Big Brother est anglo-saxon

 


Le projet politique derrière l’espionnage électronique



Le gouvernement canadien dispose donc d’un portrait complet sur plus de vingt ans de chaque Canadienne et Canadien dans un mégafichier central au ministère des Ressources humaines (DRHC). Les défenseurs des droits de l’homme et du respect de la vie privée se sont élevés avec raison contre ce Big Brother fédéral.

Cette question concerne, il est vrai, tous les citoyens, mais elle devrait préoccuper au plus haut point les mouvements souverainiste et syndical québécois, car c’est à l’encontre de leurs militantes et militants que les informations contenues dans ce mégafichier pourraient être utilisées. C’est d’ailleurs sans surprise que les journaux nous ont appris que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) pouvaient avoir accès sur demande au mégafichier du DRHC.

« Grandes oreilles » américaines et canadiennes

Notre dossier personnel pourrait renfermer le contenu de toutes nos conversations téléphoniques et électroniques. Nous savons que la National Security Agency (NSA) américaine est en mesure techniquement d’intercepter toute communication électronique de toute nature partout à travers le monde, nous apprenait dernièrement le Washington Post. La NSA compte 30 000 agents, militaires et civils, répartis sur l’ensemble de la planète, ce qui représente plus du double du personnel de la CIA.

La NSA américaine a un petit frère canadien 0 le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) dont l’existence et les activités ont été révélées en 1994 dans le livre Moi, Mike Frost, espion canadien (Éditions de l’Homme). En 1994, le CST, dont le quartier général était situé au 719, chemin Heron à Ottawa, comptait plus de 1 000 employés et une masse salariale de 40 millions de dollars. Le CST ne relève pas du Parlement canadien, mais directement du bureau du premier ministre.

Une section secrète 0 The French Problem

Dans son livre, Mike Frost soutient qu’il existe au sein du CST une section mystérieuse surnommée The French Problem (Le problème français) et qui se consacre à l’analyse de renseignements touchant la séparation éventuelle du Québec.

Mike Frost nous apprend que le CST a passé jadis des accords avec la Norvège pour que celle-ci espionne les relations entre la France et le Québec afin de mesurer le degré de soutien que le gouvernement français apporterait à une éventuelle déclaration d’indépendance du Québec.

Mais les activités de la section secrète The French Problem ne se limitent pas à cela, selon Frost, et nous savons que le CST alimente en informations la GRC et le SCRS dans leurs actions à l’égard du mouvement souverainiste québécois et du mouvement syndical. Rappelons-nous l’affaire Boivin, du nom d’un informateur de la GRC infiltré dans la CSN, qui a déstabilisé cette centrale pendant de nombreuses années.

Le projet anglo-saxon ÉCHELON

Le CST canadien entretient des liens avec la NSA américaine, mais également avec des agences similaires en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande, tous des pays anglo-saxons, dans le cadre du projet ÉCHELON.

Pour espionner les téléphones, les télécopieurs, Internet et la messagerie électronique, les cinq pays de la sainte alliance se sont répartis le monde 0 la NSA américaine se charge des deux Amériques, le GCHQ britannique s’occupe de l’Europe et de l’Afrique, le DSD australien de l’Asie-Pacifique avec le GCSB néo-zélandais et le CST canadien de l’Europe et des Amériques.

Un projet politique

Le projet ÉCHELON est l’un des fondements d’une idée qui se développe depuis quelques années dans les cercles impérialistes 0 une alliance des pays anglo-saxons pour dominer le monde.

Récemment, le politicologue britannique Robert Conquest, bien connu pour ses ouvrages sur la terreur en Union soviétique, publiait ses réflexions sur l’après-guerre froide (Reflections on a Ravaged Century, Norton). Prévoyant l’éclatement à moyen terme de l’alliance mise sur pied contre l’Union soviétique, Conquest prône son remplacement par une alliance des pays anglo-saxons, les seuls selon lui à partager « une véritable culture démocratique ».

Cette vieille idée, reprise de Churchill, pourrait sembler n’être qu’une élucubration d’un vieux sénile (Conquest a 82 ans), si nous ne voyions pas s’élaborer des projets politiques en ce sens. Ainsi, les Tories britanniques, hostiles à l’Union européenne, viennent d’amorcer de grandes manœuvres en vue de l’adhésion de la Grande-Bretagne à l’ALENA, le marché de libre échange nord-américain. La Commission du commerce international des États-Unis a décidé d’entendre les représentations de ces Tories.

Cette idée, d’abord mise de l’avant par la Heritage Foundation, un organisme d’extrême-droite aux États-Unis, est reprise au Canada par nul autre que le magnat de la presse Conrad Black, propriétaire, entre autres, du Telegraph de Londres.

Il ne serait pas étonnant que cette idée figure un jour dans le programme de l’Alliance canadienne, le nouveau parti politique issu du Reform Party. Black, dont l’inimitié avec le premier ministre Chrétien est bien connue, a tout jeté dans la balance pour soutenir cette initiative politique, et plus particulièrement la candidature de l’Ontarien Tom Long. Son alter ego, Peter White, est l’éminence grise de l’Alliance canadienne et Black aurait, selon la presse torontoise, entraîné les cercles financiers de Bay Street à soutenir financièrement l’Alliance.

Enfin, pour boucler la boucle et revenir aux questions de protection de la vie privée, soulignons que le National Post, propriété de Conrad Black, vient d’être accusé d’avoir vendu sa liste d’abonnés à Tom Long.

Un projet anti-Québec

Le projet d’une alliance anglo-saxonne est bien évidemment un projet anti-francophone et anti-Québec. Rappelons que Black est un chaud partisan de la partition du Québec et qu’il prônait dans un article paru dans la prestigieuse revue Foreign Affairs (mars-avril 1995) l’union politique du Canada et des États-Unis en condamnant un Québec charcuté, partitionné, à n’être, selon son expression, qu’un timbre-poste francophone, un Puerto-Rico nordique. L’avènement au pouvoir de l’Alliance canadienne pourrait signifier un pas dans la concrétisation de ce projet.