cela, le gouvernement poursuit ses études sur le captage d'eau. Les conflits d'usage comme ceux-ci sont très répandus sur tout le territoire.|188| 
679|Quand les Veaux d'or deviennent des vaches folles|André LeCorre|

Une soirée-débat organisée par les AmiEs de l'aut'journal et les Amis du Monde diplomatique.



Ce jeu de mots du biologiste Jean-Marie Pelt, un des intervenants apparaissant dans le film de Karl Parent et Louise Vandelac Main basse sur les gènes, a déclenché l'hilarité des quelques 150 personnes assistant à sa projection le 24 mars dernier à l'UQÀM. Il prouve d'abord que les scientifiques ne sont pas dénués d'humour et qu'ensuite il y a un grand danger à faire passer les intérêts économiques avant la rigueur scientifique. Postulat dont ce film remarquable fait une démonstration que nous résumerons à partir de citations qui en sont extraites.

Jeremy Rifkin (économiste) Ceux qui contrôlerons les gènes contrôlerons le 20ème siècle.

On assiste à une nouvelle ruée vers l'or (vert cette fois) menée par les grandes multinationales de l'agro-alimentaire 0 Dupont, Monsanto, Novartis et Hoechst qui se sont départies de leurs industries chimiques pour se lancer dans cette course folle et y ont investi des dizaines de milliards. Avec le résultat que les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont déjà présents dans 75% des aliments industriels et donc dans nos assiettes.

Jean-Marie Pelt (biologiste) C'est comme si l'on construisait une immense cathédrale, le transgénisme, sur des sables mouvants

Le ruban d'ADN qui contient notre patrimoine génétique et qui résulte d'une évolution d'un milliard d'année est un équilibre fragile que l'on ne peut modifier sans risques. Comment peut-on évaluer ces dangers sur une aussi courte période (5 ans) alors qu'il a fallu 30 ans pour se rendre compte des effets nocifs du DTT et 50 ans pour l'amiante.

Jean-Marie Pelt La science s'est livrée au commerce... au Veau d'or... et les Veaux d'or deviennent des vaches folles.

C'est tout le problème de l'éthique scientifique qui est remis en question. La recherche scientifique n'est plus indépendante et le contrôle des agences gouvernementales est pratiquement inexistant ou pire biaisé par le conflit d'intérêt qui existe, dans les pays producteurs d'OGM, entre les impératifs économiques et la santé publique. Quant aux savants qui osent transgresser ce tabou... eh bien, on les élimine tout simplement (voir encadré).

Riccardo Petrella Il faut proclamer le vivant bien commun de l'humanité

Demandes de moratoire des scientifiques, protestations des groupes écologistes, protestations de l'Europe et insistance pour que soit appliqué le Principe de précaution , la résistance à cet envahissement incontrôlé de nos vies par les OGM s'organise.

Louise Vandelac, qui était présente à cette soirée et dont la prestation lors du débat a été remarquable, insiste beaucoup pour que des actions concrètes soient organisées au Canada. Biotech action Montréal, dont la jeune écologiste Nadine Bachand était la porte-parole lors de cette réunion, est un exemple de ce type d'action sur le terrain.

L'affaire Arpad Pusztai

Ce biochimiste de renom avait entrepris au Rowett Research Institute d'Aberdeen (Écosse) une recherche pour prouver l'innocuité de la consommation de pommes de terre transgéniques par des mammifères. On lui avait accordé pour ce faire un budget de 3.5 millions de $.

Après avoir nourri pendant 10 jours 125 rats avec ces pommes de terre quelle ne fut pas sa surprise de constater que ces animaux souffraient de déficiences immunitaires et neurologiques et que plusieurs organes internes étaient atteints.

Une simple déclaration à la BBC sur les résultats préliminaires de ses recherches et il fut immédiatement licencié ainsi que sa femme qui participait au programme. Tout son matériel; ordinateurs, disquettes et documents fut saisi et il lui fut interdit de parler.

Sans commentaires !|188| 
680|Le rôle obscur des compagnies d'assurances|Pierre Dubuc|

400 $ de l'heure pour une chirurgie



Dans sa chronique Les contradictions d'une loi archaïque (La Presse 23/03/00), Claude Picher justifie la pratique de l'Institut de polychirurgie de Montréal qui charge 400,00 $ de l'heure pour des opérations à des patients qui veulent court-circuiter les listes d'attente des hôpitaux. C'est, selon lui, un système gagnant-gagnant. Sa logique est la suivante 0 les patients qui sont prêts à payer désengorgent les listes des hôpitaux et réduisent d'autant le temps d'attente pour ceux qui ne peuvent payer. Nous ne parlons pas ici, écrit-il, de privatisation du système, mais de permettre au privé de colmater les brèches d'un régime public qui fait eau de toutes parts . Il faut donc, conclut-il, dépoussiérer la loi archaïque qui interdit un tel recours au privé.

Claude Picher oublie de mentionner qui seront les véritables gagnants du système qu'il propose 0 les compagnies d'assurances. Si on ouvre une telle brèche dans le régime public, elles vont s'empresser d'offrir des compléments d'assurances à tous ceux qui craignent de poireauter sur une liste d'attente dans les hôpitaux publics ou d'avoir à débourser des frais importants pour une chirurgie.

L'exemple des soins à domicile

Récemment, l'Association des CLSC révélait que pas moins de 40 000 malades attendent qu'on s'occupe d'eux (Le Devoir, 4 mars). L'association réclamait 267 millions du gouvernement pour pouvoir offrir des soins à domicile à ces malades et permettre un vrai virage ambulatoire . Autrement, les listes d'attente s'allongent et le dérapage vers la privatisation s'accentue peut-on lire dans le rapport.

On peut déjà parier que les CLSC ne recevront pas l'argent demandé. Picher dirait que c'est une solution trop archaïque . Les médias mènent depuis longtemps une vicieuse campagne pour ternir la réputation des CLSC, mais ne scrutent jamais la pratique des cliniques privées dont on a appris récemment qu'elles étaient, du moins dans la région de Hull, des championnes du 9 à 5, ce qui explique en bonne partie l'engorgement de l'urgence des hôpitaux de la région.

La solution Picher pour désengorger les listes d'attente des soins à domicile, c'est le recours à l'une des multiples agences privée ou déguisée en organisme d'économie sociale mises en place au cours des dernières années. Ça coûte évidemment des sous, mais les compagnies d'assurances, y compris Desjardins, nous informent depuis déjà un certain temps qu'il est possible de se prémunir contre ce risque moyennant une prime supplémentaire.

Les véritables gagnants

La logique de l'ajout continuel de nouvelles primes d'assurances privées pour couvrir la désassurance du secteur public est toute tracée. L'argument sera utilisé pour convaincre la classe moyenne de réclamer des baisses d'impôt et d'accepter des compressions dans un système public qu'elle utilisera de moins en moins. Au bout du compte, le système sera gagnant-gagnant pour l'élite qui aura son système privé et les compagnies d'assurances qui feront leur beurre. La grande majorité de la population, y compris la classe moyenne, en sortira perdante.

Si Claude Picher oublie de parler des compagnies d'assurances, ce n'est pas anodin. Son patron, Paul Desmarais de Power Corporation, est également propriétaire de la compagnie d'assurances Great-West qui a fusionné il y a quelques années avec la London Life pour former la plus importante compagnie d'assurances au Canada.

On comprend pourquoi Power a intérêt à ce que se poursuive le chaos dans les soins de santé, que ses journaux en rendent compte sur une base quotidienne et que ses chroniqueurs à la Picher proposent la solution qui va de soi 0 la privatisation.

Au début de son premier mandat, le président Clinton a voulu transformer le système de santé américain sur le modèle canadien. Il avait l'appui des 40 millions d'Américains qui n'ont aucune assurance, de la classe moyenne qui paie une fortune en assurances privées et de plusieurs grandes entreprises comme General Motors et Ford qui avaient intérêt à remplacer leur système privé par un régime public. Le puissant lobby des richissimes compagnies d'assurances a fait échouer le projet. Aujourd'hui, ces mêmes compagnies d'assurances et leurs alliées canadiennes sont en train de remodeler notre système de santé sur le système américain.|188| 
681|De l'État-Providence à l'État néolibéral|Pierre Dubuc| L'an 2000, l'An zéro, période charnière entre deux siècles, le XXe siècle qu'on vient d'enterrer et le XXIe dont les experts nous disent qu'il ne commence qu'en 2001 ! Occasion rêvée pour faire le bilan du siècle passé, en tirer des leçons et jeter les bases d'un projet pour le siècle à venir. Avec, comme outil principal, le livre d'Éric J. Hobsbawm, L'Âge des extrêmes, Le court XXe siècle, 1914-1991. Tel est l'objet de cette chronique.

Dans la précédente chronique de l'An zéro (l'aut' journal no 187), nous avons vu comment la domination totale des États-Unis, les politiques de reconstruction de l'Europe et du Japon pour contrer le bloc de l'Est et l'adoption de mesures keynésiennes dans les pays capitalistes dans le cadre de la collaboration entre les représentants du Capital et du Travail, ont été à l'origine de trente années de prospérité économique, les Trente Glorieuses.

Cependant, cette prospérité était minée lentement mais sûrement. À partir des années 1960, le taux de profit des entreprises se met à chuter et le taux de chômage à augmenter. Comme le souligne Hobsbawm, le cycle de prospérité se termine avec le choc pétrolier de 1973 alors que la production industrielle mondiale diminue de 10% en un an et le commerce international de 13%. Les profits des entreprises sont en chute libre, sauf, bien entendu, ceux des pétrolières. La croissance reprend par la suite, mais est interrompue par de profonds marasmes en 1974-1975, en 1980-1982 et à la fin des années 1980.

Au cours de cette décennie, inflation et chômage se côtoient pour donner la stagflation. Les mesures keynésiennes ne parviennent plus à relancer l'économie et ne provoquent que endettement de l'État. La classe dirigeante est à la recherche d'une autre solution 0 ce sera le néolibéralisme. Voyons comment il fut imposé.

Au début des années 1970, la domination économique américaine, sans partage, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, est contestée par l'Europe et le Japon dont les marchandises se vendent moins cher sur les marchés américain et mondial.

Les mesures Nixon et le choc pétrolier

L'administration Nixon riposte par une action unilatérale qui va modifier considérablement les relations entre pays capitalistes issues de la Deuxième Guerre mondiale. En 1971, Nixon abandonne la convertibilité du dollar en or et, avec elle, disparaît la stabilité du système international des paiements. Puis, il impose une surtaxe de 10% sur les produits étrangers. Deux mesures qui auront pour conséquence de diminuer le prix des produits américains à l'étranger et d'augmenter le prix des importations aux États-Unis.

Les contradictions vont également s'intensifier avec le choc pétrolier de 1973 et l'augmentation vertigineuse du prix du pétrole. Les pays arabes producteurs de pétrole ripostent au soutien unilatéral apporté par l'administration Nixon à Israël lors de la guerre du Yum Kippour et profitent de l'affaiblissement de la puissance américaine embourbée au Viet-nam. Par la suite, la grande majorité des pays du tiers-monde emboîtent le pas pour exiger le relèvement du prix des matières premières, tout en revendiquant à l'ONU et dans d'autres instances internationales un Nouvel Ordre économique international.

Ces politiques de l'administration Nixon sont prises sans consultation avec les puissances alliées des États-Unis dans le cadre de la politique d'endiguement (containment) de l'URSS. Elles déclenchent une crise mondiale entre les États-Unis et ses partenaires, mais également au sein de la classe dirigeante américaine. Nixon se portait à la défense des intérêts des industriels américains, bousculés par la concurrence européenne et japonaise sur le marché américain; mais il allait à l'encontre des intérêts des multinationales américaines et, surtout, ébranlait la coalition occidentale mise sur pied pour endiguer l'influence de l'URSS.

La création de la Trilatérale

Staline avait écrit quelque temps avant sa mort dans Problèmes économiques de la construction du socialisme en URSS que les contradictions ne manqueraient pas de se développer entre les Etats-Unis et ses alliés japonais et allemand, en soulignant que l'URSS pourrait éventuellement tirer profit de ces fissures au sein du camp occidental.

Les éléments les plus perspicaces de la bourgeoisie américaine étaient évidemment conscients de cette perspective et le choc nixonien déclencha un branle-bas de combat. La famille Rockefeller voit d'un très mauvais œil le développement des contradictions avec l'Europe et le Japon, mais également avec l'ensemble des pays du tiers-monde. De plus, les Rockefeller désapprouvent la politique nixonienne d'appui unilatéral à Israël au Moyen-Orient où ils ont d'immenses intérêts pétroliers et sont plutôt favorables à une politique plus équilibrée d'alliances, particulièrement avec l'Arabie Saoudite. Tout cela dans un contexte où, aux Etats-Unis même, le mouvement d'opposition à la guerre du Viet-Nam fait rage.

La famille Rockefeller prend alors l'initiative de former une organisation semi-secrète ayant pour objectif la coordination, sous le leadership américain, des activités des capitalistes des trois régions géographiques clés du capitalisme mondial 0 l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon. Le nom de la future organisation, la Commission Trilatérale, va refléter cette caractéristique fondamentale (voir encadré p. 12).

Déjà, une organisation similaire existait depuis la fin de la Deuxième Guerre, la Bilderberg, créée par le Prince Bernard des Pays-Bas et regroupant les principaux éléments de la classe dirigeante d'Europe et des Etats-Unis, mais d'où étaient exclus les Japonais.

C'est principalement pour combler cette lacune qu'est créée la Trilatérale. Rockefeller veut d'une part empêcher à tout prix l'aiguisement des contradictions entre le Japon et les Etats-Unis et cherche d'autre part à utiliser l'influence du Japon, dont les relations commerciales avec l'URSS sont réduites, pour contrer l'ouverture à l'Est, l'ostpolitique, des pays européens.

Les dessous du Watergate

L'opposition entre Nixon et la Trilatérale refléte les divergences entre les deux principaux groupes d'intérêt de la classe dirigeante américaine, divergences qui ont marqué l'histoire de la politique américaine au cours des trente dernières années. La Trilatérale représente principalement les intérêts des groupes capitalistes de la Côte est et du Midwest, alors que l'autre regroupement comprend surtout des intérêts du sud (Sunbelt) et de la Californie, au sein duquel on retrouve le complexe militaro-industriel et la mafia de Las Vegas. Nixon, rappelons-le, venait de la Californie.

La lutte entre les deux groupes pour déterminer la politique américaine a souvent pris des allures violentes. Comme le suggère le film d'Oliver Stone sur Kennedy et plusieurs autres ouvrages publiés aux Etats-Unis, il est permis de croire que le groupe de la Sunbelt est responsable de l'assassinat de John Kennedy, mais aussi de son frère Bob, à Dallas et à Los Angeles, en plein territoire des intérêts opposés à ceux de la Côte Est que représentent les Kennedy.

La riposte va survenir avec l'assassinat politique de Richard Nixon lors du Watergate, dans lequel trempe la CIA. Soulignons que Nixon avait essayé d'arracher la CIA au contrôle des Rockefeller. Depuis sa création, la CIA était une chasse-gardée des Rockefeller. La grande majorité de ses directeurs, depuis Allen Dulles, provenaient du Council on Foreign Relations, une organisation contrôlée par les Rockefeller.

Nixon avait forcé le directeur Jesse Helms à démissionner et avait nommé un intrus, James Schlesinger, avec pour mission de faire le ménage. En même temps, on coula dans les médias certaines informations sur le rôle de la CIA et d'ITT au Chili pour la discréditer temporairement.

Le Washington Post et les journaux de la Côte Est discréditent à ce point Nixon avec le Watergate qu'il doit remettre sa démission en août 1974 pour éviter la destitution. Pour ne pas qu'il soit remplacé par le vice-président Spiro Agnew, un anti-Rockefeller, on entraîne celui-ci dans un scandale qui le force à démissionner. Il est remplacé par Gerald Ford, un membre de la Trilatérale qui succède à Nixon, avec à la vice-présidence Nelson Rockefeller, dont un des premiers mandats est de reprendre le contrôle sur la CIA ! Il faut souligner que Gerald Ford est le premier président américain à effectuer une visite au Japon, répondant ainsi à un des principaux objectifs de la Trilatérale.

Jimmy Carter, le président de la Trilatérale

Après le scandale du Watergate, il est évident que les Républicains ne peuvent plus diriger le pays. Un changement est nécessaire. La Trilatérale le prépare soigneusement lors de l'élection présidentielle de 1976, en moussant la candidature d'un de ses membres fondateurs, Jimmy Carter, l'ancien gouverneur de la Georgie. Alors qu'il était encore gouverneur, Carter avait démontré qu'il partageait l'orientation de la Trilatérale en ouvrant des bureaux de la Georgie en Europe de l'Est et au Japon.

Ford est discrédité par les médias qui le présentent comme un bouffon maladroit incapable de marcher en mâchant de la gomme et Carter est élu. Dans son cabinet, on dénombre vingt membres de la Trilatérale dont le vice-président Walter Mondale, le secrétaire à la défense Brown, le secrétaire du trésor Blumenthal et surtout le conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, qui avait été la cheville ouvrière de la mise sur pied de la Trilatérale et son premier directeur.

Mais l'administration Carter ne parvient pas à solutionner les problèmes de l'économie américaine. Un important réseau de lobbys mis sur pied par les intérêts opposés à ceux de la Trilatérale, du Council on Foreign Relations et du Brookings Institute réussit à bloquer au Congrès la plupart des politiques du président Carter.

En politique internationale, Carter met sur pied une recommandation de la Trilatérale, le Sommet des pays industrialisés d'Amérique du Nord, d'Europe et du Japon, le G-7. Mais, en 1979, la Révolution iranienne provoque un nouveau choc pétrolier et la prise d'otages à l'ambassade des Etats-Unis finit par discréditer totalement Carter qui perd l'élection de 1980 devant Ronald Reagan. Les otages furent libérés au lendemain de l'élection accréditant la thèse qu'il y avait eu entente entre Oliver North, le représentant de Reagan, l'Iran et Israël. C'est ce qu'on appela l'Irangate.

