Entrevue avec Marie-Claude Huot de la région de Québec

 


« Du bruit partout sur la planète ! »



À 30 ans, Marie-Claude Huot, avec un baccalauréat en anthropologie, un certificat en littérature et un diplôme en études féministes, se retrouve coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 pour la région de Québec, Portneuf et Charlevoix. Nous l’avons rencontrée à Québec, le 15 avril dernier.

EA 0 Comment t’es-tu retrouvée coordinatrice de la Marche avec un tel profil académique et après avoir travaillé dans une maison d’édition ?

MCH 0 C’est une question de circonstances. En anthropologie, il n’y a pas de travail ni en littérature, et en études féministes, c’est rare. J’étais sur le Comité de lecture du Loup de Gouttière, c’est comme ça que j’ai été engagée par cette maison d’édition. C’est le travail que j’ai aimé le plus dans tout ce que j’ai fait. Ça me manque énormément. J’aimerais avoir une maison d’édition quand j’aurai 40 ans. Comme il n’y avait plus de travail pour moi et que j’ai étudié plusieurs années le milieu féministe, j’ai présenté un demande pour le poste de coordonnatrice de la Marche et je l’ai obtenu.

EA 0 Quelles sont tes responsabilités ?

MCH 0 Coordonner l’ensemble des activités dans la région de Québec. Dans les régions de Portneuf et de Charlevoix. Il y a des comités locaux et moi, je suis là pour les soutenir et leur fournir l’information et le matériel promotionnel. Pour Québec, ça veut dire l’organisation des activités de quatre comités de travail. Je suis aussi au comité de coordination. La Coalition régionale des femmes contre la pauvreté est un regroupement de groupes de femmes et d’individues comme à la FFQ. Il y a environ une soixantaine de membres et certaines femmes font du travail militant sur les comités. C’est le Comité Action qui définit les grandes actions de l’année.

EA 0 Est-ce que c’est le Comité de Montréal de la Marche qui détermine les actions pour les groupes régionaux ?

MCH 0 Toutes les régions sont en liaison avec Montréal. Les actions ont lieu aux mêmes dates, parfois aux mêmes heures, mais le type d’action peut différer 0 marches, conférences, etc. Dans certaines régions, par exemple dans le nord du Québec, c’est plus difficile de réunir les femmes pour marcher, alors on fait des soupers et d’autres activités.

EA 0 Y a-t-il d’autres comités ?

MCH 0 Une bonne partie de mon travail consiste à assurer la bonne marche du comité de financement en vendant du matériel promotionnel, en faisant des demandes de financement auprès des congrégations religieuses, des députés, des caisses pop., partout où on pense qu’il y a de l’argent ! Il y a aussi un comité de communications qui s’occupe des relations avec les médias et un comité d’éducation populaire et de formation.

Sensibilisation et financement

EA 0 Qui donne la formation ?

MCH 0 Des bénévoles qui ont des aptitudes et des talents pour faire de la formation. On travaille avec le guide et les outils d’éducation populaire de la Fédération des femmes (FFQ). Il y a plusieurs groupes de femmes dans la région de Québec qui font de la formation, dont le Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec. Elles vont dans les communautés religieuses et un peu partout, et elles ont de nombreuses demandes de formation. Elles ont créé une petite troupe de théâtre qui s’appelle Oxygène et qui fait de la sensibilisation aux revendications des femmes. Ça marche très bien. Je fais moi-même du travail de sensibilisation dans différents lieux et il y a beaucoup de femmes qui en font sur le terrain. Une chance, d’ailleurs !

EA 0 Avez-vous beaucoup d’appuis de la part des enseignantes, des jeunes ?

MCH 0 Oui ! Les comités de la condition féminine des syndicats, les centres de femmes, les groupes populaires nous appuient. Parmi les jeunes, c’est plus difficile.

EA 0 En quoi consiste ton travail quotidien ?

