La FTQ s’inquiète

 


L’Office de la langue réduite de moitié



La FTQ est depuis longtemps préoccupée par l’avenir du français au Québec. Suite à la tenue d’une journée de réflexion sur la francisation des milieux de travail en mars dernier, la centrale syndicale réclame que Québec consacre davantage de ressources et de personnel à l’Office de la langue française (OLF) en vue d’accélérer la francisation des milieux de travail, surtout en ce qui concerne l’intégration des immigrants et la francisation des technologies de l’information.

À la FTQ, on a toujours considéré que travailler en français est une condition de travail vraiment importante. Si on ne peut pas travailler dans sa langue, à la limite, cela peut même être dangereux, on n’a qu’à penser à la sécurité, à toutes les machines qu’on utilise, à toutes les lectures qu’on doit faire pour exécuter notre travail», souligne Lola Le Brasseur du Service de la francisation de la FTQ. «Il faut que le projet de francisation au Québec soit un enjeu collectif pour l’ensemble du mouvement syndical, comme les dossiers en santé-sécurité ou de condition féminine», ajoute-t-elle.

L’Office de la langue française joue un rôle de premier plan dans la francisation des entreprises, mais compte tenu des compressions gouvernementales, en moins de vingt ans, le nombre de postes a été réduit de plus de la moitié, passant de 413 en 1980-1981 à 200 en 1998-1999. Ce qui constitue une menace pour notre projet de société, celui du français, langue commune du Québec. La FTQ a décidé de se porter à la défense de l’Office de la langue française, car c’est un outil essentiel pour les travailleurs et travailleuses. Rappelons que l’OLF collabore avec les syndicalistes de la FTQ actifs dans les comités de francisation de quelque 600 grandes et moyennes entreprises au Québec.

De nouveaux défis

«Aujourd’hui, le mouvement syndical fait face à deux nouveaux défis de francisation. D’abord, les technologies de l’information imposent une langue de travail, celle des logiciels, qui n’est pas toujours le français. Ensuite, c’est l’intégration linguistique des personnes immigrantes qui n’ont pas une connaissance fonctionnelle du français au travail et il faut les intégrer dans nos structures syndicales pour que ces personnes connaissent leurs droits», conclut Lola Le Brasseur.

g Travailler en français

Adoptée par l’Assemblée nationale en 1977, la Charte de la langue française (Loi 101) représente l’aboutissement de longues années de luttes syndicales et populaires 0 Manifestation McGill Français et occupations d’écoles à Saint-Léonard en 1969; grève des ouvriers de la General Motors en 1970; lutte des Gens de l’air en 1975, pour avoir le droit de vivre et travailler en français. Ce ne sont là que quelques exemples des batailles, au cours des années 60 et 70, pour faire du français une langue nationale.

La Charte vise à faire du français la langue de l’État et de la loi au Québec. Aussi, son objectif majeur est de faire du français la langue de travail. Elle comprend des dispositions pertinentes pour les syndicats, principaux acteurs de la francisation d’un pays qui reste à faire, dont les deux fonctions sont 0

- LA LANGUE DU TRAVAIL 0 La Charte donne des droits aux travailleurs et travailleuses que nos syndicats doivent faire respecter par les employeurs (ex. 0 Les patrons sont tenus d’utiliser seulement le français dans les communications collectives adressées au personnel; il est interdit à un boss de congédier un salarié parce qu’il ne parle pas l’anglais; etc.).

- LA FRANCISATION DES ENTREPRISES 0 Les entreprises comptant 50 personnes et plus à leur emploi sont dans l’obligation de posséder un certificat de francisation, programme qui vise à faire acquérir au français un statut acceptable dans les entreprises (ex. 0 Il faut que le français soit utilisé à tous les niveaux de l’entreprise et il doit devenir la langue de travail).

Les entreprises employant 100 personnes ou plus doivent mettre sur pied un comité de francisation d’au moins six personnes, constitué pour au moins le tiers d’une représentation ouvrière ou syndicale. La Charte oblige la tenue d’au moins trois réunions par année du comité, et son mandat est d’élaborer un programme de francisation et d’en surveiller l’application.

Les entreprises de moins de 50 employés sont simplement tenues de respecter les articles exécutoires de la Charte. C’est pourquoi la FTQ revendique que tous les organismes et entreprises employant 25 personnes ou plus élaborent un programme de francisation. Bien plus qu’une simple loi, la Charte de la langue française au Québec est un projet de société visant à corriger une situation d’injustice historique qui dure depuis la conquête britannique de 1760. |191| 
582|Le dernier écho sera québécois|Jean-Claude Germain| On peut fort bien s’accommoder de la solitude, mais que dire ? sinon que c’est une aberration, de ces fameuses deux solitudes qui, ne pouvant ni s’additionner ni se soustraire, se privent mutuellement du plaisir solitaire d’entendre leur propre écho, lorsqu’elles s’adressent à personne, c’est-à-dire à elles-mêmes.

Un romantique allemand, von Chamisso, a déjà raconté dans un récit célèbre, L’histoire merveilleuse de Peter Schlemihl, les déboires d’un homme qui a perdu son ombre. De nos jours, ce qui se doit tout autant d’être l’objet d’un conte tout aussi faustien, c’est le désarroi des langues qui sont menacées de perdre leur écho.

La détresse des deux solitudes

Cette détresse, dite des solitudes, est bien connue au Québec. Jadis, autrement dit il y a trente ans à peine, si au fond d’une vallée ou au bord du lac, bref à l’orée d’un vide qui résonne, on s’avisait de lancer un Bonjour ! tonitruant à la ronde, l’écho répondait du tac au tac par un Hello ! sonore, quand ce n’était pas par un How are you ? à moins que ce ne fusse par un Who are you ? ou tout simplement par le decrescendo d’un WHAT ? ? ? WHat ? ? ? What ? ? what ? La sensation d’être l’écho d’une autre solitude est invariablement angoissante.

La langue qui a perdu son propre écho s’aplatit. Elle devient unidimensionnelle. Elle n’a plus de prise sur le réel qui ne répond plus à son appel. Elle n’a plus la force et la volonté de se traduire les autres idiomes du monde entier.

Traduire, c’est trop dur !

«L’irresponsabilité des apprentis sorciers des merveilleuses années 1960 a fait supprimer du programme scolaire cet acte intellectuel de base qu’est la traduction», rappelle Claude Duneton dans son dernier ouvrage, La mort du français, qui reprend la question là où son maître livre, Parler croquant, l’avait laissée en 1973.

«Or depuis que le monde est monde, le XVIe siècle en ce qui concerne la France, le maniement de la langue, son enrichissement, sa précision, sa flexibilité dans la transmission aux générations postérieures, se sont faits par et à travers le travail de traduction du latin, du grec, de l’hébreu, de l’anglais, de tout ce qu’on veut, peu importe, du moment que l’on est conduit à réfléchir sur sa langue, en se coltinant les vraies difficultés.»

Pour Duneton, cette démission qu’on doit à l’incompétence des pédagogues n’est pas la pire. Il en est une autre qui est symptomatique d’un mal d’être encore plus profond. «Pourquoi sommes-nous devenus incapables d’assimiler les apports étrangers», se demande-t-il ? «Le mot leader que mon père, éduqué entre 1890 et 1900, lisait justement lé-a-dè-re dans les journaux, devrait dans un fonctionnement normal d’emprunt s’écrire lideur depuis longtemps. Les Espagnols ont depuis toujours acclimaté l’anglais, leader en lider alors que les Français, pauvres diables, sourient encore lorsqu’ils lisent lideur ou mieux lorsque j’écris ouikinde pour week-end, ce qui relève pourtant du simple bon sens.»

Le français n’est pas la langue des Français

D’où vient cette paralysie ? «Nous sommes l’unique pays du monde à avoir entièrement changé de langue usuelle depuis cent vingt ans. Tous nos problèmes viennent de là», poursuit le polémiste. «En France, personne ne peut dire 0 “Tel mot est de l’excellent français parce que mon grand-père l’employait.” Il y a toutes les chances que ce vénérable parlât l’une des sept langues régionales, ou une langue tout à fait étrangère, italien, arménien, polonais, russe un peu, grec, que sais-je ? wolôf, bien sûr, arabe ou encore un beau dialecte. Mais de français officiel, à la Victor Hugo, point.»

«Pour des gens qui ont aujourd’hui cinquante ans, quatre-vingt pour cent des familles françaises n’étaient pas de langue française “nationale” à la génération des arrière-grands-parents. La langue française n’est pas véritablement la langue “des Français”. Elle a été fabriquée dès le départ par une chatoyante élite, puis travaillée, au long des siècles, comme un bijou par des gens du monde. Le français ne possède aucun terreau culturel, nulle part sur lequel il aurait poussé, aucune assise locale. Il n’a pas de terroir comme les langues voisines qui demeurent plus ou moins accrochées à leurs terres, à leurs échoppes, à leurs bases populaires 0 elles sont comme la caque, le fameux tonneau qui sent toujours le hareng.»

«Nous n’avons pas une langue d’usage mais une langue de loi. Ce fut sa très grande force dans le passé, mais, dans une société sans foi ni loi, cela risque d’être sa grande faiblesse.»

Allez voir au Québec si j’y suis !

Au Québec, on comprend mal l’inertie et l’insouciance des Français face à l’envahissement de l’anglais. Pour l’expliquer, Duneton prend l’exemple du Québec qu’il connaît bien. «Quand on entend de courtois fonctionnaires expliquer chez nous que la législation n’a jamais aidé les langues à s’imposer ou à se maintenir, on a envie de leur dire 0 “Allez voir au Québec si j’y suis !” Dans notre pays, où le français s’est imposé “par la force de la loi”, depuis Villers-Cotterêts en 1539, l’assertion ne manque pas de sel.»

«Le Québec n’a pas, en ce qui concerne sa langue, le poids d’interdit que trimballe sans même le savoir la population française. L’avantage que ces gens ont sur les Français, c’est qu’ils parlent français à la base depuis plus de trois cents ans. Chez eux, les arrière-grands-parents parlaient français depuis toujours. Une langue drue, inventive, qui a conservé l’accent profond, le chant de nos communs aïeux. Une langue qui n’est pas d’emprunt parmi le peuple, instruit ou non, mais une langue qui sort du peuple.»

«C’est complètement à l’inverse de chez nous. Au Québec, on dit “barrer la porte”, pour fermer à clef; ça fait bizarre pour des Français. Et pourtant... Durant toute mon enfance, nous avons “barré” les portes, nous aussi, au village, de l’occitan “barrar”, fermer. J’ai l’impression que toute la France des racines utilise le verbe “barrer”, mais à cause de sa connotation très justement “populaire”, le mot fait tache et j’entends de plus en plus souvent à Paris, cette formulation “fraîche” comme l’eau de mer 0 “Tu as locké la bagnole ?”»

Qu’est-ce qui meurt en premier ? La parlure ou les parlants ?

Le premier et le dernier écho d’une langue dans une autre, c’est sa musique. Et aujourd’hui que l’occitan n’est plus, il ne reste de son souffle que «l’accengue qui chante» dans le français qu’on jacte en Provence. «Mon grand-père parlait un occitan moulé, sûr de lui, et l’idée que le patois pût disparaître était pour ces gens-là totalement imbécile», se souvient Duneton. «D’abord le patois avait toujours existé, il existerait toujours. Il y a soixante ans de cela, mois pour mois. Et la langue est morte !»

«Les lois de l’économie n’expliquent pas tout, et sûrement pas le fait que les Français ont massivement déserté leurs villages pour se rendre dans les grandes métropoles, dans bien des cas à Paris. On aime à dire que les langues sont tombées faute de sujets parlants, à cause de cet exode. Voire ! Et si c’était l’inverse ? Si le changement de langue avait considérablement accéléré le changement de lieu, partant, accentué le changement de société ?»

Une envie d’anglais à l’antique

Avec l’écho dans les oreilles d’une langue qui a déjà été assourdie par celui d’une langue dominante, les Français d’aujourd’hui n’ont pas plus de raisons de combattre l’américanisation que leurs ancêtres, les Gaulois, n’en avaient de résister à la romanisation. «Il y a aujourd’hui, je le crains, une envie d’anglais à la manière antique, comme il y a eu une envie de latin», constate l’auteur de La mort du français. «Les USA rayonnent de toute leur légende colportée, répandue, vendue à la surface de la planète, un peu comme Rome a dû rayonner jadis, au temps de la conquête – ce qui a fait accepter le latin en un temps record par des myriades de peuplades diverses.»

Le seul espoir viendra d’une langue qui n’a pas perdu son écho. «Le Québec devrait être notre point de mire – un jour, peut-être pas si lointain, lorsque nous serons devenus bien européens, et que nous aurons donné notre langue aux chiens, les Québécois ont de grandes chances de rester les seuls Français sur la planète.»

La mort du français

Claude Duneton

Plon, Paris, 1999.|191| 
583|Le sourire du pouvoir|Jean-Claude Germain|

La comédie de la culture



Avant de publier un brûlot qui n’a pas perdu de son incandescence sur la comédie de la culture, Michel Schneider a été directeur de la Musique et de la Danse, au ministère de la Culture de France. Il a donc pu étudier l’évolution de la chose culturelle de l’intérieur et, au moment où la saison québécoise des festivals débute, son diagnostic tombe pile. «La multiplication des événements festivaliers aboutit en fait, sous l’activisme de surface, à une inaction durable», écrit-il. «La politique culturelle est conçue et menée essentiellement pour faire parler d’elle.»

Son succès se résume habituellement à un slogan qui a fait mouche. Il y a quelques années, en France, c’était La fureur de lire. «À quand La rage du théâtre, La défonce de la photo, La fièvre des archives ou Le cri du patrimoine, ironise Schneider. Tout cela culminera sans doute par une Fête des Fêtes, comme il existe déjà le Festival des Festivals. Mais toutes ces réjouissances ne sont que la fête de l’État. Un État poète, musicien, photographe ? Non pas ! Le prétendre serait trop risible. Mais un État qui, plutôt qu’aimer, susciter et protéger les arts, dynamise, impulse et initie les pratiques culturelles. Les fêtes sont le sourire du pouvoir, elles cachent mal la moue de son mépris.»

LA COMÉDIE DE LA CULTURE

Michel Schneider

Seuil, Paris 1993|191| 
584|La souveraineté du Québec est-elle toujours défendable d’un point de vue féministe ?|Élaine Audet|

«Malaises identitaires»



C’est la question que se pose, vingt ans après le premier référendum, un collectif d’universitaires, dirigé par Diane Lamoureux, Chantal Maillé et Micheline de Sève. En s’appuyant sur les théories postmodernes, les auteures se demandent si, à l’ère de la diaspora à l’échelle mondiale, il n’est pas dépassé, voire impossible, de se laisser enfermer dans une seule identité, qu’elle soit nationale ou sexuelle. Je pense qu’on pourrait se demander si le postmodernisme est défendable d’un point de vue féministe...

Il est difficile de résumer ce livre qui est, comme son propos, un kaléidoscope de points de vue. Sur la situation actuelle du féminisme, les auteures reconnaissent d’entrée de jeu que «les études féministes sont devenues une discipline universitaire à peu près comme les autres» tandis que, sur le plan du militantisme, «le temps dévolu à la présentation de mémoires dans les commissions parlementaires, les représentations politiques auprès des élu-e-s ou des fonctionnaires, tout cela se fait au détriment de la mobilisation politique de type critique et de la recherche sur les nouvelles manifestations de l’oppression» (p. 16).

Les textes de Diane Lamoureux sur «la posture du fils» et de Katherine Roberts sur «la cohabitation fragile du nationalisme et du féminisme dans l’œuvre de Francine Noël», font ressortir que ce sont presque exclusivement les hommes qui ont parlé la nation. Sur le thème de l’utilisation ponctuelle et opportuniste des femmes dans les luttes de libération nationale, Marie-Blanche Tahon, en s’appuyant sur l’expérience des femmes algériennes, montre que, même si elles ont risqué leur vie comme leurs frères d’arme, c’est en tant que mères, épouses, sœurs ou filles de combattants, non comme sujets politiques, qu’on a reconnu leur participation à la lutte et c’est cet unique statut qui leur a été consenti après l’indépendance. Quant à Anne-Marie Fortier et Sherry Simon, elles présentent chacune d’intéressants exemples de cohabitation multiethnique à partir de l’expérience d’une paroisse italienne à Londres et du quartier Mile-End à Montréal.

La solidarité 0 une utopie ?

Pour Chantal Maillé, qui veut «penser un Québec féministe postmoderne», aucun débat de fond n’a eu lieu sur un projet de société, un tel débat étant peut-être utopique à l’heure où les cultures nationales sont métissées par une multiplicité d’identités fluides, nomades, décentrées. C’est, je crois, faire peu de cas de la participation massive des femmes et de toutes les sphères de la société lors de la Commission Bélanger-Campeau (1990) et des Commissions régionales sur l’avenir du Québec (1995), des discussions autour du Rassemblement pour l’alternative politique, depuis 1997, et en ce qui concerne plus spécifiquement les femmes, de la participation enthousiaste de plus d’un millier d’entre elles au Forum pour un Québec féminin pluriel (1992).

Plus proche de nous, comment ne pas faire état de l’importance du vaste mouvement d’action et de conscientisation engendré par La Marche du pain et des roses et par l’actuelle Marche mondiale des femmes en l’an 2000 qui me semblent exemplaires dans l’art de conjuguer la diversité identitaire. En s’unissant, non pas sur la base d’une identité commune, mais d’objectifs partagés, tels que la lutte contre la pauvreté, contre la violence envers les femmes, contre la pollution de l’environnement et les politiques néolibérales (ce qui exclut d’une telle coalition le Parti québécois et les deux autres partis traditionnels au Québec), contre le sexisme, l’homophobie et le racisme, les femmes ont réussi à recréer entre elles une toile de solidarité fondée sur la multiplicité des identités se rejoignant dans une même volonté de mettre fin à tous les rapports de domination, tant sur le plan individuel, que national et international.

S’unir sur des aspirations inclusives

Là où le livre me semble toucher l’essentiel, c’est quand il parvient à dégager des avenues à l’action commune. C’est le cas notamment lorsque Chantal Maillé préconise des coalitions féministes dans lesquelles les différences entre les femmes seraient reconnues et exprimées. Ces coalitions se formeraient «non pas en fonction de qui nous sommes mais de ce que nous voulons accomplir»1. Elle cite également Lois West2 qui «entend élaborer une théorie du féminisme nationaliste où les deux processus se construisent mutuellement, les femmes redéfinissant le féminisme à travers les luttes nationalistes et la revendication de droits civils». Il s’agit également pour cette auteure d’une «forme de nationalisme qui unit les femmes par-delà les frontières nationales, autour de la division du travail à l’échelle de la planète» (p.157).

Ainsi, Chantal Maillé en arrive à se demander s’il serait «possible, dans le contexte plus spécifiquement québécois de former des coalitions féministes qui réfléchiraient à l’avenir politique du Québec non pas sur la seule base de l’ethnicité, mais qui incorporeraient les diverses visions de ce que les femmes recherchent comme société ?» (p. 156). Et cela, pour l’auteure, n’aura de chance de réussir que si on ne cherche pas «le nivellement des identités à l’intérieur d’un tout universalisant qui constitue la clé, mais bien la reconnaissance de la différence culturelle dans un contexte où il n’y a pas de hiérarchie parmi les différences» (p. 160).

Inventer un nouveau modèle de citoyenneté

Micheline de Sève rappelle que «tant qu’on se bornera à jauger les femmes à l’aune de la condition masculine, la norme n’aura pas changé» et que «la promesse de réaliser la souveraineté du Québec sur la base d’une constitution écrite par des femmes et des hommes à égalité3, une première mondiale en matière de parité politique, milite en faveur de l’appui des citoyennes au projet d’une nouvelle société québécoise» (p. 183). De Sève a raison de dire que le défi majeur consiste à «inventer un modèle de citoyenneté différenciée, qui ramène la pluralité au cœur des discussions politiques sans pour autant provoquer la paralysie d’une société divisée en autant de ghettos retranchés sur leurs différences respectives d’ethnie, de classe, de genre» (p. 184).

En dépit de quelques bémols, j’espère vous avoir donné à toutes et à tous le goût de lire cette réflexion plurielle, dense et fort bien documentée, de chercheures féministes qui se sont penchées sur le toujours litigieux problème des liens entre le nationalisme et le féminisme. Comme vous avez pu le constater, ce livre sait nous interpeller par sa remise en question stimulante de toute certitude. En chaussant les lunettes du postmodernisme, les auteures nous donnent un angle de vue peu exploré au Québec. Et nous montrent que ce modèle-là peut à son tour être «déconstruit» !

Dépassé le féminisme-à-maman ?

Le postmodernisme est un mouvement de pensée apparu au dernier quart du XXe siècle, à une époque où triomphent le néolibéralisme et la consommation effrénée des êtres et des choses. Les tenantEs de cette pensée, fondée sur le relativisme de toute connaissance, rejettent toute croyance au progrès, à la raison, à l'engagement politique. Pour les théoricienNEs du postmodernisme, tels Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Rosa Braidotti, la construction d'une identité, qu'elle soit sexuelle ou nationale, ne peut qu'exclure les autres identités et, dans ce processus, créer une autre forme d'oppression. Ainsi, tout militantisme devient suspect parce qu'il enferme dans une réduction binaire donc exclusive 0 si t'es pas avec moi, t'es contre moi !

Bref, c'est l'ère du tout est relatif et tout se vaut, de l'ici, du maintenant, du chacun pour soi, de l'individualisme velléitaire, de l'atomisation infinie des êtres. Diane Lamoureux me semble assez bien résumer cette vision du monde lorsqu'elle écrit 0 «En laissant l'avenir ouvert, peut-être pourrons-nous advenir, plurielles et non une, délaissant momentanément la posture de la combattante ou celle de la victime pour pouvoir adopter celle du sujet nécessairement nomade, refusant de se laisser enfermer dans la cage d'une identité, même choisie» (p. 49).

Pour sa part, Chantal Maillé fait allusion «aux jeunes femmes qui se reconnaissent peu dans le portrait victimisant des groupes de femmes créés par leurs mères» (p. 147). C'est, je crois, généraliser un peu rapidement la pensée des «jeunes femmes», dont plusieurs sont engagées et luttent activement pour transformer leurs conditions de vie ou de travail, dont beaucoup sont fières de se dire féministes, refusent de se boucher les yeux et n'ont pas peur de la réprobation de quelques hommes frileux que leur liberté et leur intégrité pourraient faire fuir. Faudrait-il prétendre, au nom du relativisme postmoderne, que les femmes sont aussi violentes que les hommes, même si c'est aller à l'encontre des statistiques4 qui reconnaissent que dix fois plus de femmes que d'hommes sont agressées dans les cas de violence familiale et que 95 % des agressions toutes catégories sont perpétrées par des hommes contre des femmes et d'autres hommes ? Faut-il se résigner à cette violence pour ne pas encourir l'accusation de victimiser les femmes ?

(dir.) Diane Lamoureux, Chantal Maillé,

Micheline de Sève, Malaises identitaires / Échanges féministes autour d’un Québec incertain, Remue-ménage, 1999.

1 Nira Yuval-Davis, Beyond Differences, Women, Empowerment and Coalition Politics, dans Nickie Charles et Helen Hintjens (dir.) Gender, Ethnicity and Political Ideologies, New York, Routledge, p. 180.

2 Lois A. West, (dir.), Feminist Nationalism, New York, Routledge.

3 La Presse, 29 septembre 1995, p. A-14.

4 Strauss, Gelles et Steinwetz, 1995. Ces auteurEs accusent de misogynie et de distorsion importante de leurs données les personnes qui prétendent que les femmes sont aussi violentes que les hommes.

Voir 0http//0www.zip.com.au/~korman/dv/controversy, statistique Canada 1993 http//0www.statcan.ca, et La Presse, 19.11.93. Selon Martin Dufresne du Collectif masculin contre le sexisme, 583 femmes avec leurs enfants ont été assassinées au Québec, depuis le massacre de Poly en 1989 jusqu’au 28 mai 2000, par des conjoints, des violeurs, des hommes qui ne pouvaient accepter de perdre leur contrôle sur elles.|191| 
585|Quand Bourque, Landry et Vaugeois décident de l’avenir immobilier de Montréal|Michel Bernard| J’écoutais distraitement les nouvelles à la télé de Radio-Canada. Tout à coup, un reportage présentait un type qui poussait son cocorico devant son château de Westmount. Il se disait riche, aimer les grosses maisons, les beaux chars. Puis, un second plan le montrait filant et tournoyant en yacht devant la ville de Montréal en fond de décor. Il parlait, cigare au bec, verre à la main, de faire exploser la croissance de Montréal; il en parlait vraiment comme si c’était le fond de sa cour.

Ayant du fric, il disait avoir réussi; ayant de l’avoir, il se disait savoir être; il s’offrait comme modèle à la jeunesse; il affirmait que l’informatique ne s’apprend pas à l’université, mais sur le tas. J’ai compris qu’on parlait de la Cité du commerce électronique et que ce prototype de l’affairisme triomphant était Sylvain Vaugeois. Sa putain d’arrogance s’explique facilement par l’aplatventrisme des élus devant les promoteurs immobiliers, particulièrement à Montréal.

Pourquoi être modeste quand les promoteurs ont des rapports patrons-secrétaires avec les maires, quand des aberrations comme un projet de transbordement des déchets à cent mètres des résidences reçoit automatiquement l’approbation du maire ? Pourquoi ne pas triompher quand Montréal se penche sur un changement de zonage à la carte pour accueillir un édifice en hauteur sur les flancs du Mont-Royal classé patrimoine ? On revient au temps où les Reichman finançaient le parti de Drapeau et construisaient sans se préocupper des règlements d’urbanisme qui changeaient à la réunion municipale suivante.

Faisant régner l’arbitraire, Bourque, Landry et Vaugeois décident en catimini de l’avenir immobilier de Montréal, au mépris de la consultation publique. Dire que, suite à la fermeture du Théâtre des Variétés, certains craignaient la disparition du vaudeville à Montréal…

Quand le «king» de la subvention s’allie au prince du béton

Landry, le «king» des centres d’appels subventionnés, était prêt à verser 280 millions sur 35 ans pour un deuxième stade non viable. Il a annoncé un retour de 25 % sur dix ans en crédits d’impôts calculés sur les salaires aux entreprises qui s’installeront dans la Cité du commerce électronique, un domaine déjà prospère par lui-même. Les entreprises existantes pourront y déménager leurs employés et passer au «cash», comme CGI, filiale de la riche BCE, qui recevra 200 millions pour changer de coin de rue des emplois existants, et qui recevra 150 millions pour des emplois qu’elle aurait créés de toute façon.

Certains disent que l’idée même de compacter 700 millions de béton pour concentrer une masse critique en entreprises spécialisées en informatique est absurde, puisqu’on peut maintenant communiquer à partir de n’importe où et que cela n’améliorera pas les performances.

Quant à Gameloft, l’entreprise avait mis en demeure tous les pays de lui offrir des subventions. Landry a sauté sur l’appât en donnant un crédit fiscal de 40-50 % des salaires, soit quelque six millions par année, à cette entreprise de jeux vidéo en ligne. Un résultat de ce marketing politique est l’enrichissement de la famille Guillemot qui détient 60 % des actions.

Doper une consommation de plus en plus marginale

Dans le Manifeste pour un revenu de citoyenneté, Michel Chartrand et moi avons montré comment l’humanité réussit à réduire le travail. Ceux qui ont intérêt à sauver le modèle du travail comme mode d’accès aux biens doivent doper une consommation de plus en plus marginale car les biens premiers abondent déjà.

Dans le cas de Gameloft, après tout, les centaines de millions de l’argent du peuple ne lui rapporteront qu’une boîte à «gosser» des jeux (courses de chars, guerres et sports extrêmes virtuels, etc.) d’une priorité très douteuse si cela ne conduit pas à autre chose. Après tout, le projet de Technodôme n’est qu’un centre récréatif de plus, alors que d’autres font faillite. Les Reichman se sont présentés à Montréal avec une pâtisserie immobilière de un milliard, un trou noir à subventions, qui avait d’ailleurs été refusé par Toronto.

Chartrand et moi pensons que l’intervention de l’État est nécessaire; par exemple, les régions ne peuvent être livrées à la seule logique du profit et l’État doit veiller à l’accès aux biens premiers, à l’égalité des chances. Mais les subventions à gogo finissent par discréditer la légitimité de l’interventionnisme.|191| 
586|Du cafouillage au gaspillage jusqu’au gouffre|Saël Lacroix|

Stationnement de Montréal



C’est en 1994 qu’à été signée l’entente de «partenariat» entre la Ville de Montréal et la Chambre de commerce qui cédait à cette dernière la gestion des stationnements et des parcomètres pour une période de trente ans. Depuis, cafouillages administratifs et gaspillages de fonds publics ont entraîné la ville dans un véritable gouffre financier. Ce gâchis vient une fois de plus contredire la thèse trop répandue selon laquelle toute solution aux problèmes de gestion passe par la privatisation.

Selon le vérificateur général Guy Lefebvre, l’entente a coûté jusqu’ici plus de 15 millions $ 0 «À raison de 3 millions par année pour supporter une telle entente, je ne vois pas où est réellement l’intérêt des contribuables», précise-t-il. Son rapport, déposé le 16 mai dernier, recommandait à la ville de mettre fin à toute entente avec Stationnement de Montréal (SdM), société de commandite de la Chambre de commerce. En plus de la mise sur pied de projets insensés comme Parcoflex qui a coûté près de 1,5 millions $, le commandité Accessum, gestionnaire de SdM, y est allé d’une série de dépenses injustifiées qui ont entraîné des coûts directs et indirects de plus de 11 millions à la ville, laquelle assume tous les risques.

En 1999, la ville, qui devrait toucher 80 % des profits d’après l’entente, ne s’est fait verser que 1,5 millions $ sur les 26 millions $ de revenus de SdM/Accessum. La Chambre de commerce, qui n’a jamais injecté de capitaux dans l’ensemble du groupe et qui ne court aucun risque financier, encaisse pour sa part 400 000 $ de redevances fixes chaque année pour sa «collaboration». À la fin de l’entente, elle aura donc touché 12 millions $ qu’elle dépensera comme bon lui semble. Et vive les intérêts municipaux…

La conjoncture pour le moins complexe du groupe Accessum (compagnie mère à la tête d’un agglomérat de petites filiales comme Parcoflex) ainsi que son manque de transparence, que dénonçait M. Lefebvre dans son rapport, étaient révélateurs. En approfondissant les recherches, on a découvert que plusieurs acteurs portaient plus d’un chapeau dans cette histoire. Ainsi, le vice-président exécutif de la Chambre de commerce, Luc Lacharité, agissait aussi comme membre du conseil d’administration de ces filiales. Et que dire de Mme Nicole Forget, présidente d’Accessum, qui autorisait la sortie des fonds chez SdM en même temps qu’elle dirigeait Parcoflex, ceux-là même qui dépensaient ces fonds...

On a également appris que, malgrés l’article VIII (K) de l’entente qui stipule clairement que le commandité (Accessum) renonce à tout honoraire, Nicole Forget touchait à elle seule 48 000 $ par année pour gérer à temps partiel SdM. Au total les frais de gestion chez Accessum s’élèveraient à 429266 $.

À ce rythme, le fiasco Accessum entraînerait une perte de 87 millions $ pour la durée totale de l’entente. Aurions-nous pu prévenir un tel désastre économique ? Rappelons que le professeur Léo-Paul Lauzon, dans son article Le scandale de la privatisation du stationnement à Montréal paru dans l’aut’journal de novembre 1996, prévenait des conséquences qu’entraînerait la gestion des parcomètres et stationnements par la Chambre de commerce. Il semble qu’on ne l’ait pas écouté...|191| 
587|La bouffe ou la pilule ?|Louis Préfontaine|

La réforme sur l’assurance-médicaments



Lorsque le Parti québécois entreprit de réformer le régime d’assurance-médicaments en 1996 pour les fins du virage ambulatoire, il espérait récupérer 200 millions $ des plus pauvres de la société dans le but d’atteindre le sacro-saint déficit zéro. Aujourd’hui, la ministre Marois veut faire passer de 175 $ à 350 $ la prime annuelle.

Avant 1996, les prestataires de la sécurité du revenu et les personnes âgées ayant droit au montant maximum du Supplément de revenu garanti (SRG) pouvaient obtenir gratuitement des médicaments tandis que les autres personnes âgées devaient payer un ticket modérateur de 2 $ par ordonnance et ce, jusqu’à un à un plafond annuel de 100$.

Lorsque la réforme dite Castonguay fut mise en place, on annula d’un seul coup la gratuité des médicaments chez les assistés sociaux et les personnes âgées pour la remplacer par une prime annuelle de 175 $ à laquelle s’ajoute 20 % du prix des médicaments qui aura à être payé par des gens qui n’en ont pas toujours les moyens.1

Déjà à 175 $ annuellement, le rapport Tamblyn (une étude effectuée par seize chercheurs de l’Université McGill sur les effets de l’assurance-médicaments sur les personnes âgées et les assistés sociaux), qui fut commandé par le gouvernement, constatait en mars 1999 que les prestataires de la sécurité du revenu ont réduit leur consommation de 14,7 % et les plus vieux de 7,7 %. Le rapport ajoute également que 1 946 «événements indésirables» (hospitalisations, institutionnalisations et décès) ont été dénombrés, identifiés comme des conséquences directes dans les dix premiers mois de la mise en application de ce programme.

Or, voilà justement que la ministre Marois a décidé de faire doubler ces primes de 175 $ à 350$ annuellement.

Une situation inacceptable

Cette situation est inacceptable selon Jennifer Auchinleck, de la Coalition sur l’assurance-médicaments.2 «Nous voyons régulièrement des gens qui ont à choisir entre la nourriture et les médicaments, de même que nous avons vu d’autres individus hospitalisés pour cette même raison», soutient-elle.

La coalition a d’ailleurs déposé un mémoire à la Commission des Affaires sociales dans le cadre de la consultation générale concernant l’évaluation du régime général d’assurance-médicaments. Elle demande, entre autres, que le gouvernement assure la gratuité des médicaments pour toutes les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, de même que le développement d’une politique globale sur les médicaments, ce qui aiderait à comprendre le rôle important joué par les compagnies pharmaceutiques dans l’augmentation rapide du prix des médicaments depuis une décennie. Finalement, la coalition demande l’intégration complète des médicaments dans le système public de santé.

Le modèle américain

Cette troisième demande est radicalement à l’opposé du vent de privatisations qui souffle en provenance du sud. L’argument principal de ceux qui prônent la dénationalisation de la santé est la performance. Il paraîtrait que le privé fonctionne mieux avec moins de ressources. C’est du moins ce qu’affirmait Alain Dubuc dans une série d’éditoriaux consacrés aux problèmes dans le domaine de la santé, début juin, dans La Presse.

Pourtant, si nous nous fions aux statistiques de l’OCDE, les États-Unis dépensaient, en 1998, 14 % de leur PIB (4 270 $ per capita) pour les soins de santé, alors que le Canada y consacrait 9 %. Cela sans compter que 15 % de la population étatsunienne, soit près de quarante millions de personnes, ne disposent de pratiquement aucune protection. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si ce pays arrive loin dans le classement des pays de l’OCDE quant à l’espérance de vie et la mortalité infantile.

Ces piètres résultats avaient sans doute inspiré le président Clinton au début de son premier mandat, alors qu’il considérait le système canadien comme un modèle à imiter. Malheureusement, il s’est buté de plein fouet aux assureurs privés pour qui le chaos et la pauvreté sont toujours source de revenus.

L’ombre des compagnies d’assurances

Désormais, c’est plutôt notre système de santé qui est en danger. Un système dont nous étions pourtant si fiers. Déjà, aujourd’hui, des assureurs privés offrent des «forfaits» à prix à peine plus élevés que ceux du public.

Par exemple, pour un jeune célibataire de 25 ans, la Great West offre un service de chambres semi-privées à l’hôpital, d’infirmiers à domicile, d’ambulanciers, de services para-médicaux, de soins dentaires, ainsi que de médicaments (à 90 %). Tout ça, pour 59$ par mois. Pour un couple de 40 ans, la facture mensuelle monte à 109 $. Les assureurs sont prêts. Ils n’attendent qu’un signe de la part du gouvernement et ils espèrent réussir à forger l’opinion publique à cette fin.

Avons-nous mentionné que la patron de la Great West qui a absorbé la London Life pour 2,9 milliards $ il y a quelques années est le même que celui qui contrôle La Presse ? Un certain Paul Desmarais... Alors, lorsque nous lirons Alain Dubuc, nous saurons qui nous parle réellement et à qui profite la nouvelle réforme sur l’assurance-médicaments.

(1) Claude Castonguay, le «père» de l’assurance-maladie, est aujourd’hui vice-président du conseil d’administration et membre du comité exécutif de la Banque Laurentienne, une institution qui offre des assurances privées.

(2) La coalition sur l’assurance-médicaments compte plus de deux cents groupes communautaires, regroupements, fédérations, organisations syndicales et associations professionnelles au Québec. |191| 
588|Une mauvaise bonne mesure|Martin Petit|

Les garderies à 5 $



En septembre 1997, le gouvernement du Québec instaurait les garderies à 5 $ en présentant ce volet de sa «politique familiale» comme étant très progressiste. Beaucoup de gens ont alors porté leur attention sur le coût modique du service offert par l’État. Toutefois, cet écran de fumée masquait des données importantes qui révèlent maintenant un tout autre portrait.

En annonçant la création de places en garderies peu coûteuses et ouvertes à tous les parents, le gouvernement du Québec savait que la légitimité d’une telle proposition ne créerait pas de résistance. Le volet des garderies à 5 $ issu de la politique familiale du gouvernement du Québec se résume ainsi 0 développer des services éducatifs et de garde à la petite enfance, assurant premièrement l’accessibilité des enfants de cinq ans à la maternelle à temps plein et des enfants de quatre ans venant d’un milieu défavorisé ou handicapés à la maternelle à demi-temps ou à des services éducatifs.

Deuxièmement, l’accessibilité progressive des enfants de moins de cinq ans à des services de garde éducatifs à un coût minime.

Troisièmement, l’accessibilité des enfants de la maternelle et du primaire à des services de garde en milieu scolaire à un coût minime. Quelque 288 850 familles monoparentales (244 600 femmes et 44 250 hommes) sont visées par les garderies à 5 $ sans compter les familles biparentales1.

Près de trois ans après l’instauration des premières places à 5 $, un constat s’impose 0 pour plusieurs personnes, cette politique a été bénéfique tandis qu’elle a contribué à appauvrir les plus pauvres.

Un exemple

Prenons l’exemple d’une mère monoparentale aux études ayant un enfant à charge, afin de mieux comprendre l’incidence de cette politique sur les personnes ayant un faible revenu.

Avant la mise en place des garderies à 5 $, cette personne payait environ 15 $ par jour pour une place de garde en milieu scolaire pour son enfant; ce coût comprenait tous les frais exigés. À cause du faible revenu de la mère, le gouvernement du Québec subventionnait cette dépense à environ 66 %, ce qui ramenait le coût réel à près de 5 $ par jour. À la fin de l’année, la mère recevait un reçu pour frais de garde égal au nombre de jours où l’enfant avait fréquenté l’établissement multiplié par 5 $. Parce que le revenu de la mère n’excédait pas 26 000 $, elle avait droit au maximum du Crédit d’impôt remboursable du Québec pour frais de garde, c’est-à-dire 75 % du montant total payé2. C’est donc dire que sur chaque 5 $ payé, elle recevait environ 3,75 $ en retour d’impôt, ce qui avait pour effet de ramener le coût d’une journée de garderie à 1,25 $. Même si cette mesure se situait loin de l’idéal de la gratuité pour les personnes à faible revenus, il était tout de même possible de parler d’une mesure progressiste.

Depuis la venue des garderies et des services de garde en milieu scolaire à 5 $, cette personne doit maintenant payer entièrement la somme, sans possibilité de pouvoir réclamer le fameux crédit d’impôt remboursable à la fin de l’année. De plus, elle doit payer 3 $ par jour pour les repas et 3 $ par semaine afin de compenser le coût des journées pédagogiques. Clairement, elle paie beaucoup plus qu’avant et ne peut recevoir d’aide gouvernementale que pour les montants excédant les 5 $ obligatoires.

L’information n’est pas diffusée

Il y a environ un an, la Société Radio-Canada exposait publiquement l’incohérence du système de garderies à 5 $. Au cours de la première semaine de mai de cette année, on a de nouveau abordé ce cas au journal télévisé Montréal Ce soir. «L’an dernier, une analyse réalisée pour Radio-Canada révélait que le régime de garderies à 5 $ pouvait faire perdre 1 300 $ par année aux familles dont les revenus étaient inférieurs à 32 000 $. Une mise à jour de cette étude par son auteur, après les derniers budgets fédéral et québécois, fait grimper ce seuil à au moins 40 000 $.» L’auteur mentionne également «l’exemple d’une famille monoparentale dont le revenu est de

27 000 $ et qui a deux enfants, dont un fréquente la garderie. Si elle utilise le régime à 5 $ au lieu de payer des frais de 22 $ par jour, elle perd 1 460 $ en crédits fiscaux divers. Et c’est seulement quand ses revenus atteindront 45 000 $ que le régime sera payant pour elle. À 60 000 $, elle épargnera 840 $.» L’auteur souligne en conclusion que grâce à cette arnaque, «Ottawa (…) épargnera cette année encore, au moins 50 millions en prestations fiscales»3.

Il est tout de même bizarre qu’il n’y ait pas eu au moins un autre journaliste qui se soit intéressé à cette histoire. Est-ce parce qu’il ne faut pas ternir l’image bidon d’un gouvernement soi-disant «social-démocrate» dans un univers où les médias contribuent à mousser cette même image, ou tout simplement parce que l’étude écorchait au passage le gouvernement canadien ?

Une politique à deux vitesses

Du côté des services plus dispendieux, il est question d'un tout autre scénario. L'an dernier, les gouvernements fédéral et québécois ont augmenté les maximums déductibles pour les frais de garde d'enfant. Malgré l'accès aux garderies à cinq dollars par jour qui, elles, ne sont plus déductibles d'impôt, le gouvernement tient à financer les services de garde des mieux nantis de la société; une autre preuve de l'instauration d'établissements à deux vitesses, financés selon la richesse de ceux et celles qui les fréquentent.

Les deux budgets de l'année dernière contenaient tous deux une mesure faisant passer la déduction maximale pour les frais de garde de 5 000 $ à 7 000 $ pour les enfants de moins de sept ans, et de 3 000 $ à 4 000 $ pour les enfants de sept à 16 ans. En haussant ces seuils, les deux paliers de gouvernement savaient très bien qu'ils s'adressaient aux familles capables d'acquitter de tels frais. Toutefois, il appert qu'ils ne s'adressaient pas qu'aux garderies de «l'élite».

Certaines écoles non-subventionnées «émettent aux parents des reçus pour frais de garde pour la totalité des coûts des services rendus, c'est-à-dire enseignement et garde». Cette situation rendue publique dans un document issu de la Fédération des associations de l'enseignement privé, est fiscalement endossée autant par le gouvernement provincial que fédéral. Par cette nouvelle hausse de la déduction fiscale pour frais de garde, l'État accorde une augmentation de financement aux écoles privées dites «non-subventionnées», écoles pouvant coûter quelque 10 000 $ par année. Même si les besoins de l'éducation publique sont criants, la logique des «socio-démocrates» au pouvoir les laisse dans l'oubli et engraisse indirectement les institutions qui, de par les montants qu'elles reçoivent par élève, pourraient très bien s'en passer.

Encore une fois, nous assistons à la mise en place de mécanismes où les personnes pauvres devront payer de plus en plus afin d'obtenir un accès minimal à des services étatiques essentiels. Au même moment, les élus instaurent d'autres mécanismes par lesquels ils financent les services privés accessibles aux mieux nantis de la société. Réclamons des services de garde gratuits et accessibles à toutes et à tous, et dénonçons cette situation inacceptable en exigeant la fin de cette aberration.

1 Famille monoparentale avec un ou des enfants de zéro à 17 ans.

2 Le calcul du gouvernement du Québec s’effectue ainsi 0 revenu net de la personne moins 26 000 $. On comprendra ici que tous les revenus en bas de 26 000 $ sont ajustés à zéro. Après ce calcul, les gens se situant entre zéro et 1 000 $ reçoivent 75 % de ce qu’ils ont payé; entre 1 000 $ et 2 000 $, ce taux passe à 70 %; entre 2 000 $ et 3 000 $, il passe à 65 %; entre 3 000 $ et 4 000 $, il passe à 60 %; entre 4 000 $ et 5 000 $, il passe à 55 %; entre 5 000$ et 6 000 $, il passe à 51 %; entre 6 000$ et 7 000 $, il passe à 47 %; et entre 7 000 $ et 10 000 $, il passe à 44 %.

3 Mise à jour le mercredi 3 mai 2000, 07 h 25. Les garderies à 5 dollars peuvent coûter cher. Disponible par recherche avec le mot «garderie» sur le site de Radio-Canada 0 http0//radio-canada.ca/nouvelles/|191| 
589|Le colza transgénique canadien contamine l’Europe|André Le Corre|

Vol au-dessus d’un champ de colza



En avril dernier un laboratoire de contrôle allemand découvrait, par hasard, qu’un lot de semences de colza contenait un petit pourcentage de graines génétiquement modifiées (OGM). Ce fait, relativement banal, allait relancer toute la polémique sur la biotechnologie agricole et ses impacts possibles sur l’environnement et la santé humaine.

Rappelons brièvement les faits. L’enquête effectuée après cette découverte devait révéler que ces semences «contaminées» provenaient de la société anglo-néerlandaise Advanta. Importées du Canada, elles avaient été produites par l’Alberta en 1998. Alors que l’Europe interdit la culture du colza transgénique, quatre pays étaient affectés. Selon le quotidien français Le Monde1, près de 15 000 hectares avaient été ensemencés avec ces graines 0 13 500 en Grande-Bretagne, 600 en France, 400 en Allemagne et quelques dizaines en Suède.

C’est ce dernier pays qui devait réagir le premier et ordonner l’arrachage de ces plants. La France suivit après une confrontation entre la ministre de l’Environnement Dominique Voynet (Parti Vert) et le ministre de l’Agriculture Jean Glavany (Socialiste), réfractaire au début. Les Allemands et les Anglais n’ont pas jugé cette destruction nécessaire.