Avant de quitter la présidence, Jimmy Carter prend une décision qui marquera les années 1980. Il nommera Paul Volcker, un banquier de la Chase Manhattan Bank des Rockefeller et membre de la Trilatérale, à la tête de la Réserve fédérale américaine, la banque centrale des Etats-Unis. (voir encadré)

Les années Reagan

Ancien gouverneur de la Californie, Ronald Reagan représente sensiblement les mêmes intérêts de la Sunbelt que Nixon et du courant néolibéral qui s'est développé aux Etats-Unis (voir encadré). Dans la course à la chefferie, il avait eu le meilleur sur George Bush, un membre de la Trilatérale.

Au congrès de nomination, la Trilatérale a cherché à imposer l'ancien président Gerald Ford, membre de la Trilatérale, comme co-listier de Reagan sur le ticket républicain. De plus, alors que le poste de vice-président aux Etats-Unis est insignifiant politiquement, on a voulu lui accorder des pouvoirs en matières économique et de politique étrangère. Kissinger, un ancien employé des Rockefeller, qui fit partie du gouvernement Nixon mais n'eut rien à voir avec ses politiques économiques, s'affaira à cette tâche avec Allen Greenspan, aujourd'hui directeur de la Réserve fédérale. Mais la manoeuvre échoua et Bush fut nommé vice-président.

Une fois élu, Reagan applique les mêmes recettes que la Dame de fer en Angleterre (voir encadré). Il cherche à casser les reins au mouvement syndical en licenciant les contrôleurs aériens de Patco en grève et déréglemente les principaux secteurs économiques 0 avion, chemins de fer, transport, téléphonie, électricité, secteurs financiers, santé et éducation.

Sur la scène internationale, il relance la guerre froide avec l'URSS, soutient les combattants de la liberté en Afghanistan et en Amérique centrale, avant d'envahir la Grenade. Mais surtout, il lance l'Initiative de défense stratégique, communément appelée la Guerre des Étoiles, ce qui se traduisit par une augmentation exponentielle des dépenses militaires pour le plus grand bonheur du complexe militaro-industriel.

Reagan agit de façon unilatérale à l'égard des alliés des Etats-Unis et le G-7 en est réduit à un exercice de figuration. La politique de taux d'intérêts élevés draine aux Etats-Unis les capitaux de la planète pour financer l'effort militaire et le dollar, gonflé à bloc, entraîne un déficit record de la balance commerciale qui quintuple en dix ans.

Les membres de la Trilatérale sont en désaccord avec la politique économique de Reagan et ce n'est peut-être pas un hasard si celui-ci est victime d'un attentat le jour même où il doit rencontrer les membres de la Commission !

Progressivement, la Trilatérale réussit à imposer ses membres dans l'administration Reagan avec la nomination de George Schultz au département d'État, de Frank Carlucci à la Défense et, surtout, de James Baker au Trésor.

Baker impose la nécessité d'une coordination des politiques avec les pays alliés, particulièrement au sein du G-7. On procède à un réalignement des monnaies, une dévaluation du dollar et une diminution du déficit commercial américain. Le Japon fut pressé de stimuler sa demande intérieure.

On dit que c'est James Baker qui est à l'origine de la politique de libre-échange avec le Canada. Ami intime de George Bush, de l'élection duquel il fut l'organisateur en chef en 1998, il est nommé par la suite secrétaire d'État.

Le triomphe de la pensée unique

En 1989, se produisit l'événement majeur qui allait transformer considérablement la politique mondiale 0 l'écroulement de l'Union soviétique. La Guerre froide était maintenant terminée. Pour la classe capitalite, le jugement est sans appel 0 le capitalisme venait de triompher définitivement du socialisme

L'impérialisme américain domine avec arrogance. Les peuples du monde n'ont qu'à bien se tenir - comme on le vit lors des guerres du Golfe et du Kosovo. Quant aux travailleurs et travailleuses, ils font face aux politiques néolibérales qui se sont imposées partout à travers le monde, si bien qu'on peut maintenant parler d'un discours unique partagé par les différents partis politiques.

Les mesures keynésiennes, mises en place au lendemain de la guerre pour contrer l'influence soviétique et endormir le mouvement ouvrier, n'ont plus leur raison d'être. Le retour au capitalisme du XIXe siècle va de soi, le socialisme n'ayant été qu'un mauvais rêve. C'est le retour au business as usual. Avec, en fond de scène, le spectre d'une grande crise économique mondiale.

Friedrich von Hayek et Milton Friedman

Friedrich von Hayek est le théoricien de la pensée néolibérale. Il élabore ses théories au lendemain de la Première Guerre mondiale à Vienne, en Autriche. En 1923, il étudie à New York, puis retourne à Vienne, avant d'être invité en 1931 au London School of Economics. Il publie en 1946 La Route de la servitude, dont un résumé est publié dans le Reader's Digest.

La théorie centrale de Hayek est qu'il est impossible de planifier l'économie, le centre ne disposant jamais d'assez d'informations pour prendre une décision. Dans ces conditions, il ne reste qu'à s'en remettre au marché en postulant que les décisions individuelles prises par les millions d'agents économiques en fonction de leurs intérêts particuliers représentera l'intérêt collectif

Hayek dénoncera la théorie de Keynes (1) en disant qu'elle allait institutionnaliser l'inflation si elle était appliquée. Dès le départ, il affirme que le keynésianisme n'est pas une théorie économique mais une théorie politique élaborée spécifiquement pour mettre un terme à la crise politique qui prévaut en Grande-Bretagne au lendemain de la Deuxième Guerre.

En 1950, on retrouve Hayek à l'Université de Chicago qu'il quitte en 1960 pour se rendre dans les Alpes où il avait fondé en 1947 la Société du Mont-Pèlerin. Déjà, à la fin des années 1950, on parle d'une école économique distincte de l'école keynésienne, une école plus préoccupée par le pouvoir du gouvernement que par celui des multinationales.

En 1974, Hayek atteint la célébrité en recevant, conjointement avec Gunnar Myrdal, le Prix Nobel d'économie, créé en 1969 et décerné par la Banque de Suède. On raconte que le prix ne lui fut octroyé que pour faire pendant au prix donné au keynésien Myrdal, une grande figure du socialisme suédois.

Milton Friedman et les Chicago Boys

En 1946, professeur à l'Université de Chicago, Milton Friedman effectue son premier voyage en Europe pour participer à un séminaire donné par Friedrich von Hayek dans le cadre des activités de la Société du Mont-Pèlerin.

Friedman publie en 1962 Capitalism and Freedom. Il est conseiller économique du candidat Barry Goldwater à l'élection présidentielle de 1964.

Après le coup d'État au Chili en 1973, Friedman et les Chicago Boys conseillent le gouvernement du Général Pinochet et expérimentent leurs théories économiques. Ils mettent en vigueur la libéralisation des prix, du commerce et des activités du secteur financier. Les privatisations vont bon train, au point où, de 1973 à 1980, le nombre d'entreprises d'État passe de 500 à 25.

En 1980, Friedman abandonne l'enseignement et est embauché par le Hoover Institute, ce qui lui assure un lien direct avec le président Reagan et ses conseillers.

L'idéologie économique dominante

Les travaux de Hayek et Friedman ont déplacé le centre de gravité de la pensée économique du keynésianisme au néolibéralisme. Depuis 1974, huit professeurs de l'Université de Chicago et onze autres associés aux travaux de cette université ont gagné le Prix Nobel d'économie.

Les innombrables instituts de recherche, grassement subventionnés par le patronat, dont ils ont inspiré la mise sur pied dans différents pays, ont imposé mondialement l'idéologie néolibérale dans l'opinion publique.

Ses grands principes nous sont aujourd'hui bien connus 0 les problèmes économiques découlent non pas de l'action des entreprises mais de celle du gouvernement. L'inflation est causée par les déficits gouvernementaux et non par les profits des entreprises. La faiblesse de la croissance découle non de la surcapacité de production et de la faiblesse de la demande, mais de la réglementation gouvernementale et des salaires trop élevés.

(1) Pour une explication de la théorie de Keynes, voir l'aut' journal no 187.

La Commission Trilatérale

À l'origine de la Trilatérale, on retrouve le Council on Foreign Relations (CFR), une institution clé sur la scène politique américaine. Créé en 1921, au lendemain de la Première Guerre mondiale, par l'empire J.P. Morgan qui, déclinant, à la fin des années 1940, entre dans une alliance économique avec la famille Rockefeller.

Au cours des décennies suivantes, le CFR est le vivier des hommes qui détiendront les postes clefs de la politique étrangère au sein de l'administration américaine. Plus de 45% de ceux qui ont occupé ces postes ont fait leurs classes au CFR, avec un sommet de 57% sous Johnson, mais seulement un tiers sous Nixon.

Liés au CFR, on retrouve deux autres organismes importants, le Brookings Institute et la Ford Foundation. Fondé en 1916, le Brookings Institute a, par exemple, défini les politiques domestiques et de commerce international de l'administration Kennedy. Quant à la Ford Foundation, elle a financé à hauteur de 500 000 $ la création de la Trilatérale, la famille Rockefeller avançant un autre 150 000 $.

La Trilatérale a été mise sur pied pour coordonner les activités des classes dirigeantes de l'Amérique du Nord, de l'Europe et du Japon dans le contexte de la Guerre froide. Son membership était de 190 membres en 1975, de 320 en 1986.

Sont représentés les intérêts des transnationales, des grandes familles capitalistes, des banques et des institutions financières. Au milieu des années 1980, les deux tiers des plus grosses entreprises y siègent.

Le capital national n'en fait pas partie, il y a peu de représentants du complexe militaro-industriel et le tiers-monde est absent.

Sauf au cours des premières années de l'administration Reagan, l'ordre du jour des réunions du G-7 était le même que celui de la Trilatérale. La Trilatérale est évidemment très influente au sein de la Banque mondiale, du FMI, de l'OCDE et de l'OMC. Le dirigeant de l'OTAN, Lord Carrington, vient de la Trilatérale.

La section canadienne

Depuis 1991, la section canadienne est présidée par Allan Gotlieb, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis et conseiller chez Burson-Marsteller, la plus grosse firme de relations publiques et de lobbying,

On compte treize membres canadiens au sein de la Trilatérale dont Conrad Black, Paul Desmarais, Jacques Bougie de l'Alcan, Mickey Cohen de Molson, et Yves Fortier. Cet ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis était le procureur du Canada dans la cause des trois questions soumises par le gouvernement du Canada à la Cour suprême à propos de la question du Québec et au centre des mesures quasi martiales en vigueur à Parthenais lors des procès liés aux Événements d'Octobre 1970.

Le rôle clé de la Réserve fédérale américaine

Paul Volcker venait de la Chase Manhattan Bank, propriété des Rockefeller, et était reconnu pour sa participation à la Bilderberg et à la Trilatérale. Il est nommé à la tête de la Réserve fédérale américaine avec pour mandat de casser l'inflation découlant des dépenses militaires astronomiques et des politiques expansionnistes.

Si l'inflation bénéficie à la classe moyenne propriétaire d'une maison dont l'évaluation augmente en même temps que baissent les paiements d'hypothèque, elle est l'ennemi des 10% des familles américaines qui possèdent 86% des avoir financiers du pays. De plus, l'inflation provoque la chute du dollar américain et déprécie d'autant les prêts des banques américaines à l'étranger.

Volcker, qui avait eu des disciples de Hayek comme professeurs à Princeton, était, comme l'était devenue au début des années 1980 l'élite économique américaine, partisan des dogmes monétaristes des Chicago Boys de Milton Friedman. Leur credo est que, pour casser l'inflation, il faut réduire l'émission d'argent par la Réserve fédérale et ralentir l'économie par la hausse des taux d'intérêts. En quelques années, les taux atteignent 20% et l'économie américaine entre en récession.

La Réserve fédérale venait de tourner les tables. On passe d'un marché d'emprunteurs à un marché de prêteurs. Les petites banques Savings & Loans, dont le portefeuille est garni de prêts hypothécaires, sont acculées à la faillite. Le dollar US atteint de nouveaux sommets et, de 1981 à 1983, les importations de produits manufacturiers augmentent de 55% et les exportations baissent de 19%. La production industrielle chute de 12%. Les patrons demandent des concessions à leurs ouvriers ou déménagent dans le tiers-monde. Les détenteurs de capitaux liquident leurs avoirs industriels et commencent à se lancer dans la spéculation financière.

L'étranglement du tiers-monde

En 1980, les banques américaines détiennent 40% de la dette des pays du tiers-monde et la flambée des taux d'intérêts leur assure de juteux revenus. Lorsque des pays comme le Mexique se retrouvent en faillite technique, la Réserve fédérale, qui avait observé sans réagir la faillite de géants industriels, se porte immédiatement à la rescousse des banques en difficulté.

Elle force les petites banques à venir en aide aux grosses, met à contribution les payeurs de taxes d'autres pays en faisant appel au FMI et à la Banque mondiale et se porte à la rescousse d'institutions comme la Continental Illinois Bank en la nationalisant purement et simplement pour lui éviter la banqueroute.

Lorsque Volcker est remplacé par Allen Greenspan, l'actuel président de la Réserve fédérale, la même politique est poursuivie. Volcker est aujourd'hui responsable de la Trilatérale pour l'Amérique du Nord et siège, entre autres, sur le conseil d'administration de Power Corporation de Paul Desmarais. Aussi, n'est-il pas surprenant que la Banque centrale du Canada ait suivi servilement les politiques de la Réserve fédérale américaine au cours des dernières décennies.

Les organisations de la droite républicaine américaine

Au cours des années 1970, l'industrie américaine est frappée par la concurrence étrangère. Des secteurs comme la construction et l'acier sont particulièrement touchés. Pour infléchir les politiques gouvernementales et contrer l'influence prépondérante des secteurs financiers tels ceux de la famille Rockefeller, ils décident, en 1973, de créer un regroupement patronal0 le Business Roundtable.

Parallèlement à cela se mettent sur pied des think tanks, des instituts de recherche de droite. Irving Kristol, un ancien trotskiste devenu columnist au Wall Street Journal est particulièrement actif en ce domaine. Dans ses articles, il s'en prend à toutes les institutions liées au groupe des Rockefeller et des financiers de la Côte Est0 le Council on Foreign Affairs, le Brookings Institute, la Ford Foundation, le New York Times et le Washington Post, les départements de sciences sociales des universités Harvard et Yale.

L'American Enterprise Institute et le Heritage Foundation

Deux instituts de recherche fondées à cette époque joueront un rôle clé dans la diffusion du néolibéralisme0 l'Americain Enterprise Institute (AEI) et le Heritage Foundation. L'AEI recrute dans ses rangs Milton Friedman et son budget atteindra 9,7 millions $ en 1980, soit un demi-million de plus que le Brookings Institute. Six cents corporations contribuent financièrement à l'AEI. Il conseille Nixon dans les années 1970 et après l'élection de Reagan en 1980, trente de ses membres se joignent à son administration.

Fondé en 1973, le Heritage Foundation a spécifiquement pour objectif de faire contrepoids au Brookings Institute. Il est financé dès le départ par le brasseur de bière Joseph Coors et Richard Mellon Scaife, l'héritier de la fortune des Mellon. Ce dernier injecte en huit ans 3,8 millions $ dans la fondation. En 1985, le budget de l'Heritage Foundation se compare avantageusement à celui du Brookings Institute et de l'AEI.

La croissance des lobbies

En même temps que plusieurs autres instituts du même genre sont créés, se développent une série de lobbies patronaux chargés d'intervenir auprès du Congrès pour bloquer toute législation hostile au patronat. Leur croissance est phénoménale. En 1971, 175 entreprises ont des lobbies enregistrés à Washington; en 1982, il y en a 2 445! En 1978, le monde des affaires a dépensé deux milliards en activités de lobbying à Washington.

Ces différents lobbies réussissent à bloquer la plupart des politiques progressistes proposées par Jimmy Carter. Il en va de même sous Bill Clinton, particulièrement lorsque ce dernier tente, au début de sa présidence, d'introduire un système de santé public copié sur le modèle canadien.

Ces groupements, en lien avec les groupes religieux conservateurs, réussissent à prendre le contrôle du parti républicain et, surtout, à imposer l'idéologie néolibérale comme idéologie dominante aux États-Unis.

Même le Brookings Institute s'est mis à produire des études favorables à la déréglementation et, en 1979, la Ford Foundation change d'orientation et défend certaines de ces mêmes idées conservatrices. Le New York Times et le Washington Post ne sont pas devenus les porte-parole du Business Roundtable ou du Heritage Foundation, mais ils ont démontré qu'ils pouvaient être intimidés par les pressions exercées par les grandes corporations, comme Mobil Oil ou Proctor and Gamble qui ont créé le Media Institute pour surveiller la couverture du milieu des affaires par les grands médias.

Hayek et la Dame de fer

Si les idées du théoricien néolibéral Friedrich Von Hayek sont devenues les dogmes des gouvernements à travers le monde, le mérite en revient d'abord et avant tout à Keith Joseph, ministre du gouvernement Thatcher, à propos duquel la Dame de fer a déclaré qu'elle n'aurait rien accompli sans lui.

L'année 1973 avait été une annus horribilis pour la bourgeoisie anglaise. Au choc pétrolier s'ajoutait une grève des charbonnages. L'inflation était à 15%. C'est à ce moment-là que Keith Joseph, qui avait été ministre dans le gouvernement Heath, décide de mettre sur pied un think tank de droite, l'Institute of Economic Affairs (IEA) pour donner une tribune à Friedrich von Hayek et Milton Friedman. Ce dernier déclarera plus tard que, sans l'IEA, il n'y aurait pas eu de révolution thatchérienne.

À cet institut plutôt académique, K. Joseph jumelle le Centre for Policy Studies (CPS) en lui donnant pour mission de convertir le Parti conservateur aux idées néolibérales. Il nomme, à la vice-présidence du CPS, Mme Thatcher qui avait rencontré Hayek et connaissait fort bien ses oeuvres.

Hayek à l'étude

Élue en 1970, Thatcher nomme K. Joseph secrétaire d'État à l'Industrie et ce dernier oblige tous les fonctionnaires de son ministère à se mettre à l'étude des ouvrages de Hayek.

Dès son élection, le gouvernement Thatcher entreprend son programmes de coupures sauvages dans le contexte d'un nouveau choc pétrolier. Sa cote de popularité dans les sondages tombe à 23% et ce n'est qu'en attisant le chauvinisme avec la guerre des Malouines qu'elle réussit à rétablir sa popularité et à se faire élire à la faveur d'un raz-de-marée en 1983.

