Parizeau et le vote ethnique d'Alicja

 

Lorsqu'en mai 1960, lors d'un dîner intime, le comédien Claude Préfontaine leur fait part du projet qu'il mûrit avec une poignée d'amis de fonder le Rassemblement pour l'indépendance nationale, les Parizeau sont partagés.

Jacques Parizeau ricane. « Claude, vous rêvez en couleurs avec votre pays du Québec. » Sa femme, Alicja Poznanska, d'origine polonaise, est moins rebelle à l'idée… Dès 1963 ou 1964, Alice Parizeau assistera aux réunions du R.I.N., alors que Jacques Parizeau sera encore fédéraliste. Wanda Malatynska-de Roussan nous assure que sa grande amie a embrassé « très tôt » la cause québécoise. « Alice a été cet allumage du patriotisme chez Parizeau », va-t-elle jusqu'à penser.

Voilà le genre de révélations que nous fait le journaliste Pierre Duchesne dans le passionnant tome premier de la biographie de Jacques Parizeau. Ce volume massif, intitulé Le Croisé (1930-1970), est la meilleure histoire économique de la Révolution tranquille, en plus d'être le récit admirable des quarante premières années de la vie d'un des principaux artisans de ce changement fondamental.

Que le patriotisme de Parizeau ait eu besoin d'allumage, Duchesne nous le montre bien. Dans la tâche ardue de réveiller le sentiment national endormi, il raconte qu'un vieux major britannique de l'Armée des Indes a même précédé Alice.

Porter des gants en été

Cela se passait en 1954, à l'époque où Parizeau étudiait à la London School of Economics. Invité à une soirée mondaine dans une villa huppée de la banlieue londonienne, le jeune homme se fait demander par son hôte des renseignements sur le statut des Canadiens français au sein de ce qui était, hier encore, l'Empire britannique. Stupéfait d'apprendre que leur situation n'est guère reluisante, le vieil officier demande à brûle-pourpoint à Parizeau pourquoi les Canadiens français tolèrent cet état de domination. Tout penaud, l'étudiant répond 0 «Well, English Canadians wouldn't like it if we… » Son hôte a tôt fait de l'interrompre pour lui faire la leçon. Il ne faut, s'écrie-t-il, accorder aucune importance à ces «bloody colonials ». Dans le ton du militaire transpire tout le mépris du métropolitain à l'endroit des êtres réputés incultes et grossiers (mais ô combien nécessaires !) qui brandissent l'Union Jack au-delà des mers.

C'est ainsi que Parizeau se rend compte que, pour la bonne société londonienne, les Canadiens anglais ne sont rien d'autre que de « maudits habitants ». Ce que nous étions, faut-il le dire, aux yeux de nos propres élites. Mais, ça, le bourgeois Parizeau se gardera bien de le préciser… « Cette conversation avec l'officier britannique a changé ma perspective sur l'existence ! », avouera-t-il tout de même, quarante-cinq ans plus tard, à son biographe Pierre Duchesne.

De retour au Québec après avoir décroché son doctorat en économie, Parizeau enseigne à l'École des Hautes Études commerciales. Il a assimilé à sa manière la leçon du vieux major de l'armée des Indes. Vêtu comme un banquier de Londres, il s'empresse d'exhiber ses souliers aux autres professeurs. « Regardez ! Le motif spécial qui apparaît sur le dessus des chaussures est réservé aux officiers de la RAF britannique. » On le verra même porter des gants en été…

Mais l'homme est plus complexe qu'il en a l'air. À l'âge de dix-sept ans, n'avait-il pas distribué des tracts communistes à la sortie du Forum ? Encore élève au collège Stanislas, n'avait-il pas lu Le Capital ? Parizeau a toujours rêvé de révolutionner l'économie québécoise. Au corporatisme réducteur, autoritaire, vieillot et irréaliste de son premier maître, François-Albert Angers, le jeune docteur de Londres substitue un dirigisme souple qui s'accorde avec l'économie de marché. Parizeau s'inspire à la fois de Perroux et de Keynes; il laisse à d'autres esprits Salazar et les encycliques.

Ti-Poil veut payer

Après la mort de Duplessis en 1959, le goût du changement est dans l'air. Parizeau devient conseiller économique de Jean Lesage. « Il aime répéter, écrit Duchesne, que la Révolution tranquille a été faite par une demi-douzaine d'hommes politiques, une douzaine de fonctionnaires et une cinquantaine de chansonniers et de poètes. » Parizeau nous confirme que c'est plutôt le frondeur René Lévesque que le conformiste Jean Lesage qui a changé le cours des choses. Le jour où Ti-Poil, la couette en l'air, vêtu de son imperméable froissé, est entré à l'hôtel Windsor à l'invitation des dirigeants de la Northern Power, qui, dans la crainte de la nationalisation de l'électricité, avait offert un somptueux banquet à une délégation gouvernementale, la terre a tremblé. Ti-Poil venait de leur dire0 «How much ? » Il tenait à payer son écot.

Même si théoriquement, dans l'esprit de Parizeau, l'État peut tout, la partie n'est pas facile. En 1961, le revenu moyen des Canadiens français, au Québec, est de 35 % inférieur à celui des Canadiens anglais. Ces derniers occupent d'ailleurs 80 % des postes importants. En 1962, le niveau de scolarité de 54 % des adultes de plus de vingt-cinq ans, dans la province, n'excède pas la sixième année. Cette triste situation ne peut que profiter à la domination anglo-saxonne. « Tant que je serai là, tu ne manqueras jamais d'argent pour l'éducation, mais ne me force pas à envoyer mes enfants dans ton système », dira au sous-ministre Arthur Tremblay l'élitiste Parizeau, pour qui il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que l'enseignement public québécois n'acquière le prestige de l'enseignement républicain français.

Craignant que la Révolution tranquille ne soit l'arrêt de mort d'une oligarchie coloniale qui n'ose dire son nom, le syndicat financier des Anglais de Montréal, dirigé par l'agence A. E. Ames & Co. et la Bank of Montreal, refuse de prêter au gouvernement québécois pour qu'il nationalise l'électricité comme l'Ontario l'avait fait dès 1906. Qu'à cela ne tienne ! Parizeau, Lévesque et quelques autres poussent le gouvernement à faire appel aux Américains. Devant la concurrence, les financiers de Montréal ne peuvent que plier. La Bank of Montreal consentira un prêt à l'instar de nombreuses sociétés financières américaines.

L'État boursicoteur

Mais Parizeau n'est pas satisfait. Il souhaite que l'État québécois crée sa propre banque d'affaires. Au lieu de se mettre à genoux devant les financiers, le gouvernement ne devrait-il pas faire comme eux 0 investir, en particulier à la bourse ? Parizeau rêve d'un véritable moteur de l'économie québécoise. C'est lui le père de la Caisse de dépôt et placement, comme l'explique si bien Duchesne. La Caisse capitalisera les cotisations versées par les bénéficiaires du régime public de rentes que le Québec créera, en s'appuyant sur des négociations constitutionnelles faites par Duplessis. Le faible Lester B. Pearson donnera son agrément. L'obtention de ce régime de pension apparaîtra comme la plus belle victoire du Québec depuis la création de l'impôt provincial sur les revenus des particuliers en 1954. Le vieil autonomisme de Duplessis s'en trouvera radicalement transformé.

Accomplie par des fédéralistes, la Révolution tranquille portait paradoxalement en elle le germe de la destruction du fédéralisme, constatera Parizeau. « Nous sommes en train de démolir le Canada, puis on ne construit rien en face ! » En 1967, le technocrate Jacques Parizeau deviendra indépendantiste au nom de la plus froide des logiques.

Alice Parizeau l'était devenue avant lui, non pas pour des motifs économiques et constitutionnels, mais pour des raisons plus profondes. Les rapports qu'elle avait eus avec les « bloody colonials », tant décriés par le vieux major britannique, avaient été pour elle un véritable choc anthropologique. Cette résistante polonaise, qui avait trouvé refuge en France après l'assassinat de ses parents par les nazis, s'était fait répondre, avec mépris, au magasin Eaton 0 «I don't speak French. » « Jamais encore », écrira-t-elle, « ni à Londres, ni à Varsovie, ni à New York, ni à Istanbul, un pareil affront n'avait été fait en ma présence à Sa Majesté ” la langue française que moi-même j'avais eu tant de mal à apprendre. »

Les Parizeau se retrouvent dans l'indignation. Les politiciens, « je ne les aime pas », lance Jacques Parizeau, arrière-petit-fils d'un négociant ruiné par les intrigues politiques. « Je trouve que pour un bon nombre d'entre eux, ce sont des cons. » Parizeau a dû, dans une chambre du Château Frontenac, tenir la main d'un ministre complètement paf pour qu'il signe un décret. Le haut fonctionnaire s'est aussi rendu au « bordel » La Grande Hermine pour arracher d'autres signatures ministérielles. Alice, quant à elle, refusera, après Octobre 70, de serrer la main de Pierre Elliott Trudeau et de Marc Lalonde.

Fils d'un assureur lettré qui dut besogner dans une compagnie anglo-saxonne avant de s'installer à son compte et de se voir, à l'âge de soixante ans, à la tête d'une entreprise de grande envergure, Parizeau le technocrate connaissait déjà la valeur de l'obstination. Après avoir tiré de la mitrailleuse lors de l'insurrection de Varsovie, Alicja Poznanska était devenue un feu irradiant. C'est elle qui a secrètement insufflé à Jacques Parizeau le sens de la grandeur québécoise.

Pierre Duchesne, Jacques Parizeau, tome I, Québec Amérique, 2001.|203| 
223|La bible des curieux|Michel Lapierre|

Livre 0 La Mémoire du Québec de 1534 à nos jours



Le dictionnaire de Jean Cournoyer n'est pas et ne se veut pas un dictionnaire critique. Il se présente sans vergogne comme une compilation. Mais quelle compilation 0 13 500 noms propres québécois ! Toutes les municipalités, y compris L'Île-Dorval qui n'a que trois habitants. Tout ce que le Québec compte de médaillés, de décorés, de lauréats, de récipiendaires, d'honorables, d'honorés, d'habitués des panthéons, d'anoblis, de riches, de célèbres, de héros, de pionniers, de terroristes, d'inventeurs et de martyrs. Bref, beaucoup de noms qu'on ne retrouve pas dans les autres dictionnaires. Un ouvrage révolutionnaire 0 sept pages sont consacrées à l'histoire des Hells Angels et une seule à celle des Jésuites.

Une bible populaire qui fera les délices de tous ceux qui, à l'exemple du docteur Ferron, pensent qu'il n'y a rien de petit dans notre histoire. Une mine d'or pour les curieux et tous ceux qui savent que la curiosité est le commencement de la culture et même du génie.

La Mémoire du Québec de 1534 à nos jours, Jean Cournoyer, Stanké, 2001|203| 
224|Vous souvenez-vous du Front commun ?|Jean-Claude Germain| Il y a aujourd’hui trente ans, pendant que l’armée veille sur le sommeil des ministres, tout craque de partout. Début janvier, Jean Cournoyer sonne le tocsin. Si le chômage persiste, il y a des dangers de révolution, prévient le nouveau ancien ministre du Travail et de la Main-d’œuvre.

L’usage du mot à dix lettres n’est plus exclusif aux felquistes. À moins que les gouvernements prennent immédiatement les mesures qui s’imposent pour résoudre le problème du chômage, le Québec devra faire face à la révolution, prophétise Réal Caouette.

Le chef fédéral du Parti créditiste ne rate jamais une occasion d’instruire les catéchumènes. Actuellement, il y a des produits en abondance mais pas d’argent dans les poches des consommateurs, confirme l’ancien vendeur de chars avant d’établir son diagnostic. J’appelle ça de la déflation ! Si ça change pas, vous allez voir sauter les vitrines des magasins. Ce qu’on appelle une déflagration.

126 grèves et 1 417 560 jours de chômage

Le bilan de l’année précédente fait état d’une véritable conflagration dans le monde du travail. En 1970, on a compté 126 grèves ou lock-out qui ont impliqué 73 189 travailleurs pour un grand total de 1 417 560 jours de chômage. Si la tendance se maintient, les syndiqués seront dans la rue ou en prison.

Rien ne va plus ! La Confédération des syndicats nationaux tire la conclusion qui s’impose. Il ne suffit plus pour la CSN de brandir le poing fermé. Nous croyons qu’il appartient à chaque individu, dans sa région, dans son usine, dans son quartier, de décider de quelle façon il peut le mieux avec la collectivité réaliser la meilleure allocation possible de nos ressources, tonne-t-elle dans un manifeste où son président, Marcel Pepin, expose la nouvelle orientation de la centrale syndicale. C’est toute notre mentalité qu’il faut transformer, jusqu’au jour où nos gouvernements ne pourront plus rester sourds à l’expression des besoins réels des gens. Les travailleurs syndiqués n’attendent plus rien du gouvernement du Pleutre. Leur slogan est sans appel. Ne comptons que sur nos propres moyens !

Robert, Paul et Jean, le triumverrat

Le président de Power Corporation peut compter en tout temps sur la sollicitude de la corporation du pouvoir. À peine a-t-il appris l’enlèvement de Pierre Laporte que Robert Bourassa se soucie aussitôt de la sécurité de Paul Desmarais. Le financier chasse le volatile sur une île déserte du Saint-Laurent. La Sûreté du Québec lui dépêche un hélico illico. Qu’a-t-il à craindre ? Les sous-marins des felquistes, voyons ! Un an plus tard, le délire paranoïaque demeure omniprésent dans le paysage politique. Réélu sans opposition, Jean Ier ne rate pas une occasion pour fustiger l’opposition. Même l’unanimité ne parvient pas à le rassurer. Que cherche-t-il ? La fusion mystique ?

Paul Desmarais est le nouveau propriétaire du quotidien La Presse. Depuis juillet, le boss affronte ses employés. Le 27 octobre, il décrète un lock-out général pour contrer une manifestation massive de solidarité organisée par la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. La FTQ l’a prévue pour le 29. Quoi de plus inquiétant pour le roi Jean qu’un attroupement à quelques pas de sa mairie ? La veille de la manif, Paul Desmarais rencontre le maire Jean Drapeau qui sort des boules à mites son règlement antimanifestation, relate Louis Fournier. Un grand quadrilatère autour de l’édifice La Presse sera interdit d’accès par la police.

Mes amis, les policiers nous interdisent le passage !

Le 29 octobre, plus de 15 000 personnes bravent l’ordonnance du roi Jean. Bras dessus, bras dessous, les présidents respectifs des trois grandes centrales syndicales québécoises ouvrent la marche. À la suite de Louis Laberge, Marcel Pepin et Yvon Charbonneau, président de la Centrale de l’enseignement du Québec, les manifestants de la FTQ, de la CSN et de la CEQ empruntent la rue Saint-Denis. L’objectif est l’édifice de La Presse. Carré Viger, l’escouade anti-émeute bloque le passage derrière une double rangée de barrières métalliques. L’affrontement est inévitable. Louis Laberge se tourne vers les syndiqués. Mes amis, les policiers nous interdisent le passage. Nous allons passer quand même. La foule manifeste bruyamment son appui. Uniquement les trois présidents de centrale ! précise le président de la FTQ qui se fait entendre grâce à un haut-parleur installé sur une camionnette. Les policiers baissent leurs visières. S’ils ont à nous arrêter, qu’ils le fassent. La foule proteste. Mais pas de violence, je vous en prie ! Les trois chefs syndicaux sortent du rang et s’avancent seuls vers la barricade.

200 arrestations, 190 blessés et une perte de vie

Derrière la double barrière, l’accueil des policiers est brutal. Ils ne m’ont pas manqué. J’ai reçu un solide coup de poing sur la gueule et mes lunettes ont revolé. J’étais en sang, témoigne Yvon Charbonneau. La consigne est de ne pas mettre les chefs syndicaux en état d’arrestation. Ils sont refoulés. Les manifestants s’impatientent. Louis Laberge prend le micro pour faire le point. C’est peine perdue ! Le fil a été arraché par un policier. La confusion règne. C’est le moment prévu pour l’intervention des forces de l’ordre. L’escouade anti-émeute charge avec une brutalité inouïe. Sur la ligne de front, le fils aîné du président de la FTQ est frappé sauvagement. Louis Laberge n’est pas épargné. Il est roué de coups de matraque dans le dos. Gonflée à bloc, la garde prétorienne s’en donne à cœur joie. La répression policière pour la cogne d’élite rime avec heures supplémentaires. La solidarité avec les ouvriers n’est pas incluse dans la fraternité des policiers.

La manifestation de La Presse est l’une des plus sanglantes de l’histoire du mouvement ouvrier au Québec. Le bilan officiel du lendemain fait état de 200 arrestations, de 190 blessés et d’une perte de vie, celle d’une jeune femme, morte étouffée à la suite d’une crise d’asthme. Louis Laberge ne décolère pas. Hier soir, les policiers n’ont été rien d’autre que le prolongement de leur matraque, le bras armé du dictateur Drapeau. Après l’hystérie de vendredi soir, rien ne sera jamais plus pareil pour les travailleurs, fulmine le chef ouvrier. Il y a des milliers de syndiqués qui ne sont plus aujourd’hui les gars qu’ils étaient avant vendredi soir. Et moi non plus, je ne suis plus le même !

Un coup de matraque, ça frappe en tabarnak !

Pour la Fédération des travailleurs du Québec, c’est un véritable chemin de Damas. Des trois grandes centrales syndicales, la FTQ est la moins politisée. En ces matières, la colère est bonne conseillère. Quatre jours plus tard, près de 17 000 personnes se retrouvent au Forum pour partager leur indignation. La soirée débute par une minute émouvante de silence à la mémoire de Michelle Gauthier, la jeune manifestante décédée. Ce n’est pas une veillée funèbre. Un coup de matraque, ça frappe, ça frappe ! Un coup de matraque, ça frappe en tabarnak ! chante la foule sur un air connu. Le discours de Louis laberge fait monter la pression de plusieurs crans. Ti-Louis ne mâche pas ses mots et ne retient pas les coups qu’il porte. La FTQ en a ras le bol ! C’pas des vitres qu’il faut casser ! La conclusion du tribun tombe comme une masse. C’est le régime que nous voulons casser ! L’appui des militants fait trembler les murs du Forum.

La CSN a délégué Michel Chartrand pour lire le message de son président, Marcel Pepin. Le régime actuel a vécu. Il n’y a plus de place pour nous dans un tel régime. Déclare l’orateur dont le verbe fougueux ne laisse planer aucun doute sur l’engagement politique de sa centrale. En dix ans, il n’avait pas été possible de faire l’unité des travailleurs de toutes les centrales. En une soirée, Drapeau y est parvenu. Il a créé une unité que rien ne pourra plus jamais ébranler résume pragmatiquement Louis Laberge. Le Front commun est né !|203| 
225|Un autre ami de la CIA devenu trop encombrant !|André Maltais|

Le Pérou juge Vladimiro Montesinos



Manuel Noriega, Saddam Hussein, Oussama Ben Laden, Vladimiro Montesinos 0 décidément, la CIA choisit souvent très mal ses amis ! Montesinos, ex-chef de la police secrète péruvienne pendant le régime d'Alberto Fujimori, était depuis 25 ans « l'homme de confiance » de l'agence américaine de renseignement. La CIA lui pardonnait même la mauvaise utilisation qu'il faisait de l'argent et du matériel qu'elle lui procurait. Jusqu'au jour où des fusils AK-47 achetés pour l'armée péruvienne se sont retrouvés dans les mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Le 3 août dernier, alors que se déroulait son procès dans l'affaire des AK-47, Vladimiro Montesinos demandait à la cour de son pays que deux officiels de la CIA soient entendus comme témoins en sa faveur.

Selon lui, les deux agents seraient venus à ses quartiers généraux pour lui annoncer qu'ils avaient découvert un trafic d'armes entre le Pérou et la Colombie, geste qu'ils n'auraient jamais posé si Montesinos avait été impliqué dans cette affaire. Rappelons que Montesinos est accusé d'avoir revendu en Colombie une commande de 50 000 fusils d'assaut AK-47 destinés à l'armée péruvienne afin de s'enrichir personnellement. Au moins 10000 de ces fusils seraient maintenant entre les mains des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC).

Six juges pour l'accusé

L'ancien espion est loin d'en avoir fini avec la justice péruvienne. Il fait face à 57 chefs d'accusation et à 168 enquêtes criminelles pouvant mener à de nouvelles accusations. Le volumineux dossier est réparti entre six juges d'une cour spéciale anti-corruption et recense 24 types de crime dont le blanchiment d'argent, l'enrichissement illicite, la corruption, l'organisation d'escadrons de la mort, la protection de barons de la drogue et le trafic d'armes.

Mais ce n'est pas d'hier que Montesinos a des liens avec la CIA, de sorte que le recours à des agents de celle-ci pour la défense de celui-là n'étonne presque pas.

Selon l'agence Weekly News Update on the Americas1, des documents déclassifiés du département d'État révèlent que l'Ambassade américaine à Lima l'avait déjà identifié comme «allié potentiel » au milieu des années 70 alors qu'il servait pourtant dans le gouvernement de gauche de Juan Velasco.

En 1975, quand Velasco est renversé par le général Francisco Morales Bermudes et d'autres militaires de droite, Montesinos conserve étrangement ses fonctions dans le nouveau régime péruvien. Il est même promu capitaine d'armée.

Un jeune traître qui promet

L'année suivante, il est invité aux États-Unis où il rencontre Robert Hawkins de la CIA, des officiels militaires et surtout Luigi Einaudi, alors chef planificateur du département d'État pour la politique latino-américaine et maintenant secrétaire général adjoint à l'OAS (Organisation des États américains). Montesinos aurait alors livré au gouvernement américain des documents sur les ventes d'armes de l'URSS au Pérou.

Toujours selon les documents du département d'État, Montesinos est mis en procès à son retour au Pérou parce que les militaires l'accusent de vendre des renseignements à la CIA. Mais l'ambassadeur américain au Pérou, Robert W. Dean, intercédera en sa faveur auprès du ministre péruvien des Affaires étrangères. Montesinos aurait aussi demandé à son avocat de contacter Luigi Einaudi lui-même.

Le 12 juillet dernier, le Centre pour l'intégrité publique, un organisme indépendant basé à Washington, publiait un important rapport2 sur les liens entre la CIA et Montesinos. On y apprend que, de 1990 jusqu'en septembre 2000, la CIA versait annuellement un million de dollars à l'une des unités du Service national de renseignements péruvien (SIN en espagnol).

Il s'agissait de la Division des renseignements narcotiques (DIN) spécialisée dans la lutte anti-drogue et contrôlée par le seul Montesinos dont la CIA connaissait parfaitement les activités liées à la violation des droits humains, à la corruption et… au trafic de drogue ! !

Vente de services d'espionnage

Le rapport réalisé par le Consortium international d'enquêtes journalistiques (ICIJ en anglais) cite trois sources provenant du milieu péruvien des renseignements militaires qui affirment que l'équipement de surveillance « high tech » fourni par la CIA à Montesinos était utilisé par celui-ci pour intercepter les conversations de politiciens des partis d'opposition, de journalistes, d'hommes d'affaires et d'officiers militaires soupçonnés d'infidélité au régime Fujimori.

Montesinos s'enrichissait en vendant aussi des « services d'espionnage » à de riches particuliers, firmes ou lobbies de même que, selon un document déclassifié de la DEA (Agence antidrogue américaine), en protégeant des trafiquants de drogues en retour d'importantes sommes d'argent qu'il partageait avec un complice, le haut dirigeant militaire Nicolas Hermoza Rios.

Enfin, une autre petite partie des sommes versées par la CIA à la DIN servait à des « activités anti-terroristes ».

Le rapport de l'ICIJ insiste que la CIA savait parfaitement que l'argent qu'elle versait à la DIN allait à Montesinos et qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait. Selon un officiel de la CIA cité dans le rapport, l'agence avait même averti le Conseil national de sécurité, le département d'État et le Pentagone des activités illicites de Montesinos. Mais tous voulaient que la CIA continue de traiter avec lui parce qu'il était « le seul qui a du cran en ville ».

Selon le Miami Herald (3 août), on a trouvé 270 millions $ appartenant à Montesinos dans des comptes bancaires secrets un peu partout dans le monde. Et il en resterait pas mal d'autres à découvrir.

La CIA en beau fusil !

C'est en apprenant que des millers de fusils AK-47 avaient abouti dans les mains des FARC que la CIA aurait décidé de «lâcher » enfin le tandem Montesinos-Fujimori. Des sources militaires péruviennes ont même affirmé aux auteurs du rapport de l'ICIJ que la CIA était à l'origine des fameuses vidéocassettes montrant Montesinos en train d'acheter l'appui de membres de l'opposition parlementaire.

Ces cassettes avaient précipité la chute du régime Fujimori, l'an dernier.

Fujimori (au cours d'une conférence de presse, le 21 août 2000) avait prétendu que le trafic de AK-47 vers la Colombie avait été découvert grâce aux efforts de Montesinos et d'un « Plan Sibérie » du Service national de renseignements, se moquant même de la CIA et de la DEA en disant que les services secrets péruviens étaient plus efficaces que les agences américaines malgré un budget infiniment moindre !

Mais depuis le début de l'enquête sur Montesinos, l'amiral Humberto Rozas Bonuccelli, alors chef officiel du SIN, a confirmé que la CIA avait bien découvert le scandale des AK-47, et non le Service national de renseignement péruvien.

Le marchand de mort

Lors de son procès, le 3 août, Montesinos a nié connaître l'intermédiaire libanais spécialisé dans le trafic d'armement Sarkis Soghanalian surnommé «Marchand de mort » à cause des milliards de dollars d'armes et de munitions qu'il aurait vendues au cours des années 80 et 90 (les contras du Nicaragua et l'Iraq de Saddam Hussein étant deux de ses bons clients). Il a aussi nié avoir transigé avec le Péruvien Jose Luis Aybar et le Franco-Américain Charles Acelor.

Mais les enquêtes judiciaires suggèrent autre chose0 Soghanalian aurait rencontré Montesinos à Lima en janvier 1999 pour finaliser la vente de 50 000 fusils AK-47 du gouvernement de la Jordanie à l'armée péruvienne qui n'en avait même pas besoin puisqu'elle venait tout juste d'acheter 80 000 fusils semblables à Israël !

Après la livraison des armes de la Jordanie, Montesinos aurait envoyé le Péruvien Aybar à Miami avec l'argent de la division des renseignements narcotiques (DIN) pour payer les armes. Le Franco-Américain Acelor aurait ensuite récupéré et transféré l'argent dans l'un des comptes de Soghanalian à Paris. Aybar, deux parachutistes péruviens (Santos Cenepo et Luis Alberto Meza) et le traducteur personnel d'Acelor (Juan Manuel Lopez) ont tous juré que l'opération avait été montée par Montesinos.

Soghanalian, qui vit aux États-Unis, affirme que les officiels de la CIA connaissaient la transaction entre la Jordanie et le Pérou et n'y voyaient aucun problème. Ils ne se doutaient tout simplement pas jusqu'où pouvait aller la cupidité de leur ami … !

Montesinos était également un excellent assassin !

L'ex-ami de la CIA est aussi accusé d'avoir organisé et dirigé des escadrons de la mort. Il s’agit plus particulièrement de meurtres et de disparitions forcées en rapport avec deux cas.

Le 3 novembre 1991, des assaillants avaient mitraillé par erreur un barbecue familial à Barrios Altos, une banlieue de Lima, tuant 15personnes qu'on leur avait désigné être des militants de gauche.

En juillet 1992, neuf étudiants de gauche de l'université La Cantuta et un de leurs professeurs étaient enlevés puis retrouvés assassinés quelques jours plus tard.

Des preuves solides indiquent que ces deux massacres sont l'œuvre du Groupe Colina, un escadron de la mort du SIN (Service national de renseignement) dirigé par Montesinos en personne.

De plus, le 30 juillet, le gouverneur général Nelly Calderon ordonnait une enquête sur les rôles joués par Fujimori et Montesinos dans le meurtre du leader syndical Pedro Huilca survenu à l'époque des deux précédents massacres. L'accusation est basée sur le témoignage de deux ex-agents du SIN (Mesmer Carles et Clemente Alayo) qui affirment que Huilca a été tué par le Groupe Colina.

Ce groupe sévit encore aujourd'hui. Le quotidien de Lima, La Republica (6 août), rapporte que la Direction nationale contre le terrorisme (DINCOTE) attribue au Groupe Colina une série d'explosions à la grenade qui ont ébranlé récemment la capitale péruvienne.

Il s'agirait d'une « opération psycho-sociale » visant à garder bien vivante dans l'opinion publique la crainte du terrorisme de gauche des années 80.

Jeux de guerre en Argentine

Le 16 septembre, prenaient fin les exercices militaires « Cabanas 2001 » dirigés par 200 militaires américains dans la province de Salta, au nord de l'Argentine. Les manœuvres comptaient aussi 700 soldats argentins et une quarantaine chacun pour le Brésil, le Chili, le Pérou, l'Uruguay, la Bolivie, l'Équateur et le Paraguay.

Le Mexique et le Venezuela avaient envoyé des observateurs tandis que la Colombie brillait par son absence.

Selon plusieurs experts et analystes, ces exercices commencés l'an dernier (il y a eu un « Cabanas 2000 » dans la province argentine de Cordoba) seraient liés au Plan Colombie et aux stratégies américaines de « guerre de basse intensité » en Amérique latine.

Le mois dernier, le gouvernement argentin décrivait en ces termes « Cabanas 2001 » devant le Congrès du pays0 « Les exercices porteront sur les tâches à accomplir au cours d'une mission de maintien de la paix des Nations unies. Le but est d'entraîner les forces armées de la région sur un champ de bataille où se mêlent civils, ONG et agresseurs potentiels. »

Le journaliste Horacio Verbitsky relie « Cabanas 2001 » à un rapport apparu au début de l'année et intitulé Menaces sur la République d'Argentine. L'auteur, le Brigadier Général Juan Carlos Mugnolo, y discute une aide hypothétique des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) à d'hypothétiques « groupes violents argentins » et envisage une possible participation militaire argentine dans le conflit colombien.

Les droits humains menacent

D'autres « menaces » y sont mentionnées en termes à peine voilés, notamment les groupes environnementaux, les groupes de défense des droits humains et le mouvement des Sans Terre brésilien.

Ces « jeux de guerre » apparaissent au moment où l'Argentine traverse une crise économique qui dure depuis plus de trois ans, est au bord de ne plus pouvoir rembourser une dette extérieure de plus de 130 milliards $ et voit le FMI se faire de plus en plus tirer l'oreille pour lui accorder les nouveaux prêts dont elle a besoin.

Les 17 et 18 août dernier, lors du 15e Sommet du Groupe de Rio tenu à Santiago au Chili et réunissant les chefs d'État de 19 pays latino-américains, la crise argentine avait volé la vedette. Devant un possible refus du FMI d'accorder un prêt supplémentaire de 15 milliards$ à l'Argentine, tous les présidents s'étaient rangés aux côtés de l'Argentine.

Le président chilien Ricardo Lagos avait même téléphoné à George Bush pour lui faire part des « points de vue et inquiétudes » des 19 pays. Le FMI a finalement accordé un nouveau prêt à l'Argentine de 8 milliards $, à peine la moitié de ce qu'elle demandait.

(1) « Guns, drugs, rebels and betrayals 0 the story of Peru's fallen spy », Weekly News Update on the Americas Supplement, 18 août 2001 (rapport accessible sur le groupe de discussion « misc.activism.progressive »).

(2) Site Web du Center for Public Integrity0 http0//www.public-i.org|203| 
226|Leur homme au Honduras... et à l’ONU|Pierre Dubuc| Dans l’édition du 20 septembre du New York Review of Books, le journaliste Stephen Kinzer présente, sous le titre Notre homme au Honduras, le portrait de John Dimitri Negroponte qui vient d’être nommé représentant des États-Unis au Nations unies par l’administration Bush.

Kinzer a bien connu Negroponte alors qu’il était journaliste au Honduras et que Negroponte était l’ambassadeur américain au cours des années 1981 à 1985, en pleine guerre des contras contre les Sandinistes.

Transformé un pays paisible en colonie pénitentière

Kinzer rappelle que le Honduras était un pays relativement paisible avant 1980. Il n’avait pas connu de massacres comme le Salvador en 1932, ni de dictature militaire comme celle des Somoza au Nicaragua, ni de vagues de répression comme celles qui ont dévasté le Guatemala.

La situation a changé du tout au tout au début des années 1980, alors que les États-Unis ont décidé de faire du Honduras leur base pour combattre les révolutionnaires au Nicaragua, au Salvador et au Guatemala. Ils y ont construit des terrains d’atterrissage, des bases militaires, des dépôts d’armements.

De 1980 à 1984, l’aide militaire au Honduras est passé de 4 à 77millions $. L’aide économique a grimpé jusqu’à 200 millions $ en 1985, faisant du Honduras et de ses quatre millions de population le 8e plus important récipiendaire d’aide américaine.

Cela a foutu par terre le fragile équilibre de la société hondurienne, faisant des militaires la principale force sociale. Le général Gustavo Alvarez Martinez a été la personnification de cette transformation. Formé à l’École militaire américaine des Amériques, le général Martinez était partisan de l’approche argentine à l’égard des dissidents. Une méthode qui consistait à kidnapper les suspects, les torturer et les assassiner dans des prisons secrètes.

Lorsque le nouvel ambassadeur américain Jack Binns arriva au Honduras en 1980, il fut horrifié par ce qu’il voyait. Il envoya un télégramme à Washington dans lequel il disait « être extrêmement préoccupé par l’accumulation de preuves d’assassinats officiellement commandités et approuvés » et il prévenait Washington que « la répression avait augmenté à un rythme beaucoup plus rapide que nous l’avions anticipé. » L’administration Reagan le rappela aux États-Unis et Negroponte lui succéda.

À droite de Kissinger parce qu’il était trop mou

Negroponte n’allait pas se formaliser de ce qui se passait au Honduras. Après tout, n’avait-il pas rompu avec Kissinger, alors qu’il était l’officier en charge du Vietnam au sein du Conseil national de sécurité, parce qu’il trouvait que ce dernier faisait trop de concessions aux Vietnamiens lors des pourparlers de paix de Paris.

Alors que les journaux honduriens rapportaient sur une base quasi quotidienne des cas d’enlèvement, d’assassinat et de « disparition », l’ambassadeur protestait auprès de la revue britannique The Economist contre la nouvelle voulant que des escadrons de la mort sévissaient au Honduras. « C’est tout simplement faux », rétorqua Negroponte.

En 1988, l’Inter-Commission on Human Rights révèle qu’il y avait eu « plusieurs enlèvements et disparitions au Honduras entre 1981 et 1984 et que ceux-ci étaient le fait des Forces armées honduriennes ». Au terme d’une longue enquête menée en 1995, le Baltimore Sun affirme que des centaines de Honduriens ont été « enlevés, torturés et tués au cours des années 1980 par une unité secrète de l’armée entraînée par la CIA ». Après avoir pu consulter des documents « déclassifiés » de la CIA, les journalistes affirment que ceux-ci « démontrent que la CIA et l’ambassade américaine étaient au courant des nombreux crimes commis, y inclus les meurtres et la torture et qu’ils continuaient à collaborer avec les responsables de ces crimes ».

Main dans main avec Colin Powell

Après le Honduras, Negroponte a travaillé avec Colin Powell au Conseil national de sécurité. Il fut nommé ambassadeur au Mexique en 1989 où il fut partie prenante à la négociation de l’ALENA et conseiller auprès du gouvernement mexicain dans sa guerre contre les rebelles zapatistes.

Selon Kinzer, la nomination de Negroponte aux Nations Unies s’inscrit dans la politique de réhabilitation des Contras impliqués dans la guerre contre les Contras. L’administration veut également par cette nomination envoyer un message clair à la communauté internationale 0 la politique américaine ne fera plus dans la dentelle diplomatique comme ce fut le cas au cours des années 1990.|203| 
227|Hydro réalise enfin un vrai profit à l’exportation ! Ou presque...|Gaétan Breton| La conférence des premiers ministres de l’est du Canada et des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre a une nouvelle fois mis en lumière l’appétit des États-Unis pour l’énergie canadienne et plus particulièrement pour l’électricité québécoise. Hydro-Québec et le gouvernement, le mandataire des citoyens pour gérer leur société d’État, ont clamé, pendant des années, qu’Hydro réalisait de faramineux profits avec les exportations d’électricité principalement aux États-Unis. Qu’en est-il vraiment ?

Une analyse des états financiers de la grande entreprise publique montre que, pour arriver à des profits, il faut calculer d’une drôle de manière. Par exemple, entre 1987 et 1996, les prix à l’exportation se sont tenus largement en dessous du coût complet. Le prix maximum à l’exportation a oscillé entre 2,01 et 4,16 (ç/kWh) alors que le coût complet variait de 4,13 à 4,61 (ç/kWh). Le coût complet étant le total des coûts encourus divisé par la quantité totale de kWh (kilowatt/heure) produits.

Pour certaines de ces années, le coût complet était de 0 4,13, 4,19, 4,35, 4,38, 4,61.

Ce coût complet, en 1997, se décomposait comme suit 0

Production 2,31

Transport 1,52

Distribution 0,78

Total 4,61

Mais, cette répartition ne vient pas de la nature des choses, elle vient des choix faits par Hydro.

Trois clients, trois mesures

Prenons un exemple simple. Nous effectuons la livraison d’un paquet à trois clients à la même adresse, nous allons diviser en trois le coût du transport (l’usure du camion, l’essence, le salaire des livreurs, les frais d’administration). Il est probable que nous imputerons à chacun des clients un frais d’administration forfaitaire, parce qu’il serait trop difficile de savoir combien chacun coûte vraiment; puis, si un client avait un colis de 10 kilos et l’autre de 250 kilos, nous ne compterons pas la quantité d’usure du camion, d’essence ou de temps supplémentaire requis pour charger le plus gros colis.

Si nous facturons à la distance, nous allons séparer en trois et ce sera légèrement incorrect; si nous facturons au poids, nous allons avoir des prix différents, ce qui sera aussi incorrect parce que le colis le moins lourd était très fragile et demandait plus de temps de manutention. Comme on le voit, tous les choix sont imparfaits.

Cependant, imaginons que je ne facture pas dans le coût de livraison l’usure du camion que je considère comme un frais fixe. Il va falloir que je le facture dans le prix du produit, sinon je vais faire faillite. Ça veut dire que les clients qui ne se font pas livrer leurs achats vont payer en partie pour ceux qui se les font livrer. Il faut bien comprendre que c’est exactement ce que fait Hydro-Québec. Ce qu’il en coûte à chacun dépend de la façon dont Hydro-Québec sépare les coûts de transport et les coûts de distribution.

Le courant est plus continu que le profit

Hydro-Québec a construit une ligne à courant continu se rendant directement à la frontière américaine et servant uniquement aux exportations. Cette ligne spéciale coûte une fortune. Si on imputait le véritable coût complet aux kWh vendus aux Américains, ce coût serait vraisemblablement plus élevé.

Quand on vend systématiquement aux Américains en bas du coût complet, on fait payer aux Québécois les frais fixes – comme dans l’exemple précédent de livraison – pour vendre moins cher à l’exportation. On fait donc financer l’exportation d’électricité, et par le fait même de nos jobs, par les clients québécois captifs.

En l’an 2000, alors que le coût complet s’élève à 5,4ç/kWh, nous avons exporté en moyenne à un prix de 6,3ç/kWh. Aurait-on enfin fait un vrai profit ? Ça dépend toujours de la façon de compter. Nous avons vendu aux Américains 30,479 tWh (millions de kWh) à court terme, pour un total de 2003000 000 $. Mais, pendant la même période, nous avons acheté pour 2408000000 $. Or, nous sommes sensés vendre ce que nous avons en trop. Ainsi, les achats, s’il y en a, en excluant la production de Churchill Falls, devraient être imputés aux ventes à l’exportation. Nous ne connaissons pas vraiment le coût spécifique des achats à Churchill Falls, mais nous savons que ce contrat existe depuis quelques décennies au même prix et que les achats d’électricité ont été multipliés par 8,8 fois depuis 1996 seulement.

Même en oubliant la ligne à courant continu et seulement en imputant les achats aux exportations, le profit disparaît. Je crois qu’on a compris que le profit est une notion très volatile et que même quand, pour la première fois, on réalise un profit apparent, il est très loin d’être certain qu’on ne vient pas encore de faire un cadeau aux Américains sur le dos des consommateurs captifs.

Il serait temps qu’Hydro-Québec et les ministres responsables arrêtent de nous charrier et nous disent enfin la vérité sur ces questions.|202| 
228|Le privé nous coûte la peau des fesses|Gabriel Sainte-Marie| Depuis quelques années, la Ville de Montréal a légué certaines de ses tâches au secteur privé. Aussi bien exécutées, elles reviendraient meilleur marché. C’était une erreur.

On fait ici référence à certains services professionnels comme la réalisation des plans, des devis, de la surveillance des travaux et de la rédaction d’appels d’offre qui touchent à la construction d’infrastructures municipales, comme les piscines ou les bibliothèques. Le budget annuel alloué à ce secteur représente quelques millions de dollars.

Comme l’explique Richard Théorêt, conseiller municipal pour le Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal 0 «Lorsqu’une ou un syndiqué prenait sa retraite, la Ville abolissait le poste. Elle remettait alors la tâche au privé. Si certaines firmes réussissent à exécuter ces services à moindre coût, c’est en offrant moins à leurs salariés. »

Dorénavant, le privé surveille le privé

Dans les premiers temps, l’administration municipale a réalisé quelques économies. « C’est alors qu’elle a perdu son expertise », réplique Théorêt. « La Ville n’a plus de point de repère afin d’évaluer la qualité et le coût de ces services. Le rapport de force est renversé », poursuit-il.

Les prix se sont alors mis à grimper sans arrêt. Le coût exigé par les firmes sous-traitantes a presque rejoint celui des employés municipaux. « Ces entreprises justifiaient leurs augmentations par la bonne allure des affaires », précise Richard Théorêt.

Le contrôle de l’exécution des travaux de construction pose également problème. Le conseiller municipal explique 0 « Avant, nos employés veillaient au bon déroulement des travaux. Aujourd’hui, c’est le privé qui surveille le privé ! Sans oublier que ces entreprises se côtoient depuis des dizaines d’années. » La qualité du service est compromise.

Sous-traitez maintenant, payez plus tard

La principale raison pour laquelle ce secteur coûte aujourd’hui plus cher à la Ville, c’est l’endettement. « Avec les nouvelles normes comptables canadiennes, l’administration municipale peut capitaliser cette dépense », s’offusque Théorêt.

On emprunte pour payer les firmes et on s’endette sur vingt ans. « Une fois la dette remboursée, le coût d’origine a doublé ! » Il poursuit 0 « Même le vérificateur municipal dénonce cette pratique onéreuse dans son dernier rapport annuel. Contribuant de façon importante au maintien de la dette montréalaise, il a réclamé que cette capitalisation soit réduite de vingt à dix ans. »

Le patronage est permis jusqu’à 100 000 $

Le pire, c’est que ces nouveaux contrats peuvent être conclus de gré à gré. Comme le souligne Richard Théorêt, la Ville n’est pas obligée de faire des soumissions pour aller au moins cher. Elle peut choisir ses amis. Le conseiller dénonce 0 « Les entreprises sous-traitantes se voient ainsi forcées à cotiser dans la caisse électorale du maire Bourque. » Le vérificateur dénonce aussi cette fâcheuse situation dans son rapport.

Privatiser ces services professionnels a permis de renflouer la cagnotte du parti au pouvoir. Il est donc normal que la mairie chante les vertus de la sous-traitance.

Suite aux dénonciations de cette situation de corruption, la ministre de la Métropole, Louise Harel, a dû agir. Elle a déposé un projet de loi 0 le gré à gré sera autorisé seulement si le contrat est inférieur à 25 000 $. Suite à certaines pression, la loi fut adoptée avec un plafond de 100 000 $. «On peut désormais faire du patronage jusqu’à 100 000 $. C’est une amélioration qui reste nettement insuffisante », s’exclame Théorêt. Il poursuit 0 « Ce qu’on demande, c’est la transparence dans l’administration. »

Devinez qui gagne quand tout le monde perd ?

Avec cette histoire, le parti au pouvoir et ceux à qui appartiennent les entreprises sous-traitantes ont pu renflouer leurs coffres.

Les employés municipaux dont le poste a été aboli ont pris leur retraite. Mais les travailleuses et travailleurs qui les ont remplacés se retrouvent avec un salaire moindre pour exécuter les mêmes tâches.

Et, conclut Richard Théorêt 0 « les Montréalais et les Montréalaises y ont grandement perdu. Les services en question coûtent désormais nettement plus cher et leur qualité a diminué. »|202| 
229|Brèves|Jean-Claude Germain| La langue qui fourche même en chinois

Faire du chapeau dans le cas de Jean Chrétien, c'est en faire trois fois plutôt qu'une. Depuis Mao, les Occidentaux désignent la capitale de la Chine soit sous son ancien nom occidentalisé de Pékin, soit sous son nom chinois 0 Beijing. Il appartient à Jean Chrétien d'avoir ajouté une note québécoise à ces deux appellations affublant la capitale chinoise d'un nouveau toponyme0 Bégin !

Un héros ou un pilote ?

« Je ne suis pas un héros, dit le pilote», titre Le Devoir à l'occasion de la saga de l'atterrissage de l'avion de la compagnie Air Transat aux Açores. C'est plus rassurant que 0 « Je ne suis pas un pilote, dit le héros » qui est le sujet d'une multitude de films américains catastrophes consacrés à des atterrissages forcés.

Faudrait vérifier la puissance des ampoules !

Ces derniers jours, la presse canadienne anglaise s'est déchaînée contre les agissements autocratiques de Jean Chrétien en le comparant à Louis XIV. Un peu de retenue, messieurs, n'exagérons rien ! Comparons des comparables ! À Jean-Claude Duvalier tout au plus et un peu de respect pour le roi Soleil.|202| 
230|Ça va mal parce que...|Pierre Dubuc|

Livre 0 De tous les plaisirs, lire est le plus fou



« Ça va mal parce qu’il y a trop de sondages et pas assez de livres, trop d’enquêtes et pas assez de livres, trop de rapports et pas assez de livres, trop de circulaires, de prospectus, de fascicules, d’opuscules, de follicules, de compendiums, de synopsis, de syllabus, de digests, de résumés 0 bref, trop d’imprimés et pas assez d’écrits, trop de modes d’emploi et pas assez d’emploi, trop du présent de la veille et pas assez de celui de demain. »

Voilà ce qu’écrit notre collaborateur Jean-Claude Germain dans le petit livre qu’il vient de publier, sous le titre De tous les plaisirs, lire est le plus fou. Le volume regroupe 22 textes écrits et prononcés de 1998 à 2000, la plupart alors que Jean-Claude occupait le siège de président d’honneur du Salon du livre de Montréal.

IQ voix vives, 128 pages, 2001|202| 
231|La canicule estivale fait pomper les démagogues de l’eau|André Bouthillier| « Un mois sans pluie ! J’avions pas cru qu’y f’rait tant hot que la firehouse dusse user de ses hoses pour que j’puissions rafraîchir le village », de déclarer Léon. Une telle phrase entendue en Acadie m’allume et un rapide recensement de la revue de presse estivale du Québec me fait comprendre que nous sommes tous sous la férule de la canicule.

Les journaux annoncent, sur un ton sportif, que Montréal a battu son record de chaleur qui remonte à 1947. L’inflation verbale s’empare des salles de presse et grâce au facteur Humidex, les citoyens et citoyennes apprennent qu’ils ont transpiré sous les 42 degrés Celsius.

Un journaliste d’enquête pousse la recherche jusqu’à nous expliquer comment se sentaient nos ancêtres dans leurs combinaisons et jupons de laine lors des canicules du début de la colonie française. À partir de mon bord de mer de vacancier, j’étions fort aise de lire autant d’analyses chaleureuses qui tentaient de m’informer sur l’état de l’eau durant cette période de sécheresse.

À Montréal, on manque d’eau losqu’elle gèle

La revue de presse m’apprend que la sécheresse menace les réserves d’eau de plusieurs municipalités. Des centaines d’interdictions d’arroser sont en vigueur dans autant de municipalités à travers le Québec. Les pompiers de certaines villes circulent dans les rues pour sensibiliser la population; « certaines personnes laissent leur arrosoir fonctionner toute la journée ou toute la nuit », mentionne un directeur d’usine de filtration. Certaines villes donnent des contraventions à ceux qui transgressent les règlements de conservation d’eau.

« Il n’y a jamais eu de restriction d’eau à Montréal, sauf pendant la crise du verglas », explique André Lazure, de la Ville de Montréal. Dans certains villages, des avis de faire bouillir l’eau sont en vigueur et, en gros, la situation est intenable pour les réseaux d’aqueduc qui avaient déjà des problèmes avant la canicule.

Pénurie or not pénurie

Au-delà des titres accrocheurs, pas un seul article de presse ne démontre une réelle pénurie d’eau. Par contre, les déclarations des intervenants publics tentent de culpabiliser le citoyen face à sa douche et l’arrosage de ses plantes. Serait-il responsable d’une pénurie appréhendée ?

Lors d’entrevues avec des gestionnaires de réseau d’aqueduc, c’est le noui qui l’emporte. Il faut faire la différence, disent-ils, entre la conservation de l’eau et sa filtration. La pénurie serait presque à nos portes si l’on considère la capacité de filtration des usines déjà en place et la capacité d’emmagasiner l’eau dans des réservoirs.

Mais ce n’est pas de conservation ou de pérennité de l’eau dont il est généralement question dans l’information transmise au public par les médias. « Il semble que les politiciens et politiciennes considèrent l’eau surtout sous le seul aspect financier et se foutent royalement de sa pérennité », nous dit ce directeur d’usine qui souhaite garder l’anonymat.

La consommation de l’eau n’influence pas son coût de production

Des économies de coûts peuvent être importantes pour la ville seulement si la diminution de la consommation de l’eau évite de faire des investissements pour augmenter la capacité des usines de filtration. Il est toujours vrai que plus la consommation augmente plus les coûts d’opération augmentent pour la ville. Par contre, une diminution importante de la consommation pourrait coûter encore plus cher à la ville qui tarifie l’eau au compteur.

Dans l’établissement des coûts, une certaine logique comptable oblige à tenir compte des investissements nécessaires pour livrer l’eau aux consommateurs. Les gestionnaires expliquent que, peu importe si on consomme de l’eau ou pas, l’usine de filtration est toujours là. La dette sur l’emprunt pour la construction et l’entretien de l’usine et du réseau de distribution doit être payée, les employés doivent continuer à être rémunérés. Donc, la fluctuation de la consommation de l’eau influence peu les coûts incompressibles de production.

Quand les égoûts manquent d’eau, ça bloque

À Dundas, en Ontario, une recherche développée par la ville et un groupe communautaire nommé Green Venture, en est arrivée à la conclusion qu’il coûtait 5 cents pour traiter un mètre cube d’eau et 35 cents pour le rendre à la résidence. Donc, le citoyen est facturé au tarif de 40 cents le mètre cube d’eau. À partir de ces chiffres, pour chaque mètre cube non utilisé, les citoyens épargnent 40 cents sur la facturation au compteur; la ville, elle, perd 35 cents de revenus à cause des coûts incompressibles. Voilà pourquoi plusieurs villes évitent de se doter d’un programme de conservation de l’eau.

Pire, certains spécialistes affirment qu’il ne faut pas trop diminuer la consommation d’eau car le système d’égout pourrait en être affecté. Car, généralement, c’est par la gravité et la quantité d’eau que les excréments les plus lourds sont transportés dans le réseau d’égout jusqu’à l’usine de filtration des eaux usées. Un manque d’eau signifierait des blocages dans le réseau. De plus, il faut considérer le fait que plusieurs villes vendent de l’eau à d’autres villes et tentent, ce faisant, de dégager un certain profit. D’épiques batailles sont livrées devant la Commission municipale du Québec pour fixer le prix de vente de l’eau entre les municipalités.

C’est encore l’eau qui fait la bière

Il faut dire qu’il n’est pas encore rentable politiquement pour la mairie d’expliquer que les arbres récemment plantés, que les fleurs dans les plates-bandes de rues et les pots accrochés aux lampadaires sont flétris ou morts par absence d’arrosages dans le seul but d’économiser de l’eau ! La gestion de l’eau par les municipalités fait réfléchir, lorsque l’on apprend que l’arrosoir de rue, les balais de rue, la glace dans les patinoires, les bornes-fontaines utilisées par les pompiers, le lavage des camions et appareils de la ville utilisent de l’eau potable !

Il faut se demander alors, pourquoi votre mairesse ou maire fait porter la responsabilité de l’économie de l’eau uniquement à la population et dit l’éduquer en recommandant de fermer le robinet pendant un brossage de dents ? Si une partie du discours n’est pas fausse, pourquoi ne reprochent-ils pas aux commerces de ne pas diminuer leur consommation d’eau ou leur climatisation dont le système de refroidissement utilise de l’eau de l’aqueduc ?

C’est qu’ils ne veulent pas perdre des revenus tarifés, ils n’osent pas aviser les entreprises brassicoles ou d’eau gazeuse de réduire la vente de bière ou de boisson gazeuse durant une canicule, car ces opérations augmentent la consommation d’eau, donc les revenus de tarification. Intervenir obligerait la ville à promulguer un règlement, sévir et surtout s’astreindre à économiser l’eau elle-même.

Petits gaspilleurs, grands pollueurs

Peu importe les discours démagogiques, il faut éviter de gaspiller chaque goutte d’eau. Par contre, ne soyons pas dupes en nous accablant de toute la responsabilité de la pérennité de l’eau. La conservation de l’eau et les économies de coûts se réaliseraient plus rapidement si les vrais grands consommateurs et pollueurs d’eau étaient mis au pas !

Une mine consomme plus d’eau qu’une usine de filtration

Si c’est la question de la pérennité de l’eau qui vous importe, il faut savoir que, toutes sources d’approvisionnement confondues, ce sont les activités liées à l’agro-alimentaire et à la grande industrie qui consomment le plus. Pour se faire une idée des quantités impliquées, prenons l’exemple de l’usine de filtration de Sainte-Rose à Laval qui consomme 416 351 gallons d’eau par jour pour desservir tous les citoyens, commerces et industries de son territoire.

Par contre, une seule industrie comme celle du projet de mine à Oka consommera 489 600 gallons d’eau par jour; cela donne une idée de l’importance de la consommation quotidienne des industries.

Pour ne rien manquer du débat sur l'eau, voir le site 0 www.eausecours.org|202| 
232|On abreuve bien les chevaux !|Pierre Dubuc|La palme pour le meilleur reportage sur la canicule revient à TQS. Les journalistes de Quatre-Saisons ont déniché un vieux règlement qui interdit le travail des chevaux lorsque le mercure dépasse les 32 degrés et forcé son application pour obliger les propriétaires de calèches dans le Vieux-Montréal à prendre le chemin des écuries.

Plusieurs ont critiqué les reporters de TQS parce qu'ils se préoccupaient davantage de la santé des chevaux que celle des humains. Mais l'intérêt du reportage était précisément, en dépoussiérant une législation concernant les chevaux, de faire réaliser qu'il n'y en avait pas pour les travailleurs et travailleuses. Plusieurs ont alors réclamé de cesser le travail, ou ont carrément débrayé comme à Camco, en disant 0 «On est moins bien traités que les chevaux ! »

Nous applaudissons TQS, mais d'une seule main, car nous ne sommes pas sûrs que l'impact social était prémédité.|202| 
233|Le Brésil nationalise un médicament et assure sa production|Louis Préfontaine|

Les États-Unis crient à l’illégalité



Le 23 août dernier, le Brésil décidait de ne plus attendre après la mégapharmaceutique Roche pour produire un générique du Nelfinavir, médicament utilisé dans la lutte contre le sida. Le médicament, aussi connu sous le nom de Viracept, est breveté par Agouran et la compagnie Roche en assure la production.

Depuis plus de quatre ans, le Brésil mène une lutte active contre le sida, distribuant gratuitement le Nelfinavir à ses citoyens atteints par le virus. Grâce à cette mesure, il a été possible de réduire les décès de 40 %. Cependant, les coûts d’achat du médicament à la compagnie Roche étaient devenus trop importants et Brasilia a décidé de produire elle-même le médicament.

Une étude de Médecins sans Frontières, publiée en mars dernier, démontrait que le Brésil payait trop cher pour ce médicament en dépensant jusqu’à 4 041 $ (US) par patient en une année via une production mixte. Les nouvelles offres de Roche, qui a proposé de vendre son produit jusqu’à 13 % moins cher, n’arrivaient pas à concurrencer un fabricant de produits génériques comme la compagnie Hetero (Inde), qui offrait le même traitement pour 1 511 $.

Mais la décision finale du Brésil fut de nationaliser le médicament et d’assurer sa production dans les laboraroires d’État de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) de Rio et de réaliser des économies de 40 % aux dires du ministère brésilien.

Le Brésil est coupable d’avoir réduit ses coûts

Cette politique de production nationale des médicaments intitulée Accords sur les Droits à la Propriété Intellectuelle et du Commerce (ADPIC), un des principes fondateurs de l’OMC établis en 1994 et que doivent accepter tous les pays membres de l’Organisation.

Un rapport de l’OXFAM, publié au début de l’été, note 0 «Jusqu’en 1995, au niveau du développement des brevets, chaque pays était libre de développer son propre équilibre entre encourager l’innovation et maximiser la disponibilité de médicaments abordables à sa population. » En clair, les ADPIC s’attaquent à l’indépendance des pays membres de l’OMC en les empêchant d’établir eux-mêmes leurs priorités en matière de santé.

Le Brésil a voulu réduire ses coûts. Conséquence 0 les États-Unis portent plainte devant l’OMC. Peu importe que la politique brésilienne ait permis de sauver des vies, elle est illégale ! Il s’agit d’une autre démonstration du déficit démocratique, où les parlementaires élus sont assujettis à des règles externes fixées par des conglomérats qui ne sont pas soumis au suffrage populaire. Comme au Moyen-Âge, les serfs doivent payer une redevance au seigneur qui, en retour, a la bienveillance de ne pas les chasser du royaume.

Au Québec, la santé de l’économie passe toujours avant celle des patients

Nous pouvons nous demander si le Québec a encore les moyens de payer le gros prix pour des médicaments. Entre 1978 et 1998, la population de plus de 65 ans a augmenté de 53,1 %. Durant la même période, le prix des médicaments a été majoré de 289,7 % en dollars constants.

« Il est plus que temps que des pays osent affronter la lucrative industrie pharmaceutique », affirme Marie Pelchat, de la Coalition Solidarité Santé. « Le Canada est l’un des pays au monde qui est le plus généreux avec l’industrie pharmaceutique et le Québec en rajoute en protégeant les brevets pour une période supplémentaire de cinq ans. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, au moment de la Commission parlementaire sur l’assurance-médicaments, a reconnu que la hausse des coûts des médicaments au Québec “est d’autant plus préoccupante qu’elle influencera la répartition des ressources financières entre les différents acteurs ”. Malgré cela, Landry s’est personnellement opposé à l’achat des médicaments au plus bas prix. »

Le temps est venu de se questionner sur la logique néolibérale affirmant que l’État doit se contenter de jouer un rôle de « facilitateur» à l’égard des entreprises. Nous devons prendre conscience que le Québec n’est plus à l’avant-garde en matière de politique des médicaments. Il se retrouve loin derrière des pays comme le Brésil, qui a décidé de ne plus se laisser détrousser par les règles du commerce international.

Dans le public, c’est moins cher

Une étude comparative de Act-Up Paris démontre un avantage significatif du réseau public sur le réseau privé quant au coût des médicaments. Le Nelfinavir, dont il faut prendre entre 6 et 9 doses par jour, se vend 1,62 $ (US) la capsule en Angleterre, 1,61 $ au Zimbabwe, et même jusqu’à 2,16 $ aux États-Unis, dans le secteur privé. Dans le public, le prix tend à baisser 0 1,54 $ en Colombie, 1,24 $ en Ontario, 1,36$ au Brésil et 0,92 $ en Nouvelle-Zélande.

Malgré des économies substantielles simplement en intégrant la médicamentation dans le régime public, le Brésil a tout de même décidé de nationaliser la production du médicament afin de maximiser la réduction des coûts.

Une trithérapie gratuite pour 100 000 malades depuis quatre ans

On peut lire, dans le numéro de mai du Réseau Médicaments et Développement, que c’est grâce à la fabrication par l’industrie brésilienne de sept médicaments antirétroviraux que 100 000 malades ont pu bénéficier depuis quatre ans d’une trithérapie gratuite. L’organisation française note aussi que « les Brésiliens ont proposé, lors d’un forum sur le sida à Durban, en juillet 2000, de transmettre leur technologie aux pays qui le désirent ». Ne serait-ce pas là une occasion, pour le Québec, de recourir à un système de production ou d’importation de médicaments génériques, libérant ainsi plus d’argent pour redonner un second souffle au système de santé publique ?

Les compagnies remplacent l’université pour la formation continue des médecins

Outre les brevets de vingt ans qui créent une situation de monopole chez les compagnies pharmaceutiques et le manque de volonté gouvernementale d’encourager les génériques, le docteur Paul Saba de la Coalition Solidarité Santé croit que l’explosion des coûts de la santé pourrait être en partie attribuée à la méconnaissance des médicaments par les médecins. « Les médecins sont mal informés; ils sont mis au courant des innovations par les compagnies pharmaceutiques. »

À chaque semaine, Paul Saba reçoit des dépliants d’« information», directement des multinationales, qui vantent les mérites de tel ou tel produit en le comparant à d’autres produits sur le marché devenus, évidemment, désuets. « Nous avons des séminaires et des conférences qui nous tiennent au courant, mais ces conférences sont subventionnées par les compagnies pharmaceutiques. »

Tenus dans l’ignorance, plusieurs médecins vont prescrire des médicaments plus coûteux alors qu’un équivalent générique aurait pu être utilisé. « Il faudrait qu’un organisme indépendant des compagnies pharmaceutiques, un organisme gouvernemental, puisse établir la liste de tous les nouveaux médicaments avec leurs effets, avantages, complications. La coalition travaille là-dessus. »

Pour le docteur Saba, la responsabilité des problèmes actuels doit être attribuée au gouvernement, car c’est à lui de prendre les décisions qui s’imposent. « C’est à nos élus de suivre le désir et la volonté de la population. Maintenant, ils sont menés par les compagnies d’assurance et les pharmaceutiques. Ils se font dicter leur conduite par le principe de rentabilité. » L.P.|202| 
234|L’occupation militaire de la Macédoine|Michel Chossudovsky|

Vous avez dit « médiation » dans un « conflit interne » ?



Il est avéré que les États-Unis et la Grande-Bretagne – en complicité avec leurs partenaires de l’OTAN – fournissent armes et équipement aux terroristes de l’armée de « libération » du Kosovo (UCK). Le «document cadre » qui doit être ratifié par les dirigeants des partis politiques macédoniens n’a rien à voir avec la « paix ». Il s’agit d’une capitulation d’un pays souverain face à l’ennemi, ouvrant la voie à une occupation militaire de la Macédoine par les troupes de l’OTAN.

La presse occidentale présente la « médiation » des États-Unis et de l’Union européenne comme un apport à la résolution d’un « conflit interne ». La crise macédonienne se rattacherait uniquement aux droits sociaux, politiques et linguistiques de la minorité ethnique albanaise. Dans cette perspective, la « communauté internationale » s’est dévouée pour mettre fin à la violence « entre les forces gouvernementales et les insurgés albanais » tout en aidant les parties opposées à trouver une solution de rechange.

Les Américains équipent les terroristes

Pourtant cette vision étroite occulte de nombreux éléments dont les intérêts stratégiques des États-Unis dans le sud-est de l’Europe. La vérité est que le personnel militaire américain conseille et équipe les terroristes. L’UCK constitue à ce titre une force militaire dont la ligne de conduite est largement déterminée par le Pentagone. Les commandants de l’UCK – qui jusqu’à récemment apparaissaient sur la liste du personnel des Nations Unies au Kosovo – furent entraînés par les Forces spéciales britanniques et américaines.

Les médias décrivent les « terroristes » comme des «rebelles albanais », soutenant les droits d’une minorité ethnique en Macédoine. Largement documentée, l’UCK constitue une armée mercenaire bien organisée avec plusieurs recrues provenant de pays de l’OTAN ainsi que des «Moudjahidines », combattants islamiques de plusieurs pays musulmans.

La litanie des médias occidentaux dépeint l’émissaire de Washington, M. James Pardew, comme un « médiateur étranger », quand son véritable mandat (dans le cadre des services de renseignement militaire américains) consiste en fait à assurer (par la menace, l’intimidation et la manipulation politique) la signature d’un « document cadre ». Le but de ce dernier est de donner une légitimité à l’occupation de la Macédoine par les troupes de l’OTAN. Pour atteindre cet objectif, les dirigeants des partis politiques macédoniens ont été trompés, cooptés et (selon une source) directement achetés par des intérêts économiques américains.

L’accord de paix est un acte de capitulation

Le « document cadre d’Ohrid » qui doit être ratifié par les dirigeants des partis politiques macédoniens n’a rien à voir avec la «paix ». Il s’agit d’un acte de capitulation d’un pays souverain face à l’ennemi. Alors que les « médiateurs » américains et européens promettent que « l’accord de paix » posera les bases d’un « désarmement des rebelles » et renforcera le cessez-le-feu, tout indique que c’est exactement le contraire qui se produira.

L’OTAN n’a aucune intention de confisquer les armes de sa propre armée de proximité. Washington a directement armé et équipé les terroristes de l’UCK avec des nouvelles armes « Made in America ».

Suite à l’accord de principe concernant le « document cadre » donné par les partis macédoniens, un officiel de l’OTAN a précisé que celui-ci « ne désarmera pas les rebelles albanais; l’OTAN comptera sur leur coopération pour déposer leurs armes ». Le porte-parole de l’OTAN a confirmé, selon l’agence Reuters, que le dépôt des armes par l’Armée nationale de libération (UCK) devait se réaliser de manière volontaire, et qu’il était par conséquent inexact que l’OTAN ait donné aux autorités de l’ex-République yougoslave une garantie ferme et formelle concernant le désarmement des rebelles.

Opération « Moisson essentielle», c’est le début d’un protectorat

Sous le nom de code « Moisson essentielle » (Essential Harvest), l’intervention de l’OTAN sous commandement britannique, avec pour mandat officiel le désarmement des rebelles, poursuit en sous-main un certain nombre d’objectifs 0

1) Les Forces spéciales de l’OTAN vont être déployées pour directement protéger les terroristes, ainsi que leurs gains territoriaux.

2) L’intention n’est pas de «désarmer les rebelles », mais d’affaiblir et de mettre hors de combat les Forces de sécurité macédoniennes, comme le démontre d’ailleurs la pression exercée par Washington sur l’Ukraine afin qu’elle cesse son aide militaire à l’armée macédonienne.

3) Le « document cadre » a pour objectif l’installation d’un protectorat de l’OTAN (sur le modèle de la Bosnie et du Kosovo) menant à la destruction de la Macédoine en tant que pays.

4) En signant cet accord, le gouvernement de Skopje abandonne tous ses pouvoirs et ses juridictions, ouvrant la voie à une occupation militaire de la Macédoine par les force de l’OTAN, en violation des lois internationales.

La transformation de la Macédoine en un protectorat de l’alliance militaire occidentale constitue une nouvelle étape dans le processus de militarisation des Balkans. À bien des égards, il s’agit d’une réminiscence de l’occupation de la province tchécoslovaque des Sudettes par l’Allemagne nazie en vertu de l’accord de Munich, signé par Adolf Hitler et le premier ministre britannique Neville Chamberlain. L’annexion des Sudettes par le IIIe Reich était la première pierre de l’invasion ultérieure de la Pologne en 1939.

L’ennemi est l’OTAN

Il est important que les citoyens de la Macédoine de différentes appartenances ethniques agissent de manière cohérente et solidaire face à l’invasion de leur pays par les troupes de l’OTAN. La ratification du document cadre par les dirigeants des partis politiques macédoniens devrait être fermement rejetée. L’OTAN est l’ennemi. Néanmoins, il faut également comprendre que même si le document cadre n’est pas ratifié, l’OTAN a déjà pris la décision d’envahir la Macédoine.

Macédoniens et Albanais sont tous les deux victimes des assauts terroristes patronnés par l’OTAN et devraient agir autant que possible avec solidarité les uns avec les autres. La question importante des droits de la minorité albanaise en Macédoine est un problème interne qui devra se résoudre dans le cadre des institutions politiques et sociales nationales, sans ingérence ni menace des grandes puissances.

L’OTAN utilise la question des droits sociaux et linguistiques pour créer des divisions entre Macédoniens et Albanais. À cet égard, l’OTAN utilise le prétexte des droits sociaux de la minorité alabanaise afin de justifier l’envoi de troupes.

La guerre en Macédoine est une guerre de conquête

Dans les pays de l’OTAN, en particulier, les citoyens doivent comprendre la gravité de la situation en Macédoine. L’UCK est un instrument de la politique étrangère des États-Unis. Les terroristes sont financés et appuyés par Washington. Il ne s’agit pas d’une guerre civile. La guerre en Macédoine est une guerre de conquête.

La complicité des chefs d’État et des chefs de gouvernement des pays de l’OTAN doit être défiée. L’OTAN soutient le terrorisme international. Elle prévoit d’envoyer des troupes dans un pays européen souverain en violation de sa propre charte, défiant les lois internationales et contournant les parlements des pays membres de l’OTAN. Les enjeux géopolitiques sont d’une portée considérable pour l’avenir de l’Europe. La signature du « document cadre » d’Ohrid donnera une légitimité à l’occupation de la Macédoine par les troupes de l’OTAN et à la militarisation de l’ensemble de la région des Balkans. Et cette militarisation sera non seulement dominée par les États-unis à l’encontre des intérêts du projet européen, mais elle créera en outre des divisions profondes à l’intérieur de l’OTAN et de l’Union européenne.|202| 
235|La plate-forme de l’Union des forces progressistes|Paul Rose| Les élections partielles sont enfin en route ! Après avoir franchi moult obstacles datant d’un autre âge. Autant de vestiges d’un temps où le premier ministre se croyait investi de tous les pouvoirs, y compris celui de jongler avec la démocratie… – comme par exemple de jouer à la cache-cache avec le choix des dates des élections. Nous y sommes à ces partielles, finalement.

Malgré une décision fâcheuse du directeur général des élections, interdisant aux formations politiques coalisées membres de l’UFP (Parti de la démocratie socialiste, Rassemblement pour une alternative progressiste, Parti Communiste du Québec) de présenter des candidatures sous cette appellation commune (ajoutée aux noms des partis) comme cela se fait en maints endroits en Europe et en Amérique.

Entre temps, l’ADDQ a déjà obtenu l’autorisation de modifier son nom en y ajoutant le suffixe « Mario Dumont » . Et ne parlons pas du mode de scrutin… Bref, malgré tous ces accrocs à la démocratie, nous y voilà tout de même. UNE plate-forme commune en main, adoptée par les instances des organisations membres de la coalition de l’UFP (partis politiques, syndicats, groupes et individus).

Une plate-forme dans la lignée des traces profondes de l’élection de Mercier. Une plate-forme qui est une amorce de celle qui sera en force aux prochaines élections générales.

Penser une autre société

Une plate-forme qui se situe dans le sens des liens concrets à établir entre indépendance du Québec et lutte d’émancipation sociale... même si elle ne les nomme pas toujours. Foncièrement, l’effort porte sur une façon, dans le contexte du Québec, de « penser une autre société » construite celle-là autour d’une lutte commune à toutes les oppressions, tant nationales (québécoise comme autochtone) que sociales (condition féminine, pauvreté zéro, santé, éducation, services sociaux, etc.).

La démarche est centrée sur l’intégration des luttes, plutôt que sur leur isolement comme c’est le cas dans les discours dominants des partis néolibéraux qui tentent, soit d’ignorer l’oppression nationale soi-disant au profit du règlement des questions sociales ou à l’inverse, de secondariser les luttes sociales au profit d’une souveraineté de plus en plus édulcorée et vidée de tout contenu moindrement libérateur et émancipateur.

Par cette démarche d’intégration, les organisations membres de l’UFP cherchent à s’éloigner de la liste d’épicerie, en jetant un pont entre les luttes, en fondant les luttes sur l’essentiel. Ainsi, le droit à l’indépendance du Québec est indissociable de la reconnaissance de ce même droit aux peuples autochtones, la primauté est accordée aux États démocratiques, aux collectivités et aux personnes citoyennes plutôt qu’aux diktats de l’économie, de la finance, des corporations et autres acteurs du privé.

Un autre Québec est possible

Sur le terrain des luttes, les mesures concrètes mises de l’avant dans la plate-forme visent l’irradiation de la pauvreté par le revenu de citoyenneté ou le revenu minimum garanti à 10 $ l’heure et la semaine de 32 heures sans perte de revenu; l’établissement d’une fiscalité progressive (dont un impôt minimum à toutes les compagnies, abolition des paradis fiscaux, taxes sur les biens de luxe et les opérations boursières); enfin, entre-temps, mise en place d’une formule, temporaire et transitoire, de barème plancher.

Au chapitre de la condition féminine, donner suite à la totalité des revendications de la Marche «du pain et des roses », mise en place de mesures de conciliation travail-famille et d’un solide réseau de services à la petite enfance ainsi qu’un soutien financier adéquat aux organismes de prévention et de lutte contre la violence faite aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées.

Prise de contrôle collectif de l’environnement par une Charte nationale, avec tribunal supérieur responsable de faire appliquer les normes relatives aux principes des « pollueurs payeurs », de l’identification des OGM, du protocole de Kyoto et autres ententes internationales du même type; par une politique de priorisation de l’énergie non polluante (véhicules électriques), transport en commun, intégration dans la constitution québécoise du principe de la protection de l’eau en tant que « valeur patrimoniale, collective et publique »; par l’extension de l’agriculture biologique, des petites fermes agro-forestières, de la « forêt habitée », des sociétés coopératives et autres formes de mise en commun.

Dans le secteur public, un investissement de 10 milliards $ de façon à rétablir les « services de première ligne complets, gratuits et rapidement accessibles en CLSC », les soins à domicile et les médicaments gratuits, le réinvestissement dans le remplacement des équipements hospitaliers désuets, l’augmentation du personnel infirmier, un réinvestissement massif dans les écoles publiques, l’abolition des frais de scolarité et de la taxe à l’échec, interdiction de la publicité privée dans les institutions d’enseignement, cessation des subventions aux écoles privées, intégration graduelle de celles-ci dans la sphère publique et maintien des droits acquis du personnel; au plan jeunesse 0 système de bourses plus généreux, programme de prévention du suicide, abolition totale des clauses orphelins et autres dispositions discriminatoires auprès des jeunes.

En habitation 0 augmentation substantielle du nombre de logements sociaux, notamment par les subventions aux groupes coopératifs, la mise en vigueur de taxes anti-spéculation, la nationalisation des terrains et immeubles non utilisés, la réforme de la Régie du logement.

Par rapport au marché du travail, une réforme urgente du Code du travail visant à favoriser la syndicalisation, à renforcer l’article 45 et la loi anti-briseurs de grève, à introduire dans la Loi sur les normes du travail le droit de refuser d’effectuer du temps supplémentaire, à améliorer sensiblement la protection des « droits des travailleurs autonomes », à enchâsser le droit de grève dans la « constitution d’un Québec souverain ».

Un projet à compléter

Certes les liens ne paraissent pas toujours manifestes entre certaines revendications quoi que présents en filigrane, en substance, comme par exemple entre le local, le régional, le national, particulièrement dans le sens d’une mondialisation non capitaliste et anti-capitaliste, les perspectives de solidarité au-delà du rejet, dans la plate-forme, des traités de libre-échange (ALENA et ZLEA) et le retrait de l’Otan et de Norad ou encore la place, dans un tel contexte, de la reconquête populaire de l’État, de la réaffirmation de sa souveraineté politique, sociale, culturelle, économique.

La plate-forme n’est donc pas un produit fini, nombre d’éléments sont en gestation. Le temps nous a manqué, le temps démocratique nécessaire à la poursuite de la consultation des instances des groupes membres de la coalition. Un tel processus démocratique, nettement plus long dans une démarche large de coalition, demeure cependant le meilleur gage d’un projet de société populaire enraciné et durable.|202| 
236|L’esprit de Mercier souffle toujours|Paul Cliche|

La coalition progressiste devient permanente



Au lendemain de l’élection partielle de Mercier d’avril dernier, où le candidat unitaire des forces progressistes a remporté 24,2 % des suffrages, certains commentateurs politiques ont prédit que la gauche politique retournerait vite à ses sempiternelles querelles idéologiques et que ses composantes retrouveraient les réflexes sectaires qui les ont caractérisées pendant des décennies, de telle sorte que la coalition ponctuelle ayant rendu possible ce résultat encourageant ne ferait pas long feu.

Cinq mois plus tard, on peut constater que ces prophètes de malheur se sont fourvoyés. Les trois principaux partis qui avaient fait front commun dans Mercier – le Rassemblement pour l’alternative progressiste (RAP), le Parti de la démocratie socialiste (PDS) et le Parti communiste du Québec, ainsi que le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), ont, suite à la négociation d’un protocole d’entente conclu dès la fin de mai puis entériné par leurs instances en juin, formé une coalition pour une durée indéfinie qui, tout comme dans Mercier, s’appelle l’Union des forces progressistes (UFP).

Les Verts, qui étaient présents dans Mercier mais dont le parti n’a pas encore d’existence juridique au niveau provincial, ont préféré ne pas faire partie de la coalition du moins pour le moment, ce qui n’a pas empêché les relations de demeurer cordiales entre les dirigeants des deux groupes.

Sous le titre Propositions pour qu’un autre Québec soit possible, les membres de la coalition ont même accompli le tour de force d’accoucher, en moins de deux mois, d’une plate-forme provisoire qui sera soumise à la population ce mois-ci dans le cadre des élections partielles que le gouvernement péquiste a déclenchées pour le 1er octobre afin de remplacer quatre de ses députés démissionnaires.

C’est en effet sous la bannière de l’Union des forces progressistes que se présentent Thérèse Hamel, une enseignante représentant le RAP, dans la circonscription de Blainville; Gilbert Talbot, un professeur de cégep lui aussi du RAP, dans Jonquière; et Christian Flamand, un Atikamekw, comme indépendant dans Laviolette.

Par ailleurs, la coalition n’a pas de candidat dans Labelle, car elle n’y compte pas encore assez de militants pour mener une campagne sérieuse et qu’elle se refuse à parachuter un « poteau ».

Du RAP à l’UFP

La démarche vers l’unité de la gauche politique québécoise est relativement récente. En 1998, on a assisté à la fondation du Rassemblement pour l’alternative politique (RAP) qui s’est défini comme un mouvement d’action politique non partisan voulant, par une praxis axée sur la formation et l’action, créer un bassin de militantEs suffisant pour mettre éventuellement sur pied un parti politique de gauche viable.

Mais ce RAP première mouture a vite fait long feu et, dès l’automne 1999, le RAP en congrès a décidé par une majorité serrée de se transformer en parti politique; ce qui s’est matérialisé un an plus tard.

Des militants du RAP, qui avaient reçu l’aval du congrès de 1999, ont organisé, avec la collaboration de représentants des autres partis de gauche et de quelques organismes syndicaux et populaires, un colloque sur l’unité de la gauche politique et de la gauche sociale. Ce colloque, qui a réuni quelque 600 militantEs au printemps 2000 à Montréal, a permis de créer un consensus sur la nécessité de forger cette unité sur le terrain en s’engageant dans des activités politiques ponctuelles. Il a eu aussi comme résultat la mise sur pied d’un comité de liaison des partis.

C’est dans ce cadre qu’est survenu, à l’automne 2000, le projet d’une candidature unitaire à l’élection partielle qui devait être déclenchée à la fin de l’hiver dernier dans la circonscription montréalaise de Mercier pour remplacer le député péquiste démissionnaire. Il s’est formé, dans les mois suivants, une coalition ad hoc, appelée Union des forces progressistes, composée de cinq partis politiques (RAP, PDS, Communistes, Verts, la section québécoise du NPD) auxquels sont venues s’ajouter quelques composantes de la gauche sociale 0 Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), Syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal (local 301 du SCFP) et Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM.

Il faut souligner aussi la participation d’un fort contingent de militants progressistes indépendants des partis coalisés issus notamment de l’aile réformiste du Parti québécois.

L’expérience électorale de Mercier avait été conçue comme un test sur l’avenir politique unitaire de la gauche. On a facilement pu conclure, compte tenu des 24,2 % de suffrages obtenus par le candidat unitaire, que l’élection du 9avril avait été une expérience positive; d’où la décision prise lors de la réunion de bilan tenue au début de mai d’aller de l’avant en vue de la formation d’une coalition qui pourrait participer aux élections partielles attendues à la fin de l’été.

D’autant plus que des sondages effectués à la fin du printemps ont aussi révélé que plus de 25 % de la population envisageait la possibilité d’accorder son appui électoral à une éventuelle formation progressiste.

Vers un parti de gauche fédéré à multitendances ?

Une des principales leçons de l’expérience de Mercier, tel que l’a fait ressortir le bilan, est que la charge symbolique de la coalition est beaucoup plus importante que la somme de ses composantes, d’une part, mais aussi que l’unité des partis de gauche, tout en étant une condition nécessaire au ralliement de secteurs importants de la gauche sociale, n’est pas suffisante, d’autre part.

Dans cette perspective, la coalition actuelle n’est qu’une étape permettant de franchir le cap des élections partielles d’octobre sans recul sur le front de l’unité. Elle ne constitue pas, loin de là, le point d’arrivée d’un processus d’union de toutes les expressions militantes de gauche, condition essentielle à l’établissement d’un rapport de force victorieux.

Lors du bilan de mai, plusieurs militantEs avaient d’ailleurs plaidé en faveur de la mise sur pied d’un parti fédéré multi-tendances permettant l’intégration en son sein, non seulement des partis existants, mais aussi des individus et des organisations. La réalisation de ce projet avait alors été estimée prématurée à court terme par les dirigeants des partis. Mais la situation a évolué de façon accélérée depuis le début de l’été, surtout suite à la création d’associations de l’UFP dans le comté montréalais de Gouin et la région de Lanaudière.

De plus, un constat s’impose 0 dans son état actuel, la coalition regroupe presque exclusivement des partis politiques. Jusqu’ici, l’appel lancé à la gauche sociale n’a pratiquement pas été entendu. Il faut absolument élargir nos rangs. Certes les organisations populaires et syndicales doivent demeurer des alliés potentiels privilégiés. Mais de nouveaux acteurs sociaux particulièrement dynamiques, comme les organisations féministes, les regroupements de jeunes de la mouvance anti-mondialisation, les autochtones et les associations de lutte écologistes, sont actuellement à l’avant-garde du combat militant et constituent probablement les groupes de militants les plus proches des préoccupations politiques de l’UFP et les plus faciles à convaincre de se lancer dans une action concertée avec elle. Il faut donc que cette dernière s’en rapproche et tisse des liens de solidarité active avec eux.

Par ailleurs, la conjoncture n’étant plus du tout la même que celle qui prévalait lors du colloque sur l’unité de la gauche du printemps 2000, il est impératif qu’un nouveau brassage collectif d’idées ait lieu pour faire le point et établir des consensus pour la suite de la démarche. Selon une proposition qui circule actuellement au sein de l’UFP, il prendrait la forme d’un colloque qui aurait lieu avant la fin de l’automne. La possibilité de mettre sur pied un parti fédéré avant les prochaines élections générales devrait être le principal sujet débattu lors de ces états généraux des forces progressistes.|202| 
237|L’épluchette de l’été|François Parenteau| Même si les bulletins de nouvelles d'été passent beaucoup de temps à nous parler de festivals de montgolfières et d'autres sujets plus légers que l'air, il se passe quand même des choses à travers les épluchettes de blé d'Inde et les barbecues. Voilà pourquoi, pour la rentrée, j'ai eu envie de passer en revue quelques événements récents sous forme de brèves, question d'éplucher un peu l'été...

Le niveau baisse

Le niveau du fleuve baisse encore et en est même rendu à Montréal à un point où la navigation des cargos pourrait être compromise. Alors que les scientifiques continuent de chercher des explications, les maires du West-Island et leur portre-parole Guy Bertrand accusent le gouvernement péquiste d'être à la source du phénomène en tentant de faire disparaître le fleuve pour pouvoir fusionner l'île de Montréal avec la Rive-Sud, ce marécage nauséabond rempli de « frogs » séparatistes.

À tout seigneur, tout honneur

Des sources proches de Bernard Landry nous ont révélé que lors de l'annonce du décès de Mordecai Richler, la première réaction du premier ministre a été de s'informer de ce qu'il était possible de faire pour souligner la disparition du grand écrivain. Malheureusement, il était impossible de placer les drapeaux du Québec plus haut que d'habitude...