MCH 0 Je fais tout le travail de gestion, les envois postaux, etc. En ce moment, par exemple, c’est la campagne de financement. Ça nous prend 55 000 $ pour organiser nos activités. Seul mon salaire est subventionné par le gouvernement. Nous avons un très bon comité de financement avec des filles très énergiques. Présentement, on prépare des activités de financement. Anne-Marie Bureau, une sculpteure de la région de Québec, travaille le bois de grève. Elle a fait plusieurs pièces et lors de son exposition, elle va nous donner 50 % de tout ce qu’elle vend. C’est emballant ! Nous avons essayé de créer des liens avec des artistes. Le lendemain, la poète Sylvie Nicolas organise une soirée de poésie. Le surlendemain, les filles vont faire un match d’impro. De telles activités ne me demandent pas beaucoup d’énergie, ce sont les filles du comité de financement qui organisent tout. Anne Théberge, humoriste sociale, a l’intention de donner un spectacle d’humour au féminin pour financer la Marche. De telles actions m’emballent parce que ça rejoint tous mes champs d’intérêt 0 les arts, la littérature et le féminisme.

Indifférence des médias

EA 0 Est-ce que les médias couvrent vos activités ?

MCH 0 Oui, il y a un journal communautaire Droit de parole qui couvre le territoire de la Basse-ville de Québec, des radios communautaires comme CHIZ (Université Laval), CKRL, Radio Basse-ville, les hebdos régionaux. Pour le 8 mars, la SRC nous a contacté et il y a eu le papier de Michel Vastel critiquant nos revendications ! Essentiellement, il n’y a rien dans les grands médias, malgré une forte participation des femmes.

EA 0 Comment s’est passé votre 8 mars ?

MCH 0 Super bien ! On a marché du Palais de justice jusqu’au Musée de la civilisation. Nous, on avait évalué à 400 le nombre probable de participantes, mais on était entre 700 et 800 femmes ! Quand on est arrivées au Musée, on ne savait plus où mettre tant de monde. Dans une salle, il y avait une invitée africaine et la coordinatrice du Regroupement des groupes de femmes de Québec qui échangeaient sur la Marche et la manière dont elles vivent leur engagement féministe. Dans une autre salle, on diffusait simultanément la conférence sur écran. Le Musée avait organisé une exposition intitulée Femmes bâtisseures d’Afrique. Ça a été une très belle réussite, à part la non-couverture des médias. C’est vraiment difficile d’avoir une couverture. Si les médias parlaient de nous, la population serait au courant de nos activités.

EA 0 Combien de monde la Marche va-t-elle regrouper ?

MCH 0 Beaucoup. C’est très mobilisateur. Les revendications rejoignent beaucoup les femmes.

Revendications les plus mobilisatrices

EA 0 Quelles sont les revendications qui touchent le plus les femmes ?

MCH 0 Chez les jeunes femmes, ce sont celles sur les amendements aux normes du travail afin d’accorder les mêmes droits à toute personne salariée, et la lutte contre la pauvreté 0 il y a également le barème plancher à l’aide sociale et l’adoption de la loi pour l’élimination de la pauvreté. Ici, à Québec, les revendications sur les minorités culturelles et les femmes immigrantes sont moins présentes.

EA 0 Les revendications concernant « les travailleuses du sexe », est-ce que ça rejoint les femmes ?

MCH 0 Ça fait parler. Beaucoup de femmes se demandent pourquoi on défend ça.

EA 0 Le mouvement des lesbiennes est-il fort à Québec ?

MCH 0 Elles sont très présentes et travaillent fort. Il y en a plusieurs dans la coalition. Ce sont des femmes qui s’impliquent beaucoup. C’est comme ça partout et ça fait longtemps que c’est comme ça.

EA 0 Comment ça va se passer le 17 octobre à New York? Est-ce que les femmes vont y aller de partout ?

MCH 0 Non. Il y aura une délégation internationale. La coalition n’a pas les moyens de gérer tout ce que ça comporte 0 transport, hébergement, encadrement d’une marche à New York. Par contre, il y aura partout des gestes locaux. Le 17 octobre, le thème sera 0 « À midi, on fait du bruit ! » Il y aura du bruit partout sur la planète à cette heure-là ! À Québec, on se regroupera au Carré d’Youville où il y a deux grosses banques. Puisque les revendications internationales sont vraiment au niveau macro-économique (la taxe Tobin, etc.), on va faire du bruit devant les banques.

EA 0 Merci, Marie-Claude. Et je ne peux m’empêcher de remarquer que c’est du Québec, dépeint par les fédéralistes comme replié sur lui-même, qu’est partie l’initiative d’une Marche mondiale des femmes, la première dans toute l’Histoire, avec des revendications qui touchent non seulement les femmes, mais l’ensemble de l’humanité.