Thatcher et Joseph avaient identifié deux obstacles majeurs à la mise en application de leur politique 0 les monopoles étatiques et le monopole syndical. Forte de leur nouvelle majorité, Thatcher et Joseph s'attaquent au monopole syndical lors de la célèbre grève des mineurs dirigée par Arthur Scargill en mars 1984. Un an plus tard, le syndicat des mineurs doit reconnaître sa défaite. Un indice de l'ampleur de la défaite du mouvement ouvrier 0 en 1979, pour chaque 1 000 travailleurs, il s'était perdu 1 274 jours de travail à cause de la grève. En 1990, ce nombre n'était plus que de 108.

À la tête du ministère de l'Industrie, K. Joseph s'attaque aux monopoles en privatisant le pétrole, le gaz, les aéroports, le téléphone, l'électricité, l'eau, etc. En fait, c'est Keith Joseph qui invente le mot privatisation parce qu'il croyait que le mot dénationalisation aurait une connotation trop négative.|188| 
682|Le patronat canadien et la Trilatérale|Pierre Dubuc| Bien que l'objectif principal de la Trilatérale ait été de raffermir les liens des Etats-Unis avec l'Europe et le Japon, le Canada était aussi un sujet de préoccupation pour le groupe des Rockefeller.

En effet, dans le contexte de la flambée des prix du pétrole en 1973, le gouvernement Trudeau cherche à profiter des immenses ressources pétrolières du Canada pour affermir son indépendance économique et politique à l'égard des Etats-Unis. Une nouvelle politique énergétique est votée pour faire profiter l'industrie canadienne concentrée en Ontario de l'abondance du pétrole à bas prix des provinces de l'Ouest et on resserre le contrôle sur les investissements étrangers.

Dans la continuité de ce que fut la National Policy de John A. Macdonald, la classe dirigeante canadienne cherche à contrer l'attrait des relations économiques nord-sud au profit de l'axe historique Montréal-Toronto.

La balkanisation du Canada

Les Etats-Unis voient au contraire leur intérêt dans la balkanisation du Canada et les monopoles américains du pétrole et des ressources naturelles soutiennent les revendications de souveraineté provinciale sur le pétrole du gouvernement de Peter Lougheed de l'Alberta. En 1973, David Rockefeller affirme même, lors d'un voyage au Canada, qu'il reconnaît le fait français au Québec, ce qui est interprété comme un soutien possible au projet souverainiste.

La chute du prix du pétrole en 1983 marque la fin des velléités d'indépendance de la classe dirigeante du Canada. Elle opère un virage à 180 degrés et se rallie au projet de libre-échange mis de l'avant par les Américains. Trudeau démissionne, sa mission de mater le Québec était accomplie avec sa victoire au référendum de 1980 et le rapatriement de la Constitution.

Brian Mulroney, ex-président d'une compagnie de ressources naturelles, ancien employé de Conrad Black, mène à terme le projet d'intégration économique du Canada avec les Etats-Unis et applique au Canada les politiques économiques de Reagan.

Le Business Council on National Issues

Pour comprendre ces transformations, il faut remonter à 1976 alors que fut créé le Business Council on National Issues (BCNI) sur le modèle du Business Roundtable aux Etats-Unis. L'initiative en revient à W.O Twaits d'Imperial Oil et Alfred Powis de Noranda.

Le BCNI est le conseil du patronat du Canada. Il regroupe les principales corporations du pays et son président, depuis 1980, est Tom d'Aquino, sans doute l'homme le plus influent au Canada. Le BCNI est ni plus ni moins que la branche canadienne de la Trilatérale.

Le BCNI a dépensé des millions par le biais de l'Alliance for Trade and Job Opportunities, dirigée par Peter Lougheed, Donald MacDonald et David Culver de l'Alcan, pour assurer le triomphe de Mulroney lors de l'élection portant sur le libre-échange.

Le BCNI a également réussi à imposer son programme de déréglementation des prix du gaz et du pétrole, de baisse des taxes fédérales aux entreprises et le remplacement des subventions aux corporations par des déductions fiscales moins voyantes. Il a aussi à son crédit l'introduction de la TPS et la psychose de la dette qui a servi de prétexte aux compressions budgétaires des dernières années. En somme, le BCNI programme le démantèlement de l'État-Providence et son remplacement par l'État néolibéral. Cela apparaît clairement avec l'exemple du Fraser Institute.

Le Fraser Institute

Le fondateur du BCNI, Alfred Powis de Noranda est à l'origine du Fraser Institute, le principal think tank néolibéral au Canada. Son fondateur, Michael Walker, est un partenaire de racketball de Milton Friedman et il a des liens avec la Société du Mont-Pèlerin.

En 1996, le Fraser Institute se vantait que 3 108 références à ses recherches se retrouvaient dans les médias. Ce n'est pas surprenant lorsqu'on voit que des gens comme Barbara Amiel, l'épouse de Conrad Black, ont siégé sur le conseil d'administration de l'institut.

Du keynésiasnisme au néolibéralisme

Aujourd'hui, la classe dirigeante canadienne, particulièrement le secteur financier et celui des ressources naturelles, est à ce point intégrée à la bourgeoisie américaine qu'elle commence à considérer l'adoption du dollar américain comme monnaie nationale du Canada.

Autrefois partisane du keynésianisme, la classe dirigeante canadienne complète aujourd'hui son alignement sur les positions néolibérales.

Bibliographie

1. Hobsbawm, L'Âge des extrêmes

2. Michel Bernard, L'utopie néolibérale, Éditions du renouveau québécois, 1997, 318p.

3. Daniel Yergin et Joseph Stanislaw, The Commanding Heights, Simon & Schuster, 1998, 457p.

4. Stephen Gill, America Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge University Press, 1990, 295 p.

5. William Greider, Secrets of the Temple, How the Federal Reserve Runs The Country. Simon & Schuster, 1987, 800p.

6. John B. Judis, The Paradox of American Democracy, Pantheon Books, NY, 2000, 305 p.

7. Murray Dobbin, The myth of the Good Corporate Citizen, Stoddart, 1998, 330 p.

8. Tony Clarke, Silent Coup, CCPA, 1997, 273 p.|188| 
683|Une tribune et un colloque sur l'unité de la gauche politique et des forces progressistes 26 et 27 mai à Montréal|Paul Cliche| Tout indique jusqu'ici qu'il marquera un temps fort, et peut-être le début d'une ère nouvelle, dans l'aplanissement des relations entre les partis et les organisations de gauche sur le front politique; ainsi que dans le développement de liens entre ces derniers et les groupes communautaires, les associations populaires et les syndicats qui, dans notre milieu, représentent les forces progressistes sur le front social.

Survenant quelques semaines après le congrès du Parti québécois, il sera certes l'un des principaux événements qui attireront l'attention sur la scène publique ce printemps.

Organisé par le Rassemblement pour l'alternative politique (RAP), le colloque se déroulera sous le thème 0 Face au néolibéralisme, un projet de société alternatif 0 la nécessité de l'unité de la gauche politique et des forces progressistes . Il visera quatre objectifs0 offrir une tribune à toutes les forces progressistes du Québec; favoriser l'unité de la gauche politique et des forces progressistes dans le but de définir un projet de société; discuter du contenu et de la forme de l'unité de la gauche politique; définir les rapports entre les forces progressistes et la gauche politique.

L'événement, qui aura lieu dans la salle Marie-Gérin-Lajoie du campus de l'UQAM, débutera dans la soirée de vendredi le 26 mai. La séance d'ouverture permettra d'entendre cinq courtes conférences prononcées par des personnalités venant de milieux progressistes0 Michel Chartrand, qui a été de tous les combats sociaux et politiques depuis plus de 60 ans, est certes le mieux placé pour tracer un historique de la Gauche québécoise. Il parlera aussi de sa campagne actuelle en faveur de la Pauvreté zéro, et de l'instauration d'un revenu de citoyenneté1. Michel Chossudovsky, professeur en économie politique à l'université McGill, auteur2 et collaborateur au Monde diplomatique, fera une communication sur la politique internationale suite à la guerre du Kosovo et aux manifestations de Seattle. Josée Legault, analyste politique et auteure3 bien connue pour ses convictions souverainistes, parlera notamment des conditions qui permettraient aux indépendantistes progressistes d'occuper la place qui leur revient sur l'échiquier politique. Lyle Stewart, chroniqueur à l'hebdomadaire Hour, émettra une opinion qu'il qualifie de  post-question nationale  en déplorant que les querelles interminables entre les camps souverainiste et fédéraliste continuent à diviser et à paralyser la gauche. Viendra s'ajouter prochainement le nom d'une représentante du mouvement féministe. Le colloque sera ouvert par une allocution de Jacqueline Hekpazo, membre du Comité de coordination national du RAP qui agit comme porte-parole de ce mouvement d'action politique en voie de se transformer en parti.

Tous les partis de gauche entendent participer

Le samedi 27 mai, l'ordre du jour du colloque prévoit la tenue de trois tables rondes. Deux se tiendront dans l'avant-midi, celle sur le projet de société alternatif et celle sur l'unité des forces progressistes auxquelles participeront les représentants de plusieurs organisations sociales et syndicales. En après-midi, la troisième sera consacrée à l'unité de la gauche politique alors que des représentants de chacune des organisations présentes seront invités à prendre la parole à tour de rôle, puis à répondre aux questions venant de la salle.

Une agréable surprise attendait les organisateurs du colloque lors d'une réunion tenue à Drummondville récemment. Ils y avaient invité des représentants de toutes les organisations politiques progressistes qu'ils connaissaient pour discuter de leur participation à la table ronde les concernant. Or, elles ont toutes répondu à l'invitation déléguant leurs principaux dirigeants.

Ainsi, fait sans précédent sinon historique, on a retrouvé, regroupés autour de la même table discutant pendant quelques heures dans un climat de complète harmonie avec les organisateurs du RAP, des représentants aussi bien du Parti de la démocratie socialiste (PDS), du Parti communiste du Québec (PCQ), du Parti marxiste-léniniste du Québec (PMLQ), du Bloc-pot que du Parti vert.

Les représentants du Nouveau parti démocratique (NPD), section Québec, ainsi que ceux du Rassemblement des citoyennes et citoyens de Montréal (RCM), qui n'avaient pu être rejoints, participeront à la prochaine réunion.

Vraiment, les mentalités ont évolué vite parce que ce genre de rencontre n'aurait pas été possible il y a peu de temps. Peut-on espérer que les partis de gauche ne présentent plus de candidat un contre l'autre, comme c'est encore arrivé aux dernières élections, et forment même une alliance lors des prochaines? Le déroulement du colloque de la fin mai devrait fournir une réponse à ce sujet.

Le colloque se clôturera, samedi soir le 27, par un spectacle enlevant au cours duquel on pourra entendre plusieurs artistes et groupes musicaux bien connus. Un dépliant d'information servant à l'inscription sera mis en circulation prochainement.

1 Lire à ce sujet le livre rédigé par M. Chartrand et le professeur Michel Bernard0 Manifeste pour un revenu de citoyenneté , publié aux Editions du renouveau québécois en novembre 1999.

2 M. Chossudovsky est notamment l'auteur du livre La Mondialisation de la pauvreté -La conséquence des réformes du FMI et de la Banque mondiale- publié aux Editions Ecosociété en l998.

3 Mme Legault est notamment l'auteure du livre Les nouveaux démons -Chroniques et analyses politiques,- publié chez VLB éditeur en l996. C'est un recueil des chroniques qu'elle a publiées dans Le Devoir. A noter qu'elle publie actuellement une chronique dans l'édition du samedi du quotidien The Gazette.|188| 
684|10 milliards $ pour combler le déficit social|Paul Rose|Pour la seule année 1999-2000, au Québec, nous avons payé aux deux paliers de gouvernement 20 milliards $ de plus en impôts et taxes qu'en 1993-1994 0 zéro $ est allé aux dépenses sociales, 20 milliards $ au paiement de la dette. En 2000-2001, avec le dernier budget Martin/Landry, le premier de l'après déficit zéro, une bonne partie des surplus accumulés sera engloutie dans une baisse accrue des impôts des mieux nantis, qui paient de moins en moins d'impôts, et ce au mépris des besoins urgents en services à la population.

Les investissements réels dans la santé et l'éducation sont des grenailles par rapport à l'ampleur des coupures des dernières années. Le reste n'est que prévisions et spéculations pour les trois ou quatre prochaines années 0 une nouvelle stratégie peu contraignante, nos ministres de la haute finance pouvant toujours s'abriter derrière les réalités changeantes pour modifier leur tir…

Dans la réalité concrète cependant, celle qui compte au quotidien, plus du quart des impôts et des taxes est gaspillé à payer les seuls intérêts sur la dette publique 0 cette année l'État québécois y consacrera plus de 7,5 milliards$. Un montant versé, sans autre question, dans les poches pleines d'une poignée de milliardaires de la planète.

L'autre option

Pourquoi alors, dans une perspective d'un projet de société foncièrement émancipateur et libérateur, ne pas cesser le paiement des intérêts sur la dette publique et le paiement de la dette tout court, sinon en viser l'annulation pure et simple? Ou, à tout le moins, déclarer un moratoire sur les paiements de la dette jusqu'à l'atteinte, par exemple, du plein emploi socialement partagé (diminution et partage du temps de travail sans perte de salaire)? Bref, cela permettrait d'utiliser cette part importante des revenus de l'État pour combler le déficit social, notamment par 0

• davantage de postes à temps plein et de meilleurs salaires dans le secteur public;

• l'équité salariale pour les femmes;

• de meilleurs soins aux malades et aux personnes âgées;

• un réseau élargi de garderies et des maisons de refuge pour les femmes victimes de violence;

• les équipements accrus dans nos institutions d'enseignement, plus de bourses et une véritable gratuité scolaire;

• de véritables programmes de création d'emploi pour les jeunes;

• des revenus décents, des logements sociaux et davantage de programmes de formation;

• un meilleur transport public;

• une véritable politique énergétique et de recyclage;

• une agriculture, des pêcheries et une foresterie durables.

Aux plans national et international

Dans le même sens, outre ce gel du paiement de la dette, les sommes nécessaires à la réalisation de ces objectifs pourraient être dégagées notamment en imposant davantage les profits des compagnies, en haussant la progressivité de l'impôt personnel, en imposant les successions et en taxant la consommation de luxe.

Dès maintenant, c'est au moins 10 milliards $ qui pourraient être dégagés et investis de toute urgence.

Ne serions-nous pas mieux équipés alors pour lutter contre le libre-échange imposé par l'ALÉNA et l'OMC, contre les intérêts des banques et contre la mondialisation de la dictature du capital financier? En d'autres mots, pour lutter pour le développement des droits collectifs fondamentaux des peuples en général et pour une véritable souveraineté du Québec nouée dans une mobilisation de libération nationale et d'émancipation sociale?

C'est un peu à toutes ces questions que tente de répondre le dépliant du Parti de la démocratie socialiste 10 milliards $ maintenant pour combler le déficit social lancé il y a déjà un an…|188| 
685|On donne congé à des élèves pour participer à un salon militaire au Stade olympique|Martin Petit| Le 29 mars, les forces armées canadiennes tenaient au Stade olympique une journée de relations publiques intitulée Opération 0 Honneur à notre communauté . Des autobus jaunes y ont amené des élèves d'écoles secondaires de la région de Montréal. L'auteur de cet article a pu se procurer auprès de certains d'entre eux une lettre rédigée par un professeur zélé invitant les parents à soutenir et encourager fortement cet événement excitant . Les élèves ont eu la permission de quitter leur école à partir de 10h30 à la seule condition de passer la journée à ce salon . Rappelons-nous que, tout récemment, les médias se sont déchaînés contre les professeurs qui sortaient une journée en grève pour réclamer un financement équitable de l'éducation.

L'auteur de cet article a pu se procurer auprès de certains d'entre eux une lettre rédigée par un professeur zélé invitant les parents à soutenir et encourager fortement cet événement excitant . Les élèves ont eu la permission de quitter leur école à partir de 10h30 à la seule condition de passer la journée à ce salon . Rappelons-nous que, tout récemment, les médias se sont déchaînés contre les professeurs qui sortaient une journée en grève pour réclamer un financement équitable de l'éducation.

L'armée en campagne

Si vous apercevez la page frontispice vert kaki du magasine L'Actualité de ce mois-ci, prenez le temps de jeter un coup d'œil sur l'article de Michel Vastel portant sur l'armée canadienne. Vous y constaterez que le gouvernement fédéral mène une large campagne médiatique afin de redorer le blason de l'armée.

Les journées portes ouvertes figurent dans le programme de cette campagne. Planifiées pour le 22 mars à Toronto et le 29 mars à Montréal, ces événements visent non seulement à recruter de futurs soldats mais également à présenter les activités militaires canadiennes comme étant légitimes et allant de soi.

Bien entendu, tout le monde était invité à participer à ces événements gratuits. À Montréal, l'armée a transformé un espace du Stade olympique en lieu de pèlerinage pour les amoureux des forces armées. Dans une atmosphère de lumières tamisées et d'habitations camouflées, on pouvait y admirer un avion d'entraînement, quelques véhicules militaires, un char d'assaut dont on pouvait visiter l'intérieur, des armes sophistiquées et d'autres équipements accessibles fièrement utilisés par nos valeureux soldats.

Un kiosque proposait même un maquillage de camouflage gratuit semblable à celui que porte la femme en couverture de l'Actualité. On comprendra que le gouvernement fédéral doit maintenant justifier les quelques 2,3 milliards $ que Paul Martin vient d'accorder à l'armée canadienne pour les quatre prochaines années.

Le culte des armes

Derrière cette opération de relations publiques se cache un culte de puissance et de domination directement lié aux armes. Pouvons-nous réellement considérer que le développement de ce type de culture essentiellement basé sur la violence va de pair avec la mission éducative des écoles ?