La prudence européenne et le mercantilisme américain

L’Europe, championne du «principe de précaution» en ce domaine, a pu constater à cette occasion l’urgence de la mise en place d’une réglementation précise et de contrôles systématiques. Le caractère purement accidentel de la découverte de ces semences OGM en dit long sur la présence très probable de nombreuses autres contaminations. Par contre la population, échaudée par les problèmes de la vache folle et du poulet à la dioxine, réagit toujours fortement.

En Amérique et notamment au Canada, par contre, c’est avec une quasi indifférence que nous consommons ces produits dont 60% de nos aliments renferment des traces. La réglementation y est pratiquement inexistante ou inefficace et l’on comprend facilement pourquoi. Il y a un conflit d’intérêts évident entre santé publique et commerce international. Au Canada, 60 % du colza produit est transgénique. Des centaines de milliers d’hectares produisent la fameuse huile de canola (CANadian Oil Low in erucid Acid). Comment s’étonner que les graines exportées soient mélangées, quand la réglementation ne requiert qu’une distance de 800 mètres entre les champs de colza normal et ceux de colza transgénique.

Et notre santé dans tout ça ?

Pourquoi ces manipulations ? Si l’on prend l’exemple du colza Roundup Ready de Monsanto, il s’agit d’insérer dans le code génétique de la plante un gène étranger lui conférant une résistance à un herbicide spécifique, le Round Up dans ce cas précis. Il suffira ensuite d’un seul épandage de ce produit pour éliminer les mauvaises herbes, facilitant ainsi le travail des agriculteurs.

Le problème pour l’environnement est que le colza ainsi traité peut transmettre cette résistance à des espèces voisines comme la moutarde sauvage, créant ainsi des super mauvaises herbes qu’il sera ensuite difficile de détruire.

En ce qui concerne notre santé, lorsque l’on sait que les vecteurs utilisés lors de l’insertion d’un gène étranger dans une molécule d’ADN sont souvent des virus comme le VMCF (virus de la mosaïque du choux-fleur) apparenté à celui de l’hépatite B et au VIH, et que les marqueurs qui servent à identifier les réussites sont des facteurs de résistance aux antibiotiques, on peut se faire du souci. A-t-on déjà oublié la mutation du virus de la grippe (dite espagnole) qui avait fait plus de 25 millions de morts en 1918 ?

Et comme, face à ces risques potentiels, en plus de l’augmentation déjà constatée des allergies, le colza ainsi modifié aurait, selon certaines études, un rendement de 20 % inférieur au colza naturel, on peut se demander sérieusement si le jeu en vaut la chandelle.

Une nouvelle facétie de Monsanto

Cette géante de l'agro-alimentaire poursuit un fermier de la Saskatchewan pour avoir ensemencé, sans en payer les droits, ses champs avec ce même colza transgénique qui vient d'ameuter l'Europe (voir l'article ci-contre).

De son côté, Percy Schmeiser, l'agriculteur incriminé, poursuit la compagnie pour avoir contaminé ses champs et y avoir pénétré sans son autorisation.

Le fermier aurait été dénoncé par ses voisins, dit Monsanto, en omettant de préciser qu'elle a elle-même encouragé cette odieuse pratique, en plus d'engager des Pinkerton pour surveiller les campagnes.

On se souviendra bien sûr que cette vertueuse multinationale a fabriqué, lors de la guerre du Vietnam, l'Agent Orange, défoliant de triste mémoire, dont de très nombreux Vietnamiens (et quelques GI) subissent encore les effets.

Dans le cas présent, compte tenu de la proximité des champs avec et sans OGM, il faudra sans doute trouver le moyen d'infléchir la direction des vents et établir des tours de contrôle pour diriger le vol des abeilles (sans parler des droits d'auteur à payer aux ruches ayant réalisé des pollinisations originales).

Ni George Orwell dans son 1984, ni Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes n'avaient prévu dans leur univers déshumanisé cette forme de dictature 0 celle des marchands.

(1) Kempf, Hervé, Le Monde, 22 mai 2000.|191| 
590|Amnistie dénonce l’OTAN|Pierre Dubuc|Amnistie internationale a accusé l’OTAN d’avoir violé à plusieurs reprises le droit de guerre lors de sa campagne aérienne contre la Yougoslavie et a demandé que les responsables de ces violations soient traduits en justice.

À titre d’exemple, Amnistie a qualifié d’«attaque délibérée contre un objectif civil» les frappes contre les bâtiments de la radio et de la télévision serbes à Belgrade au cours desquels 16 civils ont trouvé la mort. Au total, Amnestie évalue entre 488 et 527 le nombre de civils tués lors de l’opération militaire. L’OTAN n’a jamais donné d’estimation.

En réponse aux accusations d’Amnistie, l’OTAN s’est replié derrière le Tribunal pénal international qui a blanchi l’organisation de tout crime de guerre. Sa procureure, Mme Carla del Ponte, a estimé que l’OTAN n’avait commis aucune violation du droit international qui justifierait des poursuites. Le Tribunal pénal international, financé en majeure partie par les États-Unis, apparaît de plus en plus comme un organisme fantoche.|191| 
591|La Colombie, premier Vietnam du XXIe siècle|André Maltais|

Les dollars militaires US envahissent le pays de la cocaïne



Malgré un vaste mouvement civil en faveur d’une solution pacifique et négociée dans la guerre entre la guérilla et l’armée colombienne, le Congrès américain approuvait le 30 mars dernier une aide militaire astronomique de 1,6 milliard $ à l’armée colombienne qui devra désormais «traquer la cocaïne» jusque dans les provinces contrôlées par la guérilla. Cette «aide», affirme un rapport signé Adam Isacson du Centre for International Policy1, place la Colombie en tête de liste des candidats à devenir le premier Vietnam du 21e siècle.

Après avoir été multipliée par cinq entre 1996 (65 millions $) et 1999 (300 millions $), l’aide militaire à la Colombie atteindra 800 millions $ pour chacune des deux prochaines années. À titre de comparaison, les forces armées colombiennes recevront 2,5 millions $ par jour alors qu’au plus fort de la guerre du Salvador, dans les années 1980, l’armée salvadorienne en recevait un million.

De plus, la nouvelle aide se déplace de la police nationale colombienne (police essentiellement anti-drogue) vers l’armée qui combat surtout les deux principales guérillas du pays 0 les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN).

Les bases de cette nouvelle aide américaine ont été jetées en décembre 1998 lors d’une rencontre entre le Secrétaire américain à la défense, William Cohen, et son homologue colombien de l’époque, Rodrigo Lloreda.

Son volet le plus coûteux consistait à créer trois bataillons «antinarcotiques» de 950 hommes chacun au sein même de l’armée colombienne. Le premier de ces bataillons est maintenant formé et le plan d’aide 2000/2001 permettra de créer les deux autres, en plus de leur fournir 63 hélicoptères dernier cri Blackhawk UH-60 et Huey UH-1, des armes, de l’entraînement, du matériel d’espionnage, etc.

Uniformes payés

Les Américains paieront jusqu’aux uniformes et au transport de troupes, en plus «d’appuyer des opérations offensives contre la guérilla des FARC».

La nouvelle aide renforcera aussi le programme Riverine visant à améliorer les capacités d’opération de la marine colombienne sur les rivières du sud-ouest du pays, en plus de moderniser la flotte d’avions intercepteurs Dragonfly A-37 dont un site Web de l’armée américaine dit qu’ils sont «destinés aux opérations de contre-insurrection».

L’aide consistera autant à fournir des renseignements à l’armée colombienne qu’à la doter de matériel et à la former en matière de collecte et d’analyse de renseignements.

Mais alors qu’auparavant le personnel américain ne transmettait sur la guérilla aucune donnée qui n’était pas reliée à la lutte anti-drogue – une telle politique visant à empêcher, par exemple, que l’armée colombienne ne passe les informations aux groupes paramilitaires friands d’atrocités contre les populations civiles – les choses ont changé depuis mars 1999, alors que le Pentagone a émis de nouvelles instructions à son personnel. Toute information sur les guérillas peut désormais être transmise aux militaires colombiens.

Le personnel américain en Colombie comprend de 250 à 300 membres des Forces spéciales, telles les Bérets verts ou la Navy SEALs. Entre autres tâches, ils sont les seuls à pouvoir opérer cinq stations radar pourtant déployées sur des bases militaires colombiennes.

Cocaïne

De plus, le nouveau plan d’aide insiste sur le lieu où doivent porter les efforts «antidrogue» de l’armée. Son principal programme s’appelle Percée dans les régions de culture de la coca du Sud de la Colombie et vise les États de Caqueta et Putumayo, des châteaux forts des guérillas.

Une partie de l’aide américaine reconduira aussi un programme vieux de quatre ans consistant à répandre des herbicides sur les cultures de coca des paysans du sud. Ces cultures représentent, pour ces paysans totalement laissés à eux-mêmes par l’État colombien, l’unique moyen de vivre décemment. Or ils ont dû conclure une entente avec les FARC par laquelle la guérilla taxe leurs profits en échange de leur sécurité...

C’est d’ailleurs le nouvel argument de Washington 0 «Il est devenu nécessaire d’ouvrir des fronts contre les FARC, parce qu’elles sont un obstacle à la poursuite de l’éradication de la drogue dans les régions qu’elles contrôlent», qu’affirmait en octobre dernier le «tsar» de la lutte anti-drogue américaine, le général Barry McCaffrey, témoignant devant un comité sénatorial.

Vers la destruction du pays

Mais l’aide militaire détruira littéralement le pays, au sens propre comme au figuré. Premièrement, elle intensifiera une guerre civile qui donne un prétexte en or aux groupes paramilitaires d’extrême-droite pour continuer à massacrer impunément des civils (paysans pauvres, syndicalistes, militants des droits de l’homme, journalistes, etc.).

Deuxièmement, elle renforcera aussi une armée dont les officiers de rangs inférieurs entretiennent maintes complicités avec ces groupes d’assassins. Ces paramilitaires sont d’ailleurs les grands absents du plan d’aide américaine. Alors qu’il est prouvé depuis longtemps qu’ils sont impliqués jusqu’au cou dans le trafic de la drogue et qu’ils sont responsables de plus des trois-quarts des atrocités commises contre les civils, le plan d’aide ne les mentionne aucunement !

Troisièmement, elle a toutes les chances de torpiller le fragile processus de paix négocié présentement entre les FARC et le gouvernement, et approuvé par une vaste majorité de la population civile. Comment, en effet, la guérilla pourrait-elle ne pas voir la mauvaise foi d’un État qui négocie la paix d’un côté et laisse son armée accomplir les quatre volon-tés des États-Unis, de l’autre ?

Enfin, elle continue une politique américaine qui s’est avérée un échec sur toute la ligne. Non seulement la production de drogue a-t-elle augmenté en Colombie au cours des cinq dernières années, mais les petits producteurs de coca désespérés, dont les cultures étaient détruites, se sont enfoncés plus loin au sud ou sont allés grossir les rangs des groupes armés.

Mais les visées américaines sont toutes autres que d’éliminer les causes qui poussent les Colombiens à cultiver la coca (voir encadrés). En 1999, avant que l’aide militaire ne soit triplée, les États-Unis avaient fourni 370 millions $ à la police et à l’armée colombiennes, contre seulement 7 millions $ (moins de 2 % de l’aide militaire) à des projets de développement, à la réforme judiciaire et aux droits humains.

Intérêts américains dans les pays andins

C'est aux populations et aux gouvernements de plusieurs pays de la région andine que les États-Unis veulent montrer leur force en précipitant à tout prix le chaos, la destruction et la mort en Colombie. Ces pays sont les suivants 0

PANAMA

Le 31 décembre 1999, Washington a dû rendre le canal de Panama à ce petit pays d'Amérique centrale dépourvu de forces armées. Les deux tiers des bateaux qui franchissent le canal proviennent d'un port américain ou s'y destinent.

ÉQUATEUR

Le pays est incapable de rembourser les intérêts de sa dette et il est politiquement très instable, comme l'ont montré le bref coup d'État de janvier dernier et ses quatre présidents en l'espace de trois ans.

VÉNÉZUÉLA

Le pays est la première source d'importation américaine de pétrole, et Washington s'inquiète de l'engagement en faveur de la démocratie du président populiste et nationaliste Hugo Chavez ainsi que de ses relations avec les guérillas colombiennes.

PÉROU

Malgré un passé d'extrême bonne conduite, les frasques antidémocratiques voire illégales d'Alberto Fujimori (ex. 0 son troisième mandat à la tête du pays) commencent à énerver les Américains. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Washington lâche un ami (ex. 0 Noriega, Saddam Hussein, etc.).

BRÉSIL

La principale puissance régionale, fragilisée par les dettes et les inégalités sociales, n'assume pas assez, selon Washington, ses «responsabilités» face à la Colombie.

1,6 milliard $ d'aide non-militaire serait plus efficace !

Si les États-Unis ont 1,6 milliard $ à offrir à la Colombie, voici comment ils pourraient employer cet argent beaucoup plus efficacement 0

1. Renforcer le système judiciaire colombien. En effet, trafic de drogue, assassinats et non-respect des droits humains sont en bonne partie causés par les trop faibles moyens judiciaires colombiens (moyens d'enquête, de protection des témoins et juges menacés, etc.);

2. Appuyer les nombreuses initiatives de paix de la société civile en les finançant généreusement et en leur apportant une aide technique et logistique;

3. Financer et aider techniquement les organisations de défense des droits humains dont les militants sont sans cesse harcelés et menacés;

4. Créer des conditions économiques légales dans les campagnes colombiennes 0 programmes de substitution de cultures, routes et infrastructures, prêts avantageux, éducation, distribution de titres de propriété, etc.;

5. Soulager les populations déplacées. La Colombie vient au troisième rang mondial pour le nombre de réfugiés intérieurs (après le Soudan et l'Angola). L'État colombien n'a pas les moyens de fournir une aide d'urgence ni de reloger à long terme ses citoyens déplacés.

(1) Le Centre for International Policy est une organisation à but non-lucratif qui surveille la politique étrangère américaine et ses conséquences sur les populations. Son adresse Internet est0 http0//www.ciponline.org/|191| 
592|Lectures d’été|Élaine Audet| Un Belge transnational

Si vous aimez les livres fous, délinquants, éclatés, qu’on peut lire dans tous sens et tous côtés, entre Joyce, Queneau, Bersianik, Aquin, entre une fugue de Bach, le quatuor de Schubert intitulé La jeune fille et la mort, Phillip Glass et la musique orientale, jouant de tous les niveaux de langage, vous avez trouvé votre livre dans cette Confession d’un homme en trop/Maïak II. Maïak veut dire phare en russe et phare veut dire «un jeu d’oiseau» dans la langue des métamorphoses de Jean-Louis Lippert, ce Belge transnational, vagabond, visionnaire, rebelle, anarchiste et surtout poète.

«Rapporter les événements. Non dans l’ordre chronologique où ils perdent leur sens. Mais dans celui d’une spirale», nous dit-il. La matière de l’écriture n’a pas de frontières, elle oscille entre Troie, Knossos, Constantinople, Athènes, Leningrad, Lima, Kisangani au Congo, Bruxelles, la forêt de Soignes, et tant d’autres lieux. Au service de la firme Noé (Nouvel Ordre Édénique), elle est mémoire et imagination du monde, sous le signe du chiffre 5, traversée par des perdants qui ont la stature de héros, et par une blonde intemporelle en robe rouge qui prend tous les visages de la beauté, de la création, de la tendresse, de la liberté et de l’amour au fil des siècles. «Elle venait d’Alexandrie. Je n’ai pas le temps de t’expliquer. Toute l’histoire humaine est concentrée par cette vierge antérieure à la Vierge. Les empires successifs qui ont formé l’Europe avaient pour but secret de la détruire, car elle mettait en question la légende sur quoi s’étaient édifiés les pouvoirs des soudards et des prêtres».

Enfin un écrivain qui n’a pas peur de se mesurer à des femmes grandeur nature, de chair et d’intelligence, d’âme et de cœur, d’égal à égale dans leurs différences. Confession d’un homme en trop est une brillante variation sur quelques personnages, espaces et temps. Sans rien perdre en conscience et en révolte, «lui le métèque le sans-papiers l’éternel demandeur d’asile depuis combien de millénaires le sans-abri sur cette Terre sa vie fut bien plus qu’une vie lui qui chercha l’intégrité comme une flamme écoute la voix née du brasier des astres morts». Lucie Wilkin qui a publié ce livre est aussi l’éditrice du Livre de la mère (1998) de Claire Lejeune, poète et philosophe, fort appréciée au Québec.

Jean-Louis Lippert, Confession d’un homme en trop/Maïak II (roman), Avin/Hannut (Belgique), Éditions Luce Wilkin, 1999.

Treize femmes

Interrogées par la sympathique Nicole Lacelle, treize femmes ayant passé huit ans à l’hôtel de Ville de Montréal parlent de la place des femmes en politique, de la conciliation travail-famille, du rapport des élues avec la population. Une réflexion personnelle et vivante sur l’engagement politique au féminin.

Nicole Lacelle, À l’école du pouvoir, Montréal, Remue-ménage, 1999.

Une tragédie grecque

Tête à tête entre le fils et la mère, «à tour de rôle, ils dénoncent le manque. Celui du regard. Celui de la parole qui nomme. Ils disent l’absence d’être». Langage dense, incantatoire. L’absence de regard de la mère. La quête inlassable du fils. Entre elle et lui, le père inconnu, l’amour perdu. Tragédie grecque. Descente aux enfers. Tout est accordé sauf voir le visage. Épopée du regard. Cri. Apprendre «à ne pas exister seulement dans le regard des autres», nous dit l’épigraphe de Laurier Veilleux. Un beau livre qui nous emporte dans sa réflexion.

Monique Laforce, Les Spectateurs du silence (poésie), Québec, Loup de Gouttière, 1999.

Une surdose

Un premier roman et une voix originale qui nous fait participer à la descente de Sabine dans l’enfer de l’enfermement mental où il n’y a d’autre échappatoire que la fantaisie ou la surdose. L’auteure nous réserve de belles variations sur la langue en folie et l’interprétation des chiffres. Comme quoi le 9 ne tient pas toujours ses promesses! Une auteure à suivre.

Denise Blais, Le ciel non plus je ne pouvais le peindre (roman), Québec, Loup de Gouttière, 1999.

Le sexe au travail

Fruit de vingt ans de recherches, ce livre examine les conditions de travail des caissières, secrétaires, serveuses, infirmières, travailleuses d’usine, téléphonistes, préposées à l’entretien, et remet en question la division sexuelle du travail et les préjugés qui freinent le débat sur la santé des travailleuses.

Karen Messing, La Santé des travailleuses/La science est-elle aveugle ?, Montréal, Remue-ménage, 2000.

Sites français à visiter 0

SOS SEXISME 0 http0//perso.club-internet.fr

LES PÉNÉLOPES 0 http0//www.penelopes.org

LES CHIENNES DE GARDE 0 http0//chiennesdegarde.org|191| 
593|Des souris et des hommes|André Le Corre|

Le clonage des humains



Le nouveau film de Karl Parent et Louise Vandelac Clonage ou l’art de se faire doubler est la suite logique de leur production précédente Main basse sur les gènes qui traitait des organismes végétaux génétiquement modifiés (OGM). Les auteurs abordent cette fois un problème encore plus fondamental 0 le clonage d’êtres humains et la manipulation génétique des embryons, des opérations qui pourraient résulter en une véritable mutation de l’espèce.

Ce film très dense et percutant nous fait pénétrer dès les premières images dans un monde hallucinant où un coeur de porc humanisé bat sur le cou d’une chèvre, où une oreille humaine a poussé sur le dos d’une souris, et où des grenouilles sans tête préfigurent des êtres humains anencéphales, réservoirs potentiels d’organes. Mais il nous entraîne aussi auprès de spécialistes éminents de plusieurs disciplines 0 médecine, psychanalyse, biologie, génétique, droit, philosophie, dans une analyse extrêmement fouillée de ce sujet à la fois fascinant et déconcertant. Cette œuvre, très réussie, provoque chez tous les spectateurs un questionnement et une réflexion qui se poursuivent bien après son visionnement.

Du mythe à la réalité

Pour le biologiste Jacques Testart, spécialiste de la FIV (fécondation in vitro), «tout a commencé lorsque l’on a extrait l’ovule, qui est la cellule fondamentale, du corps de la femme». Vingt ans après la naissance de la petite Louise Brown, le premier bébé-éprouvette, le processus n’a cessé de s’accélérer. Pour réussir la fécondation artificielle, il a fallu produire de multiples embryons dont on a congelé l’excédent. Le développement parallèle des techniques de manipulation génétique allait compléter cette base et produire les résultats que l’on connaît maintenant 0 la production d’un embryon à partir d’une cellule somatique (brebis Dolly) et enfin à partir de cellules modifiées pour inhiber le facteur de vieillissement (les cinq vaches clonées récemment).

Il n’en fallait pas plus pour réveiller tous les anciens mythes 0 l’immortalité, la toute-puissance, la recherche de perfection humaine. Et aussi la tentation de se faire cloner pour revivre sous une forme identique, ou de cloner un nouvel enfant à partir d’une cellule d’un enfant défunt.

Les partisans du clonage existent. Le reproche que l’on a fait à ce film, c’est de nous les montrer sous forme de clowns 0 les Raëliens, le mégalomane Richard Seed ou le raciste Randolphe Wicker. Mais un sondage révèle que 7 % des Américains accepteraient de se faire cloner, et beaucoup de ceux qui sont en accord avec cette technique n’osent pas le proclamer publiquement.

Heureusement, beaucoup plus nombreux sont les adversaires, dont tous les experts qui s’expriment dans ce film.

L’eugénisme « gentil »

Si l’on peut modifier génétiquement le patrimoine héréditaire d’un embryon, alors on peut créer un individu sur mesure. D’ailleurs Louise Vandelac nous montre un catalogue dans lequel, photos à l’appui, on peut choisir toutes les caractéristiques d’un futur enfant.

Par contre, Jeremy Rifkin, économiste et ennemi n° 1 des biothechnologistes américains, nous remémore l’exemple le plus monstrueux d’eugénisme connu 0 les nazis et l’holocauste. Cette Allemagne avait créé le programme « Lebensborn » (source de vie) selon lequel on favorisait l’accouplement d’officiers SS et de pures aryennes. Pas moins de 12 000 enfants auraient ainsi été procréés, et l’image la plus saisissante de ce film représente d’ailleurs une grande table ronde sur laquelle sont entassés, pêle-mêle, une cinquantaine de nouveau-nés et autour de laquelle s’affairent des « soigneuses ».

L’eugénisme moderne s’infiltre, lui, plus subtilement, par la porte de derrière. Il prend prétexte de ce qu’existe chez beaucoup de couples infertiles ce « délire d’enfants », comme l’appelle Monette Vacquin, psychiatre, pour favoriser la fertilisation in vitro, alors que l’infertilité n’est pas le problème numéro un de la planète, bien au contraire.

Selon Axel Khan, généticien, la mondialisation et l’uniformisation des cultures ont banalisé le concept de parentalité et fait que les parents ne voient qu’une chose à transmettre à leurs enfants 0 leurs propres gènes (améliorés si possible).

Autre exemple 0 l’Islande a confié à une société privée le monopole du patrimoine génétique de sa population, une transaction universellement dénoncée.

Les conséquences néfastes du clonage et des modifications génétiques

Pour Jeremy Rifkin, cela produirait une modification radicale dans les rapports entre parents et enfants. L’enfant deviendrait un programme, un concept; et les parents 0 les ingénieurs. Qui donnera à ces parents la sagesse, la connaissance, l’intelligence pour définir les traits futurs de cet enfant ? Et si cet enfant n’est pas satisfait des traits qu’on lui a donnés ? Que dire de l’enfant non programmé qui serait « raté ». Sera-t-il rejeté ? « Sans empathie, dit-il, la culture et la civilisation ne survivront pas. »

Pour Monette Vacquin, ce serait là une expérimentation sur les générations futures qui en paieraient le prix. Ce serait aussi la dislocation des liens de filiation existants. Elle illustre d’ailleurs sa pensée en décrivant les liens familiaux qui uniraient, par exemple, le clone d’un homme aux siens. On peut en imaginer toute l’absurdité. Que voit la grand-mère à la naissance de ce clone ? Elle voit l’enfant qu’elle a mis au monde 30 ans auparavant. À sa maturité, la mère voit l’homme qu’elle a aimé et épousé il y a 20 ans. Pour elle, c’est un symptôme de folie, une volonté expérimentale monstrueuse.

Les dérives de la médecine et de la loi

Faite pour soigner, la médecine est en train de s’approprier le vivant comme champ d’expérimentation, avec l’alibi de la thérapie génétique. Une thérapie qui, jusqu’ici, selon Jacques Testart, n’a produit aucun résultat.

Jeremy Rifkin va plus loin et nous parle de cette création de viviers industriels. Si l’on est capable, par clonage et modifications génétiques, de produire de manière répétitive des substances précises, alors on arrive à un modèle bio-industriel semblable à ce qui s’est passé avec la pétrochimie. Bien entendu, le marché est là qui en attend des profits considérables.

Pour Marie-Angèle Hermitte, juriste, il n’existe qu’une vague déclaration de l’UNESCO interdisant les manipulations germinales que les États n’appliqueront pas. Pour elle, on négociera donnant-donnant l’interdiction du clonage reproductif contre le clonage avisé thérapeutique.

Jeremy Rifkin, de son côté, nous parle des États-Unis où les républicains ont essayé d’introduire au Congrès une timide réglementation, appuyée par le président Clinton, que les démocrates ont rejetée sous la pression de l’Association biotechnologique. Donc la voie est libre pour le clonage aux États-Unis. Par contre, l’Europe a une réglementation. Quant au Canada, Louise Vandelac ne répond que par un mot 0 rien !

Qui arrêtera ce cycle infernal ?

Il reste les comités dits de bioéthique et l’opinion publique. Sur les premiers, les opinions des intervenants du film ne sont pas très optimistes. Pour Jacques Testart, ces comités ne sont là que « accomoder la modernité » et c’est une façon de retarder le « progrès » en attendant que la population soit préparée, par une graduation dans la présentation, à l’acceptation. Le philosophe québécois Jacques Dufresne ne fait pas confiance aux éthiciens, ces colporteurs. Il préfère s’en remettre aux scientifiques qui doivent prendre leurs responsabilités. Par contre, Bernard Jégou croit que l’expérience des produits pharmaceutiques et des OGM a prouvé que les acteurs de la technique ne peuvent être juge et partie. D’ailleurs, qui pourra empêcher un quelconque laboratoire de fertilité de réaliser, dans le plus grand secret, le clonage d’un être humain ? (Le film nous montre un laboratoire sud-coréen qui serait prêt à le faire.) Le principe de Gabor (physicien britannique d’origine hongroise) vient nous rappeler que « tout ce que la science peut faire, elle le fera, indépendamment de la morale ». Face à la carence des États, c’est encore une fois l’opinion publique qui devra peser de tout son poids. Pour qu’elle puisse le faire, il est nécessaire qu’elle soit éclairée. Nous devons être reconnaissants et féliciter Karl Parent et Louise Vandelac de l’excellent travail qu’ils font pour parvenir à cette fin.|190| 
594|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Tit Jésus et père Noël, même légende

Soucieux de ne déplaire à personne, le gouvernement du Québec vient de prendre une décision qui déplaira à tous, croyants comme agnostiques. En décrétant que l’enseignement religieux restera obligatoire au primaire - laissant, au secondaire, le choix aux parents, entre d’une part un enseignement catholique ou protestant ou d’autre part un cours de morale - le ministre François Legault a tenté, en bon politicien qu’il est, de couper la poire en deux.

Afin de ménager les susceptibilités de toutes les catégories d’électeurs éventuels, l’administration Bouchard relègue en quelque sorte le petit Jésus au rang du père Noël 0 on vous apprend à y croire (en vous forçant la main au besoin) pendant la petite enfance puis, l’adolescence venue, coucou ! on vous révèle qu’il s’agissait d’une simple légende. Comme ça, tout le monde est content. Et vive le Grand Lulu !

Aider les riches 0 une priorité du PQ

Des dizaines de milliers de Québécois doivent dépendre du bien-être social pour manger tous les jours, sans compter la centaine de milliers qui parviennent à subsister de façon précaire avec des salaires de crève-la-faim. Ces gens ont élu le gouvernement qui dirige la nation québécoise dans l’espoir qu’il les représente adéquatement, qu’il assure leur bien-être, qu’il les défende contre l’exploitation dont ils sont victimes de la part des nantis.

Or, que fait le gouvernement du Québec avec l’argent des taxes et des impôts que leur versent plusieurs de ces démunis ? Il donne généreusement aux riches. Ainsi, les médias nous apprenaient récemment que « le gouvernement du Québec est prêt à consentir aux Expos 280 millions de dollars sur 35 ans ». Ce don généreux permettra de verser à des millionnaires étrangers, dont le seul apport social est de savoir cogner sur une balle avec un bâton, des salaires mille fois plus élevés que le revenu moyen des citoyens ordinaires (2 000 000 $ contre 20 000 $ par année).

Parallèlement, la ministre des Affaires municipales de ce même gouvernement, Louise Harel, se montre ouverte à modifier la loi concernant la « taxe de bienvenue » imposée lors de la vente d’un immeuble, afin de permettre au diocèse de Montréal de vendre plus facilement 27 de ses églises que plus personne ne fréquente. Voilà 2 000 ans que leur sainte mère l’Église s’enrichit sur le dos des croyants et, maintenant que le racket ne va plus, il faudrait priver l’état (et donc les citoyens) de revenus afin de permettre la poursuite du luxe et du faste dont se pare le culte religieux. Qu’ils vendent leur ciboires en or et leurs chasubles de damas et de soie brodée, qu’ils mettent aux enchères toutes les richesses qu’ils ont accumulées au cours de deux millénaires s’ils le souhaitent, mais ils ne devraient pas compter sur un peuple auquel ils n’ont appris que la soumission pour dépenser un seul sou pour les tirer d’embarras ! Dieu est mort ! Ne leur a-t-on pas dit ?

Économie ou démocratie ?

« La paix économique est plus importante que la paix diplomatique », a lancé le vice-premier ministre Bernard Landry, au terme d’une rencontre avec l’ex prix Nobel de la paix et actuel ministre israélien Shimon Peres. Cette déclaration confirme, si besoin était, que, pour notre ministre, l’économie prend le pas sur la démocratie. Ce qui compte, nous dit-il en somme, c’est qu’on puisse d’abord et avant tout faire des profits ; et tant pis si la démocratie est plus ou moins égratignée au passage.

Par la même occasion, Shimon Peres, pressenti comme prochain président de l’État d’Israël, admettait que son dernier voyage à Montréal, il y a cinquante ans, visait l’achat d’armes. Et à quoi pouvaient bien servir ces armes, sinon à imposer par la force la « paix démocratique aux Palestiniens, dont la création d’Israël venait de bousculer la paix tout court » ? Il semble bien que les armes n’aient pas suffi puisque Peres revient à la charge, cette fois en vue de « créer un parc industriel tripartite Québec-Israël-Palestine ». On voit ça d’ici 0 deux nations industrielles modernes s’alliant à un peuple du tiers monde pour mieux l’exploiter. Colonisateurs de tous les continents, unissez-vous !

Le « love bug »

« Un virus attaque la planète 0 les parlements d’Ottawa et de Québec contaminés », titraient les quotidiens, au début de mai, suite au virus informatique inoculé par un couple philippin dans des millions d’ordinateurs de la planète via Internet. Cet incident, suivant de près l’exploit du jeune Montréalais Mafiaboy, donne à penser. C’est au défaut de la cuirasse que doit frapper l’attaquant, et il semble que le système Internet offre un point sensible à tous ceux qui, dans le monde, ne demandent qu’à s’unir pour détourner ou même carrément renverser le néolibéralisme.

Pourquoi en effet perdre son temps en vaines manifestations de rue, puisque le moindre petit virus suffit à ébranler le système ? Socialistes, anarchistes, ennemis du capital et protestataires de tous genres n’ont qu’à utiliser cette méthode, pour le moment imparable, pour déséquilibrer les possédants. On imagine aisément les gouvernements des grandes nations qui exploitent les masses, paralysés par une action universelle longuement concertée et habilement planifiée. D’autant plus que les enquêteurs aux crimes informatiques de la GRC avouaient publiquement être « débordés, voire dépassés, par l’émergence des pirates du cyberespace ». Prolétaires de tous les pays, mettez-vous à l’Internet et bousillez le système !|190| 
595|Pourquoi privatiser Hydro-Québec ?|Gabriel Sainte-Marie|

La réponse appartient aux Québécois



Aucune opposition ne semble se dresser contre le vent de privatisation qui souffle présentement sur Hydro-Québec. Gaétan Breton, professeur de sciences comptables à l’UQÀM et auteur du livre « Les mauvais coûts d’Hydro-Québec », s’inquiète et ne voit pas le démantèlement de la société d’État d’un bon oeil. Il nous fait part en entrevue de ses craintes.

Hydro-Québec nous appartient. En comparant nos tarifs à ceux des autres provinces et des États américains, nous sommes avantagés. En plus, les profits vont à notre gouvernement ; ils ne sont pas perdus. Pourquoi privatiser ? » se demande Breton

La théorie de la privatisation, défendue par les riches et leurs économistes mercenaires, se base sur la soi-disant inefficacité des entreprises publiques. Breton rappelle que cette affirmation, autant qu’elle puisse leur plaire, n’est toujours pas prouvée et reste gratuite.

Puisque Hydro-Québec domine notre marché de l’électricité, elle bénéficie d’importantes économies d’échelle. Malgré cela, le professeur Breton fait remarquer qu’il reste facile d’augmenter son profit ou son « efficacité » sur papier.

On nous fait croire que Hydro-Québec n’est pas rentable

Avec ses recettes, Hydro paie d’abord ses coûts. La différence est son profit. Cependant, ses coûts incluent déjà un 10-12 % de bénéfices. « Si ses revenus suffisaient seulement à payer ses coûts, elle pourrait continuer de prétendre que ses tarifs ne font que couvrir ses coûts », explique Breton.

La société d’État affirme que son coût de production est de 2,81 $ le kilowatt/heure, mais la démarche utilisée pour arriver à ce résultat est impossible à vérifier. Hydro refuse de dévoiler ses chiffres et ses méthodes de calcul. Gaétan Breton en arrive à un coût de production qui tourne plutôt aux alentours de 2,31 $/kWh. « Plus l’information sur ce coût est disponible, plus mon calcul semble être exact », précise-t-il. Il s’agit d’un autre profit caché de près de 22 % ! En fait, comme l’affirmait dernièrement Jean-Thomas Bernard, professeur à l’Université Laval 0 l’amortissement des infrastructures à travers le temps réduit le coût de production d’Hydro-Québec.

Hydro rédige des contrats particuliers avec certaines entreprises. Elle leur vend son électricité à des tarifs préférentiels, supposément pour créer des emplois. « Chaque emploi ainsi créé reviendrait à un coût de près de 200 000$ annuellement. Puisque le salaire versé aux travailleurs est moins généreux, on peut parler de subvention directe aux entreprises occasionnant une perte de profit pour Hydro-Québec.

Face à la privatisation, Breton s’intéresse également aux tarifs. Le nôtre augmenterait. Selon les économistes de service, il faudrait payer l’électricité au « coût marginal ». « Or il y a plusieurs coûts marginaux chez Hydro-Québec » affirme Breton. Par exemple, celui chargé aux Américains se situe sous le coût complet. Un deuxième coût marginal tient compte du coût que les Québécois devraient payer si on construisait une nouvelle centrale. « Puisque ce coût est plus élevé que le tarif actuel, payer au coût marginal revient à payer aujourd’hui un futur barrage que l’on n’aurait même pas à construire puisque cette hausse de tarifs diminuerait notre consommation d’électricité. La belle affaire ! », s’exclame le professeur.

Enfin, bien que Hydro-Québec soit une entreprise publique et qu’elle nous appartienne, ses états financiers restent cachés. Il est donc difficile d’évaluer sa véritable valeur.

Diviser pour privatiser

Afin de faciliter sa privatisation, Hydro-Québec est désormais divisée en quatre grands secteurs distincts 0 production, grossiste, transport (TransÉnergie) et distribution. « Voilà des actifs plus abordables pour sa privatisation et des secteurs plus ouverts à la concurrence », commente Breton.

Jusqu’ici, les offres d’achat pour Hydro-Québec ont été ridicules. L’actif de notre compagnie est de plus de 12 milliards $. Elle en vaut beaucoup plus 0 au moins trois à quatre fois plus, selon les études de Léo-Paul Lauzon. « Des offres de seulement 5 milliards $ pour toute l’entreprise, même si le montant semble énorme, ne font pas le poids », fait remarquer Breton.

Quelques prévisions de Gaétan Breton

Selon les autorités d’Hydro-Québec et le gouvernement, la privatisation n’est pas à l’ordre du jour. Bien qu’ils fassent souvent preuve de démagogie pour cacher leurs véritables intentions, ils n’ont sûrement pas tort, affirme Breton. Avant la révolution tranquille, Hydro-Québec existait et appartenait à l’État. Seule différence, elle ne possédait pas tout le marché. Donc, si au lieu de vendre des actions, Hydro-Québec se contente de vendre des paquets d’actifs, sa part du marché diminuera sans pour autant qu’on puisse parler de privatisation de la société d’État en tant que telle.

Dans l’éventualité de l’ouverture du marché québécois de détail et d’une clause de réciprocité, les règles de la concurrence internationale définies par les institutions internationales (ALÉNA, FMI, OMC) interdisent les situations de monopole. Aucune compagnie ne pourrait alors détenir plus de 20 à 30 % du marché québécois. Actuellement, Hydro détient la presque totalité du marché. Au nom de la concurrence, notre entreprise perdrait son importance au profit de compagnies privées.

Une absence de mobilisation

Hydro-Québec nous appartient. Elle nous fournit de l’électricité à bon prix et rapporte de gros bénéfices au gouvernement. La première victime de sa privatisation serait la population du Québec. Or, aucune mobilisation sérieuse n’a été entreprise. Sans opposition ce projet de privatisation sera facilement réalisé et le vent de privatisation continuera ensuite son chemin à travers tous les services sociaux acquis par nos luttes.

Nous finançons le marché américain

« “ Une hausse du tarif domestique des Québécois réduira leur consommation. Les surplus dégagés seront vendus sur le marché américain et nos profits augmenteront. ” Tel est le joli mantra récité par les agents de service d’Hydro-Québec », raconte Gaétan Breton.

« Les dirigeants d’Hydro, le gouvernement et les médias nous font croire que le marché américain de l’électricité est payant pour notre entreprise, je n’en suis pas si certain ! », poursuit-il. Voici les arguments sur lesquels il base cette affirmation 0

En 1992, les exportations d’Hydro-Québec ne lui ont pas rapporté le rendement minimal souhaité, situé entre 10 et 12 %. La situation est encore la même.

Au Québec, les tarifs incluent les coûts liés aux employés, à l’équipement, à l’infrastructure, etc. Le tarif chargé aux États-Unis inclut seulement le supplément qu’il en coûte pour leur envoyer nos surplus d’électricité. Nous payons donc leur part de coûts fixes, telles les centrales hydro-électriques. « Ils achètent notre électricité à rabais », dit le spécialiste.

À court terme, la situation pourrait être tolérée, mais pas avec des contrats fermes de 20 ans.

Le coût de notre présence sur le marché américain de détail est la réciprocité, c’est-à-dire la présence des Américains sur notre marché, comme l’a affirmé un ambassadeur de ce pays. Nous devrons donc ouvrir nos réseaux aux Américains et à la privatisation.

Pour l’instant, lorsqu’un kilowatt/heure part de la Baie James ou de la frontière américaine pour se rendre à Montréal, le prix est le même. Il s’agit d’un tarif « timbre poste ». Avec l’ouverture de nos marchés, rien ne garantirait l’avenir d’un tel système et les compétiteurs américains seraient avantagés.

Un recul de 40 ans ?

« Montrez-moi un seul homme d’affaires qui a réussi au Québec sans avoir les deux mains dans le coffre de l’État. » Selon Breton, cet adage du milieu des affaires nord-américain a pu être démenti grâce à Hydro-Québec, une société autosuffisante et même rentable. Elle a permis aux Québécois de briller sur la scène internationale pour leur savoir-faire, leur esprit d’innovation, leur créativité, leur capacité à monter des projets…

Le démantèlement du navire amiral de Québec Inc. a tout pour plaire à certains antinationalistes.

Comme Gaétan Breton le fait remarquer, au début des années 1960, le président Walter Gordon du « Canadian National » et toute sa ribambelle d’amis se plaisaient à attaquer les Canadiens français sur leur incapacité à brasser des affaires, et sur leur incapacité à se prendre en main. La nationalisation de l’électricité a servi de réponse. La perte d’Hydro ne viendrait que leur donner raison !

Gaétan Breton est professeur au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal. En plus de ses publications dans des revues scientifiques internationales, il a réalisé plusieurs travaux sur les problèmes énergétiques. Il a également participé aux travaux de la Régie de l’énergie à titre de témoin expert.

Breton est coauteur, avec Jean-François Blain, du livre « Les mauvais coûts d’Hydro-Québec », publié l’automne dernier.|190| 
596|Asbestos toujours aussi meurtrière|Martin Petit|

Après l’amiante, le magnésium



Malgré un rapport d’enquête du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) soulignant clairement que « dans sa forme actuelle, (le projet Magnola) devrait subir des modifications majeures avant d’être considéré comme acceptable », le gouvernement Bouchard a décidé qu’il était acceptable de l’imposer par décret. Comme dans le cas de la ligne Hertel-des-Cantons, les citoyens et citoyennes qui seront touchés par les émissions toxiques de cette usine se souviendront longtemps du processus antidémocratique utilisé par le gouvernement.

Située à Asbestos, l’usine Magnola, valant près de un milliard $, débutera ses opérations dès juin 2000. Derrière cette filiale, la compagnie Noranda, un très gros joueur dans la métallurgie mais également un pollueur notoire. Cette nouvelle usine extraira, à l’aide d’un procédé au chlore, les 30 % de magnésium inclus dans la serpentine d’amiante. Dès le début des opérations, Noranda produira 58 000 tonnes de magnésium par année; elle compte bien doubler cette production d’ici 2010.

Pour la compagnie, ce projet sera très rentable. Tout d’abord, parce que la matière première et le chlore nécessaire au traitement sont disponibles en très grande quantité; et aussi parce que l’électricité et le gaz nécessaire peuvent être achetés à des tarifs fort avantageux. D’ailleurs, Gaz Métropolitain avait largement médiatisé, le 2 novembre dernier, le branchement de Magnola, qui sera le « troisième utilisateur de gaz naturel au Québec ».

La problématique de la pollution

Les médias n’ont toutefois pas abordé la question de la pollution que créera cette usine. En fait, le rapport du BAPE précise que l’ouverture de Magnola, à elle seule, fera augmenter de 3 % la production de gaz à effets de serre au Québec, soit 2,4 millions de tonnes de CO2. Peu de gens ont également entendu parler de l’augmentation de 30 % des émissions toxiques canadiennes que causera ce nouveau projet.

Les rejets toxiques qui sortent déjà de cette usine contiennent des organochlorés regroupés sous quatre appellations faisant partie des douze polluants organiques persistants (POP) les plus connus à ce jour 0 des biphényles polychlorés (BPC), des dioxines, des furannes et de l’hexachlorobenzène. On attribue à ces substances toxiques 0 cancers, tumeurs, problèmes neurologiques pouvant créer des troubles d’apprentissage, affaiblissement du système immunitaire, baisse de la capacité de reproduction, anomalies congénitales, etc. Parce que ces polluants sont persistants, il s’accumulent dans les tissus humains, des animaux et des plantes. De par sa position au sommet de la chaîne alimentaire, l’humain consomme des quantités élevées de ces substances dans la nourriture et l’air.

Une décision d’affaires

Il est tout de même surprenant de constater l’appui inconditionnel à ce projet par le gouvernement et ses fidèles amis. En décembre 1997, par l’union de la Société générale de financement du Québec, du Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ) et de Sofinov, la Société financière d’innovation, le gouvernement a créé la Société de développement du magnésium (SDM), une société en commandite qui a pour mission de contribuer à l’implantation d’une industrie intégrée de la transformation du magnésium au Québec. Chaque groupe y a investi 10 millions $. La SGF possède également une participation de 20 % dans Magnola par le biais de sa division SGF Minéral. Grâce à l’investissement de la SGF, cette société d’État gérant les placements du gouvernement, dirigée en grande partie par des gens du secteur privé, c’est donc une part de l’argent de la collectivité qui financera cette pollution.

Rappelons à ces investisseurs que la production, même involontaire, de BPC est strictement interdite au Canada. Il faudra également se souvenir que le gouvernement du Québec a forcé le retrait du chlore dans l’industrie papetière à cause des problèmes de pollution qu’il causait. Dès le début de la production, Magnola prévoit utiliser quelque 70 tonnes de chlore par année.

Le débat n’a pas eu lieu

Le jeudi 11 mai dernier, la population de Victoriaville était invitée à un débat concernant le projet Magnola. La soirée organisée par deux professeurs du cégep a attiré quelques 125 personnes. Les représentants de Noranda et du ministère de l’Environnement et de la faune (MEF) brillaient par leur absence; celui du MEF ne voulait tout simplement pas se rendre si son « client », la compagnie Magnola, ne se présentait pas. Car voyez-vous, dans le jargon du gouvernement, Magnola est un « client ».

Les gens invités au débat transformé en panel ont alors exposé diverses problématiques très préoccupantes 0 la présence de 108 producteurs agricoles dont 27 producteurs de bovins laitiers dans un rayon de 10 kilomètres autour de l’usine; la création d’un bassin à ciel ouvert de captation des déchets toxiques sous forme de boue d’une superficie de 51 hectares; les quelque 400 fermes laitières susceptibles de recevoir les rejets aériens de l’usine; et la possibilité, comme pour la Belgique avec le poulet à la dioxine, de voir toute cette région perdre sa capacité de production locale. Le nombre d’emplois perdus risquerait alors d’être bien plus important que les quelque 300 à 400 emplois permanents créés par Magnola.

