Les journalistes enfin sassés

 


Les oiseaux de malheur



Petite bombe dans le milieu des médias 0 André Pratte, un collègue de La Presse, publiait récemment, chez Boréal, une critique acerbe du monde journalistique tel qu’il sévit chez nous avec la complicité tacite de la majorité de ceux qui en font profession, se réclamant d’un quatrième pouvoir qu’ils ne se gênent aucunement pour galvauder et vendre au plus offrant.

L'auteur connaît son sujet et sait écrire 0 déjà deux qualités qu'on retrouve trop peu souvent chez les essayistes, journalistes ou pas. Deux de ses ouvrages sont déjà connus dans le métier, ce qui appuie sa crédibilité. Il offre ici un admirable réquisitoire qui, pour peu qu'il atteigne également un lectorat important hors du milieu journalistique dont il traite, devrait produire un certain impact sur la perception que se fait le public des médias en général et, par voie de conséquence, forcer les journalistes à reconnaître qu'ils tiennent leur pseudo-quatrième pouvoir bien bas devant le capital.

Des noms d'oiseaux fort descriptifs

Tous les aspects comme tous les modes de transmission de l'information - regroupés dans des chapitres affichant des noms d'oiseaux fort descriptifs des principaux genres journalistiques comme toutes les catégories de journalisme et de journalistes - y sont abordés franchement avec finesse et intelligence, multiples exemples à l'appui. André Pratte ne se contente pas de se vider le cœur sur le dos de ses collègues. Les exemples (extraits d'articles parus, mot à mot d'interview radio/télédiffusées, récit de situations éditoriales vécues...) qui illustrent son propos en confirment amplement la signification.

Il parvient à tracer un portrait assez sombre du style de journalisme pratiqué dans nos médias, acceptant bien sûr de partager lui-même plusieurs des responsabilités de ce déplorable état de fait avec le millier dont il est partie intégrante comme avec le public en général (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs) souvent naïf et dont on prétend connaître les préférences via des sondages patentés ou insignifiants. Ce qu'il démontre à partir d'exemples probants.

Les pies

Le regard critique perspicace atteint son apogée dans le chapitre intitulé Les pies, puis la démonstration débouche sur un positivisme rare dans ce genre et permettant à l'ouvrage de se démarquer au-delà du simple pamphlet. Ses suggestions sont à l'effet de tenter de ramener les médias d'information à leur véritable objectif 0 informer le public sur des événements susceptibles d'avoir des conséquences éventuelles sur eux-mêmes. Il s'appuie sur Walter Lipman, le grand journaliste américain du début du siècle, et surtout sur le célèbre Edward Murrow, dont le style a révolutionné le métier aux États-Unis pendant les années trente et quarante, de même que sur l'exemple de René Lévesque aux débuts de la télévision locale.

Les médias, préconise-t-il avec raison, doivent cesser de vouloir sembler plaire à tout prix à un public conquis et reléguer au second plan le sport professionnel et ses jeunes millionnaires arrogants, comme les vedettes du star-system et de la course aux records de catastrophes, de température, de méfaits, de violence, etc. Elle doit apprendre à ses interlocuteurs à comprendre ce qui se passe partout sur la planète et surtout, sortir de la cour arrière où elle se confine par paresse et par lésine, en plus de devoir mettre tous les sujets qu'elles traite en perspective, les situer dans leur contexte réel.

Pratte, André, Les oiseaux de malheur, Essai sur les médias d'aujourd'hui, Boréal, Montréal 2000