Pourtant, rien qu'à voir, on voit bien

Le nouveau bar de Jacques Villeneuve à Montréal s'appellera le Newtown. La nouvelle équipe de crosse professionnelle de Montréal s'appellera l'X-Press alors que nous avons déjà le Rocket au hockey mineur et, il n'y a pas si longtemps, les Roadrunners au rollerhockey. Face à cette prolifération de noms anglais qui n'ont pourtant pas l'excuse d'appartenir à une chaîne américaine, Gérald Larose, président des États généraux de la langue française, croit quand même que le visage français de Montréal n'est pas en cause. En effet, ce serait plutôt le cœur et le cerveau qui sont atteints.

À trop côtoyer Jean Chrétien…

Le joufflu ministre fédéral des Sports et des Loisirs, Denis Coderre, est sur une lancée et personne ne pourra l'arrêter, lui-même a de la misère. En plus de venir d'obtenir que le siège de l'Agence mondiale antidopage installe ses éprouvettes à Montréal, il vient aussi de réaliser un objectif personnel qu'il s'était donné lors de sa nomination aux sports 0 il s'est enfin débarrassé des 25 livres qu'il avait en trop. De toute façon, affirme-t-il, ils étaient trop compliqués à lire et il préfère attendre qu'ils sortent en vidéo.

Qui se ressemble s'assemble

Le Bloc Québécois propose qu'on décriminalise la prostitution. En effet, les bloquistes, à force de déchirer constamment leurs chemises, de jouer la comédie en poussant les hauts cris et de chercher désespérément des membres, ont fini par se sentir très proches des travailleuses du sexe et les députés souverainistes à Ottawa sont d'avis qu'il n'y a rien de déshonorant à être payé pour faire des choses avec des partenaires dont on ne veut rien savoir...

Une parade aux défilés

À l'occasion du défilé de la fierté gaie, plusieurs militants ont demandé la création d'un secrétariat à la condition homosexuelle. Le gouvernement du Québec et son ministre ouvertement gai André Boulerice résisteraient à la proposition puisque cela créerait un lien entre la tenue d'un défilé et l'existence d'un secrétariat d'État. Il faudrait ensuite, en toute justice, créer un secrétariat à la condition québécoise, un autre pour la condition irlandaise, ainsi qu'un secrétariat à la condition de Père Noël.

La langue d'Ottawull

Les Jeux de la Francophonie à Ottawull se sont terminés dans l'indifférence et la confusion générale lorsqu'un facétieux d'Ottawa a indiqué le Sénat à des athlètes algériens qui demandaient l'asile...

D'autre part ces Jeux de la francophonie où une majorité d'athlètes, dont plusieurs canadiens, étaient incapables de s'exprimer en français, ont été une occasion de démontrer à la face du Monde (qui, selon nos sources, regardait ailleurs à ce moment-là), que de tous les muscles qui s'activent en français sur la planète, celui qui est le moins bien développé, c'est clairement la langue...

La souche du problème, c'est…

Aux États-Unis, le président George Bush a finalement décidé de permettre en partie la recherche sur les cellules-souches humaines, allant ainsi à contre-courant des mouvements religieux américains. Ce domaine de la science ouvrirait des perspectives exaltantes en médecine, particulièrement en ce qui a trait aux maladies dégénératives du cerveau et de la moelle épinière. Nul doute que Bush a enfin compris ce qu'il pourrait personnellement tirer de ce genre de recherche...

Quand Bourque spécule sur la jeunesse

Enfin, le maire de Montréal, Pierre Bourque, a accepté d'héberger dans un bâtiment inutilisé de la ville, le Centre Préfontaine, les jeunes squatters qui occupaient l'immeuble abandonné de l'îlot Overdale. Il précise que c'est une solution temporaire, car il faut encourager les jeunes à réaliser leur plein potentiel en se rendant utiles à la société, et non envoyer le signal que c'est correct de ne pas travailler et de rester assis sur son steak à attendre que quelqu'un leur donne ce qu'ils veulent. Cette façon de faire est strictement réservée aux spéculateurs immobiliers...

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 1er septembre 2001.|202| 
238|Y a-t-il un « anglo rose » ?|Pierre Dubuc| L’essentiel de l’approche de la Commission Larose est fondé sur l’idée qu’il se serait produit au cours des dernières années une transformation majeure au sein de la communauté anglophone du Québec. Celle-ci aurait abandonné sa lutte contre la loi 101 pour, nous dit le rapport, se concevoir « désormais partie prenante de l’affirmation du français comme langue de participation à la société québécoise et ses membres s’identifient comme citoyens du Québec » plutôt que comme citoyens du Canada. Il y aurait donc un « nouvel anglo », un « anglo rose » !

Tout l’échafaudage du concept de « citoyenneté civique et inclusive » repose en effet sur l’affirmation selon laquelle « les mentalités ont changé ». Il y aurait maintenant, affirme le rapport de la Commission, « une volonté commune d’avancer vers un projet social inclusif, de construire un espace commun de vie et d’abaisser les barrières qui divisent la société québécoise selon l’origine ethnique ».

La langue française serait donc « devenue naturellement la propriété de tous ceux et celles qui habitent le territoire du Québec » et le français, langue officielle, s’est mué « en langue de la citoyenneté québécoise ». La Commission en conclut que « l’héritage civique a remplacé pour toujours l’héritage ethnique ».

Nous aimerions bien croire avec les commissaires qu’il y a eu chez les anglophones « un changement de garde générationnel qui vient atténuer les barrières ethnolinguistiques », mais il faudrait le prouver. Ce que la Commission ne fait pas ! Ses affirmations ne reposent, selon ses dires, que sur « nombre de témoignages entendus devant la Commission ». Cela n’est pas très scientifique, d’autant plus que plusieurs organismes, dont le Parti libéral du Québec, ont boycotté les travaux de la Commission.

Les commissaires sentent bien que le socle de leur échafaudage est bien fragile; aussi, essaient-ils de décourager toute investigation un peu plus poussée. « Le concept de citoyenneté commune, écrivent-ils dans leur rapport, est mis à mal par le discours démographique qui scinde la société en trois catégories ethnolinguistiques, les francophones, les anglophones et les allophones. Ces catégories, qui donnent l’image d’une société linguistique éclatée et polarisée, doivent être dénoncées lorsqu’elles franchissent le domaine de la statistique. » Regardons-y tout de même d’un peu plus près.

L’« anglo nouveau » ressemble comme un frère à l’ « anglo vieillot »

Quelques jours après la parution du Rapport Larose, le journal The Gazette publiait les résultats d’une étude de Jack Jedwab du McGill Institute for the Study of Canada qui vient jeter une douche froide sur les conclusions de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française.

À partir des résultats du plus important sondage jamais réalisé auprès des anglophones du Québec avec un échantillonnage de 3200 personnes, Jedwab a cherché à savoir si « l’anglo nouveau » existait bel et bien.

Rappelons d’abord les principaux résultats bruts de ce sondage auprès de la communauté anglophone définie selon la langue parlée à la maison 0 la loi 101 est identifiée comme étant le principal problème auquel fait face la communauté anglophone, l’accès à des services sociaux et de santé en anglais est d’une extrême importance, le français n’est pas menacé au Québec et une majorité est favorable à la liberté de choix dans l’affichage et l’éducation.

Pour repérer « l’anglo nouveau », Jedwab a ventilé les résultats du sondage en fonction de l’âge, du sexe, de l’aptitude à parler français, du niveau d’éducation, du type d’emploi et du mariage avec des francophones.

Surprise ! Contrairement aux prétentions de la Commission Larose, Jedwab n’a pas trouvé d’« anglo rose ». Au contraire, il a noté une très grande convergence d’opinion au sein de la communauté anglophone.

Dans toutes les catégories examinées, 90 % des anglos se prononcent en faveur de la liberté de choix en éducation. De même, 75 % ne croient pas que le français soit menacé au Québec. On ne retrouve pas chez les anglos qui parlent français ou sont mariés à des francophones un plus grand soutien à un rôle accru du français que chez les autres anglos. Bien plus, c’est chez les plus jeunes anglos que se manifeste le plus solide appui en faveur du libre choix dans l’affichage !

Même Jedwab s’est dit surpris des résultats. « Je me serais attendu à plus de différence entre les générations ou de la part de ceux qui parlent français ou sont mariés à des francophones. »

Si on cherche bien, on peut le trouver

Le journal The Gazette rapporte que les sociologues Uli Locher de McGill et Paul Béland du Conseil de la langue française contestent les résultats de Jedwab et pensent qu’une analyse à plusieurs variables permettrait sans doute de révéler des différences au sein de la communauté anglophone. Par exemple, si on créait une catégorie de gens de plus de 65 ans, n’ayant pas fréquenté l’université et ne parlant pas français, et qu’on la comparait à un groupe de jeunes, s’exprimant bien en français et fréquentant des francophones. Mais Jedwab met même en doute cette hypothèse des deux sociologues.

Peut-être serait-il possible, si on multiplie les variables et les recoupements, d’identifier un sous-groupe de ces « anglos nouveaux » dont parle la Commission Larose, mais serait-il statistiquement – et donc socialement – significatif ?

C’est ce travail de recherche qu’aurait dû effectuer la Commission Larose, si elle avait voulu aller au fond des choses, plutôt que de baser son rapport sur les seuls témoignages entendus au cours de ses audiences. En attendant de telles études, permettez-nous de penser que l’« anglo rose » est à la Commission Larose, ce que « l’homme rose » est au mouvement féministe 0 un cas d’espèce.|202| 
239|Monsieur Larose se dérobe|Charles Castonguay| Pour Buffon, mathématicien remarquable, intendant du Jardin du Roi et grand vulgarisateur scientifique du XVIIIe siècle, « la seule vraie science est la connaissance des faits ». La Commission Laurendeau-Dunton qui a, dans les années 60, donné un formidable essor à la recherche en sciences humaines au Canada, en avait fait son mot d’ordre. Dès son rapport préliminaire, André Laurendeau annonçait ses couleurs en prenant « le risque de la lucidité ». Dans son rapport final, il a insisté 0 « Des sujets mal définis ou incomplètement explorés laissent la voie libre aux demi-vérités et aux préjugés. » Sa commission visait à transformer en profondeur les règles du jeu linguistique. Elle savait que pour faire accepter des changements significatifs, il lui fallait obligatoirement présenter un exposé complet et cohérent des faits. Souscrivant à une rectitude politique qu’elle n’ose expliciter, la Commission Larose a choisi une autre stratégie.

Le tout premier élément du mandat de la Commission Larose était de « préciser et analyser les plus importants facteurs qui influencent la situation et l’avenir de la langue française au Québec en fonction de l’évolution des principaux indicateurs, en particulier celui des transferts linguistiques ». Quelle est donc la tendance du poids de la population francophone dans la région de Montréal ? Comment évolue l’usage du français au travail ? Quelle est l’incidence du libre choix de cégep sur les transferts linguistiques ? Le rapport final de la Commission Larose ne nous renseigne pas mieux sur ces questions essentielles que ne le faisait son rapport préliminaire.

Des questions essentielles laissées sans réponse

Pas la moindre idée sur un point aussi névralgique que de savoir si le poids de la population de langue française est à la hausse ou à la baisse dans la métropole du Québec. La Commission trouve qu’il existe à cet égard un « débat strictement technique ». Si bien que le « profane » n’arrive pas « à se faire une opinion juste des tendances ». Pourtant, n’importe quel mortel normalement constitué peut facilement comprendre que la tendance doit être à la baisse. Comment peut-il en être autrement, vu le nombre d’immigrants arrivés depuis 1985 ?

La Commission a coûté deux millions, mais comme effort de compréhension et de vulgarisation, ça vaut zéro. Elle refile la partie descriptive de son mandat à un observatoire de la situation sociolinguistique du Québec dont elle recommande la création, auquel « le ministre responsable de la politique linguistique pourrait demander son avis sur des sujets controversés » et que le contribuable finira encore, bien sûr, par financer. Mais pour quoi donc les commissaires pensent-ils avoir été engagés ? Voilà la différence entre une vraie commission d’enquête et ce qui s’est avéré, sur le plan du constat de la situation, rien d’autre qu’une tour de Babel.

La rectitude triomphante

« Le savant doit observer sans esprit de système », disait aussi Buffon. Par esprit de système, la Commission n’a pas respecté même la plus simple de ses obligations en matière d’observation et de constat, celle d’identifier le mouvement de la composition linguistique dans la métropole. Elle nous avertit plutôt qu’une politique linguistique ne saurait se fonder sur les seuls indicateurs démographiques et sociolinguistiques, parce que « ce serait s’enfermer dans une approche qui comporte des dérives sociales majeures, tel le cloisonnement de la société québécoise en trois catégories 0 les francophones, les anglophones et les allophones. Examiner la situation et l’avenir du français au Québec uniquement par la lorgnette des indicateurs démolinguistiques, et en particulier des transferts linguistiques […], confinerait la société québécoise à mettre sous le boisseau sa volonté de construire un projet civique ouvert sur le monde et à demeurer frileuse pour le restant de ses jours ». Dans son rapport préliminaire, la menace de « repli linguistique » nous offrait un avant-goût d’un semblable penchant pour la chasse aux sorcières – ou aux vieux démons. Tactique éculée d’un journalisme paresseux qui, pour masquer son absence de recherche et de réflexion, s’invente des « purs et durs » commodes à ridiculiser.

Au moins la Commission a-t-elle surmonté l’anathème jeté par les mandarins de Québec, dont son propre secrétaire (voir ma chronique de décembre dernier), sur l’assimilation au français comme objet de la politique linguistique québécoise 0 « En faisant du français la langue de l’État, la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires, la Charte de la langue française voulait étendre l’usage de la langue française à tous les domaines de la vie publique et augmenter ainsi son pouvoir d’attraction. » Et encore 0 « En cette matière [des transferts linguistiques], la politique et la législation linguistiques du Québec ont pour objectif d’augmenter le pouvoir d’attraction de la langue française. » Merci, messieurs-dames les commissaires.

Personne n’a proposé, cependant, de procéder exclusivement à la lumière et en fonction des transferts. La justice sociale serait un autre principe directeur évident. Et l’approche affirmationniste que les commissaires ont retenue, qui fleure la pensée positive ou magique, ne les exempte nullement d’accomplir leur mandat touchant l’analyse des principaux indicateurs démographiques, dont les transferts linguistiques. Ni de recommander des mesures concrètes susceptibles d’attirer vers le français sa juste part des transferts consentis par la population allophone. On se grise facilement à répéter que « au Québec, la langue de travail est le français » et que « le français est maintenant devenu nécessaire pour tous les citoyens du Québec parce qu’il est, grâce à la politique et à la législation linguistiques, la langue officielle du Québec, la langue commune de la société, la langue de promotion sociale et économique ».

Sans doute que colloques et contrats sur la citoyenneté et le sexe des anges seraient très enrichissants aussi. Toutefois, le renversement de la tendance de l’assimilation passe par des interventions beaucoup plus terre à terre. Et sans constat adéquat de la situation du français au travail ou des transferts linguistiques à l’âge du cégep, pas de recommandations efficaces pour faire bouger les comportements linguistiques sur le terrain.

Le gâchis des transferts linguistiques

Les commissaires se félicitent pourtant à cet égard 0 « La Commission a très bien saisi les principaux indicateurs, en particulier celui du taux des transferts linguistiques. » Or, la partie centrale de sa description des tendances en matière de transferts est totalement incompréhensible. La Commission s’est montrée incapable d’en présenter un tableau statistique intelligible – il n’y a d’ailleurs pas le moindre tableau dans l’ensemble de son rapport –, ni même d’en lire un correctement. Incapable seulement de citer avec exactitude la question de recensement sur la langue parlée à la maison. Incapable même de définir de manière cohérente les simples mots francophone, anglophone et allophone, matériau indispensable pour connaître la situation et établir le bilan des transferts.

Qu’on en juge. Le lexique des mots clés du rapport prescrit 0 « anglophone 0 personne dont l’anglais est la langue maternelle ou qui utilise le plus souvent cette langue dans sa vie privée; francophone 0 personne dont la langue maternelle est le français ou qui utilise le plus souvent cette langue dans sa vie privée et dans ses communications publiques; allophone 0 personne dont la langue maternelle est autre que le français et l’anglais et qui utilise le plus souvent cette autre langue dans sa vie privée. » Que serait alors ce qu’André Laurendeau appelait dans son langage simple et direct un francophone anglicisé ? Un francophone, selon le lexique Larose, à cause de sa langue maternelle. Mais un anglophone aussi, en vertu de sa langue parlée le plus souvent à la maison. Ce serait donc un francophone anglophone. Ou serait-ce plutôt un anglophone francophone ? De même, un anglophone francisé serait lui aussi, d’après le petit lexique rose, un anglophone francophone ou un francophone anglophone. Quant aux allophones anglicisés ou francisés – la seule région de Montréal en compte plus de 200 000 –, aucun moyen de même les nommer ! D’après le lexique en rose, ce seraient des anglophones ou des francophones, mais en aucune façon des allophones. Et ça se pique de faire la leçon sur la qualité de la langue !

Boileau nous fournit la clé de ce gâchis 0 « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément. » Bloqués raide, les commissaires, en ce qui regarde la description du pouvoir d’assimilation du français par rapport à l’anglais. Inhibés par d’innommables préjugés qui les empêchent de concevoir bien et d’énoncer clairement ce qu’il nous faut savoir et faire.

Compromettre l’avenir du français à Montréal et au Québec

Si l’on ne se donne pas des moyens concrets pour réaliser une juste répartition des transferts linguistiques entre le français et l’anglais à Montréal, on se leurre. Le poids des francophones baissera jusqu’à un niveau tel que l’actuelle politique sera remise en question, à la faveur d’un bilinguisme dont on connaît l’issue. Bâcler la description des transferts et en minimiser l’importance, comme l’a fait la Commission, c’est accepter la réduction goutte à goutte de la prédominance du français qui, tout comme la langue d’usage publique, s’appuie d’abord et avant tout sur la population francophone, quoi qu’en disent les paralysés de la rectitude.

Le regretté démographe français Alfred Sauvy a résumé à sa façon inimitable la conséquence linguistique du faible intérêt de la France pour la démographie de ses colonies d’Amérique du Nord 0 « Il a suffi que, dans chacun des deux pays en lutte pour un immense continent, l’un envoie, à chaque année, quelques milliers de colons, l’autre quelques centaines, pour que le cours de l’histoire reçoive une formidable impulsion […] au moment même où la langue française s’assurait en Europe la prédominance internationale, grâce à sa forte démographie, elle était en train de la perdre à terme dans le monde, parce que quelques bateaux de plus, chargés d’illettrés, quittaient tous les ans la petite Angleterre. »

Certes, les immigrants d’aujourd’hui – dont mes grands-parents maternels – ne sont plus des illettrés. Mais toute proportion gardée, la compétition entre francisation et anglicisation des immigrants allophones est l’équivalent contemporain de ce que représentait l’immigration d’origine française ou britannique en Amérique au temps de la Nouvelle-France. Et l’avenir du français au Québec ne sera assuré que lorsque les transferts linguistiques à Montréal se répartiront au prorata des populations de langue française et de langue anglaise.|202| 
240|Haro sur les profs ?|Pierre Dubuc|

L’enseignement du français est la principale menace à notre survie



C’est la recommandation de créer une citoyenneté québécoise qui a fait la manchette par suite du dépôt de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec présidée par Gérald Larose. Mais le caractère flou de cette proposition la condamne à être reportée aux calendes grecques. Il y a fort à parier que, si le rapport n’est pas tout simplement tabletté, l’attention portera plutôt sur ce que la Commission identifie comme la cause principale des problèmes du français au Québec 0 le système d’éducation.

Personne ne s’opposera aux recommandations de la Commission Larose voulant que chaque élève dispose de son propre manuel de français et de sa propre grammaire et qu’un nombre suffisant de dictionnaires soit disponible dans chaque classe. Que soit exigé de tous les titulaires d’un baccalauréat en enseignement qu’ils s’expriment dans un français oral et écrit de qualité rencontrera l’adhésion de la majorité, si cela est assorti, comme le rapport le recommande, de programmes de formation continue pour tout le personnel enseignant.

Mais il est difficile de suivre la Commission lorsqu’elle identifie « la difficulté du réseau québécois d’enseignement d’assurer aux jeunes et aux adultes la maîtrise du français écrit et parlé » comme étant « la principale menace à la vitalité du français, voire à la survie du principal terreau de langue française en Amérique » !

Liquidation des questions démographiques et du monde du travail

Épingler le réseau d’éducation – et donc le personnel, plus particulièrement les enseignantes et les enseignants – comme étant la « principale menace » à notre survie démontre que la Commission était à la recherche d’un bouc-émissaire, étant donné son attitude à l’égard des transferts linguistiques, de la langue de travail et de l’environnement linguistique.

La question cruciale des transferts linguistiques est liquidée d’entrée de jeu sous le fallacieux prétexte du danger de « dérives sociales majeures, tel le cloisonnement de la société québécoise en trois catégories 0 les francophones, les anglophones et les allophones ». Comme si ces réalités n’existaient pas ! La Commission présente la question du déclin démographique des francophones sur l’île de Montréal comme un simple « débat » entre démographes dans lequel elle n’aurait pas à prendre parti, ce qui lui permet d’éviter à proposer des mesures comme l’obligation de fréquentation du cégep francophone pour les allophones.

De même, l’analyse du monde du travail est peu documentée et n’aboutit pas à un renforcement des mesures pour la francisation des entreprises. On prêche plutôt le bon ententisme, le partenariat, le dialogue, des mesures qui, de l’avis même de la Commission, se sont avérées un échec 0 30 % des entreprises de cent employés et plus n’ont pas encore de certificat de francisation, dont 7 % d’entre elles depuis plus de dix ans; seulement 6 % des comités de francisation actuels sont actifs; de plus en plus d’employeurs exigent la connaissance de l’anglais et en font un critère d’embauche, même si ce n’est pas justifié, peut-on lire dans le rapport.

Obligation de résultat, uniquement pour l’éducation

Si le rapport est avare de statistiques sur les questions démographiques et de la langue de travail, il en va tout autrement en ce qui concerne l’éducation. Pour chaque niveau d’enseignement, on publie les résultats détaillés du nombre d’échecs en français. Bien plus, contrairement au monde du travail où on ne prévoit aucune mesure contraignante mais une approche « proactive et partenariale », la Commission parle d’une « obligation de résultats pour chacun des ordres d’enseignement ». Un examen national devra conditionner l’obtention du permis d’enseigner et les conseils d’établissement auront le mandat d’établir une politique linguistique institutionnelle.

Évidemment, personne ne s’oppose à l’amélioration de la qualité du français – particulièrement dans l’enseignement – , mais nous savons que la menace à notre survie linguistique réside principalement dans la démographie, la langue de travail et l’environnement linguistique. Les commissaires consacrent plusieurs pages de leur rapport à de longues spéculations sur l’impact des nouvelles technologies, mais sont muets sur l’impact linguistique des technologies actuelles comme la radio, la télévision, le cinéma et le disque. Pourtant, nous savons que, si on peut toujours améliorer les classes d’accueil dans Côte-des-Neiges, la bataille est néanmoins perdue d’avance si l’affichage est anglais et que le méga-cinéma du quartier ne programme jamais de films en version française.

Le suivi logique du rapport de la Commission Larose est une campagne du « Bon parler français » avec comme têtes de turc les enseignantes et les enseignants. Un retour aux années 1950 !|202| 
241|La situation de l’Outaouais n’inquiète pas la Commission|Jean-Paul Perreault|*

Une langue pour tout le monde ?!



À la page 186 du rapport final Le français, une langue pour tout le monde de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française, les commissaires reconnaissent clairement la situation particulière de l’Outaouais. Ils insistent même pour dire qu’il faut « tenir compte des disparités régionales » dans l’élaboration des « stratégies de francisation ».

Traitant en une dizaine de lignes des particularités de l’Outaouais, à la page 186, ils démontrent avoir compris certains besoins de la région 0 « Région frontalière avec l’Ontario, largement dépendante économiquement du gouvernement fédéral et des entreprises ontariennes (près de 40 % des citoyens de l’Outaouais travaillent en anglais en Ontario), l’Outaouais est un exemple de région à laquelle il faut accorder une attention particulière. Il faut appliquer à cette région des mesures qui convainquent tous les Québécoises et les Québécois qui y vivent que le français y a le même droit de cité qu’ailleurs au Québec. Ainsi, il faut sans doute voir à corriger le sous-équipement chronique qui est le sien dans tous les domaines, mais en particulier dans celui de l’enseignement et de la culture. Il faut reconnaître que l’absence de diplômes d’études secondaires chez 43 % des jeunes de 15 à 24 ans est catastrophique, car sur le plan linguistique et culturel, ils doivent affronter des obstacles supérieurs à ceux de bien d’autres régions du Québec. Le Pontiac est un autre exemple de région dont le portrait linguistique doit être établi et où des mesures doivent être prises pour mettre fin à la perte d’influence et de prestige de la langue commune qu’illustre le fait que certains jeunes doivent fréquenter une école ontarienne. »

La seule et unique recommandation, la dernière des 149 recommandations du rapport, que font les commissaires à la suite de ce constat particulier de la précarité de l’Outaouais est de proposer au gouvernement du Québec « que les conditions du progrès de la langue officielle et commune soient répertoriées pour chacune des régions administratives du Québec afin de servir à l’élaboration des stratégies linguistiques à venir ». C’est bien peu, vous en conviendrez ! Des constats, des analyses, des répertoires, des études, des rapports, des mémoires, des inventaires, l’Outaouais en a déjà écrit et présenté plus d’un au gouvernement du Québec !!!

Nous voyons mal comment une telle recommandation pourra pour l’Outaouais corriger le sous-équipement chronique qui est le sien dans tous les domaines, mais en particulier dans celui de l’enseignement et de la culture. La situation linguistique et culturelle de l’Outaouais réclame bien plus qu’un autre répertoire, la langue anglaise récupérant, selon le recensement fédéral, 100 % du solde des transferts linguistiques alors que la langue française est en perte nette de 6 % à cause de l’assimilation des francophones.

La question demeure entière 0 qu’entend faire « précisément » le gouvernement du Québec pour l’Outaouais ? La rapport Larose n’y répond pas...

*Président, Impératif français|202| 
242|D’une lune à l’autre|Élaine Audet| Cet été caniculaire laisse derrière lui une sensation d’urgence et, dans le vif de nos vies, la marque vorace des canines de la mondialisation. La tolérance face à la violence et à la violation de la dignité humaine est de plus en plus grande. La bioéthique a besoin de plus que des paroles pour barrer la route à la commercialisation de tout ce qui vit. Les accords de libre-échange menacent non seulement l’indépendance politique, économique et culturelle des États mais la souveraineté même de l’être humain et son libre accès à des biens communs essentiels comme l’eau. La vie même est désormais l’objet de convoitise des puissances du profit.

De Seattle à Gênes en passant par Québec, on assiste à une escalade de la violence de la part des forces policières internationales qui n’hésitent plus à tirer de vraies balles sur les contestataires d’un système qui subordonne l’humain au profit.

La montée de la répression

Il est tout à fait illusoire de penser que la démocratie sera respectée face à des enjeux si importants pour les maîtres du monde. Avec l’appui des gouvernements, ils joueront de plus en plus fort la carte de la terreur, de la division des forces progressistes et de la répression brutale de toute contestation.

La défense inconditionnelle des forces policières par le ministre de la Sécurité publique du Québec et le comportement du premier ministre Chrétien lors du sommet de l’APEC donnent le ton. Rien d’étonnant alors d’apprendre que la GRC et le Service canadien de sécurité, avec des relents d’octobre 70, n’excluent personne de leurs enquêtes sur le terrorisme international, pas même des organisations démocratiques comme Greenpeace et Amnistie internationale ou les Raging Grannies! (Sans frontières, SRC, 22.08.01)

Les pacifistes gênent les casseurs

Plusieurs témoignages dignes de confiance, qui circulent sur les réseaux électroniques féministes et anti-mondialisation, se recoupent pour décrire la violence sauvage dont ont été victimes à Gênes les groupes et les individus qui manifestaient pacifiquement. Notamment ceux de deux féministes, américaine et italienne, d’un réseau-citoyen français et de Bernard Cassen du Monde diplomatique, président d’ATTAC, qui font tous état de la complicité des policiers avec 300 à 400 casseurs habillés en Black Blocks, qu’ils ont laissé sciemment battre les manifestantEs et vandaliser la ville.

Bien que la descente policière sauvage au Centre des médias du Forum social mondial ait eu pour but de trouver et de détruire les preuves de la violence policière durant les manifestations, raconte Cassen, une vidéo, montrant la collusion entre les casseurs et la police, a pu échapper au saccage et a été présentée sur l’ex-Télé-Monte-Carlo (« Sette »), révélant hors de tout doute jusqu’où pouvaient aller les forces de l’ordre pour défendre le pouvoir des riches.

Les pacifistes gênent les policiers

La féministe américaine Starhawk raconte ainsi ce qu’elle a vécu 0 « Ils sont entrés dans les pièces où les gens dormaient. Les gens ont mis les mains en l’air, en criant “ pacifisti, pacifisti ”. Les flics les ont tous frappés à leur faire sortir la merde, on ne peut pas dire ça autrement. Nous sommes allés voir dans l’autre bâtiment. Il y avait du sang partout où l’on dormait, des flaques même parfois, le bordel total, les ordinateurs et les équipements bousillés. »

La militante italienne corrobore ce témoignage sur la violence « terrifiante » des policiers lors de la mise à sac du Centre des médias, en ajoutant qu’après avoir battu tout le monde, cassé tout sur leur passage, et détruit ou confisqué systématiquement la documentation des journalistes (témoignages, vidéos, photos, etc.), les policiers ont même arrêté l’avocat responsable de la coordination juridique, en s’emparant des documents nécessaires à la défense des personnes arrêtées.

Les apôtres de la ZLEA

Le premier-ministre Landry le dit clairement, il ne veut la souveraineté du Québec que pour s’asseoir à la même table que les membres de la ZLEA et partager le gâteau de la mondialisation. Son ministre Brassard n’écarte d’ailleurs pas l’idée d’une exportation massive de l’eau, comme le gouvernement de Terre-Neuve. Tout laisse croire qu’aucune disposition de l’ALENA ne protège contre la commercialisation de l’eau, comme le montrent les nombreux procès intentés par des compagnies américaines réclamant des milliards de dollars de dédommagement pour les profits que les provinces canadiennes les ont empêché de faire en leur refusant l’autorisation d’importer l’eau en vrac aux États-Unis !

Le privé est politique

Plus que jamais le slogan des années 70 « le privé est politique » est d’actualité. La politique aujourd’hui passe par la défense, au cœur de nos vies, de l’environnement, des droits humains et de la démocratie. Nous devons changer nos valeurs et notre façon de vivre pour enrayer le gaspillage des ressources et de l’énergie et mettre fin à la pollution de la terre, de l’eau et de l’air que nous respirons causée par les porcheries, les pesticides, les déchets industriels, les centrales nucléaires. Toutes les stratégies sont bonnes pour sortir de cet univers « consommationnaire » 0 simplicité volontaire, systèmes d’échanges locaux (SEL), commerce équitable, cuisines collectives, appui aux groupes de femmes, à la Coalition Eau Secours, aux médias indépendants, aux organisations anti-mondialisation. Pour être efficace, cette action locale, à la racine, devra cependant se refléter au niveau global des prises de décisions politiques.

Le front anti-mondialisation

Nous ne devons pas laisser la répression diviser le front anti-mondialisation entre « jeunes activistes » et « société civile » (on croirait entendre « sénile » !). Au plan politique, on a assisté, ces derniers mois à la création de l’Union des forces progressistes, suivie de l’Union paysanne, avec en toile de fond, les discussions sur l’opportunité de fonder un parti féministe de gauche. Ce sont les États nationaux qui entérinent les politiques néolibérales et perpétuent le laxisme face à la mise en marché de l’humain et de la nature. C’est donc sur le terrain national qu’il est urgent de bâtir une force politique unie nous permettant de reprendre possession de nos vies et du pouvoir de décider ce que nous voulons en faire.

Notre lutte ne peut être victorieuse si nous continuons à la mener prioritairement sur le terrain transnational, sans remettre en question le système de valeurs de l’organisation mondiale de la spéculation et du profit, en continuant à être à la remorque de la stratégie de provocation et de répression de plus en plus violente des forces mondiales de l’ordre.

L’indépendance du Québec

Dès les prochaines élections partielles, nous devons montrer notre détermination à réaliser l’indépendance du Québec en luttant contre la mainmise des transnationales sur nos ressources et en bâtissant un projet de société fondé sur l’équité entre les deux sexes, l’éradication de la pauvreté et de la violence, la sauvegarde de l’environnement et du vivant, la répartition équitable de la richesse collective et la mondialisation de la solidarité entre les peuples. Le premier objectif étant de nous unir de toute urgence pour créer un rapport de force irrésistible en faveur de l’adoption du mode de scrutin proportionnel afin que toutes les forces sociales puissent faire entendre leur voix lors des prises de décision qui concernent leur avenir.|202| 
243|Partition pour voix de femmes|Élaine Audet|

Un film intelligent, sensible et mobilisateur



J’ai eu la chance de voir le beau film de Sophie Bissonnette, Partition pour voix de femmes, qui nous montre comment les femmes d’une vingtaine des 160 pays qui ont participé à la Marche mondiale ont également mis sur pied des organisations de solidarité durables 0 comité contre l’excision au Sénégal constituant un témoignage éloquent de la force de l’amitié entre femmes; tribunal féministe en Inde pour régler les litiges conjugaux et autres; cirque de femmes en Australie visant à redonner confiance en elles à des victimes d’agressions sexuelles; regroupement de femmes autochtones en Équateur pour reprendre possession de leur identité; groupe pacifiste de Colombiennes qui, au risque de leur vie, traversent la zone de guérilla pour dire qu’elles en ont assez de vivre la guerre et de voir mourir leurs enfants; comité de survivance à Boston, créé par des assistées sociales aidées d’universitaires, afin de transformer ensemble leurs conditions de vie; etc. Tous ces témoignages poignants sont entrecoupés d’extraits de la marche dans différents pays.

La réalisatrice Sophie Bissonnette, dont le film est produit par Monique Simard, Marcel Simard, Nicole Lamothe et l’ONF, pose un regard résolument féministe sur le monde comme dans ses films précédents 0 Une histoire de femmes (1979), Quel numéro, what number ? (1985), L’amour… à quel prix ? (1988), Des lumières dans la grande noirceur (1990), ’49 un souffle colère (1996), Près de nous (1997). Un film intelligent, beau, sensible et mobilisateur nous transmettant les voix et les voies multiples des femmes en marche pour changer le monde. À voir absolument à l’ONF ou en surveillant la programmation de Télé-Québec.|202| 
244|Le désarroi de la gauche et les bouffonneries de la droite|Andrée Lévesque|

En attendant Porto Alegre



Les 25 et 26 août, comme chaque été depuis dix ans, se tenait la rencontre annuelle d’Alternatives, le réseau d’action et de communication pour le développement international. Cette année, après l’euphorie de la Marche mondiale des femmes et l’immense déception produite par l’échec de ses revendications à Québec; après les confrontations de Gothenburg, de Québec et de Gênes; et avant le Sommet social de Porto Alegre en janvier 2002, un thème s’imposait 0 Résistance au néolibéralisme et construction des alternatives dans le monde.

En ateliers et en plénières, quelque 260 personnes se sont interrogées sur les suites du Sommet des peuples; elles ont comparé les luttes et les ravages de la mondialisation néolibérale dans les Amérique, en Afrique, en Asie et dans le monde arabe, et ont identifié des nouvelles stratégies à adopter face à l’hydre néolibérale, tout cela en préparation au grand Forum social de Porto Alegre en janvier 2002.

La politique des partis

Un thème est revenu au cours de la fin de semaine 0 les rapports entre les mouvements sociaux et la politique de parti. On ne doit pas s’étonner du discrédit de la politique partisane à Ottawa et à Québec. Au gouvernement fédéral, un parti libéral profite depuis un bon moment du désarroi de la gauche et des bouffonneries de la droite. Si à gauche les choses bougent et que des vétérans comme Judy Rebick et Sven Robinson mettent sur pied Une nouvelle initiative politique/New Policy Initiative, il y a peu de chance que cette coalition fasse une percée au Québec, tandis qu’à l’Assemblée nationale, deux partis voués au libéralisme et au libre-échange dominent la scène politique.

L’État émasculé

Des deux côtés de l’Outaouais, on assiste à un État complice de son émasculation. Sur la scène internationale, pour reprendre l’expression de la journaliste Madeleine Bunting dans le Manchester Guardian (21-27 juin 2001), l’État n’est qu’un arbitre entre les corporations et les ONG qui se disputent 25 % de la richesse de la planète.

Au Canada, d’une part mesquineries et chrétienneries contribuent au discrédit des élus alors que d’autre part le pouvoir économique s’affirme prioritaire avec, à titre d’exemple, l’Article XI de la ZLEA pour le prouver. Rappelons que cet article permet aux corporations qui se croient lésées d’intenter des poursuites contre un gouvernement. Partout on assiste à l’érosion du secteur public. On pense aux services de santé ou, pour ne prendre qu’un exemple d’actualité, le glissement de l’instruction gratuite pour tous vers l’imposition de frais multiples dans les écoles dites publiques. Si l’État perd ses pouvoirs, pourquoi s’en préoccuper ?

La marionnette a encore des pouvoirs

Or, pendant qu’on s’accorde pour mépriser un état composé de marionnettes manipulées par les géants économiques, on oublie peut-être que cet État jouit de grands pouvoirs 0 il taxe et dispose des fonds publics, il légifère et il contrôle les forces de l’ordre. À Québec, comme déjà à Vancouver, on a goûté jusqu’à la nausée son pouvoir de répression. Mais ce n’est pas dans ces arènes que se retrouvent les forces les plus dynamiques du changement social. Au Québec, c’est au niveau communautaire que « ça » se passe. Les besoins sont immédiats, les luttes impliquent directement citoyennes et citoyens et les effets sont souvent plus tangibles.

La gauche à l’aube du XXIe siècle

Sur l’articulation des mouvement sociaux et de la politique partisane, il faut lire le dernier livre de Marta Harnecker, membre du conseil d’administration d’Alternatives 0 La Gauche à l’aube du XXIe siècle. Cette sociologue d’origine chilienne, aujourd’hui installée à Cuba, nous rappelle que c’est la droite qui se passe de parti politique. Se basant sur l’expérience de l’Amérique latine, elle maintient que devant l’immense pouvoir idéologique et politique de la classe dirigeante et des partis qui la représentent, la gauche ne peut se passer de pouvoir politique.

L’urgence de la condition mondiale – c’est-à-dire la dégradation de l’environnement, l’instabilité économique (le Japon entre autres), la perte de droits civils (privatisation et marchandisation de l’éducation) – agit comme catalyseur pour une vaste coalition anti-néolibérale. L’élan de coalition fait penser aux fronts communs antifascistes des années 1935-1939 avec comme différence que ces mouvements de fronts populaires étaient initiés par les partis politiques, alors qu’aujourd’hui l’impulsion surgit de la base et se fonde sur de multiples noyaux issus de la société civile. Les organisations unies dans leur lutte contre la mondialisation des marchés et toutes ses conséquences ne sauraient rester longtemps orphelines d’un mouvement politique démocratique.|202| 
245|Le programme d’ordre public|Stéphanie Beaupied|Le Programme d’ordre public est le dernier rejeton de la GRC pour combattre les groupes anti-mondialisation, nous apprenait, le 18 août dernier, le Ottawa Citizen en rendant public un document secret de la police fédérale. André Paradis, directeur général de la Ligue des droits et libertés, avoue que la réaction du gouvernement et de la GRC était prévisible, mais il n’en est pas moins inquiet de cette intensification de l’activité de la police politique dans les organismes démocratiques.

Le « Centre of Excellence »

Le Programme d’ordre public a été créé en mai dernier en réponse aux vives critiques formulées à l’endroit des corps policiers lors du Sommet de l’APEC à Vancouver en 1997 et, plus récemment, du Sommet de Québec. La police veut s’équiper ! Cette unité spéciale des forces de l’ordre deviendra le « Centre of Excellence », écrit le Citizen en citant les propos de Guy Amyot, porte-parole de la GRC en matière de renseignements, de techniques et d’équipes anti-émeutes pour maîtriser les foules.

Le Programme d’ordre public sera la plaque tournante d’échange d’informations entres corps policiers et services secrets. Le document obtenu par le Citizen, et probablement élaboré par le Service canadien de Renseignement et de Sécurité (SCRS) selon André Paradis, fait mention d’une liste de groupes considérés menaçants pour le gouvernement. On y retrouve entre autres le National Council of Catholic Women, Catholic Charities U.S.A, ou encore The Canadian Council of Churches, de quoi faire frémir Jean-Paul II ! Évidemment, des organismes plus connus sont également mentionnés comme Greenpeace et Amnistie internationale.

Méfiez-vous des Raging Grannies

Nous avons vu que la GRC avait infiltré le Groupe Germinal lors du dernier Sommet de Québec; nous apprenons maintenant que les Raging Grannies, un groupe d’aînées qui chantent pour dénoncer les injustices sociales, est un autre exemple de « groupe terroriste » infiltré par la police ! André Paradis explique que « c’est un problème récurrent dans l’histoire des droits et libertés au Canada, mais aussi à travers le monde. Des organismes démocratiques et légitimes se retrouvent dans la mire des services secrets ».

Le Programme d’ordre public ne se limite pas à l’infiltration. L’unité spéciale de la GRC étudiera des méthodes de pointe « non meurtrières ». On parle de maximiser l’utilisation de poivre de Cayenne, des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc. Selon le document obtenu par le Citizen, des officiers choisis seront formés en vue de bien diriger et entraîner des troupes anti-émeutes lors d’éventuelles manifestations. Pour André Paradis, le risque est énorme, car les « corps policiers ont tendance à confondre les manifestations à caractère politique avec le désordre public ».

Une balle de caoutchouc qui rebondit

Pour la Ligue des droits et libertés, les corps policiers sont toujours à surveiller, particulièrement en période de mobilisation. Le SCRS et la GRC établissent alors des listes de gens dont le seul tort est de s’opposer aux politiques du gouvernement. André Paradis nous informe que ces méthodes seront critiquées cet automne en chambre par Svend Robinson, député du NPD, atteint d’une balle de caoutchouc lors du sommet de Québec et qui, pour cette raison, poursuit en justice la GRC et le gouvernement fédéral. |202| 
246|Bordel or not bordel ?|Andrée Lévesque|

Le retour des maisons mal farmées



On l’a tous et toutes vue à la télé ou au coin de la rue 0 elle attend un client et semble sérieusement « en manque » de sa substance habituelle. Eh bien, elle ne gâchera plus notre paysage urbain et on pourra même l’oublier. Désormais, si le Bloc Québécois parvient à faire accepter les propositions de son rapport sur la prostitution de rue, De l’anathème au dialogue, les prostituées seront confinées, nous dit-on, aux bordels, à l’extérieur des quartiers résidentiels, sur l’Île Notre-Dame, par exemple, à côté du Casino de Montréal.

À lire les journaux ou à entendre les reportages et les commentaires sur le sujet, on croirait que la prostitution est aujourd’hui illégale et que demain des « maisons closes » contiendront les ébats de nos mâles en rut. Seuls quelques articles ont souligné que la prostitution est bien légale, mais que le racolage, le proxénétisme et les maisons utilisées à des fins de prostitution ne le sont pas.

Quant aux « maisons closes », le mot est malheureux et inaproprié car les maisons prévues ne seront pas closes. Montréal n’a jamais eu de maisons closes, mais elles ont existé en Europe 0 les femmes qui y travaillaient, qualifiées de « soumises », étaient séquestrées, contraintes à une discipline sévère et privées de leurs droits fondamentaux.

Jusqu’à la belle époque du maire Drapeau, de Pax Plante et de la Commission Caron, les lupanars de Montréal jouissaient d’une réputation qui dépassait les frontières et formaient un de ses attraits touristiques particuliers. Même si ce n’était pas légal, c’était toléré.

Un rapport réaliste

Le rapport rédigé par les députés Réal Ménard, Caroline Saint-Hilaire et Pierrette Venne entend légaliser et restreindre les lieux où pratiquent les travailleuses et travailleurs du sexe ce qui, en principe, n’est pas répréhensible, aussi répugnant que ce métier puisse apparaître à bien des femmes. Il se propose un double but 0 « réduire les préjudices subis par les résidantes et de prévenir la violence à l’égard des travailleuses et des travailleurs du sexe ».

Si on ne peut que louer les efforts pour lever l’illégalité qui frappe les prostituées, il ne faudrait pas se faire d’illusion sur les conséquences de la décriminalisation de la prostitution et du proxénétisme. Les députés admettent eux-mêmes ne pas s’attendre à des miracles. Si on veut débarrasser le Plateau ou le quartier Centre-Sud des seringues qui accompagnent souvent la prostitution de rue, la mesure est illusoire. Les femmes qui consentiront à travailler dans ces bordels contrôlés et à payer l’impôt ne sont pas les mêmes qu’on rencontre aux coins des rues.

Le présent projet a bien fait de laisser tomber l’examen médical des prostituées. Celui-ci, la preuve en a souvent été faite, ne change pas grand-chose et, pour être efficace, il doit être accompagné de l’examen des clients qui devront patienter dans l’attente des résultats.

L’état proxénète ou l’entreprise privée ?

Plusieurs questions demeurent néanmoins sans réponse. Tout d’abord, il faut savoir à qui appartiendraient les bordels proposés et qui les gérerait. Car il s’agit bien de bordels et non de maisons closes où les travailleuses sont enfermées et perdent leurs droits fondamentaux. L’État proxénète n’est pas plus une solution que l’entreprise privée motivée par le plus grand profit. Dans les États australiens qui ont adopté la réglementation, qu’on cite souvent en exemple, les gérantEs retirent jusqu’à 60 % des gains des travailleuses qui n’ont pas le droit de choisir leurs clients. Des conditions de servitude ou d’exploitation n’attireront pas toutes les prostituées même si on leur garantit un milieu de travail protégé de la violence des clients.

Outre la dissuasion de la violence, les grands avantages qu’offriront les bordels seront le port du condom obligatoire et le contrôle du milieu de travail par les travailleuses. En contrepartie, celles-ci, en plus d’avoir des droits – dont l’accès à l’assurance-emploi, par exemple – devront s’acquitter de leurs devoirs de citoyennes en payant l’impôt.

Une tolérance à deux vitesses

Le Comité sur la prostitution de rue entend tolérer cette dernière pendant encore cinq ans pour pouvoir juger de l’influence de la présence des bordels sur le racolage dans les endroits publics. Or, il y a ici une prostitution à deux vitesses pour ainsi dire. La prostitution de rue, refuge des droguées et des femmes les plus pauvres, les plus jeunes et les moins bien prémunies, est aussi la moins chère et elle continuera à attirer certains clients.

Cette forme de prostitution est la plus problématique – les clients offrent souvent plus si on les dispense de porter un condom – et relève plus du travail social que de la criminalité. C’est pour cette raison que le Comité du Bloc demande au gouvernement fédéral un fonds d’intervention et de soutien pour les personnes toxicomanes. La prostitution de rue demeure liée à la pauvreté et à la drogue, et elle sera très peu affectée par l’établissement de bordels.

La prostitution de rue est là pour rester

Dans les rues, les parcs, les ruelles, les chambres ou les draps propres, la prostitution est le travail de choix de peu de femmes, du moins à long terme. Dans les meilleures conditions, il demeure dégradant même s’il offre la possibilité de gagner de l’argent très rapidement sans beaucoup de qualifications.

La tolérance, la répression, la réglementation ou la décriminalisation demeurent des choix de société et les citoyens et citoyennes doivent être conscients que les mesures mises de l’avant ne seront pas une panacée et n’élimineront pas la présence des prostituées dans les rues de la ville. En attendant, je vous suggère un petit exercice 0 demandez-vous et demandez à vos amiEs si on peut imaginer un monde sans prostitution et pourquoi, ou pourquoi pas.|202| 
247|Dear Henry, ce prestigieux criminel|Saël Lacroix| Le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet et ses hommes assassinaient et renversaient le président démocratiquement élu du Chili, Salvador Allende. Des documents de la Maison Blanche longtemps gardés confidentiels confirment aujourd'hui le rôle clé joué par le gouvernement américain et la CIA dans cette intervention meurtrière, origine d'un régime de terreur qui entraînera dans la mort des milliers de civils. À l’origine de cette opération, un homme 0 le secrétaire d'État américain Henry Kissinger.

Je ne vois pas pourquoi l'irresponsabilité d'une population pourrait permettre aux Communistes de progresser dans un pays. » Cette déclaration d’Henry Kissinger se rapportait aux élections chiliennes qui portaient au pouvoir le parti de Salvador Allende. Notons que le système électoral de ce pays était alors reconnu, dans l'hémisphère sud du continent américain, comme un véritable modèle de pluralité démocratique.

Surprenant ? Oui, si l'on considère que ce célèbre conseiller du président Nixon, puis du président Ford par la suite, considéré comme le grand diplomate de la politique internationale américaine à une période critique de la guerre froide, aimait se présenter comme le défenseur des valeurs libérales et démocratiques.

Co-récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1973 avec son homologue vietnamien Le Duc Tho (qui a rejeté l'honneur, arguant que la guerre au Viêtnam n'était pas terminée), « Dear Henry » est, aujourd'hui encore, grandement respecté à l'intérieur de l'élite politique américaine, et bénéficie par l'entremise des grands médias d'un statut réservé aux grands hommes d'État.

Une longue liste de crimes

Et pourtant, la révélation récente d'archives jusqu'ici gardées secrètes par le gouvernement américain a permis à certains auteurs d'exposer au grand jour le machiavélisme de cet homme aux idées de grandeur. Avec son ouvrage The Trial of Henry Kissinger, le journaliste et professeur Christopher Hitchens dresse sans détour la longue liste des crimes qui lui sont attribuables. Il démontre notamment que les interventions sanglantes au Cambodge, au Viêtnam, au Bangladesh, à Chypre et au Timor Oriental, pour ne nommer que celles-ci, sont l'effet d'une politique impérialiste que Kissinger s'est efforcé de mettre en application. Ce dernier n'a jamais hésité à prendre tous les moyens nécessaires pour assurer l'hégémonie des États-Unis sur le reste du monde.

En Amérique du Sud, Kissinger s'est fait le défenseur des pires dictatures militaires, lesquelles se montraient par la suite courtoises aux demandes des grandes multinationales. Au Chili, les réformes amorcées par le gouvernement socialiste d'Allende visaient une réappropriation par l'État de son économie pour en permettre un meilleur contrôle et une répartition plus juste. Cela passait par une vague de nationalisations qui allait évidemment à l'encontre des puissants intérêts américains.

Kissinger alla jusqu'à affirmer dans une lettre écrite à Nixon après le coup d'État 0 « Le nouveau pouvoir chilien est en train de régler le problème de l'expropriation des compagnies américaines et il nous soutient dans la plupart des dossiers internationaux importants. » Et il poursuivit 0 « La survie de la junte est donc clairement de notre intérêt. Nous devons lui assurer un soutient discret mais ferme.»

Une rencontre décisive

Une rencontre à quelques jours des élections chiliennes entre Kissinger et le directeur de la CIA, Richard Helms, allait décider de l'avenir du pays pour les vingt prochaines années. Il fut alors convenu qu'en cas de victoire de la gauche, une politique de déstabilisation serait nécessaire à l'élimination définitive de la « menace communiste » en formation. Celle-ci se ferait tout d'abord à l'aide de sanctions économiques, puis d'enlèvements, d'assassinats et, éventuellement, d'un coup d'État militaire. L'assassinat commandé du général Schneider, le chef de l'armée chilienne sous Allende qui refusait toute ingérence militaire dans le processus électoral, montre comment furent éliminés sans scrupule les individus faisant obstacle aux aspirations du diplomate.

Si publiquement Kissinger affichait des réserves face au régime dictatorial mis en place après le renversement, il en était tout autrement derrière les coulisses. Loin de se préoccuper des multiples violations des droits humains au Chili, qu'il qualifiait d'ailleurs de « problèmes domestiques », Kissinger, dans un entretien privé avec Pinochet en 1976, le rassurait 0 « Nous saluons le renversement d'un gouvernement enclin à des tendances communistes. (…) En renversant le gouvernement d'Allende, vous avez rendu un grand service à l'Ouest. Nous n'avons aucun intérêt à affaiblir votre position. »

Dans l'esprit du public, le général Pinochet est l’un des monstres du XXe siècle. Cependant, on oublie trop souvent les forces et les intérêts masqués qui ont concouru à le mettre en place.|202| 
248|Ferron ou Dumont, voilà la question|Michel Lapierre| Être ou ne pas être, voilà bien la question que nous devons nous poser si le goût nous vient d’élire le grand penseur québécois du XXe siècle.

Il n’y a que deux candidats en lice, deux cadavres sur le lit de parade. Nés dans les années vingt et morts avant la fin du siècle, ces deux hommes incarnent des visions du monde tout à fait contradictoires et résument, à eux seuls, le dilemme de notre identité.

Le premier candidat, Jacques Ferron, médecin, fondateur du Parti Rhinocéros et surtout écrivain, n’est pris au sérieux que par un petit nombre d’initiés. Quant au second, Fernand Dumont, sociologue, philosophe et même théologien, il jouit d’une réputation qui ne cesse de grandir. Tous les honnêtes gens le disent 0 Dumont, c’est le guide qu’il nous faut. Voilà certainement ce que pense Serge Cantin. Ce professeur de philosophie a colligé et présenté, avec ferveur et minutie, les entretiens du maître, sous le titre Un témoin de l’homme. Il nous rappelle que Fernand Dumont se situe bien au-dessus de notre humanité…

Le bond du témoin de l’homme

C’est en 1927, à Montmorency, petite ville industrielle, près de Québec, qu’est né le témoin de l’homme. Son père, qui avait connu une enfance miséreuse, était ouvrier à la Dominion Textile. « Mon père se rappelait avoir mendié », avoue Dumont dans ses entretiens. Du côté maternel, la situation n’est guère plus reluisante 0 le grand-père avait dû travailler aux États-Unis, à maintes reprises, pour assurer la subsistance de sa famille.

« J’éprouve toujours – je l’avoue franchement en toute naïveté – une certaine fierté de venir de ce milieu-là, et même une espèce d’orgueil », confesse Dumont, grand chrétien pour qui la pauvreté et l’ignorance évangéliques comptent, bien sûr, par-dessus tout. Mais, assez tôt, le témoin de l’homme se faisait un devoir d’« émigrer », selon son propre terme, vers un autre milieu. Dans ses mémoires, intitulés précisément Récit d’une émigration, il n’hésite pas à nous livrer le fond de sa pensée à propos de ses parents. « J’ai cru qu’il me faudrait aller jusqu’à prendre une autre route que la leur pour répondre à des espoirs qu’ils ne pouvaient nommer. » Le peuple ne pourra même pas mesurer l’ampleur du bond que fera le témoin de l’homme.

Le docteur Ferron, né bourgeois, a émigré, lui, de l’autre bord du précipice parce qu’il croyait que « s’il est un pays où l’on s’appauvrit en s’embourgeoisant, c’est bien le nôtre ». On passe alors « de marde à merde, du gras au sec », disait-il avec tristesse. Dès le départ, Ferron pulvérise Dumont.

Pas de la marde

Après avoir fait, chez les frères, un cours secondaire sans prestige, Fernand Dumont décide d’apprendre, par lui-même, le latin et le grec afin de ne jamais plus se salir les mains. Admis au petit séminaire de Québec à l’âge de dix-huit ans, il devra travailler l’été, à la Dominion Textile, pour se payer des études classiques condensées. À la fin de sa vie, comblé de gloire, il daignera faire cette confidence 0 « Je n’oublie pas, maintenant que me voilà au milieu des livres, qu’un jour j’ai été confronté à l’humiliation la plus abjecte. » Le témoin de l’homme n’est pas de la merde, encore moins de la marde.

Et Ferron, lui ? Le docteur Ferron place bien au-dessus du collège Brébeuf, où il a fait ses études, Longueuil-Annexe et Coteau-Rouge, bidonvilles de la rive sud de Montréal, où il s’installe pour pratiquer la médecine. Il y trouve, assure-t-il, « en plus riche, en plus vivace, en plus savoureux », l’équivalent du collège huppé, « un centre nerveux du Québec, sinon une capitale ». Il reconnaît dans ce « farouest » banlieusard « le no man’s land qui sépare l’agriculture et la civilité nouvelle », la cité de cet inconscient cher à ses amis les automatistes, le terreau de la Révolution tranquille, la capitale de la modernité.

La modernité, Dumont, lui, a cru la découvrir dans les livres, à l’université Laval et lors de ses études à Paris. En réalité, il ne l’a jamais vue passer. Le témoin de l’homme n’a pas imaginé un seul instant que les ouvriers de la Dominion Textile incarnaient la modernité dans toute sa verdeur. La culture populaire, à la fois idéalisée et fossilisée par le clergé, il la voyait en train de se perdre. Qu’elle fût sur le point de se transformer, cela ne lui a jamais effleuré l’esprit.

L’avant-garde rebute Dumont, que ce soit en musique, en littérature, en peinture, ou encore dans l’action politique et syndicale. Lorsque l’avant-garde jaillit d’une culture populaire éclatée, le phénomène met le témoin de l’homme hors de lui. L’usage littéraire du joual constitue pour lui l’horreur suprême.

Les anticolonialistes colonisés

Lorsque Dumont se dit indépendantiste, il prend bien soin de préciser que sa pensée reste étrangère à l’anticolonialisme. Comme il sait manier les concepts, il retourne le terme colonisé contre les anticolonialistes. Ce sont eux les colonisés, soutient-il, eux et tous nos autres intellectuels qui se sont laissé séduire par de pernicieuses idées européennes. « Pensez aux influences que nous avons subies pendant la Révolution tranquille ! Ces étudiants qui revenaient de France avec la dernière théorie à la mode… » lance-t-il dans un entretien de 1977. Dumont en est aussi convaincu que les Anglais 0 les braves ouvriers de la Dominion Textile, eux, n’ont jamais été colonisés.

Les conséquences de la Révolution tranquille, le témoin de l’homme ne les a pas digérées. Dès que la logique de ce bouleversement déviait du réformisme provincial et complaisant dont il rêvait, il perdait sa belle contenance.

C’est le P. Georges-Henri Lévesque qui, dans une université pontificale, mit au monde le professeur Fernand Dumont. Quel prodigieux moyen d’ascension sociale l’Église ne fut-elle pas pour le témoin de l’homme ! Il est aisé de faire une petite révolution dans sa chambre, alors qu’à l’extérieur la civilisation est en crise. Mais que le choc est brutal quand on sort de sa coquille ! Dans son Portrait inachevé de Fernand Dumont, Paul-Marcel Lemaire nous révèle que ce choc a provoqué chez le témoin de l’homme une grave crise religieuse. Dumont ne voyait plus l’utilité de l’Église ! Il faut dire que c’était à la fin des années soixante-dix… Honteux de son ingratitude, Dumont est vite revenu à de meilleurs sentiments. Cependant, il ne se privera pas de critiquer le pape. Ce qu’il n’aurait jamais osé faire dans les années cinquante.

La démocratie, oui, mais…

L’audace n’a jamais été son fort. Il a tremblé comme une feuille en participant à l’ébauche du projet de loi 101. Plus près de Parent que de Papineau, Dumont a vu dans la Confédération un pacte qui aurait pu nous être profitable. Il a toujours considéré la démocratie comme une chose admirable dont la seule faiblesse demeure le suffrage universel… Selon lui, la Révolution tranquille a conduit, en définitive, à un cul-de-sac. Nous aurions fait fausse route en tablant sur le « refus » et la « caricature » du passé. Dumont appelle de tous ses vœux une « restauration de la mémoire ».

On peut se demander de quelle mémoire il s’agit. La Révolution tranquille et, plus globalement, la crise de la civilisation occidentale, ont à ce point bouleversé le témoin de l’homme qu’il n’hésite pas à affirmer que « l’origine de ce peuple-ci, c’est un avortement ». Notre langue serait une « langue en exil » et il y aurait de la « vanité » dans le désir de perpétuer notre culture. « À mon avis, il n’y a pas de nation québécoise, proclame Dumont, puisqu’il y a des anglophones qui ne se considèrent évidemment pas comme faisant partie de notre nation. »

« Dumont n’est décidément pas un disciple des Lumières », écrit avec justesse Paul-Marcel Lemaire, admirateur réfléchi du témoin de l’homme. À la différence de Serge Cantin, Lemaire reconnaît que Dumont n’est pas vraiment socialiste.

Ferron a été le premier à découvrir dans le Québec sauvage, populaire et frondeur l’avenir du monde. Dumont, lui, a, dès son engagement comme professeur à l’université Laval, quitté le Québec et même notre Terre pour émigrer désespérément vers le ciel inavouable des dieux de la Dominion Textile. S’il y a une chose qui soit totalement étrangère à l’esprit de Fernand Dumont, c’est bien la conjugaison du socialisme, de l’anticolonialisme et du souffle de la liberté.

Fernand Dumont, Un témoin de l’homme, L’Hexagone, 2000.

Paul-Marcel Lemaire, Portrait inachevé de Fernand Dumont, Éd. du Marais, 2000.|202| 
249|La banlieue des révoltés|Michel Lapierre|

Livre 0 Jacques Ferron, citoyen de Ville Jacques-Cartier (1949-1969)



Dans l’ancienne paroisse rurale de Longueuil, où il s’établit en 1949, le docteur Ferron se trouve au cœur du cataclysme. Hausse phénoménale du niveau de vie, révolution des mœurs, éclatement des idéologies, naissance de l’univers médiatique, passage définitif et quasi total du Québec à la civilisation urbaine. « En l’espace de vingt ans, dira Ferron, le monde et les cieux ont été transformés. » Même le bon Dieu et les Anglais ont été bousculés.

Vers 1945, les bidonvilles de Longueuil-Annexe et de Coteau-Rouge ont poussé dans les champs. Mais les gens dorment aujourd’hui dans de petites maisons, « avec fierté, comme des espèces de châtelains », précise Ferron en 1968. « Ils disent que ce sont des cottages, des split-levels, des bungalows ; et ils mettent parfois des canards de plâtre dans le parterre, même des biches et des faons. »

Les terres agricoles, les bidonvilles, les bungalows, voilà une bouleversante évolution, une « rose du temps », écrit Ferron, le contraire du vide. Il n’y a pas de création sans tohu-bohu. C’est de cette Rive-Sud, volontiers quétaine, que surgissent Pierre Vallières, Denis Vanier et André Forcier. M. L.

Jacques Ferron, citoyen de Ville Jacques-Cartier (1949-1969), Bertrand Laverdure, Société d’histoire de Longueuil, 2000|202| 
250|La qualité d’une langue est sa qualité de vie|Jean-Claude Germain| Dans un rapport qui veut tourner la page des deux solitudes, la Commission pour l’avenir de la langue française au Québec semble ignorer que les solitudes n’ont pas plus de patrie que les solitaires de compatriotes. Si la réalité historique avait écrit le roman de Hugh MacLennan, elle l’aurait intitulé plus justement Les deux indifférences.

Si l’avenir du français au Québec passe par la valorisation de l’anglais, comme semble le croire la Commission, il n’y a donc pas à s’étonner qu’elle ait transformé le père de la loi 101 en un croisé du Bon parler français. En plus de 300 pages de texte, elle ne cite qu’une seule phrase de Camille Laurin. Le statut de la langue est lié à sa qualité et l’amélioration de sa qualité ne fera que renforcer le statut de la langue, y susurre le bon docteur à l’unisson avec les commissaires.

Du temps où les journaux étaient jaunes, lorsque les potineurs étaient en manque de potins pour la une, leur dernier recours était d’appeler une vedette populaire à leur secours, Michel Louvain par exemple, et dans le cours d’un entretien de routine sur ses projets futurs, de lui demander à brûle-pourpoint 0 Coudonc Michel, c’tu vrai que tu veux te suicider ?

Ce que l’intimé interloqué s’empressait de nier vivement 0 Han ? Ben non ! Pour lire, quelques jours plus tard, Michel Louvain 0 Non ! je ne me suiciderai pas, en première page de Nouvelles et potins. La Commission pour l’avenir du français a traité le docteur Laurin avec la même rigueur journalistique. Est-ce que vous êtes pour l’amélioration du français ? Et le docteur de répondre 0 Bien sûr ! Il n’est pas contre la vertu mais en tant que psychiatre, il préfère la lucidité. Le ferme propos ne suffit pas pour transformer la vie d’un individu ou d’une société.

Le fait que la Cour suprême du Canada ait débouté la plupart des articles importants de la loi 101 n’a pas remis en question sa légitimité, vous dirait-il. Pour espérer qu’un tribunal fédéral puisse renier sa nature, il faut s’aveugler. Mais pour en accepter les sanctions, il faut se renier.

Camille Laurin ? Connais pas !

Puisque le rapport Larose a choisi de faire comme si Camille Laurin n’avait pas existé, il semble opportun d’interroger ce dernier sur divers sujets qu’aborde la Commission et dont il a déjà traité dans divers discours et allocutions avant et après l’adoption de la Charte de la langue française, en août 1977.

Tout d’abord sur la qualité de la langue ? Pendant deux siècles, le Québec a été coupé de presque tout contact avec la France et cette situation a provoqué une certaine anémie sur le plan linguistique chez les Québécois. Ensuite, la révolution industrielle a touché le Québec uniquement en anglais. Dans le subconscient de trop de Québécois, il y a dissociation entre langue française et technique, économie, industrie, science et affaires. On pourrait dire que pour franciser le Québec, il sera nécessaire de franciser les francophones, c’est-à-dire améliorer la qualité de leur langue de façon à ce qu’ils puissent l’utiliser dans toutes les circonstances de la vie.

Il y a des tolérances intolérables

Et que penser du statu quo qu’on qualifie aujourd’hui de paix linguistique ?

Ce qui me paraît troublant dans le combat que mène le milieu des affaires, y compris un certain milieu francophone, contre la politique québécoise de la langue française, c’est de le voir dresser le drapeau de la défaite, de la catastrophe économique inévitable.

Le statu quo qu’on nous demande d’ériger au nom d’un tel réalisme économique, on nous le demande aussi au nom de ce qui serait le plus beau fleuron de notre histoire collective 0 notre séculaire et vertueuse tolérance. Une pareille vertu qui tolère l’injustice séculaire et qui se nourrit de la peur et de la défection ne saurait orner la première page de notre politique linguistique.

L’apprentissage collectif de la confiance en soi suppose que nous nous débarrassions de ce sentiment de culpabilité qui nous paralyse à toutes les fois que, comme peuple, nous tentons de nous définir. Il faut cesser de croire que nous constituons un peuple généreux et admirable, parce que nous supportons vertueusement et dans un silence unanime une lente mais implacable dépossession.

Un Québécois, c’est plus qu’une présence physique

Qui est Québécois ? On m’a demandé récemment 0 qu’est-ce qu’un Québécois ? L’histoire est pleine de ces questions. Quelqu’un a déjà demandé 0 Qu’est-ce que la vérité ? Nous avons connu l’éternelle rengaine 0 What does Quebec want ? On le sait maintenant 0 Québec veut être chez lui quelque part en cette Amérique du Nord.

Un Québécois ? C’est quelqu’un qui a chez nous plus qu’une présence physique. C’est quelqu’un pour qui la terre québécoise est plus qu’une gare de transit ou un champ d’exploitation. C’est quelqu’un pour qui la population québécoise représente autre chose qu’une clientèle de consommateurs ou d’électeurs.

Un Québécois, c’est quelqu’un qui participe à la vie québécoise et qui trouve naturel de contribuer à l’édification d’une cité plus humaine dans une patrie qui peut être la sienne aussi légitiment par adoption que de naissance.

Une nation n’est pas une addition d’individus

Qu’en est-il du nationalisme ethnique ? L’ethnie renvoie à un ensemble de caractéristiques et de traditions dont l’existence ou la persistance peuvent se vérifier au niveau des individus et des familles. La nation est une société globale, une société complète, qui possède ses caractéristiques propres en tant que société. Qui a son propre mode d’organisation et de fonctionnement, qui a sa propre continuité historique, une tradition juridique et politique et enfin, un territoire bien identifié.

La nation n’est donc pas une somme d’individus possédant, un par un, des caractéristiques culturelles communes, elle est une société humaine cultivée par l’histoire et donc ayant sa culture propre qui n’est pas une entité nébuleuse ou abstraite qui flotte au-dessus des individus. Ceux-ci y participent. Et ce qu’on appelle la culture nationale est normalement cohérent avec les manières d’être, de sentir et de penser de la majorité de sa population.

Ceci ne s’oppose pas, bien au contraire, à la conservation et à la mise en valeur des cultures minoritaires, mais dans la mesure où les apports culturels de chacun doivent pouvoir être offerts à tous, il apparaît important de développer chez tous une aptitude à communiquer avec la communauté nationale. Chaque nation le fait normalement en assurant à tous l’apprentissage de la langue nationale et en diffusant dans toutes les couches de la population la culture commune en élaboration.

Les minorités sont notre ouverture au monde

Et la minorité anglaise ? À mesure qu’elle acceptera de s’intégrer normalement à la vie et à la culture commune d’une nation majoritairement francophone et de cesser d’être l’auberge espagnole de tout ce qui n’est pas francophone au Québec, le climat des relations interethniques ira en s’améliorant. On ne parlera plus de la minorité mais des minorités.

Le Québec veut précisément se libérer de la tutelle de la fédération canadienne pour pouvoir entrer plus directement en contact avec les autres peuples et nations. La présence au sein de sa population de représentants de diverses cultures lui facilitera sûrement cette ouverture.

Et ce serait vraiment de l’aberration de consacrer d’immenses efforts à faire apprendre des langues étrangères aux jeunes Québécois si nous ne donnions aucune chance aux minorités de conserver les langues qu’elles parlent déjà.

Personne n’est tenu d’être Québécois

Et la citoyenneté civique dans tout ça ? C’est une affaire de choix. Personne n’est tenu de choisir le Québec. Ceux qui tiennent à camper au Québec plutôt qu’à y prendre demeure ont parfaitement le droit d’y camper; mais qu’ils veuillent bien recevoir notre invitation à s’établir vraiment parmi nous. Il serait difficile de comprendre que quelqu’un qui ne tient pas à la réalité québécoise tienne au titre de Québécois.|202| 
251|C’est pas coulé dans le bronze|Jean-Claude Germain|J’ai deux estatues sur mon parterre / Une grandeur nature pis l’aut’format histouère, pourrait dire la chanson. Celle de René Lévesque qu’on avait installée devant le Parlement de Québec était grandeur nature pour la plus grande joie des enfants qui pouvaient lui tapoter le crâne. L’histoire en a pris ombrage et l’a remplacée par une autre dans sa pointure. On a trouvé un socle pour la petite dans le village natal de New Carlisle de l’ancien premier ministre.

Cela pourrait fort bien être le début d’une nouvelle tradition. Ainsi à l’avenir, on devrait toujours couler deux statues de tous les grands hommes politiques 0 une stature nature pour la ville d’origine et une grandeur historique pour le parterre du Parlement. Advenant le cas où la stature historique d’un personnage politique d’envergure aurait tendance à se rétrécir avec le passage du temps, on pourrait alors procéder à un échange de statues 0 ramener la petite pointure devant le Parlement et installer le format historique dans le seul endroit où le grand homme sera à tout jamais plus grand que nature 0 dans son village natal. René Lévesque avait l’habitude de répéter que rien n’est coulé dans le bronze. La postérité s’est faite un devoir de ne pas le contredire.|202| 
252|En bref|André Maltais| Les droits humains sont entre bonnes mains

Le 28 juin, le président George Bush annonçait la nomination d’Elliott Abrams au poste de directeur du Bureau de la démocratie, des droits humains et des opérations internationales relevant du Conseil national de sécurité américain.

Dans les années 80, Abrams était l’un des principaux artisans de la politique américaine en Amérique centrale consistant à entraîner des groupes paramilitaires locaux au nom de la lutte contre le communisme.

Condamné à la prison en 1991 après avoir été reconnu coupable d’avoir menti sous serment au Congrès dans l’affaire de vente d’armes iraniennes par les États-Unis aux rebelles d’extrême-droite de la Contra nicaraguayenne, il avait été gracié l’année suivante par George Bush… le père !

Dictateur bolivien en phase terminale

Président bolivien depuis 1997 et ex-dictateur militaire (1971-1978), Hugo Banzer est atteint d’un cancer en phase terminale et achève ses jours dans un centre médical de l’armée américaine à Washington.

Le 7 août, le vice-président du pays, Jorge Quiroga, le remplaçait officiellement à la présidence. Comme il fallait s’y attendre, Quiroga est diplômé des universités américaines et marié à une américaine, Virginia Gillum.

La veille, onze étudiants étaient arrêtés puis relâchés après avoir déployé une banderole jugée offensante à l’égard de Banzer. Elle disait 0 « Mon général, ceux qui sont morts et disparus pendant vos gouvernements vous attendent ! »

Tiens ! Comme on se retrouve!

Le 25 juin, les autorités du Vénézuéla déportaient dans son pays l'ex-chef de la sinistre police secrète péruvienne du temps d'Alberto Fujimori, Vladimiro Montesinos, accusé de trafic de drogues, blanchiment d'argent, trafic d'armes, corruption de fonctionnaires publics et opération d'escadrons de la mort.

Trois jours plus tard, Montesinos était incarcéré à la base navale de Callao où il entreprit une grève de la faim. La raison ? Il se retrouvait dans la prison « spéciale » qu'il avait lui-même fait construire il y a dix ans pour y enfermer les dirigeants des groupes rebelles de gauche… qui s'y trouvent toujours !

Montesinos demande un transfert (au plus vite ! !) dans une prison pour criminels de droit commun.

Irrégularités à la colombienne

Le 23 juillet, le général Rito Alejo del Rio était arrêté sous l'accusation d'avoir parrainé les escadrons de la mort paramilitaires entre 1995 et 1997 alors qu'il commandait la 17e Brigade de l'armée, dans le département d'Antioquia, au nord-ouest du pays. Peu de temps auparavant, le gouvernement l'avait poussé à la retraite devant les pressions croissantes des organismes de défense des droits humains.

Selon Robin Kirk, de Human Rights Watch, la 17e Brigade de l'accusé fournissait des renseignements aux paramilitaires (des listes de noms, par exemple) et installait même des barrages routiers pour empêcher quiconque d'approcher de lieux où, pendant ce temps-là, les escadrons de la mort massacraient la population.

En fait, le « règne » de Del Rio aurait permis aux forces paramilitaires du leader Carlos Castano d'atteindre une envergure nationale.

Mais l'arrestation du général ressemblait trop à la justice pour être vraie ! Le 5 août, un juge libérait l'accusé sous le prétexte que des « irrégularités » avaient été commises lors de l'enquête ayant conduit à son arrestation !

Coca-Cola collabore

Le 20 juillet, une cour fédérale de Miami enregistrait une poursuite contre Coca-Cola accusée de collaborer avec les paramilitaires colombiens qui menacent, intimident et assassinent des travailleurs syndiqués et leurs représentants dans les usines d'embouteillage locales appartenant à la multinationale américaine.

En 1996, le dirigeant syndical Isidro Segundo Gil était tué d'un coup de feu à l'entrée de l'usine où il travaillait dans la ville de Carepa (département d'Antioquia). Le syndicat affirme que le meurtre est l'œuvre des paramilitaires obéissant à la demande d'un gérant et du propriétaire de l'usine Coca-Cola.

Les poursuivants sont le syndicat colombien Sinaltrainal, le Syndicat des travailleurs de l'acier d'Amérique (United Steelworkers of America) et le Fonds international pour les droits du travail (International Labor Rights Fund).

Noces d’argent

Le 14 juillet, 200 employés en colère de la compagnie aérienne argentine Aerolineas Argentinas (mise en faillite quelques années après avoir été privatisée) sont allés perturber les noces de la fille du ministre de l’Économie Domingo Cavallo.

Les protestataires ont lancé œufs et insultes au ministre (artisan principal des programmes de privatisations des années 1990) dont la fille Sonia venait d’épouser un américain, Daniel Fitzgerald Rumde.

Les heureux époux sont tous les deux économistes et se sont rencontrés à l’université Harvard !

Un vrai fraudeur d’aide sociale !

Le 3 août, la plus grande banque du Mexique, la Banamex, était vendue à la Citigroup de New York. Selon Associated Press, le président de Banamex, Roberto Hernandez, ami du président Fox et généreux donateur à sa campagne électorale, aurait touché quelques 3 milliards $ lors de la transaction.

De cet argent, il semble bien qu’il ne remboursera pas un sou aux payeurs de taxes mexicains à qui le renflouage de la Banamex avait coûté 3,4 $ milliards, en 1995, lorsque le gouvernement avait tant bien que mal sauvé l’institution alors noyée dans une mer de mauvaises créances.|202| 
253|Amérique latine 0 la marmite bouille !|André Maltais|

Prisonnière du FMI et du libre-échange



Craignant les protestations de 50 000 activistes, le FMI et la Banque mondiale se disent prêts à réduire de deux semaines à deux jours leur prochaine rencontre annuelle pour éviter de « perturber les gens qui vivent et travaillent à Washington ». Ils n’ont toutefois pas le même souci envers les gens qui vivent et travaillent en Équateur, au Guatemala, en Argentine, au Mexique, en Bolivie et en Colombie comme l’ont montré les fortes perturbations de cet été dans ces pays qui nous paraissent de moins en moins lointains.

En Équateur, une grève des médecins d’hôpitaux publics a duré un mois et entraîné avec elle les autres travailleurs du secteur de la santé autour de la revendication d’augmenter le budget de la santé publique.

Le gouvernement de Gustavo Noboa se disait incapable de rencontrer les demandes des grévistes qu’il chiffrait à 40 millions $ alors qu’en mai dernier, il en avait dépensé dix fois plus pour venir en aide à la plus grande banque du pays (Filabanco) menacée de faillite. En pure perte, puisque la banque a fermé ses portes quand même.

Le 26 juillet, la police gazait 1200 médecins retranchés à l’hôpital Eugenio Espejo avec pour effet que 35 nouveaux-nés inhalaient des gaz lacrymogènes qui s’étaient frayé un chemin jusqu’à l’unité de maternité. Deux nourrissons sont morts dans les heures suivantes.

Jour de l’indépendance

Par ailleurs, le fort mouvement indigène équatorien parcourait le pays lors d’une marche «contre les politiques sociales et économiques du gouvernement » qui a duré 17 jours et culminé dans la capitale Quito le jour anniversaire de l’indépendance du pays. Parmi les nouvelles politiques contestées, la privatisation de la compagnie nationale d’électricité et une augmentation de la taxe de vente de 12 % à 14 %.

Comme les coupures et les privatisations, cette dernière mesure était une condition posée par le Fonds monétaire international (FMI) à l’octroi d’un prêt de 500millions $. Rejetée par le Congrès, elle était devenue décret présidentiel quand, le 7 août, la Cour constitutionnelle l’a finalement déclarée abusive.

Guatemala 0 maison du maire brûlée

Le Guatemala aussi était aux prises avec une augmentation de sa taxe de vente (de 10 % à 12 %) imposée par le FMI.

Ignorant les premières manifestations qui avaient secoué le pays le 10 juillet et auxquelles avaient participé même la Chambre de commerce et le Comité de coordination des associations commerciales, industrielles et financières (CACIF), le gouvernement d’Alfonso Portillo se préparait à appliquer la loi le 1er août.

De très fortes manifestations éclatèrent la journée même dans la capitale (Guatemala City) et dans le sud du pays où les cultivateurs de canne à sucre bloquèrent l’autoroute panaméricaine avec une caravane de 900 autobus et camions longue de 12 kilomètres.

Dans l’ouest de la capitale, à Totonipacan, les manifestants brûlèrent les maisons du maire, de son frère et de trois membres du Conseil de département en plus d’un édifice des impôts, d’une succursale bancaire et d’une station de radio privée. Le gouvernement répondit en décrétant trois jours d’état d’urgence dans cette localité, sous les yeux et protestations de la Mission de vérification des Nations unies pour le Guatemala (MINUGUA).

Argentine 0 chômeurs radicaux

En Argentine, la crise financière s’aggravait encore quand, le 10 juillet, le gouvernement de Fernando de la Rua augmentait de 9 % à 14 % en deux semaines le taux d’intérêt sur ses bons du Trésor pour « attirer les investisseurs étrangers » et, le lendemain, annonçait des coupures de 13 % dans les salaires des employés de la fonction publique et dans les retraites de ceux d’entre eux dépassant 300 $ par mois.

Aussitôt, le FMI débloquait une tranche de 1,2 milliard $ d’un prêt total de 13,7 milliards $ consenti à l’Argentine en décembre dernier.

Trois vagues de protestations à l’échelle nationale suivirent l’annonce des coupures 0 grève générale du 19 juillet (la sixième dans les 20 mois de pouvoir du gouvernement de « centre-gauche ») et innombrables blocages routiers du 31 juillet et des 7-8 août organisés principalement par les « Piqueteros » (Piqueteurs), un mouvement radical de chômeurs et de sous-employés apparu l’an dernier.

De plus, devant l’ampleur de la crise, les épargnants retirent leurs économies des banques (7 % des dépôts en juillet, soit 6 milliards $ !) et le ministre de l’Économie, Domingo Cavalho, le même qui, dix ans auparavant, avait institué la parité peso argentin-dollar américain, s’apprête maintenant à dévaluer le peso.

Mexique 0 droit à la nourriture

Au Mexique, le 8 août, de nombreuses associations paysannes marchaient à Mexico contre les politiques agraires du président Vicente Fox. Elles exigeaient l’allocation de 12 % du budget national à l’agriculture, l’inclusion de la nourriture en tant que droit inscrit dans la Constitution et la révision des accords commerciaux (tel l’ALENA) qui obligent le pays à importer des produits agricoles dont il n’a pas besoin.

Ainsi, en juin dernier, le président mexicain, dont le pays compte d’innombrables petits producteurs de maïs, abolissait les tarifs à l’importation (réductions de 127 % à 1 % !) sur les quantités de maïs jaune en provenance des États-Unis qui dépasseront les 3 millions de tonnes métriques déjà permises annuellement sans frais de douane. Cela signifie qu’il n’y a pratiquement plus de limite à son importation.

Selon les syndicats paysans, cela ne fera qu’aggraver une situation où (commerce oblige !) le marché mexicain est sursaturé de produits agricoles étrangers qui n’ont aucune difficulté à se vendre moins cher que leurs équivalents locaux.

Dans le cas des importations mexicaines de maïs américain, le New York Times (19 juillet) révélait que, depuis l’ALENA (1994), elles augmentent de 14 % et plus par année.

Bolivie 0 police et armée rendues folles

En Bolivie, un soulèvement paysan a duré tout l’été. Menés par un très dynamique leader, Felipe Quispe de la Confédération unie des travailleurs boliviens (CSUTCB) et supportés par une grande partie de la population, les paysans ont « rendu folles » l’armée et la police en bloquant des routes presque quotidiennement partout dans le pays sans jamais les annoncer à l’avance !

Ils exigeaient rien de moins que le retrait des articles 55 et 56 du décret 21060 de 1985 instaurant le modèle du libre marché en Bolivie.

Ce mouvement social avait commencé le 21 juin en partie pour appuyer les manifestations quotidiennes du « Mouvement des 10 000 endettés » qui, depuis le mois de mars, réclamaient de la part des banques l’élimination des dettes de moins de 5 000 $ pour les pauvres.

Manger de la dynamite

Le 2 juillet, 120 d’entre ces pauvres gens, exaspérés de parler au béton, envahissaient de façon spectaculaire l’Agence de supervision des banques à La Paz et prenaient en otage une centaine de hauts placés et d’employés.

Ils étaient armés de bâtons de dynamite attachés à leur corps et scandaient qu’ils étaient déterminés à se suicider devant la police si celle-ci intervenait.

« Pour les pauvres, lançait une occupante dans un mégaphone, il n’y a jamais de repos, jamais de justice. Les banquiers nous ont tout pris, nous laissant à manger des bâtons de dynamite. Nous nous retrouvons ici parce que seuls les négociants ont des droits. Nous vivons dans la rue, dans le froid de la nuit avec à peine un repas par jour depuis plus de 90 jours. Et personne ne nous écoute ! »

Colombie 0 retrait de la ZLEA

En Colombie, au risque d’être tués par les paramilitaires d’extrême-droite, les paysans bloquaient aussi des routes, le 31 juillet, journée de « grève nationale agraire ».

En plus de demander l’effacement des dettes des petits paysans, l’allocation de crédits supplémentaires à l’agriculture, la baisse des taux d’intérêts et le retrait du pays de la ZLEA, ils dénonçaient l’obligation pour le gouvernement d’importer des aliments qu’ils produisent déjà, ce qui tue l’agriculture nationale.

Ils accusaient aussi le FMI et les pays riches d’avoir provoqué la baisse du prix du café en stimulant sa surproduction mondiale. Le sac de café se vend à un minimum historique de 60 ¢, soit bien en dessous de qu’il coûte à produire pour le paysan colombien.|202| 
254|La médecine, cette vocation|Louis Préfontaine|

Entretien avec Paul Saba



J’ai rencontré Paul Saba au CLSC Saint-Michel. Au premier coup d’œil, on voit que le porte-parole de la Coalition des médecins pour la justice sociale ne passe pas ses journées dans un bureau. Il a l’air athlétique, l’œil vif, le teint basané; plusieurs fois par semaine, il prend la route pour aller soigner les gens chez eux. La médecine, pour lui, c’est une vocation.

