La gestion mondiale de l'eau est en voie de privatisation

 


Selon Riccardo Petrella de retour de La Haye



C’est un Riccardo Petrella en pleine forme qui terminait le jeudi 13 avril dernier une tournée du Québec qui avait pour thème 0 « l’eau comme bien patrimonial de l’humanité ». Cette soirée-débat à l’UQÀM organisée par l’Association québécoise pour le contrat mondial de l’eau de concert avec les Amis du Monde diplomatique faisait salle comble et on y notait la présence de représentants de nombreuses autres associations. Avec cette chaleur toute méridionale qui le caractérise, il a relaté son expérience du deuxième Forum international sur l’eau qui se tenait à La Haye du 17 au 22 mars.

Autre oratrice invitée à cette soirée, Sylvie Paquerot, qui représentait à La Haye l'Association québécoise pour le contrat mondial de l'eau, n'avait pas hésité à qualifier ce sommet international de grande mascarade . (Nous présentons l'essentiel de son propos dans l'encadré ci-contre.) Pour M. Petrella, c'était la première fois qu'une narration (ce terme reviendra souvent dans son intervention) mondiale de l'eau, fondée sur la collusion entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques et financiers, était énoncée aussi clairement. Il résume cette narration en cinq points qui en font un tout redoutablement cohérent. La transcription de cette narration ne fait malheureusement pas ressortir le caractère ironique qui lui est superposé lorsque c'est M. Petrella qui l'expose.

Premier point 0 Il y aura une crise de l'eau dans 20 ans, prédisent-ils.

La population mondiale devant s'accroître d'ici là de 2 milliards d'êtres humains, il y aura un accroissement considérable de la demande. Nous sommes donc là, disent les organisateurs de la réunion de la Haye, pour vous convaincre de cette crise imminente.

M. Petrella fait ici remarquer que le mode de vie et de consommation nord-américain n'est jamais mis en cause. Les responsables seraient les gens qui se reproduisent comme des petits lapins. Beaucoup de monde croit et accepte ce discours.

Deuxième point 0 L'eau est un besoin, et seulement un besoin, tranchent-ils.

C'est là le point central de cette narration. Il ne faut reconnaître en aucune façon que c'est un droit. Où irait-on si demain les Chinois veulent avoir 1 ou 2 voitures par famille, comme nous, alors qu'il faut 400 000 litres d'eau pour fabriquer une voiture.

Troisième point 0 Nous voulons qu'en 2020 tout le monde ait accès à l'eau, souhaitent-ils.

Cette affirmation avait déjà été formulée, en parlant de l'an 2000, en 1977 à Mar del Plata. Pourtant, nous sommes en l'an 2000 et 1 milliard 680 millions d'êtres humains n'ont toujours pas accès à l'eau. Pour arriver à cet objectif, il faut, disent ses promoteurs, donner une valeur à l'eau (gratuité = gaspillage) et donc considérer l'eau comme un bien économique. Entendons par là 0 économie de marché. Il faut que le capital investi ait un taux moyen de rapport équivalent au taux actuel de 12 %. Pour M. Petrella, il est scandaleux que les 140 ministres présents n'aient pas réagi face à cette prétention !

Quatrième point 0 Le Global Water Partnership (GWE) ou Partenariat global sur l'eau, c'est nous-mêmes.

Mis sur pied avec l'aide de la Banque mondiale, cet organisme est dirigé par son vice-président, M. Serageldin, et il a conçu après beaucoup de travail un modèle de gestion pour l'eau 0 l'Integrated Water Ressources Management (IWRM) ou Modèle de gestion intégré des ressources en eau. Bien entendu, si vous voulez avoir de l'eau, il vous faudra, d'après ce modèle, avoir un prêt de la Banque mondiale et souscrire à deux principes 0

- La fixation d'un prix basé sur la récupération du coût total, incluant la couverture du risque de capital.

- La participation à un Public Private Partnership (PPP) ou Partenariat Public-privé.

Cinquième point 0 Le Public Private Partneship, voilà LA solution.

Ce cinquième point en a vraiment été l'élément comique. D'abord le sigle anglais PPP s'énonce Pipipi. Mais ce qui est vraiment drôle dans ce partenariat, c'est que la partie publique en est pratiquement absente et que Riccardo Petrella fut nommé dans la session qui y était consacrée opposant officiel . Comme personne n'y parla de la participation publique, il traduisit PPP par Planning for Profits Privatisation. En fait, dans ce supposé partenariat, l'État doit simplement créer les conditions pour permettre au privé d'assurer la gestion intégrale de l'eau.

Pour une narration alternative

Pour Riccardo Petrella, il y a deux enseignements qui découlent de cette étrange narration commune aux représentations étatiques, aux entreprises privées et à la plupart des ONG représentées. D'abord, l'urgent besoin d'élaborer une narration alternative différente et indépendante. Ce n'est pas facile. Il faudra beaucoup de travail pour être aussi clairs, plus structurés, plus convaincants.

Ensuite, et cela a constitué l'affirmation la plus forte de la soirée 0 nous devons penser à un retour à la lutte politique et sociale. Ce qui s'est passé à La Haye est une confirmation d'une tendance qui se manifeste dans ces sommets et qui est le refus de reconnaître que les composantes essentielles de notre vie sont des droits fondamentaux communs à l'humanité. Et de citer 0 Istanbul (1997), le refus de reconnaître le droit au logement; Rome (1998), même refus pour l'alimentation; et maintenant l'eau. On reparle même, comme au 19e siècle, d'organiser des campagnes pour le droit à l'éducation.

En ce qui le concerne, M. Petrella entend lancer en novembre une campagne de mobilisation pour promouvoir un contrat mondial de l'eau et impliquer les parlementaires pour former une assemblée mondiale des parlementaires favorables à ce contrat.