Les délicieux mensonges

 

Jacques Ferron 0 autour des commencements

Sous la direction de Patrick Poirier

Lanctôt, 2000

Le malheur avec nos universitaires, c'est qu'ils prennent le docteur Ferron très au sérieux. Aussi l'interprètent-ils au pied de la lettre. Ils sont dupes de l'enveloppe rhétorique de l'œuvre du polygraphe et oublient que l'écriture est simplement l'outil recherché du notable. Ah, les délicieux mensonges de Ferron ! Ne valent-ils pas d'être lus et relus, uniquement pour nous rendre plus désirables les vérités qu'ils cachent ? Le seul véritable propos de notre devin, qui se joue des genres littéraires, n'est ni la Bible, ni la mythologie gréco-romaine, ni la littérature du Grand Siècle. C'est le Québec, impensé et impensable.

Encore une fois, la publication de pages inédites sauve les trop savants Cahiers Jacques-Ferron. Il s'agit des Rats, une pièce écrite en 1947, qui pue l'artifice. Pourtant, l'écrivain s'y trouve déjà tout entier, comme l'atteste cette très belle phrase 0 Je suis bel et bien perdu au milieu de moi-même comme au sein d'une forêt vierge, sans droite ni gauche, sans orient, sans occident, et le ciel est couvert de ce plafond inexorable 0 je ne peux même pas compter sur les étoiles.

Dès cette époque, Ferron concevait que la littérature québécoise n'a rien à voir avec la littérature française, même si cette idée restait, chez lui, implicite et qu'il tardait à la mettre en application. À l'Européen, qui, dans Les Rats, se prend pour Sacha Guitry, un autre personnage dit simplement, dans une variante de la pièce 0 ...notre France vaut bien la vôtre.

Ferron répondra au mensonge français, raffiné et convenu, par un mensonge sauvage, truculent et inattendu 0 le mensonge québécois. Le 19 octobre 1946, son projet était déjà bien arrêté. Voici ce qu'il notait dans son journal 0 La sincérité ne me convient pas; si je m'y faisais une carrière, elle serait morne et mes confidences fort simples. Il me faut des formes, des artifices; je me retrouve davantage dans mes mensonges que dans mes vérités.