Né à Lachine il y a une quarantaine d’années, où ses grands-parents sont arrivés il y a plus d’un siècle, il fut très tôt initié à se mettre au service du bien-être des autres. Sa grand-mère, une sage-femme, faisait des accouchements gratuitement pour celles qui n’en avaient pas les moyens.

À l’école secondaire, il fait partie des scouts. « Nous avions des équipes d’Ambulance Saint-Jean et nous gagnions beaucoup de concours. C’était très gratifiant, car je voulais toujours faire quelque chose qui ait un sens », me raconte Paul Saba dans la cafétéria du CLSC.

De McGill au Bangladesh

Le véritable sens de son métier et de sa vie, il le découvrira plusieurs années plus tard, à la fin de ses études. « J’ai quitté le Québec en 1980, après avoir obtenu mon diplôme de l’Université McGill. Comme plusieurs, je voulais faire une expérience ailleurs. Alors, je suis parti en résidence de médecine à Boston. Je menais la belle vie. Mais, à un moment donné, je me suis dit 0 “ Ça n’a pas de sens, je ne suis pas plus heureux. ” Je cherchais toujours à posséder de belles voitures, une maison, mais je trouvais qu’il y avait un vide dans ma vie. Je commençais à comprendre un peu mieux que ce n’est pas en possédant des choses qu’on est heureux, mais en faisant des choses ».

Paul Saba ira exercer la médecine dans le tiers-monde, notamment en Côte d’Ivoire et au Bangladesh. Puis, il retournera aux États-Unis, dans une salle d’urgence de la Caroline du Nord, avant de revenir définitivement au Québec en 1996. « À mon retour, j’étais un peu étonné de voir la détérioration des soins de santé. En 1996, le gouvernement venait d’établir le nouveau programme d’assurance-médicaments qui forçait les personnes âgées à en défrayer une partie du coût; ça m’a vraiment choqué. Les personnes âgées ont besoin de médicaments. Pourquoi les faire payer ? Je me souviens que mon père, quand il vivait, n’aimait pas prendre ses médicaments, mais comme c’était gratuit, il les prenait.»

50 % des prévisions sur la mort s’avèrent fausses

La maladie de son père fut une grande source de frustration pour Paul Saba. Revenu d’urgence au Québec, en 1994, il entendit plusieurs de ses collègues québécois dire que ça ne donnerait rien d’opérer son père, parce qu’il était « trop vieux ». « Par leur attitude, mes collègues disaient 0 “ On n’a pas les moyens, il ne faut pas trop dépenser ”. On a attendu très longtemps, presque dix jours, avant de l’opérer et on a dû l’amputer. C’est cela qui l’a tué. » Ces événements semblent encore douloureux pour Saba et il marque une petite pause dans le fil de l’entrevue. Puis, il tranche0 « Bien entendu, même si on fait de son mieux, des gens peuvent mourir. Mais il ne faut pas les y pousser. »

Pour Paul Saba, cela démontre à quel point est répandue l’idée que les personnes âgées sont responsables de l’explosion des coûts de la santé. « Pourtant, affirme-t-il, les dépenses de pays comme le Japon ou la Suède n’ont pas explosé. Des études démontrent que les six derniers mois de la vie ne comptent que pour près de 0,5 % des coûts du système de santé et que, mis à part les cas de cancer, près de 50 % des prévisions sur la mort s’avèrent fausses. Un médecin ne doit jamais dire que quelqu’un va mourir. »

La bourse ou la vie ?

Paul Saba croit qu’il est possible d’améliorer le fonctionnement du réseau de la santé. « La chose la plus importante, c’est de se demander quelles sont nos priorités. Est-ce la vie, la santé, ou est-ce l’argent ? » Le problème, c’est que nos intérêts diffèrent parfois des priorités gouvernementales. «Je pense que les ministres et députés ne sont pas au courant de ce qu’ils sont en train de faire, explique-t-il. Ils croient dans le modèle américain de profit. Si ça devient votre priorité, vous allez faire des choses imbéciles, comme fermer des hôpitaux, mettre à la retraite des infirmières et des médecins, donner des milliards de dollars à une compagnie comme Mosel Vitelic pour fabriquer des semi-conducteurs au coût de 1,7 million de dollars par emploi créé. Ils regardent les choses à court terme. »

On peut se demander pourquoi le gouvernement n’écoute pas des gens comme lui ou Marie Pelchat, de la Coalition Solidarité Santé. Petit rire ironique 0 « On n’a aucun bon sens pour eux !, répond-il. Pour eux, nous sommes des gens qui vont dire n’importe quoi pour aider les autres... En vérité, prendre soin de son prochain a du sens non seulement d’un point de vue social, éthique, moral, mais aussi économique. »

Oui, mais... la compétition ? N’est-ce pas le dogme absolu de notre société ? «Les compagnies ne s’intéressent pas à la vraie concurrence, lance-t-il. Maintenant, les compagnies pharmaceutiques ont des droits brevetés pour vingt ans. Regarde les voitures ! Si on avait laissé le marché régler la façon de les construire, on n’aurait pas de ceintures de sécurité, de sacs gonflables, de pare-chocs. Avant, les pare-chocs se brisaient à 5 km/h. Maintenant, à cause de la réglementation, ils doivent résister jusqu’à 30 km/h. »

Doit-on retourner au XIXe siècle ?

« Aujourd’hui, poursuit Saba, le gouvernement est en train de dire0 0 “ Faites ce que vous voulez ! ” Ça va détruire la société. Veut-on retourner au XIXe siècle avec les enfants qui travaillaient dans des conditions affreuses, la pollution ? On est en train de reculer. Toute la progression de la société s’est faite avec des lois contre l’esclavage, des lois pour le vote, avec les syndicats qui créent des conditions plus humaines, plus vivables. Maintenant le gouvernement, nos élus, sont en train d’aller contre la population. »

Nos élus n’ont-ils pas les mains liées ? C’est du moins ce qu’ils disent. Le pouvoir se serait déplacé à l’OMC, au FMI, ou ailleurs. Pour Paul Saba, pourtant, n’est lié que celui qui désire être lié. « Il y a toujours la tentation de favoriser les compagnies. Mais quel est l’intérêt, pourquoi font-ils ça ? Est-ce que c’est parce qu’elles donnent des subventions aux partis politiques ? Pourtant, toutes les recherches ont démontré qu’un système public, c’est moins coûteux, parce qu’il n’y a pas de profit et moins de frais d’administration. C’est moins coûteux et ça donne une meilleure qualité de services. »

« Il ne faut pas pousser les gens vers le ciel »

C’est pour cette raison que Paul Saba a créé la Coalition des médecins pour la justice sociale. Une meilleure qualité de services, voilà ce qui compte pour lui. D’ailleurs, il considère son travail à la coalition comme étant le prolongement de sa carrière de médecin. « Je peux prendre tout mon temps à tirer des gens de l’eau, mais si le gouvernement et le système les y replongent... »

L’entrevue s’achève. Les rayons du couchant qui filtrent dans la jaune cafétéria nous indiquent que le temps file. Nous devons aller visiter quelques patients et il ne faut pas trop les faire attendre. Car, dans le fond, «si on n’a pas la santé, me dit en conclusion Paul Saba, qu’est-ce qu’on a ? L’éternité, c’est assez long, mais la vie, c’est très court. On n’a pas beaucoup de temps et il faut faire de notre mieux pour aider les autres. Moi, je crois au ciel, mais nous sommes ici et il ne faut pas pousser les gens vers le ciel. »|201| 
255|Jacques Larue-Langlois 1934-2001|Pierre Dubuc, Jean-Claude Germain et Paul Rose| In Memoriam

Notre collaborateur et ami Jacques Larue-Langlois n’est plus. Il est décédé subitement le 18 juin. Jacques avait été très actif au cours des années 1970. Il s’était alors fait connaître comme journaliste, mais surtout en tant que porte-parole du Comité pour la libération des prisonniers politiques lors des procès des felquistes. Il avait été arrêté dans le cadre des Mesures de guerre, accusé de conspiration pour renverser le gouvernement du Canada et acquitté par un jury populaire. Au terme de sa carrière au département de Communications de l’UQAM, il s’était joint à l’aut’journal.

Jacques était un participant assidu à nos réunions d’équipe. Il y arrivait préparé, ayant épluché le journal. Son jugement, argumenté, était tranchant 0 « J’aime », « J’aime pas », « C’est bon », « C’est pas bon ». Mais il savait être motivant et, la plupart du temps, il concluait par un 0 « C’est un bon journal ! » ou encore « C’est le meilleur qu’on ait produit ! ».

Parfois, nous mangions ensemble au restaurant Mazurka avant la réunion d’équipe. La dernière fois, il me confiait son ennui devant la platitude de la situation politique actuelle. « Je pense que je vais mourir sans voir la Révolution. J’aurais tant aimé vivre une époque comme la Russie de 1917 », me disait-il. Je lui répondais par une de mes références favorites pour les moments de déprime 0 « On ne mesure pas le développement historique à l’étalon de notre vie. » Mais j’aurais pu tout aussi bien citer Raymond Lévesque 0 « Dans la grande chaîne de la vie... »

Puis, nous nous consolions en nous disant qu’il fallait tout au moins maintenir le flambeau allumé pour le passer aux plus jeunes. Le flambeau, Jacques n’a pas manqué de l’alimenter de sa ferveur. Relisez ses articles, vous verrez que c’était le plus radical d’entre-nous. Lisez ses dernières chroniques en page 3 et 18.

Salut, Jacques !

Pierre Dubuc

Jacques Larue-Langlois, un sage de la colère

La première chose qu’on remarquait lorsqu’on croisait Jacques Larue-Langlois, c’était ses yeux qui ont toujours rempli le cadre de ses lunettes d’un regard amusé, intelligent, frondeur et incrédule. La deuxième était son sourire lumineux et irrésistible.

On se connaissait depuis plus de trente ans et l’estime que nous avions l’un pour l’autre était demeurée inchangée. Sa ferveur était toujours la même et n’était tempérée qu’en apparence.

Depuis quelques années, on se voyait presqu’à tous les mois pour l’accouchement de l’aut’journal. Si vous me demandez comment il était la dernière fois où je l’ai rencontré, il y a à peine plus d’une semaine, je vous répondrai que son indignation n’avait pas pris une ride. Pour tout dire, elle s’était raffinée avec les années, purifiée, enrichie, concentrée, approfondie. Elle s’était libérée de toute amertume et refait une naïveté comme on se refait une beauté.

La sagesse de l’indignation, c’est la colère sereine et, à cet égard, Jacques Larue-Langlois était un sage. Lorsque j’ai appris sa mort, ça m’a mis et ça me met toujours en chrisse. Ma révolte n’est pas encore sereine, mais je me promets bien d’y travailler, Jacques !

Par solidarité.

Jean-Claude Germain

Salut grand'frère !

Je viens d'apprendre avec tristesse le départ de notre ami, confrère et journaliste formateur, Jacques Larue-Langlois. C'est un très gros morceau que l'on perd à l'autjournal et dans la gauche québécoise indépendantiste en général.

Mais pour moi, Jacques ça d'abord été l'âme des prisonniers politiques québécois des années soixante, soixante-dix et quatre-vingt.

Il fut à la fois la conscience, les yeux et la voix de trois générations de jeunes indépendantistes de gauche incarcérés sous de lourdes condamnations judiciaires en regard d'actions politiques reliées au Front de Libération du Québec. Du comité Vallières-Gagnon de 1966 à 1975, au comité Pierre-Paul Geoffroy (1976-80), au comité de libération des prisonniers politiques (CIPP) au début des années quatre-vingt, une même continuité 0 mettre en lumière les engagements concrets, les convictions profondes et les analyses politiques de ces détenuEs de l'ombre pour qui liberté, indépendance et émancipation sociale des peuples faisaient partie d'un seul et même combat sur terre. Devant le blocage médiatique, Jacques avait même mis sur pied en 1972, avec peu de moyens et beaucoup d'efficacité, l'Agence de Presse Libre du Québec, une fenêtre, destinée aux médias alternatifs, ouverte à la fois sur le Québec populaire et sur les luttes d'ailleurs. Une expérience qu'il a portée à bout de bras pendant plusieurs années. Un modèle de mondialisation des solidarités avant l'heure !

Salut grand'frère !

Paul Rose|201| 
256|La démocratie en marche|Pierre Dubuc|

Pearl Harbour, le film



Propagande pour le bouclier anti-missile

Le film Pearl Harbour, qui bat des records au box office, arrive à point pour légitimer auprès de l’opinion publique le programme de bouclier anti-missile du président Bush.

Simple hasard, dira-t-on, la production du film ayant été mise en marche bien avant l’élection de Bush. Peut-être pas !

Un « Space Pearl Harbour »

La dernière édition (mai-juin 2001) de la revue Foreign Affairs nous apprend que le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a présidé par le passé deux importants comités du Congrès américain sur les dangers d’une attaque balistique contre les États-Unis.

Le rapport de la première commission paru en 1998 était si alarmant qu’il est en partie responsable, nous dit Foreign Affairs, de la décision du président Clinton, à la fin de sa présidence, d’accélérer les plans de bouclier anti-missile. Le deuxième rapport, paru en janvier dernier, parle explicitement des dangers d’un « Space Pearl Harbour », c’est-à-dire d’une attaque contre les satellites américains en orbite autour de la planète.

Une commande de Wall Street

Foreign Affairs laisse entendre que l’idée du bouclier anti-missile viendrait de Wall Street. Selon la revue, les revenus provenant de l’exploitation commerciale de l’espace dépassent, depuis 1996, les dépenses gouvernementales à ce chapitre. On calcule que les industries technologiques de l’espace ont réalisé des profits de 125 milliards $ l’an dernier. D’ici 2010, les investissements cumulatifs américains dans l’espace dépasseront les 500 à 600 milliards $, soit l’équivalent de tous les investissements américains en Europe !

L’économie mondiale, et particulièrement américaine, est si intimement liée aujourd’hui aux satellites de communication que la sécurité de ces installations est devenue une priorité. En 1998, les ratés du satellite Galaxie IV ont rendu inopérantes 80 % des pagettes américaines, affectant 37 millions d’usagers. Des postes de radio et de télévision ont cessé d’émettre et plusieurs magasins de détail et stations-service étaient incapables de vérifier les transactions effectuées à partir de cartes de crédit.

Roosevelt savait

On laisse entendre que, si un système de défense semblable au bouclier anti-missile avait existé en 1941, les États-Unis n’auraient pas été pris par surprise par l’attaque nippone. Mais la question n’est pas uniquement technologique.

Il est aujourd’hui reconnu que les États-Unis avaient déchiffré le code secret japonais et certains historiens affirment que le président F.D. Roosevelt savait que la flotte japonaise était en route pour attaquer Pearl Harbour. Au nombre de ces historiens, on retrouve Charles A. B, Beard, qui fut président de l’American Historical Association, et John Toland, récipiendaire du prix Pulitzer.

Selon eux, Roosevelt avait besoin de Pearl Harbour pour venir à bout des forces isolationnistes aux sympathies pro-fascistes qui dominaient la vie politique américaine, et permettre l’entrée en guerre des États-Unis dans le front des démocraties.

Castonguay a raison

Recul du français dans la région de Montréal

Le démographe Michel Paillé s’est porté à la défense de notre collaborateur Charles Castonguay dans le débat sur la situation du français dans la région métropolitaine de Montréal.

Dans une opinion parue dans Le Devoir du 31 mai, Michel Paillé écrit 0 « Le mathématicien Charles Castonguay, de l’Université d’Ottawa, reproche à trois de mes collègues démographes (Piché, Lachapelle et Henripin) de “ faire croire que le poids de la population est en progression dans la région métropolitaine de Montréal ”. Vérification faite, je dois donner raison au premier plutôt qu’aux trois autres. »

Paillé reproche à Victor Piché l’erreur élémentaire de ne pas tenir compte du changement des limites apporté à la définition de la région métropolitaine de Montréal dans les recensements de Statistiques Canada.

C’est bien évident qu’en élargissant les limites de la région de Montréal pour y inclure des municipalités comme Saint-Jérôme, Bellefeuille, L’Assomption, etc. à 98% francophones, il s’ensuit une hausse des francophones plutôt qu’une baisse.

Quant à Henripin, il fonde son optimisme à l’égard de la situation du français en comparant la décennie 1986-1996 au recensement de 1971, mais en omettant de rendre compte d’une nouvelle tendance à la baisse depuis 1986 dans la région métropolitaine de Montréal.

Michel Paillé s’en prend également au fait de vouloir supplanter l’usage des langues à la maison par le concept de « langue d’usage public », comme s’il n’y avait aucun lien entre les deux. « On se tourne même en ridicule, comme le fait Victor Piché, en faisant du domicile un simple dortoir où les membres d’une même famille ne se parleraient jamais. Un tel simplisme en dit long sur l’idéologie qui l’afflige », écrit Michel Paillé.

Sur ces trois questions, Paillé reprend les arguments de Charles Castonguay développés dans les pages de l’aut’journal.

La qualité de vie

Vingt millions $ pour le logement et le transport dans l’est de Montréal

« Enfin ! », diront les habitants de Hochelaga-Maisonneuve, dont 50 % des immeubles datent d’avant 1946 et ont, dans plusieurs cas, un urgent besoin de réparations majeures. Mais qu’ils ne se réjouissent pas trop vite. L’argent n’est pas pour le logement social ni pour l’amélioration du service d’autobus sur la rue Ontario.

Les 20 millions $ sont accordé pour venir en aide à la compagnie Busac qui va transformer le mat du Stade olympique en tour à bureaux. L’argent servira à percer des fenêtres dans la tour et à remplacer les roues d’acier du funiculaire par des pneumatiques pour assurer la quiétude des nouveaux locataires. Il ne reste plus qu’à attendre le départ des Expos – ce qui ne devrait pas tarder – pour transformer le stade en terrain de golf.

Dans son livre La cathédrale inachevée (Éditeur XYZ, 1997), Guy R. Morin rappelle – 2,5 milliards $ plus tard – ces paroles de Roger Taillibert pour justifier la construction du stade 0 « C’était, enfin, améliorer dans un quartier qui en avait bien besoin, les conditions d’existence de ses habitants. »|201| 
257|Les unions, qu'ossa donne ?|Jacques Larue-Langlois| Enfin, une réponse à la portée de tout le monde à la question que posait, il y plus de trente ans déjà, Yvon Deschamps. La vraie vie constitue un outil indispensable pour tout jeune travailleur qui ose encore se demander pourquoi il doit appartenir au syndicat que ses camarades ont mis sur pied.

Depuis l'édification des pyramides, trois mille ans avant notre ère, une poignée d'humains, détenteurs de la richesse et du pouvoir – la plupart du temps usurpés par force, par ruse ou simplement achetés – a exploité ses frères et ses sœurs en les forçant au travail sous menace du fouet, de la peine de mort. De nos jours, les contrevenants sont placés dans l'impossibilité de vivre au rythme de consommation imposé par le modèle social que préconisent les médias et la publicité dont ils infestent les ondes. Telle est la base de l'exposé de Jacques Keable dans cet excellent petit manuel d'accès au monde du travail.

Négligés, affamés, esclaves, soulevez-vous !

Déjà, sous les pharaons, « les esclaves, négligés, affamés, se rebellaient souvent, faisaient la grève ». Au tournant de notre ère, Spartacus entraîna les esclaves de Rome en rébellion et quelque 6000 de ceux-ci mirent à mal les autorités romaines avant de périr tous l'arme à la main. Au XIVe siècle, les tisserands flamands, maintenus au travail dans des conditions cruelles par des seigneurs féroces, s'insurgent contre les excès des maîtres. Résultat 0 près de 10 000 artisans et paysans sont massacrés, en 1328, par l'armée de Philippe de Valois, roi de France.

De l'esclavage des Noirs partout en Occident au taylorisme et à la chaîne de montage de Ford, la lutte des travailleurs passe par la pendaison à Chicago, en 1886, de cinq leaders socialistes révolutionnaires exécutés pour avoir osé soulever le mouvement ouvrier américain en vue de réclamer la journée de travail de huit heures. Elle est marquée, dès la deuxième moitié du XIXe siècle, par la mise sur pied, en Angleterre, des premiers syndicats avant d'aboutir à la formation du Parti travailliste anglais (Labor Party) en 1924.

Il faut se donner les moyens de vaincre les trois peurs

Au Québec, au début du siècle, la semaine de travail était encore de 72 heures (6 X 12). Mais l'histoire ne vaut rien si elle ne sert pas à asseoir les revendications des travailleurs d'aujourd'hui en leur permettant de constater que les exploités luttent depuis si longtemps contre les gros qu'il importe de poursuivre le combat en vue d'une victoire finale du prolétariat contre les exploitants.

L'auteur offre des moyens concrets de vaincre les trois grandes peurs qui affligent aujourd'hui les travailleurs du monde entier 0 « l'automatisation du travail via l'informatique, la mondialisation qui délocalise la production et la précarisation du travail » découlant nécessairement du chantage que peuvent se permettre des patrons tout-puissants avec la complicité des gouvernements qu'ils maintiennent en place.

Les syndicats dans la vraie vie

Jacques Keable, dont le livre est publié avec la collaboration de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), de la FTQ et du Fonds de solidarité de la FTQ, actualise son propos en situant «les syndicats dans la vraie vie » par le biais d'un inventaire des gains obtenus – tant pour les syndiqués que pour la population en général, par suite des luttes syndicales. Et de déboucher sur des considérations pratiques permettant de devenir membre d'un syndicat ou d'en fonder un au besoin.

Le côté primaire, inesthétique et souvent carrément illisible des caricatures qui tiennent lieu d'illustrations constituent le seul bémol de cette parution. Ça donne envie de suggérer rapidement une nouvelle édition qui en soit dépourvue.

En conclusion, ce manuel du parfait petit travailleur conscient propose deux règles élémentaires à l'intention de ceux et celles qui veulent être « des citoyens citoyennes à part entière 0

– Savoir et croire qu'on peut vraiment changer le monde;

– pour changer le monde, il est préférable de s'engager à prendre ses responsabilités et de s'y mettre à plusieurs. »

Tout individu accédant au marché du travail devrait être muni de ce livre-outil essentiel.

Y a encore du chemin à faire

Quelques faits – jamais trop répétés justifiant la lecture de La vraie vie

– La fortune des trois hommes les plus riches du monde dépasse le produit national brut des 35 pays les moins « avancés » et de leurs 600 millions d'habitants.

– Pour pouvoir eux-mêmes manger et pour nourrir leurs familles, 250 millions d'enfants travaillent, dont les plus jeunes n'ont pas cinq ans.

– 60 % des personnes qui occupent un emploi, au Québec, ne sont pas syndiquées.

– 80 % des quelque 180 000 entreprises installées au Québec sont sans syndicat.

– Au Québec même, en 1999, près de 40 % des ménages montréalais avec enfants, soit plus de 80 000 familles, vivent sous le seuil du «faible revenu » (20 000 $ / an).

La vraie vie, ce que tout jeune devrait savoir sur le monde du travail et qu'on ne lui dit pas, Jacques Keable, Lanctôt Éditeur, Montréal 2001, 184 pages.|201| 
258|Sur les traces de Paul Saba|Louis Préfontaine|

Les visites à domicile



Pour comprendre une visite à domicile, il faut y assister. Les salles d’attente sont loin; le malade n’a plus à se déplacer lui-même, et les deux patients que j’ai rencontrés n’auraient pas pu. Alors, on embarque dans la Mercedes de Paul Saba et on part soigner les gens ! «C’est une 87, mais c’est confortable », me dit-il. Confortable, d’accord, mais spacieuse également, car dans la valise sont rangés un ordinateur portable, plusieurs valises, dossiers, stéthoscopes et autres objets nécessaires à la vie de médecin sur la route. « Je gagne un bon salaire, mais je gagnerais plus aux États-Unis. Je demeure ici parce que j’aime ce que je fais », explique-t-il.

Nous arrivons chez le premier patient dans la lumière diffuse orangée du soleil qui se couche sur une rue ouvrière du quartier Saint-Michel. Au fond d’un sous-sol très propre dont les miroirs et le plancher en carreau font penser à un salon de coiffure, se trouve un vieil homme de 94 ans assis au bout d’une table, regardant vaguement les nouveaux arrivants et semblant peu s’en soucier. Autour, toute la famille est là. « Les Italiens sont comme ça. Ils vivent tous les uns à côté des autres », me confie Paul Saba. Quelques mots d’usage en italien, politesse d’un médecin qui tente de mieux communiquer avec les gens, et on passe aux questions 0 «Mange-t-il bien ? Dort-il beaucoup ? » À chaque question, c’est une des filles qui répond. « On va prendre son taux de sucre », décide le Dr Saba.

Devant lui, l’ordinateur portable, où il a tout le dossier devant les yeux et où les modifications seront télécopiées au bureau central automatiquement à la première heure le lendemain. Je demande à la famille si elle est satisfaite du service offert par le CLSC. « Oui, oui, me répond une femme, nous sommes très satisfaits.

– Le problème, explique Saba à la femme, c’est que le CLSC ne prend plus de nouveaux patients, car il n’y a plus de budget.

– Mais alors, que vont faire les gens, ils vont mourir ? demande-t-elle.

– Depuis novembre, ils doivent tous aller sur une liste d’attente. Ils tomberont malade et se retrouveront souvent à l’urgence, encombrant inutilement des civières. »

Ce genre de situation est propice au développement de soins de santé à la carte. « Dans L’actualité de ce mois-ci, soutient Saba, il y a un article qui parle d’un médecin qui va à domicile et charge 80 $ par visite. Des gens qui sont incapables de se déplacer et qui n’ont pas accès aux soins du CLSC devront payer. C’est un peu comme avant les années 60, quand un médecin venait observer une famille et chargeait 50 $. C’était un gros montant dans le temps. »

La visite chez la famille s’achève. Une prescription, puis une deuxième, où Paul Saba recommande de l’Ozonol pour une infection bénigne, parce que « ce n’est pas cher et c’est efficace. » Selon lui, il s’agit d’un devoir pour chaque médecin de toujours prescrire le médicament le moins cher possible. Quelques au revoir, puis nous revoici en voiture, vers un autre patient nécessiteux. Après s’être trompé plusieurs fois de chemin, Paul Saba réussit tout de même à trouver le domicile de monsieur L.

Un homme à la fenêtre

Une belle petite maison, avec plusieurs arbres devant; le Dr Saba sonne à la porte. « Qui est-ce?», demande une voix. C’est Paul Saba, je viens pour la visite à domicile.» La porte se débarre; nous entrons. À l’intérieur, de l’autre côté d’une petite cuisine toute en bois, un homme manifestement malade assis sur un fauteuil capitaine. À ses côtés, tout ce dont il a besoin, car il ne peut pas se lever seul. Il passe ainsi ses journées, assis sur le bord de la fenêtre, à regarder défiler le temps et à le deviner au son de son horloge qui marque chaque heure d’un chant d’oiseau différent.

Paul Saba tâte un peu son ventre et demande 0 « Qu’avez-vous fait dans la vie ? » Toute une histoire. Monsieur L. a bien dû faire à peu près tous les métiers possibles! C’est cela aussi, être médecin à domicile. On écoute les patients, ceux-ci se sentent parfois seuls, et on tente d’apporter un peu de réconfort dans leur vie.

Malgré sa situation précaire (outre son problème intestinal, il a des problèmes aux genoux, un pouce entouré d’une plaque de métal, de la difficulté avec son cœur et il fait du diabète), monsieur L. reste capable d’humour. Ainsi, lorsque je lui demande s’il était facile pour lui d’obtenir des services au CLSC, il me répond 0 «Rejoindre le CLSC, c’est un peu comme aller à Paris et revenir. »

L’économie sociale se fait sur le dos des patients

En fait, il utilise les services du CLSC et d’une compagnie privée, d’économie sociale, tout à la fois. Ainsi, le midi, une employée du CLSC, qu’il connaît maintenant bien, vient lui servir à manger et l’aider à diverses tâches ménagères. Le soir, cependant quelqu’un qu’il pourrait bien n’avoir jamais vu auparavant; vient l’aider à se mettre au lit. « Ça serait mieux si c’était toujours la même personne qui venait. Ça fait longtemps que je suis avec le CLSC et je n’ai pas de problèmes. Mais, avec les agences privées, je ne sais jamais à qui j’aurai affaire. »

Pour Paul Saba, l’explication est aussi simple que déplorable 0 «Les employés des compagnies privées changent souvent car ils sont mal payés. Souvent, ces femmes (car ce sont des femmes pour la plupart) doivent occuper deux emplois pour avoir le salaire qu’elles obtiendraient dans un CLSC. »

Le problème de monsieur L. demande un examen plus minutieux. Je demeure donc assis dans la cuisine, pendant que Paul Saba l’examine dans la salle de bain. Le Dr Saba revient. Il complète le dossier dans son portable, écrit quelques ordonnances. Nous sommes demeurés là presqu’une heure, attendant que le patient soit bien rassuré et que nous puissions partir. À notre départ, cependant, il s’adresse à moi d’un air inquiet 0 « Je ne veux pas avoir de trouble avec l’agence privée. Ces gens sont tout ce qu’il me reste, je ne suis pas certain que je veux que vous parliez de moi dans votre journal. »

C’est un peu ça, l’Omertà, je suppose. La loi du silence. On ne veut pas perdre le peu qu’on a, alors on endure et on se tait. Monsieur L. peut dormir tranquille, je ne le nommerai pas, mais combien de personnes se retrouvent dans sa situation ? Nous sommes repartis vers 22 h 15, et il nous a regardés de sa fenêtre. Pour Paul Saba, une petite soirée normale; on s’habitue probablement à toute cette souffrance et à cette solitude. Le Dr Saba m’a convaincu que les soins à domicile sont d’une importance capitale. En se quittant, il me lance 0 « Si on voulait, on pourrait avoir le meilleur système de santé au monde. » En le fréquentant, on se prend à le croire.|201| 
259|Un amuse-gueule qui nous laisse sur notre faim|Charles Castonguay|

La vision de M. Larose



La Commission Larose vient de tenir une journée de consultation sur son rapport préliminaire, L’Avenir du français au Québec 0 une nouvelle approche pour de nouvelles réalités. L’exercice a été l’occasion pour son président de nous servir quelques croustillants hors-d’œuvre. Mais le document de travail nous a laissé sur notre faim quant au constat de la situation et aux mesures susceptibles d’assurer l’avenir du français.

Dans le mandat de la Commission, le contexte démographique et la langue de travail ressortent comme préoccupations immédiates du gouvernement. Celui-ci a commandé aux commissaires de préciser l’évolution des principaux indicateurs de la situation, dont celui des transferts linguistiques, et de peser le pour et le contre d’une refonte globale de la loi 101, comprenant notamment les hypothèses d’une révision de ses dispositions sur la langue d’affichage et de l’extension au collégial de son chapitre sur la langue d’enseignement.

Un mandat laissé sans réponse

Le rapport préliminaire ne s’occupe guère de tout cela. On n’y trouve rien sur la tendance actuelle des principaux indicateurs démographiques que sont la composition de la population selon la langue maternelle et la langue d’usage à la maison. Côté langue de travail, le rapport affirme simplement que la francisation stagne dans les entreprises. Au regard des transferts linguistiques, on se contente d’écrire que « il y a eu amélioration en faveur du français, mais l’anglais maintient tout son attrait » (p. 20), sans même se soucier de la contradiction. Quant à refondre la loi 101, pas un mot pour expliquer pourquoi on a écarté la révision des dispositions touchant l’affichage et l’extension aux cégeps de celles sur la langue d’enseignement.

Le document passe outre à ces éléments trop terre-à-terre. Plus qu’une législation, on nous propose le paquet 0 une politique linguistique complète, une stratégie globale à long terme, un plan d’action de longue portée, un saut qualitatif, des effets structurants, une dynamique collective, une vaste mobilisation, une approche globale et concertée, une approche proactive et partenariale, une campagne continue de promotion, et ainsi de suite. Ce discours sonne vite comme une nouvelle langue de bois. En l’absence d’un constat adéquat et de mesures concrètes à l’avenant, il serait étonnant qu’un gouvernement qui, au dire de Larose, a pris l’habitude de gérer la question linguistique comme une maladie honteuse, sache donner corps à pareille vision.

De la fermeté dans la mollesse

Au-delà de la digression rituelle sur la qualité de la langue, les commissaires reconnaissent que la francisation du milieu de travail a besoin d’un second souffle. Ils préconisent toutefois une approche sectorielle, comportant l’analyse des particularités linguistiques de chaque secteur économique et la mise au point d’une stratégie de francisation pour chacun. Or, les représentants syndicaux qui participaient à la journée d’étude ont relevé l’insuffisance de cette approche, dont l’absence d’obligation de résultat. Ils ont proposé d’appliquer dans le domaine du travail l’équivalent des contrats de performance que le gouvernement impose dans le monde de l’éducation.

La fuite en avant marque de même la stratégie choisie vis-à-vis d’Ottawa. Au lieu de proposer d’accorder la politique linguistique fédérale – qualifiée bizarrement de « ethnique » – à celle du Québec et de modifier les conditions d’accès à la citoyenneté de sorte qu’un candidat domicilié au Québec soit tenu de faire preuve d’une connaissance minimale du français, la Commission brûle les étapes. Elle prône d’instaurer une citoyenneté québécoise et de revendiquer la pleine juridiction en matière d’immigration. En interview, M. Larose a forcé encore plus la pédagogie référendaire. Sa commission recommandera au gouvernement Landry d’exiger d’Ottawa le rapatriement au Québec de tous les pouvoirs en matière de langue.

Il y a de quoi distraire la galerie. Mais on est loin de l’approche consensuelle des années 1970, solidement fondée sur l’impératif démographique.

Les mentalités et Gérald Larose ont changé

Le rapport préliminaire n’aborde pas la défrancisation appréhendée de la région de Montréal suite à l’effritement continu du poids et bientôt du nombre de sa population francophone (langue maternelle ou langue d’usage à la maison). Cette inquiétude est à l’origine même de la Commission. Les commissaires ne peuvent l’écarter sans explication.

Dans son allocution d’ouverture à la journée de consultation, M. Larose a répété que « les mentalités ont changé », que « les Québécois ont changé », au point de rappeler le refrain d’Alain Dubuc. Certes, des organismes avaient mis en doute devant la Commission la pertinence des considérations démographiques. Selon le Mouvement national des Québécois, l’État ne saurait, par exemple, intervenir pour que les immigrants effectuent des transferts linguistiques au français dans une proportion souhaitable. Bel angélisme ! Le Conseil des relations interculturelles a abondé dans le même sens 0 va pour le rôle intégrateur du français, langue commune, mais « l’idée d’un rôle assimilateur doit être rejetée, comme doivent l’être les indicateurs de langue d’usage privé car ce sont des indicateurs d’assimilation ».

Mais la Commission Larose fait fausse route si elle en a conclu que les Québécois se désintéressent aujourd’hui des comportements linguistiques au foyer. C’est précisément pour cette raison que l’analyse des transferts fait partie de son mandat.

Laisser faire, c’est rien faire !

La préoccupation démographique actuelle s’inscrit d’ailleurs en toute continuité avec les interventions gouvernementales des années 1970. Les démographes de la Commission Gendron avaient explicitement recommandé d’agir sur les transferts linguistiques afin de les réorienter vers le français. L’analyse des transferts suivant le recensement de 1971 a ensuite raffermi la détermination du gouvernement Bourassa d’aller de l’avant avec la loi 22. Enfin, le nécessaire virage démographique en faveur du français se retrouve au cœur de l’énoncé de politique de mars 1977 qui a ouvert la voie à la loi 101.

L’énoncé en cause avait ceci comme première proposition principale 0 « Si l’évolution démographique du Québec se maintient, les Québécois francophones seront de moins en moins nombreux. » Après un rappel de cinq prévisions démographiques connexes, qui sont toutes bien en voie de s’avérer, l’énoncé conclut 0 « Devant ces prévisions, comment n’aurait-on pas pensé que pour l’avenir démographique du Québec, il fallait orienter les options linguistiques des immigrants ? »

Rendre l’école française obligatoire pour les enfants des nouveaux immigrants découlait logiquement de ce constat. L’évaluation démographique qui sous-tend cette décision tient toujours. Si le poids des francophones, langue première, au Québec et à Montréal continue indéfiniment de baisser, il va de soi que le degré d’appui à l’actuelle politique linguistique québécoise suivra la même pente. À terme, cela ne peut que conduire à l’implosion du français en tant que langue publique commune dans la région montréalaise.

Bonnes ententistes debout !

Jusqu’à présent, la Commission Larose ne s’est pas acquittée de façon acceptable de son mandat. Sur le plan de l’analyse démographique, son apport se résume à un optimisme bancal. La population de langue française s’engagera sous peu dans une tendance à la baisse au Québec. Or, la Commission prétend au contraire (p. 21) que « le nombre de locuteurs français (sic) restera sensiblement le même en Amérique et il ne peut augmenter qu’en attirant de nouveaux locuteurs issus de l’immigration pour se maintenir au Québec (re-sic) ». Cette phrase aussi erronée que confuse nous en dit long sur les priorités de ses auteurs. Tout comme le mot qui la suit immédiatement 0 « Mais le repli linguistique n’est pas la stratégie qui sert le mieux la société québécoise. »

Se préoccuper sérieusement des tendances démographiques à Montréal serait-il devenu dépassé aux yeux de la Commission Larose ? À ce compte, l’élément de la loi 101 à avoir notoirement visé à orienter les transferts linguistiques vers le français, soit l’obligation faite aux enfants des nouveaux immigrants de fréquenter l’école française, serait un exemple patent de « repli linguistique » – dont le rapport préliminaire vante d’ailleurs la réussite.

Dans un pays bilingue, l’avenir appartient aux trilingues

Animée de bons sentiments, la Commission prêche le salut par une éducation qui conduirait au bilinguisme individuel, voire au trilinguisme, puis appelle de ses vœux un Québec où le français comme langue commune serait à ce point assuré que la société québécoise ne percevrait plus « la langue anglaise comme un objet de concurrence mais comme une corde de plus à son arc et comme un mode d’accès à une composante majeure de son identité » (p. 29). C’est bien beau, mais dans une Amérique du Nord dominée par l’anglais, pareille sécurisation définitive du français comme langue publique commune à Montréal passe obligatoirement par la stabilisation du poids et du nombre de ceux qui le parlent comme langue première à la maison.

On n’en sort pas. La Commission ne peut se dérober aussi facilement aux éléments premiers de son mandat. Son rapport préliminaire ne propose pas de mesures concrètes susceptibles d’apporter au français une part équitable des transferts linguistiques. En demeurer là équivaudrait à abandonner la proie pour l’ombre.

Le président de la Commission a terminé son allocution d’ouverture par une envolée digne du sympathique maire de Champignac, familier des lecteurs de Spirou et Fantasio 0 « La Commission présente une proposition globale qui sous-tend sous forme de question le défi suivant 0 le Québec consent-il à faire le pari d’un avenir à la fois radicalement ouvert et indubitablement français ? »

À force de vouloir se montrer « cool » et « open », M. Larose aurait-il perdu son latin ?|201| 
260|Vous avez bien dit états généraux ?|Charles Castonguay|

Livre 0 Le village québécois d'aujoud'hui



Dans un glossaire jubilatoire et décapant, récemment publié chez Fides, Benoît Melançon et Pierre Popovic donnent une définition qui se lit comme un work in progress de cette bête à plusieurs têtes que sont les États généraux.

Sur le français, du Canada français, du paysage québécois, de l’environnement, sur l’éducation, de la psychanalyse. Variante gouvernementale ou universitaire du festival et du salon. Moins importants que le sommet, mais plus que les audiences, le carrefour, le chantier, le comité, la commission, la consultation, le forum, les groupes de discussion, la table de concertation, la table de prévention, la table de suivi ou la table ronde. Voir concertation, consensus, partenaires sociaux et suivi.

Le village québécois d’aujourd’hui, Benoît Melançon et Pierre Popovic, Éditions Fides, 2001|201| 
261|Chronique d’une infiltration policière|Gabriel Sainte-Marie|

Le groupe Germinal



Le groupe Germinal voulait percer le Mur de la Honte lors du Sommet des Amériques. Ses membres étaient suivis à la trace par la GRC depuis l’automne dernier. Leur arrestation spectaculaire, une semaine avant la tenue du Sommet, a servi d’excuse aux mesures excessives de sécurité.

Deux jours plus tard dans le Journal de Québec, trois juges et un procureur de la Couronne de la région de Québec dénonçaient ce coup de théâtre. Selon eux, si le groupe était vraiment dangereux, il aurait dû être démantelé bien avant. Les membres inculpés ne sont pas des criminels, ils ont été des marionnettes entre les mains des policiers.

Méfiez-vous d’un bon boss !

« La police a découvert le mouvement suite à une délation en novembre. Puis, pour nous infiltrer, la GRC a dès lors créé une fausse compagnie de transport entre Montréal et Québec. Elle cherchait à embaucher un de nos membres », explique Mario Bertoncini.

Faisant Québec-Montréal avec son patron, le nouvel employé roulait en fait avec l’infiltré. Mario poursuit 0 « Alex fut aussi engagé. L’emploi était alléchant 0 75 $ l’aller-retour. Le manège a duré cinq mois. »

Un deuxième agent double s’est tranquillement joint au groupe. Il était l’employé du premier.

Après plusieurs trajets, les deux « germinaliens » leur ont finalement parlé du regroupement. «Le plus vieux était plutôt indifférent mais il voulait nous prêter ses véhicules de transport. Le deuxième, bien entendu, trouvait le projet formidable et voulait absolument aller se battre à Québec. Il a été l’un des adhérents les plus actifs », commente Mario.

Craignant l’infiltration policière, chaque nouveau membre était suspecté, explique Mario. Cependant, pour ces deux-là, il ne semblait y avoir aucun risque 0 «Avoir créé une compagnie, avoir mobilisé plusieurs camions et nous avoir engagés, avoir dépensé toute cette énergie juste pour notre groupuscule, c’était inconcevable ! », s’exclame Mario.

L’infiltration, ça coûte cher

Pendant ce temps, tout membre du mouvement connu de la police se retrouvait avec un enregistreur de numéros de téléphone sur sa ligne téléphonique. Chaque numéro appelé ou appelant était enregistré et utilisé dans l’enquête policière.

L’appartement de Roman, Victor et Jonathan était surveillé 24 heures sur 24 à leur insu. Même chose pour celui d’Alex et de Pierre-David. « On nous a même espionnés au café de l’université ! », s’exclame Bertoncini. Cependant, l’écoute électronique n’est pas retenue dans la preuve.

L’infiltration aura coûté cher à l’État. Selon Mario 0 « En additionnant toutes leurs dépenses juste pour nous, on arrive facilement à 750 000 $. Ça n’a aucune mesure. » Selon une source sûre de la police, la facture s’élèverait plutôt à un million de dollars !

Arrestations brutales

Le 17 avril, Roman et Victor se faisaient arrêter en roulant vers Québec. Ils étaient dans une camionnette de la GRC avec le second agent double. Le lendemain, les autres se faisaient arrêter à leur domicile ou chez des proches. Seul Pierre-David s’est livré lui-même.

Les arrestations se sont déroulées avec une certaine brutalité, mais surtout dans un climat de terreur. « Rendus à Québec, on a dû faire deux copies de nos empreintes digitales. La deuxième allait directement au camion du FBI qui s’était déplacé pour l’occasion », précise Mario.

« Les premiers jours ont été les plus durs. Si nous devions être déplacés, c’était par groupe de deux, menottés et escortés. Quand on allait dehors, c’était dans de minuscules cours emmurées de béton d’une hauteur de trois étages avec deux rangées de barbelés en haut », se souvient Mario.

Il poursuit 0 « Les conditions se sont améliorées par la suite. Plusieurs agents correctionnels étaient solidaires de notre cause. »

Pierre-David et Jonathan ont pu être libérés sous caution après quelques jours de détention. Roman et Victor ont fait 42 jours de prison. Mario, Alex et Serge 041.

Une caution de 5000 $ chacun a été nécessaire pour la libération des deux premiers, et une de 10000 $ chacun pour les cinq autres. Les prisonniers politiques se retrouvent avec des ordonnances à respecter dont un couvre-feu.

L’affaire Germinal

Le groupe Germinal se défend avec l’aide du jeune avocat Yannick Sévigny, travaillant bénévolement, ainsi qu’avec Alain Dumas, président des criminologues du Québec, par le biais de l’aide juridique.

Du rassemblement de manifestants qu’il était, on a fait du groupe Germinal l’Affaire Germinal. Il est temps de crever le ballon et de confronter l’État et sa police à la réalité 0 leurs mesures ont été illégitimes, tout comme les accusations du groupe. On ne peut donc qu’exiger l’acquittement des accusés.

Portrait d’un présumé complot

Sept membres du groupe sont accusés de complot en vue de commettre un méfait pouvant causer un danger réel pour la vie des gens. Il s’agit de Mario Bertoncini, Alex Boissonneault, Pierre-David Habel, Roman Pokorski, Victor Quentin, Jonathan Vachon et Serge Vallée. La peine maximale rattachée à cette poursuite est la prison à vie. Comme Mario Bertoncini l’explique, cette accusation est abusive 0 « On voulait percer la clôture, pas tuer du monde ! »

Alex, Victor et Roman se sont en plus fait accuser de possession d’explosifs, de possession d’explosifs en vue de commettre un méfait pouvant causer un danger réel pour la vie des gens, et enfin de vol et recel de matériel militaire d’une valeur de moins de 5000 $.

20 000 simulateurs de grenades

Les explosifs en question sont des bombes fumigènes et des simulateurs de grenade. Les premières font de la fumée inoffensive pareille à celle dans les discothèques. Les secondes produisent un gros bruit et une lumière intense. Elles servent à détourner l’attention. Lors de leur comparution, en réponse au juge, l’expert des Forces a avoué que, dans l’armée, ils lancent environ 20 000 de ces simulateurs chaque année et ne déplorent qu’un ou deux cas de blessure. Les accusations manquent de sérieux.|201| 
262|Le RAP adopte le revenu de citoyenneté|Pierre Dostie| Lors de son deuxième congrès depuis sa fondation en tant que parti politique, le Rassemblement pour l’alternative progressiste a adopté dans son programme le revenu de citoyenneté défendu par Michel Chartrand. De plus, sa nouvelle porte-parole, Suzanne Lachance, a clairement réitéré l’engagement du RAP en faveur de la souveraineté du Québec.

Le RAP est le premier parti politique à défendre une mesure aussi complète de lutte à l’exclusion et à la pauvreté0 une allocation universelle inconditionnelle au-dessus du seuil de pauvreté selon le Conseil du bien-être social du Canada. Les argents nécessaires au financement de ce programme proviendraient principalement d’une réforme fiscale qui augmenterait la participation fiscale des entreprises et éliminerait les paradis fiscaux, de même que par diverses mesures de redistribution de la richesse.

Le congrès a également élu la nouvelle porte-parole du RAP. Il s’agit de Mme Suzanne Lachance, une militante de la région de la Montérégie, ex-membre de feu l’aile sociale-démocrate du PQ et qui se qualifie elle-même comme une « souverainiste pure et dure ».

L’Union des forces progressistes

Elle a fait porter principalement sa campagne sur l’importance pour le RAP de s’impliquer activement dans l’Union des forces progressistes. L’on se rappelle que l’UFP est née suite au Colloque sur l’unité de la gauche politique et des forces progressistes, organisé par le RAP il y a un an. Cette première expérience unitaire des principales forces de gauche a permis au candidat Paul Cliche d’obtenir 24% des voix lors de la récente élection complémentaire de Mercier.

La seule femme chef d’un parti politique québécois

Dans le discours qui a suivi son élection, Mme Lachance s’est moquée du récent pseudo-virage à gauche des partis traditionnels. Elle s’est surtout attaquée au gouvernement péquiste et à son premier ministre Landry « qui a été le maître d’œuvre du déficit zéro réalisé en un an de moins que l’échéancier prévu sur le dos des plus démunis de la société ».

Elle a également déclaré que « le projet d’union confédérale du premier ministre dilue le projet d’indépendance du Québec, projet que le RAP défendra énergiquement comme un moyen pour réaliser un projet de société plus juste ».

Mme Lachance a également mis le gouvernement « au défi de réformer le mode de scrutin de façon à ce que toutes les tendances politiques soient représentées à l’Assemblée nationale en proportion de leur appui populaire ». Elle a même ajouté que « le gouvernement pourrait le regretter longtemps s’il refuse de réformer le mode de scrutin avant la fin du présent mandat ».

De plus, la nouvelle porte-parole du RAP, qui est la seule femme chef d’un parti politique québécois, s’est clairement engagée à ce que « le RAP soit porteur des revendications féministes lors des prochaines élections québécoises ».

Enfin, le congrès a appuyé la déclaration de clôture du Sommet des peuples des Amériques tenu à Québec en avril 2001 qui exigeait le retrait du projet d’accord sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).|201| 
263|Françoise David n'a pas dit son dernier mot !|Élaine Audet|

Après avoir mobilisé le mouvement des femmes



Lorsqu'elle en a pris la présidence, il y a sept ans, la Fédération des femmes du Québec faisait face à une crise de confiance qu'elle a vite pu transformer en mobilisation générale. De soixante groupes à son arrivée, ils sont maintenant passés à 160, certains d'entre eux comme le Regroupement des centres de femmes comptant eux-mêmes plusieurs groupes. Quant aux membres individuelles, 200 en 1993, elles sont en ce moment 800.

Tout le long de son mandat, elle a cherché à promouvoir la visibilité de son organisme, le recrutement et la diversité des membres, surtout en allant chercher des militantes parmi les communautés culturelles, les minorités visibles, les lesbiennes et les jeunes. Ses plus grands fleurons resteront à coup sûr la Marche du pain et des roses en 1995 et la Marche mondiale des femmes de l'an 2000 à laquelle ont participé 6000 groupes de 160 pays, et qui a réussi à établir un réseau de communication et de solidarité irréversible entre les femmes du monde.

Elle a su relier la lutte sociale à la lutte féministe et montrer les liens entre l'exploitation capitaliste à l'heure de la mondialisation et celle du pouvoir patriarcal qui s'enrichit toujours de travail gratuit des femmes, de leur marginalisation, de la discrimination à leur égard et de tous les doubles standards encore appliqués dans la société et renforcés par la violence sexiste qui se charge de remettre les insoumises à leur place.

C'est en termes de solidarité, d'information et d'éducation que les retombées de son action sont les plus visibles. Elle s'est dite à plusieurs reprises déçue et en colère face aux miettes offertes par le gouvernement (50M$ et 10 cents d'augmentation du salaire minimum) pour lutter contre l'extrême pauvreté des femmes. Elle reconnaît cependant quelques victoires, toujours à défendre d'ailleurs, sur l'équité salariale, la perception automatique des pensions alimentaire, les garderies à 5 $.

Alors que Louise Harel l'accusait à l'émission Le Point d'être incapable de négocier et d'apprécier ce qu'elle obtient, elle se décrit, à mon avis très justement, comme une femme de dialogue qui s'est toujours fait un point d'honneur d'être rigoureuse dans ses arguments, d'être ferme sur les principes mais souple dans leur application. Certaines plus radicales lui reprocheront d'ailleurs sa trop grande souplesse. Pour essayer de regrouper le plus de femmes possible sur des revendications communes, il lui a fallu adopter une stratégie qui mise sur la patience et la continuité.

Bernard Landry ne la sousestime pas

Elle est dérangeante et elle n'a pas fini de déranger le pouvoir. Bernard Landry s'en est avisé après les élections dans Mercier et il n'a pas l'intention de la laisser progresser. Pour lui, la formation d'un parti politique axé sur les intérêts des femmes confinerait à leur marginalisation. Ce serait, à son avis, une catastrophe sociale, une décision qui ferait passer des lignes politiques entre les frères et les sœurs, entre les maris et les femmes, rapportait La Presse du 4 juin. Françoise David a clairement dit qu'elle réfléchissait à un parti féministe de gauche, ouvert aux hommes et aux femmes qui appuieraient les revendications de la Marche mondiale des femmes et celles du Sommet des peuples qui sont de véritables projets de société fondés sur les droits des femmes, l'indépendance et la solidarité des peuples, la justice sociale et un développement durable.

M. Landry se vante d'avoir une vision moderne de la souveraineté. Il préfère bien sûr entériner la catastrophe sociale actuelle que son gouvernement a provoquée par ses coupures dans la santé, l'éducation et les services sociaux pour atteindre un déficit zéro que lui réclamaient les maîtres du commerce mondial. Il juge plus rassembleur de perpétuer la ligne du sexisme et de la discrimination qui départage toujours inégalement les hommes et les femmes à tous les niveaux de la société. Françoise David affirme haut et fort qu'on peut être indépendantiste sans être péquiste. Et nous sommes de plus en plus nombreux et nombreuses dans ce cas, résoluEs à lutter pour une indépendance qui ne soit pas vidée de tout contenu avant de se réaliser, pour une souveraineté qui ne soit pas vendue préalablement à la pièce aux transnationales du profit.

De Françoise à Vivian

Avant de céder sa place à la FFQ, elle a appuyé la candidature de Vivian Barbot, première membre des minorités visibles à être élue à la tête d'un organisme d'envergure au Québec. Une fois de plus, la Fédération fait œuvre de pionnière. Les déclarations de la nouvelle présidente laissent à penser qu'elle est résolue à poursuivre l'œuvre de Françoise David. Elle annonce déjà que la FFQ entrera dans une période de réflexion de deux ans afin de prendre acte des mutations sociales à l'heure de la globalisation des marchés et, au besoin, de réviser sa stratégie. On y réfléchira notamment sur les nouveaux modes d'action comme la désobéissance civile, le problème de la prostitution et la mise en œuvre de moyens de financement efficaces.

La dernière fois que j'ai rencontré Françoise David, elle disait qu'avant de prendre la décision de s'engager en politique, elle voulait d'abord s'assurer du soutien actif des femmes. Elle veut réfléchir à ce qu'elle a envie de faire – parce qu'on est plus efficace quand on fait ce qu'on aime – et à quel endroit sa présence est plus nécessaire. Pour elle, il est évident qu'il faut d'abord se mobiliser pour réclamer la démocratisation du mode de scrutin, sinon notre politique sera vouée à l'échec.

Bonnes vacances !|201| 
264|Réplique de Paul Rose à la députée provinciale de Mercier|Paul Rose|

Les conversions successives de Nathalie Rochefort



En entrevues, l’une à La Presse (édition du 4 mai) l’autre à l’émission Indicatif présent de Radio-Canada (en ondes le même jour), Mme Nathalie Rochefort déclarait qu’elle avait quitté le NPD-Québec suite au virage « nationaliste » de ce dernier lors de l’arrivée de Paul Rose au parti. Un raccourci certes commode pour expliquer son passage du NPD au Parti libéral mais qui ne résiste pas longtemps à l’analyse des faits.

En premier lieu, Mme Rochefort a cessé d’être membre du NPD-Québec en 1991 alors que j’y ai mis les pieds l’année suivante seulement. D’autre part, je n’ai été élu à un premier poste d’officier du parti qu’en 1994 ! Je veux bien qu’à l’occasion je puisse encore servir de bouc émissaire à certaines personnes, mais quand on le fait pour des motifs politiques aussi bassement opportunistes et mensongers comme c’est le cas ici, je ne peux pas laisser passer ça.

Deuzio, le NPD-Québec est devenu indépendantiste non pas en 1992, mais à son congrès de 1989 alors que Mme Rochefort y était militante active. Elle a de plus soutenu le parti et son nouveau programme jusqu’en 1991, y compris lors des élections générales provinciales de 1989.

Donc, aucun des deux motifs invoqués sur le tard ne peut expliquer le passage au Parti libéral provincial de celle qui, « candidement», après s’être laissée identifier tout au long de la campagne de Mercier comme étant la seule candidate habitant le comté, avouait au lendemain de l’élection qu’elle avait plutôt pignon sur rue à… Laval.

En fait, la dernière entourloupette politique de la « nouvelle » députée libérale, qui a pris plutôt rapidement le moule de la langue de bois, lui permet de parler des deux côtés de la bouche en même temps tout en continuant de se réclamer du NPD-Canada et de Sven Robinson, alors même que ces derniers (qui eux reconnaissent tout au moins le droit du Québec à l’autodétermination) ont appuyé le candidat indépendantiste de gauche qui lui faisait la lutte dans Mercier, Paul Cliche.

Quant à ma position sur la question nationale lorsque j’ai joint le NPD-Québec (aujourd’hui le Parti de la démocratie socialiste), elle est toujours la même 0 il ne peut y avoir d’indépendance véritable du Québec sans un projet de société libérateur; tout comme, à l’inverse, il ne peut y avoir de véritables démarches d’émancipation sociale et de luttes réelles à la pauvreté qui ignorent totalement la lutte à l’oppression nationale. Ces aspects sociaux et nationaux de la réalité québécoise sont, de notre point de vue, intimement liés et aux antipodes des positions « nationaleuses » des partis néo-libéraux, qu’ils soient d’Ottawa ou de Québec

Une réalité qui est tout aussi vraie en Palestine qu’en Irlande du Nord que pour nos sœurs les premières nations d’Amérique.

Puisque, de tout temps, l’histoire nous enseigne que la pauvreté des esclaves n’a jamais pu être réglée par les miettes, mêmes moins petites, qui, à l’occasion, tombaient de l’opulente table du maître.

Et en cela, la députée libérale ne pourra feindre l’ignorance bien bien longtemps.

Paul Rose

Lettre non publiée par La Presse et Radio-Canada|201| 
265|Touche pas à mon pote le béluga|François Parenteau| À Montréal, c’est facile d’oublier le fleuve. Tout lui tourne le dos, et sa principale utilité, outre portuaire, semble être de fournir une occasion pour des pro-moteurs de construire des ponts et subséquemment pour les banlieusards de les bloquer, quand ce ne sont pas les Mohawks, qui les prennent de vitesse.

Le Saint-Laurent est pourtant ce qui nous définit. Les Québécois vivent tous pas trop loin de sa rive nord ou de sa rive sud, et certains, comme à Montréal, vivent même en son beau milieu. Jamais nous ne manifesterons assez de gratitude envers ce majestueux cours d’eau qui se dessine nettement sur toutes les cartes du monde. Sur une mappemonde qui n’aurait pas de frontières, essayez de situer précisément le Kazakhstan, l’Oklahoma ou le Tchad, sans oublier la mystérieuse frontière entre l’Alberta et la Saskatchewan. Mais pour le Québec, ça saute aux yeux 0 c’est cette péninsule qui tire facétieusement sa langue d’Anticosti pour faire la grimace à Terre-Neuve.

Et puis, de ce fleuve qui est toujours plus qu’une rivière mais qui ne devient jamais tout à fait la mer, on peut évoquer bien des comparaisons symboliques. Ancré en Amérique mais encore tourné vers l’Europe, le Québec est un estuaire où vivent des créatures qui ne peuvent exister que dans ce milieu. D’où l’importance, d’ailleurs, de le protéger...

Partout ailleurs dans le monde, je suis en voyage. Il n’y a que sur les bords du fleuve que je puisse me sentir véritablement en vacances. Au fil des années, je tente même de m’établir une sorte de rituel tourné autour du fleuve. Les étapes sacrées du pèlerinage que j’ai arrêtées jusqu’à présent consistent à mettre au moins un orteil dans l’eau du fleuve, faire un feu, toucher un phare, manger au moins une fois dans un établissement de hot dogs et de patates frites qui a déjà été un véhicule, débouler les dunes à Tadoussac et voir au moins une baleine ou un béluga.

Le béluga est une singulière créature. Ses formes toutes arrondies et sa blancheur lui donnent un air de boconcini. Et son petit sourire innocent n’est pas sans rappeler la bouille des trisomiques. L’été dernier, j’étais au Gibârd, à Tadoussac, et je tentais d’exprimer à deux amies cette image. Sans doute affectées qu’elles étaient de quelques relents de rectitude politique, elles réfutaient ma comparaison jusqu’à ce que se pointe justement au bar un sympathique trisomique arborant fièrement un t-shirt avec des bélugas dessus. On en rit encore... Ça fittait tellement0 CQFD.

« J’en vois un ! J’en vois un ! »

Ce qui n’empêche en rien que l’observation des bélugas soit une expérience métaphysique des plus profondes. Nous y sommes allés d’ailleurs, le lendemain. Nous étions sur le pont du Valère-Élise à scruter l’horizon pour voir poindre des vagues bleues la blancheur d’un dos de béluga. Au départ, nous voulions tellement en apercevoir que nous nous excitions à la moindre pâleur. Une mouette, une vague légèrement moutonnante ou un autre bateau vu de loin suffisait pour nous faire dire 0 « Là, j’en vois un ! » Après tant de fausses alertes, on a fini par s’engourdir un peu et même se faire à l’idée qu’on n’en verrait pas...

Mais quand un vrai beau gros béluga s’est pointé près du bateau... Ce fut magique. C’est tout con, voilà un mammifère marin qui vaque à ses occupations normales de mammifère marin mais ça fait battre le cœur plus vite d’être là juste à-côté. Est-ce sa rareté, sa blancheur ou simplement le suspense de la quête ? Je ne sais trop, mais ça fait effet.

À ce moment, c’était tellement clair que nous étions en présence d’un béluga, ça nous faisait nous demander ce qui nous prenait pour qu’une simple mouette ait pu auparavant nous confondre. C’est là que ça m’avait frappé 0 chercher un béluga sur le fleuve, c’est comme espérer le grand amour.

Tous les amoureux se ressemblent

On peut se fourvoyer souvent et s’exciter pour des vagues qui disparaissent aussitôt. Mais quand il arrive, on ne peut plus se tromper. Et je suis sûr que si on s’était pris en photo au moment de cette apparition, le sourire qu’on avait alors aux lèvres devait être au moins aussi béat que celui des boconcinis trisomiques qui entouraient le bateau. D’ailleurs, je revise ma position 0 c’est un sourire d’amoureux. Faut dire que ça se ressemble...

Cette vision me redonne encore espoir quand j’y repense et elle m’inspire ce cri du cœur 0 de grâce, pour la suite du monde et de nos grandes amours, sauvons les bélugas.

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 16 juin 2001.|201| 
266|Le cul-de-sac du « nationalisme civique et inclusif » de la Commission Larose|Pierre Dubuc| La Commission Larose propose comme premier choix stratégique de « constitutionnaliser les droits linguistiques » dans le cadre de la Charte des droits et libertés ou dans une Constitution du Québec. Le français serait alors « constitutionnalisé » comme langue officielle et commune du peuple québécois, lequel – « nationalisme civique et inclusif » oblige – comprendrait tous les habitants du Québec, peu importe leur origine nationale.

Les membres des communautés culturelles grecque, italienne ou chinoise – même ceux qui ne s’exprimeraient que dans leur langue maternelle –- seraient ipso facto intégrés dans la nation québécoise.

La Commission Larose n’est pas tout à fait aussi « inclusive » pour la minorité anglophone dont elle reconnaît l’existence avec les nations inuite et amérindiennes et propose de leur assurer une « protection constitutionnelle », sans que l’on sache trop bien si cette protection s’étend à leur langue.

L’incroyable échafaudage linguistique du MNQ

Le mémoire du Mouvement national des Québécoises et des Québécois (MNQ), dont s’est largement inspiré la Commission Larose, n’hésite pas, lui, à nier l’existence de la minorité anglophone. Malgré ses allures jacobines, le mémoire est de facture essentiellement néolibérale. Le principe des nationalités est nié au profit de l’individu, tout comme est proscrit le droit de l’État à intervenir pour modifier la composition ethnolinguistique de la population. Les principes essentiels de ce mémoire nous aident à comprendre les fondements idéologiques du Rapport Larose.

L’auteur du mémoire du MNQ établit une distinction fondamentale entre les langues maternelles qu’il refoule au domaine de la vie privée et la langue nationale qui serait une pure construction de l’État.

Le MNQ nie l’existence d’une minorité nationale anglophone, mais également celle d’une nation québécoise francophone ! « Ce n’est pas l’homogénéité ethnique ou linguistique d’une population qui en fait une nation distincte », affirme le MNQ. C’est la « population », poursuit le mémoire, qui « reconnaît et adopte » (on ne sait trop comment !) une langue comme langue nationale « pour assurer la communication entre ses ressortissants de langues maternelles diverses ». Le MNQ propose que cette langue soit le français, mais la logique développée dans le mémoire permet d’affirmer que ça pourrait être tout aussi bien l’anglais… ou l’espéranto !

La Commission évacue la distinction fondamentale entre dominants et dominés

Il n’est pas étonnant qu’empruntant une telle approche, purement abstraite, la Commission Larose soit passée à côté du principe fondamental qu’est la distinction entre groupes linguistiques dominés et groupes linguistiques dominants et qu’elle ne tienne aucunement compte des rapports de force sur le terrain.

Par exemple, la Commission se réfère de façon positive au mouvement raciste américain « English Only » qui a forcé 25 États américains à imposer l’anglais comme langue officielle pour bloquer la progression de l’espagnol.

Mais, évidemment, la réalité reprend vite ses droits, et l’anglais que la Commission avait évacué par la grande et majestueuse porte constitutionnelle revient en vitesse par la porte arrière. Ainsi, après nous avoir invité à « rompre définitivement avec l’approche historique canadienne qui divise l’identité québécoise suivant une ligne ethnique 0 la canadienne-française et la canadienne-anglaise », les commissaires proposent au peuple québécois « de ne plus percevoir la langue anglaise comme un objet de concurrence, mais comme un mode d’accès à une composante majeure de son identité » ! ! ! On comprend pourquoi la nation québécoise n’est pas francophone; pour se réaliser pleinement, elle devrait être bilingue ! Trudeau n’aurait pas mieux dit !

Vers un Québec bilingue

Si la Commission avait bâti son argumentation sur le principe de réalité, elle aurait tenu compte du fait que tous les indicateurs démo-linguistiques sont au rouge. Elle aurait replacé la question dans sa véritable perspective historique. Il y a moins de cent ans, il y avait encore une importante diaspora francophone au Canada et aux États-Unis. Elle est aujourd’hui disparue. Il y a quarante ans, les francophones formaient le tiers de la population canadienne; ils comptent pour moins du quart. Et personne aujourd’hui, même parmi les plus fervents fédéralistes, n’évoque le rêve d’un Canada bilingue.

Au Québec, la loi 101 n’a pas réussi à renverser en faveur du français les transferts linguistiques, et l’assimilation gagne du terrain dans l’Outaouais et sur l’île de Montréal. Et il semble bien que certains, parmi les plus fervents nationalistes, rêvent d’un Québec bilingue !

Sommes-nous sur la défensive ou à l’offensive ?

Plutôt que de prendre la mesure de ces reculs et de l’ampleur du redressement nécessaire pour freiner le déclin démographique des francophones, la Commission emprunte au néolibéralisme le discours sur la déréglementation pour dénoncer « l’approche linguistique bureaucratique » de la loi101 et transpose dans le domaine linguistique la tactique syndicale du partenariat. En vigueur au cours des vingt dernières années, cette tactique est responsable, selon certains, du recul de la syndicalisation et de l’appauvrissement généralisé de la classe ouvrière.

D’autres argumenteront que le partenariat était la seule tactique syndicale possible pour sauver les meubles dans un contexte d’offensive patronale tout azimuts et que le problème se pose uniquement lorsqu’on transforme cette tactique en stratégie de collaboration de classe.

Revenons à la question linguistique. Examinons le rapport de forces. Celui-ci est-il le même qu’en 1977 lorsque fut adoptée la loi 101 ? Évidemment non.

Quel est le rapport de forces ?

La victoire du Parti québécois en 1976 était le point culminant de près de vingt ans de mobilisation nationale, syndicale et populaire. Le Parti québécois comptait alors plus de 300 000 membres et bénéficiait de l’appui de milliers de syndicalistes.

Et puis, les anglophones étaient divisés. Le déplacement de l’économie vers Toronto depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale faisait de Montréal un endroit moins stratégique pour le communauté d’affaires anglophone. Les États-Unis étaient affaiblis sur la scène mondiale suite à leur défaite au Vietnam et Washington cherchait à « jouer » le Québec contre le Canada pour inciter le gouvernement Trudeau à renoncer à ses politiques nationalistes. Un membre de la richissime famille Rockefeller n’a-t-il pas déclaré à l’époque qu’il ne voyait aucun problème à ce que le français soit la langue de travail au Québec.

Le rapport de forces actuel est fort différent. Au plan politique, les anglophones ont pris fermement le contrôle du Parti libéral du Québec, alors qu’une bonne partie d’entre eux l’avait délaissé au profit de l’Union nationale en 1976, mécontents qu’ils étaient des politiques linguistiques de Robert Bourassa. Aujourd’hui, ce sont les fédéralistes nationalistes qui ont quitté le PLC au profit de l’ADQ de Mario Dumont.

Les anglophones ont considérablement raffermi leurs liens avec les États-Unis par le biais des communautés juives de Montréal et de New York. Mordecai Richler et plusieurs grands journaux américains ont criblé le Québec de critiques pour sa « police de la langue ». L’affaire Michaud a révélé au grand jour l’état de panique de la députation péquiste à la perspective d’une confrontation sur ces questions.

Clarifions nos idées, notre programme, notre stratégie

Si le rapport de forces est si défavorable qu’il nous empêche aujourd’hui de passer à l’offensive, reconnaissons-le et agissons en conséquence. Profitons-en pour clarifier nos idées et établir notre stratégie future dans le nouveau contexte mondial.

Premièrement, identifions bien les stratégies adverses. La question mériterait un long développement, mais il nous semble que la mondialisation ne souffre aucun obstacle à l’extension des marchés, et que les langues, les cultures et les nations constituent de tels obstacles. La société néolibérale idéale est dépourvue de toute conscience nationale ou de classe et n’admet que l’individualisme.

Les peuples et les nations qui résistent au rouleau compresseur sont immédiatement taxés de « nationalisme ethnique » et leurs pays sont démantelés et réduits en courtepointe de protectorats, comme l’a démontré le professeur Michel Chossudovsky dans le cas de l’ex-Yougoslavie. C’est la même perspective de partition et de balkanisation du Mexique que développait le sous-commandant Marcos (voir l’aut’journal No. 200).

Le Canada a développé cette stratégie depuis longtemps. Le gouvernement Trudeau s’est servi de la Charte des droits pour démanteler la loi 101 et les droits collectifs du Québec. L’expérience a si bien réussi que le politicologue de renommée mondiale Michael Ignatief propose la Charte canadienne des droits comme modèle pour les autres pays dans son dernier ouvrage. Et si nous ne nous soumettons pas à la Charte, nous aurons droit au plan B 0 la partition.

La nation québécoise historique est française

Deuxièmement, après avoir dissipé la confusion ambiante, il nous faut formuler un programme démocratique qui reconnaisse la nation québécoise comme une nation historiquement constituée, de langue et de culture françaises. Une nation qui a intégré et assimilé au cours des ans des gens d’autres origines ethniques si bien que des études démontrent qu’ils représentent 13 % du vote souverainiste.

Il nous faut aussi reconnaître l’existence, en plus des nations inuite et amérindiennes, d’une minorité anglophone, mais également des autres minorités nationales (haïtienne, grecque, espagnole, etc.). Déjà, le Parti québécois leur avait reconnu des droits dans la loi 101 qui permettait l’affichage dans d’autres langues que l’anglais et avec les programmes PELO d’enseignement dans les langues nationales.

Troisièmement, il faut recadrer notre lutte de libération nationale dans le contexte de la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Dans cette perspective, nos alliés sont les peuples d’Amérique latine, les zapatistes du Chiapas, mais également les mouvements aux États-Unis qui revendiquent que l’espagnol soit reconnu comme langue officielle. Ce sont eux nos alliés et non pas les racistes du English Only.|201| 
267|Les États-Unis sont en guerre en Macédoine|Michel Chossudovsky| La guerre en sous-main des États-Unis en Macédoine a pour objectif de consolider une sphère d’influence américaine dans le sud-est de l’Europe. L’enjeu principal est le « corridor » stratégique de pipeline, de lignes de communications et de transport, qui relie la mer Noire à la côte adriatique. La Macédoine se situe au carrefour stratégique du corridor du pipeline pétrolier contrôlé par le compagnie américaine AMBO (Albania, Macedonia, Bulgaria Oil Company).

La politique étrangère des États-Unis vise à installer des protectorats dans cette région des Balkans. Également en sous-main, par l’entremise des actions menées par la CIA, Washington mobilise le nationalisme albanais et le projet de « Grande Albanie » en apportant son soutien financier et militaire à l’Armée de libération du Kosovo (UCK) ainsi qu’à ses différents groupes affiliés dont l’Armée nationale de libération (ALN) responsable des assauts terroristes contre la Macédoine.

Washington, de concert avec la Grande-Bretagne, développe sa sphère d’influence dans le sud-est européen afin de soutenir les intérêts des géants pétroliers anglo-américains dont la BP-Amoco-Arco, Chevron et Texaco. Les actions menées par Washington dans le sud des Balkans ainsi que la « protection » des pipelines constituent un appui aux investissements du capital américain se chiffrant dans les milliards de dollars

Le consortium anglo-américain contrôle le projet de pipeline trans-balkanique AMBO du port bulgare de Burgas jusqu’à Vlore sur la côte adriatique albanaise avec l’appui du gouvernement américain. Le géant pétrolier européen Total-Fina-Elf est tenu à l’écart des négociations. Le contrôle stratégique exercé par les États-Unis a pour but d’affaiblir la présence de l’Union européenne dans le sud des Balkans.

Qui est derrière le pipeline trans-balkanique ?

Les liens du consortium américain AMBO remontent directement au siège du pouvoir politique et militaire aux États-Unis, plus précisément à la compagnie Halliburton Energy liée étroitement au vice-président Dick Cheney qui fut jusqu’à récemment son p.-d.g.

L’étude de rentabilité du projet de pipeline trans-balkanique fut effectuée par la compagnie d’ingénierie Brown & Root, la filiale britannique de Halliburton. Et une fois complétée, un membre de la direction de Halliburton fut nommé p.-d.g. de la AMBO. La compagnie Halliburton obtenait également un contrat afin de construire au Kosovo la plus importante base militaire américaine en territoire étranger depuis la guerre du Vietnam.

La militarisation du corridor des pipelines

Le pipeline trans-balkanique rejoindra les pipelines qui relient la mer Noire et le bassin de la mer Caspienne, où se trouvent d’énormes réserves pétrolières. La militarisation de ces différents corridors fait partie intégrante de la politique américaine. À peine quelques mois avant les bombardements de la Yougoslavie en 1999, le secrétaire à l’Énergie Bill Richardson de l’administration Clinton avait énoncé la politique américaine de « protection des routes de pipelines » desservant le bassin de la mer Caspienne et traversant les Balkans.

« Il est ici question de la sécurité énergétique de l’Amérique, a déclaré Richardson. Il s’agit également d’empêcher des percées stratégiques par ceux qui ne partagent pas nos valeurs. Nous cherchons à attirer vers l’Ouest ces pays nouvellement indépendants. Nous voudrions qu’ils s’alignent sur les intérêts politiques et commerciaux occidentaux plutôt que de se diriger dans une autre direction. Nous nous sommes engagés au plan politique dans la région de la mer Caspienne et il est très important que les tracés des pipelines soient conformes à nos intérêts politiques. »

Une lutte acharnée se déroule actuellement, dans les riches champs pétrolifères du Kashagan, dans le nord-est du Kazakhstan, entre les géants pétroliers anglo-américains BP-Amoco-Arco, Texaco et Chevron – appuyés par la puissance militaire américaine – et leur concurrent européen Total-Fina-Elf, associé à la compagnie italienne ENI. Les enjeux sont énormes. Selon certaines estimations, les réserves du Kashagan dépasseraient celles de la mer du Nord.

Le consortium européen est nettement désavantagé car les principaux projets de pipelines reliant la mer Caspienne à l’Europe occidentale en passant par la mer Noire et les Balkans (incluant le projet de AMBO et celui reliant Bakou et Ceyhan à travers la Turquie jusqu’à la Méditerranée – sont aux mains de leurs rivaux anglo-américains, soutenus par la puissance politique et militaire américaine.

L’objectif de Washington consiste à affaiblir l’influence allemande et européenne dans les trois pays du corridor du pipeline AMBO, c’est-à-dire la Bulgarie, la Macédoine et l’Albanie, et d’installer dans ces pays des protectorats en dehors de toute ingérence de l’Union européenne. La militarisation et le contrôle géopolitique par les États-Unis du corridor reliant Burgas en Bulgarie et le port adriatique de Vlore en Albanie a pour but de miner l’influence européenne tout en affaiblissant les intérêts du consortium pétrolier concurrent franco-belge-italien.

Les États-Unis sont intervenus dans les négociations concernant le pipeline AMBO par l’entremise du Trade and Development Agency (TDA) dans le but « d’aider l’Albanie, la Bulgarie et la Macédoine à développer et à intégrer leurs infrastructures de transport dans le corridor est-ouest qui les relie ». Dans ce contexte, la TDA souligne la nécessité pour les trois pays « d’utiliser les synergies régionales afin d’attirer de nouveaux capitaux publics et privés [de compagnies américaines] ». La TDA souligne à ce titre « la responsabilité » du gouvernement américain « dans cette initiative ». Il apparaît clairement que l’Union européenne est exclue de la planification et des négociations entourant le projet d’oléoduc AMBO.

Une « lettre d’intention » signée par les gouvernements de l’Albanie, de la Bulgarie et de la Macédoine, accorde des « droits exclusifs » au consortium anglo-américain, dépouillant de la sorte ces pays de leur souveraineté nationale sur le tracé du pipeline ainsi que sur les différents corridors de transport et de lignes de communications.

« Le Corridor 8 »

Le projet de pipeline AMBO est lié à un autre projet stratégique, à savoir le « Corridor 8 » proposé à l’origine par l’administration Clinton dans le contexte du Pacte de stabilité des Balkans. D’importance stratégique à la fois pour les États-Unis et l’Union européenne, le projet du « Corridor 8 » comprend la construction d’infrastructures routières, ferroviaires, électriques et de télécommunications. Il vaut d’être mentionné que ces secteurs sont également visés par les politiques de privatisation sous la supervision du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. À ce titre, il est déjà prévu qu’une partie importante de ces infrastructures sera vendue à rabais à des sociétés étrangères.

Bien qu’approuvées par les ministres du Transport de l’Union européenne dans le cadre du processus d’intégration économique européenne, les études de projet du « Corridor 8 » furent réalisées par des entreprises américaines, financées par la Trade and Development Agency (TDA). Washington semble donc se préparer à mettre la main sur les infrastructures de transport et de communications de ces pays. Des corporations américaines comme Bechtel, Enron et General Electric, soutenues financièrement par le gouvernement américain, sont en concurrence avec des entreprises de l’Union européenne.

L’objectif visé par Washington est d’ouvrir aux multinationales américaines un territoire qui se situe en quelque sorte dans « l’arrière-cour » de l’Union européenne. Autre facteur de confrontation entre l’Amérique et l’Union européenne 0 dans les Balkans, le deutschmark a tendance à dominer les structures bancaires au détriment du dollar américain.

L’élargissement de l’Union européenne contre l’élargissement de l’OTAN

Au début de l’an 2000, la Commission européenne avait entrepris des négociations pour l’admission de la Macédoine, de la Bulgarie et de l’Albanie à titre de membres associés de l’Union européenne. En avril 2001, au moment même des assauts terroristes contre son territoire, la Macédoine devenait le premier pays des Balkans à signer un soi-disant « accord de stabilisation et d’association » qui constituait une étape importante dans la voie de l’obtention du statut de membre à part entière de l’Union européenne. En vertu de cet accord, la Macédoine serait intégrée dans le système monétaire et commercial européen, avec libre accès au marché de l’Union européenne.

Les assauts terroristes ont coïncidé avec le calendrier des négociations avec la Commission européenne. Qui plus est, ils se sont intensifiés quelques semaines avant la signature de « l’accord d’association » avec la Macédoine. Il est avéré que Washington appuie l’UCK et que des conseillers militaires américains collaborent avec les terroristes. Était-ce là pure coïncidence ?

Au cours de la même période, un « ancien diplomate américain », Robert Frowick, fut nommé (mars 2001) à la tête de la mission de l’Organisation européenne pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à Skopje. En étroite liaison avec Washington et l’ambassade américaine à Skopje, Frowick s’empressait d’établir des liens étroits avec le leader Ali Ahmeti de l’Armée de libération nationale. Et à ce titre, Frowick a joué un rôle important dans l’accord intervenu entre Ahmeti et les dirigeants des partis albanais, qui faisaient partie de la coalition gouvernementale.

Cet accord négocié par Frowick a rapidement mené à la fracture de la coalition gouvernementale ainsi qu’à la déstabilisation des institutions politiques, ce qui a également du même coup compromis le processus d’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne. Qui plus est, cette détérioration de la vie politique menant à l’ìmplosion sociale a également servi de prétexte à l’interférence politique, « humanitaire » et militaire des États-Unis, contribuant à l’affaiblissement des liens économiques et politiques de la Macédoine avec l’Allemagne et l’Union européenne. Soulignons qu’une des conditions de « l’accord d’association » est que la Macédoine devra se conformer aux « normes démocratiques européennes ». Inutile de préciser qu’avec un pays en guerre et un gouvernement totalement paralysé, le processus d’adhésion à l’Union européenne ne pourra se réaliser.

L’intention ultime de Washington est de freiner l’expansion de la sphère d’influence de l’Allemagne dans le sud-est de l’Europe par le blocage du processus d’élargissement de l’Union européenne. Dans la poursuite de ses intérêts stratégiques en Europe de l’Est et dans les Balkans, Washington a surtout privilégié le processus d’élargissement de l’OTAN. Prônée par l’administration Bush, cette stratégie vise à bloquer l’adhésion des pays d’Europe de l’Est et des Balkans à l’Union européenne.

Bien que le ton de la diplomatie internationale demeure poli, la politique étrangère américaine sous l’administration Bush est devenue carrément anti-européenne. Selon un analyste politique 0 « Au sein de l’équipe Bush, Colin Powell est perçu comme un ami des Européens, alors que les autres ministres et conseillers sont arrogants, durs et peu disposés à écouter ou donner une place aux Européens. »

L’Allemagne et les États-Unis

Il est avéré que la CIA appuie l’UCK et l’ALN responsable des attaques terroristes contre la Macédoine. Bien que les services secrets allemands (BND) aient, avant et durant la guerre de 1999, fourni un appui à l’UCK, il semblerait qu’ils ne soient pas impliqués dans les actions militaires de l’ALN menées contre la Macédoine.

Quelques semaines avant la signature de « l’accord d’association » avec l’Union européenne, les troupes allemandes stationnées dans la région de Tetovo en Macédoine furent « accidentellement » la cible de tirs de l’Armée de libération nationale (ALN). Les médias occidentaux – faisant écho aux déclarations officielles – ont tout de suite déclaré qu’il s’agissait d’un malentendu. Pourtant, des informations en provenance de Tetovo laissent croire à une action délibérée de la part de l’ALN, encadrée par des conseillers militaires américains. Chose certaine, l’incident n’aurait pas eu lieu si le BND allemand avait été impliqué avec l’armée rebelle.

Comble de l’ironie, deux des commandants de l’ALN, Adem Bajrami et un autre répondant au nom de guerre de Bilal, identifiés comme responsables des tirs contre les positions allemandes, ont été entraînés par les Forces spéciales britanniques. Ces deux commandants ont d’ailleurs déclaré qu’ils considéraient l’Allemagne comme un pays « ennemi » parce que les troupes allemandes stationnées en Macédoine et au Kosovo ont à maintes reprises (contrairement au comportement des militaires américains et britanniques) arrêté des membres de l’ALN à la frontière. Dans un article du Sunday Times de Londres (18 mars 2001), le journaliste Tom Walker rapporte les propos d’un porte-parole de l’ALN à Pristina. Celui-ci « avertissait la Bundeswehr que son intervention pourrait être interprétée comme une déclaration de guerre par la République fédérale allemande ».

En réponse à ces menaces, l’Allemagne envoyait en mars des troupes supplémentaires. Plus récemment, cependant, il s’avère que Berlin a choisi de retirer la plupart de ses troupes de la région de Tetovo et de ne pas s’opposer ouvertement à Washington. Des troupes allemandes ont quitté la zone des combats et sont maintenant stationnées au Kosovo.

Alors que les dissensions entre « alliés de l’OTAN » ne sont jamais rendues publiques, le ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer n’a pas hésité (sans mentionner le rôle de Washington) à s’en prendre directement devant le Bundestag aux « extrémistes albanais en Macédoine » en plaidant en faveur d’un « accord à long terme qui permettrait de rapprocher l’ensemble de cette région de l’Europe ». Cette position contraste avec celle des États-Unis, négociée par l’envoyé spécial Robert Frowick. La proposition américaine demande au gouvernement macédonien d’accorder l’amnistie aux terroristes et de modifier la constitution du pays pour permettre la participation des rebelles de l’ALN à la vie politique.