Un forme de résistance

La Société pour vaincre la pollution (SVP), la Coalition pour un Magnola propre et l’Université d’Ottawa s’organisent afin d’avoir l’usine à l’œil. Ils ont débuté un échantillonnage dans la région où les animaux morts sur les routes jouent un rôle important. En échantillonnant du gras et du foie sur ces animaux avant et pendant la production de l’usine, ils pourront observer toute augmentation de toxines dans l’environnement.

Cet exemple original démontre qu’une multiplicité de moyens d’action s’offre aux gens qui veulent agir ensemble. Pour leur part, les personnes présentes au débat ont souhaité une multiplication des manifestations contre le projet et une organisation d’actes de désobéissance civile. Pour en savoir plus sur la Coalition pour un Magnola propre, écrivez à l’adresse suivante 0 C.P. 238, Wotton, Qc, J0A 1N0.|190| 
597|Des durs qui durent|Pierre Klépock|Les 66 métallos de l’usine Qualit-T-Galv, située au 7500 rue St-Patrick dans le sud-ouest de Montréal, sont toujours en grève depuis le 16 mars dernier (voir l’aut’journal, no 188). Les ouvriers refusent de se laisser imposer des reculs dans leur convention collective, malgré les menaces de fermer l’usine. Le Syndicat des Métallos (FTQ) revendique, notamment, le maintien de la semaine de 37 ½ heures payées 40 heures, les semaines de vacances, les journées fériées et de congés de maladie, ainsi qu’une amélioration des conditions de santé et sécurité au travail. Rappelons que ces hommes travaillent très dur à galvaniser des pièces d’acier dans des bassins d’acide et de zinc fondu. Ils sont exposés à des contraintes thermiques et à des fumées toxiques à longueur de journée. « Non seulement nous voulons conserver nos acquis, mais nous avons besoin d’un Comité de santé-sécurité au travail, avec du temps de libération pour faire de la prévention et l’inspection de notre milieu de travail. Notre situation est pire que dure, le boss doit investir de l’argent dans l’usine, mais pas au dépens de notre santé », nous a déclaré Patrick Plouffe, président de l’unité syndicale membre de la section locale 8990.|190| 
598|Droits d’auteur, profits d’éditeur|Saël Lacroix|

Entrevue avec Philippe Gauthier de l’AJIQ



Outré de cette profonde injustice et de plusieurs autres dont ils sont victimes, plusieurs journalistes indépendants forment l’AJIQ (Association des journalistes indépendants du Québec). Membre de cette organisation depuis maintenant six ans, le journaliste Philippe Gauthier milite pour la reconnaissance du métier de pigiste et mise sur la prochaine réforme du code du travail pour procurer au journaliste autonome un véritable pouvoir de négociation face à son éditeur. Il participait récemment à la dernière conférence organisée par la CSN qui avait pour thème « Un nouveau code du travail dans la nouvelle économie ».

Selon M. Gauthier, pour bien comprendre la situation problématique des pigistes aujourd’hui, il faut regarder l’évolution du métier depuis les 35 dernières années. Durant les années soixante, les magazines étaient surtout écrits par des journalistes salariés. Les pigistes n’étaient utilisés qu’à l’occasion pour des missions spécialisées ou pour des urgences. Graduellement, les pigistes ont pris de plus en plus de place et actuellement, il reste à peine une poignée de journalistes salariés dans les magazines québécois. De cette façon, les relations de travail se sont atomisées, laissant le journaliste indépendant négocier seul avec l’entreprise de presse.

Les droits d’auteur aux éditeurs

Pendant ce temps, les cachets ont chuté de façon draconienne. Le revenu moyen d’un pigiste se chiffrait en 1979 à 26 000 $ par année. Les membres de l’AJIQ, en presque totalité diplômés de l’université, bénéficient aujourd’hui d’un revenu annuel de 15 000 $ en moyenne.

« Et comme si ce n’était pas assez, s’exclame Philippe Gauthier, les éditeurs veulent maintenant s’approprier nos droits d’auteur ! » En effet ces derniers, pour avoir les mains libres, notamment dans la création de bases de données informatiques sur Internet, entendent se réserver de façon absolue et définitive les droits d’auteur de leurs collaborateurs et, ce sans compensation. Pour ce faire, ils ont entrepris une campagne d’intimidation forçant les journalistes pigistes à céder, par contrat signé, les droits sur leurs articles, sans quoi ils sont tout simplement remerciés de leurs services.

L’union fait la force

Afin de contester cette pratique machiavélique, journalistes indépendants et contractuels se sont rassemblés sous l’étiquette de l’AJIQ qui, par le poids du nombre et par son affiliation avec la CSN, représentait un plus grand pouvoir de négociation. Cette association, créée en 1988, avait comme principal mandat de protéger les droits des journalistes indépendants et d’établir un dialogue avec les éditeurs pour s’entendre sur des conditions décentes de travail.

Malgré tout, les éditeurs continuent de faire la sourde oreille et refusent de reconnaître l’AJIQ sous prétexte que les journalistes indépendants, en tant que travailleurs autonomes, n’ont pas accès au droit d’association. Forts de cette attitude, ils ignorent depuis plusieurs années les revendications de leurs collaborateurs et préfèrent ignorer la proposition d’un « contrat-type » qui établirait les normes de l’industrie en assurant aux pigistes les conditions minimales et une certaine protection sur leurs créations.

Grâce à Internet, les entreprises de presse bénéficient d’une visibilité inégalée auparavant. Au lieu d’utiliser leurs profits à l’amélioration des conditions de leurs collaborateurs, elles maintiennent leur cachet à un niveau ridiculement bas et utilisent le droit d’auteur pour s’approprier le travail du pigiste à un coût minimal. « Par une curieuse perversion, la loi du droit d’auteur, qui avait été créée au départ pour protéger les auteurs, est en train de se retourner contre nous puisqu’elle sert essentiellement maintenant à nous dépouiller de nos droits et à donner des bénéfices supplémentaires aux éditeurs », rappelle M. Gauthier.

Des actions en vue

Appuyée par plusieurs grandes associations internationales comme la Fédération des journalistes (400 000 membres à travers le monde), l’Union syndicale des journalistes CFDT de France et le Communication Workers of America, l’AJIQ n’a pas l’intention de demeurer les bras croisés. Après avoir intenté en juin 1999 une poursuite en recours collectif à la Cour supérieure du district de Montréal, à l’encontre de plusieurs éditeurs ainsi que de la compagnie CEDROM-SNI pour avoir vendu et reproduit sur support électronique plus de 15 000 articles sans l’autorisation des journalistes pigistes, l’AJIQ a reçu l’appui des 234 signataires de son Manifeste pour la reconnaissance des droits d’auteur. Ce qui est énorme.

Cependant, le fond du problème des pigistes réside dans un débat beaucoup plus large 0 celui du statut des travailleurs autonomes. La prochaine réforme du Code du travail devra apporter les ajustements nécessaires pour jouer son rôle protecteur dans la nouvelle réalité du monde du travail. Ainsi, la vice-présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, affirmait 0 « Le Code du travail doit rester la loi de tous les travailleurs et travailleuses, quel que soit leur statut. Si, comme le réclame la CSN depuis longtemps, cette loi reconnaissait le droit d’association de groupes de travailleurs autonomes comme les journalistes pigistes, ils pourraient négocier avec les employeurs d’un même secteur des conditions de travail minimales et ne seraient pas obligés de mettre leur gagne-pain en danger, comme c’est le cas ici aujourd’hui, pour espérer y arriver. »|190| 
599|Le Rapport Beauchamp fera date|Nathalie Marois|

La gestion de l’eau au Québec 0



Le 3 mai dernier, la Commission sur la gestion de l’eau au Québec sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) présentait son rapport, fruit d’une vaste consultation publique réalisée au printemps et à l’automne 1999 à travers toutes les régions du Québec. Cette commission aura été parmi celles qui ont suscité le plus d’intérêt et de mobilisation populaire. Si le rapport est plutôt bien accueilli par une majorité d’intervenants des milieux social, environnemental et syndical, tous s’entendent pour dire que la vraie bataille commence maintenant. Rien n’est encore décidé, le gouvernement doit désormais élaborer sa politique sur l’eau. Reste à voir si celle-ci ira dans le sens de la volonté populaire, ou si elle donnera préséance au marché et au commerce en toute bonne logique néolibérale.

Voici les grandes lignes des principales recommandations de la Commission sur la gestion de l’eau au Québec.

NON à l’exportation massive d’eau

Avec 3 % des ressources d’eau douce de la planète, le Québec fait l’envie de plusieurs. Si l’exportation d’eau vers les pays d’Asie et d’Afrique qui connaissent un déficit hydrique structurel semble peu réaliste compte tenu des coûts élevés de transport, la demande est plus susceptible de provenir de nos voisins américains dont plusieurs régions fortement agricoles et urbanisées connaissent depuis plusieurs années des pénuries d’eau.

La crainte de voir notre eau littéralement couler vers les États-Unis a d’ailleurs été exprimée par plusieurs intervenants devant la commission.

En effet, en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’eau pourrait être considérée comme un bien marchandable au même titre que tout autre produit, laissant ainsi la porte ouverte à une exploitation incontrôlée de cette ressource collective. Comme l’a déjà fait remarquer un représentant commercial des États-Unis, « lorsque l’eau est échangée comme un bien, toutes les dispositions de l’entente régissant le commerce des biens s’appliquent ».

Par conséquent, de l’avis de Louise Vandelac, sociologue à l’Université du Québec à Montréal et porte-parole de la coalition Eau-Secours, le gouvernement du Québec devrait analyser en profondeur les implications d’une éventuelle réouverture de l’entente afin d’exclure explicitement l’eau de l’ALENA.

La commission n’exclut pas une telle possibilité, mais recommande toutefois la prudence. Selon elle, « il faudrait analyser l’ensemble de l’ALENA pour évaluer prudemment ce que le Canada peut gagner et perdre en renégociant l’accord ».

Toutefois, la commission s’est catégoriquement prononcée contre le principe d’exportation massive de l’eau, à la grande satisfaction de nombreux groupes environnementaux, syndicaux et sociaux. « Une stratégie d’exportation massive n’est probablement pas rentable et constitue un risque écologique à éviter. Ce serait une stratégie imprudente dans l’état actuel de nos connaissances et des incertitudes liées aux changements climatiques », affirme la commission.

Les services d’eau municipaux doivent rester publics

Pour la commission, les équipements municipaux de traitement de l’eau constituent un bien collectif qui doit le demeurer. Cependant, elle n’oppose pas un non catégorique à toute forme de partenariat à court terme avec le privé en matière de gestion des services d’eau, mais elle suggère toutefois que tout contrat à long terme fasse l’objet d’un référendum local.

Pour Claude Généreux, président de la section Québec du Syndicat canadien de la fonction publique, qui se dit satisfait du rapport, « il n’y a pas de quoi monter aux barricades car l’ouverture au partenariat privé est plus théorique que réelle ». Selon lui, aucune compagnie ne serait intéressée par un partenariat à court terme, compte tenu des investissements de départ importants.

Considérant la détérioration parfois avancée des infrastructures d’aqueduc et d’égoût de plusieurs villes de la province, il a été proposé que l’on mette en place un programme de rénovation des infrastructures municipales subventionné par les gouvernements québécois et fédéral.

On évalue à environ 600 millions de dollars par année pendant 15 ans, soit 9 milliards de dollars au total, les coûts pour réhabiliter l’ensemble des infrastructures de la province. La situation de la ville de Montréal est parmi les plus urgentes 0 27 % du réseau d’aqueduc a plus de 80 ans et les fuites d’eau potable sont évaluées à plus de 40 %.

Gérer la ressource de façon intégrée

Actuellement, la gestion et la juridiction de l’eau relèvent de différents ministères, alors qu’aucune instance gouvernementale n’assume le contrôle ou la coordination de toutes les activités reliées à l’eau. Une telle absence d’harmonisation entre les différents acteurs impliqués engendre parfois des coûts indus et des contradictions qui compromettent l’objectif de préservation de la ressource.

Pour pallier à cette situation, la commission recommande la création d’un ensemble de structures consultatives, décisionnelles et législatives, dont l’adoption d’une loi cadre sur l’eau et les milieux aquatiques, et la désignation d’un ministère d’État de l’eau et des milieux aquatiques. Ce dernier aura pour rôle de coordonner les activités de l’ensemble des ministères impliqués dans la gestion de l’eau.

L’engagement du Québec à mettre en place un système de gestion intégrée des ressources hydriques n’est pas nouveau. Déjà, en 1992, lors de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement tenue à Rio de Janeiro, le gouvernement déclarait son adhésion à ce principe devant la communauté internationale, et il s’engageait en 1996 à mettre en oeuvre les modalités d’une gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle des bassins hydrographiques.

En retard sur d’autres pays d’Amérique du Nord et d’Europe où la gestion par bassins versants est déjà bien implantée, la commission s’est prononcée en faveur de la création immédiate d’un comité ayant pour mandat de mettre en place la gestion à l’échelle des bassins versants. (Voir encadré.)

Une réglementation plus stricte

Si les problèmes de disponibilité de l’eau sont un fait rare au Québec, on ne peut toutefois en dire autant en matière de qualité de l’eau. Le secteur agricole est particulièrement pointé du doigt parmi les responsables de la dégradation des eaux de surface et souterraines en raison de ses pratiques polluantes (surfertilation, engrais minéraux, pesticides et drainage agricole) qui compromettent les efforts de restauration et de dépollution des cours d’eaux qui ont déjà coûté très cher à la population québécoise. De l’avis de la commission, la quasi immunité environnementale du secteur agricole a assez duré et elle propose un ensemble de mesures pour corriger ce problème. (Voir encadré.)

La contamination importante des sources d’approvisionnement en eau potable oblige les municipalités à recourir à des traitements plus sophistiqués, donc plus coûteux, pour éviter les risques sur la santé publique.

Or, 1 413 des 2 347 réseaux municipaux assujettis au Règlement sur l’eau potable distribuent une eau non traitée. Les représentants de la santé publique et des Régies régionales sont formels 0 les risques pour la santé publique sont réels. Par ailleurs, le procédé de chloration de l’eau n’est pas infaillible ni sans risques puisqu’il ne permet pas d’éliminer certains pathogènes et les substances chimiques. Par conséquent, une protection accrue des sources d’approvisionnement en eau potable constitue la seule véritable mesure de prévention des risques pour la santé publique.

De l’avis de Stéphane Gingras de l’organisme environnemental Union Saint-Laurent-Grands-Lacs, la commission n’est pas allée assez loin en matière de prévention de la contamination des eaux de surface, à l’exception du secteur agricole. « Des mesures préventives de pollution auraient dû également comprendre l’établissement d’une réglementation des rejets des usines d’épuration et un meilleur contrôle des rejets toxiques industriels. »

La Commission recommande que l’on modifie le Règlement sur l’eau potable qu’elle juge désuet et inadéquat. De son avis, «le retard du gouvernement à édicter les nouvelles normes semble directement attribuable à la résistance des municipalités qui, pour des raisons essentiellement financières, font pression pour en retarder la promulgation ou en modifier les termes». Il est d’autant plus nécessaire que les normes québécoises de qualité de l’eau potable soient modifiées qu’elles sont en deça de celles du Canada, de l’Europe et de l’Organisation mondiale de la santé.

La protection des eaux souterraines

Sur la question de l’eau souterraine, on estime qu’elle fait et fera l’objet d’une demande accrue de la part d’un ensemble d’acteurs, soit les municipalités, les agriculteurs et aquiculteurs, les individus et les industries.

Le seul marché de l’eau embouteillée puisée à même l’eau du sous-sol s’est accru de 2 000 % entre 1985 et 1996. Déjà, plusieurs de ces projets ont suscité de vives controverses dans certaines régions du Québec en raison de conflits d’usage entre les divers utilisateurs de la ressource.

Le cas désormais célèbre de la municipalité de Franklin est éloquent à plus d’un égard. Puisant à même la nappe d’eau qui alimente les puits d’eau potable des résidents, la compagnie d’embouteillage d’eau de source Dorea-Labrador a ainsi ponctuellement privé d’eau certains utilisateurs lors de tests de pompage. S’en est suivie une série de démarches auprès de diverses instances gouvernementales au cours desquelles les résidents, devant porter le fardeau de la preuve, ont été confrontés à l’absence de support de l’état. Cette expérience et plusieurs autres font ressortir l’urgence de clarifier le statut légal de l’eau souterraine, c’est-à-dire de définir qui en est le propriétaire. De l’avis de certains juristes, l’eau souterraine dispose du même statut que celui de l’eau de surface, soit celui de bien commun. Ce qui oblige tout utilisateur à rendre l’eau au cours d’eau sans modification majeure. Cette interprétation ne semble pas faire l’unanimité puisque d’autres, dont le ministère de l’Environnement du Québec, l’a défini plutôt comme un bien de propriété privée relié à la propriété immobilière.

Or, dans son rapport, la Commission a pris position en faveur du statut de bien commun de l’eau souterraine. Dans le but de prévenir les conflits d’usage et une surexploitation de la ressource, elle recommande également que les projets de captage d’eau souterraine de 75 mètres cubes d’eau par jour et plus soient soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

Plutôt favorable à cette mesure, Stéphane Gingras, de l’Union Saint-Laurent-Grands-Lacs, voit tout de même une contradiction dans le fait qu’on autorise des projets de captage d’eau souterraine d’une telle ampleur alors qu’on reconnaît le manque de connaissances sur l’état des nappes souterraines.

La gestion de l’eau par bassins versants

Une vaste majorité de participants aux audiences publiques se sont déclarés favorables à l’implantation d’un tel mode de gestion. Pour plusieurs, il constitue l’unité de gestion la plus organique et la plus en accord avec le cycle global de l’eau. Le bassin versant désigne l’ensemble d’un territoire drainant les eaux de ruissellement vers un cours d’eau principal ou l’un de ses affluents. Le Québec comprend 430 bassins versants répartis sur dix régions hydrographiques. Chaque comité de bassin versant constitue une unité de consultation et de concertation où les intérêts des divers usagers de la ressource (récréatif, pêche, industriel, agricole, etc.) sont représentés. Chaque comité devra élaborer un schéma directeur de l’eau qui tienne compte des multiples usages et des exigences de préservation de la ressource. Plusieurs aspects importants semblent encore indéfinis dans le rapport, affirme Jean-Francois Girard du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). « Par exemple, le rapport ne dit pas comment la structure par bassins versants pourrait s’harmoniser avec celles des MRC et des municipalités locales », souligne-t-il.

Les enjeux de la conférence de La Haye selon Claude Généreux du SCFP

En mars dernier se tenait à La Haye, la Conférence mondiale sur l’eau organisée par le Conseil mondial sur l’eau. Cette foire sur l’eau, avec plus de 4 000 participants inscrits, était suivie par une conférence ministérielle où plusieurs pays avaient délégué leurs fonctionnaires. Deux sièges étaient réservés pour les syndicats et un seul pour les organisations non gouvernementales, tous secteurs confondus. Claude Généreux, président de la section Québec du Syndicat canadien de la fonction publique, était mandaté par l’Internationale des services publics pour occuper un des deux sièges. Voici en résumé, selon lui, ce qui ressort de cet événement.

Cette conférence avait pour seul but de définir le statut de l’eau. La conférence ministérielle était basée sur le concept-clé que l’eau est désormais un besoin à combler, et non plus comme un droit démocratique. Suite à cet énoncé, deux idées s’affrontent 0 si l’eau est un droit démocratique, ce sont les gouvernements qui s’assurent du respect de celui-ci; si l’eau est considérée comme un besoin, alors les gouvernements n’ont plus la responsabilité de s’assurer que ce besoin soit comblé. Et par le fait même, s’il y a besoin, il y a donc une offre. On passe donc d’une logique de droits humains à une logique mercantile, où l’eau devient une marchandise afin de répondre à la demande. Si l’eau est considérée comme une marchandise, il faut par conséquent en évaluer le coût. C’est sur ce dernier point que la conclusion de la conférence ministérielle n’est pas arrivée à une position claire. Si elle a réussi à passer le concept du besoin de l’eau, elle s’est avancée quant au coût de l’eau, en déclarant qu’il faudrait tenter de refiler celui-ci à la population. « La bataille de l’eau se joue sur le terrain, au niveau des communautés. L’eau doit être gérée au niveau de la communauté0 ses infrastructures et sa gestion doivent être publiques, et non données à l’entreprise privée. »

Le puissant lobby des multinationales de l’eau très présentes à ce sommet a permis ce glissement plus acceptable dans les termes employés, soit de privatisation vers un besoin à combler. Comment peut-on considérer l’eau comme un simple besoin à pourvoir, alors que sans elle, on ne peut vivre ?

Il est possible de se procurer le rapport intitulé L'eau, ressource à protéger, à partager et à mettre en valeur sur Internet à l'adresse www.bape.gouv.qc.ca/eau ou encore au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement au 1-800 463-4732 ou au (418) 643-7447.|190| 
600|Point majeur soulevé par la commission 0 il faut revoir totalement la stratégie d’assainissement agricole|Gabrielle Pelletier|

Le rapport Beauchamp



Dans son rapport, la Commission sur la gestion de l’eau au Québec recommande que l'on procède à une révision majeure du programme d’assainissement agricole afin de s’assurer d’une intégration des objectifs de production et de protection de l’environnement. Cette recommandation a le mérite de démontrer les problèmes importants qu’occasionne ce secteur d’activités et de remettre en question la façon de faire actuelle.

Jusqu’à présent, les efforts de prévention de la pollution agricole ont surtout ciblé la pollution ponctuelle par la mise en place d’équipements d’entreposage des fumiers. Le principal défi reste le contrôle de la pollution diffuse d’origine agricole. Ce type de pollution est engendré par les pratiques culturales actuelles, soit l’utilisation des engrais minéraux et des pesticides, la surfertilisation par les fumiers, le drainage agricole intensif et les interventions agressives sur les cours d’eau. Cette pollution, mal connue et mal évaluée, constitue une menace importante pour la qualité des eaux de surface et souterraines. Le rapport est très explicite sur cette question. Nombre de problèmes de pollution des eaux ont été répertoriés dans différentes régions du Québec.

La commission considère qu’il faut revoir toute la stratégie relative au milieu agricole. Elle estime que l’approche actuelle du gouvernement est contradictoire, «car elle demande au milieu agricole d’accroître sa productivité et de doubler ses exportations et d’atteindre en même temps des standards environnementaux élevés ». La révision complète du dossier de l’assainissement agricole tiendrait compte de trois points majeurs soulevés lors des audiences publiques 0

1) Intégration des objectifs environnementaux aux objectifs de production, en établissant la règle de la conditionnalité des subventions 0 une subvention ne peut être accordée que si les objectifs environnementaux sont atteints;

2) Soutien important au milieu agricole dans ses efforts de dépollution ponctuelle et diffuse;

3) Obligation des ministères (MENV et MAPAQ) et des organismes concernés à agir d’une manière concertée. L’hypothèse d’un guichet unique devrait être envisagée.

Selon la commission, la mise en place de cette approche est indispensable pour parvenir à une agriculture durable. Pour les groupes environnementaux, c’est un bon pas dans la bonne direction. Reste à voir si la volonté politique suivra et si un plan d'action allant dans ce sens sera élaboré.|190| 
601|André « Dédé » Fortin|Paul Rose| J’ai parlé à « Dédé », que j’appelais André, pour la dernière fois samedi autour de midi, deux jours avant... Nous avons jasé de choses et d’autres, du spectacle bénéfice de l’aut’journal, du message que notre petite famille lui avait enregistré sur son « répondeur » à minuit le soir du jour de l’An. Il m’a paru détendu, un peu moins volubile qu’à l’habitude, mais il n’était pas encore midi... Depuis, plus rien pour toujours, sauf ses albums incontournables et des souvenirs, dont cette entrevue d’avant le tragique et combien profond enregistrement de Novembre.

Cachez ce sein que je ne saurais voir ! Chez les Colocs, ce serait plutôt le contraire. Dire, chanter, crier plus et plus fort ce que tout le monde pense tout bas ou parfois même tout haut. Ou même pas du tout - pas encore du moins ! La parole des sans-culottes, des poitrines à l’air, branchés comme débranchés. Bref, de cette masse grandissante d’éclopés et d’exclus victimes de la mondialisation du capital... et de la miniaturisation du monde ordinaire, des peuples, de la société. On est bien loin du discours à la mode !

« Le monopoly, ça va faire », me lance d’entrée de jeu André Fortin, le leader du groupe. Dans son collimateur 0 les banques dont parle si souvent Léo-Paul Lauzon dans nos pages (qu’il lisait assidûment); les Péladeau de la terre, ceux-là même qui signent le monde en signe de piastres ; ceux qui transforment la planète en « centre d’achat »... Tous ces grands promoteurs démolisseurs de « rues principales », comme à Normandin, petit village du Lac Saint-Jean, derrière lequel, loin dans les terres et les rangs, André, dixième enfant d’une famille de onze, a vécu toute son enfance.

Le porte-parole des Colocs, la voix des sans-parole, n’y va pas avec le « do » d’la cuiller. La gamme au complet y passe ! L’auteur-compositeur et chanteur du groupe est en pleine effervescence derrière un café tiède et des rôties retroussées aux bananes dans un petit restaurant du coin. Le Doux Paradis, pour ne point le nommer. Un petit bled sympathique, débordant de chaleur humaine, comme seuls les p’tits bleds moins une étoile peuvent l’être.

« C’est bien l’fun de jouer au Monopoly, reprend-il, mais à un moment donné, faut arrêter la game pis remettre l’argent dans le pot. Un point, c’est tout ! »

La tranquille détermination

Ce qui surprend en entrevue chez le « André Fortin » de tous les jours, c’est à la fois la détermination et la détente, le calme et l’humour tendre. Une douceur de dire, même les mots les plus graves sans élever la voix d’un décibel. Parler, s’indigner, revendiquer 0 pour lui, tout ça se fait sur le ton de la confidence, ou presque. Il faut tendre l’oreille souvent. Le cri, il garde ça pour la scène, la chanson, quand la musique se déchaîne, se défoule du trop-plein des frustrations quotidiennes d’un monde où l’humain a de moins en moins de place.

La détermination, ça lui est venu surtout au cégep de Saint-Félicien, après la rencontre de ses premiers profs « m-l » en sciences politiques. Après donc une certaine prise de conscience sociale de la grande noirceur de l’univers, de l’exploitation, de la misère humaine qui se cache derrière les réussites officielles de l’Histoire. D’un naturel plutôt optimiste jusque-là, soudain tout s’écroule et devient sombre. Il en perd même le sourire pendant un certain temps. Il « débarque » à Montréal révolté, presque punk.

Pour le reste, le calme, la détente, le sourire, la joie de vivre, c’était là bien avant le cégep. Et c’est revenu après. Après la gestation Colocs. Quand la complexité de la vie, du monde, lui a traversé la peau, en d’autres tons que le noir et blanc.

Quand notamment il a été amené à la direction des Colocs. « Diriger, c’est quelque chose », dira-t-il. « Une exigence de tous les moments, surtout, quand il s’agit de diriger démocratiquement. Prendre les bonnes décisions, ne pas laisser pourrir les choses. Ça demande beaucoup de générosité quand, ensemble, on cherche à garder l’amitié, à améliorer les rapports humains, à susciter la participation, la création, le dépassement. » Il essaie de bien faire les choses... « Faut pas que tu craques, avoue-t-il, tu peux pas, quand tous les musiciens se vident littéralement 0 tout ça se tient ensemble. »

S’en sortir ensemble

Une cohésion de groupe et des convictions qui font fuir les contradictions au quotidien. Ainsi se satisfait-il de peu, sinon de l’essentiel 0 la musique, un poncho, la parole, le sort du monde ordinaire, s’en sortir avec les autres... Il vit dans un logement modeste, dans le premier bâtiment locatif en béton de Montréal, une structure espagnole qui manifestement a beaucoup souffert de nos hivers nordiques (murs lézardés, béton éclaté, des logis condamnés et placardés de contre-plaqué).

Colocs, ce n’est donc pas qu’un beau mot pour le groupe musical. C’est d’abord une réalité pour chacun des membres, sinon pour une génération entière. Ils ont même squatté pendant plusieurs mois trois logements qu’ils ont transformés en studios de fortune. Quant à leur « fortune », justement, ils se considèrent « chanceux » s’ils tirent 250 $ par membre par spectacle. Alors même que l’intermédiaire de l’intermédiaire va en chercher 2 000 $ !

Une situation que André Fortin ne fait pas que dénoncer 0 il est en voie de la corriger avec d’autres, en particulier avec une complice du milieu du théâtre. Pour lui, l’équité dans le travail des artistes, c’est essentiel. C’est toute la question de l’accessibilité au public qui est remise en cause. Actuellement, le seuil de rentabilité en tournée à 18 $ le billet, c’est trop élevé 0 il faut arrêter de faire le jeu des intermédiaires, aussi capitalistes qu’inutiles, qui gardent l’information pour eux, qui font des choix pour tout le monde, qui rendent difficile le contact humain, qui bloquent les voies, etc.

S’en sortir ensemble, ça devient chez lui et son entourage une deuxième nature, une façon de voir et de revoir les choses, une manière d’être...

Ainsi en a-t-il été quand le groupe a décroché une subvention de 25 000 $ d’une multinationale de Toronto pour faire un vidéoclip. Plutôt que d’investir dans la technique « glamour » déjà largement sous-traitée et contrôlée par les « Majors » américains, les Colocs ont loué une petite caméra HI-8 et consacré la majorité des sommes à l’embauche de prestataires de l’aide sociale.

« Le glamour, glisse-t-il, sourire en coin, ça fait peut-être bander, mais ça dure pas longtemps ! » Au total, près de 150 figurantes et figurants qui ont tourné, deux jours durant, dans les ruines de la vieille église protestante, coin Sherbrooke et Clark. Du lever au coucher du jour, tout le monde était là dans l’enthousiasme et la passion. De quoi faire ravaler ces tonnes de vomissures déversées sur les assistés sociaux par trop d’animateurs de radio paresseux en mal de cotes d’écoute faciles. Et ça a donné 0 « Bon yeu, donne-moé une job ! » Un vidéoclip d’une grande authenticité, à laquelle sans doute la formation et l’expérience cinématographique du leader des Colocs n’est pas totalement étrangère.

Le Québec de demain

Et l’avenir ? « On est revenu à la case zéro avec Lucien Bouchard. » Ça va prendre une grande vigilance. Le Premier ministre du Québec « s’étant plutôt placé dans une position pour plier le cou ».

André Fortin ne se définit pas comme nationaliste à tout crin. Loin de là. Il se situe plutôt du côté d’une « indépendance qui veuille dire quelque chose, qui soit une chance véritable de faire autrement, qui nous oblige à construire ensemble un Québec nouveau ».

Un discours qu’on ne peut pas, là aussi, qualifier de très très couru chez « nos » dirigeants actuels à Québec...

« Il y a 30 ans, à votre époque, vous avez semé quelques graines, philosophe-t-il. Nous, aujourd’hui, les plus jeunes, on a la chance de pouvoir continuer, de pouvoir reprendre le travail là où ç’a été laissé en plan. Ne serait-ce, à la limite, que pour ne pas cocher, comme trop de gens le font encore, OUI ou NON sans trop savoir pourquoi. »|190| 
602|Big Brother est anglo-saxon|Pierre Dubuc|

Le projet politique derrière l’espionnage électronique



Le gouvernement canadien dispose donc d’un portrait complet sur plus de vingt ans de chaque Canadienne et Canadien dans un mégafichier central au ministère des Ressources humaines (DRHC). Les défenseurs des droits de l’homme et du respect de la vie privée se sont élevés avec raison contre ce Big Brother fédéral.

Cette question concerne, il est vrai, tous les citoyens, mais elle devrait préoccuper au plus haut point les mouvements souverainiste et syndical québécois, car c’est à l’encontre de leurs militantes et militants que les informations contenues dans ce mégafichier pourraient être utilisées. C’est d’ailleurs sans surprise que les journaux nous ont appris que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) pouvaient avoir accès sur demande au mégafichier du DRHC.

« Grandes oreilles » américaines et canadiennes

Notre dossier personnel pourrait renfermer le contenu de toutes nos conversations téléphoniques et électroniques. Nous savons que la National Security Agency (NSA) américaine est en mesure techniquement d’intercepter toute communication électronique de toute nature partout à travers le monde, nous apprenait dernièrement le Washington Post. La NSA compte 30 000 agents, militaires et civils, répartis sur l’ensemble de la planète, ce qui représente plus du double du personnel de la CIA.

La NSA américaine a un petit frère canadien 0 le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) dont l’existence et les activités ont été révélées en 1994 dans le livre Moi, Mike Frost, espion canadien (Éditions de l’Homme). En 1994, le CST, dont le quartier général était situé au 719, chemin Heron à Ottawa, comptait plus de 1 000 employés et une masse salariale de 40 millions de dollars. Le CST ne relève pas du Parlement canadien, mais directement du bureau du premier ministre.

Une section secrète 0 The French Problem

Dans son livre, Mike Frost soutient qu’il existe au sein du CST une section mystérieuse surnommée The French Problem (Le problème français) et qui se consacre à l’analyse de renseignements touchant la séparation éventuelle du Québec.

Mike Frost nous apprend que le CST a passé jadis des accords avec la Norvège pour que celle-ci espionne les relations entre la France et le Québec afin de mesurer le degré de soutien que le gouvernement français apporterait à une éventuelle déclaration d’indépendance du Québec.

Mais les activités de la section secrète The French Problem ne se limitent pas à cela, selon Frost, et nous savons que le CST alimente en informations la GRC et le SCRS dans leurs actions à l’égard du mouvement souverainiste québécois et du mouvement syndical. Rappelons-nous l’affaire Boivin, du nom d’un informateur de la GRC infiltré dans la CSN, qui a déstabilisé cette centrale pendant de nombreuses années.

Le projet anglo-saxon ÉCHELON

Le CST canadien entretient des liens avec la NSA américaine, mais également avec des agences similaires en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande, tous des pays anglo-saxons, dans le cadre du projet ÉCHELON.

Pour espionner les téléphones, les télécopieurs, Internet et la messagerie électronique, les cinq pays de la sainte alliance se sont répartis le monde 0 la NSA américaine se charge des deux Amériques, le GCHQ britannique s’occupe de l’Europe et de l’Afrique, le DSD australien de l’Asie-Pacifique avec le GCSB néo-zélandais et le CST canadien de l’Europe et des Amériques.

Un projet politique

Le projet ÉCHELON est l’un des fondements d’une idée qui se développe depuis quelques années dans les cercles impérialistes 0 une alliance des pays anglo-saxons pour dominer le monde.

Récemment, le politicologue britannique Robert Conquest, bien connu pour ses ouvrages sur la terreur en Union soviétique, publiait ses réflexions sur l’après-guerre froide (Reflections on a Ravaged Century, Norton). Prévoyant l’éclatement à moyen terme de l’alliance mise sur pied contre l’Union soviétique, Conquest prône son remplacement par une alliance des pays anglo-saxons, les seuls selon lui à partager « une véritable culture démocratique ».

Cette vieille idée, reprise de Churchill, pourrait sembler n’être qu’une élucubration d’un vieux sénile (Conquest a 82 ans), si nous ne voyions pas s’élaborer des projets politiques en ce sens. Ainsi, les Tories britanniques, hostiles à l’Union européenne, viennent d’amorcer de grandes manœuvres en vue de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’ALENA, le marché de libre échange nord-américain. La Commission du commerce international des États-Unis a décidé d’entendre les représentations de ces Tories.

Cette idée, d’abord mise de l’avant par la Heritage Foundation, un organisme d’extrême-droite aux États-Unis, est reprise au Canada par nul autre que le magnat de la presse Conrad Black, propriétaire, entre autres, du Telegraph de Londres.

Il ne serait pas étonnant que cette idée figure un jour dans le programme de l’Alliance canadienne, le nouveau parti politique issu du Reform Party. Black, dont l’inimitié avec le premier ministre Chrétien est bien connue, a tout jeté dans la balance pour soutenir cette initiative politique, et plus particulièrement la candidature de l’Ontarien Tom Long. Son alter ego, Peter White, est l’éminence grise de l’Alliance canadienne et Black aurait, selon la presse torontoise, entraîné les cercles financiers de Bay Street à soutenir financièrement l’Alliance.

Enfin, pour boucler la boucle et revenir aux questions de protection de la vie privée, soulignons que le National Post, propriété de Conrad Black, vient d’être accusé d’avoir vendu sa liste d’abonnés à Tom Long.

Un projet anti-Québec

Le projet d’une alliance anglo-saxonne est bien évidemment un projet anti-francophone et anti-Québec. Rappelons que Black est un chaud partisan de la partition du Québec et qu’il prônait dans un article paru dans la prestigieuse revue Foreign Affairs (mars-avril 1995) l’union politique du Canada et des États-Unis en condamnant un Québec charcuté, partitionné, à n’être, selon son expression, qu’un timbre-poste francophone, un Puerto-Rico nordique. L’avènement au pouvoir de l’Alliance canadienne pourrait signifier un pas dans la concrétisation de ce projet.|190| 
603|Entrevue avec Marie-Claude Huot de la région de Québec|Élaine Audet|

« Du bruit partout sur la planète ! »



À 30 ans, Marie-Claude Huot, avec un baccalauréat en anthropologie, un certificat en littérature et un diplôme en études féministes, se retrouve coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 pour la région de Québec, Portneuf et Charlevoix. Nous l’avons rencontrée à Québec, le 15 avril dernier.

EA 0 Comment t’es-tu retrouvée coordinatrice de la Marche avec un tel profil académique et après avoir travaillé dans une maison d’édition ?

MCH 0 C’est une question de circonstances. En anthropologie, il n’y a pas de travail ni en littérature, et en études féministes, c’est rare. J’étais sur le Comité de lecture du Loup de Gouttière, c’est comme ça que j’ai été engagée par cette maison d’édition. C’est le travail que j’ai aimé le plus dans tout ce que j’ai fait. Ça me manque énormément. J’aimerais avoir une maison d’édition quand j’aurai 40 ans. Comme il n’y avait plus de travail pour moi et que j’ai étudié plusieurs années le milieu féministe, j’ai présenté un demande pour le poste de coordonnatrice de la Marche et je l’ai obtenu.

EA 0 Quelles sont tes responsabilités ?

MCH 0 Coordonner l’ensemble des activités dans la région de Québec. Dans les régions de Portneuf et de Charlevoix. Il y a des comités locaux et moi, je suis là pour les soutenir et leur fournir l’information et le matériel promotionnel. Pour Québec, ça veut dire l’organisation des activités de quatre comités de travail. Je suis aussi au comité de coordination. La Coalition régionale des femmes contre la pauvreté est un regroupement de groupes de femmes et d’individues comme à la FFQ. Il y a environ une soixantaine de membres et certaines femmes font du travail militant sur les comités. C’est le Comité Action qui définit les grandes actions de l’année.

EA 0 Est-ce que c’est le Comité de Montréal de la Marche qui détermine les actions pour les groupes régionaux ?

MCH 0 Toutes les régions sont en liaison avec Montréal. Les actions ont lieu aux mêmes dates, parfois aux mêmes heures, mais le type d’action peut différer 0 marches, conférences, etc. Dans certaines régions, par exemple dans le nord du Québec, c’est plus difficile de réunir les femmes pour marcher, alors on fait des soupers et d’autres activités.

EA 0 Y a-t-il d’autres comités ?

MCH 0 Une bonne partie de mon travail consiste à assurer la bonne marche du comité de financement en vendant du matériel promotionnel, en faisant des demandes de financement auprès des congrégations religieuses, des députés, des caisses pop., partout où on pense qu’il y a de l’argent ! Il y a aussi un comité de communications qui s’occupe des relations avec les médias et un comité d’éducation populaire et de formation.

Sensibilisation et financement

EA 0 Qui donne la formation ?

MCH 0 Des bénévoles qui ont des aptitudes et des talents pour faire de la formation. On travaille avec le guide et les outils d’éducation populaire de la Fédération des femmes (FFQ). Il y a plusieurs groupes de femmes dans la région de Québec qui font de la formation, dont le Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec. Elles vont dans les communautés religieuses et un peu partout, et elles ont de nombreuses demandes de formation. Elles ont créé une petite troupe de théâtre qui s’appelle Oxygène et qui fait de la sensibilisation aux revendications des femmes. Ça marche très bien. Je fais moi-même du travail de sensibilisation dans différents lieux et il y a beaucoup de femmes qui en font sur le terrain. Une chance, d’ailleurs !

EA 0 Avez-vous beaucoup d’appuis de la part des enseignantes, des jeunes ?

MCH 0 Oui ! Les comités de la condition féminine des syndicats, les centres de femmes, les groupes populaires nous appuient. Parmi les jeunes, c’est plus difficile.

EA 0 En quoi consiste ton travail quotidien ?

MCH 0 Je fais tout le travail de gestion, les envois postaux, etc. En ce moment, par exemple, c’est la campagne de financement. Ça nous prend 55 000 $ pour organiser nos activités. Seul mon salaire est subventionné par le gouvernement. Nous avons un très bon comité de financement avec des filles très énergiques. Présentement, on prépare des activités de financement. Anne-Marie Bureau, une sculpteure de la région de Québec, travaille le bois de grève. Elle a fait plusieurs pièces et lors de son exposition, elle va nous donner 50 % de tout ce qu’elle vend. C’est emballant ! Nous avons essayé de créer des liens avec des artistes. Le lendemain, la poète Sylvie Nicolas organise une soirée de poésie. Le surlendemain, les filles vont faire un match d’impro. De telles activités ne me demandent pas beaucoup d’énergie, ce sont les filles du comité de financement qui organisent tout. Anne Théberge, humoriste sociale, a l’intention de donner un spectacle d’humour au féminin pour financer la Marche. De telles actions m’emballent parce que ça rejoint tous mes champs d’intérêt 0 les arts, la littérature et le féminisme.

Indifférence des médias

EA 0 Est-ce que les médias couvrent vos activités ?

MCH 0 Oui, il y a un journal communautaire Droit de parole qui couvre le territoire de la Basse-ville de Québec, des radios communautaires comme CHIZ (Université Laval), CKRL, Radio Basse-ville, les hebdos régionaux. Pour le 8 mars, la SRC nous a contacté et il y a eu le papier de Michel Vastel critiquant nos revendications ! Essentiellement, il n’y a rien dans les grands médias, malgré une forte participation des femmes.

EA 0 Comment s’est passé votre 8 mars ?

MCH 0 Super bien ! On a marché du Palais de justice jusqu’au Musée de la civilisation. Nous, on avait évalué à 400 le nombre probable de participantes, mais on était entre 700 et 800 femmes ! Quand on est arrivées au Musée, on ne savait plus où mettre tant de monde. Dans une salle, il y avait une invitée africaine et la coordinatrice du Regroupement des groupes de femmes de Québec qui échangeaient sur la Marche et la manière dont elles vivent leur engagement féministe. Dans une autre salle, on diffusait simultanément la conférence sur écran. Le Musée avait organisé une exposition intitulée Femmes bâtisseures d’Afrique. Ça a été une très belle réussite, à part la non-couverture des médias. C’est vraiment difficile d’avoir une couverture. Si les médias parlaient de nous, la population serait au courant de nos activités.

EA 0 Combien de monde la Marche va-t-elle regrouper ?

MCH 0 Beaucoup. C’est très mobilisateur. Les revendications rejoignent beaucoup les femmes.

Revendications les plus mobilisatrices

EA 0 Quelles sont les revendications qui touchent le plus les femmes ?

MCH 0 Chez les jeunes femmes, ce sont celles sur les amendements aux normes du travail afin d’accorder les mêmes droits à toute personne salariée, et la lutte contre la pauvreté 0 il y a également le barème plancher à l’aide sociale et l’adoption de la loi pour l’élimination de la pauvreté. Ici, à Québec, les revendications sur les minorités culturelles et les femmes immigrantes sont moins présentes.

EA 0 Les revendications concernant « les travailleuses du sexe », est-ce que ça rejoint les femmes ?

MCH 0 Ça fait parler. Beaucoup de femmes se demandent pourquoi on défend ça.

EA 0 Le mouvement des lesbiennes est-il fort à Québec ?

MCH 0 Elles sont très présentes et travaillent fort. Il y en a plusieurs dans la coalition. Ce sont des femmes qui s’impliquent beaucoup. C’est comme ça partout et ça fait longtemps que c’est comme ça.

EA 0 Comment ça va se passer le 17 octobre à New York? Est-ce que les femmes vont y aller de partout ?

MCH 0 Non. Il y aura une délégation internationale. La coalition n’a pas les moyens de gérer tout ce que ça comporte 0 transport, hébergement, encadrement d’une marche à New York. Par contre, il y aura partout des gestes locaux. Le 17 octobre, le thème sera 0 « À midi, on fait du bruit ! » Il y aura du bruit partout sur la planète à cette heure-là ! À Québec, on se regroupera au Carré d’Youville où il y a deux grosses banques. Puisque les revendications internationales sont vraiment au niveau macro-économique (la taxe Tobin, etc.), on va faire du bruit devant les banques.

EA 0 Merci, Marie-Claude. Et je ne peux m’empêcher de remarquer que c’est du Québec, dépeint par les fédéralistes comme replié sur lui-même, qu’est partie l’initiative d’une Marche mondiale des femmes, la première dans toute l’Histoire, avec des revendications qui touchent non seulement les femmes, mais l’ensemble de l’humanité.|190| 
604|Élyse-Claude Léveillée et ses camarades sur le pont Jacques-Cartier|Caroline Perron|

Du bruit partout sur la planète



On croit souvent à tort que lorsque ça bouge, c’est à Montréal que ça se passe. Le même phénomène se produit avec la Marche mondiale des femmes où l’on entend rarement parler des autres régions et toujours de Montréal. Pourtant, en rencontrant Élyse-Claude Léveillée, responsable de la condition féminine du syndicat de Champlain, situé sur la Rive-Sud, nous pouvons voir à quel point le dynamisme et l’imagination peuvent susciter l’enthousiasme et le goût de participer à changer le monde autour de nous.

