À Saint-Hyacinthe avec Michel Chartrand, pour discuter du revenu de citoyenneté

 

Quelque 300 personnes s’étaient massées au sous-sol de la cathédrale de Saint-Hyacinthe à l’initiative de Solidarité populaire et du collectif d’Action populaire Richelieu-Yamaska. Un militant de longue date, Jean-Paul Saint-Amand, nous avait demandé de démontrer que le revenu de citoyenneté dans le cadre de l’objectif de pauvreté zéro est quelque chose de nécessaire et d’abordable. Il a été servi.

À Saint-Hyacinthe, Michel Chartrand, clamant son humiliation devant la pauvreté dans un pays riche, dénonce le sort fait aux personnes âgées. Soudain, il brandit deux instruments utilisés dans les centres d'hébergement 0 une couche et un ustensile de gavage. La foule frissonne d'indignation, comme si chacun réalisait à ce moment-là l'effet combiné des coupures budgétaires et des contingences existentielles.

Le dépérissement du bien commun

Michel Chartrand avait commencé son intervention en parlant de l'amitié citoyenne d'Aristote. Les Anciens Grecs voyaient l'homme comme un être naturellement politique et la Cité comme une communauté naturelle tournée vers la poursuite en commun du bien-vivre.

Mais, depuis le XVIIe siècle, une vision individualiste de la vie en société a été imposée par la bourgeoisie montante. L'État est de plus en plus perçu comme la création des individus voulant présumément assurer leurs droits naturels. C'est la doctrine du contrat social. Dans ce monde où règne l'individualisme, l'économie est pensée comme le fondement de la société et l'opérateur de l'ordre social. L'individu ne s'accomplit plus que dans la sphère privée.

L'idéal antique de participation au pouvoir s'efface devant une fonctionnalisation du politique. Les individus se dépolitisent et le bien-vivre est recherché dans la société civile par une socialité apolitique3. Les néolibéraux nous disent qu'il est devenu illusoire de définir un bien commun dans un monde pluraliste. Le politique n'est plus une fin en soi, mais un accessoire du marché et de la liberté individuelle. Ce n'est plus l'État qui transforme le monde, mais le marché.

Pourtant, quelque soit notre religion ou notre définition du bien, il faut manger, accéder à la culture, à l'éducation, etc. L'égale dignité et l'égalité des chances exigent l'intervention de l'État. Nous sommes tous soumis au risque social croissant. Il y a place pour la poursuite d'un bien commun. C'est ce que nous avons fait valoir, Michel Chartrand et moi, le 4 avril à Saint-Hyacinthe, en parlant du revenu de citoyenneté.

Le capital écume la productivité

Les profits augmentent de 25 %, les salaires stagnent

Les compagnies canadiennes, qui braillent contre les impôts et la réglementation, ont augmenté leurs profits de 25 % l'an dernier pour atteindre un rendement de 18 %. Ne parlons pas de celles qui reçoivent de généreuses subventions et qui esquivent le coût de la solidarité sociale, pensons à Cinar qui place ses capitaux aux Bahamas, un paradis fiscal, ou les Expos qui se sont incorporés au Delaware.

Le bénéfice de Bombardier a augmenté de 30 % pour atteindre 169 millions. Toutes les banques ont connu des profits records. La Banque Royale a augmenté de 11 % son profit qui était déjà outrageant, tout en réaffirmant son intention de procéder à 6 000 licenciements. Le bénéfice de Domtar a doublé. Hydro-Québec a fait 906 millions de profit, soit une hausse de 33,4 %. Loblaw pète le feu avec des revenus de 20 milliards et, pour l'accueillir, les maires des villes se conduisent en idiots du village en violant les règlements de zonage.

Le commerce de gros a aussi augmenté de 7,3 % au Canada et 10,5 % au Québec l'an dernier. Richard Desjardins a sans doute appris avec ravissement que les papetières canadiennes ont doublé leurs bénéfices en 1999. Malgré tout, Québec affirme qu'il n'y aura pas d'enquête indépendante sur la forêt publique… et les papetières continuent de fusionner.