La guerre, la « dollarisation » et le Nouvel ordre mondial

L’affrontement entre l’Allemagne et les États-Unis dans les Balkans s’inscrit dans un processus beaucoup plus large qui frappe le cœur de l’alliance militaire occidentale. Depuis le début des années 1990, les États-Unis et l’Allemagne sont intervenus conjointement dans les Balkans en tant que partenaires au sein de l’OTAN, en coordonnant leurs initiatives militaires, d’intelligence et de politique étrangère.

Malgré les apparences, de sérieuses divergences ont vu le jour dans la foulée des Accords de Dayton de 1995, alors que les banques allemandes s’empressaient d’imposer le deutschmark et de prendre le contrôle du système monétaire des anciennes républiques de l’ex-Yougoslavie.

L’axe anglo-américain

Après la guerre de 1999 contre la Yougoslavie, les États-Unis ont renforcé leur alliance stratégique, militaire et des services de renseignement, avec la Grande-Bretagne, alors que celle-ci a rompu plusieurs de ses liens avec l’Allemagne et la France, particulièrement dans les domaines de la production d’armes et de l’aérospatiale.

Au début de l’an 2000, le secrétaire américain à la Défense William Cohen et son homologue britannique, Geoff Hoon, signaient une Déclaration de principes sur le matériel militaire et la coopération industrielle.

L’industrie de la défense américaine – qui inclut maintenant British Aerospace Systems dans son système d’appels d’offres – affronte le consortium franco-allemand EADS, un conglomérat formé du groupe français Aerospatiale-Matra, de la Deutsche Aerospace, qui fait partie du groupe allemand Daimler, et de la CASA espagnole. Une rupture est donc intervenue dans le complexe militaro-industriel occidental, avec les États-Unis et la Grande-Bretagne d’un côté et l’Allemagne et la France de l’autre.

Le pétrole, les armes et l’alliance militaire occidentale sont des processus intimement liés. L’objectif de Washington est d’assurer la domination du complexe militaro-américain en alliance avec les géants pétroliers anglo-américains et l’industrie de l’armement britannique. Ces développements ont évidemment un impact sur le contrôle des pipelines stratégiques et des différents corridors dans les Balkans, l’Europe de l’Est et l’ancienne Union soviétique. Cet axe anglo-américain est également marqué par une coopération plus étroite entre la CIA et le MI5 britannique, notamment en ce qui concerne l’entraînement des terroristes de l’UCK par les Forces spéciales britanniques (SAS).

Wall Street veut déstabiliser l’Euro

La protection des pipelines, l’appui en sous-main aux insurrections armées, la militarisation des corridors stratégiques font aujourd’hui partie intégrante de cet axe anglo-américain qui domine les routes du pétrole et du gaz en provenance de la mer Caspienne, par la Mer noire et les Balkans.

De façon plus générale, ce qui se produit actuellement dans cette vaste région reliant l’Europe de l’Est et les Balkans aux anciennes républiques soviétiques n’est rien d’autre qu’une ruée pour le contrôle du territoire et des économies nationales. Derrière ce processus, on voit se profiler le pouvoir financier de Wall Street – en alliance avec les géants de la Défense et du pétrole – pour déstabiliser et discréditer le deutschmark et, bien entendu, l’Euro, et imposer le dollar américain comme seule monnaie dans la région.

La « dollarisation » faite partie intégrante de l’expansionnisme américan. À cet égard, les manoeuvres militaires de Washington ne visent pas uniquement à contrer l’élargissement de l’Union européenne, mais également à miner la domination des grandes institutions bancaires allemandes, comme la Deutsche Bank, la Commerzbank et WestLandes Bank, à travers les Balkans.

Le Nouvel ordre mondial est marqué par une confrontation entre l’Europe et les États-Unis pour le contrôle des monnaies nationales et du marché des devises. Ce conflit entre blocs capitalistes s’intensifiera lorsque plusieurs centaines de millions de personnes en Europe de l’Est, dans les Balkans et dans les républiques de l’ex-Union soviétique jusqu’en Asie centrale commenceront à utiliser l’Euro plutôt que le dollar à partir du 1er janvier 2002.|201| 
268|L’évasion est illégale mais pas l’évitement|Benoît Perron|

Paradis fiscal 101



Présent au Québec depuis quelques années, Sovereign offre une formation complète sur les paradis fiscaux par l'entremise d'annonces placées régulièrement dans La Presse et Les Affaires. En association avec le Groupe Forsythe International Inc., les journées de formation se déroulent soit à l'Hôtel Crown Plaza à Montréal ou à l'Hôtel des Gouverneurs de l'Île Charron à Longueuil. Coût de la formation 0 150 $ plus taxes. Désireux d'en savoir davantage, j'ai composé le numéro de téléphone apparaissant au bas de l'annonce et c'est le directeur général Jacques Lépine en personne qui m'a répondu.

Je lui ai demandé s'il m'était possible d'assister à la formation qu'il offrait prochainement à l'Hôtel des Gouverneurs à titre de journaliste. Embarrassé, il m'a répondu que la présence dans la salle d'un journaliste pourrait indisposer certains de ses clients. Devant le mutisme de rigueur dans ce milieu cloîtré, j'ai dû revoir ma tactique. Quelques semaines plus tard, j'ai repris contact avec Lépine non pas en tant que journaliste mais en tant qu'investisseur potentiel. Sa réponse fut nettement plus favorable.

Jacques Lépine est consultant et directeur général de la firme Sovereign Company Services (Canada) Ltd de Saint-Léonard depuis trois ans. Il est détenteur d'un MBA (Maudit Baveux en Affaires, dixit Michel Chartrand). Avant de joindre les rangs de Sovereign, il dirigeait la International Company Services (USA) Ltd, une entreprise spécialisée dans les conseils professionnels sur l'évitement fiscal dans des paradis fiscaux.

Sovereign possède des bureaux un peu partout dans le monde 0 Îles Vierges Britanniques, Canada, République Tchèque, Gibraltar, Hong Kong, Irlande, Île de Man, Japon, Portugal, Russie, Espagne, Afrique du Sud, Îles Turks et Caïcos, Royaume-Uni, États-Unis et Grèce.

Tout ce que vous n’avez jamais osé demander sur les paradis fiscaux

Je me suis donc rendu tel que convenu à l'Hôtel des Gouverneurs de Longueuil par un magnifique jeudi ensoleillé suivre une formation authentique sur les paradis fiscaux. Après avoir acquitté les frais de 150 $ et m'être fait remettre des notes de cours d'une centaine de pages (en anglais et en français) intitulées Tout savoir sur les paradis fiscaux, j'ai pris place parmi un groupe d'environ 40 personnes.

Après s'être présenté, Jacques Lépine fait un tour de salle, question de mieux connaître les gens présents dans la salle. 75 % des gens présents sont des comptables venus écouter l'Oracle leur refiler les meilleurs tuyaux pour sortir l'argent du pays en toute légalité, tuyaux qu'ils factureront ensuite grassement à leurs meilleurs clients. Le reste est composé d'avocats, de fiscalistes et de quelques hommes d'affaires qui éviteront soigneusement de se nommer. Selon Lépine, la plupart des gens qui assistent à ses formations sont des comptables.

D'entrée de jeu, Lépine fait une mise en garde. Il ne veut pas inciter personne à faire de l'évasion fiscale (illégale) mais nous informer sur les paradis fiscaux qui existent dans le monde, comment y avoir accès, y faire des affaires en minimisant les impacts fiscaux de nos transactions grâce à l'évitement fiscal (légal). Lépine mentionne, pour mieux nous rassurer, que toutes les banques canadiennes sont installées dans des paradis fiscaux par l'entremise de filiales « off shore ».

Suivez l’exemple de Paul Martin

Les conseils qu'offre Lépine visent à exploiter les failles dans la loi anti-évitement canadienne et permettent à des margoulins de sortir leur argent du pays en toute impunité de façon légale. Pour Lépine, il est plus facile de sortir du fric du Canada que de le sortir de la France, parce que nos lois sont plus floues. Au Canada, pour éviter d'attirer l'attention du fisc, il faut faire des placements corporatifs avec motif commercial dans une corporation « off shore » (International Business Corporation ou IBC). C'est l'arme absolue de l'évasion fiscale et elle offre une confidentialité en béton pour les capitaux flottants d'origine douteuse ou mafieuse. Cependant, il importe de ne pas faire affaire dans le paradis fiscal avec une banque canadienne « off shore » pour éviter des pressions politiques pour retracer l'origine de l'argent douteux.

Toutes les raisons sont bonnes pour créer une IBC 0 investissement, location, gestion de portefeuille, import-export, assurances, brevets, holdings, expédition, etc. Dans ce dernier cas, Lépine cite comme exemple le ministre canadien des Finances Paul Martin qui utilise une IBC dans un paradis fiscal (Bahamas) pour éviter l'impôt sur sa flotte de navires, la Canada Steamship Lines. Pour Lépine, si Paul Martin le fait, c'est que cela doit être légal. À savoir si c'est moral, c'est une autre affaire.

Le fisc a l’œil sur les lettres en provenance des Bahamas

Un comptable dans la salle se lève et pose la question suivante à Lépine 0 lui est-il possible de devenir citoyen des Îles Turks et Caïcos tout en restant citoyen canadien pour ainsi pouvoir revenir à sa guise au Canada pour profiter de ses soins de santé exceptionnels et de sa qualité de vie, car il ne désire pas prendre toute sa retraite dans ce paradis fiscal ? Pour 50 000 $ US, Lépine peut vous procurer une seconde citoyenneté dans n'importe lequel paradis fiscal de votre choix et cela en un peu plus de 24 heures, et tout est légal.

Un homme d'affaires présent dans la salle demande à Lépine comment il pourrait s'y prendre pour « brouiller les pistes » au fisc canadien pour son IBC incorporée au Liechtenstein. L'homme a déjà séjourné trois mois dans ce paradis fiscal mais il ne s'y plaît pas et préfère vivre au Québec tout en ne payant que moins de 5 % d'impôts. Lépine lui a suggéré de venir le rencontrer à son bureau pour une consultation à 300 $ l'heure. Un détail pour quelqu'un qui ne paie presque pas d'impôts au pays. Pour des montages financiers plus complexes, Lépine fait affaire avec Me Marcel Racicot, avocat chez Desjardins, Duchesnes, Stein et Monast. Pour la constitution de fiducies « off shore », c'est l'avocate Ginette Méroz (présente lors de la formation) qui prend la relève.

Les services offerts par Lépine sont très nombreux, mais les plus prisés sont 0 création d'une fiducie active ou passive (2000 à 3000 $ US), création d'une corporation «off shore » (2000 $ US), ouverture d'un compte « off shore » (500 $ US), devenir un directeur nominal (nominees agent) ou agent de correspondance (750 $ US).

Le paradis terrestre, c’est un paradis fiscal

Lépine conclut la formation en jurant, la main sur le cœur, qu'il est là pour offrir des services internationaux et non pour juger de ce qui est bien ou mal pour ce qui est de placements ou d'investissements étrangers. Ponce Pilate a dit sensiblement la même chose il y a 2000 ans, en pleine décadence.

J'ai quitté l'Hôtel des Gouverneurs en état de transe, la tête remplie de projets. Désormais, je pourrais moi aussi utiliser le système en toute impunité, légalement et jouir d'une retraite dorée à 40 ans. Liberté 55, c'est pour les paumés. Il suffit d'avoir le fric et les contacts et faire comme tous les autres margoulins dont le seul objectif est de prendre l'oseille et de se tirer ! Pendant 2000 ans, et question de nous garder sous sa tutelle, l'Église nous a promis le paradis à la fin de nos jours. Une fadaise. L'Oracle Lépine m'a promis un paradis fiscal sur le champ, la culpabilité en moins. Pour ce qui est de la morale... enfin !

Ça dure depuis l’Antiquité

Loin des yeux, loin de l’impôt

Jacques Lépine définit le paradis fiscal comme étant un pays, qu'il soit sur un continent ou sur une île, où les impôts sont tenus au niveau zéro ou à un niveau très bas. Les paradis fiscaux existent depuis l'Antiquité mais se sont surtout développés à partir de 1945. Les grands États y voyaient l'occasion de faciliter certaines opérations, tandis que les petits États y voyaient le moyen d'attirer des capitaux. L'expression «off shore » (loin du rivage) est utilisée par analogie avec les bateaux qui, hors des eaux territoriales américaines, permettaient de boire et de jouer en paix au temps de la prohibition (1920-1930). D'ailleurs, c'est durant cette période que naissent des paradis fiscaux pour des motifs économiques, destinés à soustraire les fortunes privées à l'impôt0 Île de Man, Bahamas, Liechtenstein, Suisse, Luxembourg, etc. Un bon paradis fiscal doit garantir trois choses 0 un excellent secret bancaire, une fiscalité très basse (moins de 5 %) ou inexistante et une excellente protection juridique (le paradis fiscal ne doit pas reconnaître les crimes commis en dehors de sa principauté).

Une deuxième citoyenneté dans les vingt-quatre heures

Selon le gourou Lépine, les paradis fiscaux ne veulent pas l'argent sale issu du trafic de drogue et des armes, mais acceptent volontiers l'argent provenant de l'évasion fiscale en toute confidentialité. Cependant, pour profiter pleinement d'un paradis fiscal, certaines précautions doivent être prises. Celui qui incorpore une compagnie enregistrée dans un paradis fiscal (qui n'est en réalité qu'une vulgaire boîte aux lettres) doit s'assurer que la correspondance postale n'est pas envoyée à son adresse postale au Canada. Lépine mentionne que dans les années 80, le gouvernement canadien avait demandé à ses fonctionnaires postaux d'ouvrir toutes les correspondances en provenance des Bahamas, de refiler les noms à Revenu Canada, de refermer les enveloppes et de les expédier à leur destinataire canadien. Puis Revenu Canada a attendu la période des impôts pour voir quels contribuables effectueraient de fausses déclarations d'impôt.|201| 
269|D'une lune à l'autre|Élaine Audet| Des paroles de femmes, lues, vues, entendues après le Sommet des peuples se dégage nettement la nécessité de resserrer nos liens de solidarité tout en laissant chaque personne choisir le moyen d'action qui lui convient le mieux. L'accent est mis sur la nécessité d'une stratégie capable de renverser le rapport de forces qui, non seulement détruit la souveraineté des peuples au nom du profit mais, comme le dit si bien Louise Vandelac, nous fait sortir en douce de l'espèce humaine.

La diversité des voix fait désormais partie de notre paysage politique et de notre force commune.

La façon dont les médias ont couvert presque exclusivement les affrontements entre les policiers et une partie des forces antimondialisation a donné à penser qu'il y avait une scission entre la grande manifestation populaire du 21 et les groupes de désobéissance civile non violente contestant les décisions en vase clos du Sommet des 34, la violence institutionnalisée de l'État, la présence provocatrice du mur de la honte et d'un contingent disproportionné de policiers armés jusqu'aux dents.

Comme l'a très bien dit Nicole Nepton, créatrice avec Colette Lelièvre de l'excellent site Cybersolidaires (http0//pages.infinit.net/ffranco) 0 « Il n'y avait pas séparation entre les deux, mais un va-et-vient incessant, histoire de respirer un peu d'air frais. J'espère bien que les groupes de femmes et les groupes communautaires ont compris que la désobéissance civile non violente et l'exploitation efficace d'Internet sont devenues des armes incontournables si on veut changer notre monde injuste. Les autres moyens de pression ne fonctionnent plus ou si peu, tout en exigeant une quantité énorme de travail. »

L'apprentissage dans l'action

Plusieurs femmes ont souligné la solidarité, des sexes, des genres, des générations, des diverses communautés ethniques dans l'action. Face à la violence des forces de l'ordre, des milliers de manifestantEs pacifiques se sont forméEs sur le tas et seront mieux en mesure à l'avenir de répondre adéquatement à la répression policière. Les moyens de lutte ne devraient pas être une cause de dissension au sein des forces progressistes. Seuls le pouvoir et ses haut-parleurs médiatiques ont intérêt à instaurer une telle division.

Une manifestante qui signe Caroline a écrit sur la liste Net-femmes (http0//netfemmes.org) un témoignage éloquent et fort bien tourné sur la solidarité vécue 0 «En tout cas touchons du bois, ils n'ont pas encore réussi à nous diffuser des gaz anti-pensée; ils se les gardent pour eux. Leurs scénarios continuent d'être nuls, sans originalité, mais je vous invite malgré tout à vous joindre à nous lors de la prochaine représentation. Le spectacle y gagnera si le concept interactif est plus soutenu. […] Pendant ce temps, des filles ont réussi à filmer l'histoire “ hot ” 0 la côte d'Abraham et les câlines de pentes à pic et picantes où, en ce samedi après-midi ensoleillé, il y avait tellement de gaz et de poivre que le seul moyen de respirer et que ça cesse de brûler était… de faire des feux pour neutraliser la saudite chimie. Comme quoi il était encore assez facile de se foutre de la gueule des carapaçonnés. Y verra-t-on ces instants magnifiques où un archi-méchant anarchiste couvert du fameux masque à gaz, me bousculant archi-légèrement au passage, a pris le temps de dire “ excuse” alors qu'il courait vers les explosions ? Ou encore ce punk rondelet de ma connaissance venant vers moi et soulevant son masque à gaz comme on lève son chapeau pour saluer, qui s'assurait que j'aie assez de vinaigre. »

Madeleine Parent et la parole des femmes

Le 21 avril, à la grande manifestation des peuples des Amériques, on a pu voir à la tête du contingent des femmes 0 Madeleine Parent, Nora Cortiñas d'Argentine, Marta Buritica de Colombie, Rosangela de Souza de Calzavara. Des femmes de luttes, de continuité, de solidarité indéfectible. Madeleine Parent, qui a participé à plusieurs activités du Sommet des peuples, a été frappée par le fait que les femmes ne cèdent plus leur place aux hommes et que, dans les ateliers, autant sinon plus de femmes prenaient la parole avec conviction, connaissance des conditions et conscience des droits. On assiste maintenant, dit-elle, à des conférences d'hommes, de femmes et de jeunes qui ne veulent pas que la planète soit complètement empoisonnée avant qu'ils deviennent adultes. Pour elle, il faut donner le crédit de ces changements à la Marche mondiale des femmes de l'an 2000, lancée par la FFQ.

On ne s'étonnera pas d'entendre que Madeleine Parent est une des plus farouches adversaires de la ZLEA ! Elle s'indigne d'abord de la déclaration de Jean Chrétien selon laquelle seuls des pays démocratiques ont été invités au Sommet. Elle rappelle, entre autres exemples, que la Colombie a le record mondial des assassinats de syndicalistes par les paramilitaires. Dans les régions du pétrole et de la banane, on les kidnappe et on ne les revoit plus. En Bolivie, les gens luttent pour empêcher les grandes compagnies de s'approprier l'eau potable, mais le gouvernement favorise ces dernières en faisant de l'eau une marchandise alors que les gens en ont besoin pour leur vie. De beaux exemples de démocratie, en effet !

Elle dit avoir beaucoup de sympathie pour les militantEs qui ont affronté les forces policières. Elle comprend très bien que les jeunes aient ressenti l'insulte de ce mur de la honte dressé dans la belle ville de Québec. Face à la répression de la part de 2000 policiers équipés jusqu'aux dents pour faire peur à n'importe qui, les manifestantEs ont agi avec beaucoup de courage, d'astuce et d'humour, pense-t-elle, sans tomber dans le panneau des agents provocateurs. Pour Madeleine Parent, il est clair qu'à moins que la Charte des droits et les lois aient primauté sur le désir de profits et les droits commerciaux des richissimes, nous vivrons de terreur en terreur. (Source 0 entrevue Indicatif présent SRC)|201| 
270|« Bush, malgré son petit air benêt, est très dangereux »|Monique Foley|

Entrevue avec Solanges Vincent



J’ai connu Solanges Vincent au début des années 80 quand je suis entrée dans la militance par la porte de l’anti-nucléaire. J’avais trouvé un article sur Solanges qui avait commencé à militer dans sa cuisine. J’étais impressionnée et je me disais qu’avec des gens comme elle, ça valait la peine de continuer...

Solanges, une de MES AMIES DE FILLES (émission de radio, voir l’aut’journal, mars 2001), auteure, conférencière et militante, a bien voulu laisser de côté son humilité coutumière pour m’accorder cette entrevue que j’ai réalisée chez elle à Montréal, le 5 mai dernier, la veille de ses 74 ans. Elle est maintenant à la retraite, forcée par sa santé, et continue de se tenir informée.

Un apprentissage précoce

MF 0 Solanges, toi, la militante de longue date, contre le nucléaire et les jouets militaires, pour la paix et la justice, tu as fait le lien avec la domination des femmes et celle de la planète, la base de l’écoféminisme, et j’en passe ! Comment tout ça a-t-il commencé pour toi ?

SV 0 J’ai commencé très jeune à être curieuse. Chez nous, ça discutait ferme ! On s’intéressait à ce qui se passait. Je lisais le journal à 6 ans ! Mes parents me permettaient de veiller tard pour écouter les derniers résultats des élections à la radio.

Je suis née à Pointe-Saint-Charles, la deuxième de quatre enfants. J’avais trois ans quand on est allé vivre à la campagne à Saint-Hubert et six ans lorsqu’on est revenu à Montréal, tout un contraste...

C’était la crise, mon père démarrait un commerce qui lui prenait beaucoup de temps et maman s’occupait des enfants. Grand-mère militait à sa façon en fabriquant des choses pour des gens qui en avaient besoin. D’ailleurs, elle a été un modèle extraordinaire pour moi. Elle m’a donné de la force dans les bouts difficiles, l’Évangile aussi. Pour moi, ça a toujours été vrai qu’on est responsable les uns des autres. L’important ce n’est pas tant la religion que les personnes qui vivent un amour de Dieu vrai dans le quotidien, c’est comment je les vois mener leur vie et leurs engagements.

Déjà, à 12 ans au couvent, je contestais les religieuses qui disaient que nos parents nous aimaient mieux vu qu’ils nous plaçaient pensionnaires, et que les autres filles étaient moins chanceuses. Moi qui rêvais de justice sociale, je ne trouvais pas ça très chrétien ! Rappelons-nous qu’avant le rapport Parent, il n’y avait pas d’éducation secondaire publique pour les filles.

L’engagement politique

Je me suis mariée à 22 ans et j’ai eu six enfants. Je me tenais informée, mais n’ai commencé à militer que vers les années 60, au NPD, au PQ et dans divers groupes par la suite. Je vivais dans un milieu assez aisé et ce que je voulais pour mes enfants, je le voulais pour tous. Dans un secteur de Montréal, le niveau de mortalité infantile égalait celui du tiers-monde !

Pour bien parler de répartition des biens, il fallait s’informer. J’organisais des conférences... Il n’y avait pas beaucoup de femmes, mais après ça, certaines sont restées actives, avec des préoccupations autres que simplement électoralistes.

La question des femmes

En 65, j’ai commencé à la Voix des femmes, on travaillait entre autres pour la paix, pour que le Canada ne vende plus d’armes et de napalm au Vietnam. Claire Culhane, dont j’admirais le courage, a passé plusieurs semaines devant le Parlement à Ottawa à son retour du Vietnam où elle était allée comme infirmière. Elle avait demandé aux gens là-bas ce qu’elle pouvait faire, ils lui ont répondu de retourner chez elle arrêter la guerre au lieu de venir au Vietnam pour réparer les dégâts !

Vers 1976, j’ai fondé un centre de femmes cheffes de famille. C’était juste avant mon divorce et je me disais qu’ensemble on pouvait s’épauler. On faisait du bon travail, comme une garderie, du recyclage académique et même en sauver quelques unes de la violence... L’année suivante, le gouvernement l’a transformé en centre de loisirs ! Ils n’avaient pas apprécié qu’on occupe un bureau d’aide sociale...

Vers 1980, il y a eu Action Travail des femmes, une époque importante parce que j’ai pu construire quelque chose en trois ans, pour moi c’était du long terme! J’élaborais des projets dont plusieurs se sont concrétisés, comme un cours d’horticulture parrainé par le Jardin botanique. On avait travaillé fort, surtout Simone Bernier, et le cours se donne encore.

La fiction nucléaire

MF 0 1978 dans ta vie, ça a été un tournant ?

SV 0 Oui, un divorce, un diplôme de traduction et un déménagement à Québec avec ma fille de 15 ans, la plus jeune. C’était l’année de la fondation des AmiEs de la Terre de Québec avec Michel Jurdant et la question énergétique prenait beaucoup d’importance au Québec.

J’ai participé à une recherche sur le nucléaire pour un film de l’ONF en 1979 La fiction nucléaire dont j’ai tiré un livre du même nom. Des journalistes de Québec Science avaient aussi publié un livre sur le sujet. Je disais parfois en plaisantant 0 si vous voulez savoir comment ça devrait marcher, faut lire ce livre-là. Pour savoir comment ça marche en réalité, c’est mieux de lire le mien !

Il fallait reconnaître que le développement nucléaire s’est fait pour des compagnies privées avec des fonds publics et que les contribuables y ont perdu au change.

Ça n’avait aucun sens, on avait déjà des surplus qu’ils ont été obligés de donner à Alcan et d’autres parce qu’ils n’arrivaient pas à les vendre au prix réel. Tout ça, sous la pression des prêteurs des États-Unis.

Aujourd’hui avec Bush, ça continue...

L’avenir selon Bush

MF 0 Si ta santé ne t’avait pas forcée à arrêter de militer en 1995, ton choix de militance se dirigerait vers quoi aujourd’hui?

SV 0 Contre la militarisation ! Pour contrer l’armement, les ventes d’armes au tiers-monde... Rien n’est réglé... Le budget de guerre US est de 300 milliards $ et on parle d’un bouclier anti-missile qui va coûter 100 milliards ! Quant à notre participation à la station spatiale, si on n’a pas les moyens de soigner les malades, on n’a pas les moyens de faire des sparages dans l’espace ! C’est ça que je combattrais... Surtout maintenant avec Bush qui, malgré son petit air benêt, est très dangereux. Il n’y a que des faucons dans son entourage, des gens qui veulent la guerre, qui veulent détruire...

La lutte contre la ZLEA, c’est une lueur d’espoir

MF0 Les mêmes luttes, est-ce que ce n’est pas désespérant ?

SV0 Quelqu’un a déjà dit qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Je continue de croire qu’il va y avoir un changement, même si je ne sais pas comment ni d’où il va venir. Pour le moment, il faut résister.

L’organisation contre la ZLEA, c’est une lueur d’espoir, ça rassemble toutes les luttes, et il ne faudrait pas que ça tombe à plat. Et pour être efficaces, les luttes devront être internationales. La mondialisation des solidarités est essentielle ainsi qu’une réévaluation des vrais besoins. Je suis toujours scandalisée de voir le gaspillage actuel, qui prend des ressources précieuses...

MF0 Parfois, on se dit que la machine est trop grosse, qu’on ne peut rien y changer, qu’est-ce que tu dirais pour nous aider à continuer?

SV0 Si on ne fait rien, c’est sûr qu’il n’arrivera rien... Et si on fait quelque chose, ensemble, on a des chances...|201| 
271|L’Amérique de la Grande Paix de Montréal|Michel Lapierre| Le 4 août prochain, nous célébrerons le tricentenaire de la Grande Paix de Montréal (1701-2001), traité que nous avons conclu solennellement, d’une part, avec les Iroquois, nos anciens ennemis qui habitaient l’actuel État de New York, et, d’autre part, avec plus de trente nations amérindiennes, dispersées à travers le continent, avec lesquelles nous étions déjà alliés.

Cette commémoration n’aura pas de sens, si nous oublions que le dernier des grands chefs indiens, le symbole même de la résistance des autochtones, le gibier numéro un du FBI, parle joual, s’enorgueillit d’avoir du sang québécois et languit toujours dans un cachot du Kansas, après un quart de siècle d’emprisonnement. Le seul crime de Leonard Peltier est d’être sauvage, d’être le Sauvage, le grand Sauvage invincible. Âme de l’American Indian Movement, Peltier apparaît comme l’héritier de Crazy Horse et de Sitting Bull, ou plus exactement du Joual Fou et du Beu Assis ; car l’Amérique de Leonard Peltier, c’est notre Amérique à nous autres. Ce n’est pas celle des Anglais. C’est celle des coureurs des bois, de Kondiaronk (dit le Rat), de Pontiac, de Gabriel Dumont et de Louis Riel. C’est l’Amérique de la Grande Paix de Montréal.

Une Amérique indienne et québécoise

Dans La Grande Paix 0 Chronique d’une saga diplomatique, très beau livre illustré qui vient tout juste de paraître, l’historien Alain Beaulieu et l’anthropologue Roland Viau font ressortir, avec beaucoup d’à-propos, cette fusion entre l’Amérique indienne et l’Amérique québécoise, réalité géopolitique dont Leonard Peltier est, aujourd’hui, l’expression ultime. En abordant la genèse du traité de 1701, ils rappellent le rôle majeur qu’y ont joué nos truchements, qui connaissaient à fond les langues amérindiennes.

Si habile que fût le gouverneur Louis-Hector de Callière, il n’aurait pas pu accomplir l’exploit diplomatique de la Grande Paix sans l’aide de ces interprètes ensauvagés et de tous les coureurs des bois qui avaient su pénétrer un monde inaccessible aux Européens restés sur leur quant-à-soi. Ce n’est pas la France qui a réellement conclu la Grande Paix, c’est nous autres qui l’avons fait.

L’un des artisans de cette paix de 1701, le truchement Louis-Thomas de Joncaire était certes né en France, mais, dans sa prime jeunesse, il eut la chance de se faire capturer par la nation iroquoise des Tsonnontouans et de devenir l’un des leurs, donc l’un des nôtres. Gratifié du baptême de la forêt, il eut peu de chose à envier à un autre interprète, né à Montréal dans la grande famille des Le Moyne 0 Paul de Maricourt, qui, adopté par les Iroquois sous le nom de Taouestaouis, fut notre ambassadeur auprès d’eux et ouvrit, lui aussi, la voie à la Grande Paix.

Et ils étaient loin d’être les seuls à plonger la tête la première dans l’univers amérindien. On estime qu’avant 1700 un homme adulte sur deux, dans la vallée du Saint-Laurent, a passé au moins une saison dans la « grande sauvagerie ». Selon Marie de l’Incarnation, « on fait plus facilement un sauvage avec un Français qu’un Français avec un sauvage ».

Même les Anglo-Saxons admettaient que notre connaissance des Amérindiens était de beaucoup supérieure à la leur. Comme le signalent Beaulieu et Viau, le gouverneur de la colonie de New York, à l’époque de la Grande Paix, reconnaissait qu’aucun de ses interprètes ne pouvait rivaliser avec les nôtres. Notre langue a été, avant l’anglais, la langue commerciale de l’intérieur de l’Amérique du Nord. En 1836, dans Astoria, Washington Irving atteste qu’ « un patois français brodé de phrases anglaises et de mots indiens » est encore la langue de la traite des fourrures, à l’ouest du lac Supérieur.

Les lois implacables de la démographie sont la cause première de la Grande Paix et de toutes nos autres alliances avec les Amérindiens. Nous avions besoin d’eux; ils avaient besoin de nous. En 1701, nous n’étions que 18 000 devant 250 000 colons britanniques, population quatorze fois plus nombreuse que la nôtre. Les Amérindiens étaient confrontés au même adversaire, le seul qui fût vraiment redoutable 0 l’Anglais.

Beaulieu et Viau rappellent que si, vers 1500, le nord-est du continent comptait quelque 350000 autochtones, il n’en restait plus que 96 000 en 1650 0 une baisse de 73 pour cent, causée essentiellement par l’action meurtrière des microbes transmis par les Européens, phénomène qui, à l’époque, tenait du mystère le plus total. Décimés par les maladies et par les multiples guerres qu’ils avaient menées contre nos alliés indiens et contre nous, les Iroquois avaient vu le nombre de leurs guerriers passer de 2 550, en 1689, à 1 230, en 1698. Ils avaient donc intérêt à se rapprocher de nous.

Au grand déplaisir des Britanniques, les nations iroquoises, y compris celle des Agniers qui le fait officieusement, concluent la Grande Paix de Montréal. La faction qui nous favorise au sein de la confédération iroquoise sent bien que les Anglais constituent la vraie menace. Dans le traité, nous confirmons notre alliance avec les nations amérindiennes amies, comme les Hurons, les Algonquins et les Outaouais, et obtenons d’elles la promesse qu’ils n’attaqueront plus les Iroquois avec lesquels, par la même entente, nous signons nous-mêmes l’armistice. En retour, les Iroquois s’engagent à vivre en paix avec nous et nos alliés. Ce qui implique qu’ils resteront neutres si les Anglais attaquent notre coalition.

Le dernier des grands chefs indiens parle joual

Acte de naissance occulté de l’Amérique du Nord, pacte fondé sur l’égalité et la nécessité, la Grande Paix est une confédération bien à nous, la marque de notre propre vision du Nouveau Monde. Elle dépasse de beaucoup la Constitution américaine de 1787 et l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, car elle témoigne de notre ouverture au véritable univers du continent 0 l’univers amérindien. À l’origine, nous étions une nation sauvage embryonnaire parmi les nations sauvages adultes. Au début du XVIIe siècle, Champlain ne retrouva pas les villages iroquoiens que Cartier avaient visités au siècle précédent. En nous établissant sur les bords du Saint-Laurent, nous n’avons pas délogé d’Amérindiens. Nous avons façonné un homme nouveau, d’esprit et, parfois même, de sang indigènes 0 l’homme de la complémentarité, le sauvage universel.

Leonard Peltier en est la saisissante incarnation. Dans son émouvante autobiographie, Prison Writings 0 My Life Is My Sun Dance, il précise que son nom devrait s’écrire Pelletier. En plus du sang indien, coule dans ses veines le sang de nos voyageurs. Peltier avoue « tirer une véritable fierté » de ce sang québécois qu’il qualifie de « holy blood », en l’élevant au même degré que celui de ses ancêtres sioux et ojibwés.

Peltier est né, en 1944, à Grand Forks, dans le Dakota du Nord. Quelques années après sa naissance, ses parents se séparent. Le jeune Leonard est élevé par ses grands-parents. Sa grand-mère, Mary Dubois, qui ne parle presque pas anglais, lui apprend la langue des métis, un mélange de mots indiens et de mots canayens. Cette langue qu’il considère comme sa seule vraie langue, Peltier la parle en cachette, à l’école primaire, avec ses petits camarades, au risque d’être battu. Le Bureau of Indian Affairs, qui administre l’école, se fait un point d’honneur d’imposer l’anglais.

L’expression naturelle de l’humanité

Ce n’est là qu’un aspect d’un plan d’assimilation forcée, vieille politique que le gouvernement américain accentuera, sous Eisenhower, en décrétant l’abolition graduelle des réserves et le déplacement des Indiens vers les villes. Ces mesures contribueront à susciter une prise de conscience identitaire et à donner naissance, en 1968, à l’American Indian Movement, auquel Peltier adhérera. Ce mouvement de résistance, où la fierté ancestrale se conjugue à l’esprit de la gauche internationale, est fondé à Minneapolis, dans nos anciens Pays d’en Haut, par des Ojibwés, dont la langue est parsemée de mots bien canayens.

En 1973, l’American Indian Movement organise le « siège » de Wounded Knee, au Dakota du Sud, pour commémorer le célèbre massacre des Sioux qui, perpétré en 1890 par la Cavalerie américaine, marquait l’achèvement de la conquête sanglante de l’Ouest par les Anglo-Saxons. Dans la foulée des nouvelles revendications amérindiennes, Leonard Peltier, traditionaliste et pacifique, doit protéger ses semblables contre d’autres Amérindiens, de prétendus guerriers manipulés par des agents gouvernementaux. À la suite d’une fusillade survenue en 1975, on l’accusera d’avoir tué deux agents du FBI, sans en fournir la moindre preuve.

Dans ses écrits de prison, Peltier se montre préoccupé par l’avancement des siens, au jour le jour, et fait appel à la compréhension universelle. Les Amérindiens sont, pour lui, « la voix de la terre », l’expression naturelle de l’humanité. « Nous sommes votre propre conscience, celle qui vous interpelle. Nous sommes vous-mêmes, criant au tréfonds de vous-mêmes, sans être entendus », confesse-t-il. C’est bien la voix de la Grande Paix de Montréal, le cri de l’Amérique québécoise.

Alain Beaulieu et Roland Viau, La Grande Paix, Libre Expression, 2001.

Leonard Peltier, Prison Writings, St. Martin’s Griffin, 2000.|201| 
272|Enfant de ses livres|Michel Lapierre|

Livre 0 « Vous blaguez sûrement... »



Dans sa correspondance avec François Hébert, le docteur Ferron avoue qu’il a raté le roman de sa vie, Le Pas de Gamelin, échec qui l’entraînera vers la mort. Pour une fois, le conteur d’historiettes se prenait au sérieux. Il se voulait écrivain, c’est-à-dire rival de Dieu. Ce fut son plus grand malheur. Ferron oubliait une vérité élémentaire qu’il rappelle lui-même à Hébert 0 « Un auteur en définitive est toujours l’enfant de ses livres. »

« J’ai beaucoup réfléchi sur notre sort, écrit Ferron quelques années avant de mourir, je n’ai pas trouvé le génocide en douce de Vadeboncœur, mais un ethnocide, une mort de l’âme et du courage. » Le Grand Roman québécois, cette épave de nous-mêmes, reste dispersé en mille miettes lumineuses dans les livres de Ferron, le grand écrivain vaincu.

« Vous blaguez sûrement... », Correspondance (1976-1984), Jacques Ferron et François Hébert, Lanctôt Éditeur, 2000|201| 
273|Où es-tu Camille, maintenant qu’on a besoin de toi ?|Jean-Claude Germain| Peu importe la civilisation, le pays ou le patelin, tous et chacun se distinguent par leur façon d’embabouiner la population 0 du pain et des jeux pour les Romains, du sang et des sacrifices pour les Aztèques, du popcorn et Walt Disney pour les Américains.

Au Québec, chaque fois que les oiseaux volent bas, que la vie est poche et que le ciel est moche; lorsque les chats sont nerveux et les enfants malcommodes; chaque fois que les ponts sont bloqués; lorsque les files d’attente s’allongent, les portes d’ascenseurs coincent et que les urgences débordent; quand le taux d’endettement grimpe et que le taux des suicides dépasse le taux des décrochages et des licenciements; lorsque le niveau de l’eau baisse; quand les indicateurs de la Bourse et la productivité sont en chute libre; lorsque la participation aux activités communautaires socio récréatives comme le bingo, le PQ ou la loto est en régression; quand les rondelles n’arrivent plus à retrouver le chemin du filet et les cartes de crédit la fente du guichet automatique; quand on ne peut plus tergiverser plus avant, branler dans le manche ou stâller plus longtemps; quand on a usé de tous les atermoiements, étiré tous les délais et épuisé tous les recours 0 le temps est venu de lancer une nouvelle campagne du Bon parler français. Ça marche à tout coup.

Les campagnes du Bon parler

C’est le seul secret d’État que les premiers ministres québécois sont tenus de transmettre à leur successeur au moment de la passation des pouvoirs. Lorsque rien ne va plus, cher collègue, blâmez l’orthographe et la grammaire pour toutes les fautes de la société. C’est une riposte imparable pour détourner l’attention et occulter les débats.

Cela dit, les campagnes du Bon parler qui monopolisent invariablement toutes les tribunes médiatiques n’ont jamais obtenu et n’obtiendront jamais le moindre succès auprès des classes populaires. Il y a une belle lurette que ces dernières ont compris que le droit de parole et la bouche en cul de poule ne sont pas synonymes.

On juge une langue à ses silences

Si la provocation avait été la seule raison d’employer le joual au théâtre dans les années 70, la langue populaire ne se serait pas imposée sur toutes les scènes québécoises depuis. Le but premier de la dramaturgie d’alors était de tendre un miroir aux spectateurs où ils pouvaient se reconnaître dans leurs mots, leurs sentiments, leurs revendications, leurs rêves, leurs mythes; bref, habiter leur langue dans tous ses états, ses registres, ses images, sa poésie, sa respiration et ses non-dits, qui donnent corps et résonance au silence que les spectateurs partagent dans une salle de théâtre.

La différence entre le français de France et le québécois, ce sont les silences. On ne se tait pas devant les mêmes choses. Et on pourrait même ajouter qu’il nous arrive de nous taire parce qu’on manque de mots, devant ce qui nous dépasse.

Quand le miroir est français, le reflet n’est pas québécois

Avant l’avènement du théâtre québécois, la question du français parlé au Québec n’avait jamais été posée dans le contexte global d’une culture autonome. Pendant plus de cent ans, le questionnement traditionnel s’est résumé, et se résume toujours, à un face-à-face avec un miroir français qui s’obstine à ne pas refléter l’image québécoise de son interlocuteur, lequel, pour sa part, n’arrive pas à définir si le problème, c’est lui ou si c’est le miroir ?

Nous voulons absolument que l’anglais soit du français, et nous croyons y parvenir en employant des mots qui, pris isolément, sont français, mais qui, réunis, forment très bien des tours de phrases essentiellement anglais, notait déjà Arthur Buies en 1888.

Une schizophonie aiguë

Voilà pour le diagnostic ! Une schizophonie aiguë. Vingt cinq ans plus tard, Olivar Asselin pousse plus avant l’étude du cas. Il y a parmi nous toute une école qui croit que dans l’ordre intellectuel la langue peut vivre indépendamment de la pensée. C’est ce groupe qui est responsable de la médiocrité presque générale de notre enseignement secondaire, encore plus à déplorer que les défauts de notre enseignement primaire, souligne le pamphlétaire. D’autres, assez intelligents pour comprendre la relation du cerveau à la langue, ne veulent pas de la pensée française tout bonnement parce que c’est la pensée française. Si elle venait d’Angleterre, d’Allemagne, de Russie ou de Patagonie, la pensée française ne les effraierait pas, mais comme la pensée française doit, dans l’ordre naturel des choses, venir de France, la pensée française est chose dangereuse.

Une catatophonie avancée

Pour l’école maniaco-dépressive de Jules Fournier, le diagnostic doit être revisé 0 la schizophénie est une catatophonie avancée. De cerveaux à moitié noyés et dissous dans l’à-peu-près, vous ne tirerez pas, quoique vous fassiez, un langage précis, correct, français, en un mot, vous ne ferez pousser des pommes excellentes sur un vieux pommier tout branlant et tout rabougri, soupire le polémiste fatigué. Ce ne sont pas les fruits qu’il faut soigner 0 c’est l’arbre; ce n’est pas notre langage 0 c’est la mentalité qui le produit.

Le mal vient de l’école mais se loge dans la tête

Quinze ans plus tard, nous entrons dans l’ère des experts. Le behaviorisme et la neurologie sont à la mode. You are what you learn! It’s all in the head ! L’ophone n’est plus le seul responsable de sa schizophonie. S’il s’en trouve un si grand nombre parmi nous qui, à leur langue maternelle, préfèrent l’anglais, n’en blâmons point les circonstances, le milieu, l’environnement. L’éducation qu’ils ont reçue en est seule coupable. Pourquoi parleraient-ils français puisqu’on ne leur a jamais appris à penser en français ? Qu’on délaisse donc les mots une bonne fois et qu’on s’occupe enfin des cerveaux. C’est là qu’est le mal, pas ailleurs, décrète Victor Barbeau, qui n’hésiterait pas à prescrire l’électrochoc pour sortir la population de sa médiocrité intellectuelle.

Vers la fin des années cinquante, c’est un traducteur de métier, Pierre Daviault, qui débusquera le virus qui fait tant de ravage dans le cerveau appauvri des Québécois. La traduction a saboté le vocabulaire et ce sont les traducteurs qui créent la plupart des anglicismes dont notre langue est infestée. Nous en sommes au point où nous ne pensons plus français ni anglais, nous pensons traduction.

Le docteur Laurin, unique et sans égal

Depuis maintenant plus d’un siècle, peu importe le diagnostic – ou, ces jours-ci, la statistique – la médication linguistique est toujours la même 0 il faut guérir la langue par la langue.

Le seul homme politique qui, dans toute l’histoire du Québec, a su proposer et imposer une approche autre que celle d’une campagne du Bon parler a été le docteur Camille Laurin.

Il revenait à un authentique psychiatre d’établir que la schizophonie n’était pas une maladie, mais un symptôme. Si le Québec a mal à sa langue, c’est que le corps entier de la nation est malade. Et c’est tout le corps qu’il faut guérir, répétait le docteur, au moment de l’adoption de la loi 101, en 1977.

La Charte de la langue française n’est rien d’autre que le geste d’un peuple qui est résolu à vivre sa vie, rappelait Camille Laurin, lors du débat en 3e lecture. Ce n’est pas au nom d’une vénération inconditionnelle pour la langue française prise comme une abstraction que le Québec se donne maintenant cette loi historique. C’est au nom du respect de soi-même.

Le miroir de Lucien Bouchard

Le premier ministre Lucien Bouchard, on s’en souvient, avait des problèmes avec son miroir lorsqu’il oubliait de lui parler anglais. Ce qu’on ignore généralement, c’est qu’il en avait de plus graves encore lorsque le miroir lui répondait avec la voix posée et calme du docteur Laurin.

La sainte colère que monsieur Bouchard a piqué à Nicole Boudreau en 1997 en fait foi. Le seul fait d’apprendre que cette dernière était à organiser une manifestation publique pour souligner le vingtième anniversaire de l’adoption de la loi 101 avait fait sortir le chef du PQ de ses gonds. À la fin de la rencontre, Lucien n’avait pas décoléré de tout l’entretien. Son seul regret était de ne pas pouvoir interdire l’événement.

Lorsque le président de la Commission des États généraux sur l’avenir de la langue recommande, comme avant la loi 101, la mise sur pied d’une vaste campagne pour stimuler la fierté du Bon parler, on peut être assuré que Lucien Bouchard n’a pas seulement transmis le secret des premiers ministres à son successeur, il lui a également légué son miroir.|201| 
274|Des Juifs contre l’occupation|Jacques Larue-Langlois| L’un est Juif, l’autre Palestinien. Tous deux, vieux copains de l’enseignement, ont formé PAJU (Palestiniens et Juifs unis), un groupe de protestation dirigé contre l’attitude de l’État d’Israël dans le conflit qui l’oppose aux Palestiniens. Conjointement avec une vingtaine de regroupements semblables nés dans des grandes villes américaines sous le vocable d’Alliance juive contre l’occupation, PAJU s’efforce de contribuer à mettre sur pied un grand mouvement de protestation du genre de ceux qui ont contribué à mettre fin à la guerre du Vietnam et à l’apartheid sud-africain.

Bruce Katz est le porte-parole juif du mouvement qui, insiste-t-il, « n’est pas composé d’un groupe d’idéologues mais de citoyens conscients et pragmatiques ». En entrevue, M. Katz fait preuve d’une indiscutable ferveur, soutenue par une verve intarissable. C’est un militant de gauche qui, bien au-delà de ses préoccupations ethniques personnelles, s’enflamme tout autant devant les affres du ZLEA que face aux dénonciateurs entretenus par l’État québécois pour piéger les assistés sociaux. Laissons-lui le fil du discours.

Les Palestiniens soumis aux diktats des citoyens « supérieurs »

« Je connais plusieurs Juifs larges d’esprit mais qui portent des œillères dès qu’il s’agit de la question palestinienne. J’en connais aussi, heureusement, qui encouragent le boycott des produits israéliens offerts sur notre marché dans le but d’attirer l’attention de la presse mondiale, seule à pouvoir exercer une véritable influence sur les politiciens en forçant les colons israéliens à quitter les territoires occupés.

« Pour l’instant, les Palestiniens sont soumis aux diktats de citoyens dits “ supérieurs ” – les militaires israéliens en particulier – lesquels gèrent tout ce qui touche leur vie quotidienne. À titre d’exemple, le morcellement du territoire pour permettre l’installation de colons juifs venus du monde entier provoquent des complications qui frisent le harcèlement chaque fois que les Palestiniens doivent se déplacer à l’intérieur même des zones qui leur sont supposément réservées. Entre chaque village, à chaque intersection, ils doivent passer un barrière, présenter des papiers, se soumettre à une fouille, etc. Or il importe – simple histoire d’éviter une guerre ouverte dans cette partie du monde – de pouvoir offrir aux Palestiniens une vie nationale qui leur permettrait d’envisager des échanges égalitaires avec les Israéliens.

« D’ailleurs, Chaïm Weizmann, auteur de la Déclaration de Balfour, qui a servi à justifier l’installation d’Israël et qui fut le premier président du nouveau pays, préconisait un État indépendant pour les Palestiniens, qui soit fondé sur l’établissement de droits égaux entre tous les citoyens, Palestiniens comme Israéliens. Ce qui n’a jamais été accompli. Encore aujourd’hui, pour l’actuel premier ministre Ariel Sharon, “ la Palestine c’est la Jordanie ”, c’est-à-dire exclusivement l’autre rive du Jourdain. »

Les Juifs n’ont jamais été persécutés en Orient

« Quoiqu’on en dise, les Juifs, victimes de pogroms en Occident chrétien, n’ont jamais été persécutés en Orient, y compris par les musulmans. C’est le Parti travailliste, et non le Likhoud, qui, le premier, dès 1967, a fondé des installations juives sur des terres palestiniennes, geste à l’origine même du conflit qui perdure depuis lors. En 1989, avec la chute du communisme en Europe de l’Est, l’Autorité palestinienne a perdu ses appuis extérieurs les plus puissants. Quatre ans plus tard, ce sont les soi-disant Accords de paix d’Oslo, manigancés par les Américains, qui, en accordant une nette suprématie aux Israéliens dans la région, ont provoqué la naissance de l’Intifada.

En 95, le premier ministre Yitzhak Rabin avait entrepris de négocier des accords fondamentaux avec les Palestiniens, lorsqu’il a été assassiné par un militant du Likhoud. Après sa mort, sa veuve a clairement pointé du doigt Ariel Sharon et Benjamin Netanyahou, les tenant “ responsables de la mort de (son) mari par leur rhétorique haineuse et inflammatoire dans la proclamation de leur opposition farouche au processus de paix déjà entamé ”. »

De l’eau pour les rosiers mais pas pour les Palestiniens

« Les colons juifs installés dans les territoire occupés d’Israël ne sont pas tous des droitistes, loin de là. La plupart affluent sur la terre palestinienne parce qu’Israël leur offre des avantages considérables en termes d’aide aux frais d’installation et de loyers modiques. Tous bénéficient cependant de passe-droits légitimés. Ainsi, si l’eau est fortement rationnée en territoire palestinien, la plupart des maisons de colons juifs sont munies d’imposants réservoirs placés sur les toits des habitations. Bien entendu, les Palestiniens n’ont aucunement droit à cette eau, même si les colons s’en servent abondamment pour arroser leurs rosiers.

Quand je dis des choses semblables ici, mes amis Juifs me traitent de gauchiste et sont convaincus que j’exagère. Et pourtant, en Israël même, il existe une vraie gauche, résolument opposée aux politiques courantes dans ce pays. Cette gauche préconise une fédération israélo-palestinienne où l’État et l’Église seraient séparés, règle de base pour toute démocratie qui se respecte. En effet, la société démocratiquement pluraliste doit respecter la liberté de croyance de tous et de chacun. »

Un mouvement mondial d’opposition

« Il existe également un mouvement relativement fort, actif dans une vingtaine de villes américaines. Une vigile silencieuse a marqué, le 8 juin dernier, dans 144 villes du monde, la journée de protestation mondiale contre l’occupation par Israël des territoires palestiniens… Contrairement à ce qu’affirment certains, nous ne sommes pas des marginaux mais des minoritaires… pour l’instant.

Nos demandes sont claires 0

– retrait des forces d’occupation des territoires palestiniens;

– démantèlement des colonies juives selon un règlement à venir;

– retour aux frontières d’avant 1967. »

Les demi-vérités des médias

« Je dois dire que nos récentes activités publiques ont été très suivies et que les citoyens du Québec tentent visiblement de s’éveiller à ce qui se passe au Moyen-Orient et parviennent de mieux en mieux à identifier les demi-vérités charriées par les médias canadiens en général. La presse anglophone en particulier maintient un silence quasi-total que n’ont violé, à ce jour, que Global Television et The Suburban. En français, Radio-Canada, La Presse et TQS font aussi exception en racontant la vérité par-delà les mensonges officiels. Les médias anglophones, encarcannés par des règles imposées aux grands conglomérats de presse, ont tendance à exonérer Israël. Plus libre face à ces diktats, la presse francophone en général est plus objective. Consultez les organes de presse des deux groupes linguistiques principaux et vous verrez.

La grande différence entre les deux positions tient peut-être au fait que les Canadiens français sont en mesure de juger avec davantage de sympathie la cause des Palestiniens porteurs d’eau, parce qu’ils l’ont été eux-mêmes pendant longtemps. Je ne puis que souhaiter que la société israélienne puisse être en mesure de rattraper le Québec sur la voie du pluralisme tant religieux que culturel. Je crois que cela est possible, à condition qu’ils (les Israéliens conservateurs) cessent de jouer à l’autruche. Car, malgré tout, j’affirme que la liberté de presse est encore plus grande en Israël qu’au Canada, comme en témoigne Ha’Aretz, un quotidien de Tel-Aviv qui se situe ouvertement à gauche sur l’échiquier politique et dont les éditoriaux ne sont pas tendres à l’endroit des différents gouvernements de leur pays. On peut d’ailleurs retrouver facilement les pages de l’édition anglaise de ce journal sur Internet.

Pendant ce temps, JANE’S, une revue de stratégie militaire américaine connue dans tous les états-majors du monde, affirme qu’Ariel Sharon est en train de planifier une invasion des territoires occupés afin de les reprendre au complet. Un tel geste d’agression, contraire à toute raison, semble absolument impossible sans l’appui de Washington. On peut donc prévoir presque à coup sûr une guerre régionale dans un avenir imprécis. »

Hélas, le scénario est envisageable.

Rencontre avec les vrais « damnés de la terre »

La rive occidentale du Jourdain (Cisjordanie), la bande de Gaza et Jérusalem Est, territoires de trois millions de Palestiniens, sont occupés par Israël depuis 34 ans

Environ 350 mille Juifs, venus de partout dans le monde, occupent des terres sur ces territoires et se les approprient carrément.

50 mille d’entre eux y ont été installés grâce à des subventions du gouvernement israélien.

Au cours des huit derniers mois, plus de 500 Palestiniens sont morts et plus de 16 000 ont été blessés.

Plusieurs enfants et adolescents ont été tués par des soldats ou des colons israéliens.

D’ailleurs, plus de 300 mille enfants âgés de 15 à 18 ans, prennent part à des conflits armés à travers le monde, une situation qui n’est pas étrangère au fait que les armes les plus sophistiquées sont devenues de plus en plus légères 0 tuer devient un jeu d’enfant.

Quatre millions de réfugiés palestiniens ont été forcés de quitter leur terre en 1948 (fondation d’Israël) et en 1967 (guerre des Six jours); certains d’entre eux (en tout cas, les moins de 40 ans) n’ont connu comme milieu de vie que le camp de réfugiés où ils sont nés et ont grandi.|201| 
275|Les États-Unis privatisent leur intervention en Colombie|André Maltais| Alors que le président Bush vient d’annoncer une suite au Plan Colombie qui s’étendra à toute la région andine, le gouvernement américain cache à son opinion publique les activités les plus risquées qu’il mène en Amérique du Sud en les sous-traitant à des firmes privées.

Un dimanche de février dernier, un hélicoptère militaire américain piloté par des Péruviens se pose en catastrophe en pleine jungle, atteint par des tirs de guerilleros. Son équipage sur le point d’être capturé voit soudainement trois autres hélicoptères venir à sa rescousse 0 pendant que les deux premiers tournent en rond en tirant à la mitrailleuse, le troisième se pose près de l’appareil en détresse, des Américains en sortent au milieu des tirs et parviennent à rescaper l’équipage.

Les Américains qui ont ainsi bravé les balles n’étaient pas membres de l’armée américaine. Il s’agissait de civils à l’emploi d’une firme privée appelée DynCorp, le plus important sous-traitant du gouvernement américain en Colombie.

Cette compagnie basée à Reston (Virginie), près de la CIA et du Pentagone, se définit comme fournisseuse de « solutions » en «systèmes et technologies d’information » de même qu’en aérospatiale.

98 % de son chiffre d’affaire provient de contrats octroyés par plus de 30 agences gouvernementales dont le département de la Défense, le département d’État et l’Agence de lutte anti-drogue (DEA). Une grande partie de ses quelques 20 000 employés sont d’anciens militaires retraités.

Surplus militaires

« Elle peut tout faire, dit le reporter Juan Tamayo (Knight Ridder Newspapers, 26 février 2001) 0 de la maintenance de la force aérienne du Koweit à l’administration de la base militaire américaine de Palmerola au Honduras en passant par la vente de surplus militaire provenant des anciennes bases du Panama. »

Depuis 1997, elle opère en Colombie en vertu d’un contrat de 600 millions $ du département d’État. Elle fournit des pilotes américains aux avions qui arrosent d’herbicides les cultures de coca et aux hélicoptères mitrailleurs qui protègent les missions des premiers.

Elle fournit aussi des mécaniciens, techniciens d’entretien et des équipes de chercheurs et sauveteurs. Plus de la moitié de son personnel est américain, l’autre moitié étant péruvienne, colombienne ou guatémaltèque.

Cuba post-Castro

La firme opère également en Bolivie et au Pérou dans les régions où les cultivateurs de coca indigènes résistent le plus à la destruction des récoltes. Au Pérou, selon Jeremy Bigwood de CorpWatch (23 mai 2001), elle surveille également les allées et venues de la guérilla du Sentier lumineux qui connaît un renouveau d’activités.

Il y a deux ans, DynCorp recrutait auprès des policiers américains parlant l’espagnol afin de créer une liste d’appel au cas où Washington aurait besoin d’une mission de maintien de la paix ou d’entraînement de la police dans un Cuba post-Castro.

Selon Bigwood, le travail de la firme est supervisé par « une clique d’officiels des sections des Affaires narcotiques (NAS) et des Forces aériennes (Air Wing) du département d’État. Cette clique est formée de vétérans nostalgiques de la guerre froide et des guerres des années 80 en Amérique Centrale. »

Israël aussi

En plus de DynCorp, au moins quatre autres compagnies privées américaines travaillent avec les forces de sécurité colombiennes. Elles sont embauchées soit par le gouvernement colombien, soit par les départements d’État et de la Défense américains. Des firmes israéliennes sont aussi présentes en Colombie et sont engagées dans des activités de « communications et d’électronique ».

La firme Military Professional Resources Inc. (MPRI) d’Alexandria en Virginie, vient de terminer un contrat (le 8 mars) en vertu duquel une équipe de 14 conseillers (la plupart retraités militaires sous la direction d’un ex-général de l’armée américaine) aidaient l’armée et la police nationale colombienne à planifier leurs opérations (incluant les « opérations psychologiques »), entraînements, logistique, collectes de renseignements et gestion du personnel militaire.

Un article de Paul de la Garza et David Adams (Saint Petersburg Times, 2 déc. 2000) nous apprend que la compagnie a même le mandat de recommander des législations au gouvernement colombien sur des questions allant du statut professionnel du soldat à la santé !

Guerre du golfe

Fondée en 1988, MPRI a recours à une liste d’appel de 11000 retraités (généraux, amiraux, officiels de la CIA et ambassadeurs). La compagnie a travaillé en Bosnie, Macédoine, Arabie Saoudite, Koweit et Taïwan. Elle espère maintenant obtenir du Costa Rica le contrat consistant à moderniser sa garde côtière.

Son présent directeur est le général à la retraite Carl Vuono qui commandait l’armée de terre pendant la guerre du Golfe.

De plus, en 1995, l’armée croate est soudainement devenue «invincible » quelques semaines seulement après que la firme eût signé un contrat avec le gouvernement américain visant à aider le ministère de la Défense croate à se restructurer.

Ce qui fait dire à De la Garza et Adams que le Pentagone cherche à faire de l’armée colombienne une « machine de guerre de première classe » qui briserait l’équilibre des forces dans la région andine. Comme on l’a fait pour l’armée irakienne qu’on a ensuite détruite ?

Fours à micro-ondes

Une autre firme privée, Northrop Grumman de Los Angeles, s’occupe de l’opération et de l’entretien de cinq stations de radar dans l’est et le sud de la Colombie dont le but officiel est de traquer les vols de présumés contrebandiers de drogues.

AirScan, de Rockledge en Floride, fournit des avions pleins d’équipement de surveillance pilotés par des vétérans militaires américains à la recherche de guérilleros surtout autour du pipeline Cano Limon dans l’est de la Colombie. AirScan repère aussi les plantations de coca et les signale à DynCorp qui les « arrosera » plus tard.

Les Cessna 337 « Skymaster » d’AirScan sont équipés de caméras infrarouges qui « voient » à travers la nuit et les nuages, d’antennes qui captent les signaux du moindre téléphone et d’ordinateurs qui en retracent l’origine en moins d’une seconde. L’équipement est si sensible qu’il peut repérer une raffinerie de cocaïne par les seules émissions des fours à micro-ondes utilisés pour faire sécher la poudre.

Enfin, une autre firme, Aviation Development Corp, a son siège social sur la base militaire de Maxwell (Alabama) et s’occupe, pour le compte de la CIA, « d’interdire l’espace aérien de la région andine aux trafiquants de drogues».

Cette firme est responsable de la mort d’une missionnaire américaine et de sa fille de sept mois, le 20 avril dernier. L’un de ses avions avait désigné comme suspect le petit appareil des victimes et l’armée péruvienne l’avait aussitôt abattu. Depuis, la CIA retarderait l’enquête selon un article du Miami Herald (26 mai).

Après la Colombie, toute la région andine y passe !

Le 16 mai, l’administration Bush annonçait un nouveau plan d’aide américain non seulement à la Colombie mais à six autres pays de la région 0 Bolivie, Pérou, Équateur, Vénézuela, Brésil et Panama. Le plan s’appelle « Initiative pour la région andine » (Andean Regional Initiative) et se chiffre à 882 $ millions de dollars.

La Colombie recevra 45 % de ce total (399 millions $) dont les deux tiers en aide militaire, alors que le Plan Colombie était à 84 % militaire.

Le Département d’État parle d’une aide « plus équilibrée » pour la région, mais des analystes ont noté que la diminution de l’aide militaire à la Colombie est presque compensée entièrement par les sommes allouées à l’aide militaire aux six autres pays.

Autre fait inquiétant 0 alors que le Plan Colombie était un projet supplémentaire d’aide et ne devait pas dépasser deux ans, le nouveau plan régional s’inscrit dans les budgets et programmes d’aide réguliers et annuels du gouvernement américain.

« Est-ce là le signe, s’interrogeait le Chicago Tribune dans son éditorial du 18 mai, que débute une implication militaire américaine prolongée dans la région ? »|201| 
320|Pour les zélés de la ZLEA, c’est oui !|Pierre Dubuc|

La réponse est claire



Qui n'a pas eu un petit pincement au cœur lorsque les manifestants ont, au premier assaut, percé le célèbre «périmètre de sécurité » du Sommet des Amériques ?

Québec transformé en forteresse n'est plus Québec, comme le soulignait – avec un peu de retard – le maire L'Allier. Elle était devenue, l'espace d'une semaine, le symbole de ces quartiers huppés de villes latino-américaines aux villas entourées par des murs de pierre couronnés de tessons de bouteille ou encore de ces nouvelles villes états-uniennes ceinturées de murs et protégées par des milices privées, qui ont poussé avec le néolibéralisme.

C'est dans ce Québec militarisé, derrière un épais rideau de gaz lacrymogènes et sous la protection de policiers tirant des balles de plastique sur des manifestants sans défense, que Chrétien et Bush ont fait adopter par les 32 autres chefs d'État – dont les pays sont, pour la plupart, sous la tutelle du FMI ou de la Banque mondiale – une soi-disant « clause démocratique » d'exclusion contre Cuba et d'intimidation contre Haïti, le pays le plus pauvre des Amériques. Belle démocratie !

Landry fier de sa « police nationale »

Au lendemain du Sommet, le premier ministre Landry, pourtant cavalièrement mis à l'écart par le gouvernement canadien, déclarait avec fierté que le Sommet avait permis au monde entier d’admirer « notre capitale nationale » et de voir à l’œuvre «notre police nationale » !!! Une « police nationale » sous les ordres de la police et de l'armée fédérales, lesquelles étaient redevables dans les faits aux forces de sécurité américaines ! Est-ce là le type de souveraineté dont rêve Bernard Landry ?

Dans son bilan du Sommet, Bernard Landry a déclaré que le projet de la Zone de libre-échange des Amériques démontre la nécessité de la souveraineté du Québec pour être présent à la table de négociations. On se serait attendu plutôt à ce qu'il dénonce le projet de la ZLEA dont l'objectif est de dépouiller les États-nations d'éléments de leur souveraineté au profit d’accords internationaux qui sont de véritables chartes des droits des multinationales. En fait, Landry est d’accord pour que le Québec abdique ses pouvoirs, mais à la condition que ce soit fait par son « gouvernement national ». Belle conception de la souveraineté !

L'autre Sommet

Au cours de la semaine précédent le Sommet officiel, se sont tenus différents sommets parallèles des forces d'opposition à la ZLEA dont le plus important a été le Sommet des peuples organisé principalement avec la collaboration des centrales syndicales.

Les débats lors de ces sommets, mais également les centaines de réunions tenues dans les syndicats, les cégeps, les régions au cours des semaines qui ont précédé, ont permis un saut prodigieux dans la compréhension des enjeux de la ZLEA. L'ampleur de la manifestation organisée par le Sommet des peuples – le chiffre de 60 000 personnes a été avancé – traduit bien l'importance du travail d'explication et d'éducation réalisé à travers le Québec.

En simplifiant, on pourrait dire que les lieux où se sont tenues les manifestations illustraient l'acuité du degré de compréhension des enjeux. Dans la haute-ville, de cinq à six mille manifestantes et manifestants – surtout des jeunes – affrontaient les policiers. Dans la basse-ville, des dizaines de milliers de personnes – de tous âges – marchaient pacifiquement. L'image est belle, mais elle ne traduit pas tout à fait la réalité, car l'envie était palpable chez plusieurs de celles et ceux qui manifestaient dans la basse-ville de monter aux barricades.

En fait, cette radicalisation à l'égard de la ZLEA s'est développée au fur et à mesure qu'on en a cerné les enjeux. Le contenu de la Déclaration finale du Sommet des peuples, que nous publions en page 9, le traduit bien. Il n'était plus désormais question d'accepter la ZLEA en échange de chartes sociale et environnementale. Elle était condamnable en soi. Comme l'a bien remarqué l'éditorialiste Agnès Gruda de La Presse 0 « Au début du sommet parallèle, le ton général face à la ZLEA était oui, mais . Le résultat final a été un non ferme. »

Les zélés de la ZLEA

Les éditorialistes sont tombés à bras raccourcis sur la Déclaration du Sommet des peuples. Agnès Gruda a parlé de « dialogue de sourds ». Son collègue Mario Roy a titré son éditorial 0 « Le Titanic, la suite ». Dans Le Soleil, Jean-Jacques Samson a qualifié la Déclaration de « Refus global dépassé ». Dans Le Devoir, Jean-Robert Sansfaçon n’arrive pas à masquer son dépit en concluant que c'était « une fin en queue de poisson » qui « discréditait le travail de sensibilisation mené depuis le début de la semaine ».

Les organisateurs du Sommet des peuples ne semblant plus vouloir jouer le jeu du partenariat, les éditorialistes ont immédiatement remis en question leur représentativité en invoquant les résultats d'un sondage de La Presse publié une semaine avant le Sommet des Amériques qui proclamait qu'une majorité (57 %) de la population canadienne était favorable au projet de libre-échange.

Mais le résultat global du sondage est trompeur. Seulement 37 % des personnes interrogées estiment que la ZLEA contribuera à la création d'emplois au Canada contre 45 % qui croient le contraire; 48 % pensent que la ZLEA va entraîner une diminution des salaires contre seulement 25 % qui estiment qu'elle favorisera l'augmentation des salaires.

Enfin, toujours selon même sondage, 41% croient que ce sont les entreprises qui récoltent le plus les fruits du libre-échange, contre 32 % qui citent les gouvernements, 11% les consommateurs en général et 2% les travailleurs !

Comment peut-on après cela coiffer l'article d'un titre qui proclame que les Canadiens sont favorables à la ZLEA ? Évidemment, la majorité des lecteurs ne retiennent que les titres et les éditorialistes peuvent se contenter de les citer !

Une brèche est ouverte

Il serait naïf de croire que le partenariat est enterré et que personne ne répondra aux appels du ministre Pettigrew qui cherche désespérément des interlocuteurs pour légitimer toute l'opération. La Déclaration contient déjà certaines concessions en ce sens, comme cette idée d'un référendum dans tous les pays que n'a pas manqué de souligner l'éditorialiste Mario Roy.

Après avoir promis la publication des textes (après traduction), l'élimination dans la ZLEA d'une clause sur le modèle du Chapitre XI de l'ALENA qui permet aux entreprises de poursuivre des gouvernements (il a été contredit par Chrétien), le ministre Pettigrew pourrait offrir de financer un tel référendum. Et il s’en trouvera pour mordre à l’hameçon.

Le partenariat n'est pas enterré, mais une brèche a été percée dans son périmètre de sécurité. Il ne reste qu'à l'agrandir.|199| 
321|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Québec avril 2001, une occasion ratée

On peut se demander si la démocratie a progressé, à Québec, à l’occasion des récents Sommets des peuples et des Amériques.

2300 délégués représentant 35 pays impliqués rejetaient, à l’occasion du Sommet des peuples, le projet de Zone de libre-échange des Amériques, jugé raciste, sexiste et destructeur de l’environnement.

40 000 manifestants venus des quatre coins des Amériques malgré toutes les mesures mises en œuvre par Douanes Canada pour les empêcher d’exercer leur libre droit d’expression, rappelaient aux nababs siégeant sous protection policière que la plupart des citoyens le moindrement conscients étaient en désaccord avec le projet de libre-échange proposé.

Quelques centaines de militants, particulièrement outrés, à juste titre, qu’on refuse de les entendre, ont provoqué les forces de l’ordre dans le but de souligner le profond fossé, peuplé en l’occurrence de flics armés dans toute leur arrogance, qui sépare et protège les leaders imbus de vérité de la vile populace.

Et pendant ce temps-là à l’intérieur de la forteresse du Palais des congrès, les grands de ce monde se gargarisaient de formules creuses, criant haro sur Haïti, baudet ou bouc émissaire commode dont ils tiennent à perpétuer la pauvreté pour bien montrer que voilà ce qui pourrait arriver à d’autres pays osant ne pas souscrire aux objectifs du profit avant tout.

Quant à Jean Chrétien, il se fendait d’une nouvelle formule stipulant que la démocratie réelle ne pouvait se manifester qu’à l’intérieur des structures des partis politiques dans le système parlementaire du plus meilleur pays. Un système où, tout le monde le sait, le budget d’un parti contribue avant tout à son succès politique.

Si c’est ça la démocratie, il faudra penser à passer à autre chose qui se rapprocherait davantage du gouvernement du peuple par le peuple. On a raté là une belle occasion d’utiliser l’invention du tonton de Boris Vian – la bombe H à rayon limité – et, d’un seul coup, débarrasser la planète de toute cette crapule.

Donnez aux riches, ça rapporte toujours

Ah, les pauvres riches ! Ils sont tellement à plaindre, avec les milliards de profits qui leur sortent par les oreilles, que le bon gouvernement du Québec, en un geste s’inscrivant sans doute dans le cadre de la lutte qu’il a entreprise contre la pauvreté, a décidé de verser aux institutions financières quelque 33 millions de dollars supplémentaires sur trois ans. Faut-il le souligner, dès le lendemain du dévoilement de cette nouvelle générosité, les quotidiens annonçaient 0 « Un vent d’optimisme souffle sur les Bourses, Le Nasdaq bondit et le Dow Jones remonte. » À ceux qui, comme nous, semblent trouver que le gouvernement dilapide des fonds publics au profit des nantis, la ministre des Finances, Pauline Marois, répond qu’il ne s’agit en fait que « d’un coup de pouce à l’industrie de la finance » (celle qui, obscénité absolue, peut s’enrichir sous prétexte qu’elle a déjà de l’argent) « afin qu’elle soit en mesure de demeurer dans la course face au grand capital torontois et américain ». Conséquence logique de la ZLEA, peut-on croire. Les bonzes augmentent leurs profits et en rient encore en tétant leurs gros cigares entre deux cognacs. Hélas, le ridicule ne tue pas et, si on souhaite mettre fin à ces scandaleux gaspillages, il faudra faire la job nous-mêmes. Viendra bien le jour de gloire…

Et 10 % pour M. le directeur

Les directeurs d’établissements du réseau de la santé seront dorénavant récompensés par des primes en argent pouvant atteindre dix pour cent de leur salaire. Mais attention ! Pas tous. Seulement ceux qui seront parvenus à administrer les entreprises dont ils ont la responsabilité (hôpitaux, CLSC) à l’intérieur des budgets prescrits par le ministère de la Santé du Québec. C’est le ministre lui-même, Rémy Trudel, qui annonçait récemment la nouvelle en précisant que les sommes ainsi versées aux « bons administrateurs » atteindraient quelque 36 millions en trois ans.

Après la prime aux universités en fonction du nombre de gradués produits, voici la prime aux hôpitaux en fonction du respect strict des budgets. Si, pour satisfaire le ministre, le directeur d’hôpital doit alléger la dépense au détriment des malades, ce n’est pas grave. Le gouvernement sera bien content et le directeur de l’établissement touchera une hausse de salaire substantielle. On a vraiment l’impression que toutes ces mesures n’ont finalement pour objet que de rendre le système public si mauvais que les citoyens seront heureux de la privatisation de tous ces services pourtant essentiels que sont la santé et l’éducation.

Trente-trois millions de dollars aux boursicoteurs et 36 millions à des individus dont le salaire annuel tourne autour de cent mille dollars au moins 0 voilà donc 69 millions de dollars qui n’iront pas à la lutte contre la pauvreté mais qui seront consacrés à assurer le succès économique de l’administration de notre bon gouvernement, sur le dos des pauvres.

Rien à craindre, le tigre est édenté

Pendant dix jours, le mois dernier, le monde entier a retenu son souffle. Les deux géants idéologiques de la planète allaient-ils s’affronter dans un conflit militaire dont les conséquences pour tous les citoyens du monde dépassent même l’imagination la plus paranoïaque ? Pour des excuses qui tardaient à venir, à la suite d’un accident causé par un avion espion américain, Pékin montrait les dents tandis que Washington tentait de jouer au plus fin. Tout pouvait arriver, a-t-on cru un moment.

Au fond, cependant, il n’y eut jamais rien à craindre de ce vaudeville où les États-Unis faisaient mine d’exiger que la Chine leur retourne l’appareil qu’ils avaient eux-mêmes chargé de transgresser le territoire chinois. En effet, peut-on imaginer les États-Unis, incapables de gagner une guerre contre le Vietnam (70 millions d’habitants) puissent avoir le culot d’attaquer la Chine (un milliard et demi) ?|199| 
322|Paul Cliche fait l’analyse de l’élection dans Mercier|Paul Cliche| Les résultats de la récente élection partielle dans la circonscription de Mercier ont accentué une tendance inquiétante pour l’avenir du projet souverainiste.

Cette dernière s’est d’abord manifestée lors des élections générales de 1998 marquées par la désaffection du Parti québécois d’une partie de sa clientèle sociale démocrate, jusque là captive, en réaction à l’adoption de la politique du déficit zéro qui a consacré, aux yeux de plusieurs, le virage à droite du gouvernement péquiste. Il s’agissait d’une baisse sensible du taux de participation due principalement à l’abstention d’électeurs souverainistes qui ne se trouvaient plus à l’aise dans le giron du grand parti, mais qui, à cause d’un des effets pervers du mode de scrutin majoritaire à un tour notamment, ont alors considéré qu’ils « perdraient leur vote » en appuyant une formation ou des candidats souverainistes non péquistes.

Plus la participation baisse, plus le PQ recule

Des élections générales de septembre l994, alors que les péquistes ont repris le pouvoir sous la direction de Jacques Parizeau, à celles de novembre 1998, alors qu’ils l’ont conservé sous la direction de Lucien Bouchard, le taux de participation a en effet baissé de 81,6 % à 78,2%, soit de 3,4 % (quelque 130000 électeurs).

On s’entend sur le fait que le principal phénomène des élections de 1998 a été la progression de l’Action démocratique qui, passant de 6,5 % à 11,8 % des suffrages, a presque doublé ses appuis en recueillant près de 228 000 votes de plus aux dépens des deux partis dominants. Mais celui dont la signification est probablement la plus importante a été le recul encaissé par le Parti québécois. Ce dernier a en effet reçu plus de 000 votes de moins qu’aux élections de 1994 malgré l’inscription de 350000 nouveaux électeurs sur les listes. Il s’est ainsi classé second en termes de suffrages après le Parti libéral qui a vu son nombre d’électeurs augmenter de plus de 34 000. Remarquons au passage – autre aberration causée par le mode de scrutin – que le PQ s’est maintenu au pouvoir avec une confortable majorité parlementaire malgré ce deuxième rang (76 députés sur l25).

Les statistiques qui précèdent ne permettent pas de quantifier de façon exacte combien d’électeurs péquistes de l994 ne se sont pas rendus aux urnes en l998 sur les quelque 150 000 abstentionnistes additionnels alors dénombrés. Ils permettent toutefois de conclure avec certitude que la hausse de l’abstention d’une élection à l’autre est due en bonne partie au décrochage d’électeurs péquistes de l994.

L’exemple des trois dernières élections tenues dans la circonscription de Mercier est encore plus probant. Il y a une troublante corrélation entre la baisse du taux de participation en novembre l998 et en avril 2001 avec la baisse du soutien populaire accordé aux candidats péquistes lors des mêmes scrutins. Ainsi, le taux de participation a baissé de 5% de 1994 à 1998; le soutien péquiste pour sa part a diminué de 1,1 %. De l998 à 2001, la participation a chuté de 34,2 % et le support péquiste de 26,8 %.

Les affaires Michaud et Toussaint n’expliquent pas tout

Certes, l’analyse des résultats de l’élection du 9 avril dernier dans Mercier doit tenir compte du fait que certains facteurs y ayant joué un rôle important seront absents lors des prochaines élections générales. Ainsi, la participation est au moins 25 % plus faible lors d’une partielle. De plus, le sort du gouvernement n’était pas en jeu et les affaires Michaud et Toussaint, qui ont secoué coup sur coup le camp gouvernemental, ont été directement responsables de l’abstention de plusieurs électeurs péquistes traditionnels. Mais il reste quand même que le virage à droite du gouvernement péquiste et l’éloignement des dirigeants du parti de leur base militante, illustré par le parachutage d’un apparatchik, ont incité plusieurs chefs de file locaux à rejoindre l’organisation du candidat de l’Union des forces progressistes.

Pour la première fois aussi, un candidat non péquiste a reçu un appui substantiel d’électeurs souverainistes brisant ainsi le monopole que le PQ prétend avoir depuis toujours sur cette mouvance et libérant par le fait même l’aile sociale démocrate qui en avait été captive jusque là. Et il est à prévoir qu’un phénomène de même nature se répétera dans plusieurs autres circonscriptions lors des prochaines élections générales, pour peu que les partis progressistes et leurs alliés de la gauche sociale sachent étendre et rendre permanente une coalition semblable à celle qui a si bien fonctionné dans Mercier.

Le gouvernement Landry a déjà lancé son offensive de récupération et il tentera de réparer la brèche, mais on peut prévoir d’ores et déjà que pour plusieurs ce sera « trop peu trop tard ». Le mouvement semble irréversible, surtout que la lutte contre la mondialisation sauvage sera son principal catalyseur auprès d’une jeunesse qui a repris goût à l’engagement politique.

Il ne faut toutefois pas oublier qu’un processus aussi personnel et parfois déchirant que celui d’un transfert d’allégeances politiques n’est pas un automatisme.

Ainsi, l’argument massue du référendum constitutionnel raté, qui a incité tellement d’électeurs dans le passé à voter péquistes en se faisant violence, peut encore avoir de l’effet. Mais comme cet argument est de plus en plus usé après seize années d’exercice de pouvoir péquiste où la souveraineté semble aussi éloignée qu’au début de la décennie soixante-dix, plusieurs souverainistes, démoralisés, préféreront s’abstenir.

Qui a peur de perdre son vote ?

Il en va de même de la peur de « perdre son vote », car le scrutin majoritaire, contrairement au proportionnel où tous les votes comptent et ont un poids égal, ne comptabilise aucunement pour fins de représentation parlementaire les suffrages de ceux qui appuient des candidats défaits; ce qui a été le cas de plus de deux millions d’électeurs en 1998 (54,4 % de l’électorat).

Se sentant impuissants, plusieurs souverainistes risquent de s’abstenir devant ce qu’ils considèrent comme une absence de choix. Landry n’a pas le choix 0 il doit respecter l’engagement pris par son parti il y a 30 ans

On peut donc prévoir, pour ces diverses raisons, que l’abstention des souverainistes sera encore plus prononcée lors des prochaines élections générales, pendant que le Parti libéral continuera à faire le plein de ses voix en grande partie à cause des convictions fédéralistes de ses supporteurs. C’est ainsi que l’abstention souverainiste rendra une victoire libérale fort possible malgré l’handicap du « gerrymandering » ethnique qui oblige le parti de Jean Charest à recueillir au moins 300 000 votes de plus que les péquistes (7,5 % des suffrages) pour obtenir autant de sièges parlementaires.

Nous sommes à l’heure de la proportionnelle

Mais le gouvernement Landry peut faire en sorte que l’abstentionnisme souverainiste se tarisse en adoptant un mode de scrutin proportionnel où tous les votes compteraient et auraient un poids égal en plus d’assurer une représentation équitable des différentes tendances socio-politiques à l’Assemblée nationale.

Quelque 75 % des pays et des grandes villes du monde démocratique jouissent actuellement d’un tel mode de scrutin qui fait toute la place ou une place importante au principe de la proportionnalité. Ça fonctionne très bien partout à part quelques cas isolés, comme Israël, que les adversaires de la proportionnelle s’efforcent de monter en épingle. Seuls les États-Unis, la Grande-Bretagne et plusieurs des pays membres du Commonwealth britannique comme le Canada –plus le Chili depuis Pinochet – conservent le scrutin majoritaire à un tour. Et encore faut-il dire qu’un processus de réforme est en marche en Grande-Bretagne où l’Écosse, le pays de Galles, l’Irlande du Nord et même la ville de Londres se sont vus dotés de modes de scrutin à forte composante proportionnelle.

Le gouvernement Landry ne peut donc prendre le risque de laisser les libéraux s’emparer du pouvoir grâce à l’abstention massive de souverainistes désabusés ou désorientés. Après plus de seize ans d’exercice du pouvoir, il est plus que temps que les péquistes respectent l’engagement inscrit depuis trente ans dans le programme de leur parti en faveur d’une réforme du mode de scrutin. Jusqu’ici, des cinq premiers ministres péquistes, un seul, René Lévesque, a pris cet engagement au sérieux en tentant vainement, en 1984, de faire adopter par son caucus un projet de loi prévoyant que la proportionnelle régirait l’élection des 125 membres de l’Assemblée nationale.

Péquistes et libéraux, même ZLEA !

À moins que, comme dans Mercier le 9 avril, les péquistes préfèrent laisser élire les libéraux parce qu’ils se sentent davantage près d’eux idéologiquement, à cause de leur allégeance néolibérale commune, qu’avec les éventuels députés souverainistes progressistes qu’un mode de scrutin réformé pourrait contribuer à faire élire. Quand on voit le front commun que forment les péquistes et les libéraux en faveur de la ZLEA, on se dit que ce serait logique. Autre avantage pour les deux partis dominants qui forment un véritable tandem 0 le caractère de club privé de l’Assemblée nationale serait préservé. Mais à quel prix ? Celui de la mort du projet souverainiste. Ironie du sort, Bernard Landry deviendrait alors le fossoyeur de l’idée pour laquelle il s’est battu depuis quarante ans.|199| 
323|Brèves|Pierre Dubuc| Les deux lettres de Bouchard à Landry

La façon dont Bernard Landry a rejeté la responsabilité de la déconfiture du Parti québécois dans Mercier sur Lucien Bouchard rappelle cette histoire du dirigeant qui, en quittant ses fonctions, laisse deux lettres à son successeur en lui disant 0 « Lorsque ça ira mal, ouvre la première lettre. Si une nouvelle situation de crise se présente, ouvre la deuxième lettre. »

Au premier coup dur, le dirigeant ouvre la première lettre léguée par son prédécesseur. Elle disait 0 « Fais porter la responsabilité de tes déboires sur moi. »

Quelques mois plus tard, nouveau revers politique et ouverture de la deuxième lettre. Il y était écrit 0 « Assieds-toi, prends un stylo et écris deux lettres. »

Landry a déjà ouvert la première lettre. À quand la deuxième ?

Merci Michaud !

Toute l’affaire Michaud et le discours de démission grandiloquent et prétentieux de Lucien Bouchard avec ses grandes envolées lyriques sur l’Holocauste n’ont pas mis de temps à rapporter en pièces sonnantes.