Madame Léveillée est responsable du comité de la condition féminine du Syndicat de Champlain depuis un an et demi. Cet important syndicat de l’enseignement, situé à Saint-Hubert sur la Rive-Sud, regroupe quelque 7 500 membres, professeures et professeurs et le personnel de soutien. De plus, cette dynamique responsable, également professeure d’anglais à temps plein et mère de deux enfants, joue un rôle-clé au sein de la section de la Montérégie pour la Marche mondiale des femmes. En effet, elle doit assurer le pont entre les membres du syndicat, dont les trois quarts sont des femmes, et l’équipe de coordination de la Marche dans la région montérégienne. Pour l’assister dans cette tâche gigantesque, elle travaille avec trois autres déléguées 0 Sophie Préville, orthopédagogue, Rosy Ruiz, professeure d’espagnol et Louise Léger, enseignante en adaptation scolaire.

« On peut dire que la Marche a été le moteur pour la réalisation de nos activités. Sans elle, nous aurions fait des choses quand même, mais ce projet semble canaliser les enthousiasmes et les énergies vers un projet commun », nous dit d’emblée Élyse-Claude. « Et je trouve qu’on est chanceuses au syndicat, car nous avons beaucoup de ressources et nous avons un soutien extraordinaire de notre président, Réjean Parent, qui nous laisse carte blanche pour la réalisation de nos projets. »

Le syndicat de Champlain représenté à New York

D’ailleurs, à ce sujet, le comité des femmes et celui des jeunes font partie des priorités du syndicat de Champlain. Par exemple, en octobre prochain, les quatre déléguées du syndicat représenteront leurs membres lors du grand rassemblement de la Marche à New York. « Nous nous sentons très privilégiées de pouvoir y aller. Là-bas, nous allons essayer de faire vivre l’événement à toutes celles qui ne pourront être là; on va prendre des photos et des images vidéo. »

En octobre 2000, les principales activités de la Marche vont s’échelonner sur une semaine et chaque jour sera consacré à une région. Pour la Rive-Sud, ce sera le vendredi 13 octobre que se fera le rassemblement au Cégep Édouard-Montpetit à Longueuil. Ensuite, le lendemain, elles traverseront le pont Jacques-Cartier pour aller rejoindre les marcheuses de Montréal. Le grand rassemblement pour le Québec tout entier se fera donc à la Place des Arts.

Des optimistes qui agissent

Pour arriver à bien informer les membres, il a fallu un travail titanesque et beaucoup d’imagination. Et les filles du comité de la condition féminine du syndicat de Champlain semblent avoir le vent dans les voiles depuis un an et demi. Comme il y a beaucoup d’information qui sort à chaque jour concernant la Marche, elles doivent lire beaucoup de documents en essayant d’en faire ressortir les points importants. Elles ont commencé par rencontrer les responsables de la Marche à la FFQ et, plus tard, celles-ci sont venues les voir à leur tour au syndicat. Elles ont aussi assisté le 8 mars à la soirée de théâtre que nous avions organisée avec la présentation d’une pièce spécialement adaptée pour la Marche 0 Des miettes pour les pigeons de la compagnie de théâtre Parminou. Ce fut un franc succès. Une phrase de la pièce a été particulièrement retenue par les spectatrices 0 « Les pessimistes ont presque toujours raison, mais ils ne font rien. Les optimistes ont presque toujours tort, mais ils agissent. »

« Je peux dire que nos membres sont pas mal au courant de ce qui se passe et on fait tout, justement, pour bien les informer. À chaque semaine, il y a un article sur la Marche soit dans le bulletin Les Patriotes, soit dans Le

Champlain, le journal du syndicat. De plus, lorsque l’aut’journal fait paraître le supplément, nous le sortons du journal pour le remettre à nos membres. Et, nous inaugurons la semaine prochaine notre page Web du comité des femmes sur le site du syndicat. Ce sera un autre moyen de faire passer l’info...», de nous dire avec enthousiasme Élyse-Claude.

Une participation massive des femmes

Parce qu’il faut ramasser des sous pour les activités de la Marche, la région de la Montérégie s’est fixé un montant de 100 000 $. Le comité des femmes du syndicat a également vendu différentes choses comme, par exemple, des épinglettes pour le 8 mars, des billets de cinq dollars pour un tirage, des t-shirts de la Marche, etc. Lors des manifestations du 1er mai, Mme Léveillé dit avoir aperçu plusieurs personnes portant déjà le t-shirt de la Marche.

Le 4 juin prochain, ce sera le cinquième anniversaire de la Marche Du pain et des roses, qui a provoqué un véritable raz-de-marée au niveau local, national et international. Cette Marche mondiale des femmes proposée à l’origine par la FFQ en 1998, a suscité un tel enthousiasme qu’à l’heure actuelle, plus de 3 000 groupes répartis dans 145 pays ont manifesté leur désir de participer à ce grand événement mondial. De même, en Montérégie, quelques centaines de personnes, dont Élyse-Claude Léveillé, travaillent déjà activement pour cette Marche. « Je m’attends à ce qu’il y ait beaucoup de participation car tout le monde en parle; tu ne peux pas ne pas être au courant lorsqu’un tel projet pour changer le monde est dans l’air », de conclure Élyse-Claude.

Il se passe aussi des choses dans votre région. Voici les coordonnées pour vous informer 0 téléphone 0 (514) 395-1196; courriel 0 marche2000@ffq.qc.ca; site Web0 www.ffq.qc.ca.

Et pour aller voir les nombreuses réalisations du comité de la condition féminine du syndicat de Champlain, l’adresse du site Web est 0 www.syndchamplain.qc.ca|190| 
605|La non-violence n’est ni douce ni gentille|Anne-Marie de la Sablonnière| À la veille de la Marche mondiale des femmes, il est intéressant de se pencher sur nos moyens d’action, nos méthodes de lutte et nos stratégies de résistance. Des femmes du CANEVAS (Collectifs d’actions non-violentes autonomes) se sont penchées sur la non-violence comme type de résistance et les similitudes qu’elle présente par rapport au féminisme, dans un document intitulé « Action féministe et non-violence radicale ». Voici quelques-uns des principes qu’elles avancent.

À première vue, on croit que la non-violence, c’est la passivité. Que c’est tout ce qui n’est pas violent. Qu’elle est gentille, douce, ne se fâche jamais et ne trouble surtout pas la paix... Mais la non-violence, en théorie politique, c’est avant tout une méthode de lutte. En fait, la nonviolence refuse la neutralité, la capitulation, la fuite, la bagarre et la violence. La non-violence est à la portée de tous et toutes. On peut donner plusieurs exemples d’actions 0 elles vont de la manifestation de rue au « sit-in » en passant par le « boycott ».

Il s’agit d’une méthode de lutte en contraste net avec les pouvoirs en place. C’est refuser d’être semblable à l’oppresseur. C’est vivre notre projet de société dans nos moyens d’action. Ici, la fin se trouve dans le moyen en opposition à la maxime 0 « La fin justifie les moyens. » La non-violence vise à promouvoir une société fondée sur la justice et la liberté... Pour la lutte des femmes, c’est une occasion de cesser de coopérer avec un patriarcat qui est en train de nous détruire

Par contre, la non-violence ne suppose pas que nos opposants agiront envers nous sans violence. Elle comprend aussi la non-coopération, comme refuser de payer ses impôts, et les méthodes d’intervention comme les blocages. L’histoire nous apprend que même les luttes non-violentes peuvent faire face à la répression. Mais face à des actions non-violentes, l’appareil répressif devient politiquement entravé.

Ce que les féministes en disent

Un courant féministe américain s’est penché sur la non-violence et son importance pour les femmes, qui a pris sa source dans la lutte contre la violence faite aux femmes. Selon Andréa Dworkin, pour un engagement non-violent authentique, on se doit d’abord de prendre conscience des formes de violence qui sont posées à l’encontre des femmes. Jane Meyerding ajoute que le personnel est politique et qu’il n’existe aucune frontière entre les deux. Car c’est en les séparant qu’on banalise la violence faite aux femmes.

Bien que le mouvement féministe ne soit pas explicitement non-violent, Donna Warnock en a dégagé quelques similitudes. Les deux s’opposent aux institutions oppressives de domination et aux formes de pouvoir manipulateur et exploiteur. Elles défendent le droit à la dignité, la justice et la liberté. Pam McAllister intégrait la non-violence à l’optique féministe comme étant 0 « Une rage intraitable face aux pulsions destructrices et brutales du patriarcat et de notre refus d’adopter ses méthodes, un refus de céder au désespoir ou à la haine. » En fait, il s’agit de rager contre, mais de refuser de détruire. Ce sont deux émotions qui peuvent sembler contradictoires, mais qui se marient pour créer une force.|190| 
606|Ce que le mouvement des femmes attend du IIIe millénaire ?|publication de la section québécoise de La Marche des femmes| Rien de moins que l’élimination de la pauvreté et de la violence faite aux femmes, ici comme ailleurs !

Comment, en tant que société québécoise, y arriverons-nous ?

Par l’instauration de programmes visant l’élimination de la pauvreté et de la violence faite aux femmes !

Nous demandons donc 0

• une grande campagne d’éducation et de sensibilisation sur 10 ans, réalisée par les groupes féministes et financée par l’État, pour éliminer la violence faite aux femmes;

• l’accès, gratuit et sans délai, pour toutes les femmes victimes de violence, à des ressources offrant de l’aide et des activités de prévention, de sensibilisation et de défense des droits;

• un meilleur soutien financier des maisons d’hébergement en milieu autochtone pour les femmes victimes de violence;

• l’accès à un financement de fonctionnement pour les groupes de femmes des communautés culturelles et des minorités visibles afin de répondre à leurs besoins et de favoriser leur participation à la société québécoise;

• un meilleur accès aux études pour toutes les femmes et particulièrement pour les responsables de famille monoparentale et les femmes « sans chèque »;

• l’accès universel pour les néo-Québécoises à des cours de français accompagnés d’allocations décentes et l’accès à des services de garde, sans aucune exclusion basée sur le statut d’immigration ou sur les années de résidence au Québec;

• la mise sur pied d’un grand chantier de logement social, soit 8000 habitations à loyer modique (HLM), coopératives et organismes sans but lucratif (OSBL) d’habitation par année.

Par une redistribution de la richesse afin d’améliorer les conditions de vie des femmes ! Nous demandons donc 0

• l’imposition fiscale progressive des entreprises et des individu-e-s en tenant compte des principes de justice, d’équité et de redistribution de la richesse;

• un régime universel d’allocations familiales et une allocation supplémentaire pour les familles pauvres en fonction des besoins réels des enfants;

• un barème plancher à l’aide sociale en dessous duquel aucune ponction, coupure, saisie ou pénalité ne puisse être faite. Le montant du plancher doit être établi de façon à couvrir les besoins essentiels (au minimum 0 logement, chauffage, électricité, nourriture, médicaments, habillement);

• l’augmentation du salaire minimum pour permettre à une personne travaillant 40 heures par semaine d’avoir un salaire annuel se situant au-dessus du seuil de faible revenu établi pour une personne seule;

• une contribution gouvernementale au Régime des rentes du Québec pour les femmes afin de reconnaître leur travail auprès de leurs enfants.

Par l’élimination de la discrimination envers toutes les femmes ! Nous demandons donc 0

• l’élimination de la discrimination à l’égard des lesbiennes dans les lois, règlements, politiques et services;

• l’application par le gouvernement de moyens concrets favorisant un réel accès des femmes des communautés ethniques et culturelles, des minorités visibles, des femmes autochtones et des femmes handicapées au marché du travail;

• l’élimination de la discrimination et de la violence à l’égard des travailleuses du sexe, notamment dans leurs rapports aux services sociaux, judiciaires, policiers et de santé.

Par l’établissement de lois garantissant le respect des droits des femmes ! Nous demandons donc 0

• l’adoption d’une loi-cadre visant l’élimination de la pauvreté;

• un amendement aux normes du travail afin d’accorder les mêmes droits et conditions à toute personne salariée, quel que soit son statut d’emploi (temps plein, temps partiel, occasionnel, sur appel, etc.);

• la protection des gardiennes et des aides familiales (« domestiques », dans la loi) par toutes les lois du travail et l’enregistrement obligatoire de l’employeur;

• la révision de l’ensemble des lois ayant trait à la violence faite aux femmes et la mise en application de ces lois afin d’assurer aux femmes le respect de leur droit à l’égalité, la sécurité, la dignité et la protection de leur vie privée;

• la réduction du temps de parrainage de 10 à trois ans pour toutes les femmes immigrantes, sans aucune augmentation des exigences imposées au parrain.|190| 
607|La solution à la pauvreté 0 enrichir les riches|Michel Bernard| La Presse à Desmarais nous a rapporté, sur deux jours consécutifs s’il vous plaît, la variante de la logique capitaliste que le professeur Pierre Fortin ressassait à l’Alliance des manufacturiers1. Le thème en était 0 « Il faut aller plus vite ! » Les moyens 0 les faveurs fiscales aux riches dans l’épargne et l’investissement, la déréglementation, la privatisation et le recul de l’État.

Mélange de boule de cristal et de calculs sans doute, Pierre Fortin promet que, si nous suivons sa recette de croissance, nous aurons rejoint l’Ontario en 2 020, « à moins que l’Ontario ne nous imite », ajoute-t-il. Le système de Fortin est clos sur la croissance devenue fin en soi et il est incapable de nous dire quand notre effort de croissance sera achevé.

Après l’Ontario, les États-Unis et l’Irlande

Une fois l’Ontario rejoint, ce sera au tour des États-Unis ou encore de l’Irlande qui vient de déclasser la Nouvelle-Zélande comme nouveau chouchou néolibéral avec, nous dit Fortin, ses 12,5% d’impôt global effectif des compagnies contre 31 % au Canada.

Nous constatons combien nous sommes allés jusqu’au bout de l’égarement en consacrant 3,5 % de plus du revenu intérieur aux impôts et taxes de tous genres que l’Ontario (42 % contre 38,5 %). Finalement, lors de l’apparition de Fatima, le message secret était 0 « Pauvre Québec ! »

Fortin en appelle à l’« accession à la maturité », un procédé de la rhétorique néolibérale pour présenter notre façon d’agir solidairement et communautairement à travers l’État comme une dépendance, une sorte d’enfance ou une forme de lâcheté de la part de ceux qui ne veulent pas aller à la guerre économique. Il en appelle à la fin de la « vieille culture de la protection et de la dépendance qui marqua notre adolescence économique... ». Bien entendu, l’âge adulte, c’est l’avènement du règne du marché.

Épargne et investissement plutôt que consommation

Pierre Fortin nous rappelle qu’épargne et investissement sont les deux ingrédients de la guerre économique. Le bolide file déjà à 200 km/h 0 les compagnies ont augmenté leurs profits de 25 % l’an dernier. La Banque du Canada prévoit de 4 à 4,5 % de croissance pour l’an 2 000 et parle de hausser les intérêts pour contrer la surchauffe, l’inflation. Ce n’est pas assez vite ! À ce rythme, il faudra un interminable 16 ans pour doubler la production. Après notre « dépendance », il fustige notre désinvolture; nous vivons, dit-il, un « gros party » de consommation sans épargne, une « illusion ». Avec notre petit taux d’épargne de 6 %, nous privons les entrepreneurs de capitaux, et notre argent passe en biens de consommation plutôt qu’en machines et équipements de production.

Le professeur Fortin nous demande de détourner notre regard de la consommation pour investir, mais la finalité demeure une consommation encore plus effrénée plus tard. On ne gonfle pas une machine de production sans anticiper une plus grande consommation. Pour vendre sa salade, il affirme que l’élimination de la pauvreté passe nécessairement par l’augmentation de la croissance. Pourtant, la formule n’est pas automatique 0 aux États-Unis, 35 millions de pauvres côtoient les multimilliardaires. Jouant sur toutes les cordes sensibles, il ajoute que c’est nécessaire pour construire un « pays français dynamique », de même que pour les jeunes qui devront vivre avec les baby boomers retraités, par suite du vieillissement de la population.

Déduction d’impôt pour riches

Comment faire pour aller plus vite et rattraper l’Ontario dont le niveau de vie serait supérieur de 14 % au nôtre ? Accorder des faveurs fiscales aux détenteurs de capitaux... Pour gagner cette course, qui se terminera contre un mur, cet économiste « pressé » préconise de dériver la consommation vers l’épargne en permettant de la déduire du revenu imposable. Le rendement de ces épargnes serait aussi à l’abri du fisc. Il appelle ça joliment du nom de régime enregistré d’épargne illimité, un REEI. En fait, l’impôt serait reporté aussi longtemps que les fonds ne seraient pas retirés pour fins de consommation.

Le fait que les REER actuels ne soient pratiquement pas utilisés est la preuve que la déduction fiscale des épargnes ne profiterait pas au monde ordinaire. Comme le revenu disponible et les taux d’imposition des riches sont plus élevés, ce sont eux qui ramasseraient le magot des réductions d’impôt du REEI à Fortin. En renonçant à une consommation marginale, le bien nanti récolterait une belle déduction d’impôt. Le riche, qui s’achète une plus grosse Mercédès plutôt que d’épargner, ne pourra déduire ce montant de son revenu imposable sous forme d’épargne. Fortin en tire un sophisme0 son système pénalise la consommation, c’est un impôt sur la consommation, mais aux taux progressifs de l’impôt sur le revenu. Pauvres riches forcés d’épargner pour reporter l’impôt !

Évidemment, comme tous les économistes admettent que les riches épargnent déjà beaucoup, le REEI à Fortin ne fait que leur accorder un cadeau fiscal pour de l’argent qu’ils auraient de toute façon épargné. Ça, il n’en parle pas. Son public de « manufacturiers » salivait déjà aux propositions de l’universitaire-partenaire. Par contre, un programme gouvernemental comme le revenu minimum garanti est condamnable pour Fortin parce qu’il servirait à la consommation plutôt qu’à la production.

Amortissement fiscal à 100 % la première année

Une fois que le bien nanti aurait déduit son épargne de son revenu imposable, que ferait-il de son argent ? Il irait chercher une autre déduction d’impôt en investissant. Car, pour encourager l’investissement, Fortin propose une déduction fiscale (amortissement fiscal) à 100 % la première année de tout investissement pour de l’achat de matériel de production, des tournevis jusqu’aux moulins à papier en passant par les camions. Michel Chartrand, qui s’indigne du phénomène des reports d’impôts, en aurait une attaque. On parle carrément de dizaines de milliards de plus en impôts reportés par les entreprises.

Évidemment, le tableau ne serait pas complet sans la panacée de la privatisation. Fortin demande donc la vente des actions d’Hydro-Québec aux bien nantis pour payer la dette. Bernard Landry ne dit pas non à la privatisation de la vache à lait; il est d’accord avec le principe, mais trouve que c’est prématuré... On va attendre, car après avoir tassé la Régie de l’énergie, il y aura augmentation des profits, donc de la valeur de l’action.

Déréglementation et sous-traitance

La droite montante, prenant prétexte de la concurrence multipliée par la mondialisation, exige de passer par-dessus les réglementations. Installer un centre de transbordement de déchets dans un quartier résidentiel, dézoner des milliers d’hectares de terre agricole pour un centre commercial, édenter la Régie de l’énergie, utiliser la voie rapide pour accueillir le NASDAQ, etc. Il est évident que nous sommes à la veille d’une vaste campagne de déréglementation. Pas étonnant que notre preacher économiste nous décrive l’ennemi comme étant la réglementation dans l’environnement, les normes du travail, le « harcèlement bureaucratique » qui contrarie l’ordre spontané du marché, etc. Ces bons samaritains de la croissance rapide ne peuvent même plus raser tranquillement les forêts, vider les océans ou construire des barrages privés sans se livrer à des formalités.

Évidemment, il s’oppose à la limitation de la sous-traitance dans les lois du travail au Québec. Mettre les vassaux en disponibilité par la sous-traitance libre serait nécessaire à la « flexibilité » de l’économie, au sacerdoce de la croissance. L’insécurité est, selon leur credo, source d’innovation.

Un nouveau totalitarisme à base économique

Dans l’ordre des finalités humaines, l’économie est l’infrastructure qui nous permet d’accéder à des choses plus élevées. Cela ne veut pas dire une croissance plus rapide. Quand on est déjà prospère, comme nous le sommes au Québec, le bien-vivre consiste à partager et à passer à autre chose.

Mais la montée de la droite nous apportera de plus en plus de ces appels à la mobilisation générale pour jeter l’État, ses réglementations et ses impôts par la fenêtre au nom de la croissance effrénée. C’est la nouvelle machine totalitaire du capital qui « varlope» les cervelles à la journée longue comme le faisait ailleurs le totalitarisme d’État.

1. La Presse, 10-11/05/00|190| 
608|« Adaptez-vous ! » disent les uns. « À quoi ? » répondent les autres|Jacques Larue-Langlois|

Le manifeste pour l’humanité



Deux profs de sociologie de l’UQÀM ont uni leurs efforts pour produire un Manifeste pour l’humanité. Ce document essentiel analyse, dans un premier temps, la situation mondiale actuelle face aux progrès en apparence irrépressibles du néolibéralisme et de la mondialisation qu’il préconise dans le seul intérêt du capital; il indique ensuite la voie d’un ralliement universel des forces de gauche renouvelées.

L'ouvrage de Jean-Guy Lacroix et de Jacques-Alexandre Mascotto, qui vient de paraître chez Lanctôt Éditeur, est hélas marqué d’un hermétisme qui le rend difficilement accessible aux non-initiés au vocabulaire pointu de la praxis et du dialectisme. Il n’en demeure pas moins un jalon important pour tous ceux qui désirent réfléchir sur le cheminement actuel de la pensée économique mondiale. Nous tenterons donc ici de résumer le propos du manifeste tout en citant amplement certains des passages où les idées et concepts qu’il exprime sont particulièrement clairs et bien articulés.

Les tenants du néolibéralisme, on le sait, s’efforcent de faire abstraction de toute dimension politique, comme des humains qui s’y regroupent. C’est ainsi seulement qu’ils pourront, croient-ils, soumettre la planète entière aux lois du marché, aux seules fins d’augmenter leurs propres profits de déjà dominants.

« Adaptez-vous », disent les néolibéraux

Les auteurs du manifeste donnent d’abord la parole aux néolibéraux dont ils exposent le discours aux fins de mieux le réfuter. Car enfin, rappellent-ils de prime abord 0 « L’injonction du néolibéralisme est claire 0 Vous vous adaptez ou vous mourrez, symboliquement ou réellement. Mais à quoi devons-nous nous adapter ? Au vide ? À la coupe à blanc ? À l’évidage des océans ? À la désertification culturelle sous l’arrachement généralisé du sens par la communication médiatisée (où tout n’est que spectacle) ? On ne peut quand même pas s’adapter à rien ! »

Le discours néolibéral prône avant tout la liberté des « dieux investisseurs ». Ce faisant, il postule qu’il faut appliquer aux volontés d’enrichissement de quelques-uns (8 % des citoyens du monde possèdent 72 % des structures de production) les principes de liberté naturelle qui caractérisent les rapports sociaux. La nouvelle vision du monde, que préconise cette philosophie politique du profit avant tout, omet que « l’humain doit être le pivot central et organisateur de la nouvelle vision du monde ». Toute organisation ou structure sociale doit être au service de l’homme et non pas le contraire.

Réinventer la gauche

« Il importe, poursuit le document, d’affirmer le caractère intransgressible de l’humanité et de l’humain, de les rendre non homogènes et non intransgressibles au métabolisme du capital à tout prix. » Ce que les auteurs proposent ? Rien de moins que de « réinventer la gauche et le socialisme comme opposition antagonique à la gouvernance de l’hypercapitalisme ». Telle est, à leurs yeux « une condition fondamentale de l’émancipation de l’humanité ». Il est en effet facile de constater que « toutes les révoltes et révolutions antérieures ont été mues par des valeurs humaines, une idée de l’humanité, animées d’un idéal et d’un désir de justice ».

En s’appuyant sur le passé

Répondant aux objectifs maintes fois répétés des néolibéraux - permettre au capital de constituer une force à laquelle ne sauraient résister les frontières - le Manifeste s’appuie sur les succès du passé en soutenant, avec raison, que « l’Angleterre, les États-Unis, la France et la Russie ont connu des révolutions dont la valeur pour l’humanité s’exprime par ce simple constat 0 dans ces pays, le fascisme n’a jamais pu se constituer en régime. Qui donc a peur d’une irruption politique ? », conclut-il sur ce sujet.

Aucune illusion n’est possible, soutiennent les auteurs. « Le FMI, la Banque mondiale, l’ALÉNA, l’OCDE, l’OMC, l’ONU, le Tribunal pénal international, la Commission européenne sont des organismes qui ont été mis en place pour régler la mondialisation au profit des possédants. Ces instances démentent, à elles seules, la naturalité du marché qui sert d’assise aux tenants du néolibéralisme. » Logique irréfutable puisque ces instances sont composées d’humains et que, par conséquent, « ce qui a été fait peut être défait ».

La conclusion de nos néo-philosophes fait écho à celle du manifeste ancêtre qu’avaient signé Marx et Engels, en 1847. Elle sonne un rappel adapté aux conditions objectives actuelles en proposant à tous un cri de ralliement à la fois universel et mobilisateur 0 « Contre la barbarie, terriens de toutes les différences, unissez-vous ! »

Manifeste pour l’humanité

de Jean-Guy Lacroix et Jacques-Alexandre Mascotto

Lanctôt Éditeur, 2000, 150 pages|190| 
609|« Surprise ! On a des droits ! »|Jacques Larue-Langlois|C’est là le titre d’un petit fascicule qui, en vingt pages, propose des conseils pour réagir aux abus de pouvoir des policiers, et que publie et distribue gratuitement, à l’intention de tous les militants, le collectif COBP (CitoyenNEs OpposéEs à la Brutalité Policière). On peut y apprendre la conduite à tenir face à la police en matière d’identification, d’arrestation, d’interrogatoire, de fouille et de perquisition, sans compter les judicieux conseils qu’il procure aux organisateurs et aux participants à des manifestations publiques.

Les avis, préparés avec l’aide de deux avocats et du GRIP-McGill, ne sont pas que négatifs 0 s’ils prévoient, par exemple, comment se comporter si les boeufs utilisent du poivre de cayenne pour disperser les manifestants, le fascicule suggère aussi des mesures positives qui peuvent, dans certains cas, donner la riposte aux forces de l’ordre. C’est ainsi qu’on y trouve la liste des papiers et des objets qu’il faut ou ne faut pas emporter dans une manifestation, de même que les grandes lignes de la conduite à suivre devant les flics.

On peut se procurer ce manuel du parfait petit manifestant au COBP, téléphone (514) 859-9065, ou à la Librairie alternative, 3035 rue St-Laurent, 2e étage. Une nécessité pour tous ceux et celles qui ont choisi l’action positive.|190| 
610|Résister ou lutter ?|Jacques Pelletier|Les lecteurs qui ont pris connaissance avec intérêt du Manifeste pour l’humanité trouveront aussi leur compte en lisant L’Essor de nos vies, un ouvrage collectif produit par des étudiants des cycles supérieurs en sociologie de l’UQÀM.

Militants engagés dans l’opération salAMI il y a deux ans, et plus récemment dans la lutte contre l’envahissement de l’université par Coca-Cola l’automne dernier, et dans la grève tenue à l’occasion du Sommet de la jeunesse, ils présentent dans cet ouvrage le fruit de leurs réflexions sur l’université et plus globalement sur la société dans laquelle celle-ci s’inscrit.

Prolongeant à leur manière l’analyse proposée par Michel Freitag dans Le naufrage de l’université, ils font très bien voir que la mutation de cette institution, qui la conduit à troquer l’idéal civilisationnel et éducationnel qu’elle portait historiquement contre une restructuration commandée par la logique néo-libérale qui la voue à devenir une « boîte à cours », n’est pas sans conséquence non plus sur la condition étudiante elle-même. Le passage à l’université, dans cette optique, n’est plus une aventure intellectuelle, une expérience de réflexion dans le dialogue et la discussion, mais l’apprentissage de techniques et de savoir-faire opérationnels directement asservis aux besoins des entreprises qui occupent une place grandissante dans cette institution comme dans l’ensemble de la société.

Les étudiants, désormais, ne sont plus de « jeunes travailleurs intellectuels » en quête d’un savoir disciplinaire élargi, critiques aussi bien à l’endroit de leur formation que de leur futur statut social, mais des « clients » à qui on offre des services à la carte, parcellisés en vue d’une spécialisation étroite, elle-même subordonnée à une logique d’abord économiste.

Face à cette entreprise délibérée d’émasculation professionnelle et sociale, les étudiants sont placés devant une alternative sans échappatoires possibles 0 se soumettre comme le fait malheureusement la majorité d’entre eux, ou résister et lutter comme les auteurs de ce livre en donnent l’exemple par leurs engagements militants et par leurs analyses.

À ce titre, cette contribution, réalisée avec la participation de quelques professeurs eux-mêmes critiques à l’endroit de la dérive de l’institution universitaire, représente un signe encourageant. Elle témoigne que l’apathie et la résignation ne sont pas le lot de tous les étudiants, qu’on doit et qu’on peut toujours affronter aujourd’hui le rouleau compresseur du néolibéralisme et des puissances économiques et politiques qui en font la promotion à l’université comme dans l’ensemble de la société.

L’Essor de nos vies, parti pris pour la sociétém et la justice

Collectif étudiant UQÀM

Lanctôt éditeur, avril 2000, 164 p.|190| 
611|Gérard Bouchard, l’historien au lasso|Michel Lapierre| Rejeton de l’école des Annales, l’historien révisionniste Gérard Bouchard est un bleuet magnifique. Le chanoine Victor Tremblay, l’ancien historien du royaume des bleuets, n’était qu’un amateur. Voilà, enfin, un chercheur professionnel, boursier de la Révolution tranquille, diplômé de l’université de Paris, que l’Acadien Gérald LeBlanc, de La Presse, range parmi les « grands penseurs du Québec » !

Au nom de l’américanité, Bouchard ose démentir Louis Hémon et brûler Maria Chapdelaine, pour nous démontrer, chiffres à l’appui, que les bleuets de jadis, loin d’être des colons pieux, soumis et effacés, avaient la merveilleuse intrépidité des cow-boys. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean aurait été notre Far-West. C’est la thèse que soutient ce disciple fort original de Fernand Dumont et de Robert Mandrou, dans Quelques Arpents d’Amérique 0 population, économie, famille au Saguenay (1838-1971), le livre qui l’a rendu si justement célèbre. Le Québec aurait donc participé, dans les terres de colonisation, au grand mythe régénérateur de la Wild Frontier. Ce que Willie Lamothe, Marcel Martel, Paul Brunelle et Ti-Blanc Richard, rappelons-nous, avaient déjà soupçonné.

La maladie des contraires

Gérard Bouchard a aussi l’immense mérite de se lancer à corps perdu dans l’histoire comparée. Il le fait avec une telle ferveur que, de prime abord, il nous demande, avec une humilité digne de son grand frère Lucien, d’excuser « les raccourcis, les approximations, les rappels trop sommaires, pour ne pas mentionner les erreurs factuelles qui jalonnent inévitablement ce genre de parcours un peu échevelé ». L’histoire prise au lasso, rien de moins ! C’est que Bouchard, dans son récent ouvrage Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, embrasse du regard l’ensemble des collectivités, créées par les Européens entre le XVIe et le XIXe siècle 0 l’Amérique latine, les États-Unis, le Canada anglais, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, sans oublier, bien sûr, le Québec. Puis il s’adonne au jeu savant des comparaisons dans une perspective dualiste, qui fait irrésistiblement penser à la manière de Fernand Dumont.

Ainsi le Québec, société en gestation, s’oppose-t-il à la France, haut lieu de l’enracinement ; la culture populaire à la culture savante ; la grande rupture (1940-2000) au paradigme de la survivance (1840-1940) ; les Québécois de souche aux autres Québécois ; le français d’ici au français de Paris ; le ruralisme de nos anciennes élites au modernisme précoce des Américains ; notre bon peuple, entiché des États-Unis, aux « lettrés » qui ne jurent que par l’Europe… Bref, la maladie des contraires. Ce qui amène Bouchard à se poser de graves questions, comme celle-ci 0 se pourrait-il que le Nouveau Monde ne soit finalement « qu’une réplique agrandie et maladroite » de l’Ancien Monde ? Mais il évite de s’interroger sur l’essentiel 0 le Québec devrait-il se définir par rapport à autre chose que lui-même ?

Un sens de l’indignation pareil à celui du grand frère

Cameron Nish, le véritable pionnier, chez nous, de l’histoire comparée, scrutait l’évolution économique de la Nouvelle-France, en regard de celle de l’Amérique britannique, pour retenir au ras du sol les valeurs absolues en leur donnant le poids du relatif. Il nous aidait, ainsi, à mieux nous connaître, sans pour autant nous arracher à nous-mêmes. Gérard Bouchard, lui, compare le Québec aux autres sociétés, selon toutes les apparences issues de l’Europe, pour donner au relatif une valeur absolue, si bien qu’il nous définit par rapport aux autres. Pas surprenant qu’il se chagrine de voir que le colon canayen n’ait pas atteint, dans notre imaginaire, l’envergure mythique du frontiersman, du bushman ou du gaucho. « L’obsession de la survivance a tué toutes nos audaces », dit-il, avec un sens de l’indignation pareil à celui du grand frère.

Bouchard, qui nous reproche notre manque d’insolence, oublie tout bonnement que le Québec est le Québec. C’est énorme ; mais c’est, une fois de plus, l’une des illustrations du mystère québécois. Les Latino-Américains, les Américains, les Canadians, les Australiens et les Néo-Zélandais n’ont jamais imaginé que leur langue et leur univers mental puissent, un jour, disparaître. Or, nous avons toujours été hantés par notre disparition, au point où nous pouvons parfois nous poser cette très belle question 0 avons-nous vécu ?

Le propre de l’écrivain est de changer le sens des mots

Comme Bouchard néglige l’essentiel, ce n’est pas par hasard que, lorsqu’il aborde l’évolution de la littérature québécoise, son « essai d’histoire comparée » sonne tout particulièrement faux. Dans son optique, les écrivains ne sont pas des écrivains, mais des « littéraires ». Nous voilà revenus, tout à coup, au collège de Jonquière, dans les années cinquante. Il y a les littéraires, les scientifiques… Mais où sont donc passés les sportifs ?

Il ressort des pages que Bouchard consacre aux « littéraires » que la littérature n’a pas d’autonomie, de vie propre. Elle est simplement un moyen d’expression au service de la société. Elle ne procède pas de la nécessité, mais simplement de la convenance.

Alfred DesRochers, que Bouchard mentionne au passage, pensait tout à fait le contraire. Ce poète souhaitait que notre littérature ne soit pas indigène par le choix des sujets, mais par la manifestation inopinée d’une sensibilité indigène. Que le propre de l’écrivain soit de changer le sens des mots, cela échappe à Bouchard. Notre historien pense qu’un « visage du Nouveau Monde, affranchi des tensions de la survivance, affleurait » dans la poésie de DesRochers. Certes, l’œuvre de DesRochers n’a rien à voir avec le culte de la survivance, prolongement inquiétant d’un catholicisme morbide ; mais elle exprime la lutte du sauvage pour la survie, sa révolte contre les éléments, la rage de ce sauvage, dont les aïeux ont « blasphémé d’horreur vers des cieux impassibles ».

Le monde devient le Québec

Le propre de l’écrivain n’est pas seulement de changer le sens des mots, mais aussi le sens des idées et le cours du temps. Le ruralisme de nos anciennes élites, tant décrié par Bouchard, cache un univers aux mille visages. DesRochers réclamait de toutes ses forces quelque chose d’introuvable 0 un vrai roman canayen. À son invitation pressante, Germaine Guèvremont, que Bouchard néglige de nommer, s’est alors mise à écrire Le Survenant, comme on fait une courtepointe. Or, dans ce dernier roman du terroir, le terroir n’est plus le terroir. Le grand-dieu-des-routes annonce Kerouac. Puis, avec ce dernier, toutes les cartes se brouillent. On ne sait plus très bien qui est québécois et qui est américain. Le monde devient le Québec ; l’histoire comparée s’en trouve bouleversée.

Bouchard ne parle pas, bien sûr, de Kerouac, pas plus qu’il ne parle de Harry Pichette, qui est pourtant au confluent tragique du Québec, des États-Unis et de l’Ancien Monde. Né d’un père québécois, naturalisé américain, arrivé en France dans l’Expeditionary Corps de 1917, et d’une mère nîmoise, qui se sépareront pour le laisser à la famille d’un boulanger, puis à celle d’un fondeur de verre, Henri Pichette (il francisera son prénom) nous interpellera, de Paris, par la voix de Gérard Philipe, dès 1947, dans Les Épiphanies 0 « Si vous voyez un Huron telle une ombre d’acide à la recherche de quelque ciel, ce sera moi… »

N’en déplaise à Gérard Bouchard, l’Ancien Monde recouvre parfois le Nouveau Monde ; et, dans son éclat millénaire, le Québec, toujours reconnaissable, est souvent inattendu et insaisissable.

Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, Boréal, 2000.|190| 
612|Car mon histoire est un rendez-vous manqué|Jean-Claude Germain|Doit-on se réjouir ou s’inquiéter de cette brusque retombée en enfance ? Peut-on y reconnaître le début d’une nouvelle phase dans l’évolution de cette longue maladie de l’oubliance qui affecte notre mémoire collective ? Le vieillard qui ne se souvient pas d’où il vient ni où il va, ne se rappelle-t-il pas souvent avec acuité de ce qui est arrivé, il y a plus de 150 ans en l’occurence ?

Cette lucidité retrouvée est-elle le fruit du hasard ou celui d’une résonance historique qui se fait entendre au moment précis où nos tendances collectives à l’amnésie et à la fabulation ont pris des proportions épiques ?

La révolution tranquille n’a pas eu lieu

Il y a peu, lors du colloque qui s’est tenu à l’UQÀM pour marquer le 30e anniversaire de la Révolution tranquille, on apprenait que son père n’était pas Jean Lesage mais Adélard Godbout, ce que le prochain film de son neveu Jacques nous confirmera sans doute.

C’est déjà fort de café ! Mais cela n’a pas empêché Raymond Garneau, qui était pourtant secrétaire de Lesage à l’époque, d’en rajouter sur la déclaration partisane de Stéphane Dion, en faisant remonter, pour sa part, le début de la dite révolution à Alexandre Taschereau.

Son Excellence John Ralston Saul aurait-il été invité, n’était-ce que dans le cadre d’une tribune téléphonique, qu’il nous aurait sûrement appris que le Grand changement a débuté avec Louis-Hippolyte La Fontaine. Et pourquoi pas avec Lord Durham ?

Si la Révolution tranquille a eu lieu - ce qui n’est pas une certitude pour les révisionnistes, les Québécois n’y sont pour rien - ce qui est une évidence pour les fédéralistes. Pour les premiers, elle n’est guère plus que la conséquence d’un mouvement mondial de libération des peuples. Et pour les seconds, d’un vent de démocratie qui soufflait d’Ottawa, comme c’est le cas présentement. Nous nageons en pleine crise de remémoration délirante.

Bienheureux celui qui sait perdre

À cet égard, le 20e anniversaire du Référendum de 1980 s’est avéré encore plus avancé dans le comportement hystérique. Le seul souvenir, semble-t-il, qu’on ait gardé de l’événement, est une image d’Épinal obsessionnelle, celle de René Lévesque qui invite inlassablement ses partisans à accepter leur défaite.

À première vue, jamais n’aura-t-on autant perdu avec autant de noblesse, d’élégance, dixit Claude Charron, de classe et d’abnégation ! Jamais perdant n’aura été plus magnifique ! Surtout si on le compare, redixit Claude Charron, à un mauvais perdant comme Jacques Parizeau. Et pourtant ?

Retourner contre soi la violence légitime de son dépit, de sa colère et de son amertume, par peur de l’assumer, n’est-ce pas le propre des victimes et des colonisés ? À quoi cela sert-il de repasser sans fin l’image de notre désarroi sinon à masquer une réalité qui est tout autre !

René Lévesque est mort du chagrin de s’être cru le seul responsable de notre échec collectif. Et personne n’a rien fait pour l’en détromper, parce que cela arrangeait tout le monde, ses amis, ses partisans, ses détracteurs et ses ennemis.

Une histoire inventée par Robert Nelson

Puisque de toute évidence, nous sommes atteints du syndrome de Korsakoff, l’amnésie des faits récents, le moment est propice pour confronter tous ces nouveaux souvenirs des Troubles de 1837-1838 qui semblent resurgir à point nommé. N’était-ce que pour nous permettre de nous libérer d’une autre image obsessionnelle 0 celle de la fuite de Louis-Joseph Papineau avant la bataille de Saint-Denis. À l’exception de quelques fidèles, est-ce qu’elle n’aurait pas aussi arrangé un peu tout le monde ?

Louis Perrault fait partie des patriotes qui se sont réfugiés au Vermont pour échapper à la Répression de 1837, qu’il ne faut pas confondre avec l’Insurrection de 1838. Avant de fuir vers la liberté, Perrault était journaliste et imprimeur du seul journal patriote et républicain de langue anglaise à Montréal, le Vindicator.

Ses lettres, présentées et annotées par Georges Aubin, ont le cachet d’une chronique journalistique qui cherche à établir, ou plutôt rétablir les faits. Entre autres, sur la présumée défection de Papineau à Saint-Denis.

Voici donc à peu près ce que j’ai été obligé de réfuter, écrit-il au docteur O’Callaghan, le 10 juin 1838. Robert Nelson prétend avoir une lettre de Wolfred (son frère), de la prison, qui lui dit que « Papineau & O’Callaghan conduct has been the conduct of dastardly cowards » ; que M. Papineau tremblait et sanglotait le matin de la bataille, qu’il disait à Wolfred 0 Mon cher je ne puis voir verser le sang ! ; (...) puis que M. Papineau a été acheté par les Anglais, qu’il a vendu ses compatriotes.

Dimanche dernier, poursuit Perrault, Robert Nelson m’avouait qu’il y avait encore moyen de se procurer des ressources pour l’émancipation du pays. Mais malheureusement, il ne pouvait rien obtenir avec son crédit seul, que les gens seraient disposés à faire des avances, si M. Papineau paraissait. « -Eh bien, lui dis-je, pourquoi donc tant en dire contre un homme qui peut rendre des services si éminents ? » En février 1838, le chef des patriotes ne s’est pas engagé à ses côtés pour l’expédition d’Alburgh (Déclaration d’indépendance) et Nelson se venge.

Papineau n’a pas changé

Quelques semaines plus tard, Perrault trace le portrait de celui qui va reprendre à son crédit les accusations inventées par Robert Nelson. L’ami La Fontaine n’a pas changé dans son voyage d’Europe, rapporte-t-il à O’Callaghan le 23 juin 1838, il est toujours plus fin que les autres, il a toujours un meilleur jugement. Sa fatuité et sa vanité personnelle est de plus en plus insupportable. Il regrette de ne pas être allé trois ans plus tôt en Angleterre. Il aurait prévenu les désastres de l’hiver dernier. Il est maintenant bien brave. Les autres ont lancé le peuple dans l’abîme et se seraient sauvés. Mon avis a toujours été que M. Papineau avait tort de faire cas de cet ambitieux (...) J’espère que les moyens qu’il emploie n’en imposeront pas à nos amis et encore moins au peuple.

Perreault a vu juste, malgré lui. Dix ans plus tard, l’ambitieux est copremier ministre et chef des réformistes. Sous l’Union, Louis Hippolyte La Fontaine est l’homme de la situation. Papineau est rentré d’exil, il a été élu à la Chambre et à son propre dire, il est le même en tout. C’est vrai.

Pour le discréditer dans l’opinion populaire, Wolfred Nelson lui-même accrédite l’histoire inventée par son frère. Moins Papineau change, plus il importe qu’il se soit enfui à Saint-Denis.

C’est la fonction des images obsessionnelles 0 occulter la réalité d’un événement ou la raison d’être d’une personne. Autrement dit, Papineau ne cessera de s’enfuir de Saint-Denis que le jour où le Québec aura fait son indépendance.

Lettres d’un patriote réfugié au Vermont

Louis Perreault

b; Méridien, 1999|190| 
613|La Carpette anglaise|Pierre Dubuc|Quatre associations de défense de la langue française en France viennent de décerner le prix 1999 de la « Carpette anglaise », remis à un membre des élites françaises pour « son acharnement à promouvoir la domination de l’anglo-américain », à M. Louis Schweitzer, p.-d.g. du constructeur automobile Renault, qui a imposé l’usage de l’anglais dans les comptes rendus des comités de direction.

Schweitzer l’a emporté sur M. Serge Tchuruk, p.-d.g.d’Alcatel, qui a exigé que l’anglais soit la langue de travail dans tout son groupe et qui ne laisse sortir aucune note de son bureau en français.

Parmi les autres candidatures dignes de mention, soulignons la présence de M. Bernard Kouchner, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU au Kosovo, qui n’utilise que l’anglais, même avec ses interlocuteurs francophones, bien que le français soit toujours l’une des langues officielles de l’ONU.

Autre candidature remarquée, le ministre français Claude Allègre qui a déclaré 0 « Les Français doivent cesser de considérer l’anglais comme une langue étrangère. »

source 0 Monde diplomatique, mai 2000|190| 
614|Kosovo 0 l’OTAN a détruit beaucoup de canons en bois et de ponts en styrofoam|Pierre Dubuc|Nous n’avons perdu que 13 blindés », déclarait le général serbe Nobojsa Pavkovic à la fin de la guerre du Kosovo. « C’est de la désinformation serbe », proclamait le commandant suprême de l’OTAN, le général Wesley Clark. En affirmant 0 « Nous avons détruit plus de 120 blindés, près de 220 véhicules de transport de troupes et environ 450 pièces d’artillerie. »

Mais des experts de l’OTAN ont invité le général Clark à plus de prudence. Pour en avoir le cœur net, le général a envoyé sur le terrain une équipe d’enquêteurs. Le magazine Newsweek (15/05/00) révélait les résultats de leur recherche 0 les forces de l’OTAN ont détruit 14 blindés et non 120, 18 transports de troupes et non 220, et 20 pièces d’artillerie plutôt que 450 ! Sur les 750 objectifs atteints proclamés par les pilotes de l’OTAN, les enquêteurs n’ont trouvé confirmation que de 58 !

