Nouvelle victoire de l’industrie forestière

 


La forêt sort perdante



En mai dernier, le ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard, déposait son projet de loi visant à apporter des modifications à la Loi sur les forêts, résultat d’une consultation publique où seuls trois groupes écologistes et dix représentants du milieu autochtone se sont exprimés sur un total d’environ 500 participants appartenant majoritairement au milieu industriel. Une fois de plus, l’industrie forestière sort gagnante de cette mascarade, au détriment de la nature et de la démocratie.

La dernière révision de la loi n’ébranle en rien les fondements du régime forestier, instauré en 1986; l’industrie forestière demeure la principale bénéficiaire d’une ressource à 90 % collective (forêt publique), laissant ce qui reste aux autres utilisateurs.

La privatisation de la forêt

Les contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestiers (CAAF) conclus sur un horizon de 25 ans et révisés tous les cinq ans permettent aux industries de puiser tout le bois nécessaire à leurs opérations, dans la mesure où elles assurent la régénération naturelle de la forêt ou qu’elles effectuent des travaux d’aménagement afin de garantir le rendement soutenu de la forêt.

Or, là où le bât blesse, c’est notamment sur le mode de calcul qui détermine les volumes de bois accordés aux industries. Ceux-ci sont octroyés en fonction de savants modèles informatiques supposés prévoir le rendement de la forêt sur les 150 prochaines années. Ainsi, on permet aux forestiers de récolter plus de bois que la forêt n’en produit en présumant pouvoir atteindre les objectifs de rendement fixés grâce aux travaux d’aménagement.

Or, comment peut-on prévoir les effets des changements climatiques et des pluies acides sur la forêt de demain, de même que la fréquence et l’ampleur des feux de forêts et des épidémies d’insectes ? «C’est comme gruger sur le capital en espérant que les taux d’intérêt futurs seront assez élevés pour le rembourser», affirme Henri Jacob, président du Réseau québécois des groupes écologistes.

Cette foresterie virtuelle a d’ailleurs été dénoncée par plusieurs ingénieurs forestiers dont certains devant la caméra de Robert Monderie et de Richard Desjardins dans le film L’Erreur boréale. Même des fonctionnaires du ministère des Ressources naturelles ont affirmé dans un document interne, dont The Gazette a obtenu copie, douter sérieusement des hypothèses de renouvellement de la ressource.

Du côté de la Fédération des travailleurs de bois du Québec qui regroupe des extracteurs de bois de la forêt privée, on est peu rassurée par le fait que le gouvernement laisse l’industrie contribuer à 50 % au fonds forestier qui finance notamment la recherche et l’inventaire forestier. «Qui dit financement, dit pouvoir de décision et de surveillance. Le gouvernement devrait contribuer majoritairement au financement pour avoir un point décisionnel plus important», affirme Victor Brunette, directeur général de la fédération.

Du rendement soutenu au rendement accru

Dans la dernière révision de la loi, le ministre Brassard introduit le principe de rendement accru sur certaines parties du territoire de façon à en soustraire d’autres de l’exploitation, créant ainsi des aires protégées. Il faut dire que, sur l’ensemble des États de l’Amérique du Nord, le Québec est celui qui protège le moins de territoires. Cette mesure palliative ne semble toutefois pas rassurer le milieu écologiste. «On ne serait pas étonné que les espaces protégés qui seront sélectionnés soient de toute façon improductifs et inutilisables», affirme Henri Jacob.

Parmi les initiatives de protection, le ministre impose également une limite nordique (à partir du nord de Chibougamau) au-delà de laquelle aucune activité d’aménagement forestier ne sera permise à l’exception de celles destinées à satisfaire les besoins des communautés locales. En accord avec le principe, les écologistes ne sont toutefois pas dupe du fait que cette mesure n’est pas très dérangeante pour l’industrie qui prélève peu de bois à cette latitude.

«Le ministre a choisi le rendement accru, car il n’arrive pas à fournir le bois qu’il s’est engagé à donner aux compagnies dans les CAAF», ajoute Henri Jacob. Le principe de rendement soutenu consiste théoriquement à assurer la repousse d’un volume équivalent de bois à celui récolté. Pour atteindre l’objectif de rendement accru on devra ainsi intensifier «l’artificialisation» de la forêt par l’utilisation d’arbres transgéniques, de clones à croissance rapide, et recourir à des pesticides pour éliminer la végétation indésirable. À quand les arbres en plastique !

De l’avis de Pierre Dubois, coordonnateur de la Coalition sur les forêts vierges nordiques qui regroupe des syndicats, des écologistes, des autochtones et des organisations populaires et cléricales, le mode d’attribution des volumes de bois est non viable sur les plans économiques et écologiques. «Une réforme du régime forestier s’impose si l’on veut assurer la survie des emplois dans le secteur forestier», affirme-t-il.

Moins on en sait plus on en cache

Le manque de crédibilité accordée au processus de consultation publique sur la révision du régime forestier en a fait reculer plusieurs. «Un délai de trois semaines a été accordé pour consulter la documentation et pour produire un mémoire. C’est dérisoire !», affirme Henri Jacob. De plus, allant à l’encontre de demandes populaires, le gouvernement a maintenu sa position de tenir les consultations en période électorale. «Les fonctionnaires sont discrets sur les... données quand ils ne savent pas qui sera leur prochain boss», ajoute Henri Jacob.

De l’avis des écologistes, seule une enquête publique indépendante permettrait de rétablir la crédibilité du gouvernement sur la gestion des forêts.«Il est primordial d’avoir un portrait juste de la situation car actuellement la population n’est pas correctement informée et les décisions se prennent en faveur du lobby de l’industrie», affirme Pierre Dubois. Dès septembre prochain, on débattra du projet de loi en commission parlementaire où le gouvernement sera à la fois juge et partie. On est encore loin du débat démocratique sur la question forestière que réclame 80 % de la population québécoise.