Quelques semaines plus tard, Lucien Bouchard faisait son entrée à titre d’associé au cabinet d’avocats Davies Ward Phillips & Vineberg. Le Devoir, mais non La Presse, soulignait que Phillips Vineberg est l’un des plus importants cabinets d’avocats desservant la communauté juive de Montréal.|199| 
324|85,6 % des travailleurs refusent d’être intimidés|Gabriel Sainte-Marie|

La grève à Camco



Depuis le 30 mars dernier, il y a grève à Camco, une usine de l’est de Montréal contrôlée à plus de 50 % par la puissante multinationale General Electric. Les 825 hommes et femmes de la production et les 42 autres des bureaux, des sections 501 et 504 du Syndicat canadien de l’énergie et du papier (SCEP), font la grève pour préserver leurs conditions de travail.

La direction propose de redéfinir à la baisse le fonds de retraite, l’assurance-santé et la qualité des horaires de travail. Lors de négociations tendues, les représentants syndicaux ont refusé cette proposition. General Electric s’est moqué du syndicat en envoyant des lettres directement au domicile des travailleurs. Alain Leduc, président du SCEP 501, explique 0 « Le message envoyé était clair 0 les offres sont bonnes et le syndicat exige trop. Les travailleurs doivent accepter la proposition et rejeter la grève. »

Un défilé qui fait du bruit

Les syndiqués ne l’ont pas entendu ainsi. « Trois jours avant la grève, profitant d’un bris mécanique, les 200 employés alors présents ont organisé une parade à travers l’usine pour signifier leur mécontentement aux patrons », raconte Alain Leduc. Vingt-cinq chariots-élévateurs conduits par les plus âgés, tambours et trompettes joués par les plus jeunes, c’était un défilé extraordinaire, témoignant d’une solidarité remarquable. « Les anciens, les nouveaux, les 20 % de femmes, les travailleurs du soir, du jour, en plus des travailleurs canadiens et américains de G.E., nous sommes tous ensemble », s’exclame le président.

Face à cette situation, l’employeur a opté pour l’intimidation. « La nuit suivant la parade, la direction a téléphoné à chaque travailleur pour faire des menaces. Le lendemain, les patrons décrétaient un lock-out et faisaient croire aux plus jeunes que l’usine était fermée», explique Alain Leduc. Rien n’y a fait. Le dimanche suivant, la grève était adoptée à 85,6 % en assemblée générale.

Le syndicat a des cartes dans son jeu

Depuis, c’est la grève. Contrairement à plusieurs autres conflits, les travailleurs peuvent compter sur un certain nombre d’avantages. Le fonds de grève du SCEP est solide. L’usine de Montréal est très rentable et détient une sorte de monopole, en étant la seule à produire des sécheuses de grand et de très grand format de marque G.E., Moffat et Hotpoint dans le nord-est de l’Amérique. Les inventaires dans les magasins sont pratiquement écoulés.

Camco possède deux usines, une à Montréal, l’autre à Hamilton. Au moment d’aller sous presse, il y avait négociation à l’usine de Hamilton, qui compte 1100 travailleurs syndiqués avec les TCA. Camco leur offre une convention sans les restrictions imposées à l’usine montréalaise. Alain Leduc est optimiste 0 « Notre grève les a forcés à reculer à Hamilton et j’ai confiance que notre conflit se règle dans les plus brefs délais. »

Le conflit permet à ces hommes et femmes de renforcer leurs liens et de prendre conscience de leur force, mais elle laisse cependant un goût amer. Une grève fait toujours mal économiquement et une victoire se traduira par le maintien de l’ancienne convention collective.

Des journées de 12 heures

L’usine qui produit des électroménagers est rentable. Ses profits atteignent des dizaines de millions de dollars par an. La direction veut tout de même abaisser les conditions de travail.

General Electric cherche notamment à imposer un régime de retraite à cotisations déterminées. Avec ce système, la somme que verse l’entreprise au fonds de retraite diminue. La gestion et les risques reliés au montant épargné pour la retraite retombent sur les épaules des travailleurs, qui ne peuvent plus vraiment planifier leur retraite. En plus, même si la compagnie tente de le réduire, le fonds de pension actuellement en vigueur est largement insuffisant. C’est pourquoi le syndicat exige une augmentation des cotisations patronales de 10 %.

L’employeur veut aussi créer un nouveau quart de travail. Présentement, les horaires sont de huit heures par jour, du lundi au vendredi. Le nouveau plan s’étalerait sur les sept jours de la semaine avec des journées de 12 heures.

L’assurance-santé des syndiqués est également revue à la baisse par l’employeur. Par exemple, les 30 médicaments les plus chers seront réévalués à la baisse à raison de 10 par an, sur une période de trois ans.

La direction accorde une augmentation salariale plus importante aux emplois les mieux rémunérés. Le syndicat exige une augmentation uniforme des salaires, au plus haut pourcentage.

Jusqu’ici, les augmentations salariales étaient toujours en ordre décroissant. La plus grosse augmentation était accordée la première année et la plus petite, la dernière. Cette fois-ci, la compagnie propose le contraire. Par exemple, les assembleurs recevraient 19 ¢/h la première année, 20 ¢/h la deuxième et 31 ¢/h la troisième. Le syndicat exige l’inverse.

La dernière revendication se rapporte à la formule de vacances. On demande que le temps supplémentaire puisse être pris en compte.

La ZLEA 0 une diminution du niveau de vie pour tous les travailleurs

Pour bâtir un rapport de force plus approprié, les syndicats des travailleurs de G.E. se rencontraient l’an dernier à Washington. Les représentants syndicaux de 25 pays en ont alors profité pour développer leurs liens et organiser la résistance. Avec le développement continuel de la mondialisation des marchés, cette réunion était absolument nécessaire.

Il est clair que l’avènement de la Zone de libre-échange des Amériques va nuire aux travailleurs de G.E.. Alain Leduc, président du SCEP 501, explique que l’abolition des barrières économiques sur le continent va miner les conditions de travail. « Il y a quatre entreprises qui fabriquent des électroménagers pour G.E. en Amérique 0 Camco au Canada, Mabe au Mexique, Madoza au Vénézuela et Dako au Brésil. Avec la libre circulation des capitaux et des marchandises, l’entreprise forcera ses usines à se faire compétition, afin de réduire le coût de ses employés. C’est une diminution du niveau de vie pour tous les travailleurs, même ceux du sud. Il n’y a qu’un seul gagnant, G.E. »

Alain Leduc en profite pour rappeler que la transnationale profite déjà allègrement de la mondialisation. « À titre d’exemple, au moins 25 000 Mexicains travaillent indirectement pour General Electric dans les maquiladoras. Il n’est nul besoin de décrire leur niveau de vie. »

Le citoyen modèle G.E.

Pour les principales revues d’affaires américaines, General Electric est une multinationale modèle. William Greider, célèbre reporter américain, relatait les exploits de l’entreprise dans son livre paru en 1992 0 Who Will Tell the People, The Betrayal of American Democracy.

G.E. ne produit pas seulement des ampoules et des lave-vaisselle. Avec sa fabrication de moteurs électriques, de locomotives, de turbines industrielles et de centrales électriques nucléaires, l’empire est très diversifié. La firme arrive au premier rang dans les services financiers américains. Elle fabrique du matériel militaire, des avions et des bombes nucléaires. Elle tient à son image et cherche à manipuler l’opinion publique en étant propriétaire de l’immense réseau de télévision NBC qui émet dans quatre pays, dont les États-Unis et le Canada.

Son pouvoir politique est gigantesque. Elle contribue de façon importante à la caisse électorale des deux partis politiques américains. Ce géant de la pollution, qui ne paye pratiquement aucun impôt, cherche à se présenter comme un modèle de bon citoyen corporatif...|199| 
325|Washington finance la guerre ethnique dans les Balkans|Michel Chossudovsky| Alors que Washington soutient officiellement la République de Macédoine, en sous-main, le pouvoir américain achemine argent et armements à l'Armée de libération du Kosovo (UCK) engagée dans une guerre frontalière avec les Forces de sécurité macédoniennes. La firme de mercenaires Military Professionnal Resources Inc. (MPRI), sous contrat avec le Pentagone, vient à la rescousse de la Macédoine – dans le cadre d'un programme d'aide militaire américain – afin de «repousser l'agression militaire et défendre le territoire macédonien », tout en conseillant et fournissant de l'équipement militaire à l'UCK, qui est responsable des attaques terroristes ! Dans ce conflit, les États-Unis tirent en quelque sorte les ficelles des deux côtés de la clôture. Dans cette guerre meurtrière, non seulement la Macédoine mais également les terroristes kosovars sont financés par une aide militaire approuvée par le Congrès américain !

L'Armée de libération du Kosovo (UCK) – qui fut officiellement démilitarisée et rebaptisée Corps de Protection pour le Kosovo (CPK) sous les auspices de l'ONU en septembre 1999 – est maintenant impliquée dans de nouvelles attaques terroristes dans le sud de la Serbie et dans la région de Tetovo en Macédoine. Les terroristes opèrent à partir des bases de l'UCK au Kosovo qui sont sous la protection de la Force internationale de paix au Kosovo (KFOR).

Soutenus par les États-Unis, l'UCK et ses mouvements affiliés sont bien équipés en armements. Selon M. Carl Bildt, coordonnateur spécial des Nations unies pour les Balkans, les Forces de sécurité macédoniennes ne sont pas de taille à s'opposer aux rebelles. « La guérilla est une organisation militaire compétente, explique-t-il. Elle possède un noyau de combattants expérimentés, bien préparés et qui, selon toute probabilité, contrôlent une bonne partie de la région. » Mais où l'UCK se procure-t-elle les ressources financières nécessaires à tel déploiement ?

Le terrorisme financé par la Force de paix de l'ONU

Le Sunday Times de Londres (12/03/00) a révélé que « des agents des services de renseignement américains ont admis avoir participé à l'entraînement de l'UCK avant les bombardements de l'OTAN en Yougoslavie ». Une lecture des documents du Congrès américain semble confirmer que l'appui à la guérilla ne fut pas discontinuité et que la CIA continue de soutenir l'UCK. Par ailleurs, malgré les liens avérés de l'UCK avec les groupes criminels impliqués dans le commerce de la drogue dans les Balkans, l'organisation paramilitaire jouit maintenant de l'appui des Nations unies. L'UCK – maintenant rebaptisée CPK – fait partie intégrante des activités de la mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) au titre du « maintien de la paix », ce qui lui permet de recevoir du financement de l'ONU et des gouvernements occidentaux.

La fourniture d'équipements militaires, l'entraînement des forces de l'UCK et la participation de conseillers militaires auprès de l'UCK furent confiés à Military Professional Resources Inc. (MPRI), une firme de mercenaires qui entretient des liens étroits avec le Pentagone. C'est semblable à ce qui s'était produit en Croatie et dans la Fédération musulmane et croate de Bosnie alors que de soi-disant programmes « équipements et entraînements » (Equip and Train) avaient été fournis par le Pentagone. L'aide militaire américaine avait pour objectif de transformer les forces paramilitaires de l'UCK en une armée moderne destinée à servir les objectifs stratégiques de l'alliance des pays occidentaux. Selon le manuel d'entraînement de la MPRI, « les tactiques offensives constituent toujours la meilleure défense ». Cette « doctrine défensive » semblerait être à la base des assauts terroristes menés dans le sud de la Serbie et de la Macédoine.

En 1999, on dénombrait sur le site Web du MPRI « 91 anciens militaires professionnels hautement qualifiés œuvrant en Bosnie-Herzégovine ». Cependant, le nombre de conseillers militaires de la MPRI auprès de l'UCK ne fut pas révélé. Il n'en reste pas moins que le commandant Agim Ceku, de l'UCK, fut préalablement un membre de l'État-major des Forces armées croates, et à ce titre il collaborait depuis longtemps avec la MPRI. Ceku fut impliqué – en étroite relation avec la MPRI – dans la planification de «l'Opération Tempête » en Croatie. Cette dernière devait aboutir au massacre et à l'expulsion de 200000 Serbes de la région de Krajina en Croatie.

Le fait que le commandant Ceku soit un criminel de guerre présumé – selon le Tribunal de La Haye (un organisme qui relève du Secrétaire général des Nations unies) – ne semble toutefois pas constituer une préoccupation majeure pour la dite « communauté internationale » Bien au contraire, le commandant Ceku est détenteur d'un laissez-passer des Nations unies qui lui accorde l'immunité diplomatique au Kosovo. Selon la procureure Carla del Ponte du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, la réputation et l'intégrité de Ceku ne sont pas remises en question parce que « les enquêtes du tribunal de La Haye concernent seulement les atrocités commises par Ceku dans la région de Krajina entre 1993 et 1995 et non pas ses activités au Kosovo ».

Derrière cette façade de la diplomatie internationale, on notera néanmoins que M. Kofi Annan, le Secrétaire général des Nations unies, avait approuvé, sous les ordres de Washington et en toute connaissance de cause, la nomination d'un présumé criminel de guerre à l'opération de « maintien de la paix » au Kosovo. Autrement dit, l'ONU finance indirectement le terrorisme, créant ainsi un dangereux précédent. Comme l'écrivait le journal The Observer de Londres (12 mars 2000), « les Nations unies payent les salaires de plusieurs des gangsters de l'UCK », qui sont aujourd'hui impliqués dans les assauts terroristes contre la Macédoine.

Le recyclage des narco-dollars

Le soutien américain n'est qu'une des sources de financement de l'UCK. Différentes organisations islamiques lui ont également procuré argent et armements. Avant 1999, des instructeurs militaires allemands, turcs et afghans entraînaient l'UCK aux tactiques de guérilla. Des mercenaires moujahidins recrutés dans plusieurs pays ont combattu dans les rangs de l'UCK contre les Serbes au Kosovo. Selon le Sunday Times (18/03/2001), les récentes attaques dans la région de Tetovo en Macédoine furent « appuyées par des mercenaires venus d'Afghanistan et d'Arabie saoudite ».

Une documentation abondante révèle également que le commerce de la drogue dans les Balkans sert à financer la guerre ethnique avec la complicité des États-Unis et de l'OTAN. Le recyclage des narco-dollars fait partie intégrante des opérations de la CIA depuis la guerre entre l'Union soviétique et l'Afghanistan. Selon des documents de la DEA américaine – la Drug Enforcement Administration-– « la mafia albanaise entretient des liens avec un cartel de la drogue » basé à Pristina, la capitale du Kosovo. Ce cartel est présumément contrôlé par des Albanais membres du Front national du Kosovo, lié à l'UCK. Les documents de la DEA semblent confirmer qu'il s'agit «d'une des plus puissantes organisations de contrebande d'héroïne au monde » et qu'une partie de ses profits est canalisée vers l'UCK pour l'achat d'armes.

L'ancien agent de la DEA Michael Levine, cité dans le New American Magazine (24/05/99), affirmait 0 « Il y a dix ans, nous armions les moujahiddins en Afghanistan, les trafiquants de drogue, les contrebandiers d'armes, les terroristes anti-américains. Aujourd'hui, nous faisons la même chose avec l'UCK, qui est en liaison avec les cartels de la drogue du Moyen-Orient et de l'Extrême-Orient. L'Interpol, l'Europol et presque tous les services européens de renseignement ou de lutte contre le commerce de la drogue ont des dossiers sur les syndicats de la drogue. Et toutes les pistes mènent directement à l'UCK et aux gangs albanaises de ce pays. »

Pendant que l'aide américaine et l'argent de la drogue prenaient le chemin des coffres de l'UCK, Washington et Bruxelles condamnaient les attaques terroristes contre Tetovo et niaient tout lien entre les attaquants et l'UCK. L'OTAN, pour sa part, s'engageait pour la forme à couper les rebelles de leurs lignes d'approvisionnement avec le Kosovo. Mais, tout en condamnant les terroristes kosovars, l'OTAN – par l'intermédiaire des Nations unies – « soulevait la nécessité urgente que les forces macédoniennes agissent avec retenue ».

Ce double langage est bien entendu une forme de camouflage. Vous condamnez publiquement les terroristes, mais vous les soutenez par le biais de l'UCK avec des armes, des munitions et des conseillers militaires rémunérés à même le trésor public américain.

Financer les deux côtés à la fois

Mais il y a quelque chose d'encore plus terrifiant qui n'a jamais été révélé à l'opinion publique. La guerre dans la région de Tetovo en Macédoine est financée, et par le fait même contrôlée, par Washington des deux côtés de la frontière. Alors que Washington pompe de l'argent dans les coffres de l'UCK, la Macédoine est également récipiendaire de l'aide militaire américaine. La Macédoine est membre de Partenariat pour la Paix (PPP) de l'OTAN et aspire à devenir membre à part entière de l'OTAN.

Le MPRI – ce groupe de conseillers militaires américains sous contrat avec l'UCK – « aide » également les Forces armées macédoniennes dans le cadre d'un soi-disant Programme de stabilité. Ce programme a pour but « de prêter assistance aux Forces armées macédoniennes à repousser une agression armée et, en cas d'échec, de défendre le territoire macédonien ». En fait, la firme de mercenaires américaine a pour mandat de « défendre la frontière » tout en conseillant l'UCK sur la meilleure façon « d'attaquer la frontière » !

N'est-ce pas clair comme de l'eau de roche ? Il s'agit de financer les deux forces en conflit, d'accorder une aide militaire à l'une et de financer l'autre. Puis, de les encourager à se battre ! C'est un jeu sinistre dans lequel l'UCK a l'avantage, alors que ses différentes sources de financement dépassent largement le soutien financier apporté par les États-Unis à la Macédoine.

Un ordre du jour caché

De quel genre de guerre s'agit-il ? En fait, si cette guerre meurtrière se poursuit, elle mènera inévitablement à une montée des haines ethniques frappant de plein fouet la population civile. Il en résultera une déstabilisation politique à la fois en Macédoine et en Yougoslavie, donnant ainsi un prétexte à Washington et à l'OTAN pour intervenir en faveur du «maintien de la paix ».

Le but inavoué vise également à amener la population albanaise de Macédoine à soutenir ou à devenir membre de l'UCK. En d'autres mots, le financement d'une guerre ethnique constitue un moyen pour Washington d'atteindre des objectifs économiques, stratégiques et géopolitiques.

Entre temps, la dite « communauté internationale » – prévenue de la possibilité d'un « désastre humanitaire » – a envoyé ses observateurs et experts avec le mandat de protéger les droits sociaux et politiques de la minorité albanaise de la Macédoine. Cette intervention ne remet pas pour autant en question les fondements de l'aide militaire américaine à l'UCK. Elle tend, au contraire, à exacerber les conflits socio-ethniques en Macédoine tout en procurant une légitimité à l'UCK.

Alors que Washington continue à soutenir les terroristes en coulisse, l'alliance militaire se présente comme médiateur et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), jette le blâme sur le gouvernement de Skopje en demandant que « les autorités légales de la République de Macédoine, du Presovo et du Kosovo agissent de façon à restaurer la paix et la sécurité et que tous les secteurs de la société macédonienne coopèrent pacifiquement pour construire une confiance mutuelle inter-ethnique ».

L'envoi de troupes bulgares en Macédoine, dans le cadre du programme « Partenaires pour la paix» de l'OTAN, dans le but de combattre les rebelles, pourrait, s'il est mis en vigueur, contribuer à allumer une conflagration encore plus grande dans la région. De la même façon, des affrontements ethniques – également provoqués par Washington – ont eu lieu au Montenegro, où se trouve également une importante minorité albanaise. Au Montenegro, le MUP, les forces policières du Montenegro, bénéficie du soutien des Forces armées croates, qui sont à leur tour entraînées par le MPRI. La revendication d'une «autonomie » pour la population hongroise du nord du Vojvodina fait également partie du complot de l'OTAN, alors que des troupes de l'OTAN sont stationnées du côté hongrois de la frontière. De façon plus générale, les différents programmes d'aide militaire accordés à la Croatie, la Bosnie et l'UCK sont en dernière instance dirigés contre la Serbie.

En dépit de la complaisance des gouvernements de Belgrade et de Skopje devant les demandes de Washington, la politique étrangère américaine vise à démanteler les institutions politiques et à se débarrasser des partis politiques qui résistent à la domination des États-Unis et de l'OTAN. L'objectif est de briser ce qui reste de la fédération yougoslave et d'en faire ce que Carl Bildt, l'envoyé des Nations unies dans les Balkans, appelait un « une courtepointe de protectorats » sur le modèle de la Bosnie et du Kosovo sous le contrôle d'une force de paix des Nations unies, c'est-à-dire sous occupation militaire.

Un accord modelé sur celui de Dayton est le cadre de référence pour détruire les institutions étatiques existantes, y compris le système parlementaire. Dans le cas de la Macédoine, l'OSCE vient de nommer l'ambassadeur Robert Frowick pour travailler avec le gouvernement de Skopje. En 1996, Frowick avait reçu le mandat d'implanter la « démocratie » en Bosnie-Herzégovine dans le cadre des accords de Dayton. La « constitution » bosniaque – élaborée par des avocats américains à la base militaire de Dayton en Ohio – avait été publié en annexe de l'accord de Dayton.|199| 
326|La mouche et le bazooka|François Parenteau| J’avais très envie d’aller à Québec pendant le Sommet des Amériques, de voir et de sentir ce qui s’y passerait. L’occasion s’est présentée lorsqu’avec les ZAPARTISTES (une gang dont je fais partie qui présente des spectacles d’humour politique), on a décidé que ce serait une bonne idée d’aller y présenter notre nouveau cabaret d’humour politique.

Ce qui m’a frappé en s’approchant de Québec, c’était déjà la présence policière. Ça avait même quelque chose de surréel 0 c’était la première fois que je voyais toutes les voitures sur la 40 rouler à 100 km/heure.

Ça va prendre des bandits !

En arrivant à Québec, vendredi après-midi, tout avait l’air calme. Depuis un moment, on écoutait la radio. Les journalistes avaient l’air de se vider les batteries à faire croire qu’il y avait de l’électricité dans l’air. C’était la grande attente du geste d’éclat. Puis, nous avons croisé des voitures de police. Une… deux… cinq… dix… quinze… vingt… cent… Nous avons ensuite dû nous tasser pour laisser passer une sombre caravane d’une vingtaine de camionnettes remplies de brigadiers anti-émeute. Démesuré. Sinistre. Ça ressemblait à un carnaval dont le bonhomme aurait été Darth Vader. Et quand j’ai vu la colonne de zoufs en kaki qui remontait une rue de Limoilou au trot, je me suis rappelé ces paroles de Richard Desjardins 0 «Y’ a tellement de police ici-dedans, ça va prendre des bandits bien vite…»

Pourtant, la foule éparpillée semblait plutôt paisible. Il y avait bien quelques punks à l’air patibulaire, mais rien de bien pire qu’aux alentours du Centre Molson le soir d’un match contre Boston. La vaste majorité des gens étaient calmes, souriants et très poilus.

Le périmètre est agrandi

On a ensuite appris que des manifestants avaient percé le périmètre, qu’un policier avait été battu et qu’il saignait abondamment. Les nouvelles se passaient comme ça de bouche de poilu à oreille de poilu, sous le bruit constant des hélicoptères. Jean Chrétien avait affirmé à la télévision que 200 à 300 manifestants, même 3000, ça ne l’empêcherait pas de dormir. Mais les hélicoptères, M. Chrétien, elles ont bien dû vous achaler, vous aussi ? Ça faisait des jours qu’elles empêchaient tout le monde de dormir… Tout ça finissait par être écœurant…

Notre spectacle s’est bien déroulé, quoiqu’il ait été pénible par moments de jouer devant un public qui n’était pas là pour ça. Les gens voulaient juste prendre une bière dans ce bar qui s’était drapé de clôtures de broches en hommage sarcastique au fameux périmètre. Après la représentation, nous avons justement voulu voir ce qui se passait près des barricades.

Surprise 0 il venait d’être agrandi ! Le bar où nous devions présenter notre spectacle le lendemain en faisait désormais partie et nous ne savions pas si nous pourrions nous y rendre. On a aussi appris que les policiers avaient tiré sur une centaine de manifestants avec des balles de caoutchouc. Une centaine ! Contre des milliers de beus. Ça les démangeait vraiment de les essayer, leurs nouveaux jouets…

Même les pavés pleuraient

Nous approchons du périmètre. C’est là que j’ai senti pour la première fois de ma vie les effets du gaz lacrymogène. Je n’oublierai jamais cette sensation. Très efficace comme arme 0 j’aurais eu beau être déterminé à foncer sur la colonne de flics, mon corps entier m’en empêchait. Cette arme est suprêmement humiliante parce qu’elle vous rend impuissant de tout. C’est le moyen de répression le plus pur. Tu ne peux même pas recevoir un coup de matraque, tu fuis. Et ils en ont mis partout. PARTOUT. Même les pavés pleuraient. Quelle lâcheté 0 pour ne pas avoir à porter l’odieux de quelques coups de matraque qui auraient terni leur image, ils ont gazé tout le monde.

Peu importe la teneur intellectuelle des manifestants qui étaient alors dans les rues à cette heure tardive, ce parfum insupportable du gaz irritant me branche d’un seul coup sur la même indignation que j’ai si souvent vue exprimée aux Nouvelles en Palestine, en Afrique du Sud, à Oka. Et quand nous avons finalement joué notre spectacle le lendemain, devant une foule aux yeux rougis (et ce n’était pas l’émotion…) en criant pour couvrir le bruit des hélicoptères et en arrêtant chaque fois qu’on entendait des tirs, j’avais vraiment l’impression de faire de la résistance.

On a beaucoup vu les manifestants au sommet dénigrés dans les médias. Mais les pires clowns dans toute cette histoire étaient clairement à l’intérieur du périmètre. Voilà ce qui me fait croire que la ZLEA est tout sauf un projet démocratique. J’aimerais bien un jour être en mesure de nuancer ces propos. Mais il faut toujours se fier à sa première répression…

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 21 avril 2001.|199| 
327|Déclaration du Deuxième Sommet des peuples|L'Alliance sociale continentale|

Sommet des peuples



Nous, déléguées et délégués du Deuxième Sommet des peuples des Amériques, déclarons notre opposition au projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) concocté conjointement et secrètement par les 34 chefs d’État et de gouvernement et le Forum des gens d’affaires des Amériques.

Qui sommes-nous ? Nous sommes l’Alliance sociale continentale. Nous venons de tous les coins des Amériques faire entendre la voix des organisations syndicales, populaires et environnementales, des groupes de femmes, des organismes de défense des droits humains, des groupes de solidarité internationale, des associations autochtones, des paysans et paysannes, des étudiants et étudiantes, ainsi que des groupes œcuméniques.

Nous rejetons ce projet de libéralisation des échanges et des investissements, de déréglementation et de privatisation. Nous nous opposons à un projet néolibéral raciste, sexiste, inéquitable et destructeur de l’environnement.

Nous proposons de bâtir de nouvelles voies d’intégration continentale basées sur la démocratie, l’égalité, la solidarité, le respect des droits humains et de l’environnement.

DES PROMESSES NON TENUES

Depuis le Sommet de Miami de 1994, les chefs d’État et de gouvernement se sont engagés à renforcer la démocratie et les droits de la personne, à soutenir l’éducation et à réduire la pauvreté dans les Amériques. Depuis sept ans, rien n’a été fait. Le seul dossier qui a progressé, à la faveur du déficit démocratique, c’est la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).

Ce n’est pas la première fois que présidents et chefs d’État nous promettent un monde meilleur. Ce n’est pas la première fois qu’on demande aux peuples des Amériques d’attendre les hypothétiques fruits du libre-échange. Ce n’est pas la première fois que nous sommes forcés de constater que les chefs d’État n’ont pas tenu leurs promesses.

Le projet de ZLEA constitue une charte des droits et libertés des investisseurs, consacre la primauté du capital sur le travail, transforme la vie et le monde en marchandise, nie les droits humains, sabote la démocratie et mine la souveraineté des États.

DES AMÉRIQUES ASYMÉTRIQUES

Nous vivons dans des Amériques marquées par des inégalités intolérables et d’injustifiables asymétries politiques et économiques 0

· une population de 800 millions de personnes, dont près de 500 millions vivent en Amérique latine et dans la pauvreté ;

· une dette inacceptable de 792 milliards de dollars US due au Nord, dont 123 milliards en paiement pour le service de la dette pour la seule année 1999 ;

· une concentration des capitaux, des technologies et des brevets au Nord ;

· 80 % du poids économique détenu par les États-Unis et le Canada à eux seuls;

· un marché du travail où une forte proportion des emplois sont dans le secteur informel, un secteur sans voix où les droits du travail sont constamment bafoués.

Les accords de libre-échange aggravent les inégalités entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, entre pays du Nord et pays du Sud; ils détruisent les liens écologiques entre l’espèce humaine et l’environnement. Seulement 20 % de la population mondiale consomme 80 % des ressources naturelles de la planète. Ces accords orientent l’économie vers l’exportation au détriment des besoins des communautés locales. On assiste à la consolidation du pouvoir économique et juridique des entreprises au détriment du pouvoir souverain des peuples.

Les accords de libre-échange favorisent la marchandisation du patrimoine de l’humanité et de la planète. La logique néolibérale renvoie le citoyen au rang de simple consommateur. Elle recherche le rendement à court terme sans tenir compte des coûts sociaux et environnementaux.

Sous la pression des grandes industries agroalimentaires et des politiques de dumping, les accords de libre-échange menacent l’agriculture locale (surtout assumée par les femmes), mettant en péril la sécurité alimentaire.

Les accords de libre-échange favorisent la privatisation systématique des services publics tels que la santé, l’éducation et les programmes sociaux, par le biais des programmes d’ajustements structurels au Sud et des compressions budgétaires au Nord.

Les accords de libre-échange entretiennent la marginalisation des peuples autochtones et l’appropriation marchande de leurs connaissances.

Les accords de libre-échange entraînent une féminisation croissante de la pauvreté et une exacerbation des inégalités déjà existantes entre les femmes et les hommes. Ils augmentent notamment les inégalités salariales, le travail dans des conditions pénibles et souvent dégradantes, sans droit à la syndicalisation. Ils accroissent aussi le travail non rémunéré et non reconnu que constitue la prise en charge de la famille et de la communauté, la violence familiale ainsi que la traite sexuelle des femmes.

Il n’y a pas d’accord équitable possible dans un tel contexte.

CE QUE NOUS VOULONS

Nous voulons que soit assurée la primauté des droits humains et des droits collectifs, tels qu’ils sont définis dans les instruments internationaux, sur les accords commerciaux. Ces droits doivent être respectés sans distinction ni exclusion fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, l’ethnie, la nationalité, la religion, les convictions politiques ou les conditions économiques.

Nous exigeons le respect absolu des droits humains, qui sont universels, égaux et indivisibles.

Nous voulons bâtir des ponts entre les peuples des Amériques, nous nourrir du pluralisme de nos histoires et de nos cultures, nous renforcer mutuellement dans l’exercice d’une démocratie représentative et participative.

Nous voulons une véritable égalité entre les femmes et les hommes, des soins assurés à tous les enfants, le respect de l’environnement et le partage équitable des richesses.

Nous voulons le respect intégral des droits fondamentaux du travail, dont le droit d’association, le droit à la négociation de conventions collectives et le droit de grève. Ces droits doivent s’appliquer également aux travailleurs migrants.

Nous accueillons la déclaration du Sommet des peuples autochtones tenu à Ottawa du 29 au 31 mars 2001 et nous réclamons la reconnaissance de leurs droits fondamentaux.

Nous voulons des États promoteurs du bien commun, capables d’intervenir activement pour assurer le respect de tous les droits humains, y compris, pour les femmes, le droit à une maternité librement consentie; pour renforcer la démocratie, incluant le droit à la communication; pour assurer la production et la distribution de la richesse.

Nous voulons que les États garantissent l’accès universel et gratuit à une éducation publique de qualité, à des services sociaux et à des services de santé, incluant les services destinés aux femmes (maternité, contraception, avortement); qu’ils éliminent la violence envers les femmes et les enfants; qu’ils assurent le respect de l’environnement pour les populations actuelles et les générations futures.

Nous voulons des investissements socialement productifs et écologiquement responsables. Les règles applicables à l’échelle continentale doivent encourager les investissements créateurs d’emplois de qualité plutôt que les investissements spéculatifs. Elles doivent également favoriser une production durable et la stabilité économique.

Nous voulons un commerce équitable.

Nous exigeons la levée de l’embargo américain contre Cuba.

Nous réclamons l’arrêt immédiat du plan Colombie, qui militarise l’ensemble de la région et aggrave la situation déjà déplorable des droits humains.

Nous exigeons des mécanismes démocratiques d’adoption de tout éventuel accord, incluant sa ratification par référendum.

Nous accueillons avec enthousiasme les conclusions des différents forums du Sommet des peuples. Ces travaux enrichiront notre projet alternatif pour les Amériques.

Nous appelons les populations des Amériques à intensifier leur mobilisation pour combattre le projet de ZLEA et développer d’autres modes d’intégration fondés sur la démocratie, la justice sociale et la protection de l’environnement.

D’AUTRES AMÉRIQUES SONT POSSIBLES !|199| 
328|On va finir par manquer d’eau pour faire avaler la pilule de la privatisation|André Bouthillier| Au moment où vous lirez ces lignes, un mémoire signé de la main de Jacques Brassard, ministre des Richesses naturelles, circule parmi les ministres du cabinet québécois afin d’évincer Hydro-Québec de la production électrique par petits barrages et de les convaincre de donner une part encore plus grande de production d’électricité au secteur privé. Cela se nomme privatisation. Il y a de quoi s’inquiéter et pour vous en convaincre, il suffit de lire en page 12 l’analyse de Jean-François Blain sur le projet électrique du ministre.

Depuis la Commission Legendre, et souvent par la suite, on découvre des projets de politique globale de l’eau rédigés par des fonctionnaires. Entre autres, il existe un imposant travail émanant du ministère des Ressources naturelles, qui trône sur les tablettes depuis 1977. Depuis, l’eau continue d’éclabousser plusieurs ministères. Joutes et rejoutes de pouvoir entre les différents responsables ministériels.

L’eau se fait bardasser dans la cale du navire gouvernemental

Finalement, lors de la création du ministère de l’Environnement, on nous a appris que l’eau y est endiguée. Sauf pour l’eau utilisée dans les mines et celle pour turbiner de l’électricité. Quant à l’eau pour naviguer et les eaux limitrophes aux États-Unis, elles sont sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Les eaux des rivières patrimoniales relèvent du ministère de la Culture. L’eau nécessaire aux poissons relève de Pêches et Océans Canada. Ce qui restait de contrôle de l’eau embouteillée quitte le ministère de l’Environnement pour celui de l’Agriculture dans quelques semaines.

Il y a l’eau nécessaire à la faune et la flore qui gêne le trafic au ministère des Transports et se retrouve semi-privatisée dans une société d’État. Il y a aussi l’eau des plages qui relève maintenant des municipalités et l’épuration des eaux usées qui prendra le même chemin puisque la Société québécoise d’assainissement des eaux sera bientôt démantelée.

Une politique de l’eau à la pièce?

Si la Commission Beauchamp sur la gestion de l’eau a doté le Québec d’une boussole, nous voguons depuis avec une carte déchirée en moult parties et sans capitaine rassembleur. Tout nous arrive en pièces détachées. Cette année seulement 0 promesse de règlement sur l’eau potable, adoption d’un moratoire sur l’exportation d’eau en vrac, règlement des ouvrages et barrages de régulation des eaux, réfection en grande trombe de certains réseaux d’aqueduc, etc. De la gestion à la petite semaine appliquée à une des sources de vie irremplaçable... l’eau!

Pourtant, des milliers et des milliers de citoyens ont dit au gouvernement par l’entremise de la Commission Beauchamp qu’il est impérieux que le Québec se dote d’une politique de gestion de l’eau qui soit globale, intégrée et même écosystémique. Avec un canal d’oreille bouché par ses préjugés en faveur du secteur privé, le ministre Brassard tailladera dans les rivières du Québec, créant avec ses réservoirs en amont des barrages, des mouvements de sédiments qui modifieront ruisseaux et nappes phréatiques. La construction d’encore plus de barrages privés dévastera la flore riveraine, empêchera une certaine pêche sportive, la descente de canoë et kayak, polluera le paysage avec encore plus de tours de transport d’électricité vers les circuits d’Hydro-Québec et dotera les forêts et parcs du Québec de magnifiques cabanes en tôle abritant les équipements de production.

On nous a habitués à la privatisation à la pièce

Le cabinet des ministres, qui étudie le mémoire du ministre des Ressources naturelles sur les petits barrages privés, devrait surseoir à ce projet. La ministre de la Culture devrait avoir l’occasion d’identifier, comme elle en a le mandat, les rivières où les petits barrages seraient proscrits au nom de la protection du patrimoine aquatique de la virginité de certaines rivières. Le conseil des ministres devrait permettre au ministre de l’Environnement de présenter l’ensemble de sa politique de l’eau. Ensuite, il serait pertinent d’évaluer si oui ou non la production d’électricité par de petits barrages sur les rivières est toujours pertinente, compte tenu de l’accessibilité accrue à d’autres moyens de production.

Si le projet du ministre Brassard n’a pas encore fait frémir d’horreur les citoyens et citoyennes, c’est que très peu en sont informés. De constater la réaction de certains militants environnementaux et syndicalistes à ce sujet, me fait dire qu’on les a habitués à la privatisation à la pièce et que les gouvernements du Québec sont devenus spécialistes dans l’art de faire avaler à doses homéopathiques le transfert des services publics au secteur privé. C’est peut-être cela le modèle québécois tant vanté par l’élite politique?

Pour plus de détails, se rendre sur le site 0 http0//www.eausecours.org |199| 
329|Le scandale des petits barrages privés|Jean-François Blain|* Défiant les conclusions du rapport d'enquête produit par la Commission Doyon en mars 1997 ainsi que les recommandations faites par la Régie de l'énergie dans son avis de décembre 1999, le ministre des Ressources naturelles du Québec, Jacques Brassard, s'apprête à faire approuver par ses collègues du conseil des ministres un « nouveau régime d'octroi et d'exploitation des forces hydrauliques du domaine de l'État pour les centrales hydroélectriques de 50 MW et moins ».

On évoque la possibilité de développer plus de 450 MW de puissance additionnelle en accordant à des sociétés en commandite des droits d'une durée de 25 ans pour l'aménagement et l'exploitation de petites centrales hydroélectriques sur nos rivières. Les exploitants privés se verraient garantir un prix d'achat par Hydro-Québec pour l'ensemble de leur production et le gouvernement percevrait des redevances annuelles en contrepartie de l'utilisation des forces hydrauliques du domaine public.

Le ministre Brassard tente de justifier son projet de relance de la petite production privée d'électricité en s'appuyant sur les nouvelles dispositions de la Loi sur la Régie de l'énergie, telle qu'amendée par le projet de loi 116, contesté de toutes parts, mais sanctionné tout de même par l'Assemblée nationale, sous le bâillon, en juin 2000. Ce projet de loi, peut-on y lire, « consacre le principe de la déréglementation de la production d'énergie » et impose à Hydro-Québec « de procéder par appel d'offres pour satisfaire ses besoins d'électricité excédant 165 TWh ».

Le ministre soutient ensuite que « la filière de la petite hydraulique est en mesure de produire de l'énergie à un prix concurrentiel » et que « Hydro-Québec et l'industrie (de la petite production privée) pourront convenir de conditions mutuellement avantageuses et concurrentielles sur une base d'affaires ». Il ressort des orientations mises de l'avant par le ministère que la société d'État n'aura pas à inclure ses achats de petite production privée à son plan d'approvisionnement et qu'ils échapperont, par voie de conséquence, au processus d'approbation par la Régie de l'énergie.

Ce projet de relance de la petite production privée, tel que mis de l'avant par Jacques Brassard, est inquiétant à plusieurs égards au point qu'il soulève déjà une vive controverse. En fait, il y a de nombreuses raisons de croire que la détermination du ministre à promouvoir la production privée ne repose pas sur des bases très saines.

A-t-on besoin de la petite hydroélectricité privée ?

S'appuyant sur les prévisions du Plan stratégique 2000-2004 d'Hydro-Québec, le ministre Brassard évoque la possibilité que la croissance de la demande québécoise amène la société d'État à recourir à de nouveaux moyens de production à l'horizon 2004-2007 et soutient que la production privée peut contribuer à satisfaire ses besoins futurs « à des conditions compétitives ».

Or, de ses anciens « Plans de développement » à ses « Plans stratégiques » plus récents, Hydro-Québec a eu tendance, surtout depuis le milieu des années 90, à surestimer significativement la croissance anticipée de la demande québécoise. Un examen sérieux de la croissance de cette demande démontre pourtant que la consommation d'électricité progresse à un rythme très lent au Québec depuis la fin des années 80, tous les experts s'entendant sur le fait que ce marché est arrivé à maturité. D'ailleurs, les prévisions de croissance de la consommation québécoise mises de l'avant par Hydro-Québec dans son Plan stratégique 1998-2002, loin de se réaliser, ont dû être sérieusement révisées à la baisse, pour ne pas dire désavouées, dans son plan suivant couvrant la période 2000-2004. À l'opposé, les ventes de la société d'État sur les marchés extérieurs ont atteint, en 1999 et 2000, des niveaux sans précédent de 24,7 et 37,3 TWh principalement dans le marché de court terme.

Quels sont donc ces besoins futurs en énergie que le ministre des Ressources naturelles prétend vouloir combler en partie par la relance de la petite production privée d'électricité ? Et quels sont les autres moyens dont dispose Hydro-Québec, les autres ressources que le Québec pourrait développer, pour satisfaire cette demande anticipée ?

Sur le plan énergétique 0 une contribution marginale

Hydro-Québec dispose d'une puissance de 31 512 MW provenant de ses propres installations (dont 29 246 MW d'origine hydroélectrique), d'environ 5400 MW de puissance additionnelle en provenance de Churchill Falls et de quelque 500 à 600 MW qu'elle peut racheter d'autoproducteurs privés, soit un total de plus de 37 500 MW.

La société d'État peut également compter sur des moyens supplémentaires pour satisfaire la demande de pointe, que ce soit par l'importation d'électricité des réseaux voisins via ses interconnexions d'une capacité simultanée de plus de 7000 MW ou par la récupération provisoire d'un autre 500 MW de ses grands clients industriels en vertu de son programme commercial de puissance interruptible. En situation extrême, Hydro-Québec pourrait donc mobiliser une puissance totale d'environ 45 000 MW pour rencontrer ses obligations. Or, ses besoins « globaux » de puissance à la pointe annuelle, incluant ses ventes sur les marchés extérieurs, ont atteint 33 767 MW le 12 décembre 2000, après des records historiques de 35 443 MW en 1994 et de 35 577 MW en 1999.

En résumé, Hydro-Québec surestime, d'une part, ses besoins « globaux » de puissance à la pointe en y intégrant la puissance requise pour réaliser des ventes à court terme sur les marchés extérieurs; et sous-estime, d'autre part, la puissance dont elle dispose pour satisfaire la demande de pointe (besoins prioritaires) en ne comptabilisant pas ses moyens de réserve (importation et puissance interruptible). Par ailleurs, la croissance de ses ventes s'explique en partie par la progression relativement soutenue de la consommation du secteur industriel québécois et, principalement, par l'explosion de ses activités sur les marchés extérieurs.

Pour rencontrer la croissance éventuelle de la demande, la contribution de la petite hydroélectricité privée ne peut être que marginale. À titre de comparaison, la construction d'une cinquantaine de nouveaux petits barrages privés d'une puissance moyenne de 10 MW sur autant de rivières du Québec ne fournirait, au total, pas plus de nouvelle puissance installée que le seul projet hydro-québécois de la rivière Toulnustouc, déjà annoncé, d'une capacité de 440 MW ! La petite production privée d'électricité comporte-t-elle donc des avantages économiques si importants qu'ils justifieraient une telle multiplication des projets, la disparition de nos plus belles chutes, le harnachement des derniers cours d'eau encore à l'état vierge et l'accumulation des impacts environnementaux qui y sont associés ?

Sur le plan économique 0 injustifié et inadéquat

Le p.-d.g. d'Hydro-Québec, André Caillé, soutient que la société d'État peut encore développer de nouveaux projets à un coût de 3 ¢ / kWh. Si cela était vrai, Hydro-Québec aurait la possibilité de poursuivre le développement des ressources hydrauliques québécoises sans influencer significativement le coût moyen de production de l'ensemble de ses installations qui se situe à environ 2,5 ¢ / kWh. Mais on voit mal comment la production d'électricité pourrait encore se faire à un coût aussi bas autrement qu'en privilégiant le détournement d'une partie du débit de certaines rivières vers les centrales de cours d'eau voisins pour produire davantage d'énergie avec les installations existantes. Ce type de développement comporte cependant un coût environnemental significatif et ne devrait pas être autorisé sans la justification socio-économique et les études d'impacts qui s'imposent préalablement.

Le coût de production des meilleurs sites qu'Hydro-Québec pourrait encore aménager s'établit à environ 4 ¢ ou même 4,5¢/kWh. À ce prix, la construction de nouveaux barrages provoquera inévitablement une augmentation éventuelle des tarifs d'électricité facturés aux consommateurs. Elle ne saurait donc être justifiée pour la clientèle québécoise que si la croissance de la demande domestique les rend indispensables et qu'aucune autre option plus économique ne s'offre à la société d'État pour satisfaire cette demande.

Acheter pour revendre à perte

La petite production hydroélectrique privée ne possède aucune des caractéristiques qui pourraient la rendre avantageuse pour la collectivité québécoise. Son prix, qui varie de 4,5 ¢ / kWh pour les meilleurs sites à 5,5 voire 6 ¢ / kWh pour les projets de plus petites dimensions, est nettement plus élevé que le coût moyen de production d'Hydro-Québec, plus élevé également que le coût évité de la société d'État. Si l'on ajoute à ce coût initial de la production privée les coûts d'intégration au réseau existant (environ 0,8 ¢ / kWh), le tarif timbre-poste de transport applicable aux clients de charge locale (environ 1,3 ¢ / kWh) et les coûts de distribution, Hydro-Québec ne pourrait revendre cette électricité qu'à perte dans le marché québécois, même au plus élevé de ses tarifs au détail d'un peu plus de 6 ¢ / kWh. De plus, parce que ce prix d'acquisition de la production privée, garanti par Hydro-Québec, est appelé à être majoré annuellement d'un pourcentage équivalent à l'inflation, l'écart entre le coût de la production privée et celui de la société d'État est appelé à s'accroître puisque les coûts et les tarifs d'Hydro-Québec progressent pour leur part à un rythme plus lent que l'indice général des prix à la consommation.

Les projets hydroélectriques privés sont essentiellement des centrales au fil de l'eau particulièrement dépendantes des fluctuations saisonnières du débit des cours d'eau. Sans capacité d'emmagasiner l'eau, elles ne peuvent donc pas contribuer à contrebalancer les périodes de faible hydraulicité, ni contribuer d'ailleurs à la satisfaction de la pointe hivernale de la demande. Le développement de cette filière pour la satisfaction des besoins québécois n'est donc pas justifié sur le plan économique et inadéquat sur le plan énergétique.

Non avantageux pour les exportations

La question du développement hydroélectrique se pose très différemment lorsque l'énergie est destinée à l'exportation. Depuis l'ouverture des marchés de l'énergie chez nos voisins américains, la rentabilité des exportations d'Hydro-Québec ne se mesure plus en fonction des prix convenus en vertu de contrats à long terme mais principalement en fonction des prix très variables qui caractérisent les ventes à court terme sur le marché « spot ». Depuis quelques années, les ventes à long terme d'Hydro-Québec sur les marchés extérieurs sont en nette régression, alors que ses ventes à court terme connaissent une croissance phénoménale.

Pour Hydro-Québec, la possibilité de rentabiliser une part de la production hydroélectrique québécoise sur les marchés extérieurs dépend essentiellement de deux facteurs 0 sa capacité d'entreposer l'eau dans ses immenses réservoirs lorsque les prix sont bas pour vendre lorsque les prix sont élevés, d'une part; et, lorsque les prix sont élevés, sa capacité d'acheminer en très peu de temps une quantité d'énergie limitée par le potentiel de ses interconnexions avec les réseaux voisins. La petite production privée ne possède aucun des avantages requis pour profiter des nouvelles opportunités sur les marchés extérieurs de sorte qu'elle ne peut y être destinée puisque son acquisition par la société d'État à un prix plus élevé que ses propres coûts affecterait à la baisse la rentabilité globale des exportations québécoises.

Les leçons de la Commission Doyon et de la Régie de l'énergie

Lancé sous l'ancien gouvernement libéral, le programme précédent d'attribution des sites hydrauliques du domaine public à l'industrie hydroélectrique privée, l'APR 91, avait résulté en la construction de 57 petites centrales pour une capacité totale d'environ 250 MW. À son arrivée au pouvoir en 1994, le gouvernement du Parti québécois avait institué une commission d'enquête, placée sous la responsabilité du juge François Doyon, pour en examiner l'utilité, la pertinence économique, les incidences environnementales ainsi que la régularité du processus d'attribution des contrats.

Au terme d'une enquête de plusieurs mois, la Commission Doyon avait notamment conclu que le l'acquisition de l'électricité privée avait occasionné des pertes de quelques centaines de millions de dollars pour Hydro-Québec, que les modalités d'octroi des contrats avaient souffert de plusieurs déficiences et que le processus d'évaluation et de suivi environnemental s'était avéré inadéquat. Parmi ses diverses recommandations, la commission avait insisté sur la nécessité d'une évaluation gouvernementale du bien-fondé social et économique de la petite production hydroélectrique privée, dans le cadre d'audiences génériques publiques, avant la mise en vigueur d'un quelconque programme de petites centrales.

Dans un avis fourni au Gouvernement en 1999, la Régie de l'énergie avait pour sa part recommandé au Gouvernement de n'accorder à la petite hydroélectricité privée qu'une quote-part limitée à 150 MW et d'établir un prix plafond de 4,5 ¢ / kWh pour son acquisition éventuelle par Hydro-Québec. La Régie avait dû se résigner à rendre son avis sur cette quote-part sans avoir pu examiner préalablement un quelconque Plan de ressources d'Hydro-Québec et en se fiant à la croissance anticipée de la demande telle qu'établie dans le Plan stratégique 1998-2002 de la société d'État dont les prévisions ont été révisées à la baisse, de façon importante, quelques semaines plus tard. Rappelons que le gouvernement n'avait pas sollicité l'avis de la Régie quant à la pertinence même d'attribuer un support à cette filière énergétique par l'établissement d'une quote-part réservée.

Si, malgré tout, il donnait suite au projet de relance de la petite production privée mis de l'avant par le ministre des Ressources naturelles, le gouvernement du Parti Québécois commettrait un geste d'une grave inconséquence politique. Car en favorisant la multiplication des petits barrages et le harnachement éventuel de nombreuses rivières encore à l'état vierge, la mise en œuvre du projet du MRN compromettrait de nombreux autres usages à forte valeur récréo-touristique et la préservation pour les générations futures d'un patrimoine environnemental inestimable.

Les alternatives

Une filière plus avantageuse 0 l'éolienne

En matière de développement énergétique, le Québec dispose pourtant d'autres options fort intéressantes. La filière éolienne, notamment, connaît à l'échelle mondiale le plus haut taux de développement de tout le secteur énergétique 0 au cours des trois dernières années seulement, la puissance installée est passée de 8000 MW à plus de 17 000 MW. On prévoit que l'Europe à elle seule disposera d'ici l'an 2010 d'une capacité de production de source éolienne de plus de 60 000 MW. Pour sa part, le gouvernement fédéral américain encourage le développement de cette filière tant par l'attribution de subventions directes qu'en imposant aux distributeurs l'obligation de réserver une part de leurs approvisionnements aux « énergies vertes ».

On estime que le Québec possède plus de la moitié de l'ensemble du potentiel éolien réalisable au Canada, évalué à 4500 MW, soit environ 2500 MW. Grâce à une évolution technologique constante, l'accroissement de la dimension et de la capacité des éoliennes, la flambée des prix des produits pétroliers et le support consenti par plusieurs États pour favoriser son développement, la filière éolienne est en voie de devenir une source d'énergie concurrentielle en plus d'être pratiquement exempte d'impacts environnementaux.

En décembre 1997 d'ailleurs, la Régie de l'énergie recommandait au gouvernement du Québec de favoriser le développement de cette filière prometteuse par l'installation de 450 MW de puissance éolienne à intégrer au parc de production d'Hydro-Québec sur une période de dix ans. Or, le gouvernement n'a donné aucune suite aux recommandations de la Régie, de sorte que le Québec est en train de manquer le bateau alors que cette filière est privilégiée par les leaders mondiaux du développement énergétique.

Les économies d'énergie

La mise en œuvre d'un programme national d'économies d'énergie représente également, à tous égards, une voie éminemment avantageuse pour le Québec dans laquelle le gouvernement refuse pourtant de s'engager. Une réduction de l'ordre de 10% de la consommation d'électricité québécoise aurait pour effet de libérer annuellement plus de 15 TWh d'énergie qui serait remise en disponibilité pour fin d'exportation par la société d'État. Tout le monde y trouverait son compte 0

· les consommateurs, en profitant d'une réduction de leur facture énergétique;

· Hydro-Québec, en réalisant des ventes équivalentes redirigées vers les marchés extérieurs et en reportant la construction de nouvelles centrales plus coûteuses que son parc existant;

· le gouvernement, en percevant tout autant de dividendes sur les ventes hydro-québécoises et en profitant au surcroît des retombées économiques résultant d'un chantier national de rénovation des bâtiments.

Voilà donc une filière susceptible de favoriser la réconciliation des rôles traditionnellement conflictuels de l'État québécois 0 celui d'État actionnaire, intéressé à profiter des bénéfices générés par les ventes d'électricité, et celui d'État défenseur de l'intérêt public.

Malheureusement, en l’absence de mesures appropriées, les objectifs annuels d'économies d'énergie de 10 TWh mis de l'avant par Hydro-Québec au début des années 90 ne se sont jamais réalisés et ont été abandonnés graduellement par manque de volonté politique de son actionnaire.

Développer le potentiel résiduel

Si, après avoir déployé des efforts importants pour réduire les besoins énergétiques québécois, il s'avérait que la poursuite du développement hydroélectrique s'avère économiquement justifiée et socialement pertinente, la collectivité québécoise devrait nécessairement prendre en compte l'évolution récente du secteur énergétique et les tendances qui la caractérisent. Hydro-Québec possède un atout majeur qui réside dans sa capacité d'entreposer l'eau dans ses immenses réservoirs pour vendre son électricité lorsque les prix sont avantageux. Mais la rentabilité de ses ventes sur les marchés extérieurs est affectée par l'éloignement considérable de son parc de production des marchés qu'elle convoite et les coûts de transport que cela implique. Ce handicap risque de s'aggraver au fur et à mesure que ses compétiteurs américains construisent de nouvelles centrales de production, principalement des turbines à gaz, à proximité immédiate des centres de consommation.

Cela devrait amener les décideurs, s'ils sont éclairés, à privilégier le développement du potentiel résiduel des grands cours d'eau déjà harnachés plutôt qu'à favoriser la dispersion des projets hydroélectriques et le détournement massif de rivières patrimoniales et ce, pour plusieurs raisons 0

· en développant prudemment le potentiel résiduel de rivières déjà harnachées à proximité de ses lignes de transmission existantes, Hydro-Québec maximiserait l'usage et la rentabilité de son réseau de transport et réduirait d'autant son handicap lié à l'éloignement des marchés;

· en turbinant 2, 3, 4 fois l'eau provenant d'un même cours d'eau, la société d'État pourrait à la fois satisfaire la demande québécoise en entamant moins ses réserves énergétiques et bonifier sa capacité de profiter des opportunités sur les marchés extérieurs lorsque les prix sont élevés;

· en renonçant aux détournements de rivières, l'intégrité de cours d'eau d'une valeur patrimoniale inestimable serait préservée pour les générations futures.

Si le coût unitaire de mise en service des sites encore aménageables sur les cours d'eau déjà harnachés peut s'avérer un peu plus élevé à court terme, un tel développement, plus conséquent, serait nécessairement plus rentable à long terme, à tous égards, tant pour Hydro-Québec que pour l'ensemble de la société.

La rupture d'un pacte social

Depuis la nationalisation de ce secteur économique, la propriété publique des installations de production, de transport et de distribution d'électricité en a assuré le développement au prix le plus avantageux pour la collectivité. Les coûts et les bénéfices ont été assumés et répartis uniformément au profit de tous les citoyens québécois, gage de solidarité sociale et d'identification nationale.

Mais voici que le ministre des Ressources naturelles propose de confier le développement de l'hydroélectricité au secteur privé en créant des sociétés en commandite dans lesquelles les MRC et les bandes autochtones pourront avoir une participation financière. Ainsi, les communautés locales pourraient participer au partage des bénéfices tirés de l'exploitation des forces hydrauliques du domaine public par le secteur privé.

Dans les faits, l'industrie de la petite production hydroélectrique privée ne pourrait être développée, ni même obtenir de financement, sans qu'Hydro-Québec ne lui garantisse un prix d'achat à long terme. Ce que le gouvernement envisage, c'est de subventionner indirectement une industrie privée non viable par l'entremise de la société d'État. C'est l'ensemble des consommateurs d'électricité qui assumeront éventuellement dans leurs tarifs les coûts de cette subvention, sans compter les dommages causés au patrimoine environnemental de la collectivité par la multiplication des petits barrages sur nos plus belles rivières.

Sous prétexte de concertation préalable des communautés locales et de leur implication dans le développement des projets, le gouvernement exacerbe les besoins régionaux de création d'emploi au point de court-circuiter l'examen du bien-fondé économique et social du modèle de développement proposé. Il devient impossible dans ces conditions de tenir un débat public, rigoureux et éclairé sur les orientations les plus souhaitables pour la collectivité en matière de développement énergétique, sans remettre en question la réalisation des petits projets privés déjà convenus avec les communautés locales. La justification des projets est ainsi évitée. Une sorte de fuite en avant soigneusement planifiée 0 nos rivières offertes au privé en location à long terme pour quelques emplois à court terme!

En attisant ainsi la soif économique des régions défavorisées, le gouvernement risque de provoquer des conflits sociaux, le morcellement territorial du développement et la fracture du pacte social de l'électricité. La participation financière des communautés locales dans des sociétés en commandite chargées de la réalisation des projets, quoique enrobée d'intentions vertueuses, crée une dangereuse situation de polarisation d'intérêts.

Le gouvernement péquiste serait-il à ce point inquiet de ses chances de réélection, de l'effritement de son membership, de ses problèmes de financement, de l'érosion de ses appuis politiques qu'il doive se rabattre sur un nouveau régime de patronage basé sur le saupoudrage de petites subventions régionales aux dépens de la collectivité ?

*L’auteur du dossier, Jean-François Blain est analyste dans le secteur de l'énergie; il est membre du comité Rivières de la Coalition Eau Secours !|199| 
330|Surprise! Le Canada s’anglicise|Charles Castonguay| La population de langue française à l’extérieur du Québec bascule vers la disparition

La Commission Larose a tenu la question des minorités francophones à l’écart de ses journées thématiques au profit d’interrogations sur l’état de la population anglophone au Québec. Les commissaires ont préféré rencontrer en petit comité le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, M. Georges Arès. Celui-ci en a profité pour lancer un « C’est vraiment dégueulasse ! » aux chercheurs qui constatent la disparition rapide des minorités trop éloignées du Québec. Au lieu de tirer sur le messager, il vaudrait mieux viser l’assimilation et ses causes, raisons premières de cette peu réjouissante perspective.

J’ai montré dans ma chronique d’avril comment le pouvoir d’assimilation de l’anglais compense la sous-fécondité de la population anglophone, si bien que les jeunes enfants sont à peine moins nombreux que les jeunes adultes. Le taux de remplacement des générations anglophones est de 91 % au Québec et de 93 % dans le reste du Canada. La population de langue anglaise se porte donc fort bien, au Québec comme ailleurs. Et la migration de Québécois de langue anglaise vers d’autres provinces n’entame en rien la population de langue anglaise du Canada dans son ensemble.

Les générations ne se remplacent plus

Parmi la population de langue française à l’extérieur du Québec, l’assimilation à l’anglais produit l’effet contraire. Elle compromet de façon définitive le remplacement des générations. Comme résultat, la population de langue maternelle française a plafonné, tandis que celle de langue d’usage française baisse de façon continue (voir notre tableau). Ce qui contribue à pousser la population de langue française du Canada dans son ensemble vers le déclin.

Le déficit de la population de langue d’usage française vis-à-vis de celle de langue maternelle, partout visible dans notre tableau, provient spécifiquement de l’adoption de l’anglais comme langue principale à la maison par de nombreux francophones minoritaires. Les deux dernières lignes du tableau montrent que ces pertes par voie d’assimilation à l’anglais ne cessent de croître.

Le plafonnement des effectifs selon la langue maternelle et la baisse de ceux selon la langue d’usage s’expliquent en fait par l’effet conjugué de la sous-fécondité et de l’assimilation. Les francophones anglicisés élèvent le plus souvent leurs enfants en anglais. Ceux-ci sont alors de langue maternelle anglaise. Et la fécondité francophone est très insuffisante depuis 1976. Sous-fécondité et assimilation agissent donc désormais de concert. Et la relève ne cesse de fondre.

Une relève en chute libre

Cela ressort clairement du profil selon l’âge de la population francophone hors Québec (voir notre figure). Le nombre de jeunes enfants au bas du profil représente seulement 54 % du nombre de jeunes adultes au milieu. Pareil taux de remplacement équivaut à un déficit entre les générations de 46 %. Autrement dit, les jeunes enfants francophones sont grosso modo moitié moins nombreux que la génération de leurs parents.

C’est pourquoi le plafonnement actuel de la population de langue maternelle française préfigure une baisse imminente. En effet, son profil selon l’âge est celui d’une population qui, après plus de deux siècles de croissance, penche vers sa disparition. Cette tendance mine déjà les effectifs selon la langue d’usage. À moins d’un apport migratoire aussi important qu’imprévu, la population francophone hors Québec ne peut que basculer vers le déclin.

Le déficit par province

Le déficit entre les générations est important parmi chaque minorité provinciale. Son ampleur varie en fonction du déficit « biologique » et, surtout, du taux d’anglicisation. Celui-ci est à son plus faible au Nouveau-Brunswick. C’est la sous-fécondité qui explique la majeure partie du déficit actuel de 36 % entre les générations francophones dans cette province. Le nombre d’enfants ne cesse de se réduire et la minorité de langue française a cessé de croître.

L’assimilation est plus élevée en Ontario. Par conséquent, le déficit entre les générations francophones est de 44 %. La population de langue maternelle française ne progresse plus. Celle de langue d’usage française s’est réduite de 13 % depuis 1971.

Partout ailleurs, l’assimilation est encore plus élevée et le déficit entre les générations est de 50 % ou plus. Les minorités en cause sont en voie de disparition. Depuis 1971, la population de langue d’usage française a baissé de 56 % à Terre-Neuve, de 31 % à l’Île-du-Prince-Édouard, de 24 % en Nouvelle-Écosse, de 42 % au Manitoba, de 63 % en Saskatchewan et de 21 % en Alberta. Celle de la Colombie-Britannique a parfois quelque peu augmenté au gré des apports migratoires, mais elle n’a pas d’enracinement démographique. Le taux d’assimilation des jeunes adultes francophones nés dans la province atteint tout près de 90 %.

L’assimilation augmente jusque dans la capitale

On pouvait espérer que la Loi sur les langues officielles du Canada réduise l’assimilation, du moins dans la région de la capitale canadienne. Il n’en est rien. Au contraire, le taux d’anglicisation des jeunes adultes francophones dans le nouveau « Greater Ottawa » est passé de 22 % à 40 % en l’espace de 25 ans. Il augmente d’ailleurs de plus en plus vite (voir notre figure). Le déficit actuel entre les générations francophones y est également de 40 %. Et la population de langue française de la nouvelle capitale du Canada est en déclin.

Mettre fin au préjudice démographique

L’anglicisation croissante des francophones minoritaires ne compromet pas seulement l’avenir de la population de langue française au Canada anglais. Elle annule aussi le maigre profit démographique réalisé jusqu’ici au Québec en matière de francisation des allophones. En effet, au niveau de l’ensemble du Canada, le taux de remplacement des générations francophones n’est que de 79 %, ce qui équivaut à leur taux de remplacement « biologique ».

Ainsi, la majorité canadienne de langue anglaise est seule à tirer de l’assimilation des allophones un profit net qui compense en grande partie sa sous-fécondité. Voilà pourquoi il est souvent question du vieillissement de la population canadienne, largement de langue anglaise. Mais jamais de son éventuel déclin. Et voilà pourquoi la perspective est tout autre pour la population de langue française du Canada. Après quatre siècles de croissance, c’est le déclin ou, si l’on veut, la disparition tendancielle qui lui pend au nez.

Devant pareille perspective, la Commission Larose n’a pas à se préoccuper outre mesure de l’avenir de la population anglophone. En revanche, le nombre d’enfants francophones se trouve en chute libre partout à l’extérieur du Québec. Et l’anglicisation exerce jusque dans la capitale fédérale une pression de jour en jour plus forte.

Le messager n’y est pour rien 0 de toute évidence, la solution au préjudice démographique dont souffre la population de langue française au Canada, relativement à celle de langue anglaise, se trouve au Québec. Pour compenser autant que possible la sous-fécondité francophone, les règles du jeu devront changer de sorte que, du moins au Québec, l’assimilation appuie le remplacement des générations francophones au même degré que celui des générations anglophones. Assez perdu de temps ! Il incombe à Ottawa et à Québec de se concerter d’urgence dans le but d’intensifier la francisation des immigrants allophones à Montréal.

La Commission Larose compte déposer son rapport le 31 mai. Réservera-t-il une place centrale aux inquiétudes fondées quant à l’avenir démographique de la population de langue française ? Visera-t-il la cause première de la faiblesse du français au Canada et au Québec sur le terrain crucial de l’assimilation linguistique, soit le refus fédéral d’accorder au peuple acadien/canadien français/québécois sa juste part de soleil ?

Où sont passés les enfants ?

Entre-temps, la Commissaire aux langues officielles du Canada publie un rapport qui nous apprend l’inévitable 0 maintenant qu’il existe enfin un réseau complet d’écoles françaises à l’extérieur du Québec, où sont les enfants pour les remplir ? Comme solution, elle propose de combler l’effectif avec des petits « ayants droit »… anglophones. Variation cocasse sur un thème à la mode voulant que l’avenir du français soit l’anglais.

Cela reviendrait à transformer graduellement les écoles françaises en écoles d’immersion. L’avenir du français à l’extérieur du Québec doit-il aboutir ainsi à celui d’une langue seconde pour une population toujours plus anglicisée ? Beau débat en perspective parmi les communautés francophones et acadienne du Canada ! Sinon, Lord Durham peut dormir sur ses deux oreilles.|199| 
331|L’esprit de Mercier|Paul Rose| Il faudra dorénavant parler de l’avant et de l’après Mercier. Impensable, devant un moment historique aussi fort, de revenir en arrière. À gauche, l’esprit de Mercier est là pour durer et faire des petits !

Parce que l’esprit de Mercier, c’est d’abord la consécration de la rupture entre le Parti québécois et son aile gauche indépendantiste. Comme le faisait remarquer assez judicieusement Paul Cliche à la suite du verdict populaire du 9 avril 0 le Parti québécois n’a plus le monopole du discours sur la souveraineté.

Concrètement, Mercier, c’est la constitution d’une gauche unifiée autour d’un projet de libération nationale qui passe essentiellement par l’émancipation sociale. Un ensemble de formations politiques, d’organisations ou de forces sociales (syndicales, communautaires, environnementales, féministes, étudiantes et culturelles) s’est coalisé autour de cette idée force, tout en maintenant des stratégies d’approche différentes, notamment sur la question nationale, allant de l’option indépendantiste (très majoritaire) jusqu’à l’appui à la lutte contre l’oppression nationale, ou encore à la reconnaissance du droit à l’autodétermination du Québec.

L’esprit de Mercier, c’est essentiellement l’unité de la gauche sur la base à la fois d’une plate-forme politique commune et de la pleine reconnaissance des particularités et de l’autonomie des organisations membres de la coalition. Tout le contraire du Big One parti de type hégémonique dans lequel disparaissent toutes les tendances organisées. L’antithèse du modèle politique dominant mis de l’avant par le Mouvement Souveraineté-Association (MSA) et qui devait mener en 1968 à la formation du Parti québécois.

En soi, l’unification de la gauche sous cette forme est une première en Amérique du Nord

L’esprit de Mercier, c’est la formidable mise en œuvre de la capacité pour quelque 500 militantes et militants de la base de travailler ensemble, en complémentarité, dans le respect et la reconnaissance des diverses cultures d’organisation de chacune des formations membres de la coalition. Sur le terrain, ce qui s’est imposé de soi, par la force des événements, ce sont les expériences particulières de chacune des organisations.

Ainsi, certaines d’entre elles ont promptement tablé sur leur expertise dans l’art de la distribution massive et rapide d’outils d’information et le porte-à-porte social (groupes communautaires, bénévoles, etc.). D’autres ont dû faire des prodiges au plan de l’imprimerie et du journal. Certaines se sont montrées plus efficaces dans les appels téléphoniques (pointage, information, transport en voiture des gens âgés, etc.) et le porte-à-porte avec Paul Cliche. Une organisation, en particulier, a concentré son action sur le terrain des cafés et autres lieux de rencontres informelles, une autre sur l’affichage et l’entretien des pancartes électorales, etc., etc.

La nécessité du scrutin proportionnel

L’esprit de Mercier, d’autre part, forcera de façon pressante le gouvernement québécois à reconsidérer sérieusement l’option du mode de scrutin proportionnel aux prochaines élections générales, à moins de vouloir marginaliser le vote majoritaire « souverainiste » de toutes allégeances.

Un défi pour la gauche

Pour la gauche québécoise dans son ensemble, reste enfin le stimulant défi d’étendre l’esprit de Mercier à toutes les circonscriptions du Québec.

Les organisations de gauche membres de la coalition sortiront grandies de Mercier 0 cela se traduit et se traduira par de nouveaux espoirs chez les membres, de nouvelles adhésions, des campagnes de membership dans chacune des formations politiques, etc. Ces développements et consolidations sont essentiels puisque l’unité viable de la gauche, comme on l’a vu, passe par la reconnaissance des tendances, par leur bonne santé organisationnelle sur le terrain.

En même temps, nous devrons maintenir rigoureusement les liens entre les formations 0 actualisation de la plate-forme, actions communes dans la foulée de Porto Alegre et de Québec 2001, établissement de critères nationaux et locaux quant aux choix et partages des candidatures uniques, mode d’identification de celles-ci (ex 0 gauche plurielle-PDS, gauche plurielle-PCQ, gauche plurielle RAP, etc.).

Donc, beaucoup d’éléments essentiels et de petits détails à régler en peu de temps !

Puisque, à partir de maintenant, il nous faut bien le réaliser, nous serons jugés sur notre capacité à pousser de l’avant l’espoir et les principes neufs d’unité dans la diversité mis en germe dans le dégel politique d’un certain printemps 2001.|199| 
332|Mortes, les femmes sont plus crédibles|Élaine Audet|

La violence conjugale



Les élections dans Mercier ont relancé le débat sur la violence conjugale et, comme toujours, aucun effort n'a été épargné pour balayer le problème sous le tapis. Afin de ne pas trahir la réalité, il serait plus juste de dire «violence maritale » plutôt que « violence conjugale » parce que ce sont les femmes qui en subissent majoritairement les formes les plus graves. Au Québec, en 1996, 8382 femmes contre 412 hommes1. Selon Statistique Canada, entre 1978 et 1998, un conjoint sur huit a violenté sa femme et 1468 femmes ont été tuées par leur partenaire2.

Les exemples d'Hélène Lizotte ou de Ginette Roger, assassinées par leur conjoint après de multiples appels au secours, montrent à quel point il est difficile pour une femme d'être prise au sérieux. Il arrive trop souvent qu'elle ne rencontre qu'indifférence et incrédulité de la part de son entourage et des institutions judiciaires jusqu'à ce que la mort vienne donner une preuve incontestable et finale de la véracité de ses dires.

Un crime social

Depuis 1986, au Québec, la violence conjugale ne bénéficie plus de l'immunité familiale et du silence qui lui permettait de se perpétuer, mais elle constitue un crime social sanctionné par le code criminel. D'autre part, il faut vraiment être de mauvaise foi pour prétendre qu'une femme téléphone au 9-1-1 par pur caprice. En rendre responsable un moment de panique inexplicable, et non une peur justifiée, c'est sous-entendre que les femmes sont toutes des hystériques indignes de crédibilité.

Un juge a, pour sa part, considéré les faits suffisamment graves pour émettre une ordonnance en vertu de l'article 810 du Code criminel selon laquelle l'accusé s'engage, sous peine d'infraction, à garder la paix pendant un an. Qui peut ignorer encore que, dans les cas de violence conjugale, beaucoup de femmes renoncent à porter plainte parce qu'elles hésitent à être responsables de l'attribution d'un casier judiciaire et d'une peine d'emprisonnement à un homme qu'elles ont aimé, le père de leurs enfants ?

Elles peuvent également craindre des représailles de ce dernier ou se voir conseiller par la Couronne de retirer leur plainte en faveur de la protection offerte par l'article 810, comme cela s'est produit dans le cas de l'ex-conjointe de M. Toussaint. À propos de cet article, les groupes de femmes regrettent qu'une telle mesure permette à un agresseur de conserver la présomption d'innocence malgré le fait qu'il ait pu commettre les gestes qui lui sont reprochés, et ne garantisse pas la sécurité à long terme de la victime. Beaucoup de femmes ont d'ailleurs perdu confiance dans le système judiciaire qui ne condamne qu'un infime pourcentage d'agresseurs et, quand il le fait, c'est la plupart du temps à des peines sans commune mesure avec la gravité du tort subi par les victimes.

Racisme contre sexisme

Pour renverser la balance en faveur de son candidat, le PQ n'a pas hésité à utiliser la colère d'une centaine de femmes haïtiennes venues défendre « leur compatriote» et « voter pour un Haïtien », quels que soient les faits qui lui étaient reprochés et leur propre allégeance politique (Sans Frontières, 95,1 FM, 2.04.01). L'ex-épouse de M. Toussaint n'est-elle pas haïtienne elle aussi ? De leur côté, les Foglia, Perreault et autres ont cherché à faire une victime du candidat péquiste, l'exemple même de l'humain plus qu'humain, comme si le fait qu'on soit menteur, violent et irresponsable sur le plan financier les confortait dans leur humaine condition. Comment peut-on croire les arguments de quelqu'un qui a commencé par mentir à ceux et celles qui lui ont accordé spontanément leur confiance ? Une fois de plus, les intérêts politiciens ont primé sur les principes et la vérité.

Enfin, celles et ceux qui dénonceront la banalisation de la violence conjugale et s'interrogeront sur la transparence du candidat seront accuséEs d'acharnement, de racisme voire de fascisme! Évoquer le racisme pour occulter la violence conjugale est d'ailleurs une tactique gagnante, comme l'a montré le procès de O.J. Simpson. On se rappellera aussi les audiences de la Commission d'enquête sur les accusations de harcèlement sexuel formulées par Anita Hill contre son ex-employeur Clarence Thomas, candidat à la Cour suprême des États-Unis. Deux causes célèbres médiatisées à l'échelle planétaire. Bien que Hill et Thomas soient tous deux afro-américains, Thomas a joué avec succès la carte du complot raciste dont le but aurait été d'empêcher un Noir d'accéder à la haute fonction de juge à la Cour suprême, occultant ainsi complètement les preuves de harcèlement sexuel apportées par Anita Hill.

L'électorat a tranché

Heureusement, les résultats du vote montrent que l'électorat de Mercier a signifié clairement son rejet de la violence conjugale et de toutes les magouilles partisanes pour en faire une banale dispute de couple. Quelle idée se fait-on de la justice quand on jette par-dessus bord le fait qu'un juge ait considéré les faits assez graves pour avoir recours à l'article 810 pour protéger la plaignante ?

Le PQ a montré clairement ses couleurs dans cette campagne. Plutôt le maintien d'une candidature douteuse et le risque de donner la victoire au parti libéral que de laisser la voie libre à Paul Cliche, candidat de l'Union des forces progressistes, dont les convictions indépendantistes ne font pourtant aucun doute. Pour le PQ, plutôt les fédéralistes que des souverainistes de gauche. Là se situe désormais la démarcation néolibérale du parti de Bernard Landry !

Mise au point de Françoise David

Que penser de la lettre d'excuse adressée à Claudel Toussaint par l'exécutif de la FFQ pendant l'absence de sa présidente ? En entrevue, le 12 avril, Françoise David me dit que l'exécutif de la FFQ a cru bon de préciser que la Fédération n'avait jamais contesté le fait que « M. Toussaint n'a pas été reconnu coupable au sens de la loi, puisque les charges déposées formellement contre lui ont été retirées par la Couronne ». Ce qui ne signifiait nullement cependant que la FFQ retirait sa critique de la banalisation de la violence conjugale et des propos de M. Toussaint, rapportés dans Le Devoir du 27 mars, lorsqu'il attribuait à un incompréhensible moment de panique de la part de son ex-épouse l'intervention de la police et des médias dans ce qui aurait dû, selon lui, rester une affaire privée.

Françoise David reconnaît que « certaines formulations contenues dans la lettre de l'exécutif sont malheureuses et prêtent à confusion ». Pour sa part, Louise Riendeau, porte-parole du Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale, qui avait également dénoncé les paroles de C. Toussaint, a maintenu sa position.

Deux poids deux mesures

Après « l'affaire Michaud », ce qu'on appelle désormais « l'affaire Toussaint » incite à de sérieuses questions. D'entrée de jeu, on peut constater la différence de traitement entre ces deux affaires de la part du gouvernement. D'une part, le premier ministre Bouchard interprète et décuple la portée des déclarations d'Yves Michaud, candidat indésirable parce qu'incontrôlable par le parti, et obtient sa condamnation unanime par l'Assemblée nationale.

Les accusations contre Claudel Toussaint pour voies de fait de la part de son ex-épouse lui valent, au contraire, des manifestations de soutien et de compassion de la part de Québécois d'origine haïtienne, de députés péquistes et de journalistes, des deux sexes, assorties d'attaques contre les représentantes des femmes qui s'acharneraient contre le candidat péquiste et violeraient ainsi sa vie privée en dépit du fait qu'il a été « acquitté ».

Inutile de dire qu'on assiste une fois de plus à la politique du «deux poids deux mesures », courante quand il s'agit des femmes. Personne, sans doute, n'aura oublié l'acquittement d'un autre personnage public, Gilbert Rozon, en dépit des témoignages l'incriminant. Vivant contraste avec l'acharnement manifesté envers Lorraine Pagé pour un délit mineur, la forçant à démissionner de son poste de présidente de la CEQ. Ainsi va la justice et la solidarité des hommes entre eux. Il est désolant de constater que certaines femmes font encore passer l'allégeance ethnique ou la ligne de parti avant la solidarité envers leurs semblables.

(1) Institut de la statistique du Québec, 7 octobre 1999.

(2) Statistique Canada, no 85-224 au catalogue. « L'expression violence conjugale dans l'enquête signifie toute voie de fait ou agression sexuelle qui concorde avec les définitions du Code criminel de ce type d'infraction et qui peut faire l'objet d'une intervention par un policier. […] Les taux de mauvais traitements psychologiques par les conjoints sont analysés séparément et ne sont pas inclus dans les totaux globaux de violence conjugale. »

Voir également 0 Madeleine Lacombe et le Regroupement provincial des maisons d'hébergement et de transition pour femmes victimes de violence conjugale, Au grand jour, Montréal, les Éditions du remue-ménage, 1990.|199| 
333|Le nouveau mode de financement favorise l'exode des jeunes|Alain Dion|*

Cégeps des régions 0



Depuis février dernier, 16 syndicats d'enseignantes et d'enseignants des cégeps de plusieurs régions du Québec, issus des trois fédérations syndicales collégiales ( FAC-FEC-FNEEQ ), se réunissent afin d'échanger sur les multiples problèmes générés par le nouveau mode de financement des collèges.

Rappelons que le ministère de l'Éducation a profité des dernières négociations du secteur public pour imposer une nouvelle façon de financer les cégeps du Québec. Basée sur des données historiques en période de croissance de la clientèle, ce nouveau mode de financement pénalise grandement les collèges régionaux aux prises avec l'actuelle baisse démographique.

Force est de constater que pour l'ensemble des cégeps régionaux, la baisse démographique et le financement actuel poseront, à brève échéance, des problèmes d'accessibilité aux études supérieures et provoqueront une diminution de l'offre de formation collégiale en région. La majorité des collèges font actuellement face à d'éventuelles fermetures de programmes et à une diminution forcée de l'offre de cours.

Un financement par élève plutôt que par groupe

L'élément le plus pénalisant de ce nouveau mode de financement est la façon de calculer les ressources dédiées à l'enseignement. Auparavant, les collèges étaient financés à partir du nombre de groupes formés. Un collège pouvait former un groupe avec 15 élèves et il était pleinement financé pour ce groupe. Aujourd'hui, le calcul des ressources est basé sur le nombre d'élèves, par cours, par programme 0 les PES ( période-étudiant-semaine ).

C'est maintenant chaque élève dans chaque cours qui génère la ressource. Ainsi, si le même cours est ouvert avec 15 élèves, la dépense réelle sur la masse salariale est l'équivalent d'un cours, mais le financement en PES, lui, peut s'avérer insuffisant. Comme la norme minimale de financement en PES est établie à partir d'une statistique nationale calculée sur les six ou huit dernières années – où l'on connaissait une hausse de clientèle – on peut facilement comprendre que les collèges régionaux, qui connaissent la présente baisse de leur clientèle, se retrouvent rapidement pénalisés par ce mode de financement.

Parlez-moi d'incohérence

Une grande partie des problèmes provient de l'incohérence même des orientations du ministère de l'Éducation. Le développement des nouveaux programmes par compétence a généré une augmentation des coûts reliés à l'enseignement en favorisant, entre autres, la multiplication des cours spécialisés offerts dans plusieurs programmes.

Prenons un exemple qui illustre assez bien le pouvoir inflationniste de la réforme. Un cours X (psychologie par exemple) était auparavant offert à des élèves de deux ou trois programmes différents, une même discipline pouvant s'adresser à différents programmes. Nous formions alors un groupe de 25-30 personnes du cours X avec des élèves des deux ou trois programmes concernés.

Maintenant, pour répondre aux objectifs spécifiques du programme élaboré par compétence, ce même cours se retrouve plus spécialisé et il est offert à une clientèle unique. Le cours X se multiplie alors par le nombre de programmes différents et génère donc un besoin en ressources supplémentaires. Mais du même coup, il y aura nécessairement moins d'élèves dans chacun des cours qui, n'étant plus financés par groupe mais par PES, deviendront rapidement déficitaires.

En proposant un modèle de financement basé sur les PES, les financiers du MEQ ne tiennent pas compte des contraintes pédagogiques diverses découlant de l'élaboration des programmes par compétences. Et si, comme le suggère le ministère, les Directions rationalisent l'offre de cours pour diminuer les coûts, elles iront à l'encontre des objectifs même de la réforme en offrant des cours plus généraux aux différents programmes. On ne peut pas être plus incohérent. Malheureusement, faut-il s'en étonner, les Directions de collège – en bons gestionnaires responsables – se contentent de gérer le sous-financement sans dénoncer l'illogisme du financement actuel.

En plus d'occasionner des pertes d'emplois et une augmentation généralisée de la tâche, cette possible rationalisation de l'offre de programmes devient très problématique pour toutes les régions. Faire le choix de rationaliser, comme voudraient l'imposer plusieurs de nos Directions, ce serait changer la mission même des collèges qui ont été créés afin de favoriser l'accès aux études supérieures pour le plus grand nombre de jeunes et d'adultes possible, et ce, partout au Québec. Une diminution de l'offre de programmes accélérerait encore davantage l'exode des jeunes, amorçant ainsi une véritable spirale sans fin qui mettrait en péril la survie même des cégeps et par extension, ralentirait le développement culturel, économique et social de toutes les régions du Québec. Il est donc essentiel que le ministère revoit son mode de financement pour l'adapter à la réalité régionale.

*coordonnateur de la Coalition de l'Est

La Coalition des enseignantes et enseignants des cégeps des régions comprend les syndicats suivants 0 Abitibi-Témiscamingue, Baie-Comeau, Drummondville, Jonquière, La Pocatière, Rivière-du-Loup, Rimouski, Matane, Gaspé, Sept-Iles, Victoriaville, Charlevoix, Carleton, les Iles-de-la-Madeleine, Amqui et Grande-Rivière.|199| 
334|Les hôpitaux pourront licencier les malades|Louis Préfontaine| Le bâton et la carotte. Il s’agit de la nouvelle approche du gouvernement qui a décidé de pénaliser les hôpitaux non performants, d’offrir des primes à ceux qui respectent un « indice du coût moyen de “ production ” de services » et des bonis aux cadres supérieurs qui acceptent de faire le sale boulot, c’est-à-dire couper les services à la population sans que cette action ne semble venir directement de Québec.

Un comité présidé par l’économiste Denis Bédard a besogné durant un an pour trouver la formule merveilleuse permettant de quantifier le temps et les ressources nécessaires pour telle ou telle maladie. Et ne venez pas vous plaindre si votre cas diffère du patient moyen !