Par contre, plusieurs voitures déguisées en blindés ainsi que de nombreux canons en bois ont été détruits. Les pilotes de la stratosphère ont également pilonné à plusieurs reprises un pont en styrofoam érigé à côté du véritable pont qui, lui, n’a jamais été atteint !

La guerre au Kosovo devait révolutionner l’art de la guerre. Désormais, il était possible de gagner une guerre, sans envoyer de troupes au sol, par des frappes chirurgicales en utilisant des armes de haute technologie larguées par des avions volant à trois milles d’altitude. L’enquête révélée par Newsweek nous apprend qu’il n’en est rien. En fait, seules les frappes d’objectifs civils, comme les centrales hydro-électriques et les usines, ont porté fruit.

Le haut-commandement militaire de l’OTAN a volontairement exagéré les succès de ses pilotes pour répondre aux désirs des autorités politiques américaines qui ne voulaient pas entendre parler de l’envoi de troupes au sol, nous apprend Newsweek.

Tout cela explique sans doute pourquoi l’accord intervenu pour mettre fin à la guerre n’avait rien d’une capitulation et se situait bien loin des conditions que l’OTAN avait voulu imposer à la Serbie lors des négociations de Rambouillet. On comprend également pourquoi les États-Unis ont demandé et obtenu la démission du général Wesley Clark.|190| 
615|Un dirigeant du Sinn Féin aux bureaux de l’aut’ journal|Pierre Dubuc|Nous avons rencontré dans les bureaux de l’aut’ journal Alex Maskey, député de West Belfast à la nouvelle assemblée d’Irlande du Nord, conseiller municipal depuis 13 ans et numéro cinq du Sinn Féin.

De toute évidence, le Sinn Féin de Gerry Adams a gagné la première manche du processus de paix en Irlande du Nord en réussissant, contre toute attente, à faire fonctionner les institutions issues des Accords du Vendredi Saint de 1998.

C’est ce qu’il faut comprendre de la réaction des protestants de David Trimble qui ont fait marche arrière, mettant fin à leur participation et amenant le gouvernement britannique à en suspendre le fonctionnement.

3 000 marches protestantes

Selon Alex Maskey, les protestants y vont de différentes provocations pour tenter de miner le processus de paix. « Dans le but de chercher à nous intimider, les forces policières ont informé une vingtaine de membres du Sinn Féin qu’ils avaient eu vent de menaces de mort pesant contre eux », nous dit Maskey qui a été lui-même, par le passé, victime de deux tentatives d’assassinat, et dont le corps conserve encore des fragments de projectiles.

D’autre part, l’Ordre d’Orange a annoncé qu’elle tiendrait plus de 3 000 marches, dont plus de cent dans les quartiers catholiques, pour commémorer l’écrasement du roi catholique Jacques II d’Angleterre par Guillaume d’Orange en 1690, alors que l’Accord du Vendredi Saint prévoyait la fin de telles provocations.

Pour mesure l’ampleur de la provocation, imaginons quelle serait notre réaction si les anglophones de Montréal organisaient chaque année une centaine de marches dans les quartiers Hochelaga-Maisonneuve ou Plateau Mont-Royal à Montréal, ou dans les rues du Vieux-Québec, pour célébrer la victoire de Wolfe sur Montcalm lors de la bataille des plaines d’Abraham.

Le rôle des médias

Le voyage de Maskey avait pour but de contrer le message des médias britanniques qui présentent l’armement de l’IRA comme étant l’obstacle à la remise en fonction des institutions politiques.

Il rappelle quelques vérités élémentaires passées sous silence par la presse britannique 0 12 000 soldats britanniques sont toujours présents en Irlande. À cela, il faut ajouter 13 000 policiers protestants, 4 000 membres de la Royal Ulster Constabulary, un autre 4 000 soldats, presque tous protestants, du Royal Irish Regiment, rattaché à l’armée britannique. En bref, 17 000 policiers et 16 000 militaires sur lesquels peuvent compter les loyalistes. Tout cela pour une population totale de 1,5 million de personnes vivant en Irlande du Nord.

S’y ajoute le fait que le gouvernement britannique fait construire à la frontière irlandaise des installations dotées de moyens technologiques très sophistiqués avec lesquels ils seront en mesure d’espionner tout le territoire irlandais.

« Alors, quand on parle de désarmement, nous dit Alex Maskey, il faudrait également parler, comme cela était prévu, du départ des troupes britanniques et du désarmement des milices protestantes. »|190| 
616|Le géant brésilienn en a ras-le-bol|André Maltais|

Sans terre, camionneurs, indiens Pataxo



Nouvelle vague d’occupations de terres et d’édifices gouvernementaux, quasi annulation des cérémonies marquant le soi-disant 500e anniversaire du Brésil, affrontements meurtriers avec la police militaire, routes et autoroutes bloquées par plus de 500 000 camionneurs en grève illimitée; la population brésilienne exprime à son tour son ras-le-bol d’un pays littéralement gouverné par le FMI. L’unique réponse du gouvernement consiste à menacer de recourir aux lois décrétées par les militaires du temps de la dictature.

Le 2 mai, des dizaines de partisans du Mouvement des sans terre (MST) brésilien occupaient simultanément des édifices gouvernementaux (ministères des Finances et de l’Agriculture) dans une dizaine de provinces.

Ces nouvelles actions visaient à forcer le gouvernement à accélérer son programme de réforme agraire qui avance à pas de tortue. Le MST demande que plus de crédits y soient affectés (1,6 milliards de dollars au lieu des 720 millions budgétés) notamment pour ce qui est des prêts à faible taux d’intérêt pour les familles vivant déjà sur des terres occupées.

Mais, partout, le MST a dû affronter la police militaire. Dans le Parana (province du sud), par exemple, la police a stoppé un convoi de 40 autobus qui transportaient 1 500 sans terre vers la capitale Curitiba et les a attaqués avec des chiens, des gaz lacrymogènes et des fusils à balles de caoutchouc.

Bilan 0 400 arrestations, un homme tué (Antonio Tavares Pereira) et quatre personnes portées « disparues ».

Camps de fortune

Après que 400 autres membres du MST eurent occupé le bâtiment principal de l’Institut de la réforme agraire, à Brasilia, le président Fernando Henrique Cardoso ne trouva rien de mieux que d’annoncer la création d’une nouvelle force de police... spécialisée dans les conflits agraires et les occupations de bâtiments !

Pourtant, il y a au Brésil plus de 100 000 familles vivant illégalement dans des camps de fortune sur des terres appartenant à de riches propriétaires. Ces familles sont continuellement harcelées par des milices privées, même si les terres occupées sont littéralement abandonnées par leurs propriétaires. Depuis 1985, le Mouvement des sans terre défend physiquement ces pauvres gens tout en réclamant au gouvernement une plus juste répartition des terres.

Deux semaines avant la vague d’occupations du MST, celui-ci avait participé activement aux protestations populaires contre les célébrations officielles marquant le 500e anniversaire de la « découverte » du Brésil par l’explorateur portugais Pedro Cabral.

Flop monumental

Mené par les indiens Pataxo et plus de 180 autres tribus indiennes, ce vaste mouvement a transformé en échec les célébrations co-présidées par le président Cardoso et son homologue portugais Jorge Sampaio. À tel point que celles-ci ont été réduites à six heures alors qu’elles devaient originalement durer trois jours ! Honteux, le président portugais s’est cru obligé de préciser que l’idée des commémorations ne venait pas de son gouvernement mais de celui du Brésil !

En fait, le « clou » des festivités survint le 22 avril lorsque 300 agents de la police militaire chargeaient une marche pacifique de protestataires en route vers Porto Seguro, lieu des célébrations officielles ! Cela se passa avec une telle violence que, plus tard, le président Cardoso s’excusait des « excès » commis par la police.

Tuerie policière

Seulement trois jours plus tôt, la police avait blessé 18 marcheurs du MST qui commémoraient le quatrième anniversaire d’une tuerie policière impunie survenue à Eldorado dos Carajas.

En 1996, en effet, 19 membres du MST avaient péri sous les balles lors d’une autre manifestation pacifique dans la province de Para. Quatre ans plus tard, aucun des 155 policiers ayant ouvert le feu n’a été traduit en justice en dépit du fait que les télévisions du monde entier aient montré des images de cette tuerie!

Devant les dignitaires et les journalistes étrangers, le président Cardoso lançait toutefois les cérémonies du pseudo 500e anniversaire du Brésil en décrivant les protestataires de « victimes d’un passé d’esclavage, d’oligarchie et de patriarcat qui, même aujourd’hui, pèse lourdement sur la société brésilienne et en fait une des plus injustes du monde ».

Réparation tardive

Le président ajoutait comprendre « l’authenticité du drame social vécu par les travailleurs sans terre », admettait « l’élimination des Indiens » et promettait d’accélérer le processus de démarcation des réserves indiennes, mesure qu’il a aussitôt qualifiée de « réparation tardive ».

Mais la police militaire n’est sans doute pas d’accord avec le chef du pays, elle qui se permettait, début avril, d’entrer illégalement sur les terres des Pataxo à Coroa Vermelha et d’y détruire un « monument à la résistance » érigé par les Indiens. Le monument, représentant un Indien debout sur un socle ayant la forme de l’Amérique latine, avait été édifié aux côtés d’une croix en acier géante plantée deux semaines auparavant (le 17 mars) par les autorités dans le cadre des préparatifs du 500e anniversaire.

En tout, des dizaines de ces constructions illégales ont été ordonnées par l’état et érigées au milieu des territoires indiens comme autant d’évidentes provocations.

Cardoso puise dans l’arsenal de la dictature !

Depuis deux mois, le président Cardoso prépare le terrain à des mesures musclées contre les « sans terre » qui, au cours des 15 dernières années, se sont avérés être l’organisation la plus capable de mobiliser les forces progressistes du pays.

Après avoir traité à la télévision nationale le MST de « fasciste » (Comment ensuite ne pas avoir recours à la manière forte contre des « fascistes » ?), Cardoso ressuscite maintenant l’ancienne « Loi de sécurité nationale ».

C’est en vertu des dispositions de cette loi, vestige jamais aboli de la dictature militaire des années 1964-1985, qu’après avoir été arrêtés le 2 mai, une cinquantaine d’activistes du MST sont toujours détenus et que les invasions de terres improductives sont désormais passibles de sanctions.

Mais les protestations fusent de partout et parfois de sources étonnantes. Ainsi, le directeur du Barreau brésilien, le gouverneur de la province de Sao Paolo, Mario Covas, le ministre du Développement agraire, Raul Jungmann, même le général Alberto Cardoso, chef du Cabinet de sécurité nationale, et le syndicat des 12 000 policiers fédéraux relevant directement du ministère de la Justice, se sont tous élevés publiquement contre le recours à la Loi de sécurité nationale.

Tous ces opposants peu habituels ont qualifié les menaces et les mesures du président Cardoso de « typiques de gouvernements militaires », dénonçant l’erreur consistant à « régler une question sociale - la lutte pour un partage des terres plus égalitaire - en usant de tactiques policières, voire militaires ».

Deuxième grève nationale des camionneurs en moins d’un an !

Le 1er mai, les camionneurs brésiliens déclenchaient une grève nationale réclamant des réductions de péage et des mesures de protection contre la hausse de la violence criminelle sur les autoroutes nouvellement privatisées.

Avec des réseaux ferroviaires et fluviaux (transport par barges) déficients, le Brésil doit confier 70 % de son transport intérieur aux camions, rendant ces derniers indispensables à tous les secteurs de l’économie. Si bien que, quatre jours seulement après le début de la grève, plusieurs grandes villes comme Rio de Janeiro commençaient déjà à manquer d’essence et de denrées alimentaires périssables.

Même des provinces à vocation agraire comme le Mato Grosso do Sul dépendent maintenant d’autres régions pour s’approvisionner en produits alimentaires, puisqu’elles exportent à l’étranger la plus grande partie de leur production !

Les leaders syndicaux avaient promis de ne pas répéter les blocages routiers monstres de juillet dernier, en plusieurs endroits, mais les grévistes ne les ont pas écoutés, fatigués qu’ils étaient des promesses non tenues.

Inspecteurs

En effet, en juillet dernier, après dix jours de grève, les camionneurs s’étaient vu promettre une baisse des péages autoroutiers et l’élimination de la corruption dans les rangs de la police routière et des inspecteurs de camions.

Mais, selon Nelio Botelho, leader du Mouvement syndical des camionneurs brésiliens, presque un an plus tard, absolument rien n’a changé !

Bien plus, au début de la seconde grève, le président Cardoso répondait toujours par des menaces déclarant que « la police va empêcher les pénuries » et que si les désordres se poursuivaient, cela « pourrait mettre en danger les institutions démocratiques du pays ».

Mais les 500 000 camionneurs poursuivent la grève malgré une concession de dernière minute du gouvernement qui a consenti à négocier avec les entreprises dont les marchandises sont transportées pour qu’elles remboursent elles-mêmes les coûts des péages.

De quasi-inexistants qu’ils étaient avant les privatisations, ces péages sont passés à trois reals (2,40 $) par essieu, grugeant les maigres profits de la grande majorité des camionneurs. De plus, un camionneur est victime d’un assaut toutes les dix minutes sur les routes du Brésil.|190| 
636|L'aut' journal a 16 ans !|Pierre Dubuc| C'est lors de la manifestation du Premier Mai 1984 que les premières copies de l'aut' journal ont été distribuées. Seize ans et 189 numéros plus tard, notre tirage atteint 20 000 exemplaires et notre distribution militante s'étend aux quatre coins du Québec.

En 1984, l'aut' journal a été lancé en plein vide politique à gauche. Les médias écrits étaient dominés par les empires de Black, Péladeau et Desmarais; et le mouvement ouvrier et les groupes populaires étaient sans voix. Seize ans plus tard, le discours unique du néolibéralisme s'est consolidé et il y a de moins en moins de place dans les grands médias pour un aut' point de vue.

Contrairement à la France par exemple, il n'existe pas de presse de gauche à grande échelle au Québec. C'est dû, d'abord, à l'absence d'une solide tradition de gauche ; puis, à la petitesse de notre marché.

Dans ces conditions, la mise sur pied rapide d'une presse progressiste hebdomadaire à grand tirage ne peut se concevoir sans investissements massifs de la part des organisations syndicales ou para-syndicales. Pour le moment, nous ne discernons pas de volonté politique en ce sens. À défaut de telles initiatives, il est essentiel de poursuivre le projet de l'aut' journal.

Sur la base de notre expérience et d'une analyse de la conjoncture, nous avons tiré certaines conclusions.

De l'importance d'une solide équipe de journalistes

Un journal, c'est d'abord son contenu. Au fil des ans, nous avons consacré beaucoup d'efforts à constituer une solide équipe de journalistes progressistes. Nous avons cherché l'amalgame entre journalistes chevronnés et jeunes recrues. Nous comptons dans notre équipe de vieux routiers comme Jean-Claude Germain, Paul Cliche et Jacques Larue-Langlois et, dans ce numéro, on notera une première participation de trois jeunes d'à peine ou même de moins de vingt ans 0 Gabriel Ste-Marie, Valmi Dufour et Saël Lacroix. Nous favorisons également la participation de journalistes issus du mouvement ouvrier et populaire. Toutefois, nous déplorons la faiblesse de la participation féminine et entendons tout mettre en oeuvre pour y remédier.

Cependant, le fait que tous ces journalistes collaborent sans rémunération aucune impose des limites au journalisme d'enquête que nous voudrions pratiquer. Mais cela témoigne également d'une grave lacune du mouvement progressiste 0 l'absence quasi-totale de centres de recherche, de think thank de gauche.

De la nécessité de centres de recherche et de think tank de gauche

Nous savons jusqu'à quel point les médias traditionnels s'abreuvent à même les recherches d'instituts néolibéraux comme le Fraser Institute. Aussi, l'aut' journal a collaboré très activement, il y a quelques années, à la création de la Chaire d'études socio-économiques de l'UQÀM et nous espérons que la Chaire se remettra à produire les études qui faisaient sa marque de commerce.

Cependant, nous croyons qu'il y a de la place pour d'autres centres de recherche et que nous devrions favoriser la constitution de groupes de réflexion, de think tank progressistes. Les études, les réflexions produites par ces organismes trouveraient tout naturellement leur place dans les pages de l'aut' journal.

De l'importance de la distribution

Une fois le contenu produit par des journalistes ou des centres de recherche, il doit être accessible aux lecteurs potentiels. Cela pose la question cruciale de la distribution.

Tous les journaux progressistes, y compris Québec-Presse jadis, s'y sont cassés les dents. Comment procéder ? Éliminons d'abord la distribution commerciale, monopolisée par Les Messageries Dynamiques et Benjamin News. Ses objectifs de rentabilité et sa structure rendent ce mode de distribution hors de prix.

La distribution par le biais de l'abonnement a également ses limites étant donné les frais postaux et de marketing nécessaires, auxquels s'ajoutent les faibles habitudes d'abonnement de la population que nous voulons rejoindre.

D'autre part, au cours des dernières années, s'est imposée la distribution gratuite de journaux dans les grandes villes (Voir, ICI, etc.), mais également hors des grands centres avec les hebdos régionaux. L'habitude de lire gratuitement un journal s'est installée, facilitée par la disponibilité du Journal de Montréal ou du Journal de Québec dans tous les restaurants. La distribution gratuite est donc devenue incontournable pour une publication comme l'aut' journal.

Du rôle-clef des AmiEs de l'aut' journal

Il existe deux modèles de distribution gratuite 0 commerciale ou militante. Le magazine progressiste Recto-Verso a choisi la première voie et une entreprise commerciale se charge, à chaque parution, d'alimenter les centaines de présentoirs installés aux quatre coins du Québec.

Nous avons opté pour l'autre voie 0 la distribution militante. D'abord, à cause de considérations financières, mais surtout parce que nous voulons impliquer le plus grand nombre d'organisation syndicales et populaires et de progressistes dans l'aventure de l'aut' journal. Notre objectif est de constituer un réseau de contacts à travers le Québec qui se chargeront de placer des présentoirs aux endroits stratégiques et de les remplir à chaque mois.

Ces contacts, prenant l'habitude d'être en relation régulière avec l'équipe du journal, nous informeront de la situation dans leur région et nous fourniront du matériel pour d'éventuels articles. Le journal aura ainsi des antennes partout et il aura le pouls du Québec, de ses luttes et des espoirs.

Pour structurer ce réseau, nous avons créé l'association Les AmiEs de l'aut' journal qui, en plus de la distribution, a pour tâche d'aider au financement et d'organiser des activités à caractère socio-politique (conférences, lancements de livre, etc.).

Si nous parvenons à implanter ainsi le journal dans les différents syndicats, organismes, et jusque dans les plus petites villes, nous aurons jeté les bases d'une véritable presse ouvrière et populaire, indépendante de toutes pressions gouvernementales ou commerciales.

Avec un budget minime (89 000 $ l'an dernier), nous réussissons à publier 20 000 exemplaires à chaque mois parce que nous misons principalement sur le militantisme de nos collaboratrices et collaborateurs. Cela a est la clef de notre succès. Aussi nous vous invitons à faire votre part et à joindre le réseau des AmiEs de l'aut' journal.|189| 
637|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois|L'opposition libérale à l'Assemblée générale a fait tout un plat, à propos d'une subvention de quelque 112 000 $ accordée par le ministère de la Culture au financement du Symfolium. Selon les députés libéraux, cet argent était destiné à promouvoir la folie et à encourager, entre autres, le travail des entartistes qui déprécient la classe politique . Selon le quotidien Le Devoir, le premier ministre Bouchard aurait, à cette occasion, été furieux d'apprendre que des entartistes puissent bénéficier d'une subvention gouvernementale .

Ce que nul ne précise, c'est qu'il s'agit en effet d'argent bien mal placé si l'on considère que les spécialistes en balistique pâtissière ont échoué dans leur tentative, pourtant souhaitée par toute une population frémissante, d'entarter le ministre des Finances, Bernard Landry, dont l'attitude méprisante envers les gagne-petit justifie amplement cette supposée dépréciation. Faute de précision balistique, la marchandise n'a tout simplement pas été livrée et Lucien Bouchard a raison de protester. Il s'agit effectivement d'argent mal placé.|189| 
638|Même en Chine, on méprise les travailleurs|Jacques Larue-Langlois|Soufflée par la tempête de néolibéralisme qui balaie la planète, la Chine, dernier bastion du communisme, est en train de céder à la mode des profits avant tout. Pour faire face à la poussée du capital chez eux, plus de 2 000 mineurs et leurs familles se sont rebellés et ont envahi les rues de Yangiazhangzi, organisant la plus importante agitation sociale à sévir en Chine depuis plusieurs années. On venait de les informer que la mine de molybdène qui constitue l'industrie majeure de cette ville déclarait faillite et, qu'à titre de compensation, les travailleurs congédiés ne recevraient que 70 $ par année de travail.

L'agitation populaire, rapidement réprimée par l'armée, s'est produite à la fin de février dernier, mais ce n'est qu'au début d'avril que l'événement a été connu du public. La Banque mondiale estime que 50 millions d'emplois seraient en fait mis en danger par les réformes radicales des entreprises d'État que poursuivent les autorités chinoises en vue d'assurer la participation de leur pays, plus tard cette année, à l'Organisation du commerce mondial.|189| 
639|Les 100 plus grands voleurs|Jacques Larue-Langlois|Chaque année, les grands magazines d'affaires publient fièrement leur liste des 500 (Fortune) ou 400 (Forbes) plus importantes entreprises d'Amérique. C'est dans cet esprit que Russel Mikhiber et Robert Weissman, deux économistes américains un peu plus délurés que leurs collègues, ont fait circuler récemment un classement des 100 premières firmes criminelles à s'enrichir aux dépens des pays pauvres avec l'appui des gouvernements, comme d'ailleurs des diverses mafias qui contrôlent souvent ces derniers. Le crime organisé s'est d'ailleurs mis au diapason de la mondialisation de l'économie et même en Russie, on constate que l'activité mafieuse sévit dans à peu près tous les secteurs de l'économie et, dans bien des cas, sous couverture légale (...) Actuellement, on estime que 40 % des entrepreneurs et 60 % de toutes les structures commerciales entretiennent des rapports avec la Mafia. (Extrait d'une analyse de Nadine Marie, chercheur au CNRS et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris)

La liste a été dressée à partir de critères très stricts et ne comporte que des entreprises qui, au cours des dix dernières années, ont été mises à l'amende après avoir plaidé coupable de crimes économiques de tous genres. Le palmarès comporte des noms comme la pétrolière Exxon, Eastman Kodak, la brasserie Coors, la Croix-Bleue, General Electric, Warner Lamberts (produits pharmaceutiques), Hyundai, Korean Airlines, etc.

L'intention des auteurs de cette liste est de pointer du doigt les éléments qui se partagent le marché avec l'approbation des autorités élues à grands coups de chantage économique en versant des pots-de-vin aux gouvernements afin de pouvoir poursuivre leur spoliation. Dans plusieurs cas, ces manigances impliquent des collusions entre appareils gouvernementaux, patrons et mafieux en vue de violer les lois du travail, de la protection de l'environnement, les règlements antitrust, ou encore de pratiquer l'évasion fiscale.

Pour compenser ces crimes, les coupables, dont les profits annuels atteignent souvent le milliard de dollars, sont soumis par des tribunaux complaisants à des amendes de 10 000 ou 15 000 $. Toutes ces compagnies existent et fonctionnent encore à profit et, on peut le croire, poursuivent leurs extorsions d'année en année. La liste en question est disponible sur Internet, sur le site canadien Znet Commentary (http 0//www.zmag.org).|189| 
640|Saint-Zénon fait reculer une multinationale américaine|Gabriel Sainte-Marie| Barricades en travers de la route, agissements criminels de la police, un clergé surprenant, 21 camionneurs lésés, sept semaines de conflit, et surtout une population unie contre une multinationale américaine.

À Saint-Michel-des-Saints, 21 camionneurs indépendants assuraient la livraison de panneaux de bois finis pour une filiale de la multinationale américaine Louisiana-Pacific. Depuis deux ans, un compétiteur, Charrette Transport, gruge les emplois des indépendants. Avec la récente hausse du prix de l'essence, ç'en est trop, les travailleurs autonomes ne peuvent plus continuer. Le conflit éclate au grand jour.

Aidés par le Syndicat national du Transport routier (CSN), ils tentent de négocier. Sans succès. Ils débrayent. Contrairement à ce qu'on a laissé entendre, les camionneurs ne cherchent pas à arrêter la production de l'usine et ainsi forcer leurs confrères au chômage. Tout ce qu'ils tentent, c'est de paralyser le transport du matériel fini.

Deux injonctions consécutives, interdisant le piquetage aux abords de l'usine, réussissent à miner leur moral. Ils ne savent plus où dresser leur ligne de piquetage. Ils sentent qu'ils n'ont plus de rapport de force.

Un curé progressiste

Par chance, le curé de Saint-Michel-des-Saints et de Saint-Zénon, Benoît Gingras, est un fervent défenseur du droit à la libre association. Il est également hostile aux politiques impérialistes des transnationales. Voyant les camionneurs perdre espoir, il leur offre son appui, ainsi que les terrains des églises des deux paroisses où ils pourront manifester sans craindre d'autres injonctions.

Benoît Gingras, la mairesse de Saint-Zénon, les travailleurs et les villageois s'organisent. Toute la population de la paroisse de Saint-Zénon, et au moins la moitié de celle de Saint-Michel, appuie inconditionnellement leurs concitoyens. Les camionneurs de Charrette Transport, jouant aux scabs durant le conflit, reçoivent une pluie d'œufs lorsqu'ils traversent le village de Saint-Zénon, une fois la noirceur venue.

On frôle la catastrophe

Les briseurs de grève demandent alors de se faire escorter par la police de Saint-Michel et circulent à 90 km/h dans le village, malgré l'ampleur des risques d'accident. Tout cela avec la bénédiction de la police (voir encadré).

Lorsqu'à Saint-Zénon un autobus scolaire, immobilisé sur la route principale avec ses feux d'arrêt en opération, fait descendre des enfants, on frôle la catastrophe. Un camion de Charrette Transport, roulant trop vite, est incapable de freiner à temps. Heureusement, le chauffeur de l'autobus a le temps de refermer la porte du véhicule avant la sortie des enfants et le camionneur réussit à éviter de justesse le véhicule jaune-orange.

La population en a assez. Elle barricade la route au moyen de troncs d'arbres. Elle veut simplement assurer sa sécurité. La circulation est donc détournée du trajet habituel. Il faut désormais utiliser les petites rues adjacentes. Et on ne laisse plus passer les camions scabs.

On sonne les cloches pour appeler au rassemblement

Des plus âgés aux plus jeunes, tous sont unis autour de la même cause 0 la sécurité et le rétablissement de la justice pour les 21 camionneurs. Les cloches de l'église de Saint-Zénon ne sonnent désormais que pour appeler la population à se rassembler. Plusieurs petits commerçants des deux municipalités partagent leurs ressources avec le groupe de camionneurs autonomes.

Par suite de l'intervention des ministres Guy Chevrette et Gilles Baril, les 21 travailleurs autonomes réussissent à reprendre les négociations avec la Louisiana-Pacific. Une entente intervient. Ils reprennent enfin leur boulot, après sept longues semaines d'arrêt.

La solidarité régionale a eu raison de la multinationale.

La population en colère contre les policiers

La population matawinienne a demandé le départ des policiers, jugeant qu'ils ont carrément outrepassé leurs droits. Par suite de plaintes de la population, ils devront faire face au comité de déontologie de la police.

Rien n'était trop beau pour contrôler la barricade 0 escouade tactique, anti-émeute, policiers en civil, hélicoptère, remorqueuses.

Faux témoignages et harcèlement psychologique de la part des policiers, en plus d'un nombre extrêmement élevé de lignes téléphoniques sous écoute, ont été observés.

En plus de tolérer les excès de vitesse des camionneurs de Charrette Transport et de les accompagner, les policiers faisaient preuve d'une rigueur imbécile lorsqu'ils intervenaient auprès des villageois.

Certaines personnes se sont retrouvées en prison pour avoir tenu tête aux forces de l'ordre. On leur a nié le droit de contacter leurs avocats, un droit pourtant fondamental.

Au lieu de calmer la population, l'action des policiers a réussi à la mettre en colère. Comme l'affirme le curé Benoît Gingras 0 La population s'est levée lorsqu'elle a arrêté d'avoir peur; elle était alors libre.

Chronologie d'un conflit

1989 - 1990 0 Ouverture de l'usine. L'employeur s'engage à respecter l'ancienneté.

1996 - 1997 0 Arrivée de la compagnie Charrette Transport. L'employeur ne respecte plus l'ancienneté et les indépendants se font gruger leur travail.

1998 0 Ouverture d'une cour de transit de Charrette Transport, ce qui favorise ses transporteurs. Louisiana-Pacific tente d'obliger les camionneurs indépendants à transiger avec Charrette Transport, mais sans succès.

Janvier 1999 0 Après deux mois de négociations entre les indépendants et Louisiana-Pacific, un compromis est atteint, mais il ne sera jamais respecté par la multinationale.

Été 1999 0 Été très difficile pour les camionneurs autonomes.

Décembre 1999 - janvier 2000 0 Augmentation du prix du diesel. Les gars décident de passer à l'action. Première journée de grève. Entente verbale qui ne tiendra pas.

21 février 0 Débrayage avec l'appui du Syndicat national du Transport routier (SNTR-CSN), qui aidera les camionneurs tout au long du conflit, suite à leur demande. Deux injonctions rendent le piquetage, à toutes fins utiles, impossible.

Samedi, 28 février 0 Premier barrage routier pour ralentir la circulation à Saint-Michel.

Jeudi, 9 mars 0 Une entente semble être conclue.

Lundi, 13 mars 0 Suite à un reportage de Radio-Canada proclamant la victoire des indépendants, la Louisiana-Pacific fait volte-face.

16 mars 0 Manifestation organisée par le SNTR-CSN à Montréal devant la place Ville-Marie, siège social de la compagnie, des camionneurs accompagnés de la mairesse de Saint-Zénon, Murielle Richard, et du curé Benoît Gingras. Dépôt d'une pétition de 1 500 noms (plus de la moitié de la population des deux paroisses réunies) demandant le réengagement des camionneurs.

Samedi, 3 avril 0 La route 131 est bloquée à Saint-Zénon et le sera jusqu'au dimanche en soirée. Les ministres Chevrette, Baril et Bellehumeur réussissent à faire en sorte que la compagnie reprenne le dialogue.

10 avril 0 Après sept semaines d'arrêt, retour au travail des camionneurs.|189| 
641|La Bolivie à contre-courant|Saël Lacroix|

Privatisation de l'eau



La situation est tendue en Bolivie suite à l'adoption d'un projet de loi qui impose aux paysans un coût sur l'eau qu'ils consommaient jusqu'ici gratuitement. Plusieurs manifestations ont éclaté à travers le pays. Devant l'ampleur des réactions, les autorités boliviennes ont décrété l'état de siège. Malgré les violentes interventions policières, la persistance des manifestants a forcé le gouvernement à revenir sur sa décision. Voilà un bel exemple démontrant le courage et l'acharnement d'un peuple affamé, mais bien en vie.

Le premier avril dernier, l'Action démocratique nationaliste, parti de l'ancien dictateur et actuel président Hugo Banzer, a ratifié unilatéralement un projet de loi octroyant à des intérêts privés le contrôle du marché de l'eau en Bolivie. Le consortium Aguas del Turani, composé notamment du London-based International Water Ltd. et du géant français Suez-Lyonnaise des eaux, recevait le pouvoir d'administrer l'ensemble des besoins en eau des villes de La Paz et de El Alto.

Le passage d'une gestion publique au secteur privé est prévu pour une période de trente ans et entraînera une hausse du coût de l'eau de 35 % à 200 %. Outré devant cette aberration (le salaire moyen par habitants de certains quartiers pauvres se situe autour de 65 $ par mois), le peuple bolivien, qui a toujours considéré l'eau comme une ressource appartenant à la communauté, n'a pas tardé à manifester son désaccord. Ainsi, des masses, majoritairement composées d'étudiants et d'ouvriers, se sont rassemblées dans plusieurs villes pour protester, bloquant les rues et incendiant des pneus.

Débordé face à cette mobilisation populaire, le gouvernement bolivien à décrété l'état de siège pour les 90 prochains jours. Cette mesure d'urgence signifie l'imposition d'un couvre-feu, la suspension des garanties constitutionnelles, et une restriction des activités politiques et des déplacements. L'intervention des milices, armées de gaz lacrymogènes et de projectiles de plastique, a rapidement fait dégénérer une situation qui était déjà explosive. Le bilan des derniers jours est lourd alors que six personnes ont été tuées, 91 blessées, et au moins 92 autres qui ont été arrêtées. Selon plusieurs, la Bolivie sort de sa pire crise sociale et politique depuis son retour à la démocratie en 1982. La ville de Cochabamba, troisième en importance et située à 563 km de La Paz, constitue la région la plus touchée par ces événements.

Malgré l'oppression policière, les manifestants boliviens ont poursuivi leurs moyens de pression (grèves générales, blocage des routes…), forçant ainsi le gouvenement à revenir sur son projet de loi et à annuler ses accords avec les investisseurs étrangers. Même s'il ne s'agit que d'une bataille gagnée par le peuple dans une longue lutte contre le contrôle abusif du secteur privé et du capital sur les ressources planétaires, les Boliviens nous auront démontré les vertus d'une valeur de plus en plus négligée dans nos sociétés individualistes d'aujourd'hui 0 la solidarité.

Guerre de l'eau en Nouvelle-Zélande

Metrowater, la compagnie privée qui traite les eaux usées de la Ville d'Auckland, perd la bataille contre les citoyens qui se rebellent contre la tarification que la compagnie impose. Durant la dernière année, la compagnie a coupé l'eau à 500 familles qui refusaient de payer la facture du système d'égout. Pour contrer les citoyens qui contestent la hausse des tarifs, la compagnie met des cadenas aux champleurs, débranche les compteurs à eau, enlève les tuyaux à eau et même scie la tuyauterie principale pour rendre le service inutilisable. Dans les faits, la compagnie se comporte comme des fiers-à-bras, déclare la ministre de Auckland. Je crois que, lorsque l'on parle d'un service essentiel comme l'eau, il y a des façons plus constructives de communiquer avec les clients. New Zealand Herald, 4 avril 2000

(source 0 Coaltion Eau-Secours 0 http0//www.eausecours.org/)|189| 
642|Citoyens blasés cherchent démocratie|Valmi Dufour|Le fonctionnement de la démocratie québécoise, les résidents de Val-François le comprennent de plus en plus depuis le jour où, à la suite de l'écroulement de nombreux pylônes à cause de la tempête de pluie verglaçante de janvier 1998 (À moins que les coupures budgétaires massives d'Hydro-Québec dans l'entretien du réseau n'y soient pour quelque chose ?), ils se sont vus imposer la construction sur leurs terrains de la ligne à haute tension Hertel – Des Cantons.

Pouvant difficilement motiver une telle entreprise – sans invoquer l'exportation d'électricité vers les États-Unis, le gouvernement n'a eu d'autre choix que d'imposer près d'une dizaine de décrets afin d'éviter toute consultation publique. La Cour Suprême ayant déclaré ces décrets en opposition avec la loi québécoise, l'Assemblée nationale s'est vue obligée de modifier cette loi, tout en interdisant tout recours judiciaire éventuel dans le cadre de cette affaire !

Blasée d'une gestion obscure des affaires publiques, faisant fi des principaux intéressés, la Coalition des Citoyens et Citoyennes du Val Saint-François (CCVSF) s'est associée à d'autres groupes militants en créant un Réseau des CitoyenNEs qui parlent, pour rappeler à nos dirigeants qu'en bout de ligne, dans une démocratie, le pouvoir appartient au peuple et que des décisions ne peuvent donc être prises sans considération de son avis, mais surtout pour rappeler au peuple que son pouvoir ne se limite pas au droit de tracer une croix dans une case une fois tous les quatre ans.

C'est ainsi que la CCVSF, SalAMI, le RAP et de nombreuses autres organisations progressistes invitent tous les citoyens qui en ont assez de l'attitude arrogante et méprisante d'élus qui ne les écoutent pas, à profiter de la Marche du Citoyen du 7 mai pour faire comprendre à ceux-ci qu'ils ont l'intention de reprendre en main leur destin. Rendez-vous donc au square Émélie-Gamelin (coin Berri et De Maisonneuve, à Montréal), ce premier dimanche de mai, à 10h, avec votre casse-croûte et votre réveille-matin à piles pour réveiller les députés du parti présentement au pouvoir, qui seront justement réunis à ce moment derrière les portes closes du Palais des Congrès !

Voir aussi le site web de la CCVSF (ccvsf.org).|189| 
643|La gestion mondiale de l'eau est en voie de privatisation|André Le Corre|

Selon Riccardo Petrella de retour de La Haye



C’est un Riccardo Petrella en pleine forme qui terminait le jeudi 13 avril dernier une tournée du Québec qui avait pour thème 0 « l’eau comme bien patrimonial de l’humanité ». Cette soirée-débat à l’UQÀM organisée par l’Association québécoise pour le contrat mondial de l’eau de concert avec les Amis du Monde diplomatique faisait salle comble et on y notait la présence de représentants de nombreuses autres associations. Avec cette chaleur toute méridionale qui le caractérise, il a relaté son expérience du deuxième Forum international sur l’eau qui se tenait à La Haye du 17 au 22 mars.

Autre oratrice invitée à cette soirée, Sylvie Paquerot, qui représentait à La Haye l'Association québécoise pour le contrat mondial de l'eau, n'avait pas hésité à qualifier ce sommet international de grande mascarade . (Nous présentons l'essentiel de son propos dans l'encadré ci-contre.) Pour M. Petrella, c'était la première fois qu'une narration (ce terme reviendra souvent dans son intervention) mondiale de l'eau, fondée sur la collusion entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques et financiers, était énoncée aussi clairement. Il résume cette narration en cinq points qui en font un tout redoutablement cohérent. La transcription de cette narration ne fait malheureusement pas ressortir le caractère ironique qui lui est superposé lorsque c'est M. Petrella qui l'expose.

Premier point 0 Il y aura une crise de l'eau dans 20 ans, prédisent-ils.

La population mondiale devant s'accroître d'ici là de 2 milliards d'êtres humains, il y aura un accroissement considérable de la demande. Nous sommes donc là, disent les organisateurs de la réunion de la Haye, pour vous convaincre de cette crise imminente.

M. Petrella fait ici remarquer que le mode de vie et de consommation nord-américain n'est jamais mis en cause. Les responsables seraient les gens qui se reproduisent comme des petits lapins. Beaucoup de monde croit et accepte ce discours.

Deuxième point 0 L'eau est un besoin, et seulement un besoin, tranchent-ils.

C'est là le point central de cette narration. Il ne faut reconnaître en aucune façon que c'est un droit. Où irait-on si demain les Chinois veulent avoir 1 ou 2 voitures par famille, comme nous, alors qu'il faut 400 000 litres d'eau pour fabriquer une voiture.

Troisième point 0 Nous voulons qu'en 2020 tout le monde ait accès à l'eau, souhaitent-ils.

Cette affirmation avait déjà été formulée, en parlant de l'an 2000, en 1977 à Mar del Plata. Pourtant, nous sommes en l'an 2000 et 1 milliard 680 millions d'êtres humains n'ont toujours pas accès à l'eau. Pour arriver à cet objectif, il faut, disent ses promoteurs, donner une valeur à l'eau (gratuité = gaspillage) et donc considérer l'eau comme un bien économique. Entendons par là 0 économie de marché. Il faut que le capital investi ait un taux moyen de rapport équivalent au taux actuel de 12 %. Pour M. Petrella, il est scandaleux que les 140 ministres présents n'aient pas réagi face à cette prétention !

Quatrième point 0 Le Global Water Partnership (GWE) ou Partenariat global sur l'eau, c'est nous-mêmes.

Mis sur pied avec l'aide de la Banque mondiale, cet organisme est dirigé par son vice-président, M. Serageldin, et il a conçu après beaucoup de travail un modèle de gestion pour l'eau 0 l'Integrated Water Ressources Management (IWRM) ou Modèle de gestion intégré des ressources en eau. Bien entendu, si vous voulez avoir de l'eau, il vous faudra, d'après ce modèle, avoir un prêt de la Banque mondiale et souscrire à deux principes 0

- La fixation d'un prix basé sur la récupération du coût total, incluant la couverture du risque de capital.

- La participation à un Public Private Partnership (PPP) ou Partenariat Public-privé.

Cinquième point 0 Le Public Private Partneship, voilà LA solution.

Ce cinquième point en a vraiment été l'élément comique. D'abord le sigle anglais PPP s'énonce Pipipi. Mais ce qui est vraiment drôle dans ce partenariat, c'est que la partie publique en est pratiquement absente et que Riccardo Petrella fut nommé dans la session qui y était consacrée opposant officiel . Comme personne n'y parla de la participation publique, il traduisit PPP par Planning for Profits Privatisation. En fait, dans ce supposé partenariat, l'État doit simplement créer les conditions pour permettre au privé d'assurer la gestion intégrale de l'eau.

Pour une narration alternative

Pour Riccardo Petrella, il y a deux enseignements qui découlent de cette étrange narration commune aux représentations étatiques, aux entreprises privées et à la plupart des ONG représentées. D'abord, l'urgent besoin d'élaborer une narration alternative différente et indépendante. Ce n'est pas facile. Il faudra beaucoup de travail pour être aussi clairs, plus structurés, plus convaincants.

Ensuite, et cela a constitué l'affirmation la plus forte de la soirée 0 nous devons penser à un retour à la lutte politique et sociale. Ce qui s'est passé à La Haye est une confirmation d'une tendance qui se manifeste dans ces sommets et qui est le refus de reconnaître que les composantes essentielles de notre vie sont des droits fondamentaux communs à l'humanité. Et de citer 0 Istanbul (1997), le refus de reconnaître le droit au logement; Rome (1998), même refus pour l'alimentation; et maintenant l'eau. On reparle même, comme au 19e siècle, d'organiser des campagnes pour le droit à l'éducation.

En ce qui le concerne, M. Petrella entend lancer en novembre une campagne de mobilisation pour promouvoir un contrat mondial de l'eau et impliquer les parlementaires pour former une assemblée mondiale des parlementaires favorables à ce contrat.|189| 
644|Forum mondial de l'eau ou Foire commerciale ?|Sylvie Paquerot| Sylvie Paquerot, chercheure en droit international et co-fondatrice de l'Association québécoise pour le contrat mondial de l'eau était présente à La Haye et elle nous a, dans une allocution passionnée, fait part de ses mauvaises impressions sur ce sommet. Ces quelques extraits des notes qu'elle nous a obligeamment communiquées tentent de refléter le plus fidèlement possible sa pensée. Les sous-titres sont des citations).

La nouvelle société civile internationale

Pour elle, il y a une ambiguïté de plus en plus grande sur le statut des ONG (Organismes non gouvernementaux) et de la société civile. Les multinationales se sont fort habilement emparé de ces appellations et sont omniprésentes dans les grands organismes aux côtés de la Banque mondiale, prépondérante dans ce dossier avec son vice-président, M. Serageldin (la bête noire de notre Sylvie).

Absence notable des services publics

Les entreprises publiques, l'un des principaux acteurs de la scène de l'eau dans les faits, n'avaient pas été invitées, souligne-t-elle. Les réalisations effectuées par ces entreprises n'ont donc pas été présentées, ce qui, joint au préjugé défavorable systématique envers les pays du Sud, tendait à renforcer l'exigence de partenariats public-privés (où le privé tiendrait toute la place évidemment).

Les empêcheurs d'agir en rond

Pour M. Serageldin, rapporte-t-elle, il faut éviter les débats idéologiques et agir. Ainsi se trouvait balayée la discussion sur le droit fondamental de tous à l'eau, patrimoine commun de l'humanité. Cette harmonie, planifiée à l'avance entre gouvernements, sociétés privées et beaucoup d'ONG, excluait comme fauteurs de troubles les rares contestataires de la tendance dominante.

Le contexte des Amériques et de l'intégration continentale

Mme Paquerot a observé que le Canada était aux premières loges à ce forum mondial de l'eau. À la conférence ministérielle, il s'est opposé à l'inclusion du droit fondamental et plusieurs Canadiens de poids ont endossé l'idée de l'eau bien économique . Déjà, le contexte Canada-USA à l'intérieur de l'ALENA pose de nombreux problèmes. Cette problématique particulière aux Amériques va s'amplifier lors du Sommet des Amériques à Québec en 2001 avec la proposition de l'établissement d'une ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques) et nous devons déjà nous préparer à y faire face.

Les interventions de la salle

Les interventions qui ont suivi ces deux exposés ont été d'une rare qualité. Jean Lapalme, membre de l'association québécoise Eau-Secours ! (également présent à La Haye) et André Stainier, président de l'association Les Amis de la Vallée du St-Laurent, sont intervenus ainsi qu'un groupe nouvellement formé par les cols bleus de Montréal Eaux Aguets qui tend à s'opposer à la privatisation de la distribution dans la ville.

Plusieurs points intéressants en sont ressortis. En particulier, se pose la question de savoir s'il est opportun pour les organisations de participer à de tels sommets plutôt que d'organiser des conférences parallèles. La définition de ce que l'on entend par société civile a aussi été soulevée.|189| 
645|À Saint-Hyacinthe avec Michel Chartrand, pour discuter du revenu de citoyenneté|Michel Bernard| Quelque 300 personnes s’étaient massées au sous-sol de la cathédrale de Saint-Hyacinthe à l’initiative de Solidarité populaire et du collectif d’Action populaire Richelieu-Yamaska. Un militant de longue date, Jean-Paul Saint-Amand, nous avait demandé de démontrer que le revenu de citoyenneté dans le cadre de l’objectif de pauvreté zéro est quelque chose de nécessaire et d’abordable. Il a été servi.

À Saint-Hyacinthe, Michel Chartrand, clamant son humiliation devant la pauvreté dans un pays riche, dénonce le sort fait aux personnes âgées. Soudain, il brandit deux instruments utilisés dans les centres d'hébergement 0 une couche et un ustensile de gavage. La foule frissonne d'indignation, comme si chacun réalisait à ce moment-là l'effet combiné des coupures budgétaires et des contingences existentielles.

