Quel avenir pour la classe ouvrière ?

 


Premier Mai



Depuis qu'il est célébré, le Premier Mai est l'occasion pour le mouvement ouvrier de faire le point sur son action et son projet de société. Au cours des dernières décennies, il n'y a pas eu grand matière à réjouissances, le mouvement ouvrier international faisant face à la plus formidable offensive patronale de son histoire. Le néolibéralisme attaque non seulement les salaires, les conditions de travail et de vie, mais également le cœur et l'esprit de la classe ouvrière.

La rupture d'un pacte

Pendant soixante-dix ans, de 1917 à 1989, le patronat mondial a été obligé de tenir compte de l'existence des pays socialistes, peu importe le jugement qu'on pouvait émettre sur la réalité du socialisme de ces pays, et de la perspective de voir la classe ouvrière accéder au pouvoir.

Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, alors que le camp socialiste s'est élargi à un tiers du globe, la classe dirigeante des pays capitalistes industrialisés a été contrainte d'acheter la paix sociale en accordant des concessions à une section de la classe ouvrière sous forme de reconnaissance syndicale, de meilleures conditions salariales et de travail, en échange de l'appui de cette dernière au système capitaliste.

Au début des années 1980, ce pacte a été rompu unilatéralement par la classe d'affaires qui mène depuis une lutte sans merci contre la classe ouvrière sous le drapeau du néolibéralisme. Cette offensive en règle s'est intensifiée avec l'écroulement du bloc soviétique, interprété comme la victoire définitive du capitalisme sur le socialisme.

Cette attaque va bien au-delà de la question salariale ou de la remise en cause des acquis sociaux par les politiques visant le démantèlement de l'État. Elle vise l'existence même de la classe ouvrière.

Plus d'ouvriers et d'ouvrières que jamais auparavant

S'il fallait en croire le discours dominant, il n'y aurait plus de producteurs, seulement des consommateurs et, dernière nouveauté, des boursicoteurs. Après avoir corrompu la classe ouvrière avec le consumérisme, on l'invite maintenant à jouer ses épargnes au casino de la Bourse.

Pourtant, si on adopte une approche globale, la seule valable en cette ère de mondialisation, la classe ouvrière n'a jamais été aussi nombreuse. À l'échelle du monde, la paysannerie s'est amenuisée et la classe ouvrière s'est considérablement élargie dans les pays du tiers monde à la faveur des relocalisations d'entreprise et des traités de libre-échange comme l'ALENA. Mis à part les États-Unis, comme le souligne J.E. Hobsbawm en parlant des années récentes, il y avait certainement, en chiffres absolus, beaucoup plus d'ouvriers dans le monde, et très certainement une proportion d'employés de l'industrie dans la population globale plus forte que jamais 1.

Cela est vrai du prolétariat industriel dont il est ici question, mais l'importance numérique de la classe ouvrière prise dans son ensemble est encore beaucoup plus considérable si on tient compte de ses autres sections, particulièrement dans la sphère des services en pleine expansion au cours des années 1980 et 1990. Trop longtemps, on a relégué erronément ces travailleuses et travailleurs dans la vague catégorie employés , une catégorie fourre-tout. Est-il besoin de souligner le chauvinisme d'une conception de la classe ouvrière qui fait fi du secteur des services, occupé très majoritairement par des femmes ?

Victime des nouvelles technologies

Une fois établie l'importance numérique de la classe ouvrière, il ne faut pas nier les transformations survenues au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, la classe ouvrière correspond de moins en moins à l'image classique que Hobsbawm résume ainsi 0 L'immense unité de production de masse construite autour de la chaîne de montage ; la ville ou la région dominée par une seule industrie, comme Détroit ou Turin par l'automobile ; l'existence d'une classe ouvrière unie, soudée par la ségrégation résidentielle et son lieu de travail en un unité polycéphale 2..

Les nouvelles industries sont différentes, souligne-t-il, constituées en mosaïques ou réseaux d'entreprises éparpillées à travers villes et campagnes, mais de haute technologie. Très clairement, ajoute-t-il, dans les années 1980, les classes ouvrières devaient être victimes des technologies nouvelles .

Par suite de ces politiques délibérées, la classe ouvrière est aujourd'hui éparpillée dans l'espace. Victime de la sous-traitance, du travail à temps partiel ou temporaire, elle se retrouve parcellisée, fractionnée, réduite à un agrégat d'individus en concurrence les uns avec les autres, avec comme seul projet 0 l'enrichissement individuel.

L'internationale sera le genre humain

Mais le mouvement ouvrier se regroupe et développe de nouvelles formes de lutte (voir l'article sur Ravenswood en pages centrales). Nous sommes cependant encore loin du redressement qui s'impose.

Au cours des dernières années, le Capital s'est accaparé des gains de productivité de la révolution technologique et le maintien du pouvoir d'achat des familles ouvrières ne s'obtient que par le travail des deux conjoints et des adolescents, même lorsqu'ils sont encore aux études. La récession imminente va déclencher une nouvelle offensive, et le mouvement ouvrier se retrouvera encore une fois dans les câbles s'il n'y a pas un revirement majeur et une solide reprise en mains.

Les travailleurs et les travailleuses doivent à nouveau réaliser que la société ne peut fonctionner sans leur travail, tant dans la production que dans les services. Les ouvrières et les ouvriers devront se réapproprier leur idéologie et considérer que leur classe est la seule en mesure de formuler un projet de société où l'exploitation de l'homme par l'homme sera remplacée par la coopération entre les êtres humains... Et que l'internationale sera le genre humain . Car, comme le dit fort pertinemment Hobsbawm 0 Ce n'est pas la classe ouvrière qui est en crise, mais sa conscience 3.

Pour retrouver cette conscience de classe, une meilleure connaissance des stratégies patronales et des résistances ouvrières est nécessaire, mais également qu'on amorce le bilan des expériences de construction du socialisme. C'est à ces objectifs que nous chercherons à apporter notre modeste contribution au cours des prochains mois.

(1) J.E. Hobsbawm, L'âge des extrêmes, Histoire du court XXe siècle. Éditions complexe. 1999, 807 pages.

(2) Ibidem, p. 399.

(3) Ibidem, p. 401