Cette situation est inacceptable, selon Paul Saba, de la Coalition des médecins pour la justice sociale. Les hommes et les femmes ne sont pas des voitures. Il n’y a pas de temps défini pour changer l’huile. Si vous traitez un patient trop malade, trop âgé ou trop démuni, ce n’est pas rentable. Les hôpitaux vont repérer les patients « loser » – ceux qui occuperaient trop longtemps un lit ou coûteraient trop cher à soigner – et ils vont tout faire pour s’en occuper le plus rapidement possible, conformément au « délai moyen » exigé par la politique de performance.

M. Saba est très cynique lorsque vient le temps de répondre à la question de ce qui arriverait à un malade qu’il est impossible de soigner plus rapidement 0 « Un patient qui, malheureusement pour l’hôpital, survit à une opération et occupe trop longtemps le même lit, risquerait de se retrouver à l’urgence, si on le retournait trop vite à la maison. Ce serait très mauvais pour l’évaluation de la performance de l’hôpital. Il sera plutôt référé prématurément vers un centre d’hébergement de longue durée. » Selon lui, le gouvernement est directement responsable de la situation à cause des budgets impossibles à atteindre qu’il impose aux hôpitaux.

Les pompiers pyromanes de la santé

Pendant que les coupures se poursuivent grâce à la sublime inflation, la ministre Marois affirme en grande pompe un « réinvestissement de deux milliards ». Le problème, c’est qu’après avoir déduit une réserve pour l’an prochain et après avoir épongé les déficits cumulés des hôpitaux et tous les autres frais, il ne reste plus que 123 millions de dollars, soit près de 5 cents par citoyen par jour ! C’est ce que la Coalition Solidarité Santé et la Coalition des médecins pour la justice sociale appellent « la politique de la canette vide ».

Pour Paul Saba, la situation est intolérable. « J’ai l’impression que le ministère de la Santé n’existe que pour régler des problèmes qu’il a lui-même créés. Ces gens-là sont un peu comme des pompiers qui mettent le feu pour ensuite l’éteindre; ce sont les pyromanes de la santé. » Mais quel serait donc l’intérêt de sans cesse créer des problèmes pour ensuite les résoudre triomphalement ? « Ils se préparent peut-être pour un emploi futur dans une compagnie d’assurance », soutient avec vigueur le médecin militant. « Si vous détruisez le système public, vous allez vendre beaucoup d’assurance; s’il y a beaucoup d’incendies, les gens voudront se défendre contre le feu. Ils ont brûlé le système de santé. »

L’arme du crime

Pour chaque méfait, il faut une arme. En choisissant lui-même très prochainement les administrateurs des régies régionales (ceux-ci sont présentement élus) et en distribuant des bonis de 36 millions aux cadres supérieurs, Rémy Trudel s’assure que ses directives ne seront pas contestées par quelque énergumène parlant de choses aussi absurdes que de droit à la santé et de respect des patients.

« Les 36 millions aux directeurs d’hôpitaux s’inscrivent dans une logique de marché », affirme Marie Pelchat, de la Coalition Solidarité Santé. « Chez Merck Frosst comme à la Banque Nationale, les directions ont des primes au rendement. C’est aussi dans la suite du rapport Clair qui prônait de donner plus de latitude aux gestionnaires du réseau. Mais c’est également une lame à deux tranchants. Ils porteront plus que leur part de responsabilité si leur hôpital n’est pas performant et personne n’aura envie de regarder autour pour tenter de comprendre pourquoi. La religion du néolibéralisme leur permettra, comme dans toutes les religions, d’expliquer simplement les choses sans se poser de question. »

Au même moment, dans la Vallée de la Rouge, à L’Annonciation, on craint toujours que l’hôpital soit le prochain à passer au chalumeau économique. La solidarité et le militantisme des résidants a permis d’éviter temporairement le pire, mais contre un pompier pyromane, qui va les défendre ?

À L’Annonciation 0 Lock-out à l’urgence

Ces budgets contraignants forcent la direction de plusieurs établissements, souvent en région, à prendre des décisions irresponsables. Ce fut le cas dernièrement à L’Annonciation, dans les Hautes-Laurentides, où, n’eut été de la mobilisation générale, on aurait fermé l’urgence la nuit. « L’administration fonctionne en broche-à-foin, soutient André Vadeboncoeur, président du syndicat des infirmiers de l’hôpital. Le ministre avait donné jusqu’au 15 avril pour couper, sous peine de sévères pénalités, alors on se dépêche. »

Il y a eu quatre manifestations publiques d’importance (dont une a regroupé plus de 2000 personnes, dans cette région ne comptant que 12 000 résidants permanents) avant que le ministre Rémy Trudel n’intervienne pour « sauver » l’urgence. Mais cela n’empêche pas qu’il faudra trouver 1,1 million $ pour combler le manque à gagner de l’année financière en cours.

Cette situation force la direction de l’hôpital à prendre des décisions impulsives. Par exemple, si un simple citoyen ne s’était pas levé pour signaler, lors d’un conseil d’administration, l’irrationalité du projet de fermeture des soins auditifs, on aurait sauvé 4000 $ en fermant le service, alors qu’il y a 35 000 $ d’équipement fonctionnel. « On a dit, alors, comme ça, sur un coin de table, qu’on allait finalement garder le service ouvert », explique M. Vadeboncoeur.

Cet amateurisme de la direction s’explique partiellement par la pression qui provient du ministère et de la régie régionale. L’augmentation des dépenses autres que salariales est fixée à 1,6 %, ce qui constitue un taux nettement insuffisant, selon l’Association des Hôpitaux du Québec (AHQ). Considérant que le taux d’inflation dans la santé pour la dernière année a été de près de 6 % (10 % pour les médicaments d’ordonnance), comment ne pas donner raison à l’AHQ ? Le gouvernement, en imposant des budgets aux hôpitaux sous le seuil de l’inflation, continue discrètement de couper dans les soins de santé.|199| 
335|Du bar L’Asile au Cabaret neiges noires|Michel Lapierre| Si, sur le Plateau, ou ailleurs, il vous arrive de rencontrer le barman Guillaume Vigneault, ne lui dites surtout pas « j’suis », encore moins « chus », mais dites-lui toujours « je suis ».

Vous aurez, au même titre que le Dieu biblique, le bonheur d’exister aux yeux de ce jeune romancier, qui ne tolère pas cette grossière élision dans la bouche de ses personnages branchés de l’avenue du Mont-Royal. Guillaume Vigneault, fils du célèbre Gilles Vigneault, rejette ce qu’il appelle le joual, même dans les dialogues. Il l’a proclamé dans la Gazette 0 « I write je suis, I don’t write j’suis. »

Un bon roman, trop bon peut-être…

Vigneault lit-il les écrivains québécois ? Il avoue aimer Christian Mistral. Et son roman Carnets de naufrage est, malgré tout, un roman très québécois. On a eu raison de souligner la maîtrise de la langue dont fait preuve le jeune écrivain. Carnets de naufrage est parfait en son genre. C’est un bon roman. Trop bon peut-être… un peu trop lisse… Le roman est macho comme son héros Alex, qui, pour de justes motifs, ne répugne pas à se servir de ses poings.

Barman intello du Plateau comme son créateur, Alex rêvait d’habiter « une maison en pierre des champs au bout d’un chemin de terre quelque part », peut-être au chenal du Moine, avec la femme de sa vie 0 Marlène. Des poules, un chien et un enfant complètent le rêve. Mais Marlène quitte Alex pour vivre avec un autre homme. Alex nage dans la mer jusqu’à l’épuisement, se bagarre, surfe au Mexique, a des aventures avec deux jeunes femmes. Puis il revient vers Marlène, qui, libre de nouveau, lui dit 0 « Alex… » Notre beach bum lui répond 0 « Je ne sais pas. » Notez la présence du ne. De son côté, le Survenant disait 0 « Tente-moi pas, Angélina. C’est mieux. »

Atterrir en douceur sur le Québec tragique

Guillaume Vigneault ne se préoccupe pas d’avoir une conscience littéraire. Et il fait bien. Par les temps qui courent, mieux vaut être impressionné qu’être ému. Ne nous fier qu’à l’instant finit par faire de nous d’authentiques philosophes. Le goût de l’immédiat nous rappelle que le passé fait partie de l’invisible, presque autant que l’avenir. Dans l’esprit de notre époque, la reconstitution historique est le propre des religions et devient, trop souvent, le terreau du fanatisme.

Lorsque la littérature québécoise avait encore conscience d’elle-même, nos écrivains portaient tout le poids de l’histoire du Québec, avec plus ou moins de maladresse, mais cette maladresse restait souvent attendrissante. On reconnaissait la littérature québécoise par sa gaucherie. On la pointait du doigt. Littérature de l’échec, de la naïveté, de la dépossession, de l’isolement, de la mère, de l’étouffement, de la monstruosité, de la répétition, de la mégalomanie… Libre comme l’air, Guillaume Vigneault atterrit sur le Québec tragique, en douceur et le cœur froid.

Mais ce n’est pas le cas de tous ceux de sa génération. En particulier, de ceux qui se sont révélés plus précoces, grâce à un art plus adapté que le roman à notre désarroi collectif 0 le théâtre. Du bar L’Asile, où travaille Alex, il faut passer au Cabaret neiges noires, qu’on réimprimait il n’y a pas longtemps, pour réapprendre l’utilité de la cruauté libératrice.

Enculer le Québec avec un balai

Cette pièce de Dominic Champagne, de Jean-Frédéric Messier, de Pascale Rafie et de Jean-François Caron entretient avec le Québec tragique une relation ambiguë 0 elle l’encule avec un balai. « C’est bon de savoir que la violence / Nous fait encore quelque chose », proclame JeanJean, l’un des personnages. Cabaret neiges noires réduit en miettes la bonne conscience réformiste des baby-boomers avec une bouleversante facilité. La simple dérision tient lieu de révolte et même de révolution.

Le dialogue entre la Vieille Dame, péquiste, féministe, écologiste, antiraciste, et son fils, travesti, héroïnomane, prostitué et suicidaire, est l’un des grands moments du théâtre québécois. À tous les reproches que lui fait la Vieille Dame, son fils, Martin, réplique, et dévoile alors la profonde détresse maternelle 0 « Chus pas Martin Luther King, maman… Chus même pas nèg’… Pop ton lithium pis farme ta yeule, O.K…. Ton hostie de référendum… Fuck off… » Seuls ces mots brutaux transformeront la Vieille Dame, de la marionnette débile qu’elle était, en grand personnage tragique, qui, apparemment délivré du rêve des années soixante et soixante-dix, pourra s’écrier 0 « Martin tu peux pas mourir avant moi… »

Se faire entarter le sexe

Martin se fait entarter le sexe, comme s’il incarnait, malgré lui, la révolution sexuelle. Il s’effondre tout nu. Puis Martin se suicide pour la nième fois. Le voilà bien mort. Il ressuscite, comme si de rien n’était, lorsque sa mère prononce l’incantation des baby-boomers 0 « I have a dream. » Mais la vision de ce miracle a tôt fait de disparaître dans la neige noire.

Parmi les auteurs de Cabaret neiges noires, Dominic Champagne est sans doute le dramaturge le plus aventureux. Comme Guillaume Vigneault, Champagne ne se préoccupe pas d’avoir une conscience littéraire 0 mais, à la différence de Vigneault, il en a vraiment une. En mettant en évidence la dimension microscopique de l’histoire la plus récente, il renoue, sans tambour ni trompette, avec la grande histoire, avec la longue durée. Ce n’est pas un hasard, si, avec Alexis Martin, il a créé L’Odyssée d’après Homère, pièce qu’on vient tout juste de publier. Aujourd’hui, il nous présente même une comédie préhistorique 0 La Caverne.

Dans L’Odyssée, Champagne et Martin nous font errer sur « la mer de toutes les nostalgies ». Tirésias dit à Ulysse 0 « Ne vois-tu pas que c’est ton voyage lui-même / Qui est devenu ton pays ! » Mais Ulysse ne le voit pas, justement. L’attirance vers le pays natal l’aveugle.

L’Ulysse que Champagne et Martin réinventent est trop naïf pour ne pas être québécois. C’est un Ulysse qui ne croit pas à la ruse, comme il l’avoue lui-même à Pénélope. Il est foncièrement guerrier, cruel même. Il veut châtier ses ennemis à tout jamais, mais son père Laërte, qui n’est aveugle que physiquement, lui retient le bras.

« Le passé est un long cortège sanglant… »

Et cette étrange Odyssée laisse finalement toute la place à Laërte, qui devient, juste avant la chute du rideau, le personnage principal, pour ne pas dire l’unique personnage de la pièce. « Je ne veux plus me souvenir », affirme Laërte, le vieillard pacifique. Il poursuit 0 « Le passé est un long cortège sanglant / Dont nous sommes les oriflammes / Incendies dérisoires dans la forêt du monde… »

Dès lors, on comprend mieux pourquoi le décor anachronique de L’Odyssée, de Champagne et Martin, se résume à une « chambre d’hôtel », donnant « sur une nuit où il neige ». Déjà tout penaud et presque ridicule, Ulysse est assis, les pieds dans l’eau. Laërte « est à boire une bouteille de mauvais vin », l’une de celles que Guillaume Vigneault ne vous servira pas au bar L’Asile, mais qu’on vous fera boire au Cabaret neiges noires. Laërte est le poète de la tragédie québécoise.

Guillaume Vigneault, Carnets de naufrage, Boréal, 2000.

Dominic Champagne, Jean-Frédéric Messier, Pascale Rafie, Jean-François Caron, Cabaret neiges noires, réimpression, VLB éditeur, 1999.

Dominic Champagne et Alexis Martin, L’Odyssée d’après Homère, Dramaturges Éditeurs, 2000.|199| 
336|Rêver à l’essentiel|Michel Lapierre|

Livre 0 Le Théâtre québécois



Bien qu’elles soient scolaires, les seize plaquettes illustrées de l’attrayante collection « Langue et littérature », que les Éditions Études vivantes, de Laval, destinent aux cégépiens, ne sont pas exemptes d’observations originales et pénétrantes. De la littérature française à la littérature québécoise, en passant par la méthodologie, les auteurs, Carole Pilote, Michel Trépanier et Claude Vaillancourt, couvrent tout et expliquent tout (ou presque), en nous laissant le loisir de rêver à l’essentiel, c’est-à-dire à ce que la pédagogie ne peut qu’effleurer. C’est un Lagarde et Michard québécois, jeune et miniature, qui relie, par l’histoire littéraire, redécouverte, et par l’enchaînement des textes choisis, la lointaine Chanson de Roland à l’actuelle Maladie de Sachs, de Martin Winkler, en faisant la part belle à la littérature québécoise.

La plaquette Le Théâtre québécois, de Trépanier et Vaillancourt, m’a particulièrement intéressé, malgré quelques lacunes choquantes. Les auteurs oublient Guy Dufresne, Jacques Ferron, Jean-Claude Germain… En revanche, ils décrivent, avec finesse, l’univers dérangeant des dramaturges qui se sont fait connaître dans les années quatre-vingt-dix et qui, pour la plupart, ont su donner, hors des sentiers battus, une dimension sociale à leur théâtre. Oui, c’est bien de cette manière que Dominic Champagne, Alexis Martin, Gilbert Dupuis, Yvan Bienvenue et François Archambault se distinguent des dramaturges intimistes de la décennie précédente 0 René-Daniel Dubois, Normand Chaurette, Michel Marc Bouchard, Marie Laberge et Jeanne-Mance Delisle.

Un tel revirement, si brusque et si général, confirme, malgré les dénégations, que le théâtre n’est pas vraiment hors de l’histoire. Dix ans suffisent pour tout bouleverser. Au dédain du rêve des années soixante et soixante-dix succède la dérision du même rêve. Mais, à la différence du dédain exprimé dans les années quatre-vingt, la dérision qui se manifeste dans les années quatre-vingt-dix est un pas en avant. M. L.

Le Théâtre québécois, Michel Trépanier et Claude Vaillancourt, Collection «Langue et littérature au collégial », Études vivantes, 2000|199| 
337|Je donne ma langue au dictionnaire|Jean-Claude Germain| Au Québec, quand on a rien à dire, on parle de la langue. Et lorsqu'on veut tout dire, on parle encore de la langue. En fait, peu importe ce qu'on a à dire, on parle toujours du fait qu'on parle. On peut même dire que, dans toute l'histoire du monde, jamais peuple ne s'est autant émerveillé du fait qu'il parlait que le peuple québécois.

Et qui plus est, du fait qu'à chaque fois qu'un Québécois ou une Québécoise ouvre la bouche pour parler, 300 millions d'anglophones nord-américains ne comprennent rien à ce qu'ils disent.

300 millions d'Anglos, ben carrés, ben tassés, ben cordés, entre quatre murs, dla foutine à corniche, ça remplit une maison ! Ou un cabinet d'écrivain 0 un mot fancy pour désigner la table de cuisine.

300 millions de non-lecteurs

Avez-vous déjà songé au fait qu'à chaque fois qu'une ou un auteur prend la plume pour écrire au Québec, chaque fois qu'il ou elle trace un mot sur la page blanche, elle ou il est conscient que 300 millions d'Anglais ne les liront pas. 300 millions d'Anglos ben carrés, ben tassés, ben cordés autour d'un dactylo ou d'un ordinateur, ça fait du monde à messe ! C'est une présence qui se fait sentir par son omni absence.

On peut même ajouter qu'à une époque où on aime définir les gens par ce qu'ils ne sont pas – les non-fumeurs, les non-invités, les non-motorisés, les non-salariés – les écrivains québécois sont sans doute les écrivains qui vivent, en permanence, avec le plus large public de non-lecteurs au monde. Au Québec, le tirage d'un bouquin n'est pas uniquement de mille exemplaires, il faut également préciser qu'il n'a pas été tiré à 300 millions de copies.

C'est un peu le même scénario pour le cinéma, le théâtre ou la chanson. On s'inquiète toujours de ceux qui ne lisent pas nos livres, qui ne voient pas nos films, qui n'assistent pas à nos pièces de théâtre ou qui n'écoutent pas nos chansons. À un point tel que ceux et celles qui lisent nos livres, voient nos films, assistent à nos pièces et écoutent nos chansons finissent par avoir l'impression d'être inexistants. Ou enfin que, pour être reconnus, ils se devraient d'exister 300 millions de fois plus.

Le Manuel d'initiation

Loin de moi l'idée de nier le fait qu'au Québec, les auditeurs et les lectrices existent bel et bien. Mais, à l'échelle des Amériques, leur présence est discrète. Comme celle du français, d'ailleurs, qui, dans ce contexte, prend plus souvent qu'autrement l'allure d'une société secrète plutôt que d'une langue.

Or, qui dit société discrète ou secrète, implique, de facto, un rituel d'initiation, lequel est habituellement inscrit et conservé dans les pages d'un livre, qui porte le nom de la fonction, le Manuel d'initiation.

On ne s'intègre pas au Québec, on est initié au Québec, comme c'est le cas pour la plupart des pays du monde. Aux États-Unis, c'est la Déclaration d'indépendance; en Chine, le Livre rouge de Mao, c'étaient les Cinq Livres de Confucius; aux Indes, les Rig-védas; en Angleterre, la Magna Carta ? Et au Québec ?

Je vous le donne en mille. Au Québec, le manuel d'initiation est un dictionnaire ! Un dictionnaire de la langue française. Vous en doutez ? Le Québec est le pays où, annuellement, on achète le plus de dictionnaires per capita dans le monde. Le Larousse ou le Robert de l'année sont aussi attendus que le beaujolais nouveau.

On reproche parfois aux Québécois de ne pas lire de livres. C'est une erreur ! La critique qu'on peut leur faire est plutôt de n'en consulter qu'un seul 0 le dictionnaire ! Un livre magique dont la fonction première est de les rassurer constamment sur le fait qu'ils ne sont pas en train de perdre leur langue ou leur donner, à toute heure du jour ou de la nuit, la preuve que la langue qu'ils parlent n'a pas cessé brusquement d'être française.

Avez-vous peur des dictionnaires?

Devrais-je caractériser la relation du Québécois ou de la Québécoise avec la langue ? Je répondrais 0 tout est dans l'attitude de chacun face au dictionnaire. D'abord, il y a ceux et celles – c'est la grande majorité de ses utilisateurs – qui considèrent un dictionnaire comme un pénitentiel, une sorte d'équivalent linguistique du Manuel à l'usage des confesseurs de jadis, où on pouvait trouver une liste exhaustive de tous les péchés possibles et imaginables.

Dans l'esprit de ces fidèles, la pleine possession de la langue française s'identifie à un état de grâce, rarement atteint, mais perpétuellement menacé par les occasions de péché. Le dictionnaire est là pour aider à démasquer et repousser toutes les invitations à commettre des fautes, vénielles ou mortelles.

Pour ces défenseurs de la vertu, le dictionnaire est l'instrument de cette absolue correction linguistique, sans laquelle, nous assure-t-on, aucune culture n'est digne de subsister.

Avant d'être un véhicule ou un outil, la langue française est souvent perçue comme une cause et une foi. Elle n'est ni donnée, ni acquise pour personne. Il faut s'y convertir, ce qui, par la suite, la rend si précieuse pour ses catéchumènes.

Pour les incroyants, c'est-à-dire tous les autres, qui se sentent jugés et condamnés sans appel par le dictionnaire, le Saint Livre des Écritures est synonyme d'aliénation.

Cela dit, si, à la barre des témoins, on proposait aux Québécois de prêter serment, sur un Robert plutôt que sur une Bible, ils y penseraient deux fois plutôt qu'une, avant de se parjurer.

Le dictionnaire des écrivains

Le deuxième usage du dictionnaire – beaucoup moins répandu – est surtout le fait des écrivains. Pour eux, le dictionnaire a cessé d'être un jardin des supplices pour devenir un répertoire des sensations, un agrandissement du rayon des sentiments et une multiplication des goûts.

Pour lors, le dictionnaire n'est plus un manuel d'initiation à la langue mais aux diverses expériences que traduisent les mots. C'est un évangile pour élargir la conscience et un passionnaire pour multiplier les plaisirs.

En somme, chaque fois qu'on ouvre les pages d'un dictionnaire, il faut garder à l'esprit cette page sublime où Rabelais raconte qu'un jour, lors d'un voyage aux confins de la mer glaciale, Gargantua, qui navigue dans le brouillard, au milieu des icebergs, est soudainement assailli, de toute part, par des sons, des cris, des voix et des mots entiers qui semblent flotter sur l'océan.

Interloqué, le géant interroge familièrement son entourage. «Céquoicé ça ? » Seul le pilote peut lui fournir une explication du phénomène. Il s'agit là, selon lui, d'une averse de paroles gelées en l'air qui ont attendu le retour du soleil printanier pour se faire entendre à nouveau.

Pour les saisir à la volée, il suffit de tendre le bras ou de dresser un filet et, ensuite, pour les écouter, de les faire fondre dans le creux de la main. La légende raconte que c'est de cette première récolte de paroles gelées qu'est né l'usage de les inscrire dans un livre et de les classer par ordre alphabétique.

Les écrits restent, les paroles s'envolent

Toutes les traditions ont noté le caractère fugace de la parole. Quatre chevaux attelés ne peuvent amener dans la bouche des paroles imprudentes, ont observé les Chinois.

Les Grecs n'en pensent pas moins. La main ne peut rattraper la pierre qu'elle vient de lancer, ni la bouche la parole qu'elle vient de proférer.

De nos jours, l'arrêt sur image permet de geler la pierre ou la parole à un point donné de leur course et, en inversant le déroulement des plans ou des sons, de les ramener à leur point de départ. Néanmoins depuis les Romains, les écrits restent et les paroles s'envolent.

Si vous demandez à un auteur de théâtre ce qui est le plus difficile à écrire, il vous répondra invariablement 0 les silences. De toute évidence, Cervantès fait état de la même expérience de l'écriture lorsqu'il lance gaillardement dans Don Quichotte 0 Que le papier parle et que la langue se taise ! En somme, l'écrit est une médiation entre le non-dit et l'indicible et, à son mieux, le monologue intérieur de la parole.

Un sphinx de jello

À quel titre universitaire ou religieux, n'étant ni grammairien, ni linguiste, ni trappiste, puis-je me permettre de parler du silence, de la parole et du Saint Livre québécois ?

Je tire mon autorité du Soviet suprême en la matière, je suis cité dans un dictionnaire. Au pays du Saint Livre, c'est la seule reconnaissance littéraire qui compte.

Imaginez un peu l'état dans lequel j'étais le jour où j'ai reçu un exemplaire du Dictionnaire du français Plus par messager, avec un mot de l'éditeur qui m'invitait à voir la page 897, pour prendre connaissance de ma contribution à l'évolution de la langue. C'était la consécration, la gloire, l'apothéose.

Enfin, je vous laisse en juger, en vous rappelant que, dans un dictionnaire, il n'y a pas plus de petits mots qu'au théâtre, il n'y a de petits rôles. Je cite l'article in extenso, parce que je fais partie de l'extension.

JELLO - n. m. Gelée à saveur de fruits, préparée à partir d'une poudre commerciale à base de gélatine et de sucre. Du jello au citron, par exemple. Par extension. Substance gélatineuse. Il fige dans le néant tout en continuant d'osciller doucement de la tête comme un sphinx de jello. (Jean-Claude Germain, Mamours et conjugat. 1979) - De Jell-O, marque déposée.

Pour la petite histoire, la comparaison s'appliquait initialement à Robert Bourassa qui ne pouvait laisser passer une journée sans faire ses longueurs de piscine. Pour garder la forme, disait-on. À moins que ce ne fut pour retrouver sa substance gélatineuse ? Pour répondre à cette question, il faudrait que je sois cité dans une encyclopédie.|199| 
338|Rappel d’une arnaque légale|Perre Dubuc|

Cinéma 0 Dernier appel



La cinéaste Caroline Martel a tourné Dernier appel, un film sur la lutte des téléphonistes de Bell. On se rappellera que, au début de 1999, Bell offrait un contrat à ses 7200 techniciens, majoritairement des hommes, mais vendait littéralement ses téléphonistes à une multinationale de l’Arizona, propriétaire de centres d’appels.

Le film raconte la lutte, mais aussi la colère et le désespoir, de ces femmes qui, après 36 jours de grève, sont invitées par leur syndicat à accepter une « offre » qui permet de sauvergarder un certain nombre d’emplois, mais de fermer 50 bureaux de téléphonistes au Québec et en Ontario.

À la fin du film, on voit certaines d’entre elles qui travaillent désormais, sans protection syndicale et pour la moitié du salaire qu’elles gagnaient à Bell, pour la firme sous-traitante Nordia, une filiale de Bell et de la multinationale de l’Arizona. On apprend également que Nordia est grassement subventionnée par le gouvernement du Québec dans le cadre de son projet d’aide au centre d’appels.

Le film permet également de voir la duplicité de Diane Lemieux, alors ministre du Travail. Aux téléphonistes venues occuper son bureau, la toute nouvelle ministre s’exclame, enjouée 0 « Vous êtes mes premières manifestantes » et leur laisse croire, en invoquant la « complicité féminine » qu’elle les aidera à combler le vide juridique qui permet à une entreprise de juridiction fédérale comme Bell de ne pas respecter la convention collective lorsqu’elle sous-traite à une entreprise de juridiction provinciale comme le sont les centres d’appel.

Puis, on voit la ministre s’écraser lamentablement devant Lucien Bouchard lorsqu’il déclare qu’il n’est pas question pour le gouvernement du Québec d’intervenir. « On ne change pas les règles du jeu en milieu de partie », de dire celui qui ne s’est pourtant pas gêné pour passer des lois spéciales contres les infirmières ou les transporteurs routiers.

Dernier appel, Un film de Caroline Martel, ONF, 52 minutes|199| 
339|Argentine 0 La parade des ministres de l'Économie|André Maltais| L'Argentine est presque gouvernée par les États-Unis et les milieux financiers internationaux. C'est ainsi que, 18 mois après avoir élu une alliance de centre-gauche, la population se retrouve avec un gouvernement vidé de ses ministres et hauts-fonctionnaires de gauche. On est même allé chercher le chef d'un parti de droite, qui n'avait obtenu que 10 % des voies aux élections de 1999, pour en faire le dernier ministre de l'économie.

Le 16 mars dernier, en l'espace de quelques minutes et tout de suite après l'annonce d'un énième nouveau plan d'austérité, trois ministres et six hauts-fonctionnaires du gouvernement de Fernando de la Rua démissionnaient. Il s'agit des ministres Marcos Makon (Action sociale), Hugo Juri (Éducation) et Federico Storani (Intérieur).

Storani appartenait au Front pour un pays solidaire (FREPASO), la composante plus à gauche de l'alliance qui avait vaincu le Parti justicialiste de Carlos Menem en octobre 1999. L'autre composante est le parti « centriste » du président de la Rua, l'Union civique radicale.

Avec le ministre Storani, démissionnaient aussi le secrétaire à la présidence Ricardo Mitre et l'assistante chef de cabinet Graciela Fernandez Meijide, laissant le FREPASO sans le moindre poste important au gouvernement.

Déjà, en octobre dernier, le vice-président du pays et chef du FREPASO, Carlos Alvarez, avait aussi démissionné suite à des accusations à l'effet que la nouvelle alliance au pouvoir achetait le vote de certains sénateurs pour faire adopter plus facilement les lois exigées par le FMI. Alvarez, qui demandait une enquête sur cette question, s'était heurté à un mur de silence.

Pressions américaines

L'annonce du plan d'austérité venait d'un tout nouveau ministre de l'économie, Ricardo Lopez Murphy, un néolibéral pur et dur amené au ministère de l'Économie le 4 mars pour rassurer une fois de plus les investisseurs étrangers. Il remplaçait Jose Luis Machinea, lui-même démissionnaire après une longue carrière de 15 mois à la tête d'une économie qui en est maintenant à son 33e mois consécutif de ralentissement !

Selon l'hebdomadaire électronique Weekly News Update, Lopez Murphy n'était pas le choix du président De la Rua. Ce dernier aurait préféré Chrystian Colombo, un ancien président de la Banque de la nation argentine. Mais des pressions des cercles financiers et du gouvernement américain lui ont fait changer d'idée.

Quatre jours après sa nomination, le diplômé de l'Université de Chicago et ancien consultant auprès de la Banque mondiale et du FMI, avait annoncé rien de moins que le démantèlement du ministère de l'Action sociale, forçant la « frépasiste » Meijide à négocier un changement de poste avec son collègue Makon que la gestion de ce démantèlement rebutait moins.

Le plan d'austérité du 16 mars se voulait une « réforme complète de l'État » incluant une hausse du prix des transports en commun, des licenciements d'employés de l'État et une coupure de 112 millions de dollars dans le budget de l'Éducation.

Taliban financier

Sans ces mesures, avertissait le ministre, le déficit fiscal de l'État aurait atteint 8,5 milliards $ cette année, soit deux de plus que le minimum fixé par le FMI comme condition à un nouveau prêt de près de 40 milliards $.

En plus des 2 milliards $ de cette année, Lopez Murphy, qualifié de « Taliban financier » par les syndicats argentins, annonçait des réductions supplémentaires des dépenses de l'État de 2,45 milliards $ en 2002 et de 3,5 milliards $ en 2003.

Trois jours après l'annonce de son plan d'austérité, nouveau coup de théâtre ! Le ministre formé par l'Oncle Sam démissionne à son tour devant une vigoureuse réaction populaire et syndicale qui faisait dire au Financial Times que, même si « en théorie le départ des ministres de l'aile gauche du gouvernement argentin ne pouvait être que de bonnes nouvelles pour les investisseurs », l'inquiétude allait toujours croissante.

Il est de retour !

Lopez Murphy était aussitôt remplacé par nul autre que Domingo Cavallo, un ancien ministre de l'Économie très bien vu de Wall Street. Le New York Times (21 mars) le qualifie de «héros de l'économie néolibérale« » et rappelle qu'en 1991, Cavallo a été l'artisan de la convertibilité du peso argentin en dollar (dollarisation de l'économie) en plus d'avoir réalisé une première vague importante de privatisations.

Cavallo n'est même pas membre de l'alliance élue par la population ! Non seulement a-t-il servi l'administration justicialiste de Carlos Menem rejetée par la population lors des élections de 1999, mais il était entre-temps devenu chef d'un parti de droite, Action pour la république, qui n'avait reçu que 10 % des votes !

C'est dans ce contexte que, le 21 mars, le nouveau « nouveau » ministre de l'Économie annonçait sans rire au peuple argentin qu'il remplaçait le plan d'austérité de son prédécesseur par un « Plan compétitivité » dont les principaux éléments sont une réduction des impôts (compensée en partie par une taxation temporaire des transactions financières), une nouvelle ronde de privatisations d'entreprises nationales et une réduction draconienne des budgets déjà faméliques d'assurance-chômage et de sécurité sociale.

Grève générale en pleine ZLEA

Le plan accorde également à Cavallo les pouvoirs lui permettant de mener ses projets par décret sans avoir à les faire approuver par le Sénat.

Le 29 mars, le Congrès approuvait une grande partie du plan Cavallo. Celui-ci se voyait octroyer le pouvoir de réformer les impôts et de restructurer les agences d'État (incluant les ministères) sans autorisation du Congrès. Des pouvoirs similaires de réformer le code du travail, de privatiser les entreprises d'État et de licencier les fonctionnaires lui étaient toutefois refusés.

Ces derniers refus du Congrès sont sans doute dus à la forte mobilisation syndicale et populaire qui a suivi l'annonce du plan Lopez Murphy 0 grève générale de 24 heures le 22 mars, immenses foules venues souligner le 25e anniversaire du coup d'État de 1976 le 24 mars, et surtout menace d'une autre grève de 36 heures prévue pour les 5 et 6 avril en pleine rencontre préparatoire au Sommet de Québec des 34 ministres du Commerce des pays des Amériques.|199| 
340|Faire dire n’importe quoi aux chiffres|Charles Castonguay| Dans mes cours de littérature anglaise au « high school », j’ai eu le bonheur d’avoir un maître écossais de la vieille école. Tous, nous l’adorions encore plus que nous le craignions. Et pourtant, qu’est-ce qu’on le craignait ! Quand il nous fixait de son regard pénétrant, sourire sarcastique en coin, nous frémissions, sans défense aucune. Car il lisait jusqu’au fond de notre âme. Puis venait le coup de grâce, la formule qui, avec force roulement des « r », nous épinglait à tout jamais. Ainsi, celle qu’il m’a servie un jour 0 « I know what you’re after, Castonguay. You’re after the Truth, boy ! »

Attiré par les mathématiques, j’ai mis du temps avant de voir que, là non plus, la Vérité n’existe pas. Jadis, je débutais mon cours de statistique en lançant qu’on ne peut pas faire dire n’importe quoi aux chiffres. Belle naïveté. Mes lectures en démographie ont fini par me désenchanter. Les Jacques Henripin, professeur émérite, Réjean Lachapelle, directeur de la division de la démographie à Statistique Canada, Victor Piché, directeur du département de démographie à l’Université de Montréal, m’ont convaincu. Désormais, j’avertis d’emblée mes étudiants qu’en effet, on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres. Toutefois, j’enchaîne aussitôt avec une question d’éthique 0 « Doit-on faire dire n’importe quoi aux chiffres ? »

L’art de noyer le poisson

Cela me hérisse de voir Piché s’écarter sciemment de la vérité lorsqu’il prétend, comme dans La Presse du 3 février, que ma prise de bec avec Henripin lors des journées thématiques sur les enjeux démographiques et l’intégration linguistique « ne repose ni sur les chiffres ni sur les méthodes de calcul. Le débat démographique, veut-il faire croire, porte sur le choix des indicateurs et sur leur interprétation. »

Piché est l’un des officiants de la chapelle qui a « organisé » la Commission des États généraux durant ces deux journées. Ils cherchent à détourner l’attention des tendances touchant la langue maternelle, la langue d’usage à la maison et les transferts linguistiques au profit de rapports d’enquêtes biaisées sur l’indice synthétique de la langue d’usage publique (opération SLUP) ou sur l’intégration linguistique (rapport Renaud).

Piché sait très bien que ce n’était pas ça du tout. J’ai accusé Henripin d’induire la Commission en erreur en répétant que depuis 1971, le poids des francophones augmente au Québec et à Montréal alors que ce poids est à la baisse depuis 1986. Invités à trancher, les statisticiens de Statistique Canada, dont Réjean Lachapelle, « un des analystes les plus rigoureux en la matière », dixit Henripin, ont bien été obligés de me donner raison, quoique du bout des lèvres.

Le poids du savoir

Voilà l’objet des éclats auxquels les médias ont fait écho. Une chose toute simple 0 suivre correctement l’évolution du poids de la population de langue maternelle française. Il devrait être facile de s’entendre là-dessus. Mais Piché, Henripin, Lachapelle et consorts sont en croisade politique permanente. Tous les moyens leur sont bons pour rassurer quant à la situation du français. Propagande qui a pour but de combattre le mouvement souverainiste. Et ils peuvent compter sur des alliés comme Pierre Georgeault, directeur de la recherche au Conseil de la langue française (CLF), qui fait tout pour brouiller les tendances démographiques et nous faire avaler le SLUP et le rapport Renaud. Justement, Renaud a été consultant de Georgeault pour l’opération SLUP. Et Piché a un contrat de recherche avec Georgeault. Comme on se retrouve !

Toute cette confrérie s’entend comme larrons en foire. Bourgault ne pensait sûrement pas si bien dire 0 personne n’est jamais mort pour la langue, mais il y en a beaucoup qui en vivent.

Il faut comparer les pommes entre elles

Tirons la chose au clair. En 1996, Statistique Canada a ajouté à la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal une dizaine de municipalités à peu près totalement francophones, comme Saint-Jérôme, par exemple. Si l’on calcule le nombre de francophones en 1991 sur le territoire de la RMR selon sa délimitation de 1996, afin de comparer une pomme à une pomme, on constate une baisse de 0,8 point dans le poids des francophones, qui passe de 68,7 % en 1991 à 67,9 % en 1996. Du point de vue démographique, c’est une chute significative. Laquelle prolonge d’ailleurs une baisse du même ordre entre 1986 et 1991, documentée dans le mémoire que j’ai présenté en 1996 à la Commission parlementaire sur le projet de loi 40.

Ainsi, le poids des francophones dans la région métropolitaine a chuté de 1,6 point en dix ans. Il s’agit d’une baisse aussi importante que celle du poids des francophones dans l’ensemble du Canada, lequel est passé de 25,1 % en 1986 à 23,5 % en 1996. Est-ce rassurant ? Est-ce inquiétant ? La question se pose d’autant plus que la même confrérie s’emploie à nous faire croire que le poids des francophones ne baisse de façon importante que dans l’île de Montréal. Et que ce n’est donc pas grave. Entre le chiffon rouge euphorisant et la prudence élémentaire, mon choix est fait.

Un manque d’augmentation est-il une baisse ?

Le poids de la population parlant le français comme langue d’usage à la maison est également en baisse dans l’ensemble de la région. Balayant sous le tapis les dispositions d’usage, Lachapelle, Piché et cie le font voir présentement à la hausse. Et La Presse étale, face au énième éditorial d’Alain Dubuc sur la question linguistique, l’avis d’un « grand spécialiste de la langue » – le site des États généraux confirme qu’il s’agit de Marc V. Levine – selon lequel la majorité métropolitaine de langue d’usage française est stable.

Je ne sais pas ce que les commissaires vont retenir de tout cela. En mai 1995, Lise Bissonnette, dans un éditorial du Devoir, appelait de ses vœux la création d’une commission d’enquête qui, plus de vingt ans après la Commission Gendron, saurait «doter le Québec d’un nouveau savoir, durable, sur une question qui relève de son essence ». Elle proposait de l’outiller pour mettre en lumière les faits plutôt que les perceptions, ajoutant ceci 0 « Gare à la tour de Babel que seraient des états généraux de la langue ! »

Le Québec a changé ! Pour le meilleur ou pour le pire

La présente commission n’a ni le temps ni l’expertise pour départager le vrai du faux. Aucun comité de recherche digne de ce nom pour dégager correctement les tendances même des indicateurs les plus fondamentaux que sont la langue maternelle, la langue d’usage à la maison et les transferts linguistiques au foyer. Seulement un « comité scientifique » où siège l’omniprésent Georgeault...

À propos, l’opération SLUP du CLF a coûté largement plus d’un demi-million de dollars au contribuable. Combien nous a coûté le rapport Renaud du MRCI (ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration), rapport qui n’aurait jamais supporté l’évaluation scientifique externe la plus sommaire ?

C’était prévisible dès le départ. Sans moyens adéquats, les États généraux tournent à la foire d’empoigne. Et, comme d’habitude avec ce genre d’exercice, c’est au plus fort la poche. La Presse et ses « tinamis » universitaires, de concert avec les naufrageurs du CLF et du MRCI, y ont mis le paquet. « La société québécoise a changé ! », a claironné Renaud, sur la foi d’un échantillon on ne peut plus biaisé. « Le Québec a changé ! », triomphe Alain Dubuc. Ce sera miracle si la Commission réussit à y voir clair.|197| 
341|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Il y a des jours où le choix de bêtises publiques à souligner est tellement vaste qu’un pauvre chroniqueur ne sait plus où donner de la tête.

La cour est pleine

Ainsi, on pourrait, ce mois-ci, parler de la résidence officielle d’un premier ministre du Québec dont rêve le petit empereur-en-devenir Landry; ou encore des faveurs accordées par Jean Chrétien à d’autres p’tits gars de Shawinigan dont l’auberge est située à deux pas d’un club de golf dont il était alors (lui-même, Jean Chrétien) actionnaire; de sa réponse à Joe Clark qui consiste à lui crier des noms, comme à la petite école 0 « Gnan gnan, t’es rienq’ un jaloux ». Ah! Ils sont beaux nos politichiens. En fait ils constituent le pur reflet de ceux qui les portent au pouvoir; en premier lieu, les compagnies privées visant un profit maximal et souscrivant à ces fins aux caisses électorales des partis.

Qui dit nanti, dit favori

La semaine dernière, Le Devoir rappelait à ses lecteurs que les 10 % de la population totale dont le revenu annuel dépasse 50 000 $ bénéficient, année après année, de 1 million 600 mille dollars en crédits d’impôt de tous genres (dont celui accordé pour « dépenses encourues en vue de l’entretien d’un cheval destiné à la course ») et fournissent plus de 62 % des contributions versées au parti, soit 3 millions 600 mille dollars. Normal, qu’en de telles circonstances, le gouvernement favorise les 10 % des mieuxnantis qui l’ont mené au pouvoir.

Qui dit manant, dit perdant

Pour jeter de l’huile sur le feu, rappelons que le même article de Kathleen Lévesque souligne que 63 % de la population du Québec gagne moins de 25 000 $ par année et qu’on leur alloue 1 million 428 mille dollars de moins en crédits d’impôt qu’aux nantis.

La cour déborde

Le procès des motards sera une super production, prévoient les experts. Il durera une dizaine de semaines, peut-être même davantage. Il s’agit de faire la preuve de 138 délits (gangstérisme, voies de fait avec lésions, séquestrations, menaces de mort) qui auraient été commis par onze accusés sur une période de plusieurs mois, voire de quelques années.

Une fois le jury complété, à partir d’une liste de 150 candidats convoqués, la Couronne entend étayer sa preuve sur une centaine de témoignages, dont 27 de présumées victimes de sévices en tout genre de la part des accusés. Dans ces circonstances, tentons d’imaginer comment se sentent les douze malheureux élus dont dépendra le sort de onze motards criminalisés, appartenant à des groupes violents dont la plupart des membres sont toujours en liberté.

Prenez un numéro !

Le tribunal, désireux de ne pas séquestrer les jurés pendant une aussi longue période, a choisi de ne les identifier que par un numéro, afin de leur permettre d’échapper à l’intimidation et aux menaces que pourraient leur adresser les comparses des accusés. Mais le procès pourra être suivi sur écran, par le public, depuis une autre salle d’audience du Palais de justice. Les jurés y seront-ils vus et donc reconnaissables ? Chaque soir, ils rentreront chez eux sans escorte. Comment alors empêcher toute représaille possible contre ces citoyens forcés de jouer un rôle qui pourrait mettre en danger leur sécurité et leur vie même, advenant des verdicts qui ne plairaient pas à la gent motarde.

On va passer le chapeau

Intéressant aussi de connaître le mode de rémunération accordé à ces citoyens ordinaires qui, en plus de se sentir menacés pendant des années à venir, verront leur vie bouleversée à plus d’un égard pendant plusieurs semaines. Car la loi est ainsi faite que, sauf pour des raisons d’âge ou de santé, le candidat ne peut refuser de remplir la fonction de juré à laquelle il est désigné par le sort. Eh bien, les jurés choisis reçoivent, en guise de compensation financière, la somme de 25 $ par jour où ils siègent (plus, précise le règlement, les frais du repas du midi). Quelle aubaine formidable ! Quelle incitation au civisme ! C’est à se demander comment il se fait que si peu de candidats se bousculent aux portes du Palais.

Nul n’est pauvre devant la cour

Le petit employé retenu pendant des semaines a une rémunération qui se situe en deçà du taux de salaire minimum n’a d’autre choix que de remplir « ses devoirs de citoyen ». Les conventions collectives des travailleurs syndiqués prévoyant que l’employeur devra verser le montant du manque à gagner encouru sont extrêmement rares; et surtout, les pigistes, les petits commerçants, tous ceux et celles qui travaillent à leur propre compte peuvent se ruiner littéralement en plus de craindre, toute leur vie, les représailles de groupes criminels auxquels leur verdict aurait pu déplaire. Quant aux assistés sociaux, on imagine que leurs prestations de BS sont diminuées d’autant.

Et voilà pour la justice démocratique ! On garantit aux accusés un procès juste et équitable et on soumet ceux qu’on force à les juger à des conditions de vie souvent insupportables et même dangereuses. Quant aux juges et aux avocats, ils tirent tous d’insondables profits d’un système qu’ils ont intérêt à maintenir en place.|197| 
342|Rira bien qui « reEra » le premier|Sylvain Charron| L’extraordinaire battage publicitaire pour les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) vient de se terminer. Au lieu de permettre à l’ensemble des contribuables de se constituer un fonds de retraite adéquat, le système actuel favorise la création de fortunes personnelles à même les finances publiques. Plus dramatique encore est le fait que le système actuel des REER ne bénéficie aucunement à 40 % des contribuables qui ne paient pas d’impôt faute de revenus suffisants.

Le REER est un régime d’aide fiscale privé qui, contrairement aux régimes universels, ne bénéficie qu’aux personnes qui y contribuent. Ce régime est régressif, étant donné que l’importance de la déduction fiscale dépend de la taille du revenu de chaque individu.

Un régime pour les gros

Par exemple, un individu déclarant une rémunération de plus de 60 000 $ en 1998 pouvait bénéficier d’une déduction d’impôt de 52,6 % aux deux paliers de gouvernement. Par contre, la déduction fiscale pour un individu déclarant un revenu de 20 000 $ n’était que de 34,8 %. Le premier bénéfice donc d’une économie d’impôt de 526 $ et le second de seulement 348 $, soit une différence de plus de 50 % entre les deux.

Les riches s’enrichissent

Les REER permettent aux plus fortunés de mettre des sommes importantes à l’abri de l’impôt, sans compter les intérêts qui s’accumulent au fil des anneés. Seuls les plus fortunés sont en mesure de pouvoir profiter des plafonds élevés des contributions accordeés sur les fonds de retraite.

Ainsi, les contribuables ayant déclaré un revenu supérieur à 50 000 $ ont contribué 51 % des sommes investies dans les REER et les RPA même s’ils ne représentaient que 12 % de la population. À l’opposé, les contribuables ayant déclaré un revenu inférieur à 20 000 $ n’ont fourni que 5 % des sommes investies, bien qu’ils représentent 52 % de la population. Il n’est pas surprenant de constater que seulement 13 % d’entre eux sont en mesure de contribuer à un REER alors que ce pourcentage s’élève à 87 % chez le petit groupe des bien nantis.

Les pauvres s’appauvrissent

D’autres statistiques démontrent que 74 % des contribuables déclarant un revenu supérieur à 50 000 $ ont contribué à un REER contre seulement 30 % pour ceux gagnant moins de 50 000 $.

Plus impressionnant encore, on note que les contribuables gagnant moins de 20 000 $ n’ont investi que 3 % des sommes qu’ils auraient été en droit d’investir dans les REER alors que ceux ayant un revenu supérieur à 100 000 $ parvenaient à contribuer pour 62 % des sommes permises.

Les REER, une façon de s’assurer qu’à la retraite, les riches seront plus riches et les pauvres plus pauvres.|197| 
343|Pol Chantraine, écrivain et libre-penseur, 1944-2001|Joël Arseneau (Îles de la Madeleine)| L’écrivain, auteur-compositeur et journaliste Pol Chantraine est décédé le 7 février à sa résidence des Îles de la Madeleine, foudroyé par un cancer à l’âge de 56 ans. Il avait traversé l’Atlantique en immigrant, avec sa famille, au début des années 60. Ils s’étaient installés à Brockville, en Ontario.

Pol Chantraine a fait ses premières armes en journalisme au Photo-Journal. En plus d’écrire ses articles, nous racontait-il 25 ans plus tard, il construisait les mots croisés et rédigeait l’horoscope. Ceux qui l’ont connu imaginent bien Pol, sourire en coin devant sa machine à écrire, inventer le menu quotidien des férus d’astrologie ! Comme on dit, il est allé à la bonne école. C’est ainsi qu’il devient successivement journaliste à Perspectives, au Maclean et à L’actualité. Ses articles sont primés par le Toronto Press Club et au Grand prix des Magazines canadiens. Pol Chantraine se lasse toutefois de ce qu’il appelle ses « écritures alimentaires », des papiers publiés pour gagner sa vie. Homme de gauche, il a de plus en plus de mal à se faire le chantre des valeurs exaltées par une certaine presse à grand tirage. Invité à faire le portrait d’un artiste québécois dont on n’entend guère plus parler, son papier décrit sans ménagement la descente aux enfers d’un homme autrefois adulé. La rédaction commande une réécriture. Pol s’y refuse et n’écrira plus jamais une ligne pour cette publication. « Je n’ai pas le goût de me faire le thuriféraire de la néo-bourgeoisie. Il faudrait plutôt composer des odes à la paresse et à la dé-fonctionnarisation de l’existence », dit-il des années plus tard. Et puis encore 0 « Il y a peu d’espace pour exprimer des points de vue dissidents, sauf dans la si petite presse que personne ne les voit jamais. » Il écrira tout de même dans l’aut’journal et dans l’hebdomadaire des Îles de la Madeleine...

L’écrivain

Pol Chantraine publie son premier ouvrage, La vie mouvementée des papes, en 1972. C’est l’année suivante qu’il s’installe dans l’archipel madelinot. Il y retrouve la paix, le calme, l’espace dont il avait besoin. Cette profondeur de champ du milieu insulaire, l’horizon. « C’est mon point d’observation sur le monde », confiait-il lors d’une émission de radio enregistrée au printemps 2000. Pol Chantraine a publié neuf ouvrages, des livres polémiques ou poétiques, un recueil de nouvelles et, le plus récent, le roman policier Du sang sur ta soutane. La suite, Le crucifix sur la gorge, sera probablement publié à titre posthume. Il venait d’acheminer la version finale à son éditeur, après avoir passé des semaines à la correction des épreuves. Son gros roman sur l’été 70 ne verra cependant jamais le jour. Dommage, quand on imagine qu’il fut l’un des témoins privilégiés de cette tumultueuse époque.

Pol Chantraine se définissait d’abord comme un écrivain. Il avait choisi d’exercer ce difficile métier. Parce qu’il s’était juré de ne plus jamais se constituer prisonnier de quiconque, disait-il. Parce que sa liberté devait passer avant tout. Il écrivait beaucoup, et il jetait bien davantage qu’il n’osait conserver. « Je pense, je rêve de l’envoyer chez Grasset... alors je me dis que c’est impossible, que je dois dérailler quelque part, et je ne vois que les fautes, les lourdeurs, les inélégances de fond et de forme – mais ça ne va jamais jusqu’à l’envie de tout jeter, parce que dans l’ensemble, tout pétage de bretelles proscrit, je crois qu’il est pas mal ce gros truc, et que je suis peut-être ce que je pense être 0 un écrivain, ou alors que le travail m’en fera devenir un. » (1991) Comme nul autre, il a pris fait et cause pour les chasseurs de phoque dans son livre La Grande-Mouvée. Suite au moratoire sur la pêche au poisson de fond de l’Atlantique, il a pourfendu le gouvernement fédéral pour sa gestion catastrophique des stocks dans La dernière queue de morue. Il aimait l’environnement maritime et les pêcheurs, parmi lesquels il comptait d’ailleurs nombre d’amis.

L’auteur-compositeur

Pol Chantraine a été réalisateur à Radio-Québec, directeur des programme à CFIM, la radio communautaire des Îles, et pigiste à la radio de Radio-Canada. On se souviendra en outre du formidable narrateur de L’Aventure. Celle de la chasse au loup-marin, des Îles, de la pomme de terre, du cheval ou de Cervantès. À ses heures, il était aussi auteur-compositeur et interprète. Trois semaines avant son décès, Pol a d’ailleurs enregistré 14 de ses chansons, lors d’une intense semaine de travail en compagnie de son ami, Georges Langford. Un projet auquel il tenait beaucoup. À titre d’interprète, Pol Chantraine n’a jamais cessé de chanter Brassens, depuis les boîtes à chansons québécoises des années 60 jusqu’à tout récemment, sur la scène d’un café ou entre amis. Ce Georges Brassens qu’il avait découvert à l’âge de six ans et qu’il considérait comme le plus grand poète populiste français du siècle. Pol Chantraine a visité l’espace Brassens et sa tombe, à l’automne 1993, « dans l’incroyable cimetière des pauvres, disait-il, tout cerné de hauts cyprès sombres et aux tombes couvertes de fleurs multicolores, ce jour des Morts, à donner envie d’y rester » !|197| 
344|Le bombardement de Bagdad|Michel Chossudovsky| Vendredi, le 16 février, la valeur des actions des entreprises de haute technologie plongeait lors d’une séance turbulente à Wall Street, sous l’effet de l’implosion des valeurs dot-com et de la chute du géant des télécommunications Nortel Networks, le leader mondial de fabrication de fibres optiques. L’indice Nasdaq dégringolait de plus de 5 % pour atteindre un plancher historique. Mais la situation aurait pu être beaucoup plus grave. Est-ce que les bombardements de Bagdad ont contribué à rétablir la confiance sur les marchés financiers ? En fait, ils ont fait plus que cela. Ils ont permis aux géants pétroliers et aux grandes sociétés du complexe militaro-industriel d’encaisser d’énormes profits.

Dans les jours qui ont précédé la dégringolade boursière du 16 février, plusieurs analystes des marchés financiers avaient sonné l’alerte et émis l’hypothèse d’un scénario encore plus catastrophique. Les actions des sociétés de haute technologie étaient dangereusement surévaluées.

Les bombardiers s’envolent pour sauver Wall Street

Mais, ce même jour à 13 h 00, quelques heures avant la fermeture de la Bourse de New York, des avions américains et britanniques bombardaient Bagdad lors d’un raid qualifié par le Pentagone de « mission d’autodéfense de routine ».

Vraiment ? Les médias américains applaudirent. À Wall Street, les courtiers firent plus qu’applaudir. Ils émirent un soupir de soulagement. Les raids aériens étaient venus à la rescousse de Wall Street. Comme le soulignait avec mépris un analyste financier du Sunday Mail de Londres 0 « [...] le marché financier américain ne s’est pas écroulé. Il n’a pas plongé. En fait, la chute a représenté moins de 1 %. C’était une journée de routine, à moins d’habiter Bagdad ! »

Pendant que les valeurs boursières des entreprises de télécommunications ou d’ordinateurs plongeaient dans le marasme, les analystes financiers et de la Défense se réunissaient à huis clos. Selon le Financial Times du 17 février 0 « Les fabricants d’armes ont consacré une semaine avec les analystes de Wall Street à vanter les nouvelles opportunités et les changements probables des politiques du Pentagone qui allaient favoriser une reprise de la croissance après quinze ans de contraintes budgétaires. Fait saillant de ces démarches, les actions des principales sociétés de l’industrie de la Défense et de l’aérospatiale ont terminé la journée en hausse dans un marché largement en baisse pendant que vingt-quatre avions militaires américains et britanniques atteignaient des cibles militaires irakiennes avec différentes armes de précision au long rayon d’action. »

Au cours des dernières heures avant la fermeture de la Bourse le 16 février, les actions des entreprises de la Défense montèrent en flèche. La valeur de celles des compagnies pétrolières furent sensiblement relevées lorsque les médias révélaient que l’industrie pétrolière irakienne pouvait être affectée. Les actions de Exxon, Chevron et Texaco clôturaient à la hausse. La corporation Harken Energy – au sein de laquelle George W. Bush fut directeur et consultant avant de faire son entrée en politique – termina la session boursière avec un gain de 5,4 %. Harken Energy est un joueur clef dans le pétrole en Colombie, où un programme d’aide militaire américaine de plusieurs milliards connu sous le nom de « Plan Colombie » protège ses investissements. Le président de Harken Energy, Mikel Faulkner, est un ancien associé d’affaires de George W. Bush.

La maladie est annoncée en même temps que le remède

La chute des valeurs boursières du 16 février avait été prédite la veille lors de la fermeture de la Bourse. Les analystes ont déclaré lors des nouvelles de fin de soirée qu’une « correction » majeure de la valeur des actions des entreprises de haute technologie était « inévitable ». La presse financière avait laissé entendre préalablement que l’industrie de la Défense américaine pourrait prendre un coup dur si la nouvelle administration Bush réduisait ses achats d’armes auprès de ses principaux fournisseurs.

Quelques jours auparavant, la compagnie Lockheed Martin (LMT) – la plus grande société d’armement – avait annoncé des compressions majeures dans sa division de production de satellites en raison de la « faiblesse de la demande » sur le marché commercial des satellites. Un porte-parole de la compagnie avait néanmoins réassuré Wall Street, confirmant l’intention de Lockheed de prendre « la bonne direction » en transférant ses ressources financières du secteur commercial civil vers le secteur beaucoup plus rentable de production de systèmes d’armement de pointe.

Depuis des semaines, les grandes sociétés d’armement menaient des activités intenses de lobbying auprès de la nouvelle administration à Washington. Le jeudi 12 février, le président Bush a promis de revoir les dépenses militaires sur la base d’une « révision globale du secteur militaire ». Selon le New York Times du 12 février, le président Bush a déclaré qu’il « prévoyait rompre avec l’orthodoxie du Pentagone et créer une nouvelle architecture pour la défense de l’Amérique et de nos alliés, en investissant dans de nouvelles technologies et des systèmes d’armement plutôt que dans des améliorations marginales dans les systèmes dans lesquels l’industrie américaine de l’armement a déjà investi des milliards de dollars ».

Les raids justifient l’augmentation du budget militaire

Le 14 février, rapporte le Bulletin’s Frontrunneur, Bush confirmait « une augmentation de 2,6 milliards $ du budget du Pentagone comme acompte sur les projets futurs de recherche et de développement de nouvelles technologies militaires ».

Deux jours plus tard, les forces aériennes américaines bombardaient Bagdad.

Les raids militaires constituaient le feu vert pour Wall Street. Il s’agissait désormais pour les marchés financiers de prendre au sérieux la promesse de Bush de « revitaliser la défense nationale ». Si l’administration Bush en avait décidé autrement, les actions de Lockheed Martin inscrites à la Bourse de New York auraient pu subir le même sort que celles de Nortel. En fait, alors que les actions des entreprises civiles de haute technologie cotées sur l’indice Nasdaq ont plongé, les actions de Lockheed Martin ont clôturé en hausse de 1,6 %.

Entre-temps, Lockheed Martin avait déjà pris les dispositions nécessaires afin de construire l’avion à réaction de haute technologie Raptor F-22 à un coût estimé à 60 milliards $ en Géorgie. Il ne manquait plus que l’approbation finale de l’administration Bush. Pourtant le journal The Atlanta Journal and Constitution rappelait le 16 février que « le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld était un partisan du F-22 avant de se joindre à l’administration Bush, et des représentants de Lockheed ont déclaré jeudi (soit le 15 février, la veille des bombardements sur Bagdad) qu’ils étaient confiants que Rumsfeld défendrait la mise en chantier de l’avion ».

Ce qui est bon pour la Défense est bon pour l’Amérique

Le message envoyé aux marché financiers était clair comme de l’eau de roche 0 le marché était en baisse pour les actions de la haute technologie civile telles que Nortel, Dell Computers et Hewlett Packard, mais le marché de l’industrie de la Défense -– avec Boeing, General Dynamics, Lockheed Martin, Northrop-Grunman et Raytheon (les « Cinq Grands » de la Défense nationale) – demeurait « sûr » et « prometteur », c’est-à-dire « un bon placement pour votre argent ». Les analystes de Wall Street ont décrété sans sourciller qu’« avec le focus mis par l’administration sur la Défense, on peut désormais entrevoir avec optimisme que l’industrie de la Défense va cette année encore se surpasser sur les marchés boursiers », comme le rapportait le Nightly Business Report du 16 février.

Le mot d’ordre est lancé 0 les analystes financiers de Wall Street conviennent qu’en dépit du ralentissement de l’économie américaine, les actions de la Défense constituent « un abri sûr contre l’implosion des entreprises dot-com ». De façon plus générale, on émet l’hypothèse que le nouveau budget de la Défense de Bush sera « bon pour les affaires ». Il n’est pas surprenant que les fonds de pension et les investisseurs institutionnels soient déjà en train de modifier la structure de leurs portefeuilles.

Guerre et globalisation 0 le nouveau point « G » du néolibéralisme

La guerre et la globalisation marchent main dans la main. La militarisation fait partie intégrante des politiques néolibérales. L’augmentation du budget de la Défense contribue à enrichir les « Cinq Grands » producteurs d’équipement militaire tout en privant de ressources financières les programmes civils comme la santé, l’éducation et l’aide sociale, sans parler de la reconstruction des infrastructures urbaines américaines en pleine décomposition.

Alors que la production militaire monte en flèche, la récession frappe les secteurs de l’économie américaine qui produisent des biens de consommation et des services. En d’autres mots, seule l’économie civile est frappée. L’économie américaine est de plus en plus axée sur la croissance du complexe militaro-industriel ainsi que sur la vente de biens de luxe (voyages, loisirs, voitures de luxe, etc.) pour un marché restreint et ceci constitue en quelque sorte le projet du pouvoir financier et, bien sûr, de la classe politique, et cette évolution se fait au détriment des citoyens.

La « diplomatie des missiles »

Les bombardements sur Bagdad avaient certainement pour but d’intimider les pays qui veulent mettre fin aux sanctions contre l’Iraq. Mais, de façon plus générale, la « diplomatie des missiles » a pour objectif de renforcer la domination politique et économique américaine sous le couvert de ce qu’on appelle par euphémisme le « libre marché ».

La « main invisible » du marché ne fonctionnera jamais sans le poing invisible. McDonald ne peut prospérer sans McDonnell Douglas, le fabriquant du F-15, comme l’écrivait Thomas L. Friedman dans son Manifesto for the Fast World publié dans le New York Times Magazine du 28 mars 1999.

La machine de guerre américaine est conçue pour appuyer la conquête de nouvelles frontières économiques. Au Moyen-Orient, dans les Balkans et en Asie centrale, la puissance militaire américaine se positionne directement et par le biais de l’OTAN, non seulement pour appuyer les intérêts des conglomérats pétroliers anglo-américains, qui œuvrent main dans la main avec les grandes sociétés d’armement, mais également dans le but de coloniser l’ex-Union soviétique et les pays asiatiques. Entre-temps, les dépenses militaires qui montent en flèche abreuvent le complexe militaro-industriel aux dépens des besoins des civils.|197| 
345|Brèves|Pierre Dubuc| Qui a dit que l’État ne subventionnait pas les médias ?

Les groupes médias empochent 1,53 milliards $ en recettes publicitaires. C’est ce que nous apprend une étude publiée dans l’édition janvier-février 2001 de Info-Presse, le mensuel du marketing de la publicité et des médias. Quatre groupes se partagent les deux tiers de ce montant 0 Quebecor, Power Corporation, Groupe Transcontinental et Astral Media. À lui seul, Québecor récolte, avec 473 millions, le tiers des revenus publicitaires, principalement à cause de TVA. Car, dans le marché des quotidiens, c’est Power Corporation qui vient en tête de liste avec des revenus de 169 millions $, suivi par Quebecor avec 140 millions $.

Une étude publiée il y a quelques années révélait que la publicité représentait 79 % des revenus des quotidiens au Canada. C’est dire son importance. On savait que les grands médias ne critiquent pas les intérêts de leurs propriétaires. On comprend maintenant pourquoi ils ne critiquent pas non plus ceux qui achètent de la publicité dans leurs pages ou sur leurs ondes.

Avec l’aide de l’État

Il faut souligner que les dépenses en publicité sont considérées comme une dépense fiscale au sens de la loi de l’impôt. Les grandes entreprises peuvent donc les déduire de leurs revenus avant profits. Cela équivaut dans les faits à une subvention gouvernementale. Si on calcule que le taux d’imposition peut atteindre 46 % et qu’on l’applique au montant de 1,53 milliards dépensé en publicité, cela signifie que l’État est privé d’un montant pouvant s’élever à 703 800 $. Si l’exemption n’existait pas, ces montants tomberaient dans le Trésor public. Ils pourraient être réinvestis dans la santé et l’éducation.

Qu’on ne vienne pas nous dire que l’État n’intervient pas dans le financement des médias...

Quand Le Devoir se résout à faire des révélations sur Power Corporation

Est-ce un effet de l’air du temps, c’est-à-dire du débat en cours sur la concentration de la presse, mais on voit apparaître une volonté, encore fragile mais néanmoins fort louable, de la part du Devoir de faire certaines révélations à propos de Power Corporation, propriétaire de La Presse, du Soleil et d’une ribambelle d’autres journaux. À preuve, cet extrait d’un éditorial sur le Congo signé Serge Truffaut dans l’édition du 16 février 0

« Depuis la chute de Mobutu, écrit Truffaut, un protocole non écrit, non négocié, s’est peu à peu imposé. Le mécanisme est très simple 0 au fur et à mesure qu’un groupe rebelle ou un bataillon rwandais ou ougandais impose sa loi sur un territoire, il met de facto la main sur les mines qu’il « privatise » avec la collaboration de compagnies généralement américaines et parfois canadiennes, comme la Barrick Gold Corporation, qui compte George Bush, le père, Brian Mulroney et Paul Desmarais de Power Corporation parmi ses conseillers. »

L’information était connue du lectorat de la presse alternative, mais saluons l’initiative du Devoir d’en informer ses lecteurs.

Dieu nous garde l’Éducation de Sylvain Simard

Après le rocambolesque feuilleton de la candidature de François Legault à la succession de Lucien Bouchard et des crédits à l’éducation, les raisons étaient nombreuses de demander la démission d’un ministre affaibli. Les libéraux l’ont fait. Mais le monde de l’éducation s’est gardé de le faire.

La raison en est fort simple. La rumeur a couru que Sylvain Simard hériterait du ministère de l’Éducation. Entre un ministre affaibli et un faible comme ministre, le choix était facile.

La mondialisation souffle la bougie d’Alcan

Sa démission annoncée le même jour que celle de Lucien Bouchard est passée presque inaperçue. Nous parlons du p.-d.g. d’Alcan, Jacques Bougie. Les raisons invoquées sont les mêmes que pour Bouchard 0 la famille. Comme dans le cas du premier ministre, ce n’est pas la vraie raison.

Les médias ont salué discrètement la sortie de piste de celui qu’ils encensaient quelques mois auparavant lors de l’annonce de la fusion d’Alcan avec les alumineries Péchiney et Alumax. Le projet a avorté, mais son annonce a provoqué la fusion réussie des américaines Alcoa et Reynolds. Avant l’initiative de Bougie, Alcan et Alcoa étaient de taille similaire et se disputaient le leadership mondial. Mais, aujourd’hui, la nouvelle Alcoa-Reynolds domine de loin le secteur de l’aluminerie mondiale.

Et les actionnaires d’Alcan ont rappelé à M. Bougie qu’il était temps de se consacrer à sa famille.|197| 
346|La Nouvelle-Zélande|Andrée Lévesque|

L'exemple à suivre qui est un modèle à fuir



La Nouvelle-Zélande est l’enfant chéri des apôtres du néolibéralisme. Elle a privatisé plus tôt un plus grand nombre d’entreprises d’État que n’importe quel autre pays. Ce n’est pas la première fois que ce petit pays de quatre millions d’habitants sert de laboratoire. En 1893, il adopta un véritable suffrage universel en accordant le vote aux femmes. En 1996, il instaura un système électoral de représentation proportionnelle mixte. En 1935, le gouvernement travailliste créait un État social qui fit de la Nouvelle-Zélande « the social laboratory of the world ».

J’ai vécu à Dunedin, ville de l’Île du Sud de moins de 100 000 habitants, de 1970 à 1978, quand l’État social faisait encore la fierté de la grande majorité de la population. Aujourd’hui, il n’en reste à peu près rien.

C’est qu’en 1986, le pays, sous la férule du gouvernement travailliste et de son ministre des Affaires étrangères et du Commerce Michael Moore, futur directeur général de l’OMC, et du ministre des Finances, Roger Douglas, élève de Milton Friedman à Chicago, embrassa une idéologie qualifiée de nouvelle droite et des politiques maintenant connues sous le terme « rogeromics », soit une libéralisation radicale endossée par les travaillistes et poursuivie avec enthousiasme par le Parti National.

Les biens publics furent vendus aux enchères, le contrôle des investissements, des devises, des importations, en somme une profonde restructuration de l’économie imposa partout les lois du marché. Les chemins de fer allèrent à une compagnie du Wisconsin, l’électricité passa à la compagnie canadienne TransAlta, Bell Atlantic et Ameritech prirent le contrôle de NZ Telecom et les banques sont maintenant surtout australiennes. On pourrait poursuivre la litanie des mines, des forêts, des hectares de terre qui passent chaque année aux étrangers.

Plus on est prospère, plus on bouffe « mondial »

Les apologistes du néolibéralisme ne manquent pas de souligner les conséquences positives de la réorientation économique du pays 0 le contrôle de l’inflation, la croissance du PIB, l’ouverture aux produits de consommation de tous les coins de la terre.

Il est vrai que les classes moyenne et supérieure sont plus prospères que jamais. Les restaurants offrent une gastronomie des plus cosmopolite. George Street, la rue principale de Dunedin, a été reconstruite par la main invisible du marché. Là où il y a vingt ans presque tous les commerces appartenaient à des intérêts néo-zélandais, aujourd’hui Starbuck fait face à McDonald’s, une boutique Esprit côtoie un restaurant japonais, mon petit libraire a été remplacé par une chaîne américaine et, chose inouïe il y a quinze ans, on peut même croiser de grosses voitures allemandes. Dans une culture globale de la consommation, les gens ont le « choix » d’acheter ce qu’ils veulent. S’ils en ont les moyens.

Think Big 0 des gros riches, des grands pauvres

Tous ne peuvent pas se permettre la panoplie de marchandises étalées dans les vitrines. Comme partout ailleurs, l’ouverture des marchés et l’abandon des contrôles ont créé des inégalités. La Nouvelle-Zélande a déjà été un des pays les plus égalitaires. Ce n’était pas tout à fait un pays sans classe et des noyaux de pauvreté existaient – en particulier dans la population maorie, mais l’écart entre les plus riches et les plus démunis était moins prononcé qu’ailleurs et les services sociaux empêchaient une trop grande pauvreté.

Depuis 1984, seul le cinquième supérieur de la population a vu ses revenus réels augmenter 0 80% de la population a éprouvé une perte réelle de revenus et les 20 % à la base de la pyramide n’obtiennent que 3 % des revenus. Car depuis l’inauguration des réformes, le rythme de croissance a été inférieur à celui des membres de l’OCDE. Malgré les promesses de prospérité que devaient apporter les privatisations, l’économie a subi une dépression en 1991-1993 et une autre depuis 1998.

À chacun son resto ou sa banque alimentaire

Il n’y parait rien au cœur de la capitale Wellington où sont absents mendiants et « squeegees », car dans la ville qui s’étend en toute splendeur devant le détroit de Cook se concentrent les plus hauts revenus par habitant grâce aux corps diplomatiques et à la présence de la fonction publique. Dans les banlieues maories et ouvrières de Lower Hutt ou de Porirua, la situation est tout autre et les effets du chômage sont évidents. Point pour eux les quelque 193 restaurants de Wellington. C’est pour ces habitants de banlieue que, chose inexistante avant 1984 car le besoin ne se faisait pas sentir, on a dû créer des banques alimentaires qui distribuent aux chômeurs comme aux travailleurs à faible salaire des millions de dollars de nourriture chaque année.

Le syndicalisme obligatoire n’est pas un syndicalisme libre

Les taux de chômage, avant la restructuration, étaient ridiculement bas 0 à 4 % on s’inquiétait sérieusement en 1983. Depuis cette date, il n’a fait qu’augmenter pour dépasser les 10 % et se situer aujourd’hui autour de 7 %. Le crash financier de 1987 fut catastrophique et le gouvernement choisit de couper dans les services sociaux en 1991, quand le pays entrait dans sa pire dépression depuis les années 1930. La sécurité d’emploi est chose du passé et les syndicats ont perdu beaucoup de leur pouvoir.

La nouvelle droite a aboli le syndicalisme obligatoire qui prévalait depuis des décennies et a instauré une « liberté de contrat » pour privilégier les accords individuels plutôt que les conventions collectives. Ce bouleversement dans les relations de travail a fait des employeurs les enfants gâtés du gouvernement pendant les années 90 et s’est traduit par l’effondrement de syndicats comme ceux des cols bleus ou des employéEs de magasin. Un mouvement ouvrier affaibli ne peut rien contre le remplacement des emplois permanents par des contrats de courte durée ou par le travail à temps partiel. Et, en toute logique néo-libérale, alors que le chômage augmentait et que les emplois se précarisaient, le gouvernement privatisait les logements sociaux, la médecine et l’éducation.

Comme le constate Sukhi Turner, maire de Dunedin, la mondialisation a apporté à la Nouvelle-Zélande la perte d’entreprises, d’emplois, d’opportunités pour les jeunes, ainsi qu’une détérioration de l’environnement, une augmentation de la violence familiale et des problèmes sociaux, en somme un changement de mentalité et une société darwinienne où domine la survie des plus aptes dans un pays dépossédé.

Le prix de la pire transnationale

Il y a eu depuis le début une opposition continue mais impuissante aux réformes néolibérales d’abord du parti de l’Alliance, une coalition formée surtout de dissidents travaillistes opposés aux réformes, et du Parti Vert, ainsi que de la société civile, des syndicats, des groupes tels CAFCA, Campaign Against Foreign Control of Aotearoa, ou GATT Watchdog. Chaque année, ces deux organisations décernent le Prix Roger pour la pire transnationale en Nouvelle-Zélande. La compagnie américaine TransRail, la compagnie albertaine TransAlta et le producteur de semences transgéniques Monsanto se sont méritées cet honneur.

Depuis 1999, un gouvernement de coalition élu à la proportionnelle tente de renverser la vapeur ou au moins de freiner les dégâts avec plus ou moins d’ardeur selon les partis. Selon Phillida Bunkle, ministre des Affaires aux consommateurs et de l’Environnement, la volonté fait souvent défaut au parti travailliste qui domine le parlement, ce qui n’est pas étonnant puisque c’est lui qui a instauré les politiques de restructuration pendant les années 1980. Le parti de l’Alliance, à sa gauche, et les Verts, avec leurs quatre députés, sont des fervents partisans d’un retour à l’État keynesien.

Il ne reste plus rien à privatiser

Depuis son élection, le gouvernement de centre-gauche a adopté des mesures qui ne font que freiner l’élan néolibéral alors qu’il ne reste plus rien à privatiser et à réparer, tant que faire se peut, quelques pots cassés comme les loyers sociaux ou certains services de santé. Il était beaucoup plus facile et rapide de vendre le pays que de réparer les conséquences de la main mise de l’entreprise privée, souvent étrangère, sur l’économie.

Tous ceux qui seraient tentés par la mondialisation néolibérale devraient se pencher sur le cas néo-zélandais, un modèle à ne pas imiter.

Qui s’instruit s’endette

La Nouvelle-Zélande était pionnière dans le domaine de la médecine socialisée. Les soins hospitaliers et les médicaments étaient pris en charge par l’État, et le pays pouvait se vanter des plus bas taux de mortalité infantile et maternelle. On a réorienté les services vers les consommateurs 0 ceux qui peuvent payer obtiennent les meilleurs soins. Parallèlement aux hôpitaux et aux cliniques publiques foisonnent les institutions privées.

Ainsi, d’une part on a créé des maternités privées pour les femmes qui viennent d’accoucher, alors que d’autre part des hôpitaux publics congédient les mères six heures après l’accouchement. Régis par le marché, les bureaux régionaux de santé doivent acheter différents services au moindre coût. Pour offrir plus de services, ils doivent couper dans le personnel, remplacer les permanentes par des contractuelles et les contractuelles par des bénévoles.

Une médecine de consommation de soins

Les coupures dans le domaine de l’éducation rivalisent avec celles dans celui de la santé. Je me souviens des années où les étudiantEs recevaient une allocation pendant leurs études universitaires en autant que les notes se maintenaient à un certain niveau. Cela permettait de payer le loyer et même de se nourrir. Les réformes ont aboli ces extravagances et imposé des frais de scolarité qu’aucunE étudiantE ne peut acquitter sans s’endetter pour des années à venir pendant que les paiements seront déduits de leur salaire.|197| 
347|Et zap la démocratie...|François Parenteau| Le cinéaste Bernard Émond, qui a réalisé La femme qui boit, a déclaré en entrevue à l’hebdo ICI que, selon lui 0 «La société québécoise se fragmente et possède la capacité ridicule de tout encaisser assise devant sa télé. » Comme lui, je trouve qu’on vit une époque désolante. En fait, je ne m’en accomode que parce qu’à défaut d’avoir sous la main une machine à voyager dans le temps, c’est la seule que j’ai. Je me sens parfois comme ces femmes formidables qui sortent avec des « bums » finis en se nourissant de l’espoir de les changer. Mais il y a d’autres moments où j’aurais envie de « stooler » mon époque, qu’elle aille faire un peu de prison...

Lorsque la propre promesse du Parti libéral du Canada suggérant que le conseiller à l’éthique du Canada réponde à l’autorité du Parlement plutôt qu’à celle du seul gouvernement a été soumise à la Chambre des Communes par l’Alliance Canadienne, le parti de Jean Chrétien a voté contre. C’est pire que de ne pas remplir une promesse 0 c’est la répudier publiquement. Ce n’est plus rien que rire du monde, c’est leur donner des pichenottes sur le nez en plus. Et pourtant, personne ne réagit. Tout le monde reste assis devant le gala des Oliviers à regarder des « jokes» plates sur le fait que Jean Chrétien parle tout croche.

Québec prépare un périmètre de sécurité aussi grand que le Lichtenstein et des moyens de répression comparables à la loi des Mesures de guerre pour le Sommet des Amériques et personne ne bronche, trop occupé sans doute à regarder de petits crosseurs se faire pogner à J.E. ou La Facture. Les budgets du Québec se décident dans le secret et un autoritarisme de parti digne des belles années de Viktor Tikhonov avec l’équipe de hockey soviétique, et les gens haussent les épaules en montant le son de La Fureur.

Alors que le Québec francophone a à peine quelques décennies de paix linguistique derrière la cravate, certains proposent déjà de démanteler encore plus la digue de la loi 101, juste parce qu’on est tannés de déranger le monde avec ça. Et la majorité semble d’accord avec ces reculs déguisés en célébrations victorieuses. Et quand il sort un film magnifique et essentiel nous rappelant que notre belle union politique avec ce « plusse » beau pays du monde ne s’est pas faite qu’avec des beaux discours à deux têtes qui se contredisent et des « tracks » de chemin de fer, il se trouve une majorité de commentateurs francophones de l’actualité pour parler de propagande haineuse afin de montrer patte blanche à la petite loterie des bien vus du régime. De toute façon, il y a 4 et demi à la télé...

En plus, notre presse et tout notre paysage médiatique se concentrent à une vitesse telle que, d’ici quelques années, le moindre feuillet paroissial va appartenir à un grand groupe de presse qui va imprimer dessus des photos de vos vedettes préférées pour vous accrocher encore plus à un quelconque «sitcom » insignifiant qui parle de relations de couple mais avec un nouveau gadget de réalisation pour faire original. Pis le monde ont hâte...

Pendant ce temps-là, quand Jean Chrétien va en Chine avec son ami Lulu (qui fait un dernier tour de piste bien docile avec Équipe-Canada maintenant qu’il a quasiment sabordé moralement le PQ), on lui reproche de ne pas suffisamment sermonner la Chine sur la question des droits de l’homme. C’est que les sermons ne donnent rien. Jean Chrétien n’a qu’à montrer à son homologue chinois ce qu’on arrive à faire avec la démocratie au Canada 0 un parti unique à peine assisté d’une opposition décorative, des décisions prises sans consulter personne, des régions qui n’ont aucun pouvoir... Et tout ça, sans aucune manifestation majeure !

Vos Tibétains veulent se séparer ? Prenez un Tibétain arriviste et mettez-le à la tête de la Chine entière, il pourra faire de la répression discrète et de la propagande tout en passant pour un grand démocrate. En plus, voyez à quel point la démocratie est plus efficace 0 au Canada, on n’a même pas besoin de taper sur qui que ce soit, les journaux ferment d’eux-mêmes en fusionnant et ceux qui restent n’écrivent que du « human interest» et des niaiseries qui ne dérangent personne de façon à vendre le plus de copies possible...

Voilà ce qui pourra, un jour, mettre fin au totalitarisme 0 c’est un régime coûteux et peu performant qui est sensible à la contestation. Vive la démocratie !|197| 
348|La victoire du français passe par le triomphe de l’anglais|Pierre Dubuc| « La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais; et toute autre race que la race anglaise (j’applique ce mot à tous ceux qui parlent la langue anglaise) y apparaît dans un état d’infériorité. C’est pour les tirer de cette infériorité que je désire donner aux Canadiens notre caractère anglais », écrivait Lord Durham dans son célèbre Rapport. C’est l’essentiel de ce message que reprend aujourd’hui Alain Dubuc, l’éditorialiste de La Presse, dans la soporifique série de huit articles qu’il a consacrés à la langue.

Alain Dubuc a tourné autour du pot pendant six longs et ennuyeux articles avant que le chat sorte du sac. Il a cherché à nous anesthésier en prétendant que la survie du français était assurée. Les craintes exprimées au sein du Parti québécois qui ont mené à la mise sur pied de la Commission sur l’avenir du français auraient été alimentées par Marc Termote et Charles Castonguay, « deux spécialistes, nous dit Alain Dubuc, qui, comme par hasard, sont les chercheurs du domaine qui se distinguent par leur alarmisme ».

Le saviez-vous ? « La bataille du français est gagnée ! »

Les données scientifiques mises de l’avant par Termote et Castonguay sont écartées du revers de la main et qualifiées de « fausses peurs ». Alain Dubuc nous invite à croire que « la bataille du français est gagnée » et il cite pour appuyer ses dires le trio de démographes de service que sont Jacques Henripin, Victor Piché et Jean Renaud.

« Un changement radical s’est produit, car le Québec est une terre d’intégration qui fonctionne », déclare Jean Renaud. « Il faut en finir avec l’obsession linguistique », ajoute Victor Piché. Et la cerise sur le sundae, c’est Jacques Henripin qui la dépose lorsqu’il affirme 0 « Ce ne sont pas les francophones qui doivent s’inquiéter, ce sont les anglophones. »

Dans l’article que nous publions en page un de ce journal, Charles Castonguay accuse Piché, preuves à l’appui, de « s’écarter sciemment de la vérité », Henripin d’« avoir induit la Commission Larose en erreur » et Renaud d’appuyer ses propos « sur la foi d’un échantillon on ne peut plus biaisé ». Dans le numéro de février de l’aut’ journal, Charles Castonguay taillait en pièces les bases scientifiques de l’étude de Renaud intitulée Ils sont maintenant d’ici.

« La bataille contre l’anglais 0 une bataille pour l’ignorance »

Après nous avoir dit que « La loi 101 est au bout de son rouleau », qu’il fallait envisager de « nouvelles approches », Alain Dubuc accouche finalement de sa solution 0 « S’approprier l’anglais » ! Il faut, dit-il, « briser le tabou du bilinguisme ». C’est donc priorité à l’apprentissage intensif de l’anglais à l’école. Deuxièmement, instaurer le bilinguisme institutionnel de la fonction publique. Troisièmement, reconnaître, non pas le caractère français de Montréal, mais son « bilinguisme ».

Enfin, il arrive au cœur de la question 0 la langue de travail. Il affirme que « dans une économie moderne, la bataille contre l’anglais au travail peut devenir une bataille pour l’ignorance » ! ! ! Si une proportion toujours plus grande de francophones parvenait à travailler dans leur langue, « ce serait, affirme-t-il, le signe d’une véritable catastrophe. Cela voudrait dire que le Québec a raté le virage de l’économie du savoir ».