Le dépérissement du bien commun

Michel Chartrand avait commencé son intervention en parlant de l'amitié citoyenne d'Aristote. Les Anciens Grecs voyaient l'homme comme un être naturellement politique et la Cité comme une communauté naturelle tournée vers la poursuite en commun du bien-vivre.

Mais, depuis le XVIIe siècle, une vision individualiste de la vie en société a été imposée par la bourgeoisie montante. L'État est de plus en plus perçu comme la création des individus voulant présumément assurer leurs droits naturels. C'est la doctrine du contrat social. Dans ce monde où règne l'individualisme, l'économie est pensée comme le fondement de la société et l'opérateur de l'ordre social. L'individu ne s'accomplit plus que dans la sphère privée.

L'idéal antique de participation au pouvoir s'efface devant une fonctionnalisation du politique. Les individus se dépolitisent et le bien-vivre est recherché dans la société civile par une socialité apolitique3. Les néolibéraux nous disent qu'il est devenu illusoire de définir un bien commun dans un monde pluraliste. Le politique n'est plus une fin en soi, mais un accessoire du marché et de la liberté individuelle. Ce n'est plus l'État qui transforme le monde, mais le marché.

Pourtant, quelque soit notre religion ou notre définition du bien, il faut manger, accéder à la culture, à l'éducation, etc. L'égale dignité et l'égalité des chances exigent l'intervention de l'État. Nous sommes tous soumis au risque social croissant. Il y a place pour la poursuite d'un bien commun. C'est ce que nous avons fait valoir, Michel Chartrand et moi, le 4 avril à Saint-Hyacinthe, en parlant du revenu de citoyenneté.

Le capital écume la productivité

Les profits augmentent de 25 %, les salaires stagnent

Les compagnies canadiennes, qui braillent contre les impôts et la réglementation, ont augmenté leurs profits de 25 % l'an dernier pour atteindre un rendement de 18 %. Ne parlons pas de celles qui reçoivent de généreuses subventions et qui esquivent le coût de la solidarité sociale, pensons à Cinar qui place ses capitaux aux Bahamas, un paradis fiscal, ou les Expos qui se sont incorporés au Delaware.

Le bénéfice de Bombardier a augmenté de 30 % pour atteindre 169 millions. Toutes les banques ont connu des profits records. La Banque Royale a augmenté de 11 % son profit qui était déjà outrageant, tout en réaffirmant son intention de procéder à 6 000 licenciements. Le bénéfice de Domtar a doublé. Hydro-Québec a fait 906 millions de profit, soit une hausse de 33,4 %. Loblaw pète le feu avec des revenus de 20 milliards et, pour l'accueillir, les maires des villes se conduisent en idiots du village en violant les règlements de zonage.

Le commerce de gros a aussi augmenté de 7,3 % au Canada et 10,5 % au Québec l'an dernier. Richard Desjardins a sans doute appris avec ravissement que les papetières canadiennes ont doublé leurs bénéfices en 1999. Malgré tout, Québec affirme qu'il n'y aura pas d'enquête indépendante sur la forêt publique… et les papetières continuent de fusionner.

Pas de hausse du salaire minimum

Les compagnies s'enrichissent, mais le salaire moyen d'un million et demi de travailleurs a baissé depuis un an1. Le gouvernement du Québec annonçait en octobre que le salaire minimum allait demeurer à 6,90 $ malgré l'enrichissement général. On prévoit des augmentations moyennes du salaire des travailleurs syndiqués de quelque 2,2%, ce qui constitue une baisse en termes réels étant donné que le taux d'inflation est à 2,3 %2.

L'indice boursier TSE a augmenté de 31,7 % l'an dernier et le rendement des portefeuilles canadiens a été, en moyenne, de 32,7 %. Celui des portefeuilles américains était de 20,5 %.

Maintenant que les riches se sont enrichis et que cela a entraîné une inflation de l'ordre de 2,3 %, la Federal Reserve américaine et la Banque du Canada haussent leurs taux d'intérêts, cassant ainsi les jambes aux ménages endettés afin que le magot des bien-nantis ne perde pas son pouvoir d'achat et éviter que les pauvres ne remboursent leurs dettes avec des dollars au pouvoir d'achat diminué.

Maintenant que les actions baissent, les bien-nantis déménagent leurs fonds en titres payant des intérêts. Le portrait est clair 0 les profits battent des records, le capital a explosé, les salaires stagnent et les petits vont maintenant payer les frais du party avec des taux d'intérêt élevés. Vous savez donc où vont les hausses de productivité.

La pauvreté zéro est à notre portée

L'excédent budgétaire du gouvernement fédéral a été de 11,9 milliards pour la période de dix mois se terminant en janvier 2000, soit plus d'un milliard par mois. Le foin nous sort par les oreilles ! Notre unique problème en est un de répartition.

La pauvreté zéro, c'est 3,6 milliards sur un budget québécois de 45,2 milliards. Voici ce que l'on retrouve dans le budget du Québec au chapitre des revenus 0 impôts sur le revenu (23,0 milliards) ; taxes à la consommation (TVQ) (8,6 M) ; transferts du fédéral (6,9 M) ; revenus des entreprises du gouvernement (SAQ, Hydro-Québec, etc.) (2,9 M) ; autres (3,8 M).

Remarquez que les revenus des entreprises du gouvernement (2,9M) ne comprennent pas les 11,2 milliards de revenus réalisés par la Caisse de dépôt l'an dernier, grâce à un rendement de 16,5 %, parce qu'il s'agit d'une entité comptable séparée. Cela équivaut à 25 % du budget québécois et l'on en parle à peine.

Je prétends toutefois qu'il faut en tenir compte lorsqu'on évalue la richesse publique, car il s'agit là des fonds de retraite de 4 millions de Québécois, soit 17,5 M pour le Régime de rentes du Québec, 34 M pour les employés du gouvernement, 8,5 M pour les réserves assurancielles de la CSST, 7,3 M pour celles de la SAAQ, etc.

Les contribuables québécois, les fonctionnaires et les automobilistes financent une partie de la dette publique, car la Caisse détient 35 milliards d'obligations du gouvernement du Québec. Soulignons, en passant, que les baby-boomers ne laissent pas seulement des dettes. Par l'intermédiaire de la Caisse, nous sommes actionnaires d'entreprises comme TVA. En tout il s'agit de 100 milliards de bien commun.

(1) BERGER, François, Les salaires ont baissé depuis un an , La Presse, 1 oct 99.

(2) BELLEMARE, Pierre, Les syndiqués toucheront des hausses de salaire de 2,2% en 1999 et 2000 , La Presse, 6 oct 99.

(3) Pour réviser ces concepts, je recommande REVAULT D'ALLONES, Myriam, Le dépérissement du politique, Alto Aubier, 1999.|189| 
646|La guerre des impôts|Sylvain Charron|

Le contribuable du Québec est-il plus imposé que les autres ?



Dernièrement, en France, le célèbre mannequin Laetitia Casta, connue pour son rôle dans Astérix et pour avoir servi de modèle à Marianne, l'emblème de la France, a déclenché une vive polémique en déménageant en Angleterre pour des raisons fiscales. Le journal Le Monde a publié des dossiers comparant les impôts britannique et français. La conclusion de l'exercice était que seuls les plus hauts-revenus avaient intérêt à s'exiler fiscalement. Une étude semblable effectuée par le gouvernement du Québec, comparant le Québec, l'Ontario et différentes villes américaines, arrive à des résultats similaires. Pourquoi nos journaux ont-ils passé sous silence ces résultats ?

Le discours de l'heure semble faire flèche de tout bois afin de prôner toujours plus de baisses d'impôts et de taxes. Mais les comparaisons entre les juridictions souffrent habituellement d'une grande faiblesse 0 elles ne s'arrêtent qu'aux taux d'impôts ou au taux de taxation des municipalités, occultant ainsi les déductions, les crédits d'impôts, les mesures incitatives multiples qui essaiment le système fiscal québécois et qui, en bout de ligne, rendent le système plus compétitif que ses rivaux tant vantés.

Le Québec, tout comme le Canada, a été de tout temps fort mal servi par ces comparaisons boiteuses. Le Québec a toujours paru, sous la plume simpliste de ces experts, comme un enfer fiscal où l'État n'a de cesse de siphonner le pouvoir d'achat des citoyens. Un peu plus et ce discours vantait la générosité et la magnanimité du monde des affaires. Grâce au marché, ce dernier procéderait à une allocation efficace des ressources et à une distribution équitable des richesses produites. Or, il n'en est rien.

En dépit de l'euphorie d'une économie dite en croissance, le revenu n'a pas cessé de baisser. C'est à croire qu'on s'est trompé de cible. Ce n'est pas l'État qui siphonne. C'est le monde des affaires qui ne rétribue pas adéquatement la force de travail.

Une étude majeure

Le Québec n'est pas cet enfer fiscal dont on nous rabâche tant les oreilles. Afin de contrer cette vision erronée, le gouvernement du Québec a commandé une étude parue l'année dernière. Il a insisté pour avoir une étude qui tienne compte de tous les paramètres susceptibles de casser le pouvoir d'achat des citoyens. Cette étude, qui se veut le portrait le plus juste possible de la situation du Québec au sein du Canada et dans le bassin nord-américain, s'intitule 0 La fiscalité des particuliers et le coût de la vie 0 comparaison entre Montréal, et différentes villes nord-américaines 1.

Dans un premier temps, l'étude ne tient compte que des lois strictement fiscales comme l'impôt sur le revenu des particuliers, les contributions sociales, les impôts fonciers et les taxes à la consommation perçus par les différentes juridictions considérées. Il en résulte une situation où les villes du Québec sont fort défavorisées.

Une personne seule gagnant 50 000 $ à Montréal paierait 21 578 $ en contribution fiscale aux trois paliers de gouvernements (fédéral, provincial et municipal). Le même contribuable paierait 2 518 $ de moins à Toronto, et 5 789 $ de moins à New York. Une personne seule gagnant 100 000 $ à Montréal paierait 47 270 $, soit 3 107 $ de plus qu'à Toronto, et 14 621 $ de plus qu'à New York.

Moins d'impôts pour les familles à faible et moyen revenus

Il est intéressant de souligner que, même dans ce contexte peu réaliste d'impôts bruts, un couple ayant deux enfants de moins de six ans et gagnant 50 000 $ paierait une contribution fiscale beaucoup moins élevée à Montréal. Cette contribution est de l'ordre de 10 391 $ à Montréal, soit 2 028 $ de moins qu'à Toronto et 2 048 $ de moins qu'à New York.

Comparativement aux autres agglomérations canadiennes, Montréal offre aux ménages à faible et moyen revenus une fiscalité plus compétitive. Ces avantages proviennent en majeure partie des mesures québécoises applicables aux familles telles que les crédits d'impôts personnels, la réduction d'impôts à l'égard des familles, le crédit d'impôts remboursable pour la taxe de vente du Québec, le remboursement d'impôts fonciers, le crédit d'impôts remboursable pour frais de garde et le programme des garderies à cinq dollars.

Tenir compte du coût de la vie

Rompant avec ce schéma peu réaliste, l'étude intègre le coût de la vie afin de mieux cerner les facteurs qui peuvent vraiment influencer la compétitivité. Le coût de la vie est défini comme étant la somme des impôts, des taxes et des dépenses en biens et services supportée par les contribuables notamment les dépenses afférentes au logement, à la santé, à l'éducation, au transport, à l'alimentation, à l'habillement et aux loisirs. L'étude a aussi considéré le fait que le citoyen américain doit se procurer une assurance privée de santé et doit aussi payer des frais de scolarité substantiels.

On dépense beaucoup plus qu'on gagne

En tenant compte du coût de la vie, les résultats changent du tout au tout. Pour vivre à Montréal, une personne seule gagnant 50 000 $ dépenserait 55 742 $ en contributions fiscales et non fiscales, disons parafiscales. Ce même contribuable paierait 3 399 $ de plus à Toronto et 3 989 $ de plus à New York. Une personne seule gagnant 100 000 $ à Montréal paierait 102 956 $, soit 6 794 $ de moins qu'à Toronto et 4 922 $ de moins qu'à New York. Pour un couple ayant deux enfants de moins de six ans et gagnant 50 000 $, l'ensemble des contributions fiscales et parafiscales est de 54 648 $ à Montréal, soit 8 416 $ de moins qu'à Toronto et 15 000 $ de moins qu'à New York.

On notera qu'on dépense plus qu'on gagne ! Cette constatation dramatique a d'ailleurs fait la manchette du journal Les Affaires du 8 avril dernier où on indiquait notamment que le taux d'épargne est passé de plus de 19 % en 1982 à un plancher historique de 0,1 % en 1999. De plus, l'endettement augmente 0 à preuve, le nombre de faillites personnelles a décuplé en vingt ans.

Ces résultats démontrent que le maintien du haut niveau de vie des consommateurs québécois repose principalement sur l'utilisation des épargnes passées et de l'endettement.

Une étude passée sous silence... et pour cause

Il s'agit d'une étude très fouillée qui a été par-delà les taux d'imposition et de taxation municipale. Elle s'est étendue au coût de la vie, aux dépenses les plus courantes et les plus lourdes comme la santé et l'éducation que le citoyen du Québec n'a pas à défrayer à cause des impôts que perçoit l'État.

Il est intéressant de souligner que dans les autres études fustigeant habituellement l'enfer québécois, ces dépenses parafiscales ne sont pas prises en considération. On comprend donc dans ces circonstances qu'une étude de l'OCDE parue en 1997 ait conclu qu'il restait beaucoup plus d'argent dans les poches des Canadiens que dans celles des Américains une fois que les deux ont encouru toutes leurs dépenses y compris les impôts. Face à une telle conclusion que confirme l'étude récente dont nous avons fait état, il est à se demander où nos experts puisent leurs arguments à l'effet qu'il existe un avantage comparatif nécessitant une baisse d'impôts afin de garder nos cerveaux ?

Permettez-nous enfin de conclure sur cette question 0 pourquoi une telle étude est-elle passée sous silence ?

(1) Ministère des Finances du Québec, La fiscalité des particuliers et le coût de la vie, Comparaison entre Montréal et différentes villes nord-américaines , budget 1998-1999.|189| 
647|La gauche a-t-elle un avenir ?|Jacques Pelletier|Si la gauche est toujours nécessaire et plus que jamais en cette période dominée par une nouvelle forme de capitalisme dont la domination paraît quasi totale, il semble que cette évidence ne s'impose plus même aux citoyens habituellement considérés comme progressistes. C'est à tout le moins ce que font ressortir les résultats de la dernière élection au Québec.

Retour sur les élections de l'automne 1998

L'élection de novembre 1998 a en effet confirmé l'hégémonie politique des deux grandes formations libérales et conservatrices que constituent le Parti libéral et le Parti québécois 0 libérales sur le plan des mentalités et des moeurs, conservatrices sur les plans économique et social. L'opposition, pour l'essentiel, s'est exprimée à travers l'Action démocratique du Québec de Mario Dumont, qui a accru de manière importante son audience électorale sans toutefois en tirer des bénéfices parlementaires. Et cette opposition, même si elle a sans doute obtenu l'appui d'une partie de la jeunesse qui pouvait se reconnaître dans la fraîcheur juvénile de Mario Dumont, est, on le sait, encore plus conservatrice que les deux vieux partis.

La gauche, pour sa part, a réalisé le score vraisemblablement le plus insignifiant de toute son histoire, ne récoltant même pas 1 % du suffrage populaire. Un score d'une faiblesse telle que seuls des militants très convaincus - et encore ! - pourront accepter tant bien que mal et qui en découragera sûrement de nombreux autres à la foi plus vacillante. Un score, en tout état de cause, qui appelle une réflexion sérieuse chez tous ceux qui défendent encore la nécessité d'une alternative politique au système en place et qui ne s'est guère manifestée jusqu'ici.

Comment expliquer en effet la contradiction flagrante existant entre une situation socio-économique dégradée, caractérisée par le chômage, la précarisation, la pauvreté et l'exclusion, donc potentiellement explosive, et les résultats objectivement conservateurs de la dernière élection ? Comment expliquer cette absence de traduction politique conséquente du malaise social ou, si l'on préfère, sa traduction aliénée, déformée, inversée, à travers l'appui donné aux forces du statu quo ?

On peut, bien entendu, esquiver la question en invoquant l'observation de Marx voulant que les idées dominantes, à chaque période historique, soient celles de la classe dominante qui sait les imposer à ceux-là mêmes qu'elle opprime et qui en font les frais. La domination idéologique du discours néolibéral dans nos sociétés paraît confirmer cette thèse qui n'explique cependant pas tout. Elle ne rend pas compte notamment de l'incapacité de la gauche, non pas tant de formuler un contre-discours crédible comme le croient certains qui considèrent ses analyses dépassées, mais bien de le faire partager par ceux qui auraient objectivement intérêt à le reprendre à leur compte dans leurs actions quotidiennes aussi bien que sur le terrain proprement politique.

Revoir le programme

Si les dominés et les exclus de ce monde ne se reconnaissent pas dans l'alternative que leur proposent les militants progressistes, c'est que manifestement quelque chose ne va pas, soit au niveau du contenu même de l'alternative, du programme qu'elle présente, soit au niveau de sa diffusion, le message n'atteignant pas ceux à qui il est adressé. C'est sur ces deux plans - programmatique et communicationnel - qu'il convient donc de s'interroger si on entend dénouer une impasse qui, autrement, risque fort de se perpétuer jusqu'à la fin des temps.

Dans un article publié dans Le Devoir quelque temps après l'élection (le 16 décembre 1998), Alexandre Boulerice, ancien président de la région de Montréal du Parti de la démocratie socialiste (PDS), reconnaissant d'emblée la responsabilité propre de la gauche dans sa catastrophique déconfiture électorale, pointait trois difficultés majeures liées pour une part au programme et à sa diffusion, ainsi qu'on vient de le signaler, et pour une autre part à la capacité des militants progressistes de travailler de concert avec d'autres, à l'intérieur de la mouvance de gauche d'abord, à sa périphérie par la suite.

En ce qui concerne le programme, il faisait remarquer avec raison que celui-ci doit être non seulement généreux mais crédible, capable de persuader les électeurs qu'il est réalisable, faisable, qu'il ne se situe pas dans le registre de la pure utopie. C'est là une tâche nécessaire pour laquelle des spécialistes peuvent et doivent être mis à contribution de manière plus exigeante qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant.

Changer le discours

Ce programme réalisable , chiffrable dans la mesure du possible, il faut ensuite le rendre accessible, compréhensible à la masse des électeurs que le langage trop souvent codé et hermétique, caractéristique du discours militant, rebute et décourage. Il faut rendre en termes clairs et opérationnels le langage de l'analyse, expliquer concrètement comment se manifeste la domination à travers des politiques et des programmes. Il faut également montrer comment elle peut être renversée au profit d'une organisation sociale plus équitable à travers tout un ensemble de réformes visant à transformer effectivement - et non de manière purement rhétorique - le monde au profit du plus grand nombre.

Ce changement de langage, que même les militants jugent nécessaire, ne va pas de soi; il suppose des transformations majeures dans les habitudes discursives de groupes qui fonctionnent très largement comme des réseaux d'initiés. De tels groupes opèrent, on le sait, sur la base d'une sous-culture spécifique au groupe, qui se développe en vase clos et qui demeure largement incompréhensible à qui n'en fait pas partie. Pour démocratiser cette sous-culture groupusculaire, pour la rendre ouverte et accueillante, il faudra donc, non seulement ouvrir largement les portes des organisations, mais changer les règles qui président à leur fonctionnement et à leurs usages langagiers. Cela impliquera rien de moins qu'une véritable révolution des mentalités qui est loin d'être acquise car elle s'oppose à la paresse des habitudes qui domine là comme ailleurs par sa simple force d'inertie.

Travailler en convergence

En supposant que les difficultés liées au programme et à sa diffusion soient surmontées, il faudra encore, selon Boulerice, que les militants de gauche apprennent à travailler ensemble. Cela n'a pas été le cas lors de l'élection de novembre, la coalition arc-en-ciel dont certains avaient rêvé au cours des mois précédents ne s'étant pas réalisée. Selon ses promoteurs, appartenant pour la plupart au RAP, il s'agissait de présenter, dans chacun des comtés, le candidat apparaissant le mieux placé, indépendamment de son appartenance à telle ou telle organisation spécifique.

Cet objectif, pourtant très modeste, n'a pu être atteint, si bien que c'est en ordre dispersé que la gauche s'est manifestée, les groupes communistes ne présentant que quelques candidats, de même que le RAP, le PDS seul étant représenté sur tout le territoire avec ses quatre-vingt-seize candidats (qui, pour plusieurs, n'étaient guère plus que des poteaux ne faisant pas vraiment campagne). La coalition arc-en-ciel n'a même pas pu être mise sur pied minimalement, de manière conséquente, entre les militants du RAP et ceux du PDS qui se méfiaient les uns des autres et qui étaient réticents à s'engager dans une bataille commune. Bref, l'espérance suscitée par les premières affirmations publiques du RAP au cours de l'année précédente n'a pas généré les fruits électoraux escomptés, si l'on excepte la performance remarquable - mais malheureusement unique - de Michel Chartrand dans le comté de Jonquière.

Cette impuissance électorale, à mon sens, est la conséquence directe d'un refus plus ou moins conscient de s'inscrire dans l'espace politique institutionnel avec ce que cela implique, tant sur le plan programmatique que sur le plan organisationnel. Elle traduit, sans doute involontairement, une hésitation à rompre avec la culture groupusculaire, rejetée dans le discours mais intériorisée dans les pratiques.

En finir avec le gauchisme

Le RAP, bien malgré lui, reprend trop souvent, sur le mode d'un réflexe incorporé, les traditions sectaires de la gauche québécoise des dernières décennies. Ces travers, il le sait pourtant, ont compromis l'émergence de cette gauche en tant que grande force politique organisée, pouvant représenter effectivement une alternative crédible au régime actuel.

De plus, en se situant à l'extrême-gauche sur le plan idéologique, alors qu'il n'existe même pas ici une gauche classique qui pourrait légitimer en partie une telle option comme c'est le cas par exemple en France, il se condamne à la marginalité, sinon à la mort douce, laissant comme ses prédécesseurs toute la place aux forces du statu quo. À moins d'un improbable sursaut, je ne peux m'empêcher de penser que c'est vers cela que nous nous dirigeons inexorablement, répétant sans trop nous en rendre compte un scénario déjà écrit dont nous devrions pourtant connaître la conclusion fatale 0 notre disparition, entraînant du coup pour un temps la fin des espérances dont nous demeurons malgré tout les porteurs.|189| 
648|Sur l'origine du Premier Mai|Michel Chartrand|À partir d'aujourd'hui, nul ouvrier ne doit travailler plus de huit heures par jour. Huit heures de travail, huit heures d'éducation et huit de repos. En 1884, au congrès de Chicago, il a été résolu par la Federation of Organized Trades and Labor of United States and Canada que huit heures de travail constituent, à partir du premier mai 1886, la durée légale de la journée de travail normale.

Il faut être redevable aux ouvriers américains d'avoir inauguré la série des manifestations du Premier Mai. En fin d'après-midi du 3 mai 1886, environ sept à huit mille grévistes se rendent à Chicago pour manifester à la sortie de l'usine Cyrus McCormick. La compagnie vient de renvoyer 1 200 travailleurs pour les remplacer par des scabs, des jaunes et des voleurs de travail.

Ils sont accueillis à coups de revolver par les agents de la firme Pinkerton et à coups de fusil à répétition par les policiers d'État. Six morts, 50 blessés. Des accusations sont portées. Le 8 août 1886, huit ouvriers sont condamnés à la pendaison. Le 4 novembre 1887, on pend Parson, Spies, Engel et Fisher.

Alors, les éditorialistes comme toujours occupés à lécher la main qui les nourrit, écrivent que le travailleur devrait se guérir de son orgueil et être réduit au rôle de machine humaine . On pousse même le cynisme jusqu'à prétendre que le plomb est sans doute la meilleure nourriture qu'on puisse donner aux grévistes . Le Chicago Times ose également écrire 0 La prison et les travaux forcés sont la seule solution possible à la question sociale. Il faut espérer que l'usage en deviendra général.

Depuis 1969, le Québec préfère célébrer la Fête des travailleurs le Premier mai plutôt que la Fête du travail le premier lundi de septembre. La plus grande victoire des syndicats est encore d'avoir arraché aux exploiteurs dans plusieurs pays la reconnaissance d'un congé férié, le Premier mai.

(extrait d'un article paru dans l'aut' journal no. 123, mai 1994)|189| 
649|Quel avenir pour la classe ouvrière ?|Pierre Dubuc|

Premier Mai



Depuis qu'il est célébré, le Premier Mai est l'occasion pour le mouvement ouvrier de faire le point sur son action et son projet de société. Au cours des dernières décennies, il n'y a pas eu grand matière à réjouissances, le mouvement ouvrier international faisant face à la plus formidable offensive patronale de son histoire. Le néolibéralisme attaque non seulement les salaires, les conditions de travail et de vie, mais également le cœur et l'esprit de la classe ouvrière.

La rupture d'un pacte

Pendant soixante-dix ans, de 1917 à 1989, le patronat mondial a été obligé de tenir compte de l'existence des pays socialistes, peu importe le jugement qu'on pouvait émettre sur la réalité du socialisme de ces pays, et de la perspective de voir la classe ouvrière accéder au pouvoir.

Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, alors que le camp socialiste s'est élargi à un tiers du globe, la classe dirigeante des pays capitalistes industrialisés a été contrainte d'acheter la paix sociale en accordant des concessions à une section de la classe ouvrière sous forme de reconnaissance syndicale, de meilleures conditions salariales et de travail, en échange de l'appui de cette dernière au système capitaliste.

Au début des années 1980, ce pacte a été rompu unilatéralement par la classe d'affaires qui mène depuis une lutte sans merci contre la classe ouvrière sous le drapeau du néolibéralisme. Cette offensive en règle s'est intensifiée avec l'écroulement du bloc soviétique, interprété comme la victoire définitive du capitalisme sur le socialisme.

Cette attaque va bien au-delà de la question salariale ou de la remise en cause des acquis sociaux par les politiques visant le démantèlement de l'État. Elle vise l'existence même de la classe ouvrière.

Plus d'ouvriers et d'ouvrières que jamais auparavant

S'il fallait en croire le discours dominant, il n'y aurait plus de producteurs, seulement des consommateurs et, dernière nouveauté, des boursicoteurs. Après avoir corrompu la classe ouvrière avec le consumérisme, on l'invite maintenant à jouer ses épargnes au casino de la Bourse.

Pourtant, si on adopte une approche globale, la seule valable en cette ère de mondialisation, la classe ouvrière n'a jamais été aussi nombreuse. À l'échelle du monde, la paysannerie s'est amenuisée et la classe ouvrière s'est considérablement élargie dans les pays du tiers monde à la faveur des relocalisations d'entreprise et des traités de libre-échange comme l'ALENA. Mis à part les États-Unis, comme le souligne J.E. Hobsbawm en parlant des années récentes, il y avait certainement, en chiffres absolus, beaucoup plus d'ouvriers dans le monde, et très certainement une proportion d'employés de l'industrie dans la population globale plus forte que jamais 1.

Cela est vrai du prolétariat industriel dont il est ici question, mais l'importance numérique de la classe ouvrière prise dans son ensemble est encore beaucoup plus considérable si on tient compte de ses autres sections, particulièrement dans la sphère des services en pleine expansion au cours des années 1980 et 1990. Trop longtemps, on a relégué erronément ces travailleuses et travailleurs dans la vague catégorie employés , une catégorie fourre-tout. Est-il besoin de souligner le chauvinisme d'une conception de la classe ouvrière qui fait fi du secteur des services, occupé très majoritairement par des femmes ?

Victime des nouvelles technologies

Une fois établie l'importance numérique de la classe ouvrière, il ne faut pas nier les transformations survenues au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, la classe ouvrière correspond de moins en moins à l'image classique que Hobsbawm résume ainsi 0 L'immense unité de production de masse construite autour de la chaîne de montage ; la ville ou la région dominée par une seule industrie, comme Détroit ou Turin par l'automobile ; l'existence d'une classe ouvrière unie, soudée par la ségrégation résidentielle et son lieu de travail en un unité polycéphale 2..

Les nouvelles industries sont différentes, souligne-t-il, constituées en mosaïques ou réseaux d'entreprises éparpillées à travers villes et campagnes, mais de haute technologie. Très clairement, ajoute-t-il, dans les années 1980, les classes ouvrières devaient être victimes des technologies nouvelles .

Par suite de ces politiques délibérées, la classe ouvrière est aujourd'hui éparpillée dans l'espace. Victime de la sous-traitance, du travail à temps partiel ou temporaire, elle se retrouve parcellisée, fractionnée, réduite à un agrégat d'individus en concurrence les uns avec les autres, avec comme seul projet 0 l'enrichissement individuel.

L'internationale sera le genre humain

Mais le mouvement ouvrier se regroupe et développe de nouvelles formes de lutte (voir l'article sur Ravenswood en pages centrales). Nous sommes cependant encore loin du redressement qui s'impose.

Au cours des dernières années, le Capital s'est accaparé des gains de productivité de la révolution technologique et le maintien du pouvoir d'achat des familles ouvrières ne s'obtient que par le travail des deux conjoints et des adolescents, même lorsqu'ils sont encore aux études. La récession imminente va déclencher une nouvelle offensive, et le mouvement ouvrier se retrouvera encore une fois dans les câbles s'il n'y a pas un revirement majeur et une solide reprise en mains.

Les travailleurs et les travailleuses doivent à nouveau réaliser que la société ne peut fonctionner sans leur travail, tant dans la production que dans les services. Les ouvrières et les ouvriers devront se réapproprier leur idéologie et considérer que leur classe est la seule en mesure de formuler un projet de société où l'exploitation de l'homme par l'homme sera remplacée par la coopération entre les êtres humains... Et que l'internationale sera le genre humain . Car, comme le dit fort pertinemment Hobsbawm 0 Ce n'est pas la classe ouvrière qui est en crise, mais sa conscience 3.

Pour retrouver cette conscience de classe, une meilleure connaissance des stratégies patronales et des résistances ouvrières est nécessaire, mais également qu'on amorce le bilan des expériences de construction du socialisme. C'est à ces objectifs que nous chercherons à apporter notre modeste contribution au cours des prochains mois.

(1) J.E. Hobsbawm, L'âge des extrêmes, Histoire du court XXe siècle. Éditions complexe. 1999, 807 pages.

(2) Ibidem, p. 399.

(3) Ibidem, p. 401|189| 
650|Le renouveau syndical américain|Pierre Dubuc| André Laplante du syndicat des Métallos nous a remis le livre Ravenswood. The Steelworkers' Victory and The Revival of American Labor 1 en nous disant qu'il devrait intéresser nos lecteurs. Au Québec, il se publie très peu de livres sur les conflits ouvriers 2. La pratique est plus courante aux États-Unis. Mais Ravenswood est exemplaire parce qu'il relate un conflit qui fait date dans l'histoire du mouvement ouvrier américain par les nouvelles stratégies mises de l'avant dans le contexte de la mondialisation de l'économie.

Ravenswood est une petite ville de compagnie de la Virginie de l'Ouest où Kaiser a construit une aluminerie à la fin des années 1950. Jusqu'au début des années 1980, les relations de travail y étaient relativement harmonieuses dans le contexte des années de prospérité de l'après-guerre.

Les années 1980 0 des années noires

Les choses ont changé par la suite. La concurrence s'est accrue, les ventes d'aluminium ont chuté et Kaiser, comme la plupart des entreprises industrielles américaines, s'est mise à exiger des concessions de ses ouvriers. Mais le climat n'était pas à la riposte. Reagan venait d'envoyer un message clair en congédiant les contrôleurs aériens (PATCO) et en paquetant de réactionnaires le National Labor Relation Board.

Les Steelworkers of America (Métallos) auxquels étaient syndiqués les ouvriers venaient alors de subir une terrible défaite à Phelps-Dodge en Arizona. L'armée était intervenue avec ses blindés pour appuyer les scabs contre les travailleurs syndiqués et le syndicat avait perdu son accréditation. Une situation qui allait se reproduire dans d'autres conflits d'importance au cours des années 1980.

En 1989, Kaiser vend l'usine à la Ravenswood Aluminium Company (RAC), une entreprise à contrôle fermé, sans action en bourse. Les nouveaux propriétaires sont des spéculateurs à la recherche du profit rapide. Les horaires de travail sont modifiés et on oblige les travailleurs du secteur des cuves où la chaleur est intense à des quarts de travail de 16 heures, cinq jours consécutifs. Deux travailleurs meurent par suite d'arrêts cardiaques ; trois autres à cause de manquements à la sécurité dans l'usine.

Pour affronter un syndicat de plus en plus mécontent, les nouveaux dirigeants ramènent un ancien directeur, Emmett Boyle, qui s'est juré d'avoir la peau du syndicat.

Les scabs

Alors qu'on approche de la fin du contrat, Boyle fait ériger une clôture de fer barbelé autour de l'usine, construire une piste d'atterrissage pour hélicoptères et fait installer une immense plaque d'acier pour protéger les installations électriques de la compagnie.

Le dernier jour du contrat, les travailleurs sont prestement invités à vider leur casier et une remorqueuse est sur place pour évacuer les voitures du terrain de stationnement. Une escouade d'une quarantaine de gardes lourdement armés surgit, escortant des autobus remplis de scabs recrutés par la compagnie. Mille sept cents travailleurs sont mis en lock-out et remplacés par plusieurs centaines de scabs. Le conflit, qui durera vingt mois, est enclenché.

Il faut plus que des piquets de grève

Quelques affrontements avec les gardes armés servent de prétexte, comme toujours, à l'émission d'injonctions limitant le piquetage. Malgré tout, la solidarité est exemplaire. Les femmes des lock-outés forment un comité de soutien. Les marchands des environs apposent des affiches Interdit aux scabs et refusent de les servir. Malgré cela, lorsque George Becker, le vice-président des Steelworkers, arrive à Ravenswood, il réalise que ce ne sera pas suffisant pour faire plier les propriétaires de l'entreprise.

Becker développe un véritable plan de guerre - puisqu'il s'agit bien d'une guerre - qui emprunte aux tactiques déployées avec succès dans d'autres conflits au cours des années 1980. Il en innove même de nouvelles.

Il met d'abord sur pied une équipe de recherchistes, incluant un journaliste d'enquête et même un détective privé, pour retracer les véritables propriétaires de l'entreprise. Ceux-ci éplucheront tous les dossiers possibles, des actes de vente de terrain jusqu'à la procédure de divorce de Emmett Boyle, pour connaître ses intérêts dans la compagnie. Ils remonteront, après bien des péripéties, jusqu'à Marc Rich, un baron de l'aluminium, ayant des intérêts dans plusieurs pays. Ils découvriront que Rich est recherché par les autorités américaines pour évasion fiscale et qu'il s'est réfugié en Suisse d'où il dirige ses entreprises.

En même temps, le syndicat utilise tous les recours à sa disposition contre la compagnie devant les différentes instances administratives et judiciaires. Il amène l'OSHA (la CSST américaine) à enquêter sur les normes de santé et sécurité dans l'usine. L'entreprise sera finalement condamnée à des pénalités de 604 500 $.

Le syndicat fait également intervenir les ministères chargés de l'environnement pour enquêter sur le déversement de produits toxiques dans la rivière adjacente à l'usine après avoir mené, avec l'aide de groupes environnementaux, une campagne nationale.

Toujours sous la direction de Becker, le syndicat mène à travers les États-Unis une campagne de boycott des produits utilisant l'aluminium produit par les scabs. Pour identifier les clients de la compagnie, les grévistes suivent en voiture chaque camion sortant de l'usine jusqu'à sa destination, en prenant soin de le photographier. Puis, preuves en mains, le syndicat lance des campagnes nationales de boycott des bières Budweiser et Strohl jusqu'à ce que ces entreprises plient et acceptent de ne plus acheter d'aluminium de la RAC.

Une action mondiale

Cependant, l'action la plus spectaculaire et sans doute la plus efficace a été celle menée à travers le monde contre le financier Marc Rich. Le syndicat a décidé d'attaquer sa réputation partout où il avait des intérêts.

Les chapitres les plus intéressants du livre sont certainement ceux où les auteurs relatent les conférences de presse tenues par de simples ouvriers devant les bureaux de Rich en Suisse, ou encore leur rencontre avec des banquiers néerlandais, pour les convaincre de ne pas investir dans l'usine, ou leur participation à une manifestation monstre avec des ouvriers roumains.

Cette dernière action a conduit le gouvernement roumain à demander à Rich de retirer les actions qu'il détenait dans l'hôtel Athena de Bucarest. En Tchécoslovaquie, ils ont convaincu le gouvernement de ne pas vendre à Rich une usine slovaque.

Pour ces différentes actions, ils ont bénéficié du soutien des syndicats métallurgistes de plusieurs pays, mais aussi de parlementaires européens.

Finalement, Rich a cédé sous la pression. La production à la RAC avait chuté de 30 % et la mauvaise publicité découlant de la campagne internationale menée par les Steelworkers nuisait considérablement à ses intérêts. Le syndicat a signé une nouvelle convention collective et tous les travailleurs ont été réembauchés avec leurs pleins droits.

Épilogue

George Becker a été par la suite élu à la présidence des Steelworkers et il a apporté son appui à la candidature de John Sweeny à la tête de l'AFL-CIO et à son programme de renouveau syndical. Les tactiques développées dans le conflit de la Ravenswood ont été mises de l'avant dans d'autres conflits importants dont celui chez UPS en 1997, qui s'est terminé par une importante victoire.

De l'importance du mouvement syndical américain

On s'intéresse trop peu au Québec au mouvement syndical américain qu'on tient parfois pour une valeur négligeable. Que le taux de syndicalisation y soit d'environ 15 % (comparé à 35 % il y a quelques décennies), alors qu'il est de près de 40 % au Québec est trompeur. D'abord parce que notre fort taux de syndicalisation découle du fait que le secteur public, contrairement aux États-Unis, est presque totalement syndiqué. Si on l'exclut, pour ne considérer que le secteur privé, notre taux se rapproche du taux américain. Il y a ensuite une question d'échelle 0 15 % de la main d'oeuvre active d'un pays de plus de 250 millions d'habitants représente, en chiffres absolus, un nombre considérable de syndiqués et, par le fait même, un mouvement syndical avec d'énormes ressources.

Nous saluons souvent, avec raison, la combativité exemplaire du mouvement ouvrier français, mais nous avons également beaucoup de leçons à tirer du syndicalisme américain, dont la forme d'organisation et les conditions d'intervention s'apparentent plus aux nôtres. Ravenswood en est bon exemple.

(1) Tom Juravich et Kate Bronfenbrenner. Ravenswood. The Steelworkers' Victory and The Revival of American Labor. Cornell University Press. 1999. 245 p.

(2) Rappelons que l'aut' journal a publié en 1987 Le conflit de l'autorité, l'histoire de la grève de 11 mois de Marine Industries raconté par le président du syndicat, François Lamoureux.|189| 
651|Une campagne référendaire de trois mois|Paul Rose|

Pour un réel débat de fond



Lors de leur récente intervention à la Commission parlementaire des institutions, les représentants du parti de la Démocratie socialiste (pDS) ont exprimé leur appui au projet de loi 99 et ils ont demandé au gouvernement Bouchard d’initier et de financer une campagne de mobilisation de la population afin d’envoyer un message clair au gouvernement d’Ottawa, en riposte à son inique et obscur projet de loi sur la clarté (C-20). Mais, bien plus qu’à une simple mobilisation de protestation pour combattre ce projet de loi dit de la clarté, c’est à une vaste campagne référendaire concernant un véritable projet de société pour le Québec que le pDS a convié le gouvernement québécois.

En ce sens, nous ne pouvons qu'applaudir au récent retrait par Québec du projet de loi 99 et souhaiter son remplacement par un projet à la fois plus large, concret et moins superficiel sur l'avenir du Québec

Faut-il rappeler qu'au cours des 25 dernières années, la campagne référendaire autour du projet de société d'un Québec souverain n'a duré qu'une soixantaine de jours en tout, soit une trentaine de jours pour chacune des consultations de 1980 et de 1995.! Bien au-delà de la clarté d'une question , la population québécoise doit être partie prenante d'un véritable projet de société dans lequel elle puisse se reconnaître et développer les grandes voies de dépassement donnant son plein sens à toute démarche de souveraineté digne de ce nom. C'est pourquoi la question nationale et la question sociale nous apparaissent si foncièrement indissociables l'une de l'autre.

Les idéaux démocratiques basés sur les principes de justice, d'équité, de bien commun, de vie communautaire et de solidarité doivent demeurer prioritaires, et surtout se démarquer de manière crédible et tangible. Et cela doit se voir non seulement dans les objectifs poursuivis, mais aussi dans le processus.

D'où l'importance de parler du processus référendaire au moment même où certains tentent de nous en écarter par l'écœurement de la question sur la question. D'où l'urgence de remettre sur le devant de la scène politique l'aspect fondamental de toute démarche référendaire, à savoir la place centrale que doit y occuper le peuple.

Notamment et justement parce que le peuple, depuis 1976, n'a jamais été mis réellement à contribution dans la lutte contre l'oppression nationale - si l'on fait exception de la courte existence de la Commission politique mise en place un mois avant le référendum de 1995 et interrompue abruptement par la PQ. Autrement, la population a été systématiquement écartée et confinée au rôle de spectateur.

Prochain référendum

Lors du prochain référendum, il est donc impérieux de s'assurer de pouvoir y tenir un véritable débat public et profondément démocratique sur les enjeux et la définition des paramètres d'une nouvelle société québécoise souveraine.

À cette fin, une campagne référendaire d'au moins trois mois s'impose. C'est un minimum démocratique afin que le peuple québécois soit foncièrement mis dans le coup . Essentiellement, bien plus que de vaines considérations de date et de soi-disant conditions gagnantes , il doit y avoir du temps et de l'espace pour un véritable débat de fond et de réelles campagnes de mobilisation issues du peuple et soutenues par le gouvernement.

Politiquement, cette fois le PQ n'a plus le choix

Au cœur même de la période référendaire, il faut que la place publique puisse être occupée, de tous les coins du Québec, par les associations populaires, les organismes communautaires, les comités de citoyens, les nations aborigènes, les communautés culturelles, les associations coopératives et de gestion en commun, les groupes syndicaux, féministes, pacifiques et écologiques... Afin qu'un plus grand nombre d'acteurs sociaux puissent non seulement s'exprimer sur le type de société souhaitée, mais aussi exercer une influence, voire un contrôle politique, sur les bases et les orientations de ce projet de société d'un Québec souverain.

De tout temps, la première, sinon la seule, condition gagnante contre l'oppression sociale et nationale a toujours été et sera toujours celle de la mobilisation populaire.

Un débat référendaire d'un mois se restreindrait forcément, encore une fois, à un brassage superficiel d'idées et ne ferait qu'entretenir, une fois de plus, toutes les peurs et tous les préjugés dont profitent si allègrement les forces qui freinent l'émancipation du peuple québécois. Un réel débat de société par la société ne peut que favoriser le changement en profondeur et les voies véritables d'affranchissement et de libération.

La onzième heure a sonné. Il est temps pour le gouvernement du Québec de changer de culture politique , de faire montre d'une maturité politique responsable en faisant confiance au peuple et en montrant concrètement, au-delà des slogans creux et des éphémères campagnes de consultation écourtées, que le débat sur la souveraineté nationale et l'émancipation sociale n'appartient pas au PQ mais bel et bien à l'ensemble de la population.|189| 
652|Les journalistes enfin sassés |Jacques Larue-Langlois|

Les oiseaux de malheur



Petite bombe dans le milieu des médias 0 André Pratte, un collègue de La Presse, publiait récemment, chez Boréal, une critique acerbe du monde journalistique tel qu’il sévit chez nous avec la complicité tacite de la majorité de ceux qui en font profession, se réclamant d’un quatrième pouvoir qu’ils ne se gênent aucunement pour galvauder et vendre au plus offrant.

L'auteur connaît son sujet et sait écrire 0 déjà deux qualités qu'on retrouve trop peu souvent chez les essayistes, journalistes ou pas. Deux de ses ouvrages sont déjà connus dans le métier, ce qui appuie sa crédibilité. Il offre ici un admirable réquisitoire qui, pour peu qu'il atteigne également un lectorat important hors du milieu journalistique dont il traite, devrait produire un certain impact sur la perception que se fait le public des médias en général et, par voie de conséquence, forcer les journalistes à reconnaître qu'ils tiennent leur pseudo-quatrième pouvoir bien bas devant le capital.

Des noms d'oiseaux fort descriptifs

Tous les aspects comme tous les modes de transmission de l'information - regroupés dans des chapitres affichant des noms d'oiseaux fort descriptifs des principaux genres journalistiques comme toutes les catégories de journalisme et de journalistes - y sont abordés franchement avec finesse et intelligence, multiples exemples à l'appui. André Pratte ne se contente pas de se vider le cœur sur le dos de ses collègues. Les exemples (extraits d'articles parus, mot à mot d'interview radio/télédiffusées, récit de situations éditoriales vécues...) qui illustrent son propos en confirment amplement la signification.

Il parvient à tracer un portrait assez sombre du style de journalisme pratiqué dans nos médias, acceptant bien sûr de partager lui-même plusieurs des responsabilités de ce déplorable état de fait avec le millier dont il est partie intégrante comme avec le public en général (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs) souvent naïf et dont on prétend connaître les préférences via des sondages patentés ou insignifiants. Ce qu'il démontre à partir d'exemples probants.

Les pies

Le regard critique perspicace atteint son apogée dans le chapitre intitulé Les pies, puis la démonstration débouche sur un positivisme rare dans ce genre et permettant à l'ouvrage de se démarquer au-delà du simple pamphlet. Ses suggestions sont à l'effet de tenter de ramener les médias d'information à leur véritable objectif 0 informer le public sur des événements susceptibles d'avoir des conséquences éventuelles sur eux-mêmes. Il s'appuie sur Walter Lipman, le grand journaliste américain du début du siècle, et surtout sur le célèbre Edward Murrow, dont le style a révolutionné le métier aux États-Unis pendant les années trente et quarante, de même que sur l'exemple de René Lévesque aux débuts de la télévision locale.

Les médias, préconise-t-il avec raison, doivent cesser de vouloir sembler plaire à tout prix à un public conquis et reléguer au second plan le sport professionnel et ses jeunes millionnaires arrogants, comme les vedettes du star-system et de la course aux records de catastrophes, de température, de méfaits, de violence, etc. Elle doit apprendre à ses interlocuteurs à comprendre ce qui se passe partout sur la planète et surtout, sortir de la cour arrière où elle se confine par paresse et par lésine, en plus de devoir mettre tous les sujets qu'elles traite en perspective, les situer dans leur contexte réel.

Pratte, André, Les oiseaux de malheur, Essai sur les médias d'aujourd'hui, Boréal, Montréal 2000|189| 
653|La superwoman est fatiguée|Ginette Leroux|

Vies de femmes syndiquées



Pour saisir une époque de l'intérieur , quoi de plus éloquent que la parole des femmes qui, au quotidien, en tisse les fibres, des plus ténues aux plus solides. Les femmes qu'a rencontrées Sylvie Roche ne sont pas des vedettes de la radio ou du petit écran. Au contraire, ce sont des femmes ordinaires qui travaillent dans des secteurs névralgiques de la société à prédominance féminine, soit 0 la santé, l'éducation, le textile, les garderies et le soutien familial, le travail de bureau. Ce sont des militantes engagées qui mènent des luttes au sein de leur syndicat.

À travers les récits de vie de neuf femmes, certaines dans la cinquantaine, les autres dans la trentaine, Sylvie Roche rend compte de l'adaptation entre les rêves d'hier et les réalisés d'aujourd'hui, des espoirs déçus en cours de route, des avancées et des reculs observés sur le marché du travail.

La superwoman est fatiguée

Ce livre est un regard lucide que les femmes jettent sur le chemin parcouru. Il constate le besoin qu'elles ont d'expliquer le monde, leur monde. Que ce soit l'horloge biologique de la maternité ou celle de la ménopause qui sonnent, les femmes désirent que les pendules soient remises à l'heure. Elles demandent du temps et remettent en question le rôle actuel imposé et totalement dépassé qui leur fait porter le fardeau des responsabilités familiales et professionnelles. La superwoman est fatiguée et le crie haut et fort. Il est plus que temps que le milieu du travail s'adapte aux femmes; elles ont supporté l'inverse depuis trop longtemps.

Vie familiale contre vie professionnelle

Les vies de femmes se ressemblent. Toutes sont faites de dévouement, de générosité, d'amour et d'amitié, de contraintes et de libertés, de luttes et de victoires, mais surtout de grands espoirs.

Le plus attendu, le plus recherché est sans doute qu'un jour cesse le tiraillement entre la vie familiale et la vie professionnelle. La vie familiale repose sur la responsabilité de la femme. Tous les témoignages le confirment.

À l'usine de textile, la tisserande et représentante régionale pour sa centrale, Ginette Provençal, dira que la condition féminine est la plus malmenée parce qu'elle inclut la condition familiale et que celle-ci concerne davantage les femmes .

Jeunes mères de famille, Carolle Breton, technologiste en laboratoire, et Brigitte Lachance, diététiste, en savent quelque chose. La première voit ses ambitions s'envoler. J'aimerais améliorer mes conditions de travail et de vie, et obtenir de l'avancement, confie-t-elle. Si je n'avais pas trois jeunes enfants, je me dirigerais vers un secteur plus spécialisé. (...) Présentement, je n'en ai pas les moyens. Quant à la deuxième, elle se sent prise dans un dilemme et ne sait plus quoi mettre en priorité 0 la vie familiale ou la vie professionnelle ? Un jour, j'ai dit à mes patrons 0 J'ai pas le choix. Si vous me demandez de choisir, ce sera ma famille et je me mets à trois jours semaine.

Adaptation, adaptation et adaptation

Ces femmes ont souffert des effets catastrophiques des compressions budgétaires imposées par le gouvernement, que ce soit par le fait des coupures dans les services, des mises à la retraite ou encore des restructurations. Ce qui a entraîné une surcharge de travail pour les employés restants.

Au fil des ans, des compressions et des restructurations, mon poste s'est modifié et mes responsabilités se sont accrues , constate Nicole Mallette, secrétaire aux Archives nationales du Québec. Tout est devenu une question de gros sous , confie Colette Trudel, enseignante au secondaire à l'éducation aux adultes. La recherche de financement entraîne des décisions et des fonctionnements que je trouve incompatibles avec nos objectifs pédagogiques , ajoute-t-elle en dénonçant le caractère insensé de ces nouvelles prises de position en éducation. Pour la technologiste en laboratoire, l'intolérance monte d'un niveau à un autre, d'un service à un autre. (...) Le personnel est surmené, fatigué, irrité... Quant à Thérèse Éva T., physiothérapeute de Montréal, l'alourdissement de la tâche lui laisse une plus grande fatigue, surtout depuis que les compressions et les préoccupations se sont accrues. (...) Les femmes réalisent qu'elles doivent adapter leur travail à leur âge et aux coupures.

Des questions aux syndicats

Dans leurs témoignages, les femmes soulèvent beaucoup de questions qui devraient interpeller les dirigeants syndicaux. Il ne suffit pas qu'il y ait en place, dans un syndicat ou une centrale, un comité des femmes pour apaiser la conscience des membres. Les femmes ont besoin de la reconnaissance des autres dans l'essence même de leurs désirs, de leurs réalités et de leurs espoirs. C'est vital.

Propos recueillis et rédigés par Sylvie Roche, De l'une à l'autre le fil de l'histoire, récits de vie de femmes syndiquées, l'Intersyndicale des femmes et les Éditions du remue-ménage, Montréal, 2000, 233 pages.|189| 
654|La relève littéraire au féminin|Élaine Audet|

D'une lune à l'autre



Sylvie Nicolas

Anastasie ou la mémoire des forêts

Poésie, Québec, Le Loup de Gouttière, 1999.

En dix chants, en dix instants de la nuit, une femme marche dans les traces d'une tortue sans âge pour retrouver la mémoire de l'intemporel, ce brassage infini de vies et de morts, de guerre et d'amour. Cette voix juste, belle et profonde convie mots et images pour dire l'indicible et faire reculer la mort. Dès le deuxième instant de cette nuit, la voix de la mémoire nous parle des bébés-filles de Chine, des yeux des musulmanes, des vieilles édentées, des enfants du Brésil. Et nous la comprenons aussi quand elle dit 0 Je meurs trop souvent / entre les bras des hommes penchés sur moi.

Dans ce ciel de Troie [...] au ventre rempli de guerriers , Anastasie, l'enfant sauvage, se demande devant tant de rêves et de paysages dévastés s'il ne faudrait pas recoudre les paupières du monde/pour enfin voir le soleil se lever. Monde cruel et aveugle où des millions de sans-yeux / dansent pourtant / à cœur de jour / sur l'écran de leur quotidien / assis à regarder / passer leur vie . Au bout du chemin, que reste-t-il sinon l'absolue nécessité d'aimer , l'impertinence d'avoir osé porter, avec les yeux ouverts et le refus de se taire, cette folie de la mémoire vive tout en sachant ne pouvoir rien arrêter .

Depuis 1992, Sylvie Nicolas poursuit tout en illustrant elle-même ses livres, une œuvre diversifiée qui compte déjà une quinzaine d'ouvrages 0 de la poésie, des romans, des nouvelles, du théâtre, des contes pour enfants. Dans Anastasie ou la mémoire des forêts, elle nous invite à suivre le cheminement d'une conscience exigeante et engagée dans le destin du monde, en nous rappelant qu'il n'est pas trop tard pour empêcher la mort de faire basculer la vie dans l'oubli. Avec des mots d'amande douce et de cuir souple , cette langue au rythme souverain nous porte dans la chaude intimité d'une pensée vaste.

Patricia Posadas

Marjorie Stonehenge

Roman, Montréal, Point de fuite, 2000.

Marjorie Stonehenge est le premier roman de Patricia Posadas, professeure de littérature à Rimouski, publié par la nouvelle maison d'édition Point de fuite, fondée par Andrée Yanacopoulo et Emmanuel Aquin. Ce roman d'anticipation n'est pas sans évoquer Le meilleur des mondes de Huxley ou l'œuvre de Lewis Carroll et de Kafka, en montrant à quel point l'écart est mince entre le réel et l'imaginaire. Tout en nous tenant constamment en haleine, Posadas nous fait pénétrer dans un monde de femmes qui, au fil des ans, ont éliminé les hommes et ont pu, grâce à la science, ne reproduire que des filles, unies par une dieue en qui chacune peut se reconnaître. Un monde étouffant où les femmes, sauf à de rares moments, sont dépourvues de tendresse les unes pour les autres.

Thriller philosophique bien écrit et habilement construit, ce roman vient à point nous rappeler qu'il faut se méfier des rêves qui, en s'inscrivant dans la réalité, ne remettent pas en question la hiérarchie du pouvoir et laissent l'idéologie, au nom de la libération, nous plonger dans un monde totalitaire dont toute altérité est exclue. Le matriarcat, pouvoir des femmes, n'est pas plus désirable et porteur de liberté que son contraire. C'est ce que fait ressortir avec talent Patricia Posadas. En fermant le livre, on ne peut cependant s'empêcher de se demander si l'auteure croit qu'il est possible d'échapper à cette conception manichéenne du monde. Tout se passe comme si la révolte des femmes ne pouvait avoir d'autre ambition que de prendre la place des hommes au pouvoir, voire même de les éliminer, et non d'abolir tout rapport de pouvoir entre les êtres.

Claudette Frenette

Comment faire taire une oiseau ?

Nouvelles, Québec, Le Loup de Gouttière, 1999.

Dans cette oeuvre forte et intense de Claudette Frenette, la quintessence d'une vie de femme est la violence qui marque toutes ses relations aux autres, de la naissance à la mort. Et l'auteure ne recule pas devant le constat d'une totale incompatibilité entre les hommes et les femmes, génératrice de rapports violents qui mènent souvent à la mort les femmes de ces nouvelles. Cette violence insurrectionnelle féminine, présente tout au long du livre, semble la seule option libératrice.

Dans La Femme eunuque , Germaine Greer déclare que les femmes ne réalisent pas à quel point les hommes les haïssent. Ici, les femmes le savent et refusent de subir passivement le mensonge, la déloyauté et l'abus, et elles rendent coup pour coup avec la force du désespoir. La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil , écrit le poète René Char. Cette lucidité informe impitoyablement chacune des protagonistes. Et, avec un grand art de la chute, chaque nouvelle se termine sur l'exacerbation d'une conscience.

Le contraste est constant entre une écriture empreinte de poésie et la cruauté de la trame dans la plupart des nouvelles 0 Le père arrivé à l'improviste, frappe durement leurs têtes pour empêcher les rêves de prendre forme. Cet homme a de tels élans de destruction que les petits se mettent à vouloir lui ressembler pour se protéger d'eux-mêmes. La mère les regarde glisser sur les serpents de leurs jeux. Elle n'y peut rien. Des forêts de chairs en lambeaux qui traînent. Le frère et la soeur s'égarent puis s'enlacent, chastes comme des pierres. (p. 69) Le livre est illustré par la fille de l'auteure, Geneviève Chiasson, en pleine convergence au féminin . Ce premier recueil de nouvelles de Christiane Frenette fait montre d'une qualité d'écriture exceptionnelle, d'un regard d'une acuité hors du commun.|189| 
655|Notre histoire, c'est l'histoire du monde|Michel Lapierre| Dans l'avant-propos de son agréable ouvrage Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France 0 la vie quotidienne aux XVIIe et XVIIIe siècles, André Lachance insiste pour nous dire qu'il se penche sur l'histoire des masses plutôt que sur celle des élites. Il n'est guère original aujourd'hui de se réclamer, même tacitement, de Lucien Febvre et de Fernand Braudel; mais Lachance a l'art de piquer notre curiosité.

Il nous parle volontiers de la crasse de nos ancêtres pudibonds; du chaudron chaud renversé sur lequel la sage-femme assoyait parfois la parturiente; des charivaris qui troublaient les remariages, marqués par une trop grande différence d'âge; des jeunes gens qui tentaient de s'épouser malgré l'interdiction parentale en recourant, dans des cas extrêmes, à un simulacre du sacrement (le fameux mariage à la gaumine); des excréments et de l'urine des nourrissons, employés par les mères en guise de détergent pour nettoyer la peau et embellir le teint. Tout cela ne serait pas complet, bien entendu, sans l'allusion à René Besnard, le prétendant jaloux qui, lors des noces, en 1657, de Pierre Gadois et de Marie Pontonnier, a, en faisant un nœud à une ficelle, rendu impuissant, par maléfice, le malheureux mari. Et j'oubliais l'un des remèdes contre la jaunisse que Lachance se fait un point d'honneur de nous révéler 0 manger des poux en nombre impair.

C'est le cochon qui nous a sauvés !

Lachance a tout de même le mérite de donner des chiffres qui nous rassurent sur la santé et le bonheur des Canadiens d'autrefois. La mortalité infantile, fléau d'une époque dont on oublie souvent la terrible dureté, est moins importante dans la colonie qu'en France. Alors que seulement la moitié des Français franchissent, au XVIIIe siècle, le seuil de la quinzième année, trois Canadiens sur cinq atteignent cet âge.

Que mange-t-on pour grandir au Canada ? Du lard, du lard, et encore du lard ! C'est le cochon qui nous a sauvés ! Avec un peu de pain, de beurre, d'oeufs, de choux, de navets et, les jours maigres, des anguilles salées... Sans parler des fruits, en saison, et du gibier... Le règne de la patate, symbole même de la modernité, n'était pas encore commencé.

Un meilleur niveau de vie que celui des Français

Lachance soutient que nos habitants jouissaient d'un meilleur niveau de vie que celui de leurs cousins français. Déjà, il nous les rend intéressants. Mais il aurait pu fuir davantage la banalité en insistant sur le caractère tout à fait singulier de la société du Régime français. Guy Frégault avait tenté de le faire, en 1944, dans La Civilisation de la Nouvelle-France (1713-1744), mais son ouvrage, malgré d'indéniables qualités scientifiques, gardait quelque chose de l'apologie chère à son maître Lionel Groulx.

Paradoxalement, ce sont les spécialistes de l'histoire des populations, chercheurs beaucoup plus austères que Frégault, au point d'être très ennuyeux, qui, à leur corps défendant, voleront au secours des apologistes déjà en voie d'extinction. Aux syllogismes historiques, philosophiques, voire théologiques, de ces derniers, le démographe Hubert Charbonneau et ses collègues opposeront sèchement les faits vérifiés pour arriver à peu près aux mêmes résultats, des résultats, de toute manière, plus convaincants dans la nudité de la constatation que dans l'extravagance de la rhétorique.

Si nos mères avaient eu la cuisse légère comme on le colporte...

Avec une circonspection toute professorale, ils établissent une foule de choses, parfois évidentes. L'accès à la propriété et l'ascension sociale sont plus faciles dans le pays neuf. En moyenne, les pionniers paraissent plus instruits et plus qualifiés que l'ensemble des Français de l'époque. Ils ne proviennent pas des régions les plus pauvres de France. Beaucoup sont des citadins (en fait la majorité des femmes) et la plupart auraient au moins séjourné à la ville. Quant à la vertu des Filles du roi, elle a été biologiquement démontrée par un positiviste aussi scrupuleux qu'Yves Landry. Les maladies vénériennes, qui, à l'époque, étaient incurables, entraînaient la stérilité. Si nos mères avaient eu la cuisse légère comme on le colporte, nous ne serions tout simplement pas là. Point final !

Mais, au fond, tout cela est décevant. Nous sommes, certes, sur la bonne voie, mais la preuve de la singularité de notre histoire est encore loin d'être faite. Lachance, Charbonneau, Landry et tous les autres spécialistes de l'histoire sociale de la Nouvelle-France auraient intérêt à suivre l'exemple donné, dès 1968, par Cameron Nish, dans Les Bourgeois-Gentilshommes de la Nouvelle-France (1729-1748). Il faut, comme Nish l'a fait, comparer la Nouvelle-France aux colonies anglaises d'Amérique pour la comprendre vraiment, dans son milieu naturel 0 le Nouveau Monde. Toute donnée sur le Régime français n'a guère de sens, aussi longtemps qu'elle n'est pas confrontée à une donnée semblable se rapportant à l'Amérique britannique.

Nous étions un accident fait pour durer

L'histoire ne se définit pas en chiffres absolus. Elle se nourrit du relatif. Notre histoire, c'est l'histoire du monde, celle du vrai monde, et aussi celle du monde entier. Le XXe siècle, qui, arithmétiquement parlant, s'achèvera dans huit mois, aura été le siècle de l'Amérique. Il est ahurissant que nous ayons si peu la sensation d'y avoir vécu. Quelle affreuse nostalgie ne nous laisse-t-il pas en partage !

En 1760, nous n'étions que 70000 alors qu'au sud, les colonies anglaises comptaient un million d'habitants. Nous étions un accident fait pour durer. Ce qui, déjà, est extrêmement singulier. Notre histoire ne peut se comprendre qu'à la lumière de cette monstrueuse disproportion.

Dans Albion's Seed 0 Four British Folkways in America, livre ambitieux publié en 1989, David Hackett Fischer s'emploie à montrer que la culture des Puritains de la Nouvelle-Angleterre, celle de l'élite royaliste de la Virginie et de ses serviteurs blancs, celle des quakers de la vallée de la Delaware et celle des Irlando-Écossais de l'arrière-pays, toutes axées sur l'idéal de la liberté, se sont perpétuées jusqu'à nos jours en assimilant les apports étrangers. Elles constituent, selon lui, les fondements de l'identité américaine, même si la plupart des Américains ne descendent pas des pionniers qui en étaient les dépositaires.

Sans souhaiter le moins du monde qu'ils adoptent cette vision triomphante j'aurais aimé qu'André Lachance et nos autres historiens universitaires nous fassent entrevoir, à travers la Nouvelle-France, le Québec d'aujourd'hui, ne serait-ce que pour nous faire sentir que notre histoire, si accidentelle et si souterraine soit-elle, n'est pas un parfait non-sens.

André Lachance, Vivre, aimer et mourir en Nouvelle-France 0 la vie quotidienne aux XVIIe et XVIIIIe siècles, Libre Expression, 2000.|189| 
656|Les délicieux mensonges|Michel Lapierre| Jacques Ferron 0 autour des commencements

Sous la direction de Patrick Poirier

Lanctôt, 2000

Le malheur avec nos universitaires, c'est qu'ils prennent le docteur Ferron très au sérieux. Aussi l'interprètent-ils au pied de la lettre. Ils sont dupes de l'enveloppe rhétorique de l'œuvre du polygraphe et oublient que l'écriture est simplement l'outil recherché du notable. Ah, les délicieux mensonges de Ferron ! Ne valent-ils pas d'être lus et relus, uniquement pour nous rendre plus désirables les vérités qu'ils cachent ? Le seul véritable propos de notre devin, qui se joue des genres littéraires, n'est ni la Bible, ni la mythologie gréco-romaine, ni la littérature du Grand Siècle. C'est le Québec, impensé et impensable.

Encore une fois, la publication de pages inédites sauve les trop savants Cahiers Jacques-Ferron. Il s'agit des Rats, une pièce écrite en 1947, qui pue l'artifice. Pourtant, l'écrivain s'y trouve déjà tout entier, comme l'atteste cette très belle phrase 0 Je suis bel et bien perdu au milieu de moi-même comme au sein d'une forêt vierge, sans droite ni gauche, sans orient, sans occident, et le ciel est couvert de ce plafond inexorable 0 je ne peux même pas compter sur les étoiles.

Dès cette époque, Ferron concevait que la littérature québécoise n'a rien à voir avec la littérature française, même si cette idée restait, chez lui, implicite et qu'il tardait à la mettre en application. À l'Européen, qui, dans Les Rats, se prend pour Sacha Guitry, un autre personnage dit simplement, dans une variante de la pièce 0 ...notre France vaut bien la vôtre.

Ferron répondra au mensonge français, raffiné et convenu, par un mensonge sauvage, truculent et inattendu 0 le mensonge québécois. Le 19 octobre 1946, son projet était déjà bien arrêté. Voici ce qu'il notait dans son journal 0 La sincérité ne me convient pas; si je m'y faisais une carrière, elle serait morne et mes confidences fort simples. Il me faut des formes, des artifices; je me retrouve davantage dans mes mensonges que dans mes vérités.|189| 
657|Le métier d'écrivain n'est plus ce qu'il était|Jean-Claude Germain| Jadis, lorsqu'un écrivain rencontrait un éditeur, il leur arrivait de parler de littérature. Sans trop insister, bien sûr, et en glissant sur le sujet. Mais on abordait, tout de même, le métier d'écrire, à l'occasion...

L'initiative était habituellement le fait de l'éditeur. Sous le coup d'une remise en question existentielle assez courante dans sa profession, ce dernier feignait alors de faire appel aux lumières littéraires de son auteur pour tenter de s'expliquer un succès qu'il jugeait incompréhensible, en l'occurrence celui d'un best-seller publié chez un autre éditeur.

La question était piégée. Si l'écrivain donnait son avis sans arrière-pensée et répondait que ledit succès lui semblait légitime, puisque le sujet du roman en question était original, l'histoire bien ficelée et que la nouveauté de l'information historique compensait pour le manque d'inédit sur l'âme humaine, le pauvre auteur était cuit.

Sa candeur avait donné la possibilité à l'éditeur de lui faire remarquer que ces trois qualités, qu'il apprécie tant chez son concurrent, sont précisément celles qui brillent par leur absence dans son dernier ouvrage.

Plus c'est mal écrit, plus ça se vend

Dans les circonstances, un auteur d'expérience aurait retourné le jeu à son avantage, en reconnaissant, dans un premier temps, l'intérêt du sujet du livre en question, mais en soulignant, dans un deuxième, combien l'ouvrage, en fonction du chiffre ascendant des ventes, était mal, très mal ou terriblement mal écrit.

C'est une idée reçue dans le monde de l'édition que les best-sellers se vendent parce qu'ils sont mal écrits; et, inversement, que les bons livres ne se vendent pas parce qu'ils sont trop bien écrits.

Un auteur chevronné aurait également su qu'un éditeur ne peut pas demander à un auteur d'écrire mieux sans aller à l'encontre d'une logique du marché où le trop est un moins et le moins un plus.

D'autant plus qu'un éditeur n'est pas sans ignorer qu'on ne peut pas demander à un auteur d'écrire plus mal qu'il n'écrit déjà. C'est un fait que pour y parvenir, il faut encore plus de talent que pour s'emmieuter.

La clé du succès, c'est la pub

Il faut savoir que les éditeurs et les auteurs partagent la même inquiétude face à l'anorexie chronique des tirages, sauf qu'ils diffèrent radicalement d'opinion quant aux causes de la maladie. Les éditeurs persistent à croire que les auteurs sont responsables du succès de leur livre. Une allégation que les auteurs réfutent en bloc. Pour eux, la seule explication acceptable de la mévente d'un ouvrage en librairie est un manque de publicité.

Nul en ce bas monde n'a défendu plus éloquemment la liberté de pensée et le droit de chacun à l'imagination créatrice que l'écrivain; et, dans le même souffle, nul n'a cru plus aveuglément et plus absolument aux méthodes persuasives de la réclame.

Les écrivains n'ont jamais vu de contradiction entre la publication d'un bouquin qui dénonce la publicité et la mise sur pied d'une campagne publicitaire pour en faire la promotion tous azimuts. C'est l'un des paradoxes de la vie littéraire que pour devenir un m'as-tu lu ? on doive d'abord être un m'as-tu vu ?

Les solitaires ne sont plus à la mode

Autre temps, autres moeurs, pourrait-on dire. Les éditeurs n'invitent plus les auteurs à signer leurs contrats d'édition à la table d'un grand restaurant pour leur donner un avant-goût de la gloire qui les attend.

En revanche, ils s'intéressent plus à la vie personnelle de leurs poulains. De nos jours, dès la première rencontre, l'éditeur pose des questions à l'auteur sur sa famille immédiate ? Reconstituée ? Élargie ? Est-elle nombreuse ? Sur son cercle d'amis ? De relations ? de connaissances ? Est-il étendu ?

Sur sa vie sociale ? Fait-il partie d'associations philanthropiques ? D'anciens élèves ? De généalogie ? D'un collège professionnel ? De sociétés savantes ? De bienfaisance ? Secrètes ? De clubs sportifs ? D'une confrérie religieuse ? D'un parti politique ? D'une chorale ?

Est-il connu dans son quartier ? Dans sa ville ? Dans sa région ? Son nom de famille a-t-il déjà fait l'objet d'une réunion comme celle, par exemple, de tous les Leblanc ou de tous les Tremblay d'Amérique ?

Pour être publié dorénavant, il faut que l'étude de faisabilité s'avère positive. L'auteur n'est intéressant, pour un éditeur contemporain, que s'il est un lectorat avant d'être un livre.

Tous ceux et celles qui se sont plaints par le passé de ne pas connaître individuellement chacun de leurs lecteurs et chacune de leurs lectrices risquent fort d'être comblés dans les années qui s'annoncent. Le temps n'est pas loin où, avant de savoir bien ou mal écrire, l'écrivain devra tout d'abord apprendre à se constituer un réseau d'abonnés.|189| 
658|La femme alibi|Jean-Claude Germain| Propos d'une physicienne sur la situation de la femme de science

Lucie Gauthier

Carte Blanche, 2000

Déplorer le trop petit nombre de femmes en politique est de bon ton, mais leur rôle subalterne dans le monde des sciences fait encore moins de vagues chez les scientifiques que dans le grand public. Lucie Gauthier aborde le problème dans un excellent petit livre témoignage où elle retrace les étapes de son parcours dans cet univers exclusivement masculin.

Docteure en physique théorique dès 1973, elle est sans doute la première physicienne québécoise à avoir exercé sa profession, comme elle le précise, jusqu'à la retraite. Dans les circonstances, c'est un exploit. , en illustrant elle-même ses livres. Après avoir vécu, dans la trentaine, l'époque de la discrimination totale, je me suis retrouvée, au début de la quarantaine, dans celle de la femme alibi.

Pendant toute sa carrière à Hydro-Québec, la fonction de Lucie Gauthier aura été de donner bonne figure à un groupe de chercheurs dont elle est exclue malgré ses compétences. On ne demande pas à la femme de science de faire de la science, mais de la vendre et de remplir des tâches de vulgarisation scientifique, d'organisation de congrès et de relations publiques.

La situation est-elle près de changer ? Sûrement pas sans des mesures incitatives. La physicienne se souvient que certains collègues lui ont rendu le climat moins hostile. En partageant le repas du midi avec moi, note-t-elle avec ironie. On est à des années-lumière du couple Joliot-Curie. (J.C.G.)|189| 
659|Le tiers-monde financera lui-même l'annulation de sa dette !|Valmi Dufour| En juin dernier, à Cologne, le G8 annonçait l'annulation de la dette des pays pauvres très endettés. Septembre 99, le FMI prend les choses en main et affirme que les trois quarts des pays éligibles devraient jouir de cette annulation avant la fin de l'année suivante. Cependant, au moment de la publication du rapport de mi-échéance du FMI, on constate que seulement trois pays ont pu bénéficier d'une remise moyenne de 35 %.

Jusqu'à la fin des années 70, dans le contexte de la guerre froide, l'Occident a prêté des milliards de dollars au tiers monde en aide au développement afin d' assurer la stabilité dans les pays concernés, multipliant la dette de ceux-ci par quinze en autant d'années, tout en fermant les yeux sur l'utilisation réellement faite de cet argent.1

Le tiers monde profitant alors de la crise économique sévissant au Nord, les taux d'intérêt étaient plus bas que l'inflation. Cependant, dès 1979, les pays créanciers haussent de nouveau le loyer de l'argent, qui fait un bond moyen de près de 300 % en trois ans. En Amérique Latine, par exemple, le taux d'intérêt réel moyen passe de négatif 3,4 % dans les années 70 à positif 27,5 % en 1982. Il ne faut donc pas s'étonner qu'au cours de cette même année, Mexico se déclare incapable de rembourser sa dette.

FMI, mon sauveur !

L'Occident saisit immédiatement l'occasion de s'ingérer dans les politiques financières des pays moins développés. Par le biais du FMI, il accorde de nouveaux prêts au tiers monde, afin de l'aider à rembourser les vieux, tout en imposant le respect des Plans d'ajustement structurel (PAS). À cause de ces plans, l'Afrique subsaharienne, par exemple, se retrouvait, en 1996, à payer 14,5 milliards au service de la dette, soit quatre fois plus que ses dépenses en santé. C'est dans le cadre de ces mêmes plans que le Mozambique s'est vu imposer en 1995 l'obligation d'accorder 33 % de son budget au remboursement de la dette, alors que ses dépenses en santé et en éducation correspondaient respectivement à 3,3 et à 7 % de son budget.

C'est donc grâce à cette généreuse aide que le tiers monde a vu sa dette quadrupler depuis le début des années 80, pour atteindre 2 500 milliards de dollars en 19992, sans parler de la santé et de l'éducation, premières victimes des coupures budgétaires - quoique de toute façon, avec les privatisations, une part croissante de la population n'ait tout simplement plus accès ni à l'une ni à l'autre - ou encore des centaines de milliers de fonctionnaires jetés à la rue.

En fait, ces PAS, loin d'aider les pays auxquels ils sont imposés, ne font qu'officialiser le rôle de la dette dans la domination quasi esclavagiste du Nord sur le Sud, forçant ce dernier à n'investir que dans la production de biens de consommation destinés à l'exportation à bon marché.

C'est en se basant sur ces faits que dix-sept millions de signataires du Jubilé 2000 se sont prononcés en faveur de l'annulation immédiate et totale de cette dette inique3 par les pays du G8.

Un cadeau tombé du ciel

Lors du sommet de Cologne de juin 1999, pendant lequel s'était formée une chaîne humaine de neuf kilomètres, le G8 annonce que la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) sera annulée à hauteur de cent milliards de dollars4, ce qui équivaudrait à une annulation de 90 %.

De plus, le FMI s'engage à s'assurer qu'au moins les trois quarts des pays éligibles puissent obtenir la remise de leur dette avant la fin de l'année suivante. Remplaçant ses plans d'ajustement par les pompeux cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP), il annonce l'annulation des dettes et la réduction de la pauvreté .

Le mois suivant, Ottawa va plus loin, annonçant une remise de 100 % imitée, en septembre, par Washington, puis quelques mois plus tard par Londres, Paris et Rome.

Offrirait-on enfin une chance au Sud de se sortir de la misère ? La plupart des groupes populaires crient hourra, mais plusieurs plates-formes nationales du Jubilé 2000 du tiers monde flairent l'arnaque et créent Jubilé Sud.

Les mathématiques dans tous leurs états

Les économistes du FMI et des gouvernements du G8 n'ont manifestement pas fréquenté les mêmes bancs d'école que le commun des mortels, ce qui explique sans doute pourquoi ils ne songent pas à préciser sur quelles théories mathématiques ils s'appuient pour affirmer que les remises de cent milliards annoncées correspondent à 90 % de la dette des pays pauvres, qui s'élève, rappelons-le, à 2 500 milliards...

On peut très légitimement se poser la question. La réponse est pourtant simple 0 ce sont les créanciers qui, par le biais du FMI, fixent le seuil de pauvreté à être utilisé - seuil (forcément très objectivement) fixé à moins de 700 dollars par habitant par an, compte non-tenu de la répartition duale des richesses !

Ensuite, pour qu'un pays soit considéré comme fortement endetté, sa dette doit être d'au moins deux fois supérieure à ses exportations nettes5. Le FMI est bien aise d'imposer cette condition, puisque les PAS qu'il impose déjà aux pays fortement endettés forcent ceux-ci à majorer leurs exportations vers l'Occident, au détriment des populations locales, qui doivent se contenter des restes.

Évidemment, le pays doit aussi présenter un projet de CSLP qui satisfasse les conditions du FMI. À ce jour, dix pays ont pu présenter un tel projet, et on estime qu'en tout, seulement 24 pays pourraient être à même de produire un tel projet d'ici plusieurs années. Sont évidemment exclus à cette étape les pays qui n'offrent pas suffisamment de garanties politiques . Faut-il ainsi s'étonner de ce qu'un pays tel le Soudan, par exemple, ne soit pas éligible ?

Une fois ces étapes franchies, il ne reste plus au pays débiteur qu'à découvrir l'inévitable vice caché 0 seule la dette contractée avant le premier rééchelonnement concessionnel 6 du FMI sera effacée. En effet, il faut distinguer ici la dette proprement dite des arriérés contractés après 1982 en raison des taux d'intérêt exorbitants imposés par le FMI, ce qui correspond en moyenne à près de trois fois la susdite dette.

À ce propos, la Coalition pour Annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM) est moins optimiste. D'après son directeur, Éric Toussaint, les remises ne constitueraient en bout de ligne que 8 à 10 % de la dette des pays concernés, pour un allégement total à terme n'équivalant réellement qu'à 1 % de la dette du tiers monde. Cependant, si l'on veut bien imaginer que le G8 honorera un jour les engagements pris à Cologne, la dette du tiers monde devrait s'en trouver diminuée d'un peu moins de 4 %.

Une amélioration perceptible ?

Difficile d'analyser, dans l'immédiat, les répercussions de ces diminutions de dette, puisque, en date du 1er avril, le FMI n'avait accordé une remise moyenne de 35 % qu'à la Bolivie, l'Ouganda et la Mauritanie.

On constate cependant que même après cette remise, un pays tel la Mauritanie, qui compte un taux d'analphabétisme de 62 %, doit encore consacrer un part plus grande de son budget au remboursement de sa dette qu'à l'éducation. En fait, d'après Jubilee 2000 (Royaume-Uni), quinze des pays susceptibles de recevoir une remise de dette dans les prochaines années se retrouveraient à attribuer une part de leur budget encore plus importante qu'avant au service de la dette !

Par ailleurs, il est d'ores et déjà certain qu'une bonne partie de l'argent nécessaire aux remises de dette du G8 proviendra des fonds d'aide au développement. Autant dire que le tiers monde financera lui-même l'annulation de sa dette par l'Occident !

Ainsi que l'écrivent Éric Toussaint et Denise Comanne du CADTM, comment alors parler d'amélioration ? À moins que ceux qui parlent d'amélioration pensent en réalité aux créanciers du Nord et non aux populations du Sud...

Il n'est cependant pas encore trop tard pour excercer des pressions sur nos gouvernements afin que soit respectée, avant le début du nouveau millénaire, la volonté populaire.

(1) Un économiste indonésien, par exemple, a évalué que la dette extérieure de 80 milliards de dollars (tous les montants sont en dollars des États-Unis) contractée par son pays a profité non pas aux 200 millions d'Indonésiens qui en font aujourd'hui les frais, mais seulement à une cinquantaine d'individus.

(2) La Banque Mondiale calcule que la dette du tiers monde ne s'élève en fait qu'à 2 030 milliards de dollars. Cependant, la BM oublie de tenir compte dans ses calculs de la dette de 465 milliards des PMD de l'ex-bloc de l'Est.

(3) Le concept de dette inique n'est guère nouveau. Les États-Unis s'en sont déjà servis lors de l'annexion de Cuba, au siècle passé, pour motiver une annulation unilatérale de la dette cubaine envers l'Espagne. La définition d'alors correspond bien à la réalité actuelle 0 Une dette immorale, dépourvue de base légale ou morale, imposée aux peuples sans leur consentement, servant souvent à les opprimer et à enrichir leurs maîtres. (Noam Chomsky)

(4) Soit soixante-dix milliards de dollars, qui viennent s'ajouter au trente déjà en place.

(5) Sont aussi comptés parmi les PPTE les pays qui réussissent à obtenir un rééchelonnement de la part du Club de Paris (plate-forme informelle de réunion des principaux États créanciers).

(6) Le terme concessionnel est employé à tous vents par le FMI pour désigner des plans contraignants, coupant les pays concernés de tout contrôle sur leur économie, et leur imposant des taux d'intérêt de plusieurs points supérieurs au LIBOR.

Voir aussi les sites web de la CADTM (users.skynet.be/cadtm) et d'ATTAC (www.attac.org).|189| 
660|La population du Costa Rica remporte une belle victoire|André Maltais|

Privatisation de l'électricité et du téléphone



Contrairement au Québec où nationalisme rime avec privatisations et vente du pays aux multinationales étrangères, des pays comme le Costa Rica et la Bolivie voient leur population affronter police anti-émeute et loi martiale pour conserver la mainmise sur leur eau ou leur électricité. Dans le cas du Costa Rica, les organisations populaires et syndicales viennent de remporter une impressionnante victoire.

Dans la nuit du 20 au 21 mars, l'Assemblée législative costaricaine a adopté en première lecture un projet de loi visant à moderniser l'Institut costaricain d'électricité (ICE). Comme partout ailleurs, cela voulait dire en réalité permettre au secteur privé et aux investisseurs étrangers d'acheter jusqu'à 49 % des parts des deux nouvelles entités issues de cette modernisation 0 téléphones et électricité.

Le vote, pris à 45 voix contre 10, s'est déroulé dans une ambiance quasi irréelle alors qu'un cordon de policiers anti-émeute entourait l'édifice de l'Assemblée législative (en pleine nuit !) et que des centaines de personnes tenaient une vigile pour manifester leur désaccord à ce projet de loi.

Dès le lendemain, des chaînes humaines d'étudiants ont paralysé la circulation dans les principales artères de la capitale, San Jose; alors qu'ailleurs dans le pays, la population a bloqué ponts et autoroutes. Quatre étudiants ont entrepris une grève de la faim jusqu'au retrait du projet de loi.

Dans la ville portuaire de Limon, enseignants, dockers et travailleurs de la Raffinerie costaricaine des pétroles ont déclenché une grève illimitée. La police a blessé 20 manifestants en tentant de dégager l'autoroute Panaméricaine occupée, près de la ville de Perez Zeledon.

Visite annulée

Le président, Miguel Angel Rodriguez, a annulé une visite aux États-Unis prévue pour le lendemain, lui qui devait être le conférencier vedette au meeting de la Banque inter-américaine de développement, à la Nouvelle-Orléans (24-27 mars).

Selon le principal quotidien du pays, La Nacion, 80 % de la population costaricaine était opposée à la privatisation des services publics d'électricité et de téléphone; et elle a été rendue furieuse par la quasi unanimité avec laquelle elle a été trahie par ceux et celles qui la représentaient au Congrès, incluant la majorité des députés sociaux-démocrates de l'opposition officielle.

Sans compter que sept des dix congressistes dissidents accusaient depuis des semaines des politiciens bien en vue, autant de l'opposition (Parti social-démocrate de la libération) que du pouvoir (Parti social-chrétien uni) de posséder des intérêts économiques directs dans les industries de la téléphonie et de l'électricité.

Parmi ces politiciens figuraient le fils du président Rodriguez, Andres Rodriguez, l'ex-président du pays, Jose Maria Figueres, et le président du Congrès, Carlos Vargas Pagan.

Institutions nationales

Un autre ancien président costaricain, Rodrigo Corrazo, est venu appuyer le mouvement de protestation, déclarant à plusieurs reprises que, selon lui, le gouvernement a le devoir d'écouter son peuple, ses citoyens et que la privatisation signifiera la fin d'une époque où 97 % du pays bénéficiait du téléphone et de l'électricité .

Historiquement pour les costaricains, ajoute Corrazo, les institutions nationales sont un engagement en faveur des responsabilités civiques et de l'idée que la paix ne peut exister que si tous les citoyens ont les mêmes droits et services.

Passé les premiers jours, le mouvement de protestation n'a cessé de s'amplifier malgré les centaines d'arrestations et les dizaines de blessés. Déjà le 23 mars, l'Association nationale des employés du secteur public a donné un nouveau souffle au mouvement en annonçant une grève générale illimitée pour le 3 avril, si le projet de loi n'était pas révoqué d'ici là.

Écoliers

Déjà, la plupart des écoles et des collèges de même que plusieurs hôpitaux ont cessé leurs activités pendant que se multipliaient, dans tout le pays, blocages de routes et vigiles auxquels se mêlaient une impressionnante proportion d'enfants et d'adolescents. C'est que, plus tôt, le syndicat costaricain des travailleurs de l'éducation avait lancé un appel aux écoliers et à leur famille à participer activement à la démocratie , appel largement suivi par la population.

Le 25 mars, alors que le Congrès se déclarait en état de fermeture technique , le parti social-démocrate a annoncé que ses membres allaient voter contre le projet de privatisation en seconde lecture au Congrès, à moins que le gouvernement Rodriguez n'instaure un débat public sur son contenu.

Une semaine plus tard, soit le 2 avril, comme les manifestations populaires duraient toujours et que la grève générale était prévue pour le lendemain, le président a annoncé que le projet de loi était retiré pour 60 jours, afin de permettre à une commission indépendante de négociation d'analyser les modifications suggérées par les organisations populaires et les groupes syndicaux .

Il fallait d'autant plus calmer la colère populaire que, ce jour-là, le président brésilien Fernando Henrique Cardoso arrivait au Costa Rica, invité spécial d'un Sommet des présidents d'Amérique centrale qui devait s'y tenir trois jours plus tard.

Concession insuffisante

Mais le lendemain, la grève a quand même été déclenchée. Les deux ports du pays (Limon et Puntarenas) ont été complètement fermés, paralysant 90 % des importations et exportations du pays et la totalité de la distribution du pétrole vers et à partir de la raffinerie nationale. De plus, les universités de même que les administrations et services municipaux se sont joints au mouvement de grève.

Les leaders syndicaux et populaires qualifiaient de concession insuffisante la dernière mesure gouvernementale. Ils exigeaient toujours le retrait pur et simple du projet de loi de privatisation de l'ICE.

Finalement, le 5 avril, à quelques heures de l'ouverture du sommet, le gouvernement a annoncé que le projet de loi était retiré. Syndicats, leaders étudiants et groupes populaires ont mis fin au mouvement de grève la journée même. En plus du retrait du projet, ils ont obtenu, comme dans une vraie démocratie, de participer à l'élaboration d'un nouveau projet de loi qui devrait être présenté au Congrès en septembre prochain.

Lutte antidrogue et aide militaire américaine à la Colombie

Les marchands d'hélicoptère s'assurent des débouchés

Le 30 mars, la Chambre des représentants américaine a approuvé à 263 voix contre 146 une nouvelle aide militaire à la Colombie, cette fois de 1,7 milliard de dollars (un sommet!) pour les deux prochaines années. Cette aide inclut des hélicoptères d'artillerie et de poursuite ainsi que du matériel d'arrosage de produits chimiques défoliants sur les forêts pluviales.

Déjà, dans un éditorial du 9 février, le Washington Times suggérait qu'un sondage réalisé par le groupe Mellman, une firme de sondage proche du parti démocrate, allait influencer l'opinion américaine et le Congrès en faveur de l'octroi d'une nouvelle aide militaire à la Colombie.

C'est maintenant l'hebdomadaire Newsweek (édition du 3 avril) qui revient sur ce sondage, révélant qu'il a été commandité par le contractant militaire Lockheed-Martin.

En tant que fabricant des avions radar P-3 employés pour repérer et suivre les narco-trafiquants dans la jungle, y apprend-on, la firme avait tout intérêt à ce que les mesures américaines d'interdiction du trafic de drogue soient les plus dures possible. Mais Lockheed a rencontré de la résistance de la part des démocrates libéraux au Capitol.

Or, heureux hasard, le sondage Mellman (basé sur des entrevues téléphoniques avec 800 électeurs enregistrés ) concluait que les Démocrates étaient perçus comme faibles dans le dossier de la lutte antidrogue. De plus, il révélait que 56 % de l'électorat approuvait l'envoi d'un plus grand nombre d'avions radar dans les régions productrices de drogue ! À la question des coûts à ne pas dépasser, la réponse des électeurs était 0 deux milliards de dollars !

Relations incestueuses

Newsweek nous apprend aussi que les fabricants d'hélicoptère Textron et United Technologies ont versé 1,25 milliard $ aux deux grands partis politiques américains (Républicains et Démocrates) entre 1997 et 1999.

En 1999, par exemple, United Technologies qui, jusque là, favorisait les Républicains, a opéré un virage stratégique et versé

500 000 $ à différents comités démocrates. De ce total, dans la seule journée du 31 décembre 1999, un montant de 75 000 $ serait apparu dans les comptes du parti. Onze jours plus tard, les Démocrates parlaient pour la première fois d'un nouveau plan d'aide à la Colombie.

Dans un article d'opinion, le San Francisco Examiner du 15 mars dénonce les relations incestueuses entre le commerce et la politique en matière de lutte antidrogue . Ainsi Tom Umberg, l'architecte du plan d'aide approuvé le 30 mars, vient de passer du Bureau de lutte antidrogue de la Maison Blanche à une firme d'avocats importante (Morrisson & Foerster) où il représentera la Colombie et d'autres pays latino-américains dans des dossiers commerciaux.

Injecter 1,7 milliards $ en Colombie, conclut Arianna Huffington, l'auteure de l'article, alors que le pays est en pleine guerre civile, c'est bien plus qu'une mauvaise décision; c'est de la folie pure! |189| 
661|Un ministère Juste pour rire|Anne-Marie Tremblay|

Budget Landry 0 30 millions à un organisme dirigé par Pierre-Marc Jonhson !



Lors du dépôt du budget, M. Bernard Landry, ministre des Finances, annonçait un investissement d'environ 100 millions $ pour la culture, mais dont près du tiers ira à la Société des événements majeurs internationaux du Québec, une société créée... le 8 mars 2000, soit six jours avant l'annonce du budget !

Les principaux administrateurs de cette toute nouvelle société sont, selon l'Inspecteur des institutions, Pierre-Marc Johnson, ancien premier ministre du Québec, Adélard Guillemette, le sous-ministre de la Culture et Lucille Daoust, la sous-ministre déléguée au Tourisme.

Les détails concernant cet octroi au monde de la culture québécoise seront rendus publics par le ministre délégué au Tourisme, M. Maxime Arseneau ! Entre culture et tourisme, la ligne est mince au Salon bleu.

P.M. Johnson et la déontologie

Cette nouvelle société, qui court-circuite le Conseil des Arts, financera le Festival de Jazz de Montréal et le Festival des films du monde, qui ont un rayonnement international et touristique important.