Pas de hausse du salaire minimum

Les compagnies s'enrichissent, mais le salaire moyen d'un million et demi de travailleurs a baissé depuis un an1. Le gouvernement du Québec annonçait en octobre que le salaire minimum allait demeurer à 6,90 $ malgré l'enrichissement général. On prévoit des augmentations moyennes du salaire des travailleurs syndiqués de quelque 2,2%, ce qui constitue une baisse en termes réels étant donné que le taux d'inflation est à 2,3 %2.

L'indice boursier TSE a augmenté de 31,7 % l'an dernier et le rendement des portefeuilles canadiens a été, en moyenne, de 32,7 %. Celui des portefeuilles américains était de 20,5 %.

Maintenant que les riches se sont enrichis et que cela a entraîné une inflation de l'ordre de 2,3 %, la Federal Reserve américaine et la Banque du Canada haussent leurs taux d'intérêts, cassant ainsi les jambes aux ménages endettés afin que le magot des bien-nantis ne perde pas son pouvoir d'achat et éviter que les pauvres ne remboursent leurs dettes avec des dollars au pouvoir d'achat diminué.

Maintenant que les actions baissent, les bien-nantis déménagent leurs fonds en titres payant des intérêts. Le portrait est clair 0 les profits battent des records, le capital a explosé, les salaires stagnent et les petits vont maintenant payer les frais du party avec des taux d'intérêt élevés. Vous savez donc où vont les hausses de productivité.

La pauvreté zéro est à notre portée

L'excédent budgétaire du gouvernement fédéral a été de 11,9 milliards pour la période de dix mois se terminant en janvier 2000, soit plus d'un milliard par mois. Le foin nous sort par les oreilles ! Notre unique problème en est un de répartition.

La pauvreté zéro, c'est 3,6 milliards sur un budget québécois de 45,2 milliards. Voici ce que l'on retrouve dans le budget du Québec au chapitre des revenus 0 impôts sur le revenu (23,0 milliards) ; taxes à la consommation (TVQ) (8,6 M) ; transferts du fédéral (6,9 M) ; revenus des entreprises du gouvernement (SAQ, Hydro-Québec, etc.) (2,9 M) ; autres (3,8 M).

Remarquez que les revenus des entreprises du gouvernement (2,9M) ne comprennent pas les 11,2 milliards de revenus réalisés par la Caisse de dépôt l'an dernier, grâce à un rendement de 16,5 %, parce qu'il s'agit d'une entité comptable séparée. Cela équivaut à 25 % du budget québécois et l'on en parle à peine.

Je prétends toutefois qu'il faut en tenir compte lorsqu'on évalue la richesse publique, car il s'agit là des fonds de retraite de 4 millions de Québécois, soit 17,5 M pour le Régime de rentes du Québec, 34 M pour les employés du gouvernement, 8,5 M pour les réserves assurancielles de la CSST, 7,3 M pour celles de la SAAQ, etc.

Les contribuables québécois, les fonctionnaires et les automobilistes financent une partie de la dette publique, car la Caisse détient 35 milliards d'obligations du gouvernement du Québec. Soulignons, en passant, que les baby-boomers ne laissent pas seulement des dettes. Par l'intermédiaire de la Caisse, nous sommes actionnaires d'entreprises comme TVA. En tout il s'agit de 100 milliards de bien commun.

(1) BERGER, François, Les salaires ont baissé depuis un an , La Presse, 1 oct 99.

(2) BELLEMARE, Pierre, Les syndiqués toucheront des hausses de salaire de 2,2% en 1999 et 2000 , La Presse, 6 oct 99.

(3) Pour réviser ces concepts, je recommande REVAULT D'ALLONES, Myriam, Le dépérissement du politique, Alto Aubier, 1999.