Le gouvernement du Québec a bien répondu à la question lorsqu'il a décidé récemment de s'attaquer au problème de la violence chez les jeunes. Des messages publicitaires diffusés à la télévision dénonçaient les comportements juvéniles violents. Évidemment, lorsqu'on cherche les vrais responsables de cette violence, on pointe du doigt en direction de cette même jeunesse. La division sociale qui en résulte fait largement l'affaire du pouvoir dominant. Collectivement, en plus de payer pour l'armée et une journée d'école réellement perdue, nous sommes toutes et tous perdant lorsque la violence s'exprime parmi nous.|188| 
686|Soyons réalistes 0 Demandons l'impossible !|Anne-Marie Tremblay| Y vas-tu toujours y avoir de l'eau dedans mon vin ? Y vas-tu toujours y avoir quelque chose en moins quand toutt' c'que t'as c't'une tranche de pain ? Quand le vent souffle, moi je sais d'où c'est que ça vient. Y'en a qui ont toutt' pis toutt' les autres y'ont rien ! Change-moi ça... Ce sont ces paroles de Richard Desjardins que les étudiantEs de l'UQÀM ont chanté pendant le Sommet du Québec et de la jeunesse, à l'occasion de la grève du 18 février au 25 février dernier.

Avec ce Sommet se sont déroulées une foule de contestations qui n'ont pas vraiment eu d'écho dans les journaux. Trois cégeps et 14 000 étudiantEs en sciences humaines, arts, lettres et communication de l'Université du Québec à Montréal sont tombés en grève. Face à un consensus qu'ils n'approuvaient pas, certains ont même continué la grève après la tenue du Sommet. En continuant la grève après le Sommet, on voulait mettre notre dissidence de l'avant par rapport au consensus qu'il y a eu autour du Sommet. On voulait que tout le monde sache que nous n'étions pas d'accord explique le directeur de l'AGEsshalcUQAM, Daniel Vigneault.

Profitant de l'occasion pour faire de l'éducation populaire, plusieurs activités ont été mises en avant. Des films de mobilisation comme Opération Salami, Les profits ou la vie et L'armée de l'ombre, des conférences de Michel Chartrand et de Martin Petit et une foule d'activités artistiques étaient au menu. Daniel Vigneault se félicite 0 Les étudiantEs en art se sont beaucoup impliqués dans cette grève pour sensibiliser les gens aux revendications. Ils ont créé beaucoup d'affiches pour porter nos revendications, ce qui facilitait la diffusion de l'information.

Outre l'éducation populaire, plusieurs manifestations ont aussi eu lieu. En neuf jours de grève, les Uqamiens en ont fait huit. Que ce soit pour dénoncer le Sommet du Québec et de la jeunesse et son pseudo-consensus, le manque de financement public en éducation ou la répression politique, des taux records de paticipation ont été enregistrés. D'après Daniel Vigneault, il y avait un minimum de 200 personnes à chacune des activités.

La police 0 le bras droit de Bouchard ?

En tout, trente-sept étudiants ont été arrêtés pendant le Sommet du Québec et de la jeunesse. Le mercredi 23 février, quatre jeunes ont été brutalement interceptés lors d'une manifestation pacifique devant les portes du Centre des congrès de Québec. Le jeudi 24 février, un autre étudiant a été mis sous verrous, alors que les manifestantEs avaient réussi à pénétrer dans le Centre des congrès.

Juste avant ces cinq arrestations, 32 étudiantEs ont été arrêtés alors qu'ils occupaient le Cégep St-Laurent. Les étudiantEs, avec une majorité extrêmement forte, avaient voté une levée de cours en assemblée générale. Mais l'administration a décidé qu'elle ne leur accorderait pas le privilège d'exercer ce droit. Contestant cette décision, ils se sont donc fait évincer par l'escouade tactique, après huit heures d'occupation. On était 32 étudiants et ils étaient 60 policiers, bien paddés affirme Vincent Cloutier-Boucher de l'Association des étudiantEs du cégep St-Laurent.

Aucune charge n'a été retenue contre les étudiantEs arrêtés, mais un manquement grave a été inscrit à leur dossier. Le mouvement étudiant se trouve donc bâillonné 0 s'ils se font prendre dans une situation semblable, les étudiantEs risquent la suspension ou le renvoi. souligne Vincent Cloutier-Boucher.

Le sommet s'est donc soldé par un investissement d'un milliard dans l'éducation en trois ans, 37 étudiantEs arrêtés (certains d'une manière très brutale) et des coupures dans le fonds de lutte contre la pauvreté au profit d'un autre fonds destiné aux jeunes seulement. On entrevoit donc les manières d'agir du gouvernement Bouchard qui, souvent, sont cavalières. Comme on dit par chez nous 0 La démocratie c'est cause toujours. La dictature c'est ferme ta gueule. Entre les deux, où se situe le gouvernement Bouchard, dans le cas du Sommet du Québec et de la jeunesse ?

À vous de choisir....|188| 
687|Un métallo fait le point|Pierre Klépock|

Vingtième anniversaire de la CSST



Un militant syndicaliste au service des ouvriers métallurgistes depuis 34 ans, nous trace le bilan des 20 ans de la CSST. L'aut'journal a rencontré Gérard Lachance, responsable du service de santé-sécurité au puissant Syndicat des Métallos (FTQ). Travailleur de l'amiante de Thetford, il a connu les dures grèves des années 70, à l'origine de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST).

C'est à la suite d'une grève de sept mois de 3000 métallos de l'amiante, en 1975, où M Lachance était président du syndicat local de la mine Lake Asbestos , que l'Assemblée nationale fut forcée d'adopter la LSST en décembre 1979, qui est à l'origine de la création de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 13 mars 1980. Le droit de travailler dans des conditions sécuritaires pour les salariés est issu de très durs combats. Des grèves ont éclaté dans des milieux de travail où le taux de mortalité était élevé. Les gens se disaient0 on est ici pour travailler, pas pour se tuer, nous raconte M. Lachance.

Les bons coups

La LSST est administrée par la CSST et, comme toute autre loi, son application est tributaire de la vigilance des travailleurs et travailleuses pour la faire respecter. Dans les entreprises de plus de 20 employéEs désignées comme prioritaires par la CSST, un Comité de santé et de sécurité peut être formé. Aussi, les salariéEs peuvent élire un représentant à la prévention, véritable cheville ouvrière de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui assume, entre autres, la fonction de faire l'inspection des lieux de travail.

L'employeur est tenu de payer le salaire des membres du Comité ainsi que du représentant à la prévention pendant qu'ils exercent leur fonction. Avec cette loi, les travailleurs participent à l'élaboration d'un programme de protection dans l'entreprise et ils ont le droit de recevoir de la formation et de l'information en matière de santé-sécurité, afin de vivre dans un milieu de travail sécuritaire, nous explique Mr Lachance, mais, il ne peut y avoir de sécurité sans solidarité et militantisme de la part des travailleurs et de leur syndicat .

La loi prévoit aussi le droit de refuser d'exécuter un travail dangereux, le retrait préventif dans le cas d'exposition à un contaminant dangereux, ainsi que le retrait préventif de la travailleuse enceinte. Sur ce plan, la CSST est un des meilleurs régimes du genre en Amérique du Nord. Nous avons fait de grandes avancées, principalement dans les secteurs prioritaires, où il y a une prise en charge de la prévention par les emplosyeurs et les travailleurs , par contre, le syndicat demeure le seul outil qui appartient aux salariés, pour appliquer la LSST. Ce n'est pas les patrons qui assurent la santé-sécurité des travailleurs , insiste M. Lachance.

Les mauvais coups

Malheureusement, la notion de secteurs prioritaires ne s'applique pas encore à tous les secteurs d'activités économiques. Seul les secteurs des mines et du bâtiment, par exemple, sont reconnus prioritaires , déclare M. Lachance. Il s'agit de mettre en place un règlement pour que tous les secteurs deviennent prioritaires, afin de l'étendre à tous les salariés. Mais le gouvernement et les patrons contestent cette avenue, ne voulant pas être obligés de fournir des heures de libération aux représentants à la prévention et ainsi éviter l'implantation de Comités dans les entreprises , ajoute-t-il.

Concernant le droit de refus du travail dangereux, c'est le salarié lui-même qui doit être à l'origine du refus et non le syndicat0 Les Métallos revendiquent toujours que le droit individuel de refuser d'exécuter un travail dangereux soit un droit collectif, c'est-à-dire, celui d'un Comité ou d'un délégué syndical , souligne-t-il. On aura beau avoir la meilleure loi, pour la faire respecter, ça prend un syndicat , conclut notre confrère.

Repères

Au cours des dix dernières années la CSST a 0

• accepté plus de 1,7 million de demandes d'indemnisation pour des accidents et des maladies reliées au travail

• inscrit 2270 décès

La CSST a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs et travailleuses. Avec cette loi, on aurait pu penser que la vie et la santé des salariéEs, bien le plus précieux qu'ils possèdent, soient respectées par les employeurs... Avec 270 morts au travail par année, force est de constater que tel n'est pas le cas.|188| 
688|Une compagnie gourmande|Pierre Klépock| Après 8 semaines de grève et de brasse-camarade, les 36 métallos du concentrateur de minerai d'or de la mine Est Malartic près de Val d'Or, sont retournés au travail le 27 mars dernier. Avec des profits de 331 millions $ US enregistrés en 1999, la compagnie Barrick refusait toute négociation avec le syndicat

Nous n'avions pas eu d'augmentation de salaire depuis les dix dernières années et la compagnie prévoit fermer ses portes dans trois ou quatre ans. Nous sommes en droit de demander des ajustements et nous avons obtenus 1% d'augmentation de salaire par année et 5% pour le régime de retraite, dans un contrat de trois ans , nous a déclaré Mario Vezeau, président du local 4796 du Syndicat des Métallos (FTQ). En cas de fermeture de l'entreprise, l'employeur devra verser 600 $ par année de service à tous les travailleurs et la liste de rappel en cas de mise à pied est prolongée de 3 ans pour protéger l'ensemble de nos membres , poursuit-il.

Des scabs

Rappelons que, pendant le conflit, le Syndicat des Métallos (FTQ) a déposé des plaintes en vertu des dispositions anti-briseur de grève du Code du travail québécois. Un inspecteur du ministère du Travail avait repéré six scabs. De plus, un contremaître a foncé avec son camion sur trois grévistes. Le syndicat est convaincu qu'il cachait des scabs. Heureusement personne n'a été blessé.

Barrick est une compagnie gourmande. Elle préfère aller exploiter des travailleurs dans les mines en Afrique, où les coûts de production sont d'environ 40 $ l'once, alors qu'ici il en coute 180 $ l'once, conclut Mario Vezeau.|188| 
689|Des hommes d'acier|Pierre Klépock|Les 66 métallos de l'entreprise Qualit-T-Galv, située dans le sud-ouest de Montréal, ont déclenché la grève le 16 mars dernier. L'employeur veut imposer des reculs et menace de fermer l'usine s'il n'y a pas de clauses orphelins. Le boss veut une baisse de salaire de 5% la première année et un gel de salaire pour les 4 autres années dans un contrat de 5 ans. Il veut enlever des semaines de vacances, des congés fériés, diminuer les primes d'équipe, remplacer les journées de maladie par un système de prime à l'assiduité et imposer un système disciplinaire automatique... Dans cette situation, on revient à l'esclavage. Le patron veut faire travailler son monde le ventre à terre , s'indigne Richard Boudreault, conseiller syndical au Syndicat des Métallos (FTQ).

Les bassins sont chauffés à 850 degrés farenheit, on trempe les pièces d'acier dans l'acide et ensuite dans du zinc fondu pour les galvaniser. On a des gros problèmes de santé-sécurité, il y a des cas de maladies respiratoires et de cancer de la gorge, on y travaille comme des fous pour sortir la production , déclare Patrick Plouffe, président de l'unité syndicale.

Ces ouvriers galvanisent des structures d'acier, telles que les pylônes d'Hydro-Québec et ils ont en moyenne 12,70 $ de l'heure et 20 ans de service dans l'usine. L'employeur prétend qu'il doit faire des investissements de 1,5 million $, mais payés par ses travailleurs. Les syndiqués refusent de se laisser écraser et veulent obtenir justice. Un de nos gars est mort il n'y a pas longtemps d'une maladie respiratoire. Dire qu'on se bat pour retourner dans notre marde nous fait comprendre Noël Poirier, employé de l'usine depuis 30 ans. Il faut être d'acier pour endurer un pareil employeur!|188| 
690|Marcel Pepin, c'est le droit de grève|Jean-Claude Germain| Dans les jours qui ont suivi le décès de Marcel Pépin, on aurait pu facilement croire qu'en 1972, la population toute entière était derrière le Front commun des trois grandes centrales syndicales, la CSN, la FTQ et la CEQ.

Suffit-il de rappeler que, dans l'année qui a suivi les onze jours de grève du Front commun, ladite population a reporté le parti libéral au pouvoir, en augmentant sa députation de 68 à 101 députés.

La mémoire collective n'est ni subjective, ni objective, c'est un révélateur. Chaque fois qu'on y trempe le souvenir de Robert Bourassa, par exemple, l'image réapparaît plus floue, contrairement à celle de Marcel Pépin, qui se révèle chaque fois plus nette, comme si, avec le développement du temps, l'histoire retrouvait la mémoire de la mise au point initiale.

Aucun chef syndical n'a été plus cruellement caricaturé que le maître d'oeuvre du Front commun. Je voulais engager le vrai combat 0 la guerre à la pauvreté. C'est pour ça que je réclamais des augmentations du salaire minimum , confiait-il à Jacques Keable, dans son dernier rapport moral, Le monde selon Marcel Pépin (Lanctôt, 1998).

À l'heure du bilan, il n'estimait pas en avoir fait assez. Mon plus grand regret, aujourd'hui, c'est que je pense qu'on aurait pu en faire plus, surtout pour notre classe. On a beau dire qu'on en est pas une 0 il y a des classes dans notre société et on est une classe.

Son père était fendeur de cuir. Il n'y en avait pas beaucoup au Québec 0 trois ou quatre. Il fendait le cuir sur l'épaisseur, avec un couteau de 27 pieds de diamètre. Son boss s'appelait Burke. De temps à autre, il se rendait à Montréal et il avait besoin de mon père pour faire des achats. Mon père parlait pas l'anglais. Fait qu'ils partaient ensemble et ils ne disaient pas un crisse de mot du voyage. Marcel Pepin n'a jamais oublié la leçon. Il a toujours cru que, pour s'entendre, les ouvriers et les patrons devaient négocier, mais il a toujours su qu'ils n'avaient rien à se dire.

En 1973, j'ai conçu un spectacle, dans le feu de l'action, que nous avons présenté au Théâtre d'aujourd'hui, à peine un mois après que les trois chefs, emprisonnés par le gouvernement Bourassa, eurent reçu leur congé définitif. La pièce s'intitulait L'Affront commun. C'est une fable qui raconte l'histoire d'une grève générale, dirigée par les frères Grondin 0 Léon (Louis Laberge), Benin (Yvon Charbonneau) et Armand (Marcel Pepin), qui sont respectivement présidents des cols bleus, des faux-cols et des cols blancs.

À un moment donné, Armand apprend que plusieurs de ses compagnons sont dépassés, démoralisés et dégonflés et qu'ils mènent une campagne de salissage dans son dos. Excédé, Armand Grondin explose.

J'en ai entendu de toué sorte depuis vingt-cinq ans, j'ai été traité de toué noms, communisse, socialisse, idéalisse, gros chrisse, soufleux de balloune, péteux de broue, menteur, gangsteur, manipulateur, plein de marde, ivrogne. Y en a même qui me r'prochent de jouer au boss, d'avoir la folie des grandeurs, la tentation du pouvoir et , une fois parti, d'être un establishment à moué tout seul.

Jusqu'à maintenant, j'ai tout pris, parce que j'ai toujours cru que ce qui se passait en premier, c'était l'idée qu'on défendait. Une idée facile à comprendre et à r'tenir qui doit qu'on a le droit et le devoir de descendre dans la rue, chaque fois qu'on nous conteste le droit de marcher sus l'trottoir, la tête haute.

Jusqu'astheure, j'ai tout encaissé, mais là ch'peux pas accepter que des gars, que ch'connais comme le fond de ma poche et qu'y m'connaissent depuis toujours, m'accusent d'être malhonnête parce qu'eu-z-autes, y sont Dépassés, Démoralisés, Débandés.

Quand y s'agit de mon honnêteté, chus pus syndiqué. Chus un capitaliste sauvage et vicieux. C'est mon bien. C'est ma propriété. Quand j'me lève le matin pis que j'me regarde dans le miroir, avant de r'prendre ma face de négociateur, l'honnêteté, c'est tout ce qui m'appartient encore c'est la seule illusion que j'ai pas perdue.

Ch'peux pas laisser filer cette insulte-là comme j'ai laissé passer toutes les autres. Et encore moins accepter d'apporter des preuves. Ça c'est le coup de poing qui vient après la claque sus à gueule. Mes preuves sont faites.

Niaiseux, si on veut, mais pas malhonnête ! Gros niaiseux, si on insiste, mais P-A-S mal-hon-nête ! Assez niaiseux entoucas pour y croire encore, et pour se sentir encore obligé, malgré tout ça, de rendre des comptes à des membres qui se pointent la bette aux réunions, une fois par semaine, une fois par trois ans, parce qu'ils craignent que leur union prenne des décisions anti-démocratiques.

C'est-à-dire qu'on ne fasse pas une grève uniquement pour protéger leur djob, mais pour permettre à tout not'monde de marcher la tête haute sur le trottoir.

C'est ça qu'y a de curieux avec notre démocratie 0 qu'on trouve toujours tant de gens pour la sentir menacée et la défendre, uniquement, lorsqu'on veut la rendre plus démocratique.

Pour Marcel Pepin, le fondateur véritable du Front commun a été le gouvernement lui-même et son sauveur in extremis, le juge Pierre Côté qui l'a condamné, ainsi que Louis Laberge et Yvon Charbonneau, à un an de prison. Le juge voulait sauver la société et démontrer l'autorité de la justice en rendant un jugement politique, qui a eu l'effet contraire, puisqu'il nous a permis d'obtenir le principal objectif du Front commun, au plan salarial, un minimum de 100$ par semaine.

On imagine mal un général sans puissance de feu ou un président de syndicat sans moyen de pression. C'était l'avis de celui qu'on considère, d'ores et déjà, comme le plus grand négociateur de l'histoire du Québec. Tous ceux qui rêvent des formules qui remplaceraient le recours à la force pour mener à bien une négociation se trompent, ils sont naïfs ou menteurs. Il n'est pas toujours nécessaire de recourir à l'exercice du droit de grève, mais il est toujours nécessaire que votre adversaire sache que vous pouvez y recourir. On pensera à toi pour s'en souvenir, Marcel !

