Le Rapport Beauchamp fera date

 


La gestion de l’eau au Québec 0



Le 3 mai dernier, la Commission sur la gestion de l’eau au Québec sous l’égide du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) présentait son rapport, fruit d’une vaste consultation publique réalisée au printemps et à l’automne 1999 à travers toutes les régions du Québec. Cette commission aura été parmi celles qui ont suscité le plus d’intérêt et de mobilisation populaire. Si le rapport est plutôt bien accueilli par une majorité d’intervenants des milieux social, environnemental et syndical, tous s’entendent pour dire que la vraie bataille commence maintenant. Rien n’est encore décidé, le gouvernement doit désormais élaborer sa politique sur l’eau. Reste à voir si celle-ci ira dans le sens de la volonté populaire, ou si elle donnera préséance au marché et au commerce en toute bonne logique néolibérale.

Voici les grandes lignes des principales recommandations de la Commission sur la gestion de l’eau au Québec.

NON à l’exportation massive d’eau

Avec 3 % des ressources d’eau douce de la planète, le Québec fait l’envie de plusieurs. Si l’exportation d’eau vers les pays d’Asie et d’Afrique qui connaissent un déficit hydrique structurel semble peu réaliste compte tenu des coûts élevés de transport, la demande est plus susceptible de provenir de nos voisins américains dont plusieurs régions fortement agricoles et urbanisées connaissent depuis plusieurs années des pénuries d’eau.

La crainte de voir notre eau littéralement couler vers les États-Unis a d’ailleurs été exprimée par plusieurs intervenants devant la commission.

En effet, en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’eau pourrait être considérée comme un bien marchandable au même titre que tout autre produit, laissant ainsi la porte ouverte à une exploitation incontrôlée de cette ressource collective. Comme l’a déjà fait remarquer un représentant commercial des États-Unis, « lorsque l’eau est échangée comme un bien, toutes les dispositions de l’entente régissant le commerce des biens s’appliquent ».

Par conséquent, de l’avis de Louise Vandelac, sociologue à l’Université du Québec à Montréal et porte-parole de la coalition Eau-Secours, le gouvernement du Québec devrait analyser en profondeur les implications d’une éventuelle réouverture de l’entente afin d’exclure explicitement l’eau de l’ALENA.

La commission n’exclut pas une telle possibilité, mais recommande toutefois la prudence. Selon elle, « il faudrait analyser l’ensemble de l’ALENA pour évaluer prudemment ce que le Canada peut gagner et perdre en renégociant l’accord ».

Toutefois, la commission s’est catégoriquement prononcée contre le principe d’exportation massive de l’eau, à la grande satisfaction de nombreux groupes environnementaux, syndicaux et sociaux. « Une stratégie d’exportation massive n’est probablement pas rentable et constitue un risque écologique à éviter. Ce serait une stratégie imprudente dans l’état actuel de nos connaissances et des incertitudes liées aux changements climatiques », affirme la commission.

Les services d’eau municipaux doivent rester publics

Pour la commission, les équipements municipaux de traitement de l’eau constituent un bien collectif qui doit le demeurer. Cependant, elle n’oppose pas un non catégorique à toute forme de partenariat à court terme avec le privé en matière de gestion des services d’eau, mais elle suggère toutefois que tout contrat à long terme fasse l’objet d’un référendum local.

Pour Claude Généreux, président de la section Québec du Syndicat canadien de la fonction publique, qui se dit satisfait du rapport, « il n’y a pas de quoi monter aux barricades car l’ouverture au partenariat privé est plus théorique que réelle ». Selon lui, aucune compagnie ne serait intéressée par un partenariat à court terme, compte tenu des investissements de départ importants.

Considérant la détérioration parfois avancée des infrastructures d’aqueduc et d’égoût de plusieurs villes de la province, il a été proposé que l’on mette en place un programme de rénovation des infrastructures municipales subventionné par les gouvernements québécois et fédéral.

On évalue à environ 600 millions de dollars par année pendant 15 ans, soit 9 milliards de dollars au total, les coûts pour réhabiliter l’ensemble des infrastructures de la province. La situation de la ville de Montréal est parmi les plus urgentes 0 27 % du réseau d’aqueduc a plus de 80 ans et les fuites d’eau potable sont évaluées à plus de 40 %.

Gérer la ressource de façon intégrée

Actuellement, la gestion et la juridiction de l’eau relèvent de différents ministères, alors qu’aucune instance gouvernementale n’assume le contrôle ou la coordination de toutes les activités reliées à l’eau. Une telle absence d’harmonisation entre les différents acteurs impliqués engendre parfois des coûts indus et des contradictions qui compromettent l’objectif de préservation de la ressource.

Pour pallier à cette situation, la commission recommande la création d’un ensemble de structures consultatives, décisionnelles et législatives, dont l’adoption d’une loi cadre sur l’eau et les milieux aquatiques, et la désignation d’un ministère d’État de l’eau et des milieux aquatiques. Ce dernier aura pour rôle de coordonner les activités de l’ensemble des ministères impliqués dans la gestion de l’eau.

L’engagement du Québec à mettre en place un système de gestion intégrée des ressources hydriques n’est pas nouveau. Déjà, en 1992, lors de la Conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement tenue à Rio de Janeiro, le gouvernement déclarait son adhésion à ce principe devant la communauté internationale, et il s’engageait en 1996 à mettre en oeuvre les modalités d’une gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle des bassins hydrographiques.

En retard sur d’autres pays d’Amérique du Nord et d’Europe où la gestion par bassins versants est déjà bien implantée, la commission s’est prononcée en faveur de la création immédiate d’un comité ayant pour mandat de mettre en place la gestion à l’échelle des bassins versants. (Voir encadré.)

Une réglementation plus stricte

Si les problèmes de disponibilité de l’eau sont un fait rare au Québec, on ne peut toutefois en dire autant en matière de qualité de l’eau. Le secteur agricole est particulièrement pointé du doigt parmi les responsables de la dégradation des eaux de surface et souterraines en raison de ses pratiques polluantes (surfertilation, engrais minéraux, pesticides et drainage agricole) qui compromettent les efforts de restauration et de dépollution des cours d’eaux qui ont déjà coûté très cher à la population québécoise. De l’avis de la commission, la quasi immunité environnementale du secteur agricole a assez duré et elle propose un ensemble de mesures pour corriger ce problème. (Voir encadré.)

La contamination importante des sources d’approvisionnement en eau potable oblige les municipalités à recourir à des traitements plus sophistiqués, donc plus coûteux, pour éviter les risques sur la santé publique.

Or, 1 413 des 2 347 réseaux municipaux assujettis au Règlement sur l’eau potable distribuent une eau non traitée. Les représentants de la santé publique et des Régies régionales sont formels 0 les risques pour la santé publique sont réels. Par ailleurs, le procédé de chloration de l’eau n’est pas infaillible ni sans risques puisqu’il ne permet pas d’éliminer certains pathogènes et les substances chimiques. Par conséquent, une protection accrue des sources d’approvisionnement en eau potable constitue la seule véritable mesure de prévention des risques pour la santé publique.

De l’avis de Stéphane Gingras de l’organisme environnemental Union Saint-Laurent-Grands-Lacs, la commission n’est pas allée assez loin en matière de prévention de la contamination des eaux de surface, à l’exception du secteur agricole. « Des mesures préventives de pollution auraient dû également comprendre l’établissement d’une réglementation des rejets des usines d’épuration et un meilleur contrôle des rejets toxiques industriels. »

La Commission recommande que l’on modifie le Règlement sur l’eau potable qu’elle juge désuet et inadéquat. De son avis, «le retard du gouvernement à édicter les nouvelles normes semble directement attribuable à la résistance des municipalités qui, pour des raisons essentiellement financières, font pression pour en retarder la promulgation ou en modifier les termes». Il est d’autant plus nécessaire que les normes québécoises de qualité de l’eau potable soient modifiées qu’elles sont en deça de celles du Canada, de l’Europe et de l’Organisation mondiale de la santé.

La protection des eaux souterraines

Sur la question de l’eau souterraine, on estime qu’elle fait et fera l’objet d’une demande accrue de la part d’un ensemble d’acteurs, soit les municipalités, les agriculteurs et aquiculteurs, les individus et les industries.

Le seul marché de l’eau embouteillée puisée à même l’eau du sous-sol s’est accru de 2 000 % entre 1985 et 1996. Déjà, plusieurs de ces projets ont suscité de vives controverses dans certaines régions du Québec en raison de conflits d’usage entre les divers utilisateurs de la ressource.

Le cas désormais célèbre de la municipalité de Franklin est éloquent à plus d’un égard. Puisant à même la nappe d’eau qui alimente les puits d’eau potable des résidents, la compagnie d’embouteillage d’eau de source Dorea-Labrador a ainsi ponctuellement privé d’eau certains utilisateurs lors de tests de pompage. S’en est suivie une série de démarches auprès de diverses instances gouvernementales au cours desquelles les résidents, devant porter le fardeau de la preuve, ont été confrontés à l’absence de support de l’état. Cette expérience et plusieurs autres font ressortir l’urgence de clarifier le statut légal de l’eau souterraine, c’est-à-dire de définir qui en est le propriétaire. De l’avis de certains juristes, l’eau souterraine dispose du même statut que celui de l’eau de surface, soit celui de bien commun. Ce qui oblige tout utilisateur à rendre l’eau au cours d’eau sans modification majeure. Cette interprétation ne semble pas faire l’unanimité puisque d’autres, dont le ministère de l’Environnement du Québec, l’a défini plutôt comme un bien de propriété privée relié à la propriété immobilière.

Or, dans son rapport, la Commission a pris position en faveur du statut de bien commun de l’eau souterraine. Dans le but de prévenir les conflits d’usage et une surexploitation de la ressource, elle recommande également que les projets de captage d’eau souterraine de 75 mètres cubes d’eau par jour et plus soient soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

Plutôt favorable à cette mesure, Stéphane Gingras, de l’Union Saint-Laurent-Grands-Lacs, voit tout de même une contradiction dans le fait qu’on autorise des projets de captage d’eau souterraine d’une telle ampleur alors qu’on reconnaît le manque de connaissances sur l’état des nappes souterraines.

La gestion de l’eau par bassins versants

Une vaste majorité de participants aux audiences publiques se sont déclarés favorables à l’implantation d’un tel mode de gestion. Pour plusieurs, il constitue l’unité de gestion la plus organique et la plus en accord avec le cycle global de l’eau. Le bassin versant désigne l’ensemble d’un territoire drainant les eaux de ruissellement vers un cours d’eau principal ou l’un de ses affluents. Le Québec comprend 430 bassins versants répartis sur dix régions hydrographiques. Chaque comité de bassin versant constitue une unité de consultation et de concertation où les intérêts des divers usagers de la ressource (récréatif, pêche, industriel, agricole, etc.) sont représentés. Chaque comité devra élaborer un schéma directeur de l’eau qui tienne compte des multiples usages et des exigences de préservation de la ressource. Plusieurs aspects importants semblent encore indéfinis dans le rapport, affirme Jean-Francois Girard du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). « Par exemple, le rapport ne dit pas comment la structure par bassins versants pourrait s’harmoniser avec celles des MRC et des municipalités locales », souligne-t-il.

Les enjeux de la conférence de La Haye selon Claude Généreux du SCFP

En mars dernier se tenait à La Haye, la Conférence mondiale sur l’eau organisée par le Conseil mondial sur l’eau. Cette foire sur l’eau, avec plus de 4 000 participants inscrits, était suivie par une conférence ministérielle où plusieurs pays avaient délégué leurs fonctionnaires. Deux sièges étaient réservés pour les syndicats et un seul pour les organisations non gouvernementales, tous secteurs confondus. Claude Généreux, président de la section Québec du Syndicat canadien de la fonction publique, était mandaté par l’Internationale des services publics pour occuper un des deux sièges. Voici en résumé, selon lui, ce qui ressort de cet événement.

Cette conférence avait pour seul but de définir le statut de l’eau. La conférence ministérielle était basée sur le concept-clé que l’eau est désormais un besoin à combler, et non plus comme un droit démocratique. Suite à cet énoncé, deux idées s’affrontent 0 si l’eau est un droit démocratique, ce sont les gouvernements qui s’assurent du respect de celui-ci; si l’eau est considérée comme un besoin, alors les gouvernements n’ont plus la responsabilité de s’assurer que ce besoin soit comblé. Et par le fait même, s’il y a besoin, il y a donc une offre. On passe donc d’une logique de droits humains à une logique mercantile, où l’eau devient une marchandise afin de répondre à la demande. Si l’eau est considérée comme une marchandise, il faut par conséquent en évaluer le coût. C’est sur ce dernier point que la conclusion de la conférence ministérielle n’est pas arrivée à une position claire. Si elle a réussi à passer le concept du besoin de l’eau, elle s’est avancée quant au coût de l’eau, en déclarant qu’il faudrait tenter de refiler celui-ci à la population. « La bataille de l’eau se joue sur le terrain, au niveau des communautés. L’eau doit être gérée au niveau de la communauté0 ses infrastructures et sa gestion doivent être publiques, et non données à l’entreprise privée. »

Le puissant lobby des multinationales de l’eau très présentes à ce sommet a permis ce glissement plus acceptable dans les termes employés, soit de privatisation vers un besoin à combler. Comment peut-on considérer l’eau comme un simple besoin à pourvoir, alors que sans elle, on ne peut vivre ?

Il est possible de se procurer le rapport intitulé L'eau, ressource à protéger, à partager et à mettre en valeur sur Internet à l'adresse www.bape.gouv.qc.ca/eau ou encore au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement au 1-800 463-4732 ou au (418) 643-7447.