Elle financera aussi le Festival Juste pour rire, dont le président du conseil d'administration est justement Pierre-Marc Jonhson. Celui-ci, rejoint au téléphone, expliquait qu'il ne faut pas faire de lien entre ses deux occupations. Nous sommes régis par un code de déontologie et, comme dans toute bonne démocratie qui se respecte, tout est fait en transparence.

Règle générale, en pareille circonstance, la transparence commande que les présidents de compagnie ne siègent pas sur les conseils d'administration des organismes qu'ils subventionnent.

Selon l'ex-premier ministre, l'octroi des 30 millions ne devrait pas être comptabilisé dans la culture, mais dans le tourisme. Même son de cloche de la part de l'attachée de presse du ministre Arseneau. Pourtant, en y regardant de plus près, on se rend compte que le tourisme est sous la tutelle du ministère de la Culture et des Communications ! De plus, le communiqué de presse présentant le budget culturel contient bel et bien les 30 millions attribués à la SEMI.

M. Landry, lors de son discours de présentation, se réjouissait en annonçant que 0 Même aux heures les plus ingrates de lutte contre le déficit, les moyens pour favoriser le développement et le rayonnement de la culture québécoise ont été préservés et se sont accrus. Pourtant, ce ne sont pas seulement des événements culturels qui seront soutenus par la nouvelle Société des événements majeurs internationaux. Loin de là.

Régates et grands prix culturels

Lorsqu'on examine la liste des événements qui seront financés par cet organisme, on se rend compte que peu sont réellement de nature culturelle. On y retrouve, par exemple, les Régates de Valleyfield , soutient Richard Messier, coordonnateur pour le mouvement des arts et des lettres (MAL), un mouvement créé en automne dernier pour défendre les droits des artistes. Selon lui, il n'est pas non plus exclu que le Grand Prix de Montréal et l'Omnium de tennis soient aussi financés par cet organisme. Ce que confirme Pierre-Marc Jonhson.

Notre mandat, c'est de soutenir un secteur de l'économie qui prospère et qui profite au Québec. Bien sûr que nous soutiendrons des événements de divertissement, mais il faut voir que la plupart d'entre eux donneront des emplois à des artisans. explique Pierre-Marc Johnson.

Ça fait deux ans qu'il n'est pas entré autant d'argent dans la culture et tout le monde me crie après. C'est un non-sens! , s'exclamait hier à la Presse Agnès Maltais, ministre de la Culture et des Communications. Richard Messier explique, en réponse 0 Le gouvernement n'a pas à se vanter qu'il a investi beaucoup dans la culture ! Un tiers du budget culturel est lié au tourisme et au divertissement sans lien avec celle-ci.

Nous n'avons rien contre le fait que les festivals, les régates, et les grands événements soient financés. Mais c'est difficile à accepter quand on voit que cet argent ira dans les poches des producteurs, des administrateurs et des entreprises qui organisent ce genre d'événement, alors qu'on réclame plus d'argent pour les créateurs souligne Richard Messier.

Le MAL devrait bientôt rencontrer la ministre Maltais afin d'éclaircir ce dossier qu'elle n'a aucune raison de défendre, à moins que les millions que le Conseil des arts et des lettres verse annuellement aux événements majeurs soient assignés au budget des arts d'interprétation puisque les festivaliers sont plus à l'aise avec le tourisme.|188| 
662|Quand Sylvain Vaugeois parle de salaires|Pierre dubuc| Quand on réussit, il y a le mépris. Les gens sont d'une jalousie terrible. On a une vielle culture de bas de laine. Et il est temps que ça change. Sinon ma fille de 15 ans ne restera pas ici. Ailleurs, les gens gagnent quatre fois, cinq fois, six fois les salaires qu'on gagne ici .

Ces propos sont de Sylvain Vaugeois, l'instigateur de la Cité du multimédia, celui qui a convaincu le ministre Landry à verser à Ubisoft 25 000 $ par année par emploi créé. Dans l'entrevue d'une page que lui consacre Le Devoir, il explique la présence d'entreprises comme Ubisoft au Québec 0 la main-d'œuvre ne coûte pas cher ! You bet !|188| 
663| J'suis pas raciste. C'est juste que... |Pierre dubuc|C'est sans doute l'expression qu'ont utilisée (en anglais) Scott Niedermayer des Devils du New Jersey et Marty McSorley des Bruins de Boston après avoir asséné des coups de hache à la tête de Peter Worrel et Donald Brashear, deux joueurs noirs. Alors que le hockey était jusqu'à tout récemment un sport joué par des Blancs et regardé par des Blancs, il devient de plus en plus populaire chez le Noirs américains.

Est-il permis de croire que les joueurs blancs, particulièrement les goons qui gagnent des millions en patinant sur la bottine, aient une attitude raciste devant l'arrivée des jeunes noirs qui risquent de leur voler leur job , lorsqu'on connaît les qualités athlétiques des noirs comme le démontre la pratique des autres sports professionnels ? Nos journalistes sportifs devraient s'intéresser à la question plutôt que de commenter pour la millième fois l' Émeute du forum . Avec les Nègres blancs, il y a aujourd'hui des Nègres noirs.|188| 
664|Aidez-la quelqu'un !!|Pierre dubuc|Pour justifier son salaire annuel de 185 000 $, Nycol Pageau-Goyette, la pdg d'Aéroports de Montréal (ADM) révélait au Devoir (11/03/00) travailler 110 heures par semaine. Un petit calcul nous dit que ça représente 16 heures par jour six jours par semaine et un petit 14 heures une autre journée, sans doute le dimanche. Pas surprenant que ça soit aussi mal géré !|188| 
665|Nos université à l'heure de la mondialisation|Pierre dubuc|L'UQAM accorde à des orthodoxes juifs, les Lubavitcher, des programmes en anglais. Les HEC offriront dès l'automne un MBA en anglais à un groupe d'étudiants chinois. Quant à l'Université de Montréal, elle exige la connaissance de l'anglais de la part de nombreux membres de son personnel, sans par ailleurs s'assurer de la qualité du français de ses futurs employés, nous apprennent le représentants de trois de ses syndicats (Le Devoir, 11/03/99).

De plus, à l'UdeM, le nombre de thèses rédigées en anglais ne cesse de croître. On apprend également que les instructions d'utilisation des appareils des laboratoires de recherche ne sont pour la plupart disponibles qu'en anglais, de même que les consignes de sécurité correspondantes, ce qui n'est pas conforme aux exigences de la CSST.|188| 
666|Claude Picher traite son collègue Michel Girard de bouffon|Pierre dubuc| Il ne manquera probablement pas de bouffons, dans le paysage, pour reprocher à Paul Martin de baisser les impôts des riches , écrivait Claude Picher en première page de La Presse (29/02/00) au lendemain du budget Martin.

Quelque jours plus tard, son collègue Michel Girard titrait sa chronique 0 Martin soigne les gros actionnaires (La Presse 01/03/00). Après avoir expliqué en détails la nouvelle réduction d'impôts sur les gains en capital et le report d'impôt sur options, Girard conclut 0 Où était l'urgence d'accorder plus de 300 millions d'économies d'impôts aux plus nantis ? .

Bouffon, va !|188| 
667|Entendu à la radio|Jean-Claude Germain|L'animateur du Midi-Quinze rappelle à la ministre de l'Emploi, Diane Lemieux, le préjugé favorable du gouvernement Lévesque envers les travailleurs. Est-ce toujours le cas ? demande-t-il. Après un long silence, la ministre répond qu'elle est plutôt d'équilibre. Le professeur Morin, qui assure le commentaire, fait alors remarquer que le code du travail existe pour défendre les droits des travailleurs. Dans ce contexte, prôner l'équilibre, c'est avoir un préjugé favorable pour le patronat ! La ministre du Travail n'est pas ministre de l'Emploi pour rien.|188| 
668|Une île, une ville, un ouapitte|Jean-Claude Germain|À l'initiative du Festival des oiseaux, une consultation populaire se tient, ces jours-ci, afin de choisir un oiseau emblème pour Montréal. Jusqu'à maintenant, six candidatures ont été retenues pour remplacer le coq du Saint-Hubert BQQ 0 le chardonneret jaune, le faucon pèlerin, le grand héron, le merle d'Amérique, la mésange à tête noire et le petit-duc maculé.

Aucune de ces propositions aviaires ne répond à la première exigence de la fonction qui est celle d'être exclusivement un oiseau de ville. L'aut'journal propose donc un oiseau qui est une merveille d'adaptation urbaine 0 le ouapitte, qu'on connaît également sous son nom savant de wapittus urbanicus par opposition au wapittus sylvanicus, deux membres de la famille des échassiers à huppe, dont le plumage mataché est rehaussé par un col bleu de travail, en ville, et une bavette vert camouflage, en campagne.

Parfaitement adapté à son environnement, le ouapitte urbain a une patte plus longue que l'autre, celle de droite chez les mâles, et, de gauche, chez les femelles. Cette anomalie permet au ouappitte de longer les chaînes de rues avec une patte sur l'asphalte de la chaussée, et l'autre, sur le ciment du trottoir.

Dans la saison des amours, les mâles, qui couplent aux femelles du trottoir d'en face, doivent traverser les artères de la métropole, au risque de leur vie, et, on espère bien qu'après la reconnaissance du ouapitte comme oiseau emblème de Montréal, on ajoutera une vignette à son effigie sur les feux de circulation, entre celles qui protègent déjà le piéton et le cycliste, de la vindicte des automobilistes.

Travailleur de rue, compagnon des riches et des humbles, comparse des filles perdues et des mauvais garçons, le ouapitte fait le trottoir en permanence. C'est l'oiseau marcheur par excellence.

À toute heure du jour ou de la nuit, les citadins accusent sa présence au son caractéristique de son chant, qui marque chaque pas de sa démarche claudicante, en égrenant un chapelet de stie ! stie ! stie ! sourds et colériques. Nul montréalais ne peut demeurer insensible à cet oiseau grognon qui sait incarner avec autant d'éloquence la grogne qui est aux grandes villes ce que l'ivresse est aux profondeurs de la mer.|188| 
669|Honte au Devoir !|Pierre dubuc|Dans son édition du 30 mars, le journal Le Devoir publie une longue entrevue avec l'ancien ministre péquiste Claude Morin sur la Révolution tranquille. Comment peut-on accorder quelque crédibilité que ce soit à un individu qui a reconnu avoir été un agent à la solde de la Gendarmerie royale du Canada ? ! YouYou Le Devoir ! Y a-t-il quelqu'un à la barre de ce journal ? À moins que...|188| 
670|Les enfants de Duplessis et de notre Sainte-Mère l'Église|Raymond Lévesque| Si le Christ est ressuscité, depuis il est mort à nouveau en plusieurs occasions. La sainte Église catholique s'en est chargé de diverses façons 0 bûchers, procès, torture, racisme, exclusion, massacre en tous genres. Rappelons-nous seulement Simon de Montfort et les Albigeois. Rappelons-nous les Croisades avec ces montagnes de cadavres, du sang jusqu'aux genoux. Où était la bonté, la miséricorde, la tolérance dans tout cela ? Sans doute tapies quelque part car elles ne se sont point montrées.

L'Église de ma jeunesse avec son clergé-gestapo n'a rien eu à faire avec Notre Seigneur Jésus-Christ. Ce n'était qu'une immense organisation au coeur fermé, sans miséricorde, terrorisant et condamnant à tour de bras. Toute sa générosité et sa bonté se résume dans ce simple mot 0 bâtard. Ces petits êtres innocents qui avaient le tort de naître hors les normes établies par l'église. Ils étaient sur le champ marqués au fer rouge, condamnés, rejetés. Lorsque l'on songe au miracle de la naissance, qu'y a-t-il de plus cruel ? Il faut avoir une âme bien basse et un coeur noirci pour faire une telle chose.

Et les filles-mères ? Le même sort. Je me rappelle lorsque j'allais voir un ami qui chauffait les fournaises chez les soeurs de la Miséricorde, en traversant de longs couloirs, j'apercevais des filles, enceintes de six-sept mois, lavant les planchers à quatre pattes sous la surveillance d'une bonne soeur garde-chiourme .

Je les vois encore, ces curés de ma jeunesse, sorte de Gestapo, surveillant et terrorisant le bon peuple ; censurant, se mêlant de tout.

Je les revois, en chaire le dimanche, traitant leurs ouailles comme du poisson pourri... en parlant d'argent...toujours d'argent. Il fallait que les gens soient bien écrasés pour accepter cela. Mais l'Église a fait la même chose partout ; une immense machine à culpabiliser et à détruire les âmes. Et l'enfer... et ce Dieu sans amour qui nous surveillait et nous attendait avec une brique et un fanal. Comme tout cela était beau, plein d'amour et rempli d'espoir. Et la chair, ce fameux péché nous vouant à tous les enfers.

Je me suis rendu compte, un jour, que ces gens n'avaient pas une vie normale. Le monastère ou le presbytère créent des êtres seuls, affreusement seuls, avec une vie rigide, sans amour, sans tendresse qui, à la longue, déshumanise. Ces hommes et ces femmes, frustrés, écrasés, deviennent, sans s'en rendre compte, quasi-inhumains. Il faut les approcher pour déceler, sous un vernis trompeur, la froideur de leur coeur. Mais il faut chercher à comprendre. Vous souvenez-vous comment étaient vêtues ces religieuses dans de lourdes robes pleines de surplis avec un bonnet qui leur enserrait complètement la tête ? Essayez de vivre ainsi pendant une semaine et vous deviendrez carrément enragé. Ces vêtements, plus ces longues sessions de prières ou vêpres en tous genres. Cela peut rendre fou n'importe qui.

Les enfants de Duplessis ont été les victimes de serviteurs de Dieu, écrasés par un carcan, une vie carrément inhumaine. En plus ces femmes étaient débordées, écrasées par une tâche au-dessus de leur force. Alors certaines devinrent sadiques, haineuses, méchantes. Et les enfants, en trop grand nombre, terrorisés, souvent violentés, connurent une vie triste qui marque jusqu'à la fin de la vie. Et ce drame d'enfants normaux qui, pour une question d'argent, furent, du jour au lendemain, catalogués comme débiles, ce n'est pas une histoire inventée. Cela va très bien avec l'Église et le régime politique de cette époque.

Tout ce qui relève des orphelinats de ce temps est véridique. Trois mille personnes ne peuvent inventer une histoire qui ne serait pas vraie. L'affaire des enfants de Duplessis est un crime qui exige réparation.|188| 
671|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois|La ministre fédérale des Ressources humaines souffre du syndrome de l'écureuil 0 elle cache des trésors pour utilisation ultérieure mais ne sait plus les retrouver par la suite. Incapable de fournir des explications cohérentes sur l'utilisation de fonds d'un milliard de dollars, Jane Stewart doit avoir recours aux limiers de la GRC pour en retracer la distribution.

Si on se fie aux premiers résultats de cette recherche, il semble bien que ce soit du côté de l'organisation politique du Parti libéral du Canada (PLC) qu'il faille chercher ces argents supposément prévus pour distribution non-partisane. Il y a fort à parier que les organisateurs de campagnes électorales et les principaux bailleurs de fonds du Parti accumulent, chacun de leur côté, les sommes nécessaires aux prochaines élections fédérales. Pourquoi se le cacher ? En démocratie parlementaire, les votes s'achètent à coups de promesses et de faveurs de toutes sortes.

Et plus près de chez nous

La situation n'est guère mieux au Québec où le ministre des Finances, Bernard Landry, a laissé dormir 841 millions $ dans une banque torontoise pendant un an, serrant la ceinture à tous les organismes publics dont son gouvernement devait assurer la responsabilité, fermant des hôpitaux complets alors qu'on manque de lits, forçant des infirmières à la retraite, retardant des chirurgies urgentes, etc. pour pouvoir, soudain, dans un budget précédant une élection, sortir ses millions du sac et poser en biais de ridicules baisses d'impôts qui ne profitent vraiment qu'aux nantis. En effet, des citoyens parmi les plus nécessiteux (les couples dont l'unique salaire atteint 20 000 $ par année) pourront disposer chaque semaine de 1,50 cents de plus. La belle affaire !

Et les riches ont tous les droits

Bien entendu, nulle mauvaise foi n'est ici en cause. Pas plus d'ailleurs que dans le cas d'une décision, remontant à 1991, du ministère fédéral du Revenu, qui permettait à une riche famille de Montréal (les Bronfman) de transférer à l'extérieur du pays des actifs d'une valeur de deux milliards de dollars sans payer d'impôts. L'affaire a été rendue publique grâce à un citoyen de Winnipeg, George Harris, qui tente d'obtenir un recours collectif, au nom de tous les citoyens canadiens, pour contester cette injustice.

Un tribunal de première instance a donné raison à Monsieur Harris, mais Revenu Canada conteste cette décision qui sera portée en cour fédérale d'appel. Le juge Francis Muldoon, qui a rendu cette décision, a mis ses culottes et n'a pas hésité à affirmer qu'une société libre et démocratique n'est pas une société dans laquelle le gouvernement devrait être autorisé à faire d'énormes concessions fiscales au profit de quelques personnes et au détriment de plusieurs autres qui, comme en bons petits serfs, doivent se taire et ne jamais se plaindre .

Plus pour les riches, moins pour les pauvres

Et pourtant, comme le rappelait notre camarade Michel Bernard dans L'Utopie néolibérale 0 Au Québec, de 1975 à 1995, le salaire réel des travailleurs (compte tenu de l'inflation) a diminué de 18%. Pendant ce temps, celui des dirigeants d'entreprises augmentait de 19% avant impôts (66% après impôts) .

Un barème de majorité claire

Nous prions nos camarades anglophones de noter que, dans le cas d'un référendum tenu récemment à l'Université McGill en vue de remettre en question une entente intervenue entre l'administration universitaire et la compagnie Coca-Cola, une majorité de 56% des votes a semblé suffisante pour provoquer une réouverture du dossier. S'agit-il de la majorité claire qu'exigent par ailleurs les fédéralistes dans le cas d'un référendum portant sur l'éventuelle indépendance du Québec ?

Un prof qui se tient debout

Chapeau au professeur Thomas Ingersoll, agrégé d'histoire à l'Université de Montréal depuis dix ans, qui a démissionné, le mois dernier, pour dénoncer la présence envahissante de l'affichage publicitaire sur le campus de l'institution. Il refuse d'être associé au système capitaliste que prônent les affiches. Selon lui, les grandes corporations entendent faire main basse sur les universités et leurs ressources. Le professeur Ingersoll fait preuve d'une comparaison avec ses 1500 collègues qui, de l'aveu même du président du syndicat des professeurs, Yves Lépine, sont indifférents au débat sur la publicité.|188| 
672|Le peuple souffrait et soudainement le budget tomba du ciel…|Michel Bernard|

Mangez de la manne!



Au fédéral, réductions d'impôts de 58 milliards sur 5 ans, à Québec 4,5 milliards sur 3 ans. Hier encore, on coupait les cents en deux ; aujourd'hui, miracle !, la manne tombe du ciel. Louche, très louche. Le PQ demandait aux gens de dormir un an sur leur chirurgie cardiaque pendant que se poursuivait la réflexion sur l'usage des 841 millions. Tout cela démontre que les coupures, les souffrances ont été inutiles et inspirées par un pessimisme budgétaire artificiel, une bureaucratie aveugle et insensible autant à Ottawa qu'à Québec.

Des réductions d'impôts de 9 300 $

Martin et Landry, les amis des spéculateurs, viennent d'introduire une anti-taxe Tobin en réduisant de 75% à 66,6% la proportion des gains de capitaux sujets à l'imposition, c'est à dire le gain que l'on fait en vendant des actions plus cher que ce qu'elles nous ont coûté. Pendant que les travailleurs vont peiner, les spéculateurs vont s'enrichir davantage de leurs tours de passe-passe sur les actions à la Bourse.

Le ministre Landry n'a pas oublié les bien lotis. Les revenus imposables excédant 50 000 $ étaient imposés au taux de 26% ; désormais, les revenus excédents 52 000 $ seront imposés à 24%. Remarquez que l'impôt des revenus moyens de 26 000 $ à 52 000$ ne baisse que de 1% , soit de 23% à 22%, alors que l'imposition des revenus élevés passe de 26% à 24%.

Prenons l'exemple d'un célibataire qui obtient un revenu d'emploi de 120 000 $ et 50 000 $ de gain de capital et comparons son impôt à payer en 1999 et en 2004.

Comme on le voit, les budgets combinés réduiront le compte d'impôt de notre ami assez fortuné de 3 068 $ au fédéral (41 235 $ - 38 167 $) et de 4 240 $ au provincial (38 700$ - 34 460$) dont respectivement 1 208 $ et 1 000 $ dus à la réduction de l'imposition du gain de capital.

Au fédéral, les hauts revenus restent imposés à 29%, mais on élimine progressivement la surtaxe ce qui fait une réduction de près de 2 000 $ dans notre exemple. Cela fait quelque 9 300 $ de réduction sans compter l'effet des autres crédits d'impôt. C'est 3 000 $ au-dessus du barème de l'aide sociale en réduction d'impôt pour un revenu de 170 000 $ comme dans notre exemple.

Mario Dumont parle en fou de la dette

Dumont a encore parlé en fou de la dette de 100 milliards, sans tenir compte des services obtenus des équipements ainsi financés. Par exemple, si le gouvernement emprunte 1 milliard pour financer un barrage ou un pont qui durera 150 ans, les jeunes ne peuvent affirmer que les générations précédentes leur laissent une dette de disons 600 millions puisque leur génération et celles qui suivront utiliseront ce pont. Et que dire des barrages qui seront des vaches à lait pour les générations futures.

Que penseriez-vous d'un père de famille qui vendrait la maison pour payer l'hypothèque? Il présenterait un beau bilan de fin d'exercice dans lequel la dette hypothécaire aurait disparu. Mais sa famille serait dans la rue. À logement comparable, il faudrait maintenant qu'il paie un loyer pour loger sa famille. En somme, il aurait sensiblement la même obligation financière, même si aucun passif n'apparaîtrait à son bilan. On voit l'illusion. Il paierait un loyer plutôt que des intérêts. Dumont parle de réduire la dette en politicien pour se faire du capital politique auprès des jeunes.

Des comparaisons biaisées avec les États-Unis

Les patrons et leurs porte-queue ont encore pleurniché en chœur sur l'écart entre le taux d'imposition du Québec et celui de l'Ontario et de l'Alberta. Des comptables se paient des pages entières dans La Presse pour imposer l'idéologie néolibérale, dénoncer les dépenses de programmes. Avec leur rapacité coutumière, ils auraient voulu que les 2/3 des surplus soient consacrés aux baisses d'impôt et le 1/3 aux dépenses de programmes. Landry a résisté en faisant en gros le contraire.

Évidemment, leur comparaison est toujours boiteuse parce qu'ils ne tiennent pas compte des services qui sont publics ici, mais privés ailleurs. Taillon, Audet, Ponton, Dubuc, Picher, Radio-Canada et les patrons font encore des comparaisons avec les États-Unis sans mentionner que les Américains et les compagnies doivent payer de 400 $ à 1 200 $ par mois pour l'assurance santé privée.

Le Sénat américain, à majorité républicaine a approuvé le 30 juillet un projet de loi prévoyant des réductions de 792 milliards d'impôts au cours des dix prochaines années. Clinton vient de proposer des baisses d'impôts de 250 milliards. L'imitation du modèle américain, la nécessité de les concurrencer qu'exigent les patrons québécois sera toujours un rattrapage vers le capitalisme sauvage et vers l'État minimal. Dans leur démarche néolibérale, patrons et riches feront encore tourner la même vieille cassette dans 10 ans.

Des coûts qui n'apparaissent pas aux livres

On nage dans les milliards… autant au Québec qu'au fédéral. Illusion que tout cela, car ces excédents ont été constitués en accumulant un passif non montré aux livres qu'il faudra maintenant payer dix fois plus cher. La comptabilité nationale fédérale nous dit que l'économie canadienne a crû de 4,2% en 1999, que les bénéfices des compagnies ont augmenté de 25%, mais elle n'inscrit pas les incommensurables coûts humains et environnementaux liés à cette croissance.

Le vrai passif qui affectera les générations à venir n'est pas porté aux comptes. Un gouvernement qui organise le pillage de ses forêts en les livrant à des entreprises en majorité étrangères, qui privatise le transport ferroviaire et aérien, aussitôt fermé dans les régions jugées non rentables, qui révise à la baisse ses lois environnementales et ses règlements de zonage constitue un passif non répertorié aux livres.

Le gouvernement qui coupe sévèrement dans ses universités, qui envoie à la retraite prématurée professeurs expérimentés, médecins, infirmières compétentes, qui reporte l'achat d'équipement, qui contingente les programmes universitaires en médecine, qui coupe dans la culture, est félicité pour ses baisses d'impôts, mais il est évident que les sévères coupures de l'exercice courant se traduiront par des coûts décuplés plus tard. Landry parlait de fermer des facultés universitaires, Rochon et Legault de rapprochement avec les compagnies; c'est Coke ou le King du tapis qui dicteront quelles facultés universitaires demeureront ouvertes.

Ils coupent dans la dignité

Sur le thème des coûts cachés de nos réductions d'impôts, Foglia a trouvé la formule exacte eu égard aux centres d'hébergement de longue durée0 Ils ont coupé aussi dans la dignité. On ligote physiquement et chimiquement les vieillards dans les foyers qui manquent de ressources.

Ils perdent toute dignité laissés en pyjama devant la télé à la journée longue, mal lavés, mal nourris, drogués, intimidés, traités avec une familiarité déplacée par des préposées qui jouent au docteur avec les médicaments. À une dame digne qui demande d'aller aux toilettes, on répond de faire dans sa couche, on la changera en fin de journée quand elle sera bien pleine.

Il faut dire qu'un préposé aux bénéficiaires doit s'occuper de 20 ou 30 patients pour que les investisseurs augmentent leurs profits ou pour rentrer dans les coupures de Bernard Landry. Les vieillards sont coupables de vivre, tout en n'étant plus capables de produire. Ils n'ont plus rien à échanger, il ne sont plus rien dans ce merveilleux monde néolibéral qu'on nous installe progressivement. Reste-t-il une dignité rattachée intrinsèquement à la condition humaine ? Non, la valeur n'est plus rattachée qu'à l'individu compétitif, participant à la croissance, qui fait grossir le PIB.

Le budget ne contenait pas l'inquantifiable, le coût de l'aberrante idée de l'homme qu'entretient le PQ, de la vie absurde que nous fait vivre cette obsession finalement autodestructrice pour l'efficacité, la croissance et la compétitivité.|188| 
673|Pour des états généraux du syndicalisme|Pierre Klépock|

Entrevue avec Serge Roy



Fort de ses 40 000 membres, le SFPQ milite activement pour revaloriser le travail des fonctionnaires du Québec. Nos membres sont des personnes à votre service. Mais avec des ressources limitées, il est difficile d'assurer une redistribution équitable des services sociaux, garants des droits humains dont les fonctionnaires s'occupent , déclare Serge Roy, président du SFPQ depuis 1996

A.J0 Pourquoi le SFPQ a-t-elle refusé de participer au Sommet de la jeunesse?

Serge Roy0 L'expérience du Sommet socio-économique de 1996 nous a démontré que ce type d'exercice était fait pour endosser la politique de droite du gouvernement péquiste. Nous refusons, au SFPQ, d'être les partenaires complaisants d'un gouvernement qui met de l'avant des politiques de désengagement de l'État. Les véritables questions concernant la jeunesse n'ont pas été posées lors de ce sommet, comme la gratuité scolaire et le dossier des clauses discriminatoires.

Cet exercice a été un glissement dangereux pour la démocratie. Les groupes de lobbying étaient choisis à l'avance et il n'y avait aucune place pour les simples citoyens. Ceux qui voulaient véritablement changer les choses, de façon significative en matière de jeunesse, étaient plutôt au contre-sommet. De plus, le milliard d'investissements promis dans l'éducation était déjà prévu au budget.

Que pensez-vous du budget Landry?

Avec une réduction d'impôts sur trois ans, c'est un budget à saveur électorale. Le plus grave dans tout cela, c'est que les problèmes sociaux non pas été réglés. L'argent promis par Landry ne corrigera pas cette situation Le gouvernement et les médias nous disent que nous sommes les plus taxés en Amérique du Nord, mais ils oublient de dire à quoi servent nos impôts0 des services publics égaux pour tout le monde. Si on paye moins d'impôts ça va profiter à qui? À ceux qui ont des grosses poches.

La consolidation des services publics, le gouvernement n'en a pas parlé. Par exemple, il n'a aucun projet de développement des services sociaux, il a coupé dans les ministères de l'aide sociale, de la justice, ainsi que dans les organismes de protection de la jeunesse et de défense des droits et libertés. Ce qui constitue un véritable danger pour la démocratie. Dans le budget Landry, il n'y a aucun plan de justice sociale. Encore une fois, seuls les puissants vont réussir à s'en sortir.

Quel bilan faites-vous des négociations dans la fonction publique?

Il y a certains aspects positifs avec des gains importants à la convention collective, mais pas autant qu'on l'aurait souhaité. Le tiers de nos membres est à statut précaire et la dernière négociation a apporté certains correctifs là-dessus. Des emplois à plein temps vont être créés, 2000 de nos membres obtiendront leur permanence. Côté salarial, nos membres sont très satisfaits, ils obtiendront la même chose que le Front commun CSN, CEQ, FTQ, soit 9% d'augmentation.

Toutefois, nous étions en position de faiblesse sur certains points comme la sous-traitance, la précarité, l'augmentation de la violence en milieu de travail, les coupures. Là-dessus le gouvernement n'a pas pris de gros engagements, car il n'y a pas eu d'unité syndicale large entre les syndicats indépendants et les grandes centrales.

Il serait souhaitable de mettre sur pieds des État généraux du mouvement syndical pour savoir où on va. Par exemple, le partenariat patronal-syndical ne fait pas avancer la cause des salariés. Certains appareils syndicaux en profitent, mais pas l'ensemble des travailleurs et travailleuses. À notre congrès de 1999, notre assemblée s'est prononcée contre le partenariat.

Qu'est ce que le projet de loi 82 sur l'administration publique?

Ce projet de loi vise à moderniser la gestion gouvernementale de la fonction publique. Comme en Grande-Bretagne ou dans l'Ouest canadien, ce projet veut privatiser un grand nombre de services publics. Avec cette loi, les services publics seraient gérés comme dans le secteur privé et le rôle de l'État serait remis en question. Les résultats seraient quantifiés, mais la qualité des services ne serait pas, quant à elle, mesurée. L'accès égal des services publics à tous les citoyens serait donc mis en péril. De quelle façon allons-nous traiter les dossiers pour atteindre ces résultats? Encore une fois, cette réforme comporte des risques énormes pour la démocratie. On risque de retourner en arrière comme dans les années 30 et 40.|188| 
674|Vidéotron débranche les télévisions communautaires|André Pelchat, Victoriaville|Le câblodistributeur Vidéotron vient d'annoncer à la télévision communautaire des Bois-Francs (TVCBF) de Victoriaville, qu'elle serait expulsée du canal communautaire et privée de l'accès à l'équipement de production le 20 mars prochain. L'entente signée entre Vidéotron et la TVCBF n'expire pourtant qu'au mois d'août et, aux yeux de plusieurs membres de la TVCBF, le geste du câblodistributeur se rapproche dangereusement d'un bris de contrat. Pour la région des Bois-Francs, le choc est rude car la télévision communautaire est le seul médium télévisuel local. La région des Bois-Francs se mobilise donc pour sauver sa télévision communautaire.

Le maire de Victoriaville, M. Croteau, a d'ailleurs écrit une lettre à la direction de Vidéotron, exprimant son mécontentement face à cette décision. Je voudrais vous rappeler que la TVCBF n'est pas un jouet vidéo pour Victoriaville mais bien un outil de développement collectif que notre population s'est donnée, il y a plus de 25 ans. peut-on lire dans la missive, reproduite dans les journaux régionaux.

Sept télévisions communautaires débranchées

La situation est loin de concerner uniquement la région de Victoriaville. Vidéotron semble vouloir éliminer de son réseau tous les organismes autonomes de production télévisuelle. Sept télévisions communautaires ont été débranchées récemment, surtout dans la région de Montréal, en invoquant comme prétexte que les émissions produites par ces organismes sous financés ne répondaient pas aux critères de qualité de Vidéotron . Leur programmation est remplacée par celle du canal dit Vox qui diffuse des émissions animées par des vétérans du privé tels Pierre Marcotte ou Jacques Duval.

Mme Diane Legris, responsable du dossier chez Vidéotron a d'ailleurs déclaré que d'autres fermetures vont suivre dans la région métropolitaine. En attendant, on annonce celles de Victoriaville et de Québec.

Lors d'une conférence de presse tenue à Victoriaville, mercredi le 8 mars, Mgr Raymond St-Gelais, évêque de Nicolet, les députés fédéraux Odina Desrochers (Bloc québécois) de Lotbinière et André Bachand, (Conservateur) de Richmond-Arthabaska sont venus manifester leur appui à la TVC. Le député provincial et ministre des Transports, Jacques Baril, s'était fait représenter.

Du côté du Bloc Québécois, on demande que le CRTC décrète un moratoire sur les fermetures de télévisions communautaires. Deux représentants de la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec ont d'ailleurs dit contester la légitimité et même la légalité d'utiliser un canal réservé à la programmation communautaire, avec les fonds destinés à cette programmation, pour créer ce qui est, somme toute, un réseau commercial déguisé, véhicule corporatif du câblodistributeur. Dans une entrevue à la radio publique, Mme Legris parlait d'ailleurs de l'intention de Vidéotron d'exploiter le canal communautaire...

L'impact de la déréglementation

Des représentants de la TVCBF doivent rencontrer la semaine prochaine Mme Françoise Bertrand, présidente du CRTC, afin de demander que l'organisme fédéral responsable des communications procède à une évaluation des impacts de la déréglementation en vigueur depuis 1998 sur les médias régionaux et communautaires. Une rencontre a déjà eu lieu avec la ministre provinciale de la Culture et des Communications, Agnès Maltais, qui s'est engagée à faire pression sur Vidéotron et sur le CRTC pour stopper le mouvement actuel d'extinction des TVC.|188| 
675|515 jours de résistance|Pierre Klépock|

Un conflit et une victoire exemplaires



Après 17 mois de grève - durée record pour un conflit de travail entre une municipalité et ses salariés au Canada - les 134 ouvriers cols bleus de la ville de Verdun sont retournés au travail la tête haute, le 27 février dernier. Le message est maintenant passé à toutes les autres municipalités, si le patronat veut s'attaquer à un syndicat de cols bleus, les boss n'ont qu'à bien se tenir , a déclaré Maurice Rolland, président du syndicat.

Membres de la section locale 302 du SCFP-FTQ, les syndiqués ont accepté, par un vote majoritaire de 87%, l'entente de principe obtenue avec le cheuf de Verdun, le maire Bossé. Dorénavant, la convention collective prévoira un plancher d'emploi de 134 employés, soit le niveau actuel, et l'ancienneté sera respectée dans le cadre des mouvements de personnel. Ces deux points en litige formaient le principal cheval de bataille des cols bleus.

Rappelons que la municipalité voulait tout simplement casser le syndicat et se débarrasser de ses cols bleus, pour les remplacer par des personnes payées au salaire minimum. Si le maire Bossé veut embaucher du monde, il devra les payer au salaire prévu par notre convention collective , ajoute Paul Bélisle, vice-président du syndicat.

Une convention dans l'béton

Le syndicat a réussi à stopper l'hémorragie de la sous-traitance, à maintenir les acquis de ses membres et la semaine de travail sera réduite en moyenne à 35 heures et demie sans perte de salaire. L'entente, rétroactive au 1er janvier 1997, prévoit aussi une bonification du fonds de retraite et une augmentation de salaire représentant l'augmentation de l'indice des prix à la consommation pour la région de Montréal (IPCM).

De plus, un comité de santé-sécurité avec le droit de refuser d'exécuter un travail dangereux, sans sanction disciplinaire, sera maintenant inclus dans la convention collective. Toute question relative au bien-être des travailleurs est sujette à grief en cas de litige avec l'employeur, ce qui constitue une grande avancée. Aujourd'hui, on ne peut plus se fier à la CSST, ça va forcer notre boss à nous donner des conditions de travail sécuritaires , explique Paul Bélisle. Toutes ces nouvelles conquêtes seront coulées en lettres de béton dans une convention collective se terminant en 2002.

Une lutte de classe

Dans cette lutte pour le respect et la dignité des cols bleus de Verdun, le syndicalisme ouvrier, tant québécois que canadien, s'est senti interpellé. L'enjeu était de taille. Laisser la section locale 302 se faire écraser par le maire Bossé aurait créé un dangereux précédent dans les municipalités du Canada. C'est pourquoi plusieurs sections locales du SCFP ont fait parvenir des lettres de soutien et des montants d'argent pour alimenter la caisse de résistance de leurs camarades en grève. Au SCFP, la solidarité est grande, on n'a jamais été seul. Même si on est un p'tit groupe de travailleurs, on est capable de mener une bataille , conclut avec fierté Maurice Rolland. Malgré les répressions de toutes sortes qui frappaient les militants du syndicat, le patronat a perdu la bataille de Verdun.

« Les grands médias protègent toujours la classe des boss. Jamais ils ne reconnaissent la valeur des services rendus par les travailleurs, surtout cols bleus. Ils ne cherchent qu’à détruire le mouvement syndical », indique le syndicaliste Maurice Rolland. Paul Bélisle ajoute 0 « Dans notre conflit, ils n’ont jamais été impartiaux. L’aut’journal est le seul média qui rapporte vraiment ce que vivent les travailleurs. »|188| 
676|Un métier dangereux sous-payé|Pierre Klépock|

Grève des technologistes médicales



L'Association professionnelle des technologistes médicaux du Québec (APTMQ) regroupe 4 500 membres (il y a 5 000 technologistes au Québec) présentes dans quelques 120 établissements de santé. 85% sont des femmes. Elles vivent au quotidien le virage ambulatoire amorcé il y a quelques années 0 surcharge de travail, précarité d'emploi, rémunération inéquitable, non-reconnaissance de l'expertise, détérioration des conditions de travail. C'est à 70% que les syndiquées ont décidé de déclencher la grève, le 22 février dernier. L'aut'journal a rencontré Francine Genest, présidente de l'APTMQ, déterminée à défendre la profession et la qualité des services de laboratoire avec ses camarades.

A.J 0 Pourquoi êtes-vous en grève actuellement?

Francine Genest0 À la fin des années 1980, le gouvernement du Québec avait instauré des études en matière de relativité salariale, en l'absence de l'APTMQ. Lorsqu'est venu le temps de clore la négociation de 1990-91, nous étions en désaccord avec le reclassement inéquitable accordé aux techniciennes de laboratoire. Le gouvernement de l'époque s'était engagé à créer un comité conjoint d'étude avec l'APTMQ et à faire les ajustements salariaux qui s'imposeraient suite à ces travaux.

Malgré les études effectuées de bonne foi par l'APTMQ à ce comité, le gouvernement Bouchard refuse toujours d'apporter les correctifs salariaux qui s'imposent, afin d'éliminer, entre autres, la discrimination salariale entre les corps d'emploi à prédominance masculine et celui des technologistes médicales. Depuis le dépôt de nos demandes syndicales en juin 1998, nous nous battons sur la question du rangement salarial et de l'équité salariale. Le Conseil du trésor s'obstine à ne pas reconnaître ses propres données de l'étude de relativité salariale, afin de ne pas corriger ces inéquités.

Quel genre de travail font les technologistes médicales?

C'est nous qui travaillons pour détecter les virus comme l'hépatite et le sida, qui cultivons les bactéries, qui travaillons, en plus, avec des produits chimiques. Nous faisons face à des milliards de bactéries et il y a des risques d'infection. D'ailleurs, une de nos membre est morte d'une méningite. Nous avons des obligations de résultats car, par exemple, sur des milliards de cellules, il faut trouver la cellule cancéreuse et si nous ne la trouvons pas, le patient ne pourra pas être traité. C'est un genre de travail qui comporte de très grandes responsabilités.

Nous négocions depuis deux ans de façon ardue; il nous reste quelques petits points au plan normatif, qui pourraient être réglés en deux jours. Quand les infirmières étaient en grève illégale , M.Bouchard disait qu'il ne voulait pas négocier avec des gens en situation illégale. Nous, nous sommes en grève légale et il ne négocie pas plus. On ne comprend pas l'attitude du gouvernement qui ne veut pas reconnaître l'importance de notre travail.

Que pensez-vous du fait que le gouvernement déclarait ne pas avoir d'argent pour la santé et que, d'un seul coup, il trouve près d'un milliard sur un compte à Toronto?

Quand les techniciennes ont appris ça, elles se sont senties flouées. Ce n'est pas l'impossible que nous demandons, il s'agit d'environ 4% par année sur une convention de 3 ans pour nous donner la classification salariale dans laquelle on devrait être situées 0 c'est de l'ordre de 5 millions par année. Le conseil du Trésor, en début d'année, nous disait que les coffres étaient vides et, quelques semaines plus tard, le ministre des Finances, Bernard Landry, annonçait 841 millions cachés dans une fiducie à Toronto! Nos membres sont donc déterminés à obtenir justice. Là-dessus, on ne courbera pas l'échine et le gouvernement ne nous aura pas à l'usure.

Que pensez-vous du Conseil des services essentiels?

La loi des services essentiels prévoit d'assurer les services à 90%. Dans les hôpitaux, nos membres commencent à subir de très fortes pressions de la part des employeurs, car les impacts de la grève se font de plus en plus sentir. Nous devons faire intervenir le Conseil des services essentiels, car les employeurs forcent des technologistes à travailler. Il est évident que le Conseil des services essentiels limite le droit de grève, mais comme les technologistes étaient déjà surchargées de travail avant la grève, 10% des services qui ne sont pas accomplis, ça a des impacts importants. Nos revendications sont justifiées, le gouvernement ne peut les ignorer. Il doit négocier avec nous.|188| 
677|On est pas sorti du bois|Roméo Bouchard|

Un pour cent des travailleurs sont syndiqués



Pendant que les fusions ramènent en force le contrôle des grandes papetières américaines, sans doute pour s'assurer la mainmise sur les dernières forêts nordiques, la population manifeste de plus en plus la volonté de se réappropier cette ressource qui lui appartient. Pourtant, l'État québécois refuse de modifier substantiellement le régime forestier basé sur des contrats d'approvisionnement et d'aménagement de 25 ans aux entreprises forestières.

Le gouvernement avait réussi à faire croire à tout le monde que la forêt allait bien, qu'on reboisait, que le régime forestier instauré en 1987 était révolutionnaire, . affirme Pierre Dubois, coordonnateur de la Coalition pour la sauvegarde des forêts nordiques. La population a compris maintenant qu'il y a de sérieux problèmes, des risques réels de surexploitation et même de liquidation de ce bien collectif qui lui appartient. La population a pour ainsi dire renoué avec ses racines forestières. Un an après l'Erreur boréale, , ce qui a changé, c'est la perception populaire face à la forêt publique.

Cependant, la bataille pour revenir à une utilisation de la forêt qui garantisse sa préservation, sa régénération et son utilisation diversifiée sera longue et difficile.

Le régime actuel privilégie l'exploitation de la matière ligneuse par les grandes entreprises forestières. Il vise l'augmentation de la productivité par un aménagement forestier basé sur une hypothèse qui n'est pas vérifiée à l'effet que la forêt artificielle qu'on met en place produira davantage. Pierre Dubois se réfère notamment à des études récentes qui démontrent qu'une plantation qu'on a éclaircie produit à long terme des arbres plus gros mais pas nécessairement plus de bois au total. Devant l'appétit grandissant de compagnies forestières de plus en plus productives, les risques de surexploitation sont réels.

Partager la forêt

Pour ce qui est de la cohabitation des usagers, de la gestion intégrée en forêt et du partage de la ressource avec la population locale dans les forêts proches des communautés, le système des CAAF (Contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestiers) risque de continuer à en compliquer l'application.

Le problème, c'est que les CAAF servent de garantie aux compagnies forestières pour leurs emprunts. Ils ne veulent donc pas les partager, fait remarquer Pierre Dubois. De plus, la consultation de la population prévue lors de l'approbation des plans et du renouvellement des contrats est une consultation bidon. Il faut souhaiter qu'on oblige les compagnies à négocier avec les populations et avec les autochtones. Ce n'est pas vrai, comme on tente de le faire croire au public, qu'ils veulent empêcher la coupe, mais l'encadrer, soumettre les plans d'approvisionnement à des études d'impact, assurer un partage équitable de la forêt.

Des forêts naturelles témoins

Le ministère des Ressources naturelles est peu favorable à la demande de la Coalition en faveur de l'instauration d'aires forestières protégées. Nos gouvernements se sont engagés devant les organismes internationaux à protéger de 7 à 8% des espaces naturels. Dans la forêt nordique présentement, on ne protège guère plus que .03%!, nous rappelle Pierre Dubois. Comment peut-on protéger la biodiversité, si on ne préserve pas des forêts qui puissent au moins témoigner de la dynamique naturelle quand toute la forêt sera cultivée artificiellement? Les industriels manifestent plus d'ouverture sur ce point que nos gouvernements, qui ne veulent même pas en discuter avec nous.

L'État coincé entre les multinationales et la population

Ici comme ailleurs, la compétition internationale et la concentration des entreprises autour des conglomérats américains font pression sur le gouvernement pour qu'il consolide leurs acquis plutôt que de donner suite aux revendications des populations locales. D'ailleurs, ces populations profitent de moins en moins d'emplois de la part de ces entreprises modernes et voient les seules ressources qu'elles ont pour survivre diminuer rapidement.

Pierre Dubois rappelle l'importance que donne la Coalition à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs sylvicoles. L'aménagement forestier aurait pu devenir au Québec un secteur d'emploi majeur et valorisant pour de nombreux travailleurs manuels des régions forestières. Malheureusement, c'est devenu un travail précaire, sous-payé, dévalorisé, soumis à une cascade de sous-traitants telle que les travailleurs ne savent plus pour qui ils travaillent. La loi sur les forêts a détruit les accréditations syndicales0 1% seulement sont syndiqués. Contrairement à ce qu'on essaie de faire croire, ce n'est pas un problème de formation mais un problème de condition et d'organisation du travail.