Le monde selon Marcel Pepin, Jacques Keable, Lanctôt éditeur, 1998

L'affront commun, une fable québécoise de Jean-Claude Germain, 1973, est inédite.|188| 
691|Les Anglais nous ont conquis les Français nous ont volés|Michel Lapierre| Dans son dernier ouvrage, le tome dixième de l'Histoire de la Nouvelle-France, consacré au régime militaire (1759-1764), Marcel Trudel s'emploie à montrer, preuves à l'appui, que le gouvernement provisoire, établi par les Anglais, dès la défaite des plaines d'Abraham, ne fut pas tout à fait, pour nous, le grand malheur dépeint par Garneau, Crémazie et Brunet.

Cela fait-il de lui l'émule scientifique de Thomas Chapais et de l'abbé Arthur Maheux, dont le loyalisme était exemplaire ? Oui et non. L'oeuvre de Trudel se nourrit d'une secrète fascination devant la puissance et la libéralité anglo-saxonnes, sentiment qui se révèle même, au grand jour, dans l'Initiation à la Nouvelle-France (1968) et, surtout, dans l'autobiographie Mémoires d'un autre siècle (1987). Mais l'amour du détail, la passion de l'anecdote, tant décriés par la plupart de nos historiens universitaires, entraînent Trudel vers les sommets de la nuance et du détachement. Loin du tintamarre des théoriciens, notre érudit poursuit le travail méticuleux de ces modestes ouvriers de l'histoire que furent Benjamin Sulte, Pierre-Georges Roy, Édouard-Zotique Massicotte, Aegidius Fauteux et tant d'autres.

Un tableau tout à la fois horrible, désinvolte et truculent

Cela donne un tableau tout à la fois horrible, désinvolte et truculent. D'un côté, Messieurs les Anglais arrosent Québec d'une pluie de bombes, incendient presque toutes les maisons sur les deux rives du Saint-Laurent, de La Malbaie à la Baie-Saint-Paul, de Saint-Roch-des-Aulnaies à Sainte-Anne-de-la-Pocatière. De l'autre, le roi d'Angleterre, George III, qui deviendra complètement fou dans peu de temps, se félicite, dit-on, de la conquête du Canada à cause de la beauté des Canadiennes. Les officiers britanniques, qui partagent ses sentiments à ce sujet, se font un point d'honneur de parler français, et quand, à leur grande honte, ils ne maîtrisent pas cette langue raffinée, ils usent du latin... L'anglais est encore une langue sans prestige, qu'on abandonne volontiers à une classe bien méprisable, mais fort utile à l'Angleterre0 les marchands. Mais nos Britanniques, tout férus d'élégance soient-ils, transforment le collège des jésuites de Québec, seul établissement d'enseignement secondaire du Canada, en caserne et en entrepôt, comme pour mieux nous reprocher, plus tard, d'être un peuple ignorant.

Si les Anglais prétendent nous libérer du despotisme, en oubliant que l'Angleterre d'alors reste beaucoup plus féodale que ne l'a jamais été le Canada, ils ne répugnent pas à acquérir des seigneuries et à devenir, ainsi, seigneurs à la canadienne. Certes, les treize colonies américaines, en particulier celles du nord, apparaissent, déjà, comme un exemple de liberté pour tous les peuples du Nouveau Monde. Mais c'est justement pour contrecarrer leurs velléités d'indépendance que Londres se montre conciliant avec nous, tout particulièrement avec notre clergé.

Le sulpicien Montgolfier, une tête aussi enflée que les montgolfières de ses neveux

La métropole a besoin d'une piétaille papiste d'Ancien Régime, dont l'esprit est proche, par bien des côtés, de l'anglicanisme et du royalisme britannique, pour refroidir l'ardeur puritaine et républicaine qui, chez nos voisins, risque de provoquer la révolution. En plus d'intervenir dans la nomination des curés, le gouverneur Murray, tout protestant qu'il soit, se permet même de désigner le nouvel évêque 0 l'obséquieux Briand, à la place de celui que les chanoines ont élu 0 le sulpicien Montgolfier, une tête aussi enflée, paraît-il, que les montgolfières de ses illustres neveux.

L'à-plat-ventrisme, bien évident, de notre clergé ne lui était peut-être pas naturel. Dans un souci de scrupuleuse objectivité, Trudel mentionne des prêtres qui se prenaient pour des soldats 0 François-Auguste de Terlaye, François Picquet, Joseph-Basile Parent, Charles d'Youville, René Portneuf... Nous sommes, bien sûr, au XVIIIe siècle, l'ultramontanisme ne triomphera qu'au siècle suivant, lorsque le pape, voyant sa souveraineté temporelle menacée par la révolution, renforcera son autorité spirituelle et se rangera du côté du syndicat des princes, en insistant plus que jamais sur la soumission au pouvoir établi. En 1760, le clergé, dont les chefs sont français plutôt que canadiens, se sent presque aussi proche de la France que du pape.

Le début d'une honteuse collaboration officielle entre le clergé et le conquérant

Mais les Anglais auront vite raison de sa mince fibre gallicane, en usant à la fois de la carotte et du bâton. Certes, on laisse entrevoir que le clergé conservera ses privilèges, notamment la dîme, mais on a soin de préciser, dans le traité de Paris, que la pratique du culte catholique se fera en tant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne .

Avec raison, Trudel parle d' une Église tenue en servitude et considère que Murray n'avait pas prévu que les prêtres, par crainte du protestantisme, nous assisteront, de biais, dans notre lente et astucieuse résistance à l'assimilation. Mais l'historien aurait pu vaincre sa pusillanimité naturelle et dire, avec tristesse, que le régime militaire marque, malgré tout, le début d'une honteuse collaboration officielle entre le clergé et le conquérant.

Trudel est beaucoup moins précautionneux, lorsqu'il s'agit de la France. Nul mieux que lui ne met en évidence cette pénible vérité 0 si les Anglais nous ont conquis, les Français nous ont volés. La France ne remboursa, en effet, que le quart de l'argent de papier (monnaie de cartes, ordonnances, lettres de change, certificats) qui avait cours au pays, avant la Conquête britannique, en prétextant les gabegies de l'intendant Bigot et de sa bande. Une perte de onze millions et demi de livres pour une population de quelque 70 000 habitants !

Notre trop fameuse infériorité économique se dessine déjà. La concurrence déloyale des marchands anglais, qui auront les faveurs du nouveau pouvoir colonial, fera le reste. Sous le régime militaire, la quasi totalité des entrepreneurs, dans la traite des fourrures, demeurent des Canadiens. Et si l'on considère toutes les branches du commerce, les Britanniques ne forment qu'un cinquième des marchands. Inutile de dire que la proportion changera rapidement. La suppression des monopoles du Régime français par l'Angleterre, mesure bonne en soi, suscitera une liberté des échanges qui profitera surtout aux Anglais et aux Écossais.

Le mythe de la décapitation de notre société

Tout en relevant la présence encore massive des Canadiens dans le négoce, entre 1759 et 1764, Trudel ne manque pas de détruire, une fois pour toutes, un mythe tenace 0 celui de la décapitation de notre société, à la suite de la Défaite. Les officiers français, venus au Canada pour faire la guerre, les hauts fonctionnaires, les marchands étroitement liés à la France, avaient tout intérêt à poursuivre leur carrière de l'autre côté de l'Atlantique. Mais les officiers canadiens, sauf de très rares exceptions, restèrent au pays ou y rentrèrent, déçus par la froideur de l'Ancien Monde. Quant à nos marchands, c'est ici qu'ils trouvèrent tout naturellement leur profit. Pour ce qui est des autres notables, le Canada ne perdit que treize prêtres, deux religieuses, quatre notaires et seize seigneurs. Moins d'une centaine de nobles émigrèrent.

L'austère discipline que s'impose Marcel Trudel, dans son livre consacré au régime militaire, ne lui permet guère d'établir des rapports avec les événements ultérieurs. Pourtant, que de raccourcis lumineux viennent à l'esprit !

Le cynisme des Anglais et des Français est sans bornes. Encore plus favorisés par l'Acte de Québec (1774) que par le traité de Paris (1763), nous pénétrons au plus intime de l'histoire de l'Occident contemporain, grâce aux froides stratégies du conquérant. Le rétablissement du droit civil français, l'admission des catholiques au Conseil législatif, l'élargissement des frontières de la Province of Quebec jusqu'au Mississippi figureront parmi les motifs sur lesquels s'appuiera la Déclaration d'indépendance des États-Unis, en 1776. Après nous avoir abandonnés et volés, la France, par la bouche de d'Estaing et de La Fayette, nous invite à la libération en laissant croire aux Américains que la Province of Quebec deviendrait leur quatorzième État. Mais son arrière-pensée est claire 0 elle n'entend pas du tout contribuer à la conquête de ce territoire, car le schisme anglo-saxon sert ses intérêts, comme Trudel l'a bien montré, dès 1949.

Notre révolte contre l'Ancien Monde

C'est d'ailleurs cette même France qui, pour obéir au jeu des alliances, cède secrètement à l'Espagne, dès 1762, le fruit de notre aventure continentale, l'immense Louisiane, que d'Iberville et Bienville, tous deux natifs de Montréal, avaient fondée. Et ce sont, en particulier, les Canadiens de Louisiane qui, après avoir secoué le joug espagnol, créeront, en 1768, dans les faits, la première république autonome du Nouveau Monde, presque huit ans avant l'indépendance américaine. Mais, moins d'un an plus tard, les Espagnols reprendront le territoire et feront exécuter plusieurs des chefs de l'insurrection.

Notre révolte contre l'Ancien Monde, qui touche au plus profond de l'inconscient, se manifestait de manière indirecte et inattendue ; elle se poursuivra, ici même, dans une clarté de plus en plus grande. Louis-Joseph Papineau et, plus tard, René Lévesque sauront à quoi s'en tenir, lorsqu'il sera question de la non-indifférence de la France et de la bienveillance de l'Angleterre.

Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, t. X, Le Régime militaire et la disparition de la Nouvelle-France (1759-1764), Fides, 1999.|188| 
692|Le sommet des bâtards|Jacques Pelletier|

Les enfants de Maryse



Les romans sont des machines à faire rêver. En les lisant, nous prenons provisoirement congé du monde du travail et des luttes dans lequel se consume l'essentiel de nos vies. Ils nous proposent une évasion dans un univers parallèle à celui que nous habitons, étrangement semblable et en même temps fort différent, régi par une logique imaginaire parfois déconcertante qui rend tout possible.

C'est ainsi que les repères les plus familiers qui servent de cadres et de fondements à notre existence courante deviennent inopérants, inaptes par exemple à rendre compte de l'irruption du merveilleux et du fantastique, catégories invraisemblables dans notre monde mais tout à fait plausibles et naturelles dans l'espace de la fiction. Cette dimension inventive et ludique du roman, à travers laquelle s'accomplit sa fonction de connaissance, on en trouve une manifestation particulièrement réussie dans La conjuration des bâtards de Francine Noël .

Une saga du Québec moderne

Ce gros récit se présente comme le dernier volet d'une longue saga inaugurée par Maryse, premier roman de cette auteure publié au début des années 1980. Maryse, on s'en rappellera, se proposait comme un roman d'apprentissage construit autour d'un personnage de jeune femme initiée au monde dans le contexte turbulent des années 1970. Maryse devait trouver sa voie et sa voix propres dans le cadre du féminisme militant et de la radicalisation des luttes sociales et politiques qui marquèrent cette période. Le personnage faisait donc ses premiers pas de jeune femme sur le plan amoureux et professionnel dans une époque de bruit, de fureur et de passion dont la fièvre allait retomber au tournant des années 1980. Ces années de grisaille seront évoquées à leur tour dans le second volet de la saga, Myriam première, centré sur l'univers de l'enfance des fils et des filles des héroïnes du récit inaugural, devenues adultes et intégrées progressivement dans une société conformiste et bien-pensante.

La conjuration des bâtards reprend ces personnages quinze ans plus tard, les situant dans la période immédiatement contemporaine de sa rédaction, c'est-à-dire dans le ici et le maintenant de la présente réalité québécoise et internationale caractérisée par la mondialisation néo-libérale. Le cadre de la saga s'est donc élargi et le roman nous donne à lire un portrait de groupe plutôt qu'un récit individualisé, structuré autour d'un personnage central.

Nous avons donc affaire à une vaste et ambitieuse construction polyphonique qui s'organise autour d'une grande famille constituée par trois noyaux de base 0 celui formé par François Ladouceur, universitaire et écrivain, de Marïté Grand'-Maison, son épouse députée à Québec, et de leurs enfants; celui réuni autour d'Elvire Légaré, muse et masseuse , ancienne maîtresse du poète national, Adrien Oubedon, et de leurs enfants adultérins; celui formé enfin de Maryse O'Sullivan, l'héroïne du premier récit, romancière professionnelle, de Laurent, son conjoint aménagiste et militant tiers-mondiste, et de leur enfants adoptifs. Cette famille élargie est elle-même en profonde interconnexion avec de nombreux personnages qui lui sont associés à travers des liaisons amoureuses ou des relations d'affaires, si bien que le personnel romanesque est ici particulièrement nombreux et ramifié, à l'image d'un monde complexe et grouillant dont il offre une condensation révélatrice des grandes tendances de l'époque.

Une fresque d'époque

L'unité du récit est assurée par la mise en place d'un événement-pivot, la tenue d'un grand Sommet de la fraternité universelle à Mexico, auquel tous les personnages participent d'une manière ou d'une autre. Cet événement assure en effet non seulement l'unité d'action du récit qui, autrement, se disperserait en de multiples directions, mais son unité thématique 0 sur quelles bases construire une civilisation qui puisse favoriser la justice et l'égalité entre tous au moment où nous entrons dans un nouveau millénaire? C'est cette question qui sert d'une certaine manière de problématique au propos central du récit qui, en cela, s'avère d'une brûlante actualité.

La dimension affective - car il s'agit aussi d'un roman d'amour - et la dimension policière du texte - le récit prenant par moments la forme d'une enquête sur un énigmatique personnage incarnant la nouvelle classe dominante sur le plan international sont intégrées dans le cadre englobant d'une intrigue politique dont le Sommet de la fraternité constitue le point tournant. C'est dans ce lieu et lors de cet événement que se nouent et se dénouent les liaisons amoureuses et qu'intervient la mort de Maryse, assassinée au cours d'un attentat terroriste, sa disparition ponctuant de manière dramatique la fin du cycle.

C'est dans ce cadre événementiel global qu'est également formulé le thème central de la bâtardise et du métissage qui est modulé à de nombreuses reprises et de plusieurs manières. On le retrouve dans le nomadisme de la grande tribu que forment les personnages fictifs, dans l'affrontement historique des Catholiques et des Musulmans à Grenade en 1492, évoqué au tout début du roman, dans le destin tragique de Louis Riel et des métis de l'ouest canadien, dans le projet d'écriture de François Ladouceur, une saga des survivants axée sur la rencontre et le mélange des peuples et des cultures, dans les études universitaires d'Hugo sur le phénomène de la bâtardise, enfin dans le projet d'un manifeste international, conçu au Sommet de la fraternité, qui porterait précisément le titre de La conjuration des bâtards, que l'auteure elle-même a retenu comme emblème de son roman.

L'utopie contre le marché

Ce thème central est lié par ailleurs à celui de la nouvelle domination marchande qui s'étend aujourd'hui à l'ensemble de la planète. L'unité de la nouvelle civilisation bâtarde, cosmopolite, métisse, doit en effet se construire sur d'autres fondements que ceux offerts par l'expansion apparemment sans limites du marché avec les conséquences désastreuses qui en résultent pour les peuples et les masses qu'il déstructure et disloque en les asservissant.

Ce processus historique concret, le roman le donne à lire, bien sûr, à travers des destins individuels et des histoires singulières. Il ne soumet ni analyse en termes conceptuels, ni thèse explicite mais, il appelle à voir et à comprendre de l'intérieur, pour ainsi dire, la grande transformation économique et sociale qui affecte le monde moderne, le détruit et le réforme selon une logique économique désormais toute puissante qui régit entièrement nos vies. Et il ne le fait pas d'abord sur le mode réaliste, par une transposition directe du monde réel, mais à travers une représentation qui relève souvent du fantastique - Dieu et le Diable, par exemple, constituent des figures naturelles dans cet univers - et qui crée une distance sur le mode ironique. La fantaisie relativise ainsi l'esprit de sérieux qui imprègne par ailleurs le roman, en rendant du coup la leçon non seulement instructive mais jouissive.

C'est là la grande force du roman dans ses réalisations les plus accomplies 0 nous donner à lire et à comprendre la réalité brutale de notre monde par des moyens artistiques qui, à première vue, paraissent s'en éloigner et le mettre à l'écart au profit d'un univers purement imaginaire. Or, c'est cette distance qui permet au contraire de prendre une plus juste mesure du réel comme l'illustre si bien La conjuration des bâtards, expression remarquable de la nature complexe, contradictoire sinon chaotique, du monde tel qu'on le déconstruit aujourd'hui.|188| 
693|Le retour de Sartre|Jacques Pelletier|Durant un quart de siècle, de l'après-guerre à la fin des années 1960, Jean-Paul Sartre a incarné la figure de l'intellectuel total engagé dans de multiples luttes en faveur des défavorisés et des exploités de l'ensemble de la planète. Éclipsé par la montée des structuralistes et des nouveaux philosophes durant les années 1970, il avait connu une sorte de purgatoire au cours des deux dernières décennies où l'on semblait bien l'avoir oublié.

Or, voici que vingt ans après sa mort, il retrouve une seconde vie. Ironiquement, c'est à travers la plume d'un de ceux qui l'avaient enterré naguère, Bernard-Henri Lévy, intellectuel médiatique aussi frivole que narcissique, qu'il est relancé dans un essai échevelé porté aux nues par une bruyante campagne publicitaire.

La thèse centrale du livre de Lévy ne tient pas la route. Elle oppose à un premier bon Sartre, anti-humaniste de La nausée, un second méchant Sartre, humaniste et par suite partisan des totalitarismes de gauche, hypothèse qui ne prend pas en compte la profonde unité de l'oeuvre et de la trajectoire de l'écrivain-philosophe par-delà ses ruptures apparentes. Cela dit, le livre contient quelques passages plus pertinents sur certains aspects de cette énorme entreprise, notamment sur Les chemins de la liberté, et qui donnent envie de relire ces gros romans.

Pour mettre en perspective l'interprétation souvent fantaisiste de Lévy, on aura intérêt à lire l'essai récent, plus austère, de Marc Petit, La cause de Sartre (P.U.F., 2000) et la biographie toujours éclairante d'Annie Cohen Solal, Sartre 1905-1980, (Gallimard, 1985, maintenant en folio).

Le Siècle de Sartre

Bernard-Henry Lévy

Grasset - 2000|188| 
694|La passion de l'amitié|Caroline Perron|

Une généalogie féminine



Curieusement, les écrits sur l'amitié entre femmes ne pullulent pas dans le monde littéraire d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui. C'est pourquoi Le coeur pensant, écrit de la plume libre et passionnée d'Élaine Audet s'avère des plus précieux, ne serait-ce que pour redonner à l'amitié sa place dans l'histoire des femmes. Histoire de remettre les vieux mythes sur l'amitié entre femmes à leur place0 dans les placards.

C'est véritablement à un travail titanesque auquel s'est attelée l'auteure, Élaine Audet, pour mettre au monde ce livre pertinent et bien documenté. Sa courtepointe ne prétend pas être la bible de l'amitié entre femmes – cela prendrait bien une vie pour pouvoir l'écrire – mais c'est une prise de conscience, un prise de parole sur les liens indéfectibles qui ont tissé la vie des femmes et qui la tissent encore aujourd'hui. Que ce soit à travers nos soeurs, nos mères, nos amies, la place de l'amitié féminine dans nos vies est irremplaçable, bien présente et inaliénable.

L'amitié comme mode de vie

L'idée de départ du livre est venue à l'auteure après qu'elle eut remis un questionnaire sur le thème de l'amitié féminine à plusieurs femmes de tous âges et de tous horizons. En regardant les résultats, elle s'est rendue compte que les amies prenaient une très grande place dans leur vie. Elle s'est également aperçue que les livres écrits sur l'amitié portaient principalement sur l'amitié masculine. C'est donc après cinq années de recherches et de travail que Le coeur pensant a vu le jour.

Elle commence, dans sa préface, par nous raconter chronologiquement comment l'amitié est venue dans sa vie et s'est installée pour ne plus la quitter. Pour Élaine,  Raconter nos histoires d'amitié entre femmes nous permet d'apprendre beaucoup de choses sur ces relations, sur notre façon d'agir les unes envers les autres, sur nos bons et nos mauvais coups amicaux. Plus nombreuses sont les facettes de nous-mêmes vues, partagées et reconnues par l'amie, plus l'amitié est profonde. Souvent, nous découvrons que nous possédons les mêmes qualités que nous admirons chez nos amies, et se développe alors une intimité.

Le monopole masculin de l'amitié

Longtemps, on a cru que seuls les hommes détenaient le bastion de l'amitié. Pourquoi cet élitisme ? Était-ce parce que ce noble sentiment ne pouvait être vécu par aucun être inférieur dont la femme, croyait-on, il y a de cela encore pas si longtemps ? On retrouve dans le livre quelques cas d'hommes qui ne croyaient pas les femmes capables d'amitié. Par exemple, pour Montaigne, les amitiés entre femmes étaient superficielles  parce que les femmes ne semblent pas dotées de la fermeté d'esprit nécessaire pour endurer la contrainte exercée par un lien si durable et solide. 

Pour Kant, autre philosophe, .l'amitié virile, la seule possible, ne peut exister et durer sans une commune attraction-répulsion, sans un amour-respect égal et réciproque. Il en exclut implicitement les femmes en précisant que l'amitié véritable ne doit pas reposer sur des sentiments ni être exposée à la familiarité, sinon, elle sera à tout instant menacée d'interruption, comme il arrive habituellement chez les personnes incultes.

Heureusement, même s'ils sont rares, l'auteure souligne, dans son livre quelques auteurs qui n'ont jamais douté que l'amitié fut possible entre les femmes. D'abord, Charles Fourier, auteur de Vers la liberté en amour a été le premier à utiliser le terme féministe en 1837 et ce, avant Marx. Il constate que0  l'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous les progrès sociaux.  D'autres cas d'exception comme John Stuart Mill ou Engels figurent au palmarès, mais ces hommes sont loin de faire légion.

Les obstacles

Ensuite, l'auteure nous entretient de ce qui a entravé la route des amitiés féminines, lesquelles ont su vaincre ces mille difficultés rencontrées dans leur parcours à travers les siècles. Plusieurs y figurent dont l'exclusion sociale, cette censure de la part de l'Autre, la rivalité les unes envers les autres comme mode d'emploi, les filles du père, ces femmes-hommes qui ont nié et nient encore l'identité féminine. Audet énumère quelques-unes de ces dernières, telles Georges Sand, la philosophe Hannah Arendt et la romancière Mary Mc Carthy.

L'amitié entre femmes

Dans l'amitié entre femmes, coeur du sujet traité ici, l'auteure souligne le fait que  d'établir une généalogie de l'amitié entre femmes, c'est nommer celles qui ont résisté à la domesticité, au dressage, à l'enfermement, en choisissant de passer une grande partie de leur vie avec des femmes . Parce qu'elle ne peut pas toutes les nommer, Audet en a répertorié quelques-unes, brossant un portrait des amitiés de chacune d'elles, que cette amitié soit issue de la lignée des mères, de l'amitié individuelle, de l'amitié collective, de l'amitié-flambeau, de l'amitié dans l'oeuvre, de l'amitié comme éthique, toutes témoignent d'une certaine définition de l'amitié vécue différemment ou non par les femmes envers leurs semblables.

L'expression et l'expérience de l'amitié

Finalement, Élaine Audet en arrive à la conclusion que les femmes ne définissent pas l'amitié d'après des critères différents de ceux qui inspirent les hommes, soit0  la réciprocité, l'égalité affective, intellectuelle, sociale, la plus ou moins grande possibilité d'intimité et de reconnaissance de la personnalité de l'autre, l'équilibre entre l'attirance et le besoin d'indépendance, l'exigence de transparence et de loyauté.  La différence fondamentale apparaît plutôt dans l'expression et l'expérience de l'amitié. Elle admet également qu'il est presque impossible de dégager un consensus à partir des multiples définitions de l'amitié parce qu'elle serait  soit le modèle de toutes les relations sociales à l'intérieur de la cité, le nerf du politique, soit un refuge contre le politique. 

1 AUDET, Élaine, La Passion des mots, Montréal, L'Hexagone, 1989.|188| 
695|Quand la CIA modifie les romans d'Orwell|Pierre Dubuc|Qui sont les plus tyranniques des porcs communistes ou des humains capitalistes ? Impossible de dire lesquels . C'est par cette phrase que se termine le roman La ferme des animaux de George Orwell. Mais, en 1950, à la mort de l'auteur, la CIA a acheté les droits d'auteur de la veuve d'Orwell et modifié la fin pour la version filmée. Désormais, la réponse était 0 les porcs communistes .

La fin du roman 1984 fut également modifiée. Orwell termine le roman en écrivant à propos de Winston 0 Il aime Big Brother . Dans la version cinématographique trafiquée par la CIA, il s'écrie 0 À bas Big Brother ! .

Ces modifications faisaient partie de la campagne culturelle de la CIA contre le communisme au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale comme le révèle le livre de la journaliste britannique Frances Stonor Saunders, The Cultural Cold War 0 The CIA and the World of Arts and Letters .

L'auteure raconte, entre autres, que la CIA a financé les expositions des peintres expressionnistes abstraits américains pour contrer le réalisme socialiste.

La CIA a dépensé des millions de dollars du Plan Marshall pour commanditer des artistes et des intellectuels européens dans l'objectif de promouvoir une gauche non-communiste de démocrates socialistes désillusionnés de Moscou. Le but était évidemment de contrer l'influence communiste en France et Italie.

Un des agents de la CIA, interviewé par l'auteure, déclare 0 Nous ne pouvions dépenser tout l'argent que nous avions. Il n'y avait aucune limite et personne n'avait à rendre de comptes. C'était stupéfiant ! .|188| 
696|La nouvelle qu'on ne lira pas...|Gabriel Sainte-Marie|Les journalistes, dit-on, racontent la vérité. Un livre contredisant ce mythe est sorti des presses au début de l'année. THE MISSING NEWS présente un aspect méconnu du travail des journalistes des médias canadiens imprimés. Les auteurs - Bob Hackett et Richard Gruneau - avec la participation de Donald Gustein, Timothy Gibson et de NewsWatch Canada (l'émission d'information de la chaîne anglophone de Radio-Canada), ont réalisé une enquête auprès de nombreux journalistes des principaux médias écrits du pays. Les résultats sont assez inquiétants.

On y apprend entre autres que les journalistes s'autocensurent, bien souvent par obligation. Les propriétaires et les entreprises qui achètent de la publicité dans les médias, en plus de certains groupes d'intérêts, exercent un poids certain sur les journalistes. En effet, 52% des répondants avouent être soit souvent soit occasionnellement victimes de pressions directes de la part de leur patron et se résignent ainsi à la censure. Ce ratio est de 43% lorsque ce sont les compagnies achetant de la pub au journal qui exercent leur influence, et 42% lorsqu'il s'agit de groupes de pression.

Ceci n'est qu'un bref aperçu du dernier livre publié par le Canadian Center for Policy Alternatives (Centre Canadien pour des Politiques Alternatives). Malheureusement, ce livre n'est pas encore traduit en français.|188| 
697|Viet-Nam 0 toujours l'Apocalypse !|Pierre Dubuc|À l'occasion du 25e anniversaire de la victoire du Viet-Nam sur les Etats-Unis, le magazine Mother Jones rappelle les effets de l'Agent orange, ce défoliant dont plus de 11 millions de gallons ont été déversés sur les forêts du Viet-Nam par l'aviation américaine afin de priver les combattants vietnamiens de nourriture et de camouflage.

L'Agent orange porte ce nom parce qu'il était expédié dans des barils de 55 gallons identifiés avec une bande orange. Il était produit par Dow Chemical et Monsanto.

Un règlement intervenu à la suite d'une action civile a mené à une compensation de 180 millions $ pour 20 000 soldats américains, vétérans de la guerre du Viet-Nam. On a convenu de les dédommager pour des maux comme la maladie de Hodgkin, des cancers respiratoires, le cancer de la prostate et des maladies de la peau. En 1998, 6 000 vétérans étaient éligibles à des compensations monétaires de 1 989 $ par mois et jusqu'à 5 000 $ pour les soldats les plus gravement atteints.

Mais les Etats-Unis n'ont versé aucune compensation pour les 400 000 Vietnamiens tués ou rendus invalides par l'Agent orange, ni pour les 500 000 enfants nés avec des malformations par suite de l'action de ce poison décrit comme la molécule la plus toxique jamais synthétisée par l'homme . L'Agent orange est entré dans la chaîne alimentaire et a été transmis par les mères à leurs enfants par le biais du lait maternel. Ses effets se font encore sentir deux ou trois générations plus tard.

Vingt-cinq après le départ en catastrophe des Américains de Saïgon, des commentateurs se demandent pourquoi le Viet-Nam, sur le territoire duquel les Etats-Unis ont déversé plus de bombes qu'il en est tombé sur l'Europe au cours de toute la Deuxième Guerre mondiale, demeure un pays arriéré économiquement !|188| 
698|Pour une école au service de la citoyenneté|Pierre Klépock|

Entrevue avec Monique Richard



Enseignante au primaire à la deuxième et sixième année, déléguée syndicale en 1970 et vice-présidente à l'exécutif national en 1984, mère de famille de trois enfants, Monique Richard, en tant que présidente des 140 000 membres de la CEQ depuis mai 1999, préfère parler à la première personne du pluriel, exprimant toujours une idée collective. Faisant le point sur les dernières négociations, l'aut'journal l'a rencontrée en février dernier.

A.J0 Quel bilan faites-vous des dernières négociations du secteur public?

Monique Richard0 En amorçant cette négociation, nous avons fait le choix d'être en Front commun pour être le plus nombreux possible à porter nos revendications0 corriger la situation de l'emploi, la question de la précarité, de la sous-traitance et de l'équité salariale. Nous avons réussi à imposer un réinvestissement, notamment dans le secteur de l'éducation, en obtenant un ajout de personnel enseignant et professionnel. Les négociations ont permis d'améliorer le statut d'emploi des précaires et nous avons obtenu une certaine amélioration du pouvoir d'achat avec une augmentation salariale de 9% sur 4 ans. Mais après dix ans de coupures, tout n'est pas réglé pour autant.

La fonction publique a un mandat de leadership pour éradiquer la pauvreté. Les coupures, le manque de service, de ressources et d'emploi font de l'école le lieu où tous les problèmes se retrouvent. Par exemple, il y a des enseignantes et enseignants qui apportent de la nourriture dans les classes pour la donner aux enfants. Voilà la réalité d'aujourd'hui. C'est pourquoi la lutte de la CEQ n'est pas une lutte corporatiste, mais une lutte sociale.

A.J 0 Est-ce que le règlement négocié va remédier aux inégalités hommes/femmes dans le secteur de l'éducation?

Monique Richard0 Un pas a été fait vers l'équité salariale, que ce soit au plan du personnel de soutien, des professionnelles et des enseignantes. Les dossiers ont progressé mais ne sont pas tous réglés. L'équité salariale dans la fonction publique n'est pas une chose acquise. Le gouvernement s'est voté une loi, avec une obligation de résultat d'ici 2001, mais encore faut-il qu'il l'applique. Le travail est à continuer sur bon nombre de types d'emplois.

A.J0 Que pensez-vous de la loi sur l'équité salariale pour l'ensemble des travailleuses au Québec?

Monique Richard0 On a mis en place une coalition pour l'équité salariale deux ans avant l'adoption de la loi. Les syndicats trouvaient majeur d'avoir une loi de cette nature concernant toutes les femmes. C'est un plus pour la société en général. Ce qu'on déplore maintenant, c'est le peu de moyens qu'ont les femmes non organisées pour revendiquer cette équité salariale. Cela concerne plus de 3 200 entreprises du secteur privé au Québec.

A.J0 Est-ce que le syndicalisme d'aujourd'hui tient compte de la réalité des femmes salariées?

Monique Richard0 Le syndicalisme ne tient pas assez compte de cette réalité. À la CEQ, 70% de nos membres sont des femmes et nous avons voté un programme d'accès à l'égalité pour lequel nous allons faire un bilan lors de notre prochain congrès. Pour changer nos pratiques, il va falloir tenir compte de la réalité des femmes, notamment en aménageant les horaires pour protéger la vie familiale, tout en incitant ces dernières à s'impliquer syndicalement.

A.J0 Est-ce que les cours de religion devraient être remplacés par des cours de droit civique et d'histoire sur le mouvement ouvrier?

Monique Richard0 La responsabilité religieuse n'appartient pas à l'école. Nous proposons l'enseignement culturel des religions et l'enseignement à la citoyenneté, qui ouvre un volet sur les droits humains, le syndicalisme et son histoire.

Quand on veut former les citoyennes et les citoyens de demain, il faut qu'ils connaissent l'histoire du mouvement ouvrier qui est un élément de notre histoire. On ne peut plus continuer à enseigner la religion si on veut être une société ouverte, accessible, démocratique et faisant place à la réalité des jeunes. On doit leur apprendre les valeurs de solidarité et de respect dans une école commune.

A.J0 Pensez-vous que la CEQ devrait remettre de l'avant sa bonne vieille revendication0 Pour une journée d'école au service de la classe ouvrière?

Monique Richard0 Les militants parlent encore aujourd'hui de l'impact de ce manifeste. Nous pensons que ce document peut s'adapter à la réalité d'aujourd'hui, vécue par le monde du travail. Nous avons la responsabilité de faire le point avec nos jeunes sur les enjeux de notre société et les réalités sociales. La majorité d'entre eux vivent le phénomène de la pauvreté. Nous faisons des cahiers pédagogiques qui parlent des problèmes sociaux et qui donnent des outils aux enseignantes et enseignants pour faire travailler les jeunes sur leurs problématiques.|187| 
699|L'affaire (en)Lisée|Pierre Dubuc|Quand Jean-François Lisée a quitté son poste de conseiller auprès du premier ministre, il y a quelques mois, on a laissé entendre que c'était parce qu'il n'y avait pas de référendum en vue. On pensait à un référendum sur la souveraineté, mais on comprend aujourd'hui que Lisée a choisi la sortie de secours faute d'un référendum, peu importe le sujet. Dure, dure la vie de stratège !

Un retour aux sources ?

On a fait un rapprochement avec le Rapport Allaire pour qualifier la nouvelle position constitutionnelle de J-F Lisée d'un Québec fort dans un Canada uni , mais on pourrait aussi rappeler qu'elle a beaucoup en commun avec la position de l'ex-PCO, le Parti communiste ouvrier des années 1970, dont Lisée était membre 0 Une république du Québec dans un Canada uni.

Le Devoir pro-Lisée

Le journaliste Michel Venne du Devoir a ramé fort pour Lisée. Le jour de la Saint-Valentin, Le Devoir titrait à la une sous sa plume 0 Québec manigance pour étouffer le débat . Il révélait comment l'entourage du premier ministre avait coulé au journaliste Denis Lessard le livre de Lisée quelques jours avant son lancement, histoire d'en diminuer l'impact. Puis, au fil des jours, Venne a cherché, sans grand succès, à débusquer dans les rangs péquistes et bloquistes des partisans de l'option Lisée.

Le Devoir a toujours été plus affirmationniste qu'indépendantiste et l'option constitutionnelle de Lisée ne peut que plaire. D'ailleurs, en éditorial, le directeur Descoteaux demandait au gouvernement péquiste de s'engager à ne pas tenir de référendum au cours de l'actuel mandat. Ajoutons que Le Devoir aime les stratèges au point de continuer à ouvrir ses pages à Claude Morin après qu'il eût avoué avoir été à la solde de la GRC.

Et si tout cela n'était qu'un coup monté ? !

Quand on y pense à deux fois, on a de la difficulté à croire en la démarche de Jean-François Lisée. Reconnaissons-lui un certain sens politique et des qualités de stratège. Comment alors imaginer qu'il ait pu se lancer dans cette galère avec si peu d'appuis ? Peut-on imaginer un titre plus malhabile, plus mal choisi, plus risible que Sortie de secours ? D'ailleurs, les caricaturistes en ont vite fait leurs choux gras. Comment croire que ce soit Jean Royer, celui qu'on présente comme son grand ami , qui ait manoeuvré pour faire échouer son lancement ? Est-il crédible que Michel Venne, qui a été au cours des dernières années l'homme de main de Lucien Bouchard au Devoir, ait à ce point viré capot ?

Et si tout cela n'était qu'une vaste mise en scène en vue de permettre à Lucien Bouchard d'afficher des convictions souverainistes à l'approche du congrès du Parti québécois, d'obtenir un vote de confiance supérieur au 76% qui l'avait si humilié lors de dernier congrès et de rester bien en selle à la tête du parti. Et, une fois cette échéance passée, il sera toujours possible de réévaluer l'option mise de l'avant par Lisée !

Trop machiavélique que tout cela ? Pas si sûr. En tous les cas, ce serait à ranger dans le cadre des grandes stratégies politiques comme Lisée les aime. Et comme les aimait Claude Morin ! D'ailleurs, ces deux personnages ont une autre chose en commun 0 ils sont tous deux friands de romans policiers !|187| 
700|Félicitations, M. Bureau !|l'aut'journal|

Le têteux du mois



Ce mois-ci, le prix du têteux du mois revient à Stephan Bureau, pour l'ensemble de son oeuvre. Félicitation M. Chagnon ! , voilà comment l'animateur du Téléjournal et du Point terminait son entrevue avec Claude Chagnon, alors qu'il venait de vendre à des intérêts ontariens Vidéotron, une compagnie québécoise florissante. (Voir article de Pierre Dubuc, sur notre site web)

Dans la même semaine, Stephan semblait resplendissant de nous montrer la bonne nouvelle au sujet des jeunes 0 contrairement à ce qu'on croyait, ils vivent heureux et ne sont pas endettés, selon un sondage Léger et Léger, commandé par le journal Voir et le Point. Y allant au tu et au toi avec Jean-Marc Léger et Richard Martineau Stephan n'a jamais semblé remettre en question les résultats du sondage 0 Ce soir, on fait tomber les mythes sur les jeunes! , s'exclamait-il, visiblement heureux, comme si un sondage représentait la vérité pure.|187| 
701|Une victoire des institutions de l'ONU sur les transnationales et l'OMC|André LeCorre|

Conférence de Montréal sur la biosécurité



Du 24 au 29 janvier dernier se tenait à Montréal une conférence qui portait sur la biosécurité, c'est-à-dire sur le commerce transfrontalier des produits issus de la biotechnologie, mieux connus sous le nom d'OGM (organismes génétiquement modifiés). Originant du sommet de Rio en 1992, ces négociations ont démontré que des gouvernements responsables, soucieux du devenir écologique de la planète, appuyés par toutes les forces militantes de la société civile, peuvent tenir tête aux puissantes transnationales et les vaincre.

Pour bien comprendre ce qui s'est passé à Montréal, il faut revenir quelques années en arrière. En juin 1992 avait lieu à Rio de Janeiro (Brésil) une conférence historique organisée par l'ONU que l'on a appelé le Sommet planète Terre et qui visait à définir les orientations pour un développement mondial durable.

Tous les aspects sensibles de notre environnement y étaient abordés 0 l'eau, les forêts, la désertification, la couche d'ozone, la conservation des espèces animales et végétales, etc. Plusieurs conventions y ont été signées dont une sur la diversité biologique. Son objectif était de stopper la destruction des espèces biologiques, des habitats naturels et des écosystèmes.

Elle a été signée par 153 pays, soit tous ceux présents sauf les États-Unis qui ont argué que certaines de ses dispositions limiteraient indûment l'activité biotechnologique du pays. Dès ce moment, n'étant pas partie à la Convention, ils perdaient le droit de vote pour la suite du processus. Ce qui ne les a pas empêchés d'être omniprésents à Carthagène et à Montréal grâce à leur vassal fidèle, le Canada.

À Montréal, les concepts de l'ONU et de l'OMC se télescopent

On a vu la montée en puissance de l'OMC (organisation mondiale du commerce) créée en 1995, mais aussi le développement d'importants mouvements populaires qui, notamment grâce à Internet, ont pu contribuer à la mise en échec de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement) en 1998.

Plus récemment l'échec du lancement de la Ronde du millénaire de l'OMC, à Seattle, en décembre 1999, a porté un dur coup au prestige de cette institution. La table était donc mise pour qu'à Montréal une nouvelle confrontation ait lieu entre les partisans de la continuation du grand dessein, ébauché à Rio, visant à la sauvegarde de notre planète, et les margoulins à la recherche de profits exorbitants.

Nous en connaissons maintenant la conclusion et si nous n'avons pas encore tous les détails de ce qui sera appelé Le protocole de Carthagène nous savons que deux principes fondamentaux ont été énoncés. Premièrement le principe de précaution, qui permet à un pays de refuser l'importation d'OGM et son corollaire, le renversement de la preuve qui oblige l'exportateur à prouver l'innocuité de son produit (ce qui n'est pas demain la veille). On y a aussi affirmé la prédominance des organismes de l'ONU sur l'OMC en ce qui concerne le contrôle des produits qui peuvent affecter la santé humaine, animale ou l'environnement végétal.

Une grande victoire, donc, pour l'humanité et une grande honte pour le Canada qui, en se faisant le porte-parole servile des États-Unis, a perdu, sans doute pour longtemps, toute crédibilité environnementale.

L'intermède de Carthagène

La non-ratification de la Convention de Rio par les États-Unis a été la conséquence des pressions exercées sur le Sénat américain par les transnationales de l'agro-alimentaire (Dupont, Monsanto, Novartis, Hoechst). Ces industries ont connu un grand développement dans les années 90. Aussi, en février 1999, lorsque les parties à la Convention de Rio ont décidé d'ouvrir à Carthagène (Colombie) des négociations pour la conclusion d'un protocole sur la biosécurité, elles se sont trouvées confrontées à un puissant cartel des pays exportateurs d'OGM 0 le groupe de Miami (États-Unis, Canada, Australie, Argentine, Chili, Uruguay). Bien entendu, ces négociations échoueront et devront se continuer lors d'une nouvelle ronde à Montréal.|187| 
702|La société civile était au rendez-vous|André LeCorre| Il est maintenant réconfortant de voir que chacune des conférences internationales, où politiciens et lobbyistes des multinationales tentent de régenter et d'organiser le monde à notre place, sont accompagnées d'importantes manifestations où la société civile fait entendre sa voix.

La conférence de Montréal sur la biosécurité n'a pas fait exception. Biotech Action Montréal, GRIP UQAM, Greenpeace international et le Conseil des Canadiens ont organisé un forum d'une journée et une manifestation publique pour dénoncer la libéralisation du commerce des OGM.

Il y a eu des conférences toute la journée à l'UQAM (dont une par Arnaud Apoteker, auteur de Du poisson dans les fraises), une manifestation s'est déroulée dans la rue malgré un froid sibérien et la soirée a été occupée par trois orateurs 0 Maud Barlow présidente du Conseil des Canadiens, Chee Hoke Ling du Third World Network et Jeremy Rifkin, le tout animé d'une façon très humoristique par Daniel Pinard.

Maud Barlow et la mobilisation.

Dans une brève intervention, Maud Barlow a prédit que, bientôt, tous les aliments seront fabriqués par quelques grandes compagnies qui fourniront également les semences, mettant ainsi fin à la tradition millénaire de la conservation des graines pour les récoltes futures. Déjà, McDo et Coca Cola ont envahit le monde et pire encore, là où les paysans ont été chassés de leur terres pour s'agglomérer dans des villes où l'eau manque, comme au Mexique, Barlow a pu voir des bébé nourris avec des biberons emplis de Coca Cola.

Elle appelle donc à la constitution d'un mouvement international puissant. Nous devons montrer notre force 0 jamais plus de conférences derrière des portes closes, dit-elle.

Chee Hoke Ling et la conservation de la diversité

L'Asie du Sud-Est est devenue, selon elle, un vaste champ d'expérimentation pour les OGM. Résultat 0 beaucoup de variétés de riz et, à Bali, des pommes de terre qui avaient une valeur religieuse et culturelle se sont perdues parce que les sols ont été compactés par la machinerie lourde.

Le danger de dissémination de gènes douteux est considérable Si vous avez un véhicule défectueux, dit-elle, vous pouvez toujours le rappeler alors qu'un gène perdu dans la nature ne peut pas l'être.

Elle demande un protocole sur la biosécurité très complet et très hermétique, incluant les produits pharmaceutiques ainsi qu'une responsabilité légale pour les nuisances possibles.

Jeremy Rifkins. Apocalypse now ?

L'orateur, auteur de 15 livres, dont les deux derniers, Le siècle BioTech et La fin du travail, publiés chez Boréal, dresse un tableau assez effrayant des conséquences possibles de la généralisation du génie génétique.

Déjà, la transgression de la barrière des espèces est une aventure périlleuse (gène de luciole inséré dans le code génétique d'une souris pour la rendre luminescente), mais la création d'animaux chimères et le clonage à partir de gènes humains sont porteurs de conséquences encore plus imprévisibles.

Il s'insurge aussi contre le brevetage du vivant. Ainsi, l'ex-traction d'un gène deviendrait, comme dans le milieu pharmaceutique, une invention avec un brevet pour 20 ans. Il y a déjà une recherche intensive de gènes qui se fait dans le monde entier et les pays d'où on les extrait réclament une compensation. Jeremy Rifkins va jusqu'à prédire une guerre pour les gènes .

Quant aux semences modifiées, elles restent la propriété du fournisseur (tel Monsanto) qui loue de l'ADN à un fermier pour une saison.

Pour lui, tout cela est illégal. Ces gènes n'appartiennent à personne, ils sont le fonds commun de l'humanité.

Autre exemple 0 une plante dotée d'un gène à propriétés herbicides va provoquer la croissance d'herbes résistantes. De même, les plantes résistantes aux insectes vont tuer indistinctement les insectes nuisibles et ceux qui sont utiles. Chaque cellule d'un grain de maïs transgénique devient une usine qui va produire des toxines insecticides 24 heures par jour. Conclusion 0 il faut bannir les OGM jusqu'à ce qu'on en sache davantage sur leurs effets (si jamais cela est possible).

Enfin, l'orateur termine sur une bien curieuse réflexion concernant la modification du génome humain. D'après lui, cela pourrait conduire à une forme d'eugénisme, la pire des aberrations. On pourrait alors sélectionner les candidats à un poste selon leurs prédispositions génétiques. Que dirait l'enfant à ses parents qui n'auraient pu lui payer un bon génome?

Tout cela doit conduire, selon Jeremy Rifkin, à une législation très sévère et à des débats approfondis. D'autant plus qu'il existe des alternatives valables telles que la culture organique, il faut toujours choisir la voie qui garde le contact avec la nature.

Des informations qui laissent songeurs et qui invitent à suivre ces dossiers de près.|187| 
703|Sommet de la jeunesse 0 l'homme sans projet|Michel Bernard|En cette période où l'on parle en France de réhabilitation de Sartre, j'aimerais montrer comment l'exigence de liberté de l'existentialisme sartrien est en contraste avec la demande de soumission exigée des jeunes par le ministre de l'Éducation et de la Jeunesse, François Legault.

Une idée-force de l'école existentialiste est que l'existence précède l'essence , c'est-à-dire que l'homme se fait par son existence, qu'il n'est pas prédéterminé par une essence figée. Il n'est pas comme une statue dont l'essence, les caractères ont existé au préalable dans l'esprit de son créateur 0 l'homme n'est pas la sculpture d'une surnature, d'un dieu ; l'homme n'a pas une place assignée, il n'est pas une donnée objective à réaliser.

L'homme est un projet

L'existentialisme accorde un primat au vécu sur la pensée. L'existence ne se laisse pas réduire à une pensée, figer dans un concept. La raison est particulièrement impuissante à expliquer l'étrangeté de l'existence, à lui donner un sens. L'être n'était pas nécessaire et n'était pas prédestiné à être 0 je viens au monde, je vis et je meurs sans raison. Jeté dans le monde, chaque homme est sommé d'affronter une situation qu'il n'a pas choisie. L'idée importante est que, le sens de l'existence n'étant pas donné, l'homme est libre de lui donner un sens. D'où le thème de l'homme comme projet. Être librement, c'est être comme projet.

La mauvaise foi

L'homme est ce qu'il se fait être . À cause de cette indétermination radicale, la liberté a une dimension angoissante. Sartre disait 0 nous sommes condamnés à être libres , l'homme a à faire l'humanité (1). L'angoisse est indissociable de la liberté. Ce vertige des possibles incline à la fuite, à l'excuse déterministe comme remède.

L'existentialisme récuse les constructions de la pensée qui limitent la liberté en décrétant que l'homme, que l'histoire, que la civilisation sont déterminés à aller dans tel ou tel sens. Les faiseux de systèmes cherchent à se rendre le monde intelligible. Ceux qui se cachent derrière les systèmes métaphysiques, derrière leur inconscient, derrière leur signe astrologique, derrière leur jeunesse malheureuse, leurs conditions familiales, leurs gènes ou derrière tout autre excuse déterministe, tentent de se disculper d'être l'auteur de ce qu'ils sont.

Celui qui se dissimule sa liberté, qui se ment à lui-même en se disant qu'il ne peut être que ce qu'il est, se donne le statut de chose inerte plutôt que de projet. Il se choisit comme lâche pour échapper à l'angoisse des possibles 0 c'est le thème existentialiste de la mauvaise foi .

Il faut ajouter que je contrôle difficilement l'être que je suis pour les autres. Le regard de l'autre affecte mes possibilités, ma liberté; je dois en tenir compte. D'où l'énoncé sartrien voulant que l'enfer c'est les autres .

L'homme sans projet du ministre de l'Éducation

La pensée existentialiste de l'homme-projet invite au dépassement. Le système déterministe derrière lequel se cache le ministre et le Parti québécois est la religion de l'ordre spontané du marché. Contrairement à l'existentialisme, le ministre trouve que l'homme a une essence 0 la précarité économique.

Dans son discours adressé aux jeunes, il disait 0 Fini le temps où on trouvait une job steady pour la vie une fois notre diplôme en poche. (2) En bon péquiste, c'est-à-dire en social-démocrate défroqué, il adopte le même discours que les néolibéraux comme Jean-Luc Migué ou Gilles Paquet, le pourfendeur de la Révolution tranquille qui nous invite à accepter comme inévitable un monde où les trois quarts seront des pigistes et des vacataires, où la précarité sera généralisée, la sous-traitance un mode de vie . (3

Pourquoi les jeunes devraient-ils accepter de façon acritique cette précarité comme un déterminisme de l'humaine condition ? Les agrégats économiques nous disent que nous n'avons jamais été aussi riches, la productivité croît 0 où vont les fruits de la croissance ? Les jeunes ne sont pas aveugles, ils mesurent comment le capital s'apprécie considérablement ; partout les valeurs boursières battent des records ; ils font sûrement le lien entre la précarisation de leurs conditions de travail et le redéploiement des sommes ainsi économisées dans l'appréciation du capital. Le ministre a-t-il dit que son gouvernement s'attaquerait aux privilèges du capital ?

Dans la grille existentialiste, le ministre est comme le lâche de Sartre qui se ment à lui-même pour se décharger de toute responsabilité face à ses possibilités de changer le monde. Rappelons que la liberté implique l'angoisse du possible, le projet implique le dépassement.

Le ministre n'a pas de projet, ni de courage pour affronter le capital et les affairistes. Il entre alors dans le processus de mauvaise foi dénoncé par les existentialistes 0 il dit que la mondialisation, la précarité, le démantèlement de l'État sont inévitables. Allons-nous tolérer l'unilinguisme de trop de nos jeunes dans un contexte de mondialisation et de globalisation ? , La grosse machine de l'État a déresponsabilisé beaucoup trop de gens.

De plus, il demande aux jeunes de se choisir comme lâches au sens de Sartre en attribuant à d'autres qu'eux ce qu'ils sont 0 Les baby-boomers doivent faire de la place aux jeunes ; leur situation de victimes a été causée par les baby-boomers qui ne font pas de place aux jeunes et à l'État-Providence qui fait qu'une présumée dette écrasante les attend.

Les générations passées ont eu le courage de réaliser des projets et elles ne laissent pas seulement des dettes. En fait, face aux risques sociaux en progression nous nous sommes solidarisés, nous avons créé le droit social 0 le ministre lui, appelle cela de la dépendance, de la grosse machine de l'État.

Dans son crois ou meurs , dans son prêchi-prêcha de la religion de la mondialisation, le ministre cherche dans le marché le signe de ce que doit être l'homme. Il demande aux jeunes de valoriser l'éducation, mais il réduit le savoir à l'employabilité tout en disant aux 30% de décrocheurs que leurs diplômes ne leur procureront que des emplois précaires. Les étudiants doivent s'auto-définir comme des produits pour un marché, comme du capital intellectuel à compagnies fusionnées, du bétail à profit.

La maladie du PQ 0 La mauvaise foi

En général, le gouvernement du PQ emploie à outrance l'excuse déterministe 0 ce n'est pas Ottawa qui a conceptualisé le virage ambulatoire, qui a expédié à la retraite prématurée 30 000 fonctionnaires, infirmières, médecins, professeurs? Personne ne les a obligés à faire du déficit zéro un objectif à rencontrer dans les plus brefs délais alors que la réparation des effets pervers de ce dogme dans l'éducation, dans la santé engendrera des coûts décuplés.

Québec trouve scandaleux qu'Ottawa s'attaque à la démocratie chez nous, mais il accepte que le capital définisse de plus en plus notre État comme minimal 0 pourtant c'est infiniment plus dangereux pour la démocratie.

En fait, le PQ semble assumer une liberté-projet à la Sartre en visant la souveraineté. Mais quels sont les projets, quelle idée d'homme défend-il ? Par exemple, quel serait le rapport à l'environnement dans le pays du Québec ? Pourra-t-on raser des forêts et élever 25 000 cochons à la porte des villages au nom d'un aberrant droit de produire? À quoi nous servirait d'être souverains dans un État veilleur de nuit qui s'efface progressivement devant le marché ? Ce ne sont pas les ponts privés à Chevrette qui vont nous faire transcender. On ne pourra plus se déplacer dans son pays sans payer une rançon à une quelconque multinationale.