Alors, ces ouvriers de Pratt & Whitney qui exigent de pouvoir travailler en français, comme les ouvriers polonais des usines de la même entreprise peuvent travailler en polonais, ratent « le virage de l’économie du savoir ». C’est une « bataille pour l’ignorance » que mènent les travailleurs et travailleuses qui dénoncent les entreprises qui n’ont pas encore leur certificat de francisation après un quart de siècle de loi 101...

Réjouissons-nous 0 le français régresse !

Il faut sans doute se féliciter que le taux de certification des entreprises ait régressé de 78,2 % en 1995 à 71,7 % en l’an 2000, selon les rapports annuels de l’Office de la langue française. Et puis, que dire de ce 28 % d’entreprises de 50 employés et plus qui, 24 ans après l’adoption de la Charte de la langue française, n’ont pas encore reçu leur certificat de francisation. Ou de ces 150 entreprises qui ne sont toujours pas en règle plus de dix ans après l’approbation de leur programme de francisation. Ou du fait qu’en 1996, seulement 6 % des comités de francisation étaient actifs et, par « actif », on entend « se réunir au moins deux fois par année ». Ou de ces 1000 entreprises qui ont « omis » de s’inscrire, comme l’a révélé M. Bernard Salvail, directeur de la francisation à l’Office de la langue française.

Hier, nous aurions dit que ces entreprises étaient rétrogrades, qu’elles méprisaient les lois du Québec, insultaient leurs employés; mais aujourd’hui nous devrions saluer, à en croire Alain Dubuc, leur lutte d’avant-garde pour nous empêcher de « rater le virage de l’économie du savoir » et de « mener une lutte pour l’ignorance ».

Comme Lord Durham, Alain Dubuc veut nous donner un « caractère anglais » pour nous tirer de notre « état d’infériorité ». La différence entre Lord Durham et Lord Dubuc, c’est que le premier ne dissimulait pas son objectif 0 notre disparition en tant que groupe linguistique et nation sans histoire et sans littérature.|197| 
349|Les femmes refusent d’être bâillonnées|Élaine Audet|

Face à un état de guerre appréhendé



Depuis la Marche de l’an 2000, la mondialisation pour les femmes, c’est d’abord celle de la solidarité. Mais, pour le Sommet des Amériques, en avril, la mondialisation se limite à celle des capitaux, l’objectif des pouvoirs en place étant d’élargir la zone de libre échange à tous les pays d’Amérique latine (ZLEA). Refusant d’être bâillonnées et emmurées, les femmes de Québec, conjointement avec l’ensemble des groupes populaires et des syndicats, s’organisent et réclament le droit d’être informées et de manifester démocratiquement face à des décisions qui concernent leur existence.

Afin de protéger et d’isoler les chefs d’État présents au Sommet des Amériques, les forces policières se préparent à établir un périmètre de sécurité de 3,8 kms, à encercler la ville de clôtures barbelées, à multiplier les contrôles policiers afin de maintenir la population sous haute surveillance. Bref, à dissuader par la peur ! Bien rodé depuis octobre 70, le terrorisme préventif d’État vise cette fois à réprimer tout questionnement ou toute contestation des diktats de la haute finance. On nous avertit également que la prison d’Orsainville sera vidée de ses prisonniers actuels pour faire place aux contestataires arrêtéEs.

Face à cet état de guerre appréhendé, les femmes de Québec, loin de s’écraser, multiplient leurs réseaux de solidarité, d’information et de formation. Une fois de plus, elles vont manifester leur détermination à lutter en faveur de la justice sociale, de la redistribution des richesses, de la protection de l’environnement et de la paix lors de la célébration de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, au Musée de la Civilisation, et du 16 au 21 avril lors du Sommet parallèle des Peuples d’Amérique.

Un centre des femmes dynamique

Le Centre des femmes de la Basse-ville fêtera ses vingt ans l’année prochaine. Il a été créé en 1982 par un groupe de femmes du milieu qui voulaient se donner un lieu de rencontre et d’entraide. Après avoir partagé le local du CLSC, elles ont réussi depuis peu, grâce aux subventions et aux dons, à avoir une maison à elles dans le quartier Saint-Sauveur. Le centre est autogéré et toutes ses participantes sont impliquées dans son orientation, ses activités, son financement et son développement.

Pour satisfaire aux impératifs de la mondialisation, les politiques gouvernementales placent de plus en plus de femmes et d’enfants en état de survie. Comme partout ailleurs, les licenciements, la pauvreté et la violence poussent celles qui en sont victimes à recourir à des organismes d’aide et d’hébergement. D’autre part, le virage ambulatoire a accru cyniquement leurs responsabilités dites naturelles d’aidantes pendant que l’assurance-médicaments diminuait leurs revenus. Jusqu’où peut-on aller dans la dépossession des plus démuniEs ?

Des femmes résolues à s’en sortir

Presque la moitié de celles qui fréquentent le Centre vivent seules ou sont cheffes de famille monoparentales avec un revenu annuel entre 5 000 $ et 10 000 $. L’aide soutenue et la compréhension qu’elles y reçoivent leur permettent de sortir de l’isolement et de trouver un milieu de vie où elles apprennent à développer leur autonomie. Elles y viennent pour se rencontrer, s’informer, améliorer leurs connaissances et lutter ensemble pour promouvoir et défendre leurs droits individuels et collectifs.

Comme lors de La Marche mondiale des femmes en l’an 2000, les femmes de Québec sont au cœur des débats de société en cours. Elles luttent pour enrayer la violence et la pauvreté en cherchant à définir, collectivement et dans l’action quotidienne, un autre mode de développement basé sur la solidarité et l’équité sociale plutôt que sur la compétition et la concentration sans cesse accrue des richesses.|197| 
350|Les Amères Noëlles contre la mondialisation|Élaine Audet| Considérant que les femmes sont au cœur de la mondialisation, non pas comme décideuses ou investisseuses mais comme armée de main d’œuvre bon marché, comme bataillon de bénévoles pour s’occuper des victimes des coupures dans les programmes sociaux, un groupe de femmes venues d’horizons divers se forme à Québec, en décembre 2000, pour contrer la mondialisation et développer l’analyse féministe sur le sujet.

C’est ainsi que naît la chorale militante, « Les Amères Noëlles », qui participe depuis sa fondation aux activités de sensibilisation, assemblées générales, spectacles de financement, réunions de formation, etc. Elles « s’invitent » aussi dans les centres commerciaux, les activités du Carnaval de Québec, partout où il y a du monde. Elles seront bien sûr présentes lors de toutes les manifestations entourant le Sommet des Amériques en avril.

Ayant commencé à chanter avant Noël – d’où leur nom, elles ont d’abord utilisé des cantiques et des chansons connues comme Mon beau sapin pour ensuite élargir leur répertoire à L’arbre est dans ses feuilles, À la claire fontaine, Alouette, dont elles changent les paroles pour dénoncer le caractère patriarcal et anti-social de la globalisation des marchés. Elles invitent les autres groupes de femmes à former leur propre chorale d’Amères Noëlles et à consulter leurs textes disponibles sur le site anti-ZLEA d’OQP 2001.

*Un gros merci à Monique Foley, Lyne Boissinot et Carmen Duplain qui m’ont communiqué toutes les informations contenues dans cet article.

** Le Centre des femmes de la Basse-Ville est situé au 380 Saint-Vallier Ouest à Québec. Tél. 0 (418) 648-9092.

*** De l’extérieur de Québec, on peut écouter l’émission Mes Amies de filles sur Internet.

**** Pour plus d’informations sur les organisations de femmes à Québec, on peut aussi consulter dans l’aut’journal, no 190, juin 2000, mon entrevue avec Marie-Claude Huot, coordonnatrice pour la région de Québec de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000.|197| 
351|Mes amies de filles|Élaine Audet|

Portrait de Monique Foley



Monique Foley raconte qu’elle a commencé à faire de la radio communautaire dès l’entrée en ondes de Radio Basse-ville (CKIA-fm 96,1), le 31 octobre 1984. Elle a continué jusqu’à maintenant, sauf pendant un séjour de trois ans dans un collectif féministe au Nicaragua dont elle est revenue avec la ferme intention de créer une émission de femmes. « Bien consciente qu’une telle émission nécessitait beaucoup d’énergie de la part de femmes déjà militantes et super occupées, je cherchais une formule pour inclure tout ce beau monde sans surcharger personne (sauf moi!) », nous dit cette femme à l’énergie illimitée comme son engagement envers les femmes.

Tout a commencé par un souper réunissant une douzaine de vieilles et nouvelles militantes. En se quittant, elles avaient déjà réparti les tâches, chacune avait choisi le thème dont elle serait responsable, pendant que Monique Foley se chargerait de l’animation. À la mi-janvier 2000, l’émission MES AMIES DE FILLES entre en ondes une heure par semaine. Les émissions enregistrées consistent en six ou sept interventions au micro, le même nombre de « tounes » et une dernière intervention sur les activités intéressantes à venir. Pour avoir participé à l’une d’elles sur l’amitié entre femmes, je peux vous assurer que c’est extrêmement bien fait, bien documenté, intéressant, avec complicité assurée.

En septembre 2000, l’émission passe en direct et à une meilleure plage horaire, le jeudi à 18 h et, ce qui est fort apprécié, avec rediffusion le dimanche à 15 h. Chaque émission comporte un thème. Ainsi, depuis janvier 2000, elles ont traité, d’un point de vue féministe, de la mythologie, des contes de fées, de l’aide sociale, de l’amitié entre femmes, du groupe « Femmes, politique et démocratie », du « Collectif masculin contre le sexisme », de la violence envers les femmes, de l’image du corps des femmes, de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, de la situation des femmes dans le monde, de la mondialisation et elles ont également réalisé une entrevue avec la chanteuse Francesca Solleville.

Une autre initiative heureuse est de consacrer le troisième mardi de chaque mois à un « spécial lesbiennes » avec Nicole Vendette de la Collective Tutti Frutti. « Mon objectif au départ était de mettre le féminisme et les réalisations des femmes sur la place publique », nous dit encore Monique Foley. Bravo, c’est bien réussi ! Un exemple sans aucun doute à imiter.|197| 
352|Harry Potter 0 valeurs sexistes et conservatrices ?|Élaine Audet|C’est ce que prétend un article du Guardian de Londres de même que de nombreuses critiques venues de la gauche américaine, des féministes, ainsi que de Pierre Bruno, cette dernière parue dans le quotidien français Libération (20/21-01.01). M. Bruno affirme que « les personnages féminins, jeunes ou adultes, sont moins nombreux, moins importants et moins valorisées que les personnages masculins. Les ouvrages reproduisent avec insistance les stéréotypes touchant aux attributs moraux, physiques ou psychologiques prêtés traditionnellement aux deux sexes. D’où de nombreux adjectifs discriminants accolés aux descriptions de personnages féminins et une reproduction des rapports anciens de domination […]. »

Qu’en pensent les parents qui lisent ces histoires à leurs enfants ?

Quant à la journaliste américaine, Christine Schoefer, elle dit « être perplexe de voir qu’une femme (l’auteure J.K. Rowling), qui est en plus mère d’une fille, puisse au tournant du 20e siècle écrire un livre si plein de stéréotypes ». Elle dit 0 « s’interroger sur les parents dont plusieurs se joignent à leurs enfants pour lire les histoires d’Harry Potter. Est-ce que notre nostalgie pour un monde magique est si profonde, notre désir d’être surpris et amusés si intense, notre gratitude pour une histoire bien contée si forte que nous acceptons d’abdiquer tout jugement critique ? » Ou est-ce que les stéréotypes dans les histoires sont parties intégrantes de notre fascination – et que nous nous sentons rassuréEs par un monde où les rôles traditionnels sont fermement en place ? Qu’en pensent celles et ceux qui ont lu Harry Potter ?|197| 
353|On crie au déficit pour faire augmenter les primes|Louis Préfontaine|

La politique des médicaments au Québec



Le conflit entre les 1400 pharmaciens de l’AQPP (Association québécoise des pharmaciens propriétaires) et le gouvernement du Québec a permis d’illustrer l’échec de la politique des médicaments en vigueur.

La réforme de l’assurance-médicaments de 1997 a considérablement augmenté la charge de travail des pharmaciens. « Les pharmaciens sont devenus des agents d’assurances, des centres d’information pour le gouvernement », affirme Normand Cadieux, directeur général de l’AQPP. « Ils doivent affronter la frustration des gens. »

Avant la réforme, il en coûtait un prix fixe de deux dollars, alors que maintenant, plusieurs doivent payer jusqu’à trente dollars. C’est pourquoi la Coalition des médecins pour la justice sociale a présenté une pétition de 10 000 signatures en faveur de la gratuité des médicaments pour les plus démunis. La prime maximale, de 150 $ en 1997, est passée à 350 $ en juillet 2000, puis à 385 $ depuis le premier janvier dernier.

« Le principe de toutes les caisses du type de l’assurance-médicaments, c’est qu’elles doivent faire leurs frais », affirme Marie Pelchat, de Solidarité Santé. «C’est la stratégie des petits pas. On crée une caisse à part pour réduire la responsabilité gouvernementale, puis on crie au déficit pour enfin augmenter plus facilement les primes. »

De cette façon, on refile la facture à la population en dépolitisant un choix tout à fait politique 0 celui de ne pas s’attaquer aux causes réelles de l’augmentation des coûts de la santé.

Les brevets vieillissent moins vite que la population

Le gouvernement et la Commission Clair essaient de nous faire croire que le « vieillissement accéléré » de la population est seul responsable de l’augmentation des coûts. C’est faux. Entre 1978 et 1998, la population ayant plus de 65 ans a augmenté de 53 % alors que le prix des médicaments a explosé de 290 % (en dollars constants) ! Selon le Price Review Board, nous sommes ceux des pays de l’OCDE qui payons nos médicaments les plus chers.

Même si le problème date de la fin des années 1970, il s’est amplifié dangereusement à partir de 1993. Cette année-là, on a adopté la loi C-91, qui permet d’étendre la protection des brevets des compagnies pharmaceutiques à 20 ans. « Plus de 95 % des nouveaux médicaments sont des modifications mineures d’anciennes versions », affirme Paul Saba, de la Coalition des médecins pour la justice sociale. « Cela permet aux compagnies pharmaceutiques de prolonger les brevets de 20 ans, 40 ans ou même 60 ans, en ne changeant que quelques composantes marginales du produit. »

Selon M. Saba, il faudrait inciter davantage les médecins à offrir des médicaments génériques. Par exemple, ils prescrivent souvent l’Omerprazole contre les ulcères. Ce médicament coûte 2,20 $ alors que le Cimetidine, un générique, est offert à 0,10 $.

Les profits grimpent plus vite que ceux du pétrole

« Nous sommes esclaves des compagnies pharmaceutiques », laisse tomber crûment Paul Saba. « Nous sommes en train de retourner vers le Moyen Âge avec ces monopoles. » L’argument central de la thèse défendant la spécificité en matière de brevets (il est possible de prolonger les brevets au-delà de vingt ans au Québec) est celui de la création d’emplois. En engraissant quelques monopoles, ceux-ci auraient en retour la gentillesse de nous donner des milliers d’emplois.

Pourtant, le mémoire du Conseil central métropolitain, remis à la Commission Clair, nous apprend que malgré toutes les mesures incitatives, le nombre d’emplois dans ce domaine était de 7 808 au Québec comparé à 9 250 en Ontario, en 1999.

Pourquoi le gouvernement favorise-t-il les brevets si ça coûte plus cher et que ça ne crée pas plus d’emplois ? Paul Saba s’impatiente en entendant cette question. « Si vous aviez le choix entre manger un repas dégueulasse avec un médecin dans un hôpital ou manger un repas à 300 $ avec l’industrie pharmaceutique, où iriez-vous ? »

Des repas au restaurant, l’industrie peut en payer. Une étude de Gino Lambert, pour la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, publiée en 1998, fait état de l’enrichissement absolument fantastique des principales compagnies pharmaceutiques. Entre 1992 et 1996, le bénéfice net (en millions de dollars US) de Merck-Frosst est passé de 1 984 $ à 3 881 $, celui de Bristol-Myers Squibb de 1 962 $ à 2 850 $ et celui de Pfizer de 811 $ à 1 929 $. Pendant cette période, le secteur pharmaceutique fut le plus payant de tous les secteurs économiques, pétrole compris.

La catastrophe n’est pas un effet secondaire, c’est un choix

Le rapport de la Commission du bon Samaritain, à laquelle a participé M. Saba, en décembre dernier, recommandait d’écourter la durée du brevet d’un nouveau médicament dès que l’entente avec l’ALENA pourra être renégociée.

Selon Matthew Sanger du Centre canadien de politiques alternatives, le gouvernement canadien a déjà engagé la santé dans le traité de la ZLEA, une extension de l’ALENA. Une telle disposition pourrait éventuellement permettre de bloquer toute tentative d’instaurer une politique progressiste au Québec, notamment un régime national d’achat global des médicaments et un régime d’assurance-médicaments public.

Le conflit entre l’AQPP et le gouvernement du Québec est un moment propice pour se rappeler que la catastrophe actuelle fut causée par des choix politiques.|197| 
354|Avertissement ! Le contenu de ce texte est explosif ! La rédaction|André Bouthillier| Note à l’Éditeur 0 ne pas mettre de titre à cet article et peut-être même, ne rien publier, Monsieur Dubuc.

Il est 23 heures et je ne trouve toujours pas de titre à cet article que je dois vous remettre. Pire, je ne sais même pas si vous aurez un article à publier sous mon nom et voici pourquoi.

Depuis quelques mois, je ne manque rien du débat sur la concentration de la presse au Québec. Imaginez la fierté que je ressens du simple fait d’avoir la possibilité d’écrire pour ce journal indépendant. La liberté ainsi permise augmente la responsabilité que j’ai envers les lecteurs et les lectrices. N’étant pas journaliste de profession, je me suis mis en quête d’une formation autodidacte grâce à des lectures sur le valeureux métier de journaliste. J’en ai retenu quelques grandes règles 0 ne pas coiffer un article d’un titre démagogique; l’article doit démontrer la crédibilité de l’auteur-e; dans tout bon article, on doit trouver le Qui, le Quoi, le Quand et le Où. Maintenant bien équipé pour faire face à la tâche, je me heurte à une difficulté que je ne pouvais soupçonner. Me voilà pris avec un contenu paniquant et mon sens de l’éthique durement mis à l’épreuve. Voici les faits.

L’objet de mon propos 0 les changements climatiques et leurs effets sur les Canadiens.

QUI 0 j’ai trouvé une réponse plurielle. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, chargé par l’ONU de faire le point tous les cinq ans sur les changements climatiques; Greenpeace; l’Union québécoise pour la conservation de la nature; les agences de presse Reuter et AFP.

QUAND 0 une réponse. Des textes publiés depuis le début janvier 2001 et qui parlent de situations à venir d’ici cent ans.

OÙ 0 une réponse. Au Canada et dans tous les pays côtiers, mais entres autres en Égypte, Pologne et au Vietnam.

QUOI 0 plusieurs réponses.

Le Canada se réchauffe à peu près deux fois plus vite que la moyenne planétaire. Il n’y aura à peu près plus de glace en Arctique d’ici 2100. Le sud des Prairies canadiennes deviendra un désert en grande partie, avec des impacts socio-économiques absolument phénoménaux. Ce scénario catastrophe transformera le visage du Canada, qui connaîtra des catastrophes naturelles comme l’assèchement des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, des inondations et des vagues de chaleur qui feront augmenter de 88 cm le niveau des mers. Ces bouleversements entraîneront l’engloutissement de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine, et certaines parties de la Colombie-Britannique.1

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), qui a colligé pendant trois ans dans le monde entier les meilleures données scientifiques sur le phénomène, estime que la température de la Terre augmentera de 1,4 à 5,8 degrés au cours du siècle. Le groupe prévoit un élargissement de l’aire mondiale des maladies liées à la piètre qualité des eaux. De son côté, le relèvement des mers déclenchera d’importants glissements de terrain en raison de son action conjuguée avec de plus violentes précipitations. Les équipements d’évacuation d’eaux usées seront généralement noyés. L’approvisionnement en eau potable de dizaines de villes côtières sera menacé par la progression des eaux salées. Et la hausse de la température moyenne du globe va imposer des problèmes d’approvisionnement en eau à cinq milliards d’humains d’ici 2025.2

L’ampleur des tragédies humaines à venir n’a d’égale que l’irresponsabilité de nos gouvernements, qui traînent de la patte en matière de lutte aux émissions de gaz à effet de serre. Les changements climatiques prévisibles risquent d’exacerber des conflits ethniques associés à une cohabitation difficile sur des territoires dont l’équilibre écologique est déjà rompu et continuera de se détériorer de plus en plus vite.3

« Le consensus scientifique présenté dans ce rapport exhaustif sur les changements climatiques provoqués par l’homme doit être un signal d’alarme dans toutes les capitales », a estimé le directeur du Programme des Nations Unies sur l’environnement (PNUE), Klaus Topfer, qui a appelé les gouvernements et les industriels à « prendre des mesures audacieuses en faveur des énergies propres » et à se préparer à la montée des mers et à des changements dans les normes des précipitations.

Quoi faire, monsieur l’éditeur ? Depuis janvier 2001, des déclarations alarmistes prennent place dans les journaux. Certaines ont même fait la manchette. Mais je n’entends rien de la part des politiciens, et les Madelinots n’ont pas réagi. Le monde des affaires continue à faire des affaires comme à l’habitude, les sportifs de s’entraîner, les artistes de performer, Nortel continue sa décente aux enfers et la communauté scientifique du Québec n’a pas bronché. Le message que je reçois des décideurs de ce pays, c’est que tout le sujet des changements climatiques est de la baliverne. Alors, grâce à ma nouvelle éthique, journalistique, je décide de ne pas écrire d’article. Je suis désolé de vous laisser un blanc.

N.B. 0 Et s’il advenait que les prédictions onusiennes s’avèrent justes, je me convertirai en chroniqueur religieux pour vous parler de l’apparition de la Vierge Marie à Bernadette Soubirou qui aurait dit 0 « Pauvre Canada ! »

1 Greenpeace, 19 février 2001, Agence Reuter

2 GIEC – ONU, janvier 2001, Résumé à l’intention des décideurs

3 Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), 19 février 2001Note à l’Éditeur 0 ne pas mettre de titre à cet article et peut-être même, ne rien publier, Monsieur Dubuc.André Bouthillier|197| 
355|La féminisation linguistique|Élaine Audet|

À la recherche des mots perdus



Alors que sous la poussée des études féministes partout dans le monde, on tente de réinsérer les femmes dans l'histoire, il existe encore une résistance acharnée à leur nécessaire insertion dans la langue. La féminisation, c'est la bête noire non seulement des dinosaures de l'Académie française et des machos, mais aussi de nombreuses femmes. Dans un essai rigoureux et d'un humour rafraîchissant, la linguiste Louise L. Larivière espère porter le coup fatal à ce préjugé tenace. Espérons que le ridicule tuera enfin la bêtise.

Dans son livre intitulé Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique dont je préfère le beau sous-titre «ou à la recherche des mots perdus», l'auteure affirme qu'on ne peut être égale sans être visible. Jusqu'à tout récemment, la langue s'est contentée de refléter et de renforcer l'invisibilité sociale des femmes dans les sociétés patriarcales. Pourtant, elle pourrait s'adapter aux transformations sociales touchant les femmes comme elle l'a fait rapidement avec les changements technologiques et scientifiques.

Larivière réussit admirablement à démonter tous les mécanismes de la mauvaise foi qui permettent encore au masculin de l'emporter sur le féminin. On continue à écrire sans broncher 0 «un cochon et cinquante femmes sont morts dans la tempête », à refuser le terme « écrivaine » à cause de la finale « vaine », le «vain » dans écrivain portant, bien sûr, la noblesse du masculin qui ne peut que rendre sa vanité valeureuse et enviable ! Comme le dit Benoîte Groult, le blocage ne se trouve pas dans les mots mais dans la tête de ces femmes qui semblent avoir « intégré la notion d'infériorité congénitale de leur sexe » en refusant de féminiser leur titre « pour ne pas ternir le prestige de la profession ».

Égales et visibles

La langue reflète les structures, les préjugés et les rapports de forces inhérents à toute société. Alors que les femmes occupent de plus en plus la place qui leur revient sur le plan social, cette réalité continue d’être obstinément ignorée sur le plan linguistique. Le refus de la féminisation tend à renvoyer les femmes dans la marginalité et à leur nier toute identité propre. Il est évident qu'en reflétant les changements sociaux, la langue transformera à son tour les mentalités.

À bon escient, l'auteure cite Louise Harel, du temps de son engagement féministe 0 « La liberté d'afficher dans n'importe quelle langue, par exemple, comme la liberté de n'utiliser que le neutre, c'est-à-dire le masculin, est en fait la liberté de celui qui domine. » (p. 65)

Larivière fait adéquatement la démonstration que ce n'est pas la langue qui fait obstacle à la féminisation mais la société et les mentalités rétrogrades. Elle affirme que « la langue a tout ce qu'il faut, grammaticalement parlant, pour féminiser les noms, sa morphologie étant » parfaitement équipée pour traduire la distinction en genre des noms de métiers et de fonctions « et pour former de nouveaux féminins en offrant une abondance de possibilités ». (p. 30) Ainsi, il est tout à fait possible d'éviter la préséance d'un genre sur l'autre en formant le féminin et le masculin à partir d'un radical invariable.

Elle dénonce la confusion créée par l'utilisation du mot «homme » comme terme générique englobant les hommes et les femmes et par la prétendue neutralité du masculin. Tous les grammairiens le disent, en français, il n'y a pas de neutre, comme dans certaines autres langues, mais deux genres 0 le féminin et le masculin avec lesquels l'accord se fait. Le pseudo neutre masculin n'inclut d'ailleurs plus le féminin lorsque les intérêts du sexe « fort » sont en jeu. Ainsi, en France, on a longtemps refusé tout droit politique aux femmes, sous prétexte que le terme « Français » dans la Constitution ne signifiait que le sexe masculin !

Qui a peur de la féminisation ?

La masculinisation systématique de la langue n'est pas innocente, mais vise à rendre invisible la présence des femmes tant dans la langue que dans le monde. Comme le souligne Larivière, les titres professionnels féminisés ne paraissent menaçants qu'aux hommes qui craignent que les femmes occupent leurs postes et acquièrent autant ou plus de pouvoir, de gloire et de rémunération qu'eux. Ils confirment ainsi que ce qui est nommé existe !

La féminisation fait également peur à certaines femmes qui ont accepté de vivre par procuration. Elles craignent de perdre le prestige qui leur vient du statut «supérieur » de leur mari, ou de se voir comparée défavorablement à celles qui sont indépendantes. Quant aux femmes qui ont déjà un certain pouvoir dans la société, elles ne veulent pas compromettre leur situation en se démarquant comme femmes. Elles préfèrent s'identifier et se solidariser avec le sexe dominant plutôt qu'avec leurs semblables qui luttent pour la reconnaissance dans tous les domaines.

Pour que ça change, pour que la féminisation des mots nous paraisse familière, il importe, nous dit Larivière, de mettre en pratique les règles de la féminisation dans nos écrits et qu'il y ait des cours sur la féminisation linguistique dans tous les programmes de français. Pour en savoir plus sur la façon de féminiser, on pourra consulter sur Internet le livre numérique, Comment en finir avec la féminisation ou Les mots pour la dire, que l'auteure y publie aux Éditions www.00h00.com. Le livre n'était malheureusement pas encore dans le site quand j'ai voulu le consulter.

Une réserve superflue

En terminant, je dois dire que je n'ai pas compris pourquoi l'auteure débute son excellent ouvrage en professant qu'il n'est pas militant, qu'« il n'est pas nécessaire d'être femme ou féministe à tout crin » pour traiter de féminisation et enfin de nous assurer qu'elle s'appuiera « sur des considérations linguistiques » et non sur des «états d'âme ». Dans une même lancée, elle affirme aussi que la féminisation n'est pas née « du cerveau enflammé des féministes québécoises ». Une telle démarcation par rapport à la recherche féministe serait-elle devenue nécessaire aujourd'hui pour que la critique officielle parle d'un livre ?

Pareilles réserves ne font, pour moi, que renforcer les préjugés face aux recherches féministes et aux écrits militants. Personne ne remet en question le sérieux des travaux sur la féminisation de Louky Bersianik (1976) et de Benoîte Groult (1984), à qui Larivière dédie d'ailleurs son ouvrage, ou des essais de Marina Yaguello (1978), de Dale Spender (1980) et plus récemment de Céline Labrosse (1996). Pourtant, aucune de ces auteures n'a jamais eu peur d'être taxée de féministe.

Même si, après l'entrée des femmes sur le marché du travail, il y a eu, comme l'affirme Larivière, quelques tentatives de féminisation en France au début du siècle, c'est incontestablement la parution en 1976 de L'Euguélionne de Louky Bersianik qui en a fait une priorité et inspiré les ouvrages qui ont suivi. Tant par l'analyse en profondeur que par les suggestions de féminisation toujours respectueuses de la structure de la langue, on est là bien loin de simples « états d'âme ».

Au risque de déplaire à Mme Larivière, je lui dirai que je n'ai vu dans son livre aucune incompatibilité entre la linguistique et une vision féministe du monde. Cet ouvrage est un instrument de travail indispensable pour qui veut refléter la place réelle des femmes dans le monde.

Louise L. Larivière, Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique ou à la recherche des mots perdus, Montréal, Boréal, 2000.|197| 
356|Un « 15 février 1839 » implosif|Paul Rose| Certes le meilleur film de Pierre Falardeau. Dans le ton intimiste, décidément, c’est là que le cinéaste réussit le mieux… Même si l’homme public affectionne plutôt l’image coup de poing. Sur pellicule, c’est d’abord le ton de la réflexion qui frappe, qui perce comme un boulet de canon. Et comment ! Et dans ce 15 février 1839 plus que tout autre auparavant.

Même dans les bouts les plus « agressifs », tout se passe en demi-teintes, en élan ténu, en mots à double sens. Même dans les passages, disons, plus politiques, comme par exemple le discours sur l’immigration, sublime de justesse, ou celui sur le projet britannique d’union, ou encore la lecture en groupe d’un article de journal sur le rapport Durham. Et cette scène, véritable pièce d’anthologie québécoise sur le mode du « mon pays c’est toi » entre Sylvie Drapeau et Luc Picard. Bien sûr, le chuchotement, le contexte de la prison l’exigeait, seriez-vous tenté de me dire. Mais il y a plus là d’dans, il y a là, à voix basse, toute l’histoire d’un peuple condamné à se cacher, à taire son identité. Émotions retenues et toutes en nuances à trancher au rasoir, c’est par là que le film « se dépasse », pour paraphraser une expression d’un des personnages de 1839. Et j’ai la conviction que le film n’aurait jamais eu cette profondeur inépuisable d’une scène à l’autre si l’auteur y avait ajouté des extérieurs (hors-prison) comme il l’aurait souhaité.

Parce que je pense que c’est justement par son implosion que le film traverse littéralement l’écran. Comme dans « Pardonnez ? J’peux pas ! » de Thomas De Lorimier lorsque l’aumonier lui fait répéter le « Notre-Père » . Ou encore ces silences prolongés comme dans cette scène intense du soldat britannique « parlable » qui se retranche derrière les ordres, alors que debout devant lui, séparé par les barreaux de sa cellule, De Lorimier reste bouche cousue. Sur l’échafaud, il lui répliquera. Du bout des lèvres. Ce qu’il lui a déjà répété de tout son corps. « Maintenant c’est à votre tour d’avoir peur. »

Du début à la fin, un véritable chef-d’œuvre, que j’ai vu deux fois et que j’irais voir encore et encore… – et ça, ça ne m’est pas arrivé avec le « thriller » Octobre et croyez-moi, ça n’avait rien à voir avec le fait que j’y étais impliqué ou pas !

Dans ce voyage qui nous transporte de la prison « au pied du courant » jusqu’au plus profond de nous, j’ai pensé entre autres à Jean-Olivier Chénier et à cette poignée de compatriotes pendant ces longues heures d’attente et d’encerclement, emmurés dans l’église de St-Eustache, en ce décembre froid de 1837, avant le carnage final.

Là aussi, au milieu des explosions des boulets de canon et des balles des troupes du brulôt de Colborne, il y aurait quelques implosions populaires à retrouver.

Quant aux événements d’après 1837-38 et aux autres qui ont suivi jusqu’à « demain », une phrase du film les résume tous et leur redonne tout leur sens profond 0

« Il suffirait pourtant de s’unir juste une fois, une seule fois… »|197| 
357|Falardeau et les autres|Michel Lapierre| Après avoir vu le film 15 février 1839, de Pierre Falardeau, comment est-il encore possible de parler des autres ? Je veux dire des historiens, des écrivains, des artistes qui, comme Falardeau, s’emploient à faire revivre notre histoire. Quelques-uns ont sans doute plus de génie que lui. Mais, sur un point bien précis, Falardeau les précède tous, ne serait-ce que d’un pas. Il va là où ils craignent d’aller. Du côté de l’actualisation totale.

Dans les dialogues comme dans les images, Falardeau est incapable d’écrire l’histoire au passé. C’est dans cette incapacité viscérale – dans ce manque de culture et de politesse, diront ses détracteurs – que se trouve son génie. La poignante intensité de son film, pourtant très documenté et dépourvu d’anachronismes flagrants, tient à ce simple fait 0 le 15 février 1839, c’est, au fond, le 15 février 2001. Chevalier de Lorimier est un Québécois d’aujourd’hui. Son angoisse de mourir et sa folie de survivre sont les nôtres.

« La pensée pacifiste des Tizamis de Passe-Partout »

Dans sa postface au recueil des lettres de Chevalier de Lorimier, réédité sous le titre 15 février 1839 (avec, cette fois, de nombreuses notes savantes de Marie-Frédérique Desbiens), Falardeau nous rappelle qu’en lisant, à l’âge de quinze ans, Les Patriotes de 1837-1838, de Laurent-Olivier David, il découvrit que les noms des Patriotes de son « village » de Châteauguay, exécutés à Montréal ou déportés en Australie, lui étaient très familiers. « C’étaient ceux de mes voisins, de mes parents, de mes amis. »

L’histoire, ainsi retrouvée, pousse Falardeau à dénoncer l’acceptation aveugle de la violence des institutions. Même si nous nous sommes accoutumés aux dominateurs, au point de ne plus les voir, et qu’eux, après avoir fait de nous une simple minorité, se sont presque habitués à notre présence, au point de nous perdre également de vue, la domination reste toujours d’actualité. Qu’elle soit semi-coloniale, néocoloniale, néolibérale ou postmoderne, cela importe peu. Elle est au-dedans de nous. Plus psychique que politique, la libération tant espérée tiendra de la catharsis. Voilà pourquoi Falardeau ne cesse de nous exhorter à combattre « la pensée pacifiste des Tizamis de Passe-Partout et de Passe-Montagne ».

La tâche est ardue, car nous sommes un peuple de Tizamis depuis fort longtemps. Trois jours avant sa mort, Chevalier de Lorimier écrivait une lettre à l’un de ses amis et compagnons d’armes. « Puisse le ciel t’accorder une longue et heureuse carrière. Puisses-tu prospérer comme tu le mérites et te rappeler que je suis mort sur l’échafaud pour mon pays. »

Une cargaison de champagne d’une valeur de 13 000 dollars

Cet ami s’appelait George-Étienne Cartier (George sans s, comme savent l’écrire les Anglais). Patriote vire-capot, Cartier deviendra conservateur, premier ministre du Canada-Uni (conjointement avec John A. Macdonald) et père de la Confédération. Mais, comme le rappellent Don Gillmor et Pierre Turgeon, dans Le Canada 0 une histoire populaire, livre inspiré par la série télévisée du même titre, Cartier deviendra, avant tout, l’avocat d’une importante compagnie de chemin de fer 0 le Grand Tronc.

Jamais les hommes d’affaires et les hommes politiques ne se seront si bien entendus que lors de la genèse de la Confédération. Le Grand Tronc exulte. Aussi y a-t-il, en 1864, à bord du Queen Victoria, le vapeur qui mène Cartier et Macdonald à Charlottetown, une cargaison de champagne d’une valeur de 13 000 dollars. Le bon peuple de l’Île-du-Prince-Édouard n’est pas au rendez-vous. Il assiste au spectacle donné par le cirque de Slaymaker et de Nichol. Mais le vrai cirque est ailleurs, loin du peuple. Le vrai cirque est fait « de discours, de protestations, de déjeuners au homard, de résolutions, de pique-niques, d’alliances, de flirts et de soirées arrosées au champagne », n’hésitent pas à écrire Gillmor et Turgeon. Il faut bien rédiger la Constitution...

John A. Macdonald, presque toujours soûl

Que le Canada, tel qu’on le connaît aujourd’hui, soit né, le 1er juillet 1867, des combines des promoteurs ferroviaires et des politiciens, cela ne fait qu’amuser Gillmor et Turgeon. Les interprétations, ils les laissent à Falardeau. Pourquoi, en effet, se creuser la tête pour comprendre l’histoire, au risque de devenir grossier ? L’histoire qui appelle une interprétation, même intuitive, viole les règles de la bienséance.

Les faits pourtant ne trompent pas dans le récit enlevant de Gillmor et de Turgeon. Voilà Macdonald, l’Écossais tory, presque toujours soûl, qui déteste les Anglais, mais qui, par-delà la valse des pots-de-vin, sert la couronne d’Angleterre. En chemise de nuit, drapé dans une couverture de train, il peut bien oublier les poèmes de Robert Burns et réciter le monologue de Hamlet devant son miroir ! Une nuit, il découvre tout à coup que son lit est en feu. Quelle chance que Cartier, qui préférera toujours sa maîtresse à la bouteille, soit là pour l’aider !

La Confédération, un jeu dangereux qui coûte cher

Il faut dire que la Confédération est un jeu dangereux. Le 1er juillet 1867, sur la colline du Parlement, à Ottawa (bourg de bûcherons hissé au rang de capitale), on tire une salve d’honneur et les baïonnettes, que les soldats avaient oublié d’enlever de leurs fusils, volent dans les airs. Et puis la Confédération, ça coûte cher, très cher !

En 1872, pour payer le déplacement en voiture de leurs électeurs et le p’tit blanc afin de les ragaillardir, Macdonald et Cartier ont besoin d’argent. Cartier sollicite donc l’aide de son bon ami Hugh Allan, promoteur du chemin de fer du Pacifique, qui se montre fort généreux. Les conservateurs sont réélus. Entre-temps, Cartier proclame 0 « Jamais une maudite compagnie américaine n’aura le contrôle du Pacifique. » Or, l’argent que lui et Macdonald ont reçu d’Allan vient, en sous-main, des Américains, eux qu’on entendait défier en créant la Confédération et le Canadien Pacifique, avec Allan à sa tête.

On comprend que les dernières pensées de Cartier seront très différentes de celles de Chevalier de Lorimier. Les dernières paroles de Sir George-Étienne Cartier seront 0 « Je meurs. » Le père de la Confédération aura été, selon les pudiques Gillmor et Turgeon, « un homme logique et un capitaliste talentueux ». Le genre pathétique et héroïque, les deux narrateurs le laissent à Falardeau.

Mais Gillmor et Turgeon ont, sans le savoir, le don de corroborer la vision de Falardeau. Dans leur récit, les Anglais font piètre figure et notre persévérance impressionne. Si, malgré notre petit nombre, notre drôle armée permet de retarder, d’un siècle et demi, l’invasion britannique de 1759, c’est qu’elle a une dimension continentale et une conception non conventionnelle de la guerre 0 notre armée est en partie amérindienne. L’expression French and Indian War, qui tombe de la bouche des Américains, est loin d’être innocente. Les Anglo-Saxons connaissent leurs ennemis.

L’obstination de l’Amérindien

Dans l’opiniâtreté de Chevalier de Lorimier, il y a une part de l’obstination de Pontiac, chef de guerre des Outaouais et, après la Défaite, premier ennemi irréductible des Anglais.

Gillmor et Turgeon nous montrent que, contrairement à la nôtre, l’insurrection du Haut-Canada, qui n’avait rien d’autochtone, ne fut qu’une révolte de touristes pusillanimes et maladroits, bien qu’il y eût quelques pendus de plus qu’au Bas-Canada. En citant Durham à propos de notre insurrection, ils donnent raison à Falardeau 0 « Je m’attendais à trouver un conflit entre le gouvernement et le peuple ; je trouvai deux nations en guerre au sein d’un même État ; je trouvai une lutte, non de principes, mais de races. Et je m’aperçus qu’il serait vain d’essayer d’améliorer les lois ou les institutions avant que d’avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui, maintenant, séparent les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles 0 Français et Anglais. »

La profondeur anthropologique de la guerre entre l’indigène et le conquérant crevait les yeux. Le film 15 février 1839 la retrouve, telle qu’elle est apparue à Durham, et en fait l’exploration. Jusque dans la mort. Que Pierre Falardeau soit un sauvage, nous le savions tous.

Chevalier de Lorimier, 15 février 1839 0 lettres d’un patriote condamné à mort, Comeau et Nadeau, 2001.

Don Gillmor et Pierre Turgeon, Le Canada0 une histoire populaire, Fides, 2000.|197| 
358|Toute la smala de la diaspora|Jean-Claude Germain| Il était une fois une vieille Indienne de la Saskatchéouanne qui entreprit un jour de raconter sa vie en commençant par ces mots 0 « Oh ! vous savez, dans ce temps-là, il n'y avait que les Sauvages et les Canayens, les Blancs sont arrivés ben après ! » Jean Morisset rapporte l'anecdote dans Amériques, un recueil d'essais croisés sur une grande inconnue, la Franco-Amérique métisse.

Cosignataire de l'ouvrage publié aux éditions de l'Hexagone, son ami Éric Waddell est tout aussi fasciné par le destin singulier de tous ces gens qui n'ont plus « le privilège de vivre accrochés aux rives du Saint-Laurent ». Tous ceux qui ont «sacré le camp » et qu'on appelle Franco-Canadiens, Franco-Américains ou Francos tout court. Bref, toute la smala des francophones de la diaspora.

Le français pour la vie, l'anglais pour l'éternité

Pour Waddell, nul mieux que Gabrielle Roy n'a su traduire le drame de tous ces exilés, engagés dans une trajectoire qui les mène inexorablement au bout du monde, « pour y disparaître sans bruit et presque sans faire de trace ». Lors d'une visite au cimetière abandonné de l'Ouest où reposent ses grand-parents, la romancière franco-manitobaine s'est retrouvée un jour confrontée à sa propre déperdition.

Deux monuments funéraires, élevés à la mémoire d'un oncle et d'une tante attirent son attention. « Deux hautes pierres analogues me faisaient face, debout, l'une à côté de l'autre, portant en caractères qui me sautèrent aux yeux, l'une Father, l'autre Mother, note-t-elle dans La détresse et l'enchantement. Ainsi donc, eux qui n'avaient été Father et Mother pour personne au cours de leur vie, le seraient à jamais dans ce petit cimetière du bout du monde. Ils m'étaient ravis aujourd'hui plus complètement qu'ils ne l'avaient été le jour de leur mort. »

Tous les chemins ramènent au Québec

Jack Kerouac partage la même angoisse et le même sentiment de dépossession. Dans son dernier roman, Pic, il évoque la silhouette d'une sorte de vagabond errant qui cherche le Canada, partout et nulle part. « En Virginie, puis en Pennsylvanie, puis dans l'État de New York, raconte Kerouac. Pis tout ça à pied, mais y l'trouvera jamais, le Canada, parce qu'y marche toujours dans la mauvaise direction. »

« L'homme invisible avait un pays / maintenant, il ne peut plus se rappeler son nom, écrit Patrice Desbiens, poète franco-ontarien. Et tout ce à quoi il pense, c'est 0 Aurais-tu trente piastres pour que je retourne au Québec ? »

Toute sa vie durant, surtout lorsqu'il prenait un coup, Jack Kerouac a joué avec l'idée d'un improbable retour au Québec. Il ne s'est résolu à tenter l'expérience qu'en 1967, deux ans avant sa mort. Son passage dans le studio montréalais d'une émission de télévision, enregistrée devant public, n'a laissé le souvenir d'une rencontre capitale qu'à un fort petit nombre d'écrivains qui l’avaient lu.

Personnellement, c'est en visionnant récemment un documentaire américain, magistral et exhaustif, sur la Beat generation, que j'ai pu prendre conscience à quel point Le sel de la semaine nous avait révélé l'autre nature de Kerouac.

Dans chacune de ses interventions qui jalonnent le déroulement chronologique du film, l'auteur de On the road donne chaque fois l'impression d'être un « outsider » et le seul moment où il semble être à l'aise dans sa peau, c'est lorsqu'il répond en français aux questions que lui pose Fernand Seguin.

Ti-Jean, comme l'appelait son père, n'est lui-même, en somme, qu'au sein des siens, les Québécois, pour qui, néanmoins, il demeure un « étrange », et, au milieu de tous ceux pour qui il incarne le rêve américain dans toute son américanité, le grand Jack s'est toujours senti un étrange.

Le point de vue des coureurs de bois

Éric Waddell et Jean Morisset sont des géographes peu orthodoxes. Ils s'intéressent à la géographie littéraire, tout autant qu'à l'origine française de Davy Crockett, de son vrai nom David Crocketagne, ou « canadienne de Montréal » de Pasquinel, le héros de la Saga du Colorado de James Michener. Sans oublier les dernières lignes, quasi testamentaires, de l'œuvre de Claude Lévi-Strauss où ce dernier invite les anthropologues à se borner dorénavant « à concevoir de très loin l'existence des mondes qu'ils abordent, en abandonnant l'ambition d'y entrer ».

Autrement dit, on ne peut courir les bois sans prendre le risque de s'ensauvager en bout de piste. La distanciation, le « arm's lenght scientifique » que recommande l’humilité scientifique de Lévi-Strauss correspond curieusement à la mentalité d'assiégé des colonies américaines, qui ont attendu le début du XIXe siècle avant de pénétrer à l'intérieur du continent.

« Pourtant, nous savons très bien que nous y sommes entrés. Nous sommes même la résultante d'une telle pénétration, rétorque Jean Morisset dont le nous fait référence à nous tous, Brésiliens ou Canadiens, Américains de la première heure, issus de tous les métissages et de toutes les géographies. Derrière l'administrateur, le conquérant ou le mercenaire officiel, il y a toujours un échappé pour se transformer en boucanier, en bandeirante, en flibustier ou en coureur de bois. Un coureur de bois qui ira spontanément chercher refuge auprès d'une squaw devenue simultanément et rapidement son amante et la mère de ses enfants. Et partant la seule mère putative du Nouveau Monde. »

L'Amérique est née coiffée

Un monde nouveau ? Pour qui? Encore une fois, c'est le docteur Ferron qui oriente la question dans la bonne direction. « À son premier voyage, Jacques Cartier découvrit les Canadiens, précise-t-il. C'est seulement à son deuxième qu'il découvrit le Canada. »

C'est là le malentendu originel qui perdure jusqu'à aujourd'hui. « À la différence de Dieu qui attendit jusqu'au dernier jour pour créer l'homme, l'Europe allait découvrir une Amérique déjà habitée, donc déjà créée, souligne Jean Morisset. Aussi se verra-t-elle devant l'impossible tâche d'avoir à inventer un monde nouveau qui existait déjà. »

En fait, c'est du métissage d'ici et de l'ailleurs qu'est né ce Nouveau Monde qui commence avec nous. Une réalité que la France se fait un devoir d'occulter. « La véritable Amérique ne saurait exister en français à ses yeux, de peur que son rêve d'Amérique ne devienne un cauchemar indéchiffrable parlant joual ou créole – ces langages, apparus dans le sillage de sa propre Amérique perdue, qui ne pourront jamais, en ce qui concerne la France, valoir son propre discours sur l'Amérique, constate Morisset. En d'autres mots, que peut exprimer la parole abâtardie et métissée d'un Indien francophone du Nouveau Monde à côté de la pensée pure d'un Lévi-Strauss sur le pur Indien d'Amérique ? »

Souvenez-vous de votre géographie

À cette question, Éric Waddell répond avec les mots d'un collègue géographe. « La plus grande œuvre littéraire que notre histoire ait produite est la géographie. Et ce sont les coureurs de bois qui l'ont écrite, d'une plume analphabète d'ailleurs, leur canot; sur une feuille entièrement mobile, une rivière. Ils ont écrit un continent, en portageant leur désir sur leur tête, et en le déposant à la porte d'un tipi. Et tout cela en chantant.» Et en transcrivant phonétiquement les noms de lieux autochtones, un siècle et demi avant l'anglais, qui changea la graphie de Ouabache pour « Wabash », de Ouichita pour « Wichita », et traduira Genou Blessé en « Wounded Knee », L'eau frette en « Low Freight » et Baie d'Espoir en « Bay Despair ».|197| 
359|Le premier Forum social mondial se tient en quatre langues|Gabrielle Pelletier|

20 000 personnes défilent dans Porto Alegre



Du 25 au 30 janvier 2001 se tenait à Porto Alegre dans le sud du Brésil, le premier Forum social mondial. Des milliers de militants, de jeunes, d’autochtones, de journalistes, d’experts provenant du monde entier se rassemblaient en parallèle du Sommet économique de Davos, pour réclamer haut et fort qu’un autre monde est possible.

Ces personnes provenant de différents horizons, réunies unanimement sous ce thème, ont discuté, échangé et planifié des actions à travers plus de 400 ateliers et conférences divisés selon quatre principaux axes de discussion, soit la production de richesses et la reproduction sociale, l’accès aux richesses et le développement viable, l’affirmation de la société civile et des espaces publics, et le pouvoir politique et éthique dans la société nouvelle.

Cinq jours pour changer le monde

J’étais présente à cet événement, qui, à mon avis, marque un tournant important dans l’histoire de la mobilisation mondiale face au néolibéralisme, à la concentration des richesses et aux inégalités croissantes. Au cours des dernières années, à chaque grand rendez-vous des grandes puissances ou des organisations commerciales mondiales, des manifestations parallèles sont présentes, et de plus en plus une nouvelle voix se fait entendre. Le Forum social mondial, même s’il se déroulait au même moment que la rencontre de Davos, avait lieu à des milliers de kilomètres, et jetait les bases d’un nouveau rassemblement qui, sans constituer une nouvelle organisation ou structure, jetait les bases d’un nouveau lieu d’échanges et de convergences pour les groupes et les individus.

Comment décrire cinq jours intensifs, sous une chaleur écrasante, où des milliers de personnes se côtoient en quatre langues. Tout d’abord, ce forum initié à partir du Brésil, était organisé par les Brésiliens et les Français, très présents à Porto Alegre, avec l’appui du maire de Porto Alegre et du gouverneur de l’État de Rio Grande do Sul, tous deux membres du Parti des travaillistes (PT) au pouvoir depuis 12 ans.

La première journée

Le 25 janvier, le temps de me changer et d’enlever les pelures de l’hiver, me voilà à la cérémonie d’ouverture au Centre des événements de l’Université catholique (PUC), où plus de 4000 délégués s’entassent pour les discours officiels, les tambours et les applaudissements à l’énumération des pays présents. De là, via des navettes prévues par l’organisation, rassemblement au centre-ville pour le départ de la Marche pour la vie.

Je marche avec plus de 20 000 personnes à travers la ville, où tous les slogans et bannières se mélangent. Aucune force de police ici, aucune tension et pression sur les manifestants et manifestantes, seulement les citoyens et citoyennes de Porto Alegre massés le long du parcours, et parfois un drapeau brésilien accroché à une fenêtre.

Petit clin d’œil pour le gouvernement canadien qui, souffrant de paranoïa ces temps-ci, aurait constaté que des militants du monde entier peuvent marcher pacifiquement sans tout démolir sur leur passage ! En soirée, un grand spectacle avait lieu dans un parc, où une grande scène ainsi qu’un chapiteau avaient été dressés.

Les échanges

Pendant quatre jours, conférences et ateliers se sont succédés. Des milliers de personnes ont écouté, discuté et échangé sur les impacts de la mondialisation des marchés, la privatisation tous azimuts, l’accès à la terre, la sécurité alimentaire, la violence, l’éducation, les alternatives économiques et plusieurs autres sujets, la liste serait trop longue à énumérer. Des philosophes, des sociologues, des scientifiques, des militants, gens connus ou moins connus, tous se sont retrouvés ensemble, avec la même volonté de dénoncer et d’agir, de faire les choses autrement. Le Forum social mondial a réussi à réunir des personnes issues de cultures et de façons de faire différentes.

Les rencontres

L’atmosphère du Forum était chargée d’énergie, de solidarité, d’envie de rencontrer les autres. Les rencontres se faisaient à l’extérieur, dans les corridors, les restaurants, un espèce de contre sommet officieux. Une ruche pleine d’activités, où les abeilles arborent des vêtements traditionnels, affichent leur appartenance (foulard et casquette vertes pour le Mouvement sans terre), ou un fichu blanc sur la tête avec le nom brodé à la main de la personne aimée. Les mères de la Place de Mai, puisqu’il s’agit d’elles, très présentes au Forum, affichaient ainsi leur détermination, leur courage, mais aussi leur souffrance.

Ce n’est qu’un au revoir !

La cérémonie de clôture, vibrante d’émotions, a commencé aussi au son des tambours. Moment magique où des délégués de différents pays ont apporté leur pierre, symbolisant la paix, l’espoir et l’avenir. Ma gorge s’est nouée en entendant un Africain expliquer que la minuscule pierre qu’il tient à la main provient du Rwanda, du lieu où des milliers de gens se sont faits massacrer.

Ou ces trois jeunes d’Israël, de Palestine et de Jordanie qui ont apporté trois stèles formant un triptyque symbolisant la paix, afin que cesse le conflit israélo-palestinien. Puis, des délégués provenant de différents continents sont venus dire qu’un autre monde est possible.

Durant toute cette cérémonie, des chants, slogans et applaudissements se sont faits entendre, et je ne pouvais qu’être empreinte de tant de démonstrations, si peu présentes dans nos événements. À la fin, toute la salle s’est mise à scander en portugais 0 le peuple uni, jamais ne peut être vaincu. Près de 5000 délégués de 120 pays différents ont uni leurs voix pour bâtir un monde différent et sentir qu’ensemble, il est possible de changer ce qui les entoure.

400 ateliers, 16 conférences

Le Forum social mondial n’était pas une rencontre délibérante, et aucune déclaration commune n’est ressortie de la rencontre. Un simple document ne peut résumer la diversité des idées et des propositions exprimées dans plus de 400 ateliers et 16 conférences.

Par contre, plusieurs demandes ont été exprimées, dont l’annulation de la dette des pays du Sud avec compensation ou réparation pour les dommages historiques, sociaux et écologiques engendrés par les pays du Nord (ou dits développés); le plein emploi; la sécurité alimentaire et les échanges équitables.

La mondialisation des solidarités

J’ai participé à la naissance d’un mouvement en marche, qui s’éveille dans toutes les communautés de la Terre et qui, inébranlable, changera le cours de l’histoire et donnera la place au peuple pour qu’un monde meilleur existe. Cette mondialisation des solidarités est nécessaire, et elle se poursuit au fur et à mesure des grands rendez-vous qui suivront Porto Alegre. Rendez-vous à Québec en avril 2001. Je pense que José Bové, célèbre paysan français, a su bien résumer cet état d’esprit en déclarant lors de sa conférence à Porto Alegre 0 « Il faut globaliser les luttes pour globaliser l’espoir».

Mille paysans au site de Monsanto

Lors de la dernière soirée du forum, Joao Pedro Stedile, directeur du Mouvement Sans Terre du Brésil, et José Bové, paysan français et porte-parole de la Confédération paysanne, deux des plus importants représentants internationaux de la lutte pour les droits des paysans, ont livré un témoignage vibrant pour les droits des paysans.

Quelques jours auparavant, les deux avaient joint près de mille paysans au site expérimental de Monsanto, à une centaine de kilomètres de Porto Alegre. Là, ils ont symboliquement détruit des plants de riz transgéniques, dénonçant le fait que l’état de Rio Grande do Sul avait interdit les organismes génétiquement modifiés, et que l’État brésilien avait autorisé cette ferme expérimentale.

Ce geste a valu à José Bové une arrestation et un avis d’expulsion pour incitation à commettre des gestes illégaux. Ce qui ne l’a pas empêché, à la conférence, d’appeler à la résistance et à l’action, et de déclarer qu’il faut « agir, et parfois dans l’illégalité, pour faire valoir nos droits ». À la dernière minute, et sous la pression de l’immense soutien et de la publicité faite autour de Bové, le gouvernement brésilien a annulé la demande de renvoi.|197| 
360|Le libre-échange passe par la guerre à la carte|André Maltais|

Pour préparer le terrain à la ZLEA



L'instauration de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) prévue pour 2005 nécessite de préparer le terrain aux investisseurs qui viendront « faire des affaires » partout dans une zone allant du Mexique à l'Argentine. Il faut nettoyer le continent de tout ce qui pourrait nuire 0 guérillas colombiennes; mouvements sociaux des Sans Terre brésiliens et des indigènes de Bolivie et de l'Équateur; nationalismes économiques vénézuélien ou brésilien; et monnaies de pauvres telles l'ex-sucre équatorien et les devises d'Amérique centrale.

Ce n'est pas un hasard si le Plan Colombie visant à financer une solution militaire au conflit entre les guérillas colombiennes et l'État de ce pays est né en 1999, soit un an après que le Sommet des Amériques de Santiago eut lancé les négociations de la ZLEA.

Plusieurs analyses parues sur un excellent site Internet intitulé Plan Colombia1, soulignent que la véritable motivation derrière ce plan est de sécuriser l'accès aux ressources naturelles non seulement de la Colombie mais de toute une région parsemée de foyers de résistance.

C'est en mettant le feu partout puis en « aidant à reconstruire» (comme on l'a fait en Bosnie et au Kosovo) que les États-Unis vont s'assurer de la modernisation de la région dont ont absolument besoin les commerçants de la ZLEA.

Regarder courir le brasier

Le choix de la Colombie pour partir le bal est évident puisque le pays était déjà en guerre. Ne restait plus qu'à injecter suffisamment d'argent, d'armes et de combattants pour que la guerre s'étende et déborde les frontières, puis à regarder courir le brasier jusqu'à ce que l'opinion internationale soit mûre pour accepter une intervention dirigée par l'Oncle Sam.

On espère surtout à Washington que les débordements de la guerre entraîneront dans le conflit les pays les moins soumis au nouvel ordre mondial, soit le Brésil, le Vénézuéla et l'Équateur, qui partagent tous une frontière commune avec la Colombie.

On estime déjà à deux millions le nombre de personnes déplacées en Colombie suite aux exploits des paramilitaires et des arroseurs de plantations de coca. Certains réfugiés ont déjà pénétré en territoire vénézuélien et équatorien tandis que les paramilitaires ont provoqué des incidents de frontière avec la police panaméenne.

Selon ces analyses, les Américains projettent de construire un canal plus moderne dans le Nord d'une Colombie débarrassée de ses guérillas et ce, dans l'optique toute continentale de la ZLEA et de l'augmentation vertigineuse des flux de marchandises entre l'Asie du Sud-Est (avec l'ajout de la Chine), la Communauté européenne et les États-Unis.

Briser le nationalisme économique

La guerre vise également à briser les élans de nationalisme économique au Brésil et au Vénézuéla.

Au Brésil, en plus de la vaste résistance populaire aux politiques du FMI et de l'OMC symbolisée par le récent Sommet de Porto Alegre, les performances du constructeur aéronautique Embraer et les lois sur la production locale obligatoire de certains médicaments brevetés à l'étranger inquiètent Washington.

Au Vénézuéla, la révolution «bolivarienne » et populiste du régime de Hugo Chavez fait peur, puisque celui-ci a maintes fois mentionné que les revenus du pétrole devaient augmenter et servir prioritairement les besoins de la population du pays.

Les policiers saisissent les couches de bébé

Quant à l'Équateur, pour la seconde fois en autant d'années, les indigènes du pays viennent de se soulever et de forcer le gouvernement à appliquer seulement partiellement les directives économiques du FMI.

Malgré la proclamation de la loi d'urgence, malgré les tirs de policiers dans les groupes de manifestants (une dizaine de personnes sont mortes), malgré l'arrestation des leaders indigènes, syndicaux et populaires, et surtout malgré le siège de plusieurs jours contre 6000 manifestants bloqués dans le bâtiment de l'École Polytechnique Salésienne, les insurgés sont parvenus à arracher d'importantes concessions.

Pendant le siège de l'École Polytechnique, le gouvernement est allé jusqu'à ordonner aux policiers de saisir couches, nourriture et médicaments destinés aux familles assiégées et d'arrêter les conducteurs qui transportaient ces provisions, en plus de faire couper l'eau, l'électricité et le téléphone dans le bâtiment.

En plus du gel des prix des produits de première nécessité jusqu'en 2005, de l'annulation des accords avec le FMI, du déblocage de fonds pour les besoins sociaux et du maintien de l'intégrité des territoires indigènes, ceux-ci exigeaient que « l'Équateur ne soit pas impliqué dans la régionalisation du Plan Colombie ».

Retrait de la dollarisation

Les indigènes exigeaient également le retrait de la dollarisation qui, depuis son implantation, a fait fondre de moitié la valeur des épargnes de la population sans toucher à l'inflation qu'elle devait pourtant éliminer complètement selon les économistes du FMI.

Bien au contraire, le pays a connu un taux d'inflation de 91 % au cours de la première année d'usage du dollar US contre 61 % en 1999, année précédant la dollarisation.

De plus, selon le New York Times (5 février 2001), l'Équateur serait devenu un lucratif marché pour les fabricants de faux dollars US de la Colombie voisine puisque la population équatorienne, illettrée à plus de 20 %, est loin de pouvoir détecter les contrefaçons.

Les 25 cents US sont trop lourds

Combiné à une faible structure légale, l'usage du dollar US fait aussi de l'Équateur un lieu privilégié pour le blanchiment des revenus de l'héroïne et de la cocaïne des cartels colombiens qui ont toutes les facilités à y implanter des entreprises légales.

Sans compter que les pièces de monnaie sont en quantité insuffisante dans un pays où, le salaire minimum étant sous les 100 $ par mois, un nombre incalculable de transactions quotidiennes se font en pièces de 5, 10 et 25 cents !

Sans compter également que le pays manque d'avions capables de transporter les lourdes charges de pièces métalliques dans les centres éloignés !

Mais la dollarisation a beaucoup d'avenir en Amérique latine puisqu'elle protège les investisseurs étrangers contre les risques de monnaies nationales instables. Ces monnaies font donc partie du grand ménage de l'Amérique latine avant l'arrivée de la visite et le commencement du « party ».

Le Brésil va trop loin, il faut le remettre à sa place

Le boycottage des importations de bœuf brésilien par le Canada montre une fois de plus que, dans la ZLEA, si on veut rester « partenaires », il faut rester à sa place.

Personne ne doute que la mesure annoncée le 5 février par Ottawa a très peu à voir avec la maladie de la vache folle, d'autant plus que le Canada n'importe à peu près pas de bœuf du Brésil, un pays où on n'a pas détecté un seul cas de « vache folle ».

En fait, comme c'est son habitude, le Canada n'agit probablement pas seul, comme l'a montré la vitesse avec laquelle les États-Unis ont emboîté le pas au Canada.

Il y a une tête de « beu » derrière la « vache folle »

Le geste canadien vise surtout à ternir l'image du bœuf brésilien auprès de son meilleur client (l'Union européenne) afin de donner une leçon à un pays qui n'a pas encore compris que son rôle dans la ZLEA demeurera inchangé 0 fournir à prix d'ami les richesses naturelles et les bras humains aux investisseurs canadiens et américains.

Depuis quelque temps, le Brésil va trop loin. Il ose exceller dans une industrie de pointe (l'aéronautique) et conquérir des marchés qui sont l'apanage exclusif des pays du G-7 et de l'OTAN. Il ose également défier les géants de l'industrie pharmaceutique par des lois permettant de produire localement les médicaments dont le pays a besoin (par exemple, les médicaments contre le SIDA) en détenant les brevets sans le consentement des multinationales.

1. http0//pages.hotbot.com/edu/stop.wto/Plan_Colombia.html|197| 
361|« La ZLEA 0 Il faut que la population du Québec sache à quoi s’en tenir »|Pierre Dubuc| Il y a quelques mois, j’ai réalisé une longue entrevue avec Michel Chossudovsky pour le portrait qui sera publié dans L’apostrophe, la nouvelle revue de l’aut’journal (voir page 5). Nous avons alors abordé différents aspects de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et Michel y est allé d’une critique incisive à l’endroit des différents mouvements d’opposition. Pour ce numéro-ci de l’aut’journal, Michel nous avait promis un texte, mais les nombreuses invitations à prononcer des conférences dans les cégeps et universités ont grugé son temps. Nous avons donc convenu de nous rencontrer et de procéder à une entrevue.

Michel Chossudovsky, attrapé au vol en pleine tempête de neige avant une conférence devant les étudiants de l’Université de Montréal, se refuse à alimenter un faux débat

« Que les documents de la ZLEA soient publics ou pas importe peu. Nous en connaissons l’essence. La ZLEA est un clone des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). »

Des enjeux fondamentaux

« Il faut que la population du Québec sache à quoi s’en tenir. Les termes de l’accord seront enchâssés dans le droit international et auront préséance sur le droit national. Le peuple québécois sait par expérience ce que veut dire le mot «enchâssé ». Il en connaît l’importance », nous déclare-t-il d’entrée de jeu.

« Ces accords vont transformer toutes les activités de la société civile. De la santé à l’éducation, des affaires municipales à toutes les activités sociales, culturelles et sportives. Bien sûr, tout ne changera pas du jour au lendemain, mais se mettra en marche une logique implacable qui bouleversera l’ensemble des rapports sociaux. Si nous ne nous y opposons pas dès maintenant, il sera quasiment impossible de revenir en arrière par la suite », affirme-t-il.

« Je sais que j’ai l’air d’en mettre et serai perçu par certains comme un prophète de malheur, mais cet accord remet en cause tous les acquis sociaux », renchérit-il.

Tout va pour le pire

Dans le Cahier Plus de La Presse du samedi 24 mars consacré à la ZLEA, on énumérait les clauses qui auront le plus d’impact sur nos vies 0

- l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce des biens et services de même qu’à l’investissement;

- l’élimination des subventions aux exportations agricoles;

- l’établissement d’un cadre juridique juste et transparent qui crée un environnement favorable aux investissements;

- l’élargissement de l’accès aux marchés publics des pays membres;

- la libéralisation du commerce et des services;

- l’élimination des pratiques commerciales nuisant à la concurrence.

« Ces clauses, nous dit Chossudovsky, vont permettre aux corporations américaines de venir faire concurrence aux services publics dans les domaines, entre autres, de la santé et de l’éducation. Les compressions budgétaires du gouvernement et le refus de réinvestir endossé par la Commission Clair préparent inéluctablement un effondrement du système de santé et la privatisation des services. Notre médecine sera bientôt pire que celle pratiquée aux États-Unis, parce que moins bien équipée », prédit-il.

Legault s’inquiète parce qu’il a lu les documents secrets

Dans le domaine de l’éducation, le ministre Legault a exprimé dans les journaux son inquiétude devant les visées américaines au plan universitaire. Il a souligné qu’avec l’entrée en vigueur de la ZLEA, le gouvernement du Québec ne pourrait plus, par exemple, s’opposer à l’arrivée de sociétés de gestion américaines ou, comme il l’a fait l’an dernier, à l’établissement d’une université de Phœnix au Québec. Soulignons que le ministre Legault a accès aux documents officiels secrets de la ZLEA.

Chossudovsky partage les inquiétudes de Legault. Il prévoit même la privatisation de la gestion de plusieurs institutions scolaires et la possible transformation de commissions scolaires en sociétés de gestion.

La privatisation de l’eau et des nids de poule est programmée

Le processus de fusion des municipalités en cours ne peut s’expliquer, selon Chossudovsky, sans le replacer dans le cadre de la ZLEA. « Les maires et les conseillers municipaux des villes fusionnées devraient réaliser, lance-t-il, que les clauses de la ZLEA appliquées aux nouvelles municipalités vont mener aux privatisations des infrastructures comme les services d’aqueduc, des routes, mais également des centres sportifs et des différentes organisations de la vie associative. »

Il nous cite l’exemple de Toronto, invoquée par le Parti québécois pour justifier le projet « Une île, une ville », où une partie de l’autoroute 407 a été privatisée et est devenue à péage. À Montréal, le ministre Chevrette revient à intervalles réguliers avec son projet d’un nouveau pont privé reliant Montréal à la Rive-Sud, malgré les avis d’experts qui ont démontré que la congestion routière ne le justifiait pas et que la solution résidait plutôt dans l’amélioration des transports publics.

Dans l’ensemble du Québec, le réseau routier est dans un état lamentable par suite du sous-financement de son entretien. Des experts ont évalué à 15 milliards $ les sommes nécessaires pour le retaper. En 1994, les ingénieurs du gouvernement évaluaient à 24 % le taux de déficience des routes sous la responsabilité du ministère des Transports. Ils prétendent que, d’ici quatre ans, 40 % du réseau sera déficient et soutiennent qu’environ 10 % des accidents de voiture sont causés par l’état pitoyable des routes.

Chossudovsky, qui venait d’expérimenter les nids-de-poule et les dallots de bowling de l’autoroute 40, explique 0 « On crée les conditions de la décomposition du réseau pour justifier la privatisation. »

« La logique de la ZLEA en est une de privatisation, précise-t-il. Elle va affecter non seulement les services publics, mais également les garderies, les clubs sportifs, les associations culturelles, les sociétés savantes. Par exemple, un groupe américain pourrait réclamer de recevoir le même traitement qu’un organisme de boy-scouts québécois qui serait subventionné par le gouvernement. Advenant un refus, il pourrait poursuivre le gouvernement devant les tribunaux. »

La disparition des PME

« Les producteurs de lait, si importants dans l’économie rurale du Québec, seront aussi dans le collimateur des Américains. Il ne sera plus possible de les subventionner sans offrir le même traitement à la concurrence étrangère. En fait, la ZLEA va balayer les PME locales et régionales et les remplacer par des franchises ou des sous-traitants de grandes corporations comme cela a commencé à se faire. Les Club Price, Wallmart, McDo occuperont bientôt tout l’espace », prédit Chossudovsky.

Go Mexico !

La pression sera également énorme sur les travailleurs et travailleuses. « Déjà, l’ALENA a entraîné une délocalisation d’entreprises sises au Canada et aux États-Unis vers le Mexique, rappelle-t-il. Depuis 1993, General Motors a déplacé plus de 7000 emplois des États-Unis et du Canada vers le Mexique. Avec la ZLEA, on élargit le marché de la main-d’œuvre à 800 millions de personnes à très faible revenu. La pression sera énorme sur les travailleurs du Canada et des États-Unis. On fermera des usines, le chômage augmentera, on jouera un groupe de travailleurs contre un autre. En fait, on assistera à une tiers-mondialisation de la situation des travailleurs et travailleuses. »

Le président Vincente Fox du Mexique a confirmé ce scénario en annonçant, après sa rencontre avec le président Bush, le plan Puebla-Panama. Le projet prévoit la construction de routes, autoroutes, lignes de transport électrique à haut voltage et gazoducs à travers le Chiapas et les pays d’Amérique centrale jusqu’au canal de Panama. Est également annoncée la construction d’un chemin de fer pour relier l’Atlantique au Pacifique à travers l’isthme de Tehuantepec, afin d’offrir un substitut moderne à l’étroit canal de Panama.

Le projet, nous dit le communiqué officiel, « intègre le Sud mexicain à l’Amérique centrale pour en faire une zone de maquiladoras capable d’attirer les multinationales et les compagnies américaines anxieuses de réduire leurs coûts en partant vers le Sud ».

La ZLEA, c’est la même goulash que l’AMI ou l’OMC

Chossudovsky n’est pas tendre avec le gouvernement du Parti québécois qui laisse la ville de Québec être transformée en camp retranché. « Tout ce qui semble préoccuper le gouvernement, c’est la note de 46 millions de dollars pour la police. Ils n’expriment pas d’opposition sur le fond. Ils réclament la publication des textes, mais ils en connaissent le contenu. En fait, nous en connaissons tous l’essence. C’est la même chose que les accords de l’OMC ou de l’AMI, l’accord multilatéral sur les investissements. C’est comme la goulash. Malgré les variantes, c’est toujours la même recette. Lorsque nous en avons mangé une fois, nous sommes en mesure de le reconnaître. »

L'empire et ses protectariats

Pour Michel Chossudovsky, la ZLEA n'est pas seulement un accord économique, mais aussi une entente politique, géostratégique et militaire. « C'est le projet de constitution d'un empire américain, avec la transformation des autres pays en protectorats ».

Pour illustrer la degré de dépendance militaire et politique du Canada, il cite en exemple l'intention du gouvernement canadien d'investir jusqu'à 500 millions en 10 ans dans un projet américain de développement d'un nouveau chasseur furtif susceptible de remplacer les F-18 !

Chossudovsky ne prévoit pas d'opposition réelle des pays latino-américains à leur inclusion dans le projet d'empire américain. « La plupart de ces pays vivent déjà la ZLEA de facto. Ils ont les mains liés par suite des accords signés avec le Fonds monétaire internationale (FMI) et la Banque mondiale au cours des dix dernières années ».

La prochaine étape 0 la « dollarisation »

Au moment de notre rencontre, le Dow Jones, le Nasdaq et le dollar canadien étaient en chute libre. Michel Chossudovsky en a profité pour réitérer sa prédiction d'un dollar canadien à 0,50 $ afin de faciliter sa conversion à la monnaie américaine à raison de deux pour un.

« L'adoption du dollar américain aura des répercussions très importantes sur l'indépendance du Canada et par le fait même du Québec. Cela signifie l'élimination de la Banque centrale, un instrument important d'intervention économique, et l'obligation de s'en remettre à la Federal Reserve américaine, qui est une institution privée.»

La « dollarisation » , c'est-à-dire l'adoption de la monnaie américaine, est peut-être la prochaine étape de l'intégration du Canada et du Québec dans l'empire américain.|198| 
362|Gérald Larose détonne|Jacques Larue-Langlois|

Une recommandation sur le regroupement des cégeps qui étonne



« Le français n’est plus la langue de la majorité, il est devenu la langue commune, la langue publique, la langue de la nation », estiment, confiants, les États généraux sur la langue. Conséquemment, l’organisme para-gouvernemental envisage de recommander le regroupement de tous les cégeps, quelle que soit leur langue d’enseignement, afin, soutient son président Gérald Larose, de favoriser l’immersion comme « méthode privilégiée d’apprentissage d’une deuxième – voire d’une troisième – langue ».

La recommandation – dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle détonne dans la bouche d’un ancien leader syndical dont la clarté de propos et d’intention ne faisait jusqu’ici aucun doute – part d’un élan fort louable visant la fusion par l’intégration, en quelque sorte. Elle sous-tend que le français, ayant consolidé ses assises depuis quelques années, constitue vraiment la langue de fonctionnement sur le territoire québécois.

Un pas dans la porte pour les Anglos

Les francophones, désormais majoritairement assurés de le rester, peuvent – toujours selon M. Larose – se permettre d’ouvrir des brèches par où laisser pénétrer ici et là des éléments anglophones désireux de s’assimiler au contexte local et de vivre ici, en français. Il s’agit bien de brèches et de pénétration 0 se méfier; le loup entre dans la bergerie au niveau collégial, y impose progressivement sa mentalité puis quelques traits culturels et attend la possibilité de se comporter de la même façon face aux institutions d’enseignement supérieur.

La langue de travail à l’UQAM, c’est le français !

Ce qui ne devrait d’ailleurs pas être trop difficile considérant que les dites institutions, même francophones, ont été mises en position de devoir compter sur de l’argent provenant de l’enseignement dispensé en langue anglaise pour renflouer leurs caisses, asséchées par le gouvernement du Québec. (Tout cela, dans le but fort louable d’assurer le déficit zéro – sur le dos de tout le monde, bien entendu.) Ainsi, l’UQAM déplorait récemment de ne pouvoir « entrer en compétition » (horrible expression pour une entreprise à but non lucratif !) avec d’autres maisons d’enseignement, également publiques. L’objet de cette offre de service 0 mettre au point et offrir des cours de formation destinés à 400 gestionnaires de chez Bombardier Aéronautique, dont une centaine d’anglophones à qui il faudra s’adresser en anglais. Le syndicat des professeurs de l’UQAM a refusé de contrevenir à une clause de sa convention collective selon laquelle « la langue de travail des professeurs de l’UQAM est le français ».

Pour les profs, la culture n’est pas à vendre

Le recteur intérimaire, Gilbert Dionne, est en quelque sorte forcé de constater que, si les citoyens du Québec ne peuvent plus – par le biais du support financier de leur gouvernement – défrayer les activités universitaires, il vaut peut-être mieux tenter de trouver ailleurs (c’est-à-dire dans l’entreprise privée) les fonds nécessaires à la propagation de la connaissance. Moyennant quoi, le bailleur de fonds privé ne pourra manquer de mettre éventuellement son nez dans le genre et le contenu des cours offerts, et insister sur l’aspect pratique et immédiatement rentable que doit, à son avis, viser l’enseignement universitaire. Heureusement, le syndicat des profs n’a pas hésité à choisir entre le rôle principal de l’UQAM, université populaire par vocation, et les besoins de formation en anglais d’une multinationale de chez nous prête à renier sa culture pour quelques millions de dollars de plus.

L’industrie calcule ses projets, l’université le nombre de ses diplômés

Cet épisode supplémentaire de la saga universitaire, provoqué par un gouvernement de petits capitalistes foireux, n’est en réalité qu’une nouvelle étape dans la recherche de profits. Selon les Landry, Marois, Legault et autres obsédés du dollar qui suivent et copient servilement le modèle néolibéral, toute entreprise doit permettre de réaliser des profits. Pour eux, il est impensable qu’une université ne puisse exister dans le seul but de maintenir une langue, une culture par lesquelles accéder à des connaissances avancées dans les domaines les plus variés; non, elle doit rapporter – et le plus rapidement possible – des profits clairs et substantiels. Voilà l’esprit qui a présidé à l’imposition, à toutes les institutions universitaires du Québec, de contrats de performance exigeant un taux de 80 % de diplômés. Facile d’imaginer, dans les circonstances, que les institutions en question se sentent incitées à envisager d’alléger les critères de diplômation. Si le ministère de l’Éducation envisage de ne payer que pour ceux qui termineront leurs études avec succès, on comprendra que le nombre de diplômés compte avant la qualité de l’enseignement qu’ils auront reçu.

La réussite à tout prix

Déjà que les écoles secondaires, apprenait-on récemment, font preuve d’un laxisme stupide en facilitant, à tout prix, la réussite des élèves aux examens de français du ministère, voici que les universités elles-mêmes sont en quelque sorte mises en position de dévaluer leur enseignement au besoin, afin de s’assurer que le plus grand nombre d’inscrits possible terminent leurs études avec succès. Et tant pis, si les diplômes distribués sont dévalués et n’attestent plus de la qualité des gradués, mais du désir des universités de plaire à papa-qui-est-à-Québec et qui veut que son investissement rapporte. Et la démocratie dans tout ça ? Eh ben, elle en prend un coup. Et un sérieux. Normal, puisqu’on ne nous permet de nous prononcer sur des questions qui nous touchent directement et dont dépend la survie d’un peuple, que par une petite croix sur un bulletin de vote, aux cinq ans.|198| 
363|43 % des anglophones contre le fait que les immigrants apprennent le français|Pierre Dubuc|Un récent sondage vient jeter une douche d'eau froide sur le discours du Club Optimiste des tenants du nationalisme civique et inclusif. Selon ce discours entendu ad nauseam lors des audiences de la Commission Larose sur la langue 0 « Les anglophones font maintenant partie de nous », «Les anglophones acceptent la loi 101 », « Les anglophones reconnaissent le français comme langue d'usage public », etc.

Appelés à commenter l'énoncé suivant0 « Les immigrants doivent-ils apprendre à parler français comme langue de communication ? », 14,2 % des répondants de langue maternelle anglaise se sont dits « plutôt en désaccord » et 28,8 % ont déclaré être « tout à fait en désaccord ». Donc, un total de 43 % des anglophones se disent en désaccord, non pas avec le fait que les immigrants fréquentent l'école française ou s'assimilent aux francophones, mais qu'ils apprennent tout simplement le français comme langue de communication !

Notons que 76,8 % des répondants de langue maternelle autre que française ou anglaise étaient d'accord avec l'énoncé, mais près de 20 % étaient contre. Les immigrants ont donc une meilleure attitude que les anglophones d'origine, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.

La question était posée dans un sondage du journal La Presse (21 mars) sur le racisme, mais ses résultats n'étaient pas commentés dans l'article ! Sans doute parce qu'ils contredisaient le message général que le journal voulait transmettre. Le titre en première page du journal était 0 « Les Québécois méfiants face aux immigrants. »|198| 
364|Alliance Québec peut aller se rhabiller|Charles Castonguay|

Se plaindre le ventre plein



C'était d'abord aux démographes Jacques Henripin et Louise Marmen (Statistique Canada) d'essayer d'émouvoir la Commission Larose quant à l'avenir incertain de la population de langue anglaise au Québec. C'est maintenant au tour d'Alliance Québec, du Congrès juif canadien et tutti quanti de réclamer un accès élargi à l'école anglaise et l'abolition de la préférence accordée aux candidats à l'immigration au Québec qui connaissent déjà le français.

Il s'agit justement des deux seules politiques qui ont contribué de façon sensible à orienter vers le français une plus grande part des transferts linguistiques des allophones arrivés plus récemment au Québec. Avant de songer à les modifier, il convient de vérifier le bien-fondé des inquiétudes de nos anglophones quant à leur avenir démographique.

En bref, au Québec, la minorité anglophone se trouve, tout comme la majorité francophone, aux prises avec une sévère sous-fécondité chronique. Mais le pouvoir d'assimilation de l'anglais compense en grande partie la sous-fécondité anglophone. De sorte que, du point de vue du remplacement des générations, la population de langue anglaise se porte aussi bien au Québec que dans le reste du Canada, et nettement mieux que la population québécoise de langue française.

La minorité anglophone a même pu stabiliser ses effectifs grâce à la résorption récente de ses pertes migratoires. Son intégration plus poussée au sein d'une société de langue française promet donc d'assurer l'avenir de la population de langue anglaise au Québec. Il vaut la peine d'examiner cela de plus près au moyen des données des recensements de 1971 à 1996 portant sur la langue maternelle et la langue d'usage actuelle à la maison.

La population de langue anglaise se stabilise

La population de langue anglaise a d'abord connu une baisse importante entre 1971 et 1991 (voir notre tableau). Sur l'ensemble de cette période, la réduction totale des effectifs est de 21 % selon la langue maternelle et de 14% selon la langue d'usage. Puis, entre 1991 et 1996, la minorité n'a baissé que légèrement en matière de langue maternelle et est demeurée stable quant à la langue d'usage.

L'évolution moins défavorable de la minorité du point de vue de la langue d'usage traduit la puissance de l'anglais en tant que langue d'assimilation. L'excédent de la population de langue d'usage anglaise relativement à celle de langue maternelle anglaise provient surtout du fait que de nombreux allophones de la région de Montréal adoptent l'anglais comme langue principale à la maison. Les deux dernières lignes du tableau font ressortir que, malgré le déclin de la population de langue maternelle anglaise, les gains de l'anglais par voie d'assimilation ne cessent de croître au Québec en chiffres tant relatifs qu'absolus.

L'anglicisation compense la sous-fécondité

Cette assimilation à l'anglais compense en bonne partie la sous-fécondité des anglophones. La fécondité anglophone est en fait très insuffisante depuis 1971. Mais les allophones anglicisés élèvent leurs enfants en anglais. Ceux-ci sont donc de langue maternelle anglaise. Si bien que malgré la sous-fécondité, les enfants de langue maternelle anglaise sont presque aussi nombreux que les jeunes adultes anglophones.

Cela ressort clairement du profil de la minorité selon l'âge (voir notre figure). Les jeunes enfants au bas du profil sont à peine moins nombreux que les jeunes adultes qui se trouvent au milieu du profil. En chiffres, le nombre de jeunes enfants représente 91 % du nombre de jeunes adultes susceptibles d'être leurs parents.

En d'autres mots, le taux de remplacement des générations anglophones au Québec est à l'heure actuelle d'environ 91 %. Ce qui équivaut à un déficit entre les générations de seulement 9 %. Sans l'assimilation, la sous-fécondité anglophone aurait dû entraîner un déficit de plus de 20 % entre les générations. Les retombées de l'assimilation des allophones – en tant que moyen de générer davantage d'enfants de langue maternelle anglaise – comblent ainsi à l'heure actuelle la majeure partie du déficit « biologique » de la minorité anglophone.

Une situation démographique enviable

Il est instructif de comparer ce profil démographique à celui d'autres populations. Au Québec, le taux de fécondité des francophones est identique à celui des anglophones. Mais parce que le français n'assimile pas une part équitable d'allophones comparativement à l'anglais, le taux de remplacement des générations francophones est seulement de 84 %.

