La bouffe ou la pilule ?

 


La réforme sur l’assurance-médicaments



Lorsque le Parti québécois entreprit de réformer le régime d’assurance-médicaments en 1996 pour les fins du virage ambulatoire, il espérait récupérer 200 millions $ des plus pauvres de la société dans le but d’atteindre le sacro-saint déficit zéro. Aujourd’hui, la ministre Marois veut faire passer de 175 $ à 350 $ la prime annuelle.

Avant 1996, les prestataires de la sécurité du revenu et les personnes âgées ayant droit au montant maximum du Supplément de revenu garanti (SRG) pouvaient obtenir gratuitement des médicaments tandis que les autres personnes âgées devaient payer un ticket modérateur de 2 $ par ordonnance et ce, jusqu’à un à un plafond annuel de 100$.

Lorsque la réforme dite Castonguay fut mise en place, on annula d’un seul coup la gratuité des médicaments chez les assistés sociaux et les personnes âgées pour la remplacer par une prime annuelle de 175 $ à laquelle s’ajoute 20 % du prix des médicaments qui aura à être payé par des gens qui n’en ont pas toujours les moyens.1

Déjà à 175 $ annuellement, le rapport Tamblyn (une étude effectuée par seize chercheurs de l’Université McGill sur les effets de l’assurance-médicaments sur les personnes âgées et les assistés sociaux), qui fut commandé par le gouvernement, constatait en mars 1999 que les prestataires de la sécurité du revenu ont réduit leur consommation de 14,7 % et les plus vieux de 7,7 %. Le rapport ajoute également que 1 946 «événements indésirables» (hospitalisations, institutionnalisations et décès) ont été dénombrés, identifiés comme des conséquences directes dans les dix premiers mois de la mise en application de ce programme.

Or, voilà justement que la ministre Marois a décidé de faire doubler ces primes de 175 $ à 350$ annuellement.

Une situation inacceptable

Cette situation est inacceptable selon Jennifer Auchinleck, de la Coalition sur l’assurance-médicaments.2 «Nous voyons régulièrement des gens qui ont à choisir entre la nourriture et les médicaments, de même que nous avons vu d’autres individus hospitalisés pour cette même raison», soutient-elle.

La coalition a d’ailleurs déposé un mémoire à la Commission des Affaires sociales dans le cadre de la consultation générale concernant l’évaluation du régime général d’assurance-médicaments. Elle demande, entre autres, que le gouvernement assure la gratuité des médicaments pour toutes les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, de même que le développement d’une politique globale sur les médicaments, ce qui aiderait à comprendre le rôle important joué par les compagnies pharmaceutiques dans l’augmentation rapide du prix des médicaments depuis une décennie. Finalement, la coalition demande l’intégration complète des médicaments dans le système public de santé.

Le modèle américain

Cette troisième demande est radicalement à l’opposé du vent de privatisations qui souffle en provenance du sud. L’argument principal de ceux qui prônent la dénationalisation de la santé est la performance. Il paraîtrait que le privé fonctionne mieux avec moins de ressources. C’est du moins ce qu’affirmait Alain Dubuc dans une série d’éditoriaux consacrés aux problèmes dans le domaine de la santé, début juin, dans La Presse.

Pourtant, si nous nous fions aux statistiques de l’OCDE, les États-Unis dépensaient, en 1998, 14 % de leur PIB (4 270 $ per capita) pour les soins de santé, alors que le Canada y consacrait 9 %. Cela sans compter que 15 % de la population étatsunienne, soit près de quarante millions de personnes, ne disposent de pratiquement aucune protection. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si ce pays arrive loin dans le classement des pays de l’OCDE quant à l’espérance de vie et la mortalité infantile.

Ces piètres résultats avaient sans doute inspiré le président Clinton au début de son premier mandat, alors qu’il considérait le système canadien comme un modèle à imiter. Malheureusement, il s’est buté de plein fouet aux assureurs privés pour qui le chaos et la pauvreté sont toujours source de revenus.

L’ombre des compagnies d’assurances

Désormais, c’est plutôt notre système de santé qui est en danger. Un système dont nous étions pourtant si fiers. Déjà, aujourd’hui, des assureurs privés offrent des «forfaits» à prix à peine plus élevés que ceux du public.

Par exemple, pour un jeune célibataire de 25 ans, la Great West offre un service de chambres semi-privées à l’hôpital, d’infirmiers à domicile, d’ambulanciers, de services para-médicaux, de soins dentaires, ainsi que de médicaments (à 90 %). Tout ça, pour 59$ par mois. Pour un couple de 40 ans, la facture mensuelle monte à 109 $. Les assureurs sont prêts. Ils n’attendent qu’un signe de la part du gouvernement et ils espèrent réussir à forger l’opinion publique à cette fin.

Avons-nous mentionné que la patron de la Great West qui a absorbé la London Life pour 2,9 milliards $ il y a quelques années est le même que celui qui contrôle La Presse ? Un certain Paul Desmarais... Alors, lorsque nous lirons Alain Dubuc, nous saurons qui nous parle réellement et à qui profite la nouvelle réforme sur l’assurance-médicaments.

(1) Claude Castonguay, le «père» de l’assurance-maladie, est aujourd’hui vice-président du conseil d’administration et membre du comité exécutif de la Banque Laurentienne, une institution qui offre des assurances privées.

(2) La coalition sur l’assurance-médicaments compte plus de deux cents groupes communautaires, regroupements, fédérations, organisations syndicales et associations professionnelles au Québec.