La mondialisation, c'est l'abandon de la souveraineté 0 c'est le démantèlement des États, leur mise en compétition pour annihiler leur capacité fiscale, l'affaiblissement de leur capacité juridique comme dans la réglementation environnementale, le gavage en subventions qui constituent finalement des fortunes privées comme l'a démontré la vente de Vidéotron, les subventions à Wal-Mart, etc. (4) Si le marché doit nous déterminer, apprenons l'anglais, adoptons le dollar américain, fusionnons politiquement avec les États-Unis et assumons notre statut de bétail à profit pour un monde devenu un gros casino.

L'existentialiste dit 0 Vous aurez beau dire tout ce que vous voudrez, moi, je ne suis pas un rouage de votre système ; je suis libre. La liberté est préférable même si cela fait de nous les compagnons d'incertitude des existentialistes 0 comme eux, refusons de marcher l'esprit en paix dans les systèmes qu'on nous impose comme inévitables.

1. LÉVY, Bernard-Henri, Le siècle de Sartre, Grasset, 2000 ; PETIT, Philippe, La cause de Sartre, PUF, 2000 ; WICKERS, Olivier, Trois aventures extraordinaires de Jean-Paul Sartre, Gallimard, 2000 ; BRUNIER, Michel-Antoine, L'Adieu à Sartre, Plon, 2000.

2. Discours rapporté dans Le Devoir du 29-30 janvier 2000

3. PAQUET, Gilles, Oublier la Révolution tranquille, Liber, 1999, p. 37.

4. Voir FREITAG, Michel, PINEAULT, Éric, dir. Le monde enchaîné, Éd. Nota Bene, 1999.|187| 
704|D'après les sondages, la jeunesse se porte bien|Martin Petit|

Sondage commandé par le journal Voir et l'émission Le Point



Quand arrivent des événements politiques importants , les firmes de sondages et les médias s'associent afin de mieux orienter les débats. C'est d'ailleurs une des stratégies médiatique largement utilisées permettant d'éviter les vrais enjeux. Le récent débat relatif aux organismes génétiquement modifiés (OGM) était fort instructif à ce sujet; au lieu d'y débattre de la privatisation du vivant, il a plutôt été question d'étiquetage des produits contenant des OGM. Le Sommet du Québec et de la jeunesse ne fera pas exception à cette règle.

Une semaine avant le Sommet du Québec et de la jeunesse, le journal Voir publie un sondage portant sur la jeunesse. Réalisé par la firme Léger et Léger, des amis proches du PQ, cette opération de relativisation arrive à point pour le gouvernement 0 le message lancé par ce sondage banalise clairement les conditions socio-économiques des jeunes et se résume à quelques opinions, dirigées par le choix des réponses, ou peu importantes par la question posée.

Suivant cette logique médiatique, il est donc plus pertinent de savoir que 75 % des jeunes croient en Dieu plutôt que de se rappeler qu'entre 1973 et 1994, le taux de pauvreté des 15-24 ans vivant seul est passé de 51 à 75 % (ce seuil étant évalué à 13 125 $ après impôts)(1).

Le sondage révélait également que 42 % des jeunes préfèrent un emploi qui leur plaît plutôt qu'un emploi rémunérateur (seulement 8 %). Les jeunes s'habituent-ils à la pauvreté, à la précarité et à l'exclusion que leur impose le modèle néolibéral ou préfèrent-ils vivre plus en marge de ce système en fondant leur vie sur des valeurs autres que monétaires? Pas de question ni de réponse à ce sujet.

Endettement

Au sujet de l'endettement, le sondage révèle que 75 % des jeunes interrogés se disent peu ou pas du tout endettés. Doit-on simplement en déduire que les jeunes ne sont pas endettés ou doit-on plutôt associer ce faible endettement à leurs maigres revenus restreignant leur accès au crédit? La réponse n'aurait pas été sans intérêt.

Le sondage révélait également que 56 % des jeunes occupent un emploi durant leurs études. En considérant qu'ils sont de plus en plus nombreux à demeurer chez leurs parents jusqu'à la fin de leur cheminement scolaire (23-25 ans), ne peut-on pas considérer comme logique que l'endettement des jeunes soit moins élevé?

Afin de ne pas oublier ceux et celles croulant sous les dettes, on retrouvait un article portant sur l'endettement étudiant, en page 26. Le lecteur y apprenait qu'entre 1990 et 1997, le nombre de faillites étudiantes a augmenté de 557 %. C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur la faillite en mai 1998.

En vertu de ces nouvelles dispositions, il est désormais impossible de déclarer faillite pour des dettes étudiantes dans les dix ans suivant la fin des études. Comme par magie, les jeunes n'entrent plus dans les statistiques des faillis puisqu'il leur est légalement impossible de déclarer faillite pour des dettes d'études. Pas de question sur la pertinence ou les impacts de cette loi dans le sondage. Pas de question non plus sur le fait qu'un quart des diplômés gagnent à peine plus que le salaire minimum et travaillent moins de 35 heures par semaine (cette statistique se trouvant dans ce même article, en page 26). Il est donc peu probable que les liens entre la pauvreté des diplômés, leur difficulté à rembourser leur dette et leur maigre accès au crédit soient clairement démystifiés.

20% plus pauvres qu'en 1980

Ce n'est pas non plus de ce sondage que nous apprenions que 26 % des 25-29 ans doivent vivre avec moins de 500 $ par mois, soit moins de 6 000 $ par année. Cette information figure dans un autre petit texte en page 20 dans lequel nous pouvions également lire que les jeunes de 18 à 24 ans sont de 20 % plus pauvres que les jeunes du début des années 1980.

Bref, ce sondage, comme bien d'autres, ne dit pas grand chose d'intéressant sur les jeunes. Pourquoi donc le publier alors que des textes plus intéressants nous dressent un portrait plus réaliste? Et dire que ce sondage faisait la une du Voir!

Prix de consolation

Sans accorder d'importance aux sondages, on retrouve une statistique intéressante dans les choix dirigés qui ont été proposés aux personnes interrogées. Au sujet des surplus budgétaires du gouvernement, le sondage nous indiquait que 52 % des jeunes avaient choisi le réinvestissement dans les services publics actuels plutôt que… les baisses d'impôts (31 %), les deux autres choix de réponses disponibles étant le remboursement de la dette et l'aide aux entreprises. Malgré tout le martelage médiatique relatif aux baisses d'impôts, les jeunes semblent demeurer solidaires.

1. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Ministère de la Sécurité du revenu, La pauvreté au Québec 0 bref historique et situation actuelle (1973 – 1994), novembre 1996.|187| 
705|Le Lac-Saint-Jean, victime de la mondialisation.|Roméo Bouchard| Le Lac-Saint-Jean et le Saguenay sont des régions-ressources typiques dont le sort est lié en grande partie à des grosses compagnies à qui nos gouvernants ont concédé pour presque rien l'exploitation des ressources. Ainsi, le Lac-Saint-Jean et les grandes rivières qui l'alimentent sont harnachés à jamais par les grands barrages hydroélectriques de la puissante Alcan et les immenses forêts, qui couvrent la majeure partie du territoire, sont concédées aux grandes papetières, 25 ans à l'avance.

Depuis quelques années, l'emploi et la population sont en chute libre dans cette région. Déjà, la mécanisation des emplois en agriculture, en forêt et en usine, ajoutée aux politiques centralisatrices de nos gouvernements, avait fait disparaître en 50 ans près de 75% des emplois. La dénatalité est venue s'ajouter, avec les résultats qu'on connaît0 taux records de chômage, exode des jeunes, baisse et vieillissement de la population, dégradation de la qualité de vie, augmentation de la dépendance et de l'exclusion sociale.

De plus, la pression exercée sur les ressources et l'environnement de la région par cette productivité accrue a contribué entre temps, à détériorer gravement le potentiel de la région0 coupes à blanc bien au-delà du 50ème parallèle, déboisement des versants des grandes rivières, haut niveau de pollution par les HAP, les furanes et les dioxines, érosion des berges du Lac, etc.

Les retombées de la mondialisation

Et voilà que la vague des fusions, concentrations et rationalisations provoquée par la mondialisation néolibérale, tant dans le privé que le public, vient porter un autre coup mortel à ces communautés déjà désorganisées par les effets de la productivité croissante des grandes entreprises. Avec ses nouvelles usines, dont celle d'Alma qu'on dit être le plus gros chantier au monde, Alcan (maintenant fusionnée avec Péchiney aura au total moins d'employés avec 4 usines qu'elle n'en avait il y a une trentaine d'année dans sa seule usine d'Arvida.

Après Alcan, Alliance et Abitibi Paper, la dernière fusion qui frappe de plein fouet la région est celle des papetières Abitibi-Consolidated et Donohue (Québecor), désormais première au monde, avec l'annonce de coupures de production et de fermetures d'usines (en plus de Chandler) qui ont toutes les chances de se situer au Saguenay-Lac-Saint-Jean où sont localisées 4 des papeteries concernées et 7 scieries, avec les concessions et travailleurs forestiers qui y sont rattachés.

Au plan des rivières, les projets de barrages refont surface, sous la forme de mini-centrales exploitées par des compagnies privées0 rivière Mistassini à Dolbeau, rivière Alex à St-Ludger-de-Milot, rivière Ashoumoushouan à St-Félicien.

À cela, il faut ajouter le virage industriel rapide qui s'opère sans l'agriculture, encouragé par l'Union des producteurs agricoles (sous la pression des producteurs de porcs dont fait partie le président Laurent Pellerin) et par le gouvernement, qui veut doubler les exportations agricoles. La coopérative NUTRINOR de Saint-Bruno vient d'annoncer un projet de production de plus de 50 000 porcs par année dans la région pour financer sa nouvelle meunerie. La concentration et même l'intégration des entreprises agricoles de plus en plus industrielles, en plus d'accentuer la dégradation de l'environnement et des paysages, contribue à son tour au démantèlement et à la diminution spectaculaire des fermes familiales (30% en 10 ans), aggravant d'autant, à moyen terme, les problèmes de dépeuplement et d'occupation du territoire.

La folie des coupures et des rationalisations déclenchées dans les services publics par l'opération du déficit zéro et de dérèglementation est venue renforcer ce mouvement qui laisse, au Lac-St-Jean comme dans les autres régions périphériques, les communautés locales en panne et en marge de la croissance économique mensongère dont font état les statistiques officielles puisqu'elle se fait de plus en plus sans les communautés locales et à leurs dépens.

Le défi du développement local

La population du Lac-St-Jean déploie pourtant une énergie et une créativité remarquables pour tenter de freiner la décroissance en créant, dans tous les secteurs et à même ses propres moyens, de nouvelles façons de tirer profit des ressources locales0 projets de forêt habitée et multifonctionnelle à Normandin, à La Dorée et à Péribonka; production organisée et mise en marché du bleuet par des groupes coopératifs; culture et mise en marché des fruits sauvages caractéristiques de la région par Les Jardins Maria Chapdelaine; productions maraîchères et laitières biologiques avec transformation locale; mise en place de produits et d'infrastructures touristiques pour mettre en valeur la grande nature de ce pays de forêt et de grandes rivières nordiques; entreprises d'économie sociale pour prendre en charge les victimes de la décroissance; dynamisme exceptionnel des organismes de soutien au développement local; création récente d'une nouvelle formation collégiale en développement local au Cegep de St-Félicien, etc.

Force est de constater cependant que, jusqu'ici, ces initiatives sont restées impuissantes à freiner de façon significative les effets dévastateurs du rouleau compresseur de la nouvelle économie néolibérale et des politiques sectorielles centralisées et centralisatrices du gouvernement, qui contribuent toutes pratiquement à vider les régions périphériques. Ces efforts populaires sont confrontés de toutes parts aux monopoles qui confisquent les ressources et le territoire d'une part, et au refus de l'État de confier aux communautés locales un pouvoir réel de gestion intégrée de leur territoire. En dehors des grands pôles de croissance et des grands ensembles, pas de salut! En dehors du marché mondial, pas de développement!

Après les Patriotes gaspésiens, verra-t-on bientôt les Patriotes du Lac-Saint-Jean, de l'Abitibi, du Bas-Saint-Laurent monter à l'assaut de Montréal et mettre nos dirigeants politiques et économiques en accusation de génocide économique devant les tribunaux internationaux?|187| 
706|Près de 13 000 membres de l'Action des patriotes gaspésiens disent non, c'est assez !|Dominic Fortin|

Faudra-t-il exproprier les habitants de la Gaspésie comme on l'a fait pour le parc national Forillon ?



Le Club de conférences du Centre d'études collégiales de Carleton recevait le 16 février dernier Gaston Langlais, le principal porte-parole de l'Action des patriotes gaspésiens. Ce mouvement a été formé suite aux fermetures de la mine de cuivre de Murdochville et de la papeterie Gaspésia de Chandler. Des Gaspésiens, jusque là calmes et dociles, se sont mis en colère et, fort de l'appui de nombreux membres, dénoncent vertement nos deux paliers de gouvernements pour avoir planifié le génocide économique de la Gaspésie.

Selon Jules Bélanger - un précieux témoin de l'histoire de la Gaspésie -, les Gaspésiens acceptent trop facilement, comme naturellement, par habitude, leur immémoriale situation de parents pauvres. Notre histoire, dit-il, montre bien que nos richesses naturelles ont toujours été exploitées au profit des autres et qu'ainsi nos gens ont à peu près toujours été réduits et maintenus dans la pénible condition de cheap labour, de servitude et de pauvreté, sinon de réel servage1. L'Action des patriotes gaspésiens entend mettre fin à cette situation. Pour ce faire, ce mouvement compte utiliser toutes les tribunes disponibles pour dénoncer, haut et fort, les injustices du passé et du présent. Et Gaston Langlais ne se gêne pas pour écorcher au passage ministres, sous-ministres et fonctionnaires, tous complices du génocide économique de la Gaspésie.

Affamer la Gaspésie pour nourrir les grands centres urbains

Depuis les années 70, dans la foulée du rapport Higgins-Raynauld-Martin commandé par Québec et financé par Ottawa, les gouvernements et les fonctionnaires ont orienté leurs décisions sur la base du raisonnement suivant 0 L'investissement dans l'économie globale du Québec, explique Gaston Langlais, passe par le renforcement de l'espace économique de Montréal. Selon cette conception, une entreprise qui s'établit à Montréal rend plus service aux Gaspésiens que si elle s'établit en Gaspésie, ajoute-t-il. Les gouvernements n'investiront pas dans le développement économique régional, car cela pourrait inciter des entreprises à venir s'installer en Gaspésie, au détriment de Montréal.

Dans les régions, poursuit Gaston Langlais, les gouvernements investissent seulement dans le secteur de la santé parce qu'il faut soigner les gens, dans le secteur de l'éducation parce que ça permet aux jeunes plus éduqués de sortir de la région et, enfin, dans le domaine des communications parce que, pour appliquer une saloperie comme le plan Higgins-Raynauld-Martin, il faut être capable de communiquer. Selon cet homme d'affaires et professeur d'administration, le but ultime, une fois ce plan machiavélique réalisé, est de réduire la Gaspésie à une population de vieillards, de malades, de gens mal éduqués et de paresseux. Mais déjà, c'est ainsi que les fonctionnaires perçoivent les Gaspésiens. Encore quelques années et ils auront raison d'eux.

Des actions pour obtenir le respect et la liberté

Pour obtenir le respect, le mouvement compte sur la reconnaissance internationale. Un dossier, dans lequel il dénonce toutes les injustices subies, sera déposé devant la Cour internationale de Genève, d'ici 6 ou 7 semaines. À partir du moment où les injustices seront reconnues, les deux paliers de gouvernement vont nous respecter et nous demander ce qui est bon pour nous. À l'heure actuelle, tout est décidé à l'extérieur de la Gaspésie. La seconde démarche consiste à intenter un recours collectif de 15 milliards $ contre les gouvernements au nom de tous les Gaspésiens. Enfin, la fin du génocide économique permettrait de freiner l'exode de la population et de retrouver la liberté de vivre en cette terre.

Pour conclure sa conférence, Gaston Langlais cite un théologien allemand 0 Le premier acte de lâcheté réside dans le silence. Au-delà de la lâcheté, le silence est un cautionnement tacite aux actions des équarrisseurs de liberté. Un nombre de plus en plus élevé de Gaspésiens se reconnaissent dans l'Action des patriotes et, ainsi, se font entendre.

Un tableau peu reluisant

En effet, la situation est dramatique. L'avenir démographique de la Gaspésie est loin d'être assuré puisque, selon l'estimation de Gaston Langlais, cette région perdra 30 % de ses habitants d'ici 15 ans. On peut imaginer aisément toutes les conséquences que cela entraînera 0 services municipaux réduits et plus coûteux, fermetures d'école, baisse des valeurs immobilières, commerces qui opèrent à perte, diminution des contrats de construction, etc.

Les impacts sur le marché du travail sont dévastateurs. Gaston Langlais évalue aux deux tiers la proportion de Gaspésiens en chômage, inactifs ou dépendants de l'aide sociale. Il s'agit là d'un gaspillage éhonté du talent gaspésien, s'indigne-t-il devant plus de 150 personnes. Et quand vient le moment d'ouvrir un poste en Gaspésie, les fonctionnaires prétendent ne pas y trouver de gens compétents. Gaston Langlais cite en exemple un cas semblable à Gaspé 0 On a donné ça à une fille de Québec qui recevait 70 000 $ par année et 400 $ par semaine en prime d'éloignement. Elle gagnait plus en prime d'éloignement que bien des professionnels en Gaspésie. Quand nous avons dénoncé cette situation dans les journaux ils ont, comme par hasard, trouvé quelqu'un de très compétent à Gaspé.

Tant que les Gaspésiens ne seront pas respectés, aucun projet structurant ne naîtra en Gaspésie. Selon l'Action des patriotes gaspésiens, les projets qui ne débloquent pas sont nombreux 0 la cimenterie de Port-Daniel, l'agrandissement de l'aéroport de Gaspé, la décentralisation des pêches, le dossier des éoliennes à Val-d'Espoir, la Gaspésia, etc.

1. Jules Bélanger, Ma Gaspésie 0 le combat d'un éducateur, Montréal, Fides, 1993, p. 61.