D'autre part, le taux de remplacement des générations anglophones dans le reste du Canada est de 93 %. En somme, du point de vue du remplacement des générations, la population de langue anglaise se porte aussi bien au Québec que dans le reste du Canada, et nettement mieux que la population québécoise de langue française.

L'importante réduction de la minorité de langue anglaise survenue au Québec entre 1971 et 1991 est donc attribuable avant tout à des pertes migratoires exceptionnelles. Il semble toutefois que la grande majorité de ceux qui, dans la foulée de la Révolution tranquille, tenaient à quitter le Québec sont partis.

Une fois cette conjoncture franchie, le déficit migratoire de la minorité anglophone s'est largement résorbé. N'eût été de sa sous-fécondité persistante, le recrutement de nouveaux effectifs par voie d'assimilation aurait pu entraîner plus récemment une reprise de la croissance de la population de langue anglaise au Québec.

La minorité anglophone québécoise se maintient

Si la minorité anglophone demeure aussi sous-féconde, son poids continuera à se réduire au profit de celui des allophones, qui bénéficient d'une immigration régulière. En revanche, il est difficile de prévoir son évolution future en chiffres absolus. Par suite de la loi 101, la part de l'anglais dans l'assimilation des allophones baissera sans doute relativement à celle du français. Mais cela se trouvera compensé par la croissance de la population allophone 0 il y aura de plus en plus d'allophones à assimiler.

Par conséquent, la stabilisation de la population de langue anglaise devient possible, comme cela s'est produit entre 1991 et 1996, dans la mesure où ses pertes migratoires demeurent assez faibles. Pour assurer l'avenir de la minorité de langue anglaise, il suffirait ainsi de maintenir son déficit migratoire à un niveau assez bas.

Dans ce but, il faudrait encourager la jeunesse anglophone à s'intégrer avec enthousiasme à une société de langue française. Cela veut dire, entre autres, qu'au lieu de contester à outrance le caractère français du Québec, les représentants de la minorité auraient intérêt à réorienter leur discours politique de manière à promouvoir plutôt une perception positive du français comme langue commune, notamment dans la région de Montréal. Des ajustements de ce genre seraient susceptibles d'atténuer de façon définitive la propension des jeunes anglophones à quitter le Québec.

Les minorités francophones hors Québec s’amenuisent

Par ailleurs, au bout du compte, la redistribution de la population de langue anglaise par voie de migration interprovinciale n'a rien d'un processus de disparition, irréversible et absolu. Les anglophones qui quittent le Québec ne disparaissent pas pour autant. Tout simplement, ils évoluent autrement au sein de la majorité de langue anglaise du Canada.

Autrement dit, le monde n'est pas plat. Et ceux qui s'aventurent au-delà de la rivière des Outaouais ne tombent pas dans le vide. Aux dernières nouvelles, les anglophones qui migrent vers l'Ontario, l'Alberta ou la Colombie-Britannique n'en souffrent pas trop.

Il n'en va pas de même de l'érosion des minorités francophones hors Québec par la voie de l'assimilation à l'anglais. Leurs enfants grossissent les rangs de la population anglophone et sont perdus pour la population francophone. Pareil mécanisme contribue de façon définitive à la réduction de la population de langue française à l'extérieur du Québec comme au Canada dans son ensemble. Nous en reparlerons.

En attendant, Alliance Québec et consorts peuvent aller se rhabiller.|198| 
365|Le député Laporte se souvient avoir reçu le prix Cugnet 1995|Pierre Dubuc|

L'aut'journal devant la Commission parlementaire sur la concentration de la presse



Le 1er mars dernier, le magazine Recto-Verso et l'aut'journal comparaissaient devant la commission parlementaire chargée d'examiner la concentration de la presse. Notre mémoire dénonce l'effet de cette concentration sur les médias indépendants et réclame des mesures de soutien de l'État à la presse indépendante. Nous demandons, entre autres, que le gouvernement autorise des fondations, mises sur pied pour recueillir des fonds pour la presse indépendante, à pouvoir émettre des reçus pour fins fiscales comme cela se pratique dans le cas des fondations de charité ou des partis politiques. Dans le cadre du débat qui a suivi notre présentation, nous avons eu cet échange avec le député libéral Pierre-Étienne Laporte qui se souvenait très bien que nous lui avions octroyé le prix Cugnet en 1995.

Le Président (M. Rioux) 0 M. le député d'Outremont.

M. Laporte 0 Merci, M. le Président. Je trouve le mémoire que vous avez présenté conjointement (Recto-Verso et l’aut’journal) fort intéressant, mais j'ai une réserve sur la création d'une fondation. Cette réserve tient au fait que vous êtes idéologiquement partisans, n'est-ce pas, et je ne pense pas que ça soit le rôle de l'État de subventionner la partisanerie et l'idéologie.

Moi, si La Presse est idéologiquement partisane, je cesse de l'acheter. Je fais la même chose pour Le Devoir, je fais la même chose pour le Globe and Mail ou n'importe quel journal. Mais dans le cas de journaux communautaires, le vôtre ou d'autres journaux communautaires, si l'État subventionne une orientation idéologique avec les fonds publics, je trouve que c'est problématique.

Le Président (M. Rioux) 0 M. Dubuc.

M. Dubuc (Pierre) 0 Mais l'État le fait déjà. L'État le fait pour des journaux qui sont idéologiquement branchés. C'était clair dans la transaction entre Unimedia et Power Corporation. M. Black a dit qu'il ne vendrait pas au groupe Vaugeois à cause de ses orientations politiques. Il a préféré que ça demeure fédéraliste comme option. Vous avez une situation, aujourd'hui, où toute la presse d'opinion, sauf Le Devoir, est clairement fédéraliste. Vous avez lu la série de huit articles d'Alain Dubuc sur la langue, là, il me semble que c'était assez orienté idéologiquement. Vous n'avez pas le choix d'arrêter de l'acheter ou pas, vous n'en avez pas d'autres. Le National Post a été créé pour soutenir l'Alliance canadienne. Toute l'histoire des journaux au Canada le prouve 0 les journaux ont toujours été orientés politiquement.

Le gouvernement les soutient actuellement, ne serait-ce que par l'espace publicitaire qu'il achète dans leurs pages, ou encore par les déductions fiscales qu'il accorde aux entreprises pour l'achat de publicité. C'est une subvention indirecte qui peut s'élever jusqu'à 46 % du coût des dépenses en publicité qui représentent des millions de dollars.

Ce que nous disons, c'est qu'avec l'aide gouvernementale par le biais d'une fondation pouvant émettre des reçus pour fins de déduction fiscale, chaque journal sera obligé de faire lui-même sa propre campagne de levée de fonds. S'il n'en fait pas, s'il ne représente aucun courant d'opinion dans la population, si personne ne le soutient, ça va tomber et ça ne coûtera pas cher au gouvernement

Le Président (M. Rioux) 0 Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte 0 Moi, je suis très conscient de ce que vous dites. C'est sûr que les journaux ont des orientations, mais dans votre cas, ça va un petit peu plus loin que ça. Par exemple, en 1995, vous m'avez attribué le prix de la traîtrise, à l'aut'journal, pour une déclaration que j'ai faite alors que j'étais président du Conseil de la langue française. Vous savez ce que c'est, le prix de la traîtrise ? C'est-à-dire c'est le prix Cugnet ?

Une voix 0 Cugnet ?

M. Laporte 0 Oui. Peut-être que mes collègues ignorent qui était ce monsieur, bien c'est lui qui a accompagné les troupes de Wolfe lorsqu'elles ont monté sur les plaines d'Abraham pour la bataille de l'année de 1759. Donc, ça, c'est presque de la censure idéologique, là. Le Devoir ne m'a accordé aucun prix à ce titre-là.

Une voix 0 Absolument.

M. Laporte 0 Enfin, donc, j'ai une réserve, parce que je pense que c'est plus qu'une orientation, vous défendez une idéologie. Dans ce sens-là, moi, je n'ai rien contre l'idéologie que vous défendez. J'ai une réticence à imaginer que – je ne parle pas de vous en particulier, là – l'État, d'une façon ou de l'autre, subventionne la partisanerie idéologique. Ça, ça m'apparaît comme très problématique.

Le Président (M. Rioux) 0 Alors, qui répond à ça ? M.Amyot ou M. Dubuc ?

M. Dubuc (Pierre) 0 Je pense qu'on a été attaqués. On peut répondre ?

Le Président (M. Rioux) 0 Oui, oui, allez, monsieur.

M. Dubuc (Pierre) 0 Le prix Cugnet, peut-être que vous le méritiez à ce moment-là ! Ça peut se discuter. Vous auriez pu répondre. On aurait publié votre réponse dans les pages du journal. Si vous regardez les journaux ailleurs dans le monde, je pense qu'on est très en deçà de ce que fait le Canard enchaîné en France, qui est un journal indépendant.

Vous dites « partisanerie politique ». Si vous le prenez dans le sens d' « appui à un parti politique», non, on n'appuie pas de parti politique. Mais je pense que c'est ce qui manque au Québec, des journaux d'opinion, des journaux d'idées, des journaux de polémiques. Est-ce qu'on va renier Olivar Asselin ?

M. Laporte 0 Non, mais j'ai...

M. Dubuc (Pierre) 0 Je pense qu'on est très en deçà de ce qu'il écrivait comme polémique.

M. Laporte 0 Oui, mais il faut me comprendre, M. le Président. Moi, je suis un partisan d'une liberté absolue, sauf avec des limites très, très, très limitées. Ce n'est pas ce dont on parle. Je dis que vous êtes un journal... Vous avez le droit de le faire, ça vous regarde. Mais il reste que vous êtes un journal qui a une orientation partisane et qui utilise cette orientation partisane à des fins de contrôle politique. C'est vrai, peut-être que j'aurais pu vous écrire pour vous, disons, manifester mon opposition. Je l'ai fait dans certains cas pour des journaux qui m'ont attaqué sur d'autres terrains. Mais, dans ce cas-là, je trouvais que c'était une côte pas mal difficile à remonter.|198| 
366|Désunifoliez-vous !|Paul Rose|

La compilation Québec-Libre



Soirée du 27 mars 2001. Jamais le siège social de la SSJB de Montréal n'aura vu rassemblés dans ses vieux murs de chêne autant de jeunes aussi engagés. En fait, un événement jeunesse plutôt inhabituel dans ces lieux.

Peut-être même depuis un certain 24 juin 1969 quand, attroupés devant une SSJB sous état de siège, les jeunes que nous étions savourions une « grande victoire », tout aussi intense que symbolique, sur un défilé un peu trop réacto-religieux. Quelques minutes après avoir renversé, rue Sherbrooke Ouest, face au richissime Ritz, le char allégorique de queue du géant (de carton-pâte) Saint-Jean-Baptiste, faisant alors rouler, pour une deuxième fois, la tête du malheureux personnage biblique.

Dernier clou, pensions-nous à l'époque, dans le cercueil du mouton politique et du saint patron des peuples décapités… Aujourd'hui, à l'heure du Sommet des Amériques des milliardaires, dans ce toujours masochiste Québec, hôte de son exclusion, les jeunes prennent de nouveau l'assaut des lieux. De l'intérieur cette fois.

Un reflet de la chanson engagée actuelle

De l'intérieur, tant physiquement que politiquement, puisque l'événement du 27 mars 2001 avait été concocté avec la complicité d'une SSJB aujourd'hui résolument indépendantiste… et même à l'occasion un tantinet teintée à gauche (actions communes avec les autochtones, soirée Louis Riel, réceptions populaires avec des ministres révolutionnaires du Sinn Féin, reconnaissance de l'apport du féminisme, appuis aux détenuEs politiques d'ici et d'ailleurs, etc.).

L'événement d'aujourd'hui0 le lancement de la Compilation Québec-Libre ! Désunifolliez-vous, un CD regroupant les chansons d'une vingtaine de jeunes artistes et de groupes d'ici qui, dans la très large majorité des cas, ont été inscrits sur la liste noire de Musique Plus et autres médias soi-disant à la mode. Comme, par exemple, le groupe Guérilla dont le vidéo-clip Manifeste, créé à partir du texte du Manifeste de 1970, a été censuré dès sa sortie pour « message politique trop corrosif ».

Selon Martin Lamontagne, principal instigateur de la compilation avec Julie Lafrenière (musicienne responsable de la pochette) et Normand Desrochers (batteur de Guérilla), il s'agit d'une création militante par des artistes qui ont à cœur la destinée ultime du Québec, un « reflet de la chanson engagée actuelle », une « vision du Québec moderne et populaire ». Plus particulièrement, une œuvre de sensibilisation, de conscientisation et de compréhension face à ce Canada qui continue et continuera à nier l'existence du peuple québécois, un acte de riposte à la loi sur la clarté référendaire, d'où le sous-titre du disque, Désunifoliez-vous, une expression claire… et impossible à prononcer d'une traite !

Un pays tronqué qui n’en finit pas de renaître

Les auteurEs du disque, qui se définissent plutôt comme la relève alternative (lire engagée), sont de toutes les tendances musicales. Du pop au rock, du métal au rap, du folk au punk. Ce qui peut surprendre l'oreille au premier abord. Du groupe La Vesse du Loup aux « vents » de Guérilla et de Loco Locass, mettons que l'air ne se déplace pas pareil ! Mais il faut absolument dépasser le choc de la première écoute pour goûter le disque dans toutes ses essences. Fines et moins fines.

Le ciment d'une pièce à l'autre, la liberté, l'émancipation, la solidarité, l'indépendance des peuples opprimés, permet justement d'apprivoiser tous les tympans… et ce qu'il y a derrière ! Mes trois pièces préférées à ce moment-ci, après trois ou quatre écoutes 0 Mon pays des Cowboys Fringants , Québec Réveille de Ivy (qui a fait toute une prestation au spectacle bénéfice de Paul Cliche)… et Octobre dans mes veines des Accros furieux.

Bref, dans l'ensemble, un son et des textes riches de toute une relève d'auteurEs-compositeurEs frappés d'interdit chez eux dans un pays tronqué qui n'en finit plus de renaître de lui-même. Une jeunesse engagée, condamnée comme hier à la clandestinité, des réseaux parallèles mais qui, dans les circonstances, n'a pas l'air de trop mal s'en sortir s'il faut en juger par la participation active de plus de trois cents jeunes à ce grand sommet de la création boudé par les mass média. Ces mêmes médias qui ne manqueront pas demain de leur taper dessus à bras raccourcis, de les démoniser et de jouer aux vierges offensées lors des manifestations de Québec…|198| 
367|Françoise David et Michel Chartrand réunis à Joliette|Serge Dubuc|* Le 14 mars, quatre cents personnes ont répondu à l’invitation de la Coalition régionale Lanaudière-Québec avril 2001 et se sont entassées dans la salle du café étudiant du cégep de Joliette pour entendre Françoise David et Michel Chartrand leur parler de mondialisation et de fraternité. Réunir ces deux personnalités sur la même scène fut un coup de chance pour la coalition qui s’est donnée pour objectif d’informer la population lanaudoise des enjeux du Sommet des Amériques et de mobiliser 200 personnes pour la manifestation du 21 avril à Québec.

Michel Chartrand, égal à lui-même, était intarissable. Tour à tour, soulevant l’assemblée d’indignation ou la faisant rire, il captiva l’attention durant plus de deux heures. Au-delà du spectacle et du personnage, 84 ans et toujours debout, un militant qui en impressionne plusieurs, entre autre chez les jeunes, Chartrand fit la démonstration de l’importance et de la faisabilité du revenu de citoyenneté avec une telle clarté et une telle simplicité qu’on ne peut qu’adhérer à ce projet.

« Et si c’était possible », de lancer Françoise David. Possible de se lever et de confronter nos gouvernements pour les obliger à la transparence dans les négociations au Sommet des Amériques, se lever et dire non au projet de libéralisation des marchés et d’exploitation qui ne profite qu’aux entreprises multinationales, d’imposer notre agenda de solidarité avec les peuples des Amériques.

Plus que des mots, un souffle d’espoir pénètre les oreilles et les consciences. Le début du changement. C’est ce qui s’est passé dans cette salle, l’impression que c’est possible, que ça commence dans nos têtes par « non, c’est assez ».

Pour la coalition, cet événement meublait une semaine déjà bien remplie. Formée en début d’année, sur l’initiative d’une poignée de militants, la Coalition Lanaudière-Québec avril 2001 n’a cessé de grandir. Elle compte actuellement 13 regroupements d’organismes, la CSN et la CSQ bien sûr, mais aussi des regroupements régionaux de groupes de femmes, groupes communautaires, assistées sociales, groupes écologiques, de solidarité internationale, Amnistie internationale, la pastorale sociale.

La coalition des tanné-es d’attendre

Ce réseau social de solidarité est le résultat de deux mobilisations récentes dans Lanaudière 0 la Coalition des citoyen-nes tanné-es d’attendre, qui, en début d’année 2000, mobilisa la population pour l’amélioration des soins de santé dans notre région et l’organisation régionale de la Marche mondiale des femmes, qui consolida ce réseau l’automne dernier.

En deux semaines, la coalition organisa une conférence avec Louise Vandelac et Gilles Éric Séralini sur les organismes génétiquement modifiés, un brunch avec Lorraine Guay lors du 8 mars, des réunions de cuisine, la soirée Chartrand-David. Plus de huit personnes mobilisées sur la mondialisation, c’est du bon travail d’information, mais c’est aussi beaucoup d’attentes de la part de la population. C’est maintenant le défi de la Coalition Lanaudière-Québec avril 2001 0 maintenir le rythme, rejoindre plus de monde, préparer la manifestation du 21 avril.

*membre de la Coalition, Joliette|198| 
368|Loto-destruction|François Parenteau|Sous l'influence américaine et les pressions des médias, les taxes et l'impôt sont devenus peu à peu l'ennemi public numéro 1 aux yeux des citoyens. On se fait marteler que les contribuables québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord, que c'est intolérable et que c'est ce qui explique notre retard économique, l'exode des cerveaux et la déchéance du Canadiens de Montréal. Pourtant, dans les études qui tiennent compte de tous les facteurs, Montréal est une des villes où la classe moyenne s'en sort le mieux au monde. À cause des loyers moins chers que dans toute autre ville comparable, mais aussi du fait qu'on n'ait pas à déduire des salaires des frais d'assurance-santé privée faramineux ou des coûts d'éducation prohibitifs. Parce que ce sont justement nos impôts qui s'en occupent. Ça, c'est un portrait beaucoup moins connu. À un point tel qu'il serait plus coûteux pour un politicien de se prononcer en faveur d'une hausse des taxes, si infinitésimale soit-elle, que de se faire prendre en photo avec Mom Boucher Dave Hilton et Stéphane Dion…

Mais si les contribuables québécois détestent l'impôt, ils tiennent aussi à leurs programmes sociaux. Le gouvernement doit donc trouver l'argent ailleurs sans que ça paraisse trop. Alors, on désassure certains actes médicaux, on interdit les redoublements à l'école, on impose des frais administratifs ici et là, on invente quelques règlements sous des prétextes sécuritaires pour pouvoir récolter des amendes… Le fragile équilibre budgétaire de l'État dépend de plus en plus de ces astuces de pickpockets. C'est pour ça que le ministre Ménard était si scandalisé de la dernière grève des policiers 0 les « tickets » ne rentraient plus… C'est comme ça pour tous les paliers de gouvernement mais Québec semble encore plus touché que les autres et l'exemple suprême de cette hypocrisie, le robinet doré de cette nouvelle donne, c'est sans contredit Loto-Québec. D'ailleurs, dernièrement, un coroner (Bernard Couillard) est allé jusqu'à interpeller directement Loto-Québec dans le cas d'un suicide (un autre !) relié au jeu compulsif. Il était temps.

Il y a quelque chose de malsain à ce que le financement des services publics se mette à dépendre ainsi d'infractions et de comportements de dépendance. S'il fallait par exemple que tous les automobilistes se mettent à respecter le code de la route, on inventerait rapidement de nouvelles infractions pour continuer de donner des « tickets ». C'est que les gouvernements, dont le but devrait être de régler les problèmes de la société et de faire disparaître les comportements dangereux ou néfastes, en sont en fait venus, paiement de la dette et culte anti-impôts obligent, à en dépendre.

Pourtant, ça devrait être des vases communicants. En Ontario, par exemple, les profits des loteries ont longtemps été réservés en grande partie aux œuvres de charité. Si l'argent des taxes et infractions reliées à la cigarette allaient au réseau de la santé et à un programme pour arrêter de fumer, je pourrais encore faire contre mauvaise facture bonne « poffe » (à défaut de me faire un bon cœur, bien sûr…). Mais si ça sert à payer la dette ou à subventionner une compagnie pollueuse, là, ça me met le feu… Et je ne sais plus trop si on veut d'abord mon bien ou mon argent…

Les gouvernements ont beau se draper dans toutes sortes de prétextes quand vient le temps d'annoncer une décision, ils ne sont plus guère motivés que par une seule morale 0 celle de l'argent. On permet à Harveys de s'installer dans un hôpital parce que ça va rapporter de l'argent. On interdit la cigarette partout pour ramasser l'argent des amendes mais on ne l'interdit pas de vente parce que ça coûterait trop cher en budget de police pour contrôler la contrebande. Absurdement, la seule exception à cette logique demeure le «pot » et la prostitution. Et si jamais on les légalise, soyez sûrs que ce sera pour des questions d'argent…

Et pendant qu'on impose aux «cigarettiers » d'afficher sur leurs paquets toutes les horreurs que peut entraîner le tabagisme, les machines à sous, les gratteux et les casinos continuent de rutiler de toutes leurs belles couleurs accrochantes sans qu'on ne leur adjoigne le moindre avertissement sur les dangers du jeu. Et ça, c'est sans parler de cette affreuse manœuvre d'extorsion qu'est l'Extra… Si c'est parce qu'un individu est responsable de ses actes, pourquoi n'applique-t-on pas la même maxime au port de la ceinture de sécurité, par exemple ? À cause de l'argent…

Ce n'est pourtant pas inéluctable. Le 14 mai prochain, au Nouveau-Brunswick, on tiendra un référendum sur l'élimination possible des machines-à-sous de la province. Le jour où le gouvernement du Québec aura le même genre de courage politique, je recommencerai à croire Bernard Landry quand il dit avoir des valeurs socio-démocrates et vouloir s'attaquer à la pauvreté. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas pour demain. Je suis prêt à mettre un deux là-dessus… pas d'Extra…

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 23 mars 2001.|198| 
369|Montréal bilingue, yes sir !|Pierre Dubuc|

L’héritage de Lucien Bouchard



Dans l’entrevue qu’il nous accorde sur la ZLEA, Michel Chossudovsky souligne l’importance des fusions municipales pour préparer les privatisations des infrastructures et des services municipaux. Manifestement, c’est un enjeu qui a échappé à la gauche montréalaise.

Les sociaux-démocrates ont voulu voir dans le projet « Une île, une ville » la fin des avantages fiscaux des banlieues cossues, et la gauche nationaliste une riposte au partitionnisme des municipalités du West Island. La réalité sera tout autre. Les arrondissements et les districts bilingues vont permettre aux bien nantis et aux anglophones de conserver leurs privilèges. La fusion des municipalités risque également de bousculer l’échiquier politique municipal au détriment des francophones.

Un Parti libéral municipal

Pendant que les vieilles dames âgées anglophones brandissaient leurs pancartes d’opposition aux fusions, Jack Jedwab du Congrès juif appuyait le projet « Une île, une ville » et soulignait que le pouvoir était désormais « à portée de main pour un Parti libéral municipal ». Quelques mois plus tard, l’ex-ministre libéral Gérald Tremblay annonçait sa candidature à la mairie de la future municipalité.

La répartition ethnique de l’électorat de la Ville de Montréal obligeait jusqu’ici tout candidat à la mairie à une certaine neutralité sur la question nationale. La fusion change la donne. Le pouvoir est en effet « à portée de main » de tout candidat qui pourra reproduire sur la scène municipale le comportement électoral des scrutins provincial et fédéral. Rappelons que le vote francophone s’y divise entre différents partis, alors que le vote monolithique des non-francophones assure le triomphe du parti libéral, provincial et fédéral. Le risque est donc grand de se retrouver demain avec un Montréal libéral, fédéraliste et... partitionniste !

Un Montréal bilingue

Lors du lancement de sa campagne, les affiches du candidat Gérald Tremblay étaient outrageusement bilingues sans prédominance du français, une pratique que ne se permettent même pas les libéraux provinciaux ou fédéraux. Le statut bilingue de la nouvelle Ville de Montréal était un fait acquis pour la classe d’affaires. Il l’est maintenant pour la classe politique !

En fait, nous assistons actuellement à une offensive en règle pour la reconnaissance du bilinguisme dans la fonction publique, le monde du travail et l’éducation au nom de la mondialisation et de l’avènement prochain de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA).

Le plus étrange est que cela se déroule en bonne partie dans le cadre des travaux de la Commission sur le français. Son président, Gérald Larose, y est même allé d’une proposition confuse en faveur de cégeps bilingues. L’immense majorité des non-francophones habitant l’île de Montréal, une telle proposition de mixité linguistique ne s’appliquerait évidemment qu’à Montréal, tout comme les autres propositions de bilinguisme. Nous nous retrouverons bientôt avec une fracture linguistique fondamentale entre un Montréal bilingue, « moderne », engagé de plain-pied dans la mondialisation, et le reste du Québec francophone qualifié de « passéiste ».

L’héritage de Bouchard

Au cours de sa carrière politique, Lucien Bouchard a eu deux mentors 0 Pierre Elliott Trudeau et Brian Mulroney. Il a emprunté à Trudeau son grand rêve de bilinguisme en le ramenant en catimini aux dimensions de Montréal. Tout comme le rêve de Trudeau s’est écroulé avec l’assimilation accélérée des francophones hors Québec et la quasi-disparition du bilinguisme dans la fonction publique fédérale, l’héritage d’un Montréal bilingue que nous lègue Lucien Bouchard ne peut être qu’une étape vers l’anglicisation.

De Brian Mulroney, l’histoire retiendra l’adhésion du Canada au traité de libre-échange, l’ALENA. En quittant la politique, Lucien Bouchard a déclaré espérer qu’on retiendra de lui la fusion des municipalités. La classe d’affaires a été reconnaissante à l’égard de Mulroney en l’invitant à siéger sur de nombreux conseils d’administration. Lucien Bouchard n’en espère pas moins.|198| 
370|Dans Mercier 0 Votons Paul Cliche|Pierre Dubuc|Nous nous devons de signaler l’excellente campagne que mène Paul Cliche dans le comté de Mercier. Avec des moyens réduits, une organisation construite à la hâte et formée d’éléments hétérogènes, Paul Cliche semble en voie de réussir l’impossible 0 obtenir un score respectable pour un candidat de gauche.

Au-delà du scrutin proprement dit, Cliche poursuit son travail inlassable pour la création d’une formation politique de gauche au Québec. Il a entrepris cette véritable croisade dans les pages de l’aut’journal, il y a quelques années, en lançant le débat qui allait mener à la création du Rassemblement pour l’alternative politique (RAP).

Cette dernière formation n’ayant pas réussi à rassembler l’ensemble des forces de gauche, Paul Cliche a poursuivi son travail unificateur en réussissant le tour de force de faire appuyer sa candidature dans Mercier par l’arc-en-ciel des partis politiques de gauche, du RAP au PDS, en passant par les verts et les communistes.

Vers un Parti féministe ?

Son succès dans Mercier pourrait amener les féministes regroupées autour de Françoise David à envisager de faire le saut sur le terrain politique avec la création d’un parti féministe. Déjà, un récent sondage du journal La Presse révélait que 48,7 % de l’électorat – dont 44,4 % des hommes – était prêt à voter pour un parti féministe et de gauche, ouvert aux hommes et aux femmes, mais avec un leadership majoritairement féminin.

Il faut souligner l’intérêt de La Presse pour la candidature de Cliche et, de façon générale, pour une alternative de gauche sur la scène électorale. Il faut y voir l’application du vieux principe politique qui veut que « l’ennemi de mon ennemi soit mon ami ». Concrètement, La Presse d’obédience libérale bien connue voit dans l’avènement d’un parti de gauche crédible une façon de diviser le vote péquiste et favoriser l’élection du parti libéral.

« À la guerre comme à la guerre », dirions-nous, en soulignant que la gauche doit cesser d’être l’otage du Parti québécois. En fait, c’est un argument de plus en faveur du scrutin proportionnel dont Cliche s’est fait l’avocat en publiant aux éditions de l’aut’journal un livre sur le sujet.|198| 
371|La guerre inavouée contre les femmes|Élaine Audet|

Madeleine Gagnon



C’est sur la route entre Québec et Montréal, un beau matin d’octobre, que la poète, romancière, essayiste, Madeleine Gagnon et Monique Durand, réalisatrice à Radio-Canada, en cherchant les mots qui illustreraient le mieux le XXe siècle, ont retenu « femmes » et « guerre». Ainsi est née, d’une amitié éprouvée et d’une réflexion partagée, le projet ambitieux d’un livre et d’un documentaire radiophonique sur les femmes et la guerre qui les a menées en Macédoine, au Kosovo, en Bosnie, en Israël, en Palestine, au Liban, au Pakistan et au Sri Lanka, pour y donner enfin la parole aux femmes.

Dans Les femmes et la guerre, la poète, romancière et essayiste Madeleine Gagnon approfondit les témoignages bouleversants des femmes qu’on a pu entendre dans la série radiophonique du même nom, présentée à Radio-Canada l’automne dernier par Monique Durand. L’écriture, chargée de poésie et de sensibilité lucide, est portée par une longue phrase incantatoire qui épouse « ces flots de paroles en jets continus » dont elle veut témoigner et y trouve sa forme.

Rythmant son souffle sur celui de la mémoire douloureuse qui lui est confiée, Madeleine Gagnon nous communique la voix de ces femmes qui ont vécu la guerre en première ligne sous forme de viols, de pertes d’êtres chers ou de tout ce qu’elles avaient au monde. Des femmes qui ne se plaignent pas mais cherchent d’abord à comprendre, comme l’auteure, sans exclure leur propre responsabilité dans ce malheur récurrent. Et comme ces femmes de grand courage, les deux voyageuses québécoises seront « le contraire de pleureuses ».

Il n’y a pas de « guerre propre »

Si le livre touche tellement, c’est précisément à cause de cette écriture incandescente qui fait le lien constant entre le dehors et le dedans, entre la retranscription fidèle de l’histoire racontée et ses retombées en soi sous forme de questions lancinantes. Pourquoi tant d’horreur encore et encore, quelle est la racine de tant de cruauté et de haine, des origines de l’histoire jusqu’aux centaines de guerres ethniques et religieuses qui mettent encore des peuples à feu et à sang à l’ombre de la mondialisation ? D’un bout à l’autre du « village global », en effet, jamais la violence et les inégalités n’ont été aussi criantes. Désormais, à l’ère de « la guerre propre » et des «frappes chirurgicales », la mort frappe davantage les populations civiles, les femmes et les enfants, que les armées qui s’affrontent.

L’héritage d’un dieu vindicatif

Madeleine Gagnon et Monique Durand, sa collègue de Radio-Canada, veulent comprendre la relation entre la grande guerre contre les femmes et les autres formes de guerre, « saisir, par la voix et le regard des femmes, les liens entre les guerres millénaires et la guerre primordiale, celle pourtant dont on parle si peu». L’origine de la guerre est si lointaine qu’on est tenté de croire qu’elle a toujours existé. Pourtant il n’en a pas toujours été ainsi, il y a eu un temps où des hommes ont décidé de soumettre le féminin et la nature, de séparer l’esprit de la chair en diabolisant cette dernière et les femmes, d’accaparer les richesses, d’usurper, au nom d’un Dieu vindicatif, autoritaire, justicier et guerrier, tout le pouvoir terrestre et divin. Ainsi est déclenchée, « en ce temps-là », la guerre inavouée contre le féminin au nom de la suprématie virile, érigée en valeur suprême et plantée dans la culture, l’esprit même de toutes les guerres contre « l’Autre », étranger ou femme.

La vengeange d’œdipe

Madeleine Gagnon ne cesse de se questionner sur l’intériorisation par les femmes des valeurs patriarcales, guerrières, ethnocentriques 0 « Entendu tant de haine, semblant remonter d’un puits sans fond, tant de ressentiment, d’amertume, de rancœur qu’il me semble nécessaire, pour comprendre, ne fut-ce qu’un petit peu, de chercher les refoulés. » Un énorme désir de vengeance les habite et elles continuent d’élever leurs garçons comme des guerriers investis des haines impuissantes dans l’espoir d’être vengées lorsque « le violeur qui avait voulu incendier le ventre d’une Kosovare de son sang slave et pur rencontrerait peut-être un jour, au détour de sa route de cendre, un rejeton, aveuglé, qui l’assassinerait».

Mais le plus grand nombre de femmes interrogées considère la soif de vengeance comme une impasse ne pouvant que perpétuer la guerre. Plus ou moins, elles pensent comme Anna de Bosnie que «les femmes, serbes, croates, musulmanes, sont toutes soumises à leurs hommes et, s’ils sont morts, obéissent encore à leur mémoire, à leurs ordonnances posthumes, c’est cet esclavage-là qui est à la base de toute guerre, c’est la guerre dans la guerre ». Pour s’en sortir, il n’y a pas d’autres voies que de mettre fin à cette allégeance aveugle.

Le rêve d’un monde androgyne

Plus tard, c’est Annie, une juive solidaire avec la lutte du peuple palestinien, qui dira 0 « Je rêve d’un monde androgyne, chacun son sexe, bien entendu, je parle de l’androgynie de l’esprit et des cœurs, chacun en l’autre se reconnaîtrait, l’étranger deviendrait familier, comme il arrive quand une mère porte son enfant, en elle il y a l’Autre, mais pour elle, c’est le soi. »

Au fil des paroles, on comprend que ce sont les femmes, résistantes ou combattantes, qui partout luttent pour la démocratie et l’égalité entre les sexes alors que les hommes sont plus préoccupés par le combat pour la libération nationale 0 « Les femmes voient le danger et comprennent que si le national prime le social, tout sera toujours à recommencer, les mêmes vieux conflits liés à la possession du territoire reviendront. » Une Pakistanaise met en garde contre ces leaders nationalistes qui « les ont tenues asservies sous des discours de pureté et de sacrifice pendant qu’ils dilapidaient à leur profit les richesses du pays ».

« Comment écrire après Auschwitz ? sinon en donnant son encre, comme d’autres leur sang », constate Madeleine Gagnon devant tant d’horreurs banalisées par les médias. Mission accomplie, car, le livre refermé, tous ces visages de femmes nous habitent comme une responsabilité désormais incarnée. Comment oublier cette histoire de Marlène-la-belle, qui ressemble à Romy Schneider, et l’espace incommensurable de son destin ramassé soudain en un seul instant suspendu 0 « Peut-être s’était-t-il vu dans le corps du bébé entre la mère et le mur, elle se souvient avoir crié “ tuez-moi si vous voulez, mais pas mon petit garçon ”, c’est là que son regard à lui plongea dans le sien, “ une éternité de temps de regards ”, elle le revoit encore, puis il a monté, il l’a laissée filer. »

Les femmes doivent cesser d’élever des guerriers

Madeleine Gagnon a écrit là un livre nécessaire et d’une très grande beauté. Au moment où se cristallise la mondialisation de la solidarité des femmes et des peuples, cette réflexion profonde sur le rôle des femmes dans les conflits vient à point nommé pour nous convier à mettre fin tant à la passivité qu’à la soif de vengeance. Dès la petite enfance, les valeurs dominantes incitent les garçons à tuer le féminin en eux, à devenir des conquérants dans leurs vies privées et sociales, sous peine de voir leur virilité remise en question et d’être rejetés par leurs semblables. Mais, comme le montre admirablement Les femmes et la guerre, il ne saurait y avoir de libération sans refus de transmettre ces valeurs dans lesquelles s’enracinent les haines et les exclusions. Le temps est venu de cesser « d’élever des guerriers ».

Le livre vient d’être réédité en France et y connaît un grand succès. L’éditeur Fayard a enlevé la préface de Benoîte Groult et a changé le titre pour Anna, Jeanne, Samia… afin de ne pas lui accoler une étiquette préalable et l’enligner dans un « couloir féministe », déclare l’auteure. Serait-ce l’explication du manque de couverture qu’il a eu ici à ce jour ?!www

Madeleine Gagnon, Les femmes et la guerre, Montréal, VLB Éditeur, 2000|198| 
372|D’une lune à l’autre|Élaine Audet| Toutes à Québec au Vieux-Port, le samedi 21 avril

Au plan de la sécurité, il faut savoir que la manifestation se déroulera loin du fameux périmètre autour de Québec. Les groupes participants auront leur propre service d’ordre. Les pouvoirs en place font tout pour nous intimider, mais notre présence massive montrera que nous sommes FORTES ET DÉTERMINÉES PLUS QUE JAMAIS à ne pas laisser qui que ce soit décider pour nous de notre avenir.

La mondialisation, ça nous regarde !

En tant que femmes, nous y serons parce que la mondialisation, ça nous regarde, comme le dit l’extrait de la lettre de la Marche mondiale des femmes aux dirigeants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale en octobre 2000, que nous publions ci-dessous.

« La mondialisation affecte les femmes d’une autre manière que les hommes. Sinon pourquoi l’immense majorité des personnes pauvres de la planète seraient-elles des femmes ? […] Pourquoi “ la croissance ” continue-t-elle de s’appuyer largement sur le travail invisible, non reconnu et non rémunéré des femmes ? Pourquoi la traite des femmes des pays pauvres vers les pays riches s’est-elle accrue ? Pourquoi la prostitution fait-elle partie des stratégies de “ développement ” et des moyens de récupérer des devises de plusieurs gouvernements ? Non à la marchandisation de nos corps et de nos esprits ! Nous ne voulons pas d’une vie d’esclaves pour nos enfants ! »

L’Ordre de la Cravate

Il faudrait inventer un nouveau prix pour Denise Bombardier. Par exemple « le Mâle d’or » ou « l’Ordre de la Cravate ». Ce prix lui serait décerné pour avoir fait prévaloir le masculin sur le féminin dans la langue comme dans les idées, en promouvant l’idéologie de la non-idéologie, laquelle signifie simplement l’idéologie dominante, en l’occurrence patriarcale et néolibérale. Ainsi, elle se fait forte d’affirmer en toutes occasions que les femmes sont incapables d’être solidaires, à preuve le manque de solidarité des députées péquistes envers Pauline Marois. Elle prend pour règle l’exception que constituent les quelques femmes admises à partager le pouvoir masculin et qui ne seraient pas restées là, si elles n’avaient accepté de devenir des « hommes politiques» comme les autres. Il lui est impossible de tourner les yeux, ne serait-ce qu’un instant, du côté des femmes ordinaires pour prendre acte, notamment, de leur solidarité lors de la Marche mondiale qui a mobilisé 6000 groupes de femmes répartis dans 161 pays et qui a donné lieu à la plus importante manifestation de femmes dans l’histoire du Québec, soit 30 000 femmes à Montréal et plus de 10 000 en région. Mais la règle de prévalence du masculin ne souffre aucune exception. Qu’importe s’il s’agit de nier ou d’occulter la réalité. Madame Bombardier sait qu’en bout de ligne, elle aura droit aux privilèges de ceux qu’elle sert avec tant de zèle.|198| 
373|Le Devoir en soutien à l'école privée|Pierre Dubuc|Sous le titre L'école en crise, le journal Le Devoir a fait paraître pendant huit jours une série d'articles sur l'école. Le titre de l'article principal du 26 février donnait le ton 0 Le privé au secours de l'école publique.

Dans l'édition du 13 mars du même journal, un de ses ex-journalistes, Jean-Pierre Proulx, taillait en pièces l'approche du journal à l'aide de toute une série d'indicateurs de l'opinion publique. Analysant onze sondages menés entre 1973 et 2000, Proulx note une tendance manifeste 0 « Un peu plus de la moitié se disent insatisfaits de la qualité de l'éducation, alors qu'un peu plus du tiers s'en déclarent satisfaits. »

Deux opinions opposées 0 le public et les parents

Mais le portrait change du tout au tout lorsqu'on interroge les parents. Cinq sondages réalisés entre 1975 et 1997, et portant spécifiquement sur l'école publique, révèlent dans tous les cas qu'une forte majorité des parents, soit deux tiers et plus, s'en déclarent satisfaits !

Comment expliquer la différence notable quant à la satisfaction du public en général et celle des parents d'élèves en particulier? Jean-Pierre Proulx avance l'hypothèse suivante 0 « Le grand public se forme une opinion sur l'école essentiellement par l'entremise des médias qui lui présentent généralement une “ école en crise”. De leur côté, les parents ont une expérience directe de l'école par l'entremise de leurs enfants et par les rapports directs qu'ils entretiennent avec elle. Malgré tous les reproches qu'ils peuvent lui faire, pour eux, cette école n'est pas en crise. »

Bon « timing » pour la vente de placards publicitaires !

Signalons que la série d'articles a été publiée précisément au moment des inscriptions au secondaire. Il est évidemment impossible de déterminer son impact sur les inscriptions dans les écoles privées, mais le nombre de publicités d'institutions privées dans le prochain cahier que Le Devoir consacrera à l'enseignement privé en sera un indicateur.|198| 
374|« À souère, on fait peur au monde ? »|André Bouthillier|

Toutes les eaux sont polluées



Au moment où l’on apprend que l’eau potable est polluée à Shannon près de Québec; que les sept décès de Walkerton en Ontario sont dus en grande partie au désengagement de l’État; que le lobby des entreprises touristiques s’oppose aux normes, trop sévères disent-ils, du projet de règlement sur l’eau potable promis par le ministère de l’Environnement depuis juin 2000; que la couverture médiatique devient de plus en plus constante, l’eau potable est devenue un dossier chaud.

J’aurais souhaité parler de tous les aspects qui influencent directement la qualité de l’eau potable. Car lorsque l’on examine les dossiers suivis par la Coalition Eau Secours!, l’eau potable apparaît parmi un ensemble de dossiers tous aussi importants les uns que les autres. Il y a le traitement des eaux usées, l’exploitation des eaux souterraines, la qualité, l’accessibilité et la gestion des eaux des lacs et rivières, la propriété de l’eau, la marchandisation de l’eau et les effets des accords de libre-échange en Amérique, la dépollution du fleuve Saint-Laurent, les effets des changements climatiques sur l’eau, la déréglementation, l’exportation de l’eau en vrac et en bouteille, la santé publique, la tarification, les programmes d’économie et finalement la politique de l’eau que la coalition souhaite obtenir du gouvernement dans le plus bref délai.

Mais l’urgence de la situation commande de se limiter à la crainte que représente la pollution de l’eau potable pour le consommateur-citoyen. Je sais aussi que cette peur mène le consommateur à se tourner vers les eaux embouteillées. Voilà une situation qui risque de noyer plus d’un militant.

Il faut bien puiser l’eau en quelque part… qu’elle soit embouteillée ou d’aqueduc

L’endroit où se situe la prise d’eau est évidemment fondamental à l’obtention d’un breuvage de qualité. Attention ! Pour le besoin de l’exposé, je ne ferai ici aucune différence entre villes, individus ou embouteilleurs. On capte l’eau soit d’une rivière, d’un lac (certaines villes captent l’eau directement du fleuve Saint-Laurent), d’une nappe phréatique, d’une source souterraine, d’un esker (glacier souterrain). Cette eau que l’on boit est polluée par les activités humaines en amont de la prise d’eau. Impossible d’énumérer ici toutes les sources de pollution identifiables.

Dans le cas d’une ville qui prend son eau à la rivière, il pourrait s’agir d’eau polluée par l’agriculture ou l’élevage. Pour l’embouteilleur, il s’agira d’une source ou d’une nappe souterraine sous un dépotoir polluée par le lexiviat (liquide provenant de la décomposition des déchets qui s’immisce au travers d’une pierre poreuse). Pour l’individu, il s’agira peut-être d’une petite bête morte dans une des cavités terrestres où passent les eaux de surface qui alimentent son puits artésien.

Dans certains cas, l’eau est puisée dans un cours d’eau qui transporte déjà les eaux usées non traitées de villes ou d’industries situées en amont. D’une façon ou d’une autre, presque toutes les eaux sont polluées. Il s’agit aujourd’hui d’en mesurer les effets sur la santé et d’éviter le pire, affirme le laboratoire de santé publique de l’organisme de réglementation états-unienne (EPA).

J’entend déjà certains et certaines se dire 0 « Ne me dites pas ça! Je me ruine déjà en achetant de l’eau en bouteille qui est sensée éviter ce que vous dites ? Je n’ai vraiment pas confiance dans les aqueducs des villes. »

Vous me voyez désolé de ne pouvoir vous rassurer quant à votre choix de boire uniquement de l’eau embouteillée. Votre non-confiance dans le réseau d’aqueduc sera donc mise à rude épreuve à chaque fois que boirez de la bière ou des boissons gazeuses, dont l’eau utilisée pour sa fabrication proviendra de l’aqueduc municipal, comme c’est le cas à Montréal. J’aimerais bien vous rassurer chers lecteurs et chers lectrices mais…!

Entre un stationnement d’industrie et un centre d’enfouissement des déchets

Suivez-moi pendant quelques instants. Je sais qu’en mai 2000, des tests d’eau ont démontré que sur 103 marques de commerce d’eau embouteillée aux États-Unis (dont plusieurs marques sont distribuées au Canada), 22 % contenaient des contaminants chimiques. Ces produits ont la mauvaise habitude, s’ils sont consommés sur une longue période, de causer le cancer ou d’autres problèmes de santé. Une des marques testée portant le nom de Spring Water (eau de source), provient d’eau captée sous le stationnement d’une industrie, tout près d’un centre d’enfouissement de déchets dangereux. Une des marques québécoises puise son eau sous les terrains des usines chimiques de Varennes.

Dans le cas d’eaux embouteillées issues des profondeurs d’une nappe phréatique, Kurt Cuffey, professeur de géologie à l’Université de Californie à Berkeley, affirme 0 « Puiser dans une source ou un aquifère, même à petite échelle, peut modifier le mouvement des sédiments dans les ruisseaux attenant à la nappe. Ce qui pourrait polluer la nappe lors de son remplissage. Les écosystèmes sont très compliqués et nous ne sommes pas en mesure de prédire ce qui arrivera à la qualité de l’eau dans les nappes et dans les rivières qui sont affectées par un captage intensif. »

L’industrie de l’embouteillage jouit d’un régime de faveur

Comment en sommes-nous arrivés là ? Premièrement, par un manque flagrant de volonté de mettre un frein à la pollution, et ce, au nom de l’économie, du travail et de la paresse intellectuelle. Deuxièmement, une partie du problème provient du manque de réglementation. Autant au Québec qu’ailleurs. Lorsqu’il y en a, il s’agit d’autoréglementation appliquée par les associations de l’industrie de l’embouteillage. Il est assez incroyable que les gouvernements n’exigent pas, de la part des embouteilleurs, les même règles qu’ils exigent des villes. D’ailleurs, l’inspection pour ceux-ci n’existe à peu près pas.

Du côté américain, le gouvernement a découvert que 25 % des eaux embouteillées, dont on affirmait qu’elles provenaient d’une source, proviennent en fait d’un aqueduc municipal dont l’eau est ensuite enrichie de minéraux. C’est le cas des marques de commerce Dasani et Aquafina.

Le dossier de l’eau a une forte saveur politique

Je l’sens bien.. je suis loin de vous rassurer ! Vous devez comprendre que nous en sommes rendus là. Le dossier de l’eau potable est à forte saveur scientifique et surtout politique. Le côté scientifique permet de doser et de débattre de la gravité de la situation. La partie politique nous oblige à exiger des gouvernements une politique de l’eau, une réglementation appliquée par des inspecteurs, et de développer d’importants programmes de dépollution. Les consommateurs se font berner et les citoyens n’ont d’autre choix que d’exercer une vigie politique sur les aqueducs d’où ils s’abreuvent.

Il est bien difficile de parler de la question de l’eau potable sans effrayer tous et chacun. Par contre, escamoter les faits serait criminel.

Pour plus d’informations sur le sujet, consulter 0 http0//www.eausecours.org|198| 
375|Le choix entre traiter 620 patients au fluconazole ou 10 000 au « générique »|Louis Préfontaine|

La politique des médicaments



Un rapport de l’ONUSIDA, publié en décembre dernier, rendait compte de la gravité de l’épidémie du VIH en Afrique. Sont originaires d’Afrique 70 % des adultes et 80 % des enfants ayant la maladie et les trois quarts des plus de 20 millions de personnes qui, dans le monde, sont mortes du SIDA depuis son apparition. On dénombre sur le continent africain plus de 25 millions de personnes séropositives et approximativement 3,8millions de nouvelles infections par an.

Le problème central de la lutte au SIDA vient du fait qu’on ne meurt pas en le contractant, mais plutôt en attrapant une infection systémique, le plus souvent une méningite à cryptocoque. Dans ce cas, sans traitement efficace, l’espérance de vie ne dépasse pas un mois.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une phase de traitement sous forme d’intraveineuses d’amphotéricine B durant six semaines et de fluconazole pendant douze semaines. Les patients doivent cependant suivre un traitement à vie de fluconazole, le plus souvent par voie orale, car il est ainsi davantage toléré par le corps.

Ce médicament a été breveté en 1982 par le laboratoire Pfizer sous la marque Diflucan. Le brevet n’expirera pas avant 2004 ou 2005 dans la plupart des pays, ce qui empêche son importation ou sa production par une autre société que Pfizer.

Cependant, une étude de Médecins sans frontières (MSF) sur le prix du fluconazole démontre que certaines compagnies fabriquent un générique beaucoup moins coûteux. Si, en Afrique du Sud, la capsule (200 mg) de Pfizer coûte 9,34 $ US, le même produit, fabriqué par le laboratoire Biolab de Thaïlande ne coûte que 0,60 $ US. « Chaque année, affirme l’étude, avec un budget de 2,16 millions de dollars U.S., l’Afrique du Sud pourrait être en mesure de traiter 620 patients avec du fluconazole Pfizer, mais 10 000 patients avec du fluconazole générique importé de Thaïlande. Cela signifie que chaque année 9380 personnes supplémentaires pourraient être sauvées avec le même budget. »

L’OMC et ses tentacules

L’Accord des droits à la propriété intellectuelle et du commerce (ADPIC) a été adopté en 1994 par l’OMC qui l’impose depuis à tous les pays membres. Ceux-ci ne peuvent alors plus reconnaître des brevets sur des produits génériques qui pourraient être mis en vente sur leur territoire.

« Si le laboratoire qui détient le brevet est prêt à négocier avec un pays tiers, il peut obtenir des royalties en échange d’une autorisation de production locale 0 une licence volontaire », affirme Act-up Paris, une organisation du lutte contre le SIDA. « S’il ne veut pas négocier, l’État peut décider de faire fabriquer une copie d’un produit dont il a besoin par un industriel local. C’est ce qu’on appelle une licence obligatoire. » Le problème, c’est qu’aucune compagnie n’a voulu négocier une licence volontaire. Les pays susceptibles de produire des antirétroviraux génériques sous licence obligatoire ne veulent pas d’un affrontement avec les laboratoires occidentaux et les États-Unis, leur chien de garde.

C’est la situation actuellement en Afrique du Sud. Après les premières élections démocratiques de 1994, le gouvernement Mandela s’est retrouvé à la tête d’un pays au système de santé ravagé. À 61 % privé, il n’arrivait même pas à soigner 20 % de la population. L’Afrique du Sud a tenté sans succès de négocier une licence volontaire avec Pfizer. Devant l’urgence de la situation (100 000 personnes y meurent du SIDA chaque année), on adopta en 1997 une loi permettant l’importation de fluconazole générique à bas prix.

Toutefois, cette loi n’a toujours pas été appliquée par suite de l’obstruction juridique de Pfizer et d’autres compagnies pharmaceutiques. Le 5 mars dernier, s’est finalement ouvert à Pretoria le procès. L’Association de l’industrie pharmaceutique d’Afrique du Sud (PMASA) considère la loi de 1997 comme étant inconstitutionnelle.

Sachant que près de 400 000 personnes sont mortes du SIDA depuis 1997, il est possible de donner un tout nouveau sens à l’affirmation de Henry A. McKinnel, président de Pfizer, au Forum économique de Davos 0 « Ensemble, nous pouvons et nous devons confronter ce qui tue l’humanité. »

Québec, on s’en lave les mains

La problématique du SIDA au Québec n’est évidemment pas aussi catastrophique qu’en Afrique du Sud. « La situation s’est améliorée grâce à la trithérapie et au fait que le traitement est accessible et largement payé par l’assurance-maladie », affirme Réjean Thomas, de la clinique L’Actuel, une clinique spécialisée dans le traitement du VIH/SIDA.

En 1998, il y a eu 567 nouveaux cas déclarés et 569 l’année suivante. Il en coûte tout de même entre 10 000 et 12 000 dollars par an par malade et il serait tout à fait possible de réduire les coûts si le gouvernement du Québec se dotait d’une politique d’achat ou de fabrication de médicaments génériques. «Dans les accords de libre-échange, il y a une clause permettant de faire des génériques en cas d’urgence », dit M. Thomas. Cependant, « une politique de médicaments génériques est beaucoup plus nécessaire actuellement en Afrique du Sud, car la population n’a tout simplement pas les moyens de payer ».

En encourageant les laboratoires pharmaceutiques et en appuyant l’ADPIC (que la ZLEA pourrait renouveler), le gouvernement du Québec ne fait que cautionner l’injustice à l’origine de centaines de milliers de morts en Afrique. Il oblige les contribuables québécois à payer plus que la juste part pour des médicaments qu’il serait possible de produire à plus faible coût en important des génériques ou en collectivisant la production de ceux-ci. Rappelons que pour chaque dollar dépensé en recherche, des compagnies comme Pfizer en dépensent deux en marketing.

Afin que cesse ce que le Sud-Africain Zackie Achmat, président de Treatment Action Campaign appelle l’« holocauste contre les pauvres ».

étrange conscience sociale

Le principal argument des compagnies pharmaceutiques pour légitimer les coûts élevés des médicaments est la nécessité de financer la recherche. Pourtant, si nous prenons l’exemple de Pfizer, première compagnie au monde depuis la fusion avec Warner-Lambert en juillet dernier, nous notons que, si les dépenses de recherche et développement atteignaient 4,44 milliards de dollars U.S. (15 % du budget total) en 2000, les dépenses relatives au marketing, à la promotion et à l’administration s’élevaient à 11,44 milliards de dollars U.S. (38,7 % du budget).

Si un gouvernement décidait de produire lui-même les médicaments nécessaires, il n’aurait pas besoin de dépenser tant d’argent et de ressources pour promouvoir son produit et il y aurait davantage d’argent disponible pour la recherche.

Murry J. Elston, président des Compagnies de recherche pharmaceutique du Canada, affirme quant à lui qu’il ne faut pas contrarier l’industrie de la recherche pharmaceutique, car celle-ci aurait une très grande sensibilité sociale et « s’inquiète sérieusement [...] de la menace mondiale que représentent certaines maladies fatales transmissibles comme le SIDA/VIH, le paludisme et la tuberculose ».

Que La Presse ait publié ce texte en page éditoriale ne doit pas nous étonner car Power Corporation, propriétaire du quotidien, possède également la Great West Life co., une compagnie d’assurance-vie qui offre justement des assurances-médicaments permettant, moyennant quelques dizaines de dollars par mois, de payer le gros prix pour des médicaments à des compagnies comme Pfizer. En encourageant le gouvernement à maintenir les prix élevés, Power Corporation s’assure que la tentation de refiler une partie de la facture aux utilisateurs contribuera à maintenir sa croissance. La misère, c’est payant quand on assure.

C’est ce qui fait dire à Marie Pelchat, de la Coalition Solidarité Santé, qu’« on ne peut pas concilier santé et rentabilité ». En d’autres mots, on joue le jeu des compagnies et on laisse le coût du système de santé augmenter ou, au contraire, on les affronte, comme c’est le cas actuellement en Afrique du Sud. « Nous sommes aux antipodes de l’Afrique du Sud, et pas seulement géographiquement », affirme Marie Pelchat.|198| 
376|Henri Bourassa, miroir de notre folie|Michel Lapierre| Il y a presque un siècle, la jeunesse la plus politisée du Québec ne jurait que par un seul homme 0 Henri Bourassa (1868-1952). À ses yeux, Bourassa éclipsait même Laurier. Elle voyait dans ce simple député d'esprit libéral, dans ce grand orateur indépendant des partis, le chef naturel et absolu de tous les Canadiens français.

Aux heures les plus glorieuses de la lutte de Bourassa contre l'impérialisme britannique, cette jeunesse en délire dételait les chevaux de la voiture où trônait son héros et cent bras la portaient en triomphe dans les rues de Montréal, noires de monde. Mais Bourassa ne se laissait pas seulement charmer par l'enthousiasme des foules. Il en avait peur. Les conséquences du patriotisme l'effrayaient, comme elles effraieront, plus tard, René Lévesque et Lucien Bouchard.

La réimpression de la monumentale biographie de Henri Bourassa, que Robert Rumilly publiait en 1953, vient donc à point nommé. Ce livre nous rappelle que Bourassa, qui, par certains côtés, paraît surgir du Moyen Âge, a été l'homme des contradictions, de nos contradictions les plus actuelles.

Le père dévoré par ses enfants

Bourassa, petit-fils de Papineau, a réveillé, à lui seul, notre sentiment national et même notre séparatisme latent pour les considérer, par la suite, comme des passions dangereuses, voire criminelles. Il a été le grand inspirateur d'Armand Lavergne, d'Olivar Asselin, de Jules Fournier et de Lionel Groulx, mais a fini par répudier ses disciples, en décelant dans leurs nationalismes respectifs, au-delà des différences, un orgueil et une idolâtrie irréconciliables avec le catholicisme. S'il avait usé du vocabulaire d'aujourd'hui, n'aurait-il pas parlé d'un ethnocentrisme incompatible avec les libertés individuelles et l'interculturalisme planétaire ?

Directeur du Devoir, qu'il avait fondé en 1910, Bourassa démissionnera de son poste, en coup de vent et sans mot dire, en 1932. Le nationalisme de son journal lui rendait la vie insupportable. Le père se voyait dévoré par ses propres enfants. Bourassa mourra bien avant qu'à la tête du Devoir un Claude Ryan rassure les consciences timorées.

Mais quels sont donc le catholicisme social et l'humanisme chrétien que Bourassa oppose au nationalisme, en rangeant, sous ce vocable suspect, aussi bien le sentiment national des forts que celui des faibles, aussi bien la doctrine militariste et hégémonique des grandes puissances que les mouvements de libération nationale inspirés par l'anticolonialisme ?

Champion d'un monarque absolu0 le pape

On retrouve toujours la contradiction. Bourassa, adversaire acharné de l'impérialisme britannique, champion de la liberté des peuples, des droits des minorités et du principe des nationalités, est en même temps champion d'un monarque absolu 0 le pape. C'est un ultramontain de souche libérale, un zouave doublé d'un patriote. On ne l'a pas surnommé le « castor rouge » pour rien. À l'instar de son maître Louis Veuillot, Bourassa considère le pape comme le souverain spirituel, et même temporel, du genre humain. À la Chambre des communes, on l'a vu brandir les encycliques pour exposer la doctrine sociale de l'Église devant les Anglais ahuris.

La soumission au pape est, pour Bourassa, la raison suprême. Or, Pie XI, qui, en 1926, lui accorde une audience privée, le met en garde contre le nationalisme outrancier qui tend à se substituer au catholicisme, religion universelle. Bourassa interprète cette directive à la lettre et l'applique avec un zèle intempestif. Souhaitant la parfaite concorde entre les catholiques canadiens-français et leurs coreligionnaires irlandais, il ordonne au pauvre P.Charlebois, défenseur des écoles françaises en Ontario, de cesser sa lutte trop ardente et aux Américains d'origine québécoise du diocèse de Providence d'obéir à leur évêque irlandais, qui veut les angliciser. Mais Bourassa ne craindra pas d'admirer Mussolini et Pétain, qui ne sont pas tout à fait des grenouilles de bénitier… Le nationalisme des uns n'est pas le nationalisme des autres. De son célèbre discours à Notre-Dame, de 1910, sur les droits du français en Amérique du Nord, Bourassa ne retient que l'aspect religieux, sous son angle le plus étroit 0 la langue au service de la foi, et non pas le contraire.

Qu'en est-il vraiment de l'humanisme chrétien de Bourassa ? Ce catholique intransigeant, issu par sa mère d'une famille seigneuriale, ce bourgeois sans complexes fait des alliances électorales avec des candidats ouvriers, admire J. S. Woodsworth, pasteur protestant et député socialiste, et fait presque sien le mot de Proudhon 0 « La propriété, c'est le vol. » Mais, craignant l'ingérence de l'État dans les affaires de l'Église, ce même Bourassa s'oppose à la création de l'Assistance publique par le gouvernement québécois. Admirateur des institutions britanniques, il soutient néanmoins que la démocratie conduit à la malhonnêteté. Bourassa exalte la vie rurale et se méfie de la vie urbaine, pense que, par la Première Guerre mondiale, la chrétienté a expié trois grands crimes 0 la Révolution française, l'anarchie protestante et le schisme grec de 1054 !

Bourassa reconnaît aux juifs le droit d'avoir leurs propres écoles, au même titre que les catholiques et les protestants, mais, du même souffle, s'oppose au suffrage féminin. S'il exalte la France catholique de nos ancêtres, il maudit, dans son « vrai » français à l'accent très habitant, mais à la syntaxe parfaite et au vocabulaire surabondant, « la France révolutionnaire et dévergondée », qui parle « l'argot des rapins, des apaches, des poètes chauves ou chevelus », des « rastaquouères » de Montmartre. Il dénonce « l'effroyable égoïsme » de milliers de Françaises qui, en refusant de mettre des enfants au monde, comme l'ont fait « nos mères et nos femmes », ont conduit la France au désastre.

Laurier, père spirituel de Bourassa

Henri Bourassa a une vision du monde tout à fait patriarcale et un sens profond du drame. Son père spirituel n'est pas Napoléon Bourassa, son père par le sang, artiste très religieux au style mièvre. Ce n'est pas non plus Louis-Joseph Papineau, son grand-père maternel, révolutionnaire et libre penseur. Ce n'est pas même le pape. Le père spirituel de Bourassa, le père de ses contradictions, s'appelle Wilfrid Laurier.

Premier ministre du Canada, défenseur de ce qu'il a tant combattu dans sa jeunesse – la Confédération –, Laurier le Rouge, l'héritier ambigu des Patriotes, est le grand artiste de la conciliation des principes, mais l'homme de l'indéfectible fidélité dans le domaine des sentiments. Laurier a la tête anglaise, mais le cœur canayen. Il aime, comme s'ils étaient ses propres fils, Henri Bourassa et Armand Lavergne. En fait, Lavergne est peut-être son vrai fils, issu d'une liaison avec Émilie Barthe, femme du juge Joseph Lavergne…

Laurier aime, d'un amour paternel sans limites, ces deux hommes politiques qui, au fond, le présentent aux électeurs canadiens-français comme un traître. Il ne tolère pas qu'on dise d'eux quelque chose de mal en sa présence; mais il les contredit au sujet des droits des minorités de langue française et de la participation aux guerres impériales, afin, prétend-il, de sauver le Canada de la fureur orangiste.

Dans sa lutte parricide contre Laurier, Bourassa ira jusqu'à risquer sa vie en faisant, en 1914, à Ottawa, un discours contre la participation canadienne à la Première Guerre mondiale, dans une salle envahie par des impérialistes britanniques enragés, prêts à le lyncher. Ce qui ne l'empêchera pas, en 1935, aux Communes, de bondir lorsque le député conservateur J. J. MacDougall lui demandera pourquoi il a trahi Laurier. Bourassa quitte son siège, arpente l'allée centrale de la Chambre et se plante devant MacDougall 0 «Laurier, je l'ai aimé toute ma vie!», s'écrie-t-il. La voix étranglée par les larmes, Bourassa révèle que, lors de la crise de la conscription de 1917, Laurier, trahi par ses protégés anglo-saxons, l'a pressé contre son cœur en lui disant 0 « Je sais maintenant où sont mes vrais amis. »

À la veille de sa mort, Bourassa ne cessera de décrier le nationalisme outrancier des Canadiens français, en lisant et en annotant les discours de Salazar, nationaliste assurément au-dessus de tout soupçon… Mais, lors de la Seconde Guerre mondiale, quand il s'opposait à la conscription et appuyait le Bloc populaire, il redevenait, pour les Anglais, un traître et un séparatiste. Seuls les Anglais savent résoudre les contradictions de Bourassa, c'est-à-dire nos propres contradictions.

Croyant ternir à jamais la réputation de la lignée Papineau-Bourassa, Fernand Ouellet, brave historien loyaliste, a insinué que Julie Bruneau, femme de Louis-Joseph Papineau, a contaminé le reste de la famille par sa présumée folie. Plus policé et plus philosophe, Robert Rumilly, au terme de son admirable biographie de Bourassa, se contente de prononcer le mot « énigme ». Oui, l'énigme de notre folie collective.

Robert Rumilly, Henri Bourassa, réimpression, Éd. du Marais, 2000.|198| 
377|Tel oncle, tel neveu|Michel Lapierre|

Livre (Lactence Papineau 0 Correspondance (1831-1857))



Lactance Papineau (1822-1862), médecin curieux de tout, était né pour être politiquement plus près de son père Louis-Joseph que de son neveu Henri Bourassa. À dix-sept ans, il arrive à Paris, où son père, victime de la répression anglaise, s'est exilé. Homme des Lumières, républicain modéré, Lactance est épris de liberté. Les Anglais, surtout ceux du Canada, sont loin de trouver grâce à ses yeux. Nous «avons subi la rage, écrit-il, et souffrons encore le joug odieux et brutal de la horde la plus barbare de cette grande race de pirates ».

Son rêve le plus cher est l'indépendance de son pays jusqu'au jour où, après son retour au Canada, il se met à avoir des apparitions. Revenu en France, il oublie le joug britannique et se sait investi d'une grande mission0 celle de purifier l'Église canadienne. Il se présente comme le frère Jésus-Marie, a la tête remplie de projets, tous plus saints les uns que les autres, et souhaite, bien sûr, rencontrer le pape pour lui en faire part. Il meurt en France, à l'âge de quarante ans. À l'asile.

Voilà la caricature tragique de la carrière de Henri Bourassa, qui naît presque six ans plus tard, et, peut-être bien, la caricature tragique de notre carrière à nous tous.

Correspondance (1831-1857), Lactance Papineau, Comeau et Nadeau, 2001|198| 
378|Patrice Desbiens à vif|Jean-Claude Germain| Dans les années 80, Patrice Desbiens passait presque tous ses après-midi assis à une table du Vesta Pasta Caffé qui faisait le coin des rues Elm et Elgin à Sudbury. C'était son bureau, précise Robert Dicskson. Avec de grandes fenêtres, complète l'intimé qui a le sens du raccourci. Je vivais dans une cuillère au fond d'une vieille tasse de café.

Dickson signe la préface de Sudbury (Éditions Prise de parole, 2000) qui réunit sous une même couverture les trois recueils qui ont marqué l'entrée en scène et l'avènement du poète majeur dans le paysage littéraire québécois 0 L'espace qui reste (1979), Sudbury (1983) et Dans l'après-midi cardiaque (1985).

Robert conduit sa Lada à travers la neige et les débris du samedi soir à Sudbury. La soirée était plutôt floue mais pour Patrice, l'image est toujours aussi nette. La voiture se conduit seule. Comme un cheval, fidèle, elle connaît le chemin du retour. Robert se tourne sur lui-même et jase avec nous. I hate this fucking town, il dit en fouillant ses poches pour une cigarette.

Bienvenue aux blondes

Pour pénétrer dans l'univers du poète, il suffit de franchir le seuil du café ou du bar auquel il accorde sa faveur du moment, se glisser à une table et commander un verre de vin blanc, un scotch ou une bière.

À Sudbury, on s'ennuie tous de nos blondes, lance Desbiens à la ronde. C'est son privilège de parler haut en public. Nul mieux que lui n'a su trouver les mots pour traduire le non-dit franco-ontarien. Ma blonde est folle et moi aussi / mais j'aime mieux remplir ma blonde / que remplir une formule du Conseil des arts. Il glousse et l'œil pétillant de malice, il enfile sa bière d'un trait.

Peu importe l'heure ou la saison, à Sudbury, le seul sujet de conversation, c'est Sudbury, à moins de se rappeler à l'occasion qu'on vient d'ailleurs. C'est le cas de Patrice Desbiens. Quand j'étais à Timmins / il y a très longtemps / je vivais dans moi / comme dans une mine / comme dans la mémoire noire / d'une mine / remplie d'immigrants / enterrés vivants.

L'approche du pâté chinois

Saisi du mal du pays, le poète se laisse entraîner dans une nostalgie douce amère. Je revois ma mère / fière comme un confère / et catholique comme un chemin de campagne / une vraie sainte / avec une prière sous chaque assiette / et un pâté chinois / qui fume comme une pagode / où il faut enlever ses souliers / avant d'entrer.

L'effet de la métaphore est coupé par un vacarme d'enfer. Tous les yeux se tournent vers la fenêtre du café. Un balcon se détache / du bloc-appartement / de l'autre bord de la rue / et s'écrase sur le gazon / comme un désastre aérien. Desbiens, qui a noté l'incident, porte machinalement son verre à ses lèvres pour le déposer aussitôt. Est-ce que ceci pourrait être / l'avant-garde / de quelque chose d'essentiel ? se demande-t-il en baissant le ton comme un animateur de lignes ouvertes.

Avec le calme qui est revenu dans le café, le poète peut reprendre sa métaphore là où il l'avait laissée. Mais le plat a eu le temps de refroidir. Le fils ne parle plus de sa mère maintenant, mais d'une fille qu'il a connue, Angèle. Elle était en pleine / crise d'amour / elle me téléphonait 0 / « Viens faire un tour, viens jaser, / il reste un peu de pâté chinois… » Comment aurait-elle pu deviner que c'était une offre que Patrice Desbiens ne pouvait refuser ? Un pâté chinois était le plus / près d'un orgasme que je pouvais / m'approcher durant cette période / de ma vie.

Où cé qu'tu t'en vas comme ça, mon Patrice ?

Lorsque le poète passe de la bière au vin blanc et qu'il se récite des vers à lui-même, ce n'est plus de celle dont il rêvait de fouiller les secrets blonds et blêmes qu'il s'agit. C'est d'une autre. Toujours la même. L'inoubliée et l'inoubliable. De temps en temps, je pense encore à toi / j'ai une peinture de toi dans le musée de mon cœur / mais l'éclairage est un peu flou et je ne me rappelle plus du nom du peintre.

Toujours le même film qui repasse avec les mêmes acteurs. Tout ce qu'on a fait ensemble, tout ce qu'on s'est dit / me passe dans la tête détail par détail comme un documentaire / Et je pense 0 je pourrais écrire un poème qui commence avec 0 / il y a des femmes à Sudbury qui te font haïr les chansons d'amour.

L'amour peut naître d'un coup de foudre mais il se détruit lentement. Phrase par phrase / l'amour se défait / Des trous se font dans la conversation / Elle dit 0 « Je suis vide » / Il dit 0 « rien » / Elle dit 0 «Je n'en peux plus » / Il dit 0 « Je t'aime» / Dehors la pluie pleure sur la ville.

Mot à mot / l'amour devient une métaphore / tandis que la lune pend / comme une tumeur au cœur / de Sudbury samedi soir.

Brusquement, le poète se lève et se précipite en coup de vent vers la sortie. Où c'est qu'tu t'en vas comme ça, mon Patrice ? lui demande la waitress un peu pompette. La réplique est sans réplique. Je m'en vais où la réalité est un bouncer qui s'excuse / en te crissant à porte.

Comme un bateau dans une bouteille

À la nuit tombée, le poète est un pilier du Whistle Stop, Sudbury's House of the Blues. Il s'y rend pour jouer de la batterie, faire la plonge ou écouter les groupes qui s'y produisent.

Au milieu du brouhaha, du chahut et du tintamarre, les poètes sudburois poursuivent leur entretien infini sur la poésie. Mon ami Robert Dickson me dit 0 / L'Écriture C'est Une Discipline / je me vide un autre scotch / et je me concentre. Assis au bar, le poète s'accroche à son verre comme à une bouée en haute mer. Le verre de scotch n'est pas un poème. /Je le tiens dans ma main. / Il a la solidité et la résilience / de l'arbre qui a tué / Albert Camus.

À Sudbury, on ne craint pas tant la mort que la vie qui est un perpétuel lendemain de veille. Le temps passe et je me ramasse comme un bateau dans une bouteille.

Comme un veston de robineux

Le poète ne sait plus très bien s'il pleure au lever ce qu'il a enterré au coucher, ou s'il porte le deuil de ce qu'il a perdu à tout jamais. Je me réveille au son de ma voix qui soupire ton nom dans l'oreiller sale de l'aube. / Je me réveille au creux de la distance, je me réveille à Sudbury, dans la lumière de ton absence. / Je me réveille au son d'une pelle qui gratte la neige et tout recommence.

Ce matin, pour changer le mal de place, le poète débutera sa journée au Peggy's Lunch. La fumée de la grande cheminée de Sudbury / fouette le ciel comme une chemise de travail maculée de sueur qui colle au dos / et la neige est de la même couleur que mon café.

Saisi par l'inspiration ou par une crise d'angoisse existentielle, il s'arrête sec, à l'intersection de la rue Elm et de la rue Elgin, pour battre des ailes comme un albatros, et hurler à pleins poumons qu'il est poète, et que la poésie doit être vaste comme un veston de robineux.

Sudbury, poèmes 1979-1985, Patrice Desbiens, les Éditions Prise de parole, 2000|198| 
379|À quoi bon la rigueur sans la vigueur|Jean-Claude Germain|

Livre (Chu ben comme Chu)



J'ai sûrement l'esprit mal tourné. Les perles, fautes et bourdes, puisées dans les bulletins de nouvelles de la télévision et réunies dans la toute dernière compilation du genre de Georges Dor, ne m'ont pas horrifié comme elles l'auraient dû. Pour tout dire, je trouve même un certain charme poétique à voir le vent prendre un petit peu de ralenti. L'expression est fautive mais ce n'est pas nécessairement une faute d'observation.

J'en connais un d'ailleurs qui se fait un malin plaisir de prendre son élan derrière la grange pour tourner le coin à l'improviste et m'arracher ma casquette en se bidonnant. Depuis le début des temps, l'être humain a cherché, même en les déifiant, à humaniser les éléments. Lorsqu'un vent souffle d'importance, il lui arrive parfois de tituber comme un coureur épuisé, de hoqueter comme un moteur qui s'étouffe ou d'expirer par bourrées pour retrouver sa vitesse de croisière 0 différents états venteux qui peuvent donner l'illusion d'un ralentissement.

Cela dit, Georges Dor n'a pas tout à fait tort de se désoler; la plupart des erreurs sont sottes et bêtes. Faut-il instaurer une autopolice de la langue pour aller de pair avec l'autocensure ? À quoi bon la rigueur sans la verdeur ? Pour décrire à chaud, les journalistes ont besoin de vocabulaire et non, comme c'est le cas présentement, de tout ce répertoire d'expressions convenues et à tout usage qui ont le don de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, comme ces deux canassons de Blue Bonnets qui n'ont jamais croisé le fer que dans la chronique d'un rédacteur sportif en rupture de stock d’images.

Chu ben comme chu, Georges Dor, Lanctôt Éditeur. 2001|198| 
380|Processus de paix compromis en Irlande du Nord|Pierre Dubuc| Le 16 mars dernier, l’aut’journal a rencontré Madame Bairbre de brún, députée du Sinn Féin et ministre de la Santé à l’Assemblée législative de l’Irlande du Nord. Nous avons pu faire le point sur la situation qui prévaut actuellement en Irlande du Nord.

L’Accord du Vendredi Saint se porte mal », de nous dire Mme de brún en soulignant qu’elle et son camarade, Martin McGuinness, ministre de l’Éducation, sont exclus par le premier ministre David Trimble de toute participation au Conseil des ministres de toute l’Irlande. « C’est de l’apartheid politique », lance-t-elle.

Pire encore, on assiste depuis quelque temps à une recrudescence de la violence contre les catholiques. « Au cours des dix dernières semaines, il y a eu 80 attaques de maisons catholiques à la bombe et au fusil par des paramilitaires loyalistes », de nous dire dans un excellent français cette ancienne professeure de français et de mathématiques à Belfast.

Le désarmement s’applique également aux loyalistes protestants

Cela peut se produire parce que ni les Unionistes, ni le gouvernement britannique n’ont honoré les obligations qui étaient les leurs en vertu de l’Accord du Vendredi Saint de 1998. « Le gouvernement britannique a renié ses promesses de démilitariser l’Irlande du Nord et de mettre sur pied une force policière radicalement nouvelle comme cela était prévu dans les accords », rappelle Mme de brún.

Par contre, les Républicains ont honoré tous leurs engagements. « L’Armée républicaine irlandaise (IRA) a maintenu son cessez-le-feu, ouvert ses caches d’armes aux inspecteurs internationaux et engagé des pourparlers avec la Commission internationale indépendante au désarmement », souligne la députée du Sinn Féin.

« De l’autre côté, les armes pullulent chez les loyalistes, que ce soit chez les milices, les policiers, les individus au point où le général canadien John de Chastelain a souligné dans son rapport que le désarmement devrait être réciproque », de dire Mme de brún.

Rappelons que l’Accord du Vendredi Saint prévoyait l'établissement d'un exécutif mixte, une assemblée semi-autonome, une réforme de la police, le désarmement des paramilitaires, la libération de leurs détenus, une coopération avec Dublin et des investissements économiques.

Le Sinn Féin doit s’armer de patience pour atteindre ses objectifs

Elle rappelle que ce sont les Républicains qui sont à l’origine du processus de paix et qu’ils soutiennent toujours les Accords du Vendredi Saint. « Nous avons fait preuve de beaucoup de patience avec un processus politique qui a titubé de crise en crise et vacillé parfois au bord de l’effondrement au point où cela a pu parfois causer quelque confusion quant à la direction prise par les Républicains », a-t-elle reconnu.

Aussi, Mme de brún a jugé nécessaire de réaffirmer les objectifs du républicanisme irlandais 0 « Nous sommes pour une Irlande unie, libre et indépendante. Nous sommes pour la paix et la justice. Nous rejetons la partition de notre pays. Nous rejetons la domination britannique sur quelque partie de l’Irlande que ce soit. Nous voulons une Irlande unie. »|198| 
381|La fièvre aphteuse 0 une maladie néolibérale !|Pierre Dubuc|Le 17 février 1998, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture lançait cet avertissement 0 « Des mesures plus strictes en matière de prévention doivent être prises sinon l'Europe sera, tôt ou tard, aux prises avec les ravages que ces maladies animales épidémiques peuvent entraîner. »

L'Europe a fait la sourde oreille. La Grande-Bretagne a fait pire. Le ministère britannique de l'Agriculture a fermé la moitié des 43 centres sanitaires employant les 303 vétérinaires chargés de surveiller les troupeaux. Il en alla de même pour les laboratoires gouvernementaux chargés de dépister les virus. Soixante postes de vétérinaires furent même supprimés lors de la maladie de la vache folle !

Cette déréglementation s'effectua dans un contexte de concentration de la production. Cinq grands groupes contrôlent totalement la distribution et imposent leurs vues et leurs prix aux industriels-paysans dont le nombre et les revenus sont en déclin constant. Au cours des dix dernières années, un quart des fermes a disparu et le revenu annuel moyen du métayer britannique ne dépasse pas 10 000 $ par année. De plus, les trois quarts des abattoirs ont fermé, ce qui oblige le transport des animaux sur de longues distances, augmentant d'autant les risques de contagion.|198| 
382|Même combat contre les civils|André Maltais|

Plan Colombie et ZLEA



On dit souvent que le Plan Colombie utilise le trafic de drogue comme prétexte à éliminer les guérillas des FARC et de l'ELN. Mais, de passage à Montréal dans le cadre d'une tournée pour « rendre visibles » leurs luttes, des représentants de la vraie « société civile » colombienne sont venus nous dire que, au stade de la mondialisation et de la ZLEA, tuer des guérilleros est bien moins important que de tuer des civils ou déplacer les populations de régions convoitées par les pillards internationaux du libre-échange. Même que, une guérilla, ça aide !

Ce n'est pas une guerre conventionnelle qui se déroule en Colombie, une guerre entre deux armées. Ce n'est pas une guerre civile, mais une guerre contre les civils. » Ainsi s'exprime Carlos Alfonso Rosero, du Mouvement des communautés noires de Colombie.

Depuis 1997, les communautés afro-colombiennes concentrées le long de la côte du Pacifique sont déplacées par les exactions conjuguées de l'armée et surtout des paramilitaires.

« Avec l'intensification de la guerre et les fumigations de récoltes de coca dans le cadre du Plan Colombie, on ne se gêne même plus pour bombarder à grande échelle comme on l'a fait récemment le long du Rio Sucio, forçant plus de 3000 familles à prendre la route. L'armée s'est ensuite excusée d'une soi-disant erreur », de nous dire M. Rosero

« Les terres abandonnées par les déplacés sont destinées à l'État, à qui le FMI conseille de les réserver à des projets d'infrastructures pour moderniser le pays ou de les louer à des multinationales étrangères. Les nettoyages de civils ont souvent lieu dans des zones économiques spéciales comme celle de Buenaventura, ville portuaire qu'on veut transformer en l'un des plus grands ports au monde. »

Les militaires ont des amis

« Entre-temps, ce sont des cadres militaires qui revendent à leurs amis (souvent des narcotrafiquants) les terres que l'État n'ose pas prendre tout de suite. Cette perspective d'enrichissement rapide par la spéculation est la meilleure des motivations à continuer cette guerre non déclarée aux civils. »

Ezequiel Vitonas Talanga fait partie du projet Nasa, vaste réforme agraire populaire que les Indiens de la vallée du fleuve Cauca ont réalisée sur leur territoire. Le projet s'est mérité le prix national du meilleur plan de développement régional en 1998, en plus d'un prix international de la paix en l'an 2000. Il constitue un obstacle pour ceux qui veulent offrir le pays aux étrangers.

« Il y a un lien direct entre la mondialisation et nos souffrances, explique M. Talanga. Ainsi, la loi Paez de 1997 faisait de notre région une zone exempte d'impôts pour les investisseurs étrangers. Les compagnies se sont aussitôt amenées à proximité de nos terres (en fait, entre elles et des régions contrôlées par les FARC) et se sont fait accompagner par l'armée et les paramilitaires pour protéger leurs biens. »

Estomacs ouverts

« Après quelques massacres de paysans rapidement imputés aux guérilleros pour convaincre les populations locales du bien-fondé de leur présence, ajoute M.Talanga, les paramilitaires passent à leur véritable mission 0 semer la violence partout pour faire fuir les populations. Ils font disparaître ceux qui ne fuient pas en les tuant et en les balançant dans le Cauca après avoir pris soin de leur ouvrir l'estomac pour qu'ils restent au fond de l'eau. »

« La Colombie est un cobaye de la mondialisation, poursuit M.Talanga. On y expérimente différentes manières de se débarrasser du principal obstacle qui, loin d'être la guérilla, est la population civile. Une population jugée irrécupérable et qui a le malheur de vivre au-dessus d'un sous-sol riche en or et en pétrole, aux abords de rivières dont on veut s'approprier l'eau douce, et de forêts dont on convoite la bio-diversité. »

Pour Carlos Alfonso Rosero, «l'affrontement des deux armées est la dernière chose qui va arriver en Colombie. Cela aura lieu seulement quand on jugera que le nettoyage civil dont ont besoin les marchés est réalisé de façon satisfaisante. »

Une guérilla bien traitée

Agustin Reyes, représentant du Réseau paysan Communautés et territoires pour la paix, abonde dans le même sens 0 « Nous disons que le Plan Colombie a besoin des guérillas. Sans elles, les paramilitaires et l'armée deviendraient vite une force abusive aux yeux du monde entier.»

« C'est pourquoi nous assistons à ce simulacre de négociations de paix qui n'aboutissent jamais, à la saga de la zone démilitarisée, à des trafics d'armes qu'on laisse plus ou moins faire; tout ça, sans vraiment inquiéter Washington. Il est bien plus facile, en Colombie, de tuer un syndicaliste ou un autochtone qu'un guérillero. »

Les cinq représentants populaires rencontrés par l'aut'journal décrivent leurs luttes comme «invisibles ». Luttes qui, à cause de cette invisibilité, coûtent la vie à un grand nombre de civils sans que le moindre châtiment ne soit appliqué aux assassins.

Un paramilitaire dans son lit

« Dans les villages, et même dans certains quartiers des grandes villes, raconte Dora Guzman, de l'Organisation féminine populaire de Barrancabermeja, les paramilitaires frappent aux portes des maisons et exigent la clé. Souvent, ils reviennent s'installer chez les familles terrorisées, dormant dans leurs chambres, mangeant à leur table. »

« Les groupes de femmes accompagnées de membres d'organisations internationales évacuent les familles avant qu'elles soient tuées, les prennent en charge, les protègent. Mais les paramilitaires massacrent les paysans qui nous donnