Le métier d'écrivain n'est plus ce qu'il était

 

Jadis, lorsqu'un écrivain rencontrait un éditeur, il leur arrivait de parler de littérature. Sans trop insister, bien sûr, et en glissant sur le sujet. Mais on abordait, tout de même, le métier d'écrire, à l'occasion...

L'initiative était habituellement le fait de l'éditeur. Sous le coup d'une remise en question existentielle assez courante dans sa profession, ce dernier feignait alors de faire appel aux lumières littéraires de son auteur pour tenter de s'expliquer un succès qu'il jugeait incompréhensible, en l'occurrence celui d'un best-seller publié chez un autre éditeur.

La question était piégée. Si l'écrivain donnait son avis sans arrière-pensée et répondait que ledit succès lui semblait légitime, puisque le sujet du roman en question était original, l'histoire bien ficelée et que la nouveauté de l'information historique compensait pour le manque d'inédit sur l'âme humaine, le pauvre auteur était cuit.

Sa candeur avait donné la possibilité à l'éditeur de lui faire remarquer que ces trois qualités, qu'il apprécie tant chez son concurrent, sont précisément celles qui brillent par leur absence dans son dernier ouvrage.

Plus c'est mal écrit, plus ça se vend

Dans les circonstances, un auteur d'expérience aurait retourné le jeu à son avantage, en reconnaissant, dans un premier temps, l'intérêt du sujet du livre en question, mais en soulignant, dans un deuxième, combien l'ouvrage, en fonction du chiffre ascendant des ventes, était mal, très mal ou terriblement mal écrit.

C'est une idée reçue dans le monde de l'édition que les best-sellers se vendent parce qu'ils sont mal écrits; et, inversement, que les bons livres ne se vendent pas parce qu'ils sont trop bien écrits.

Un auteur chevronné aurait également su qu'un éditeur ne peut pas demander à un auteur d'écrire mieux sans aller à l'encontre d'une logique du marché où le trop est un moins et le moins un plus.

D'autant plus qu'un éditeur n'est pas sans ignorer qu'on ne peut pas demander à un auteur d'écrire plus mal qu'il n'écrit déjà. C'est un fait que pour y parvenir, il faut encore plus de talent que pour s'emmieuter.

La clé du succès, c'est la pub

Il faut savoir que les éditeurs et les auteurs partagent la même inquiétude face à l'anorexie chronique des tirages, sauf qu'ils diffèrent radicalement d'opinion quant aux causes de la maladie. Les éditeurs persistent à croire que les auteurs sont responsables du succès de leur livre. Une allégation que les auteurs réfutent en bloc. Pour eux, la seule explication acceptable de la mévente d'un ouvrage en librairie est un manque de publicité.

Nul en ce bas monde n'a défendu plus éloquemment la liberté de pensée et le droit de chacun à l'imagination créatrice que l'écrivain; et, dans le même souffle, nul n'a cru plus aveuglément et plus absolument aux méthodes persuasives de la réclame.

Les écrivains n'ont jamais vu de contradiction entre la publication d'un bouquin qui dénonce la publicité et la mise sur pied d'une campagne publicitaire pour en faire la promotion tous azimuts. C'est l'un des paradoxes de la vie littéraire que pour devenir un m'as-tu lu ? on doive d'abord être un m'as-tu vu ?

Les solitaires ne sont plus à la mode

Autre temps, autres moeurs, pourrait-on dire. Les éditeurs n'invitent plus les auteurs à signer leurs contrats d'édition à la table d'un grand restaurant pour leur donner un avant-goût de la gloire qui les attend.

En revanche, ils s'intéressent plus à la vie personnelle de leurs poulains. De nos jours, dès la première rencontre, l'éditeur pose des questions à l'auteur sur sa famille immédiate ? Reconstituée ? Élargie ? Est-elle nombreuse ? Sur son cercle d'amis ? De relations ? de connaissances ? Est-il étendu ?

Sur sa vie sociale ? Fait-il partie d'associations philanthropiques ? D'anciens élèves ? De généalogie ? D'un collège professionnel ? De sociétés savantes ? De bienfaisance ? Secrètes ? De clubs sportifs ? D'une confrérie religieuse ? D'un parti politique ? D'une chorale ?

Est-il connu dans son quartier ? Dans sa ville ? Dans sa région ? Son nom de famille a-t-il déjà fait l'objet d'une réunion comme celle, par exemple, de tous les Leblanc ou de tous les Tremblay d'Amérique ?

Pour être publié dorénavant, il faut que l'étude de faisabilité s'avère positive. L'auteur n'est intéressant, pour un éditeur contemporain, que s'il est un lectorat avant d'être un livre.

Tous ceux et celles qui se sont plaints par le passé de ne pas connaître individuellement chacun de leurs lecteurs et chacune de leurs lectrices risquent fort d'être comblés dans les années qui s'annoncent. Le temps n'est pas loin où, avant de savoir bien ou mal écrire, l'écrivain devra tout d'abord apprendre à se constituer un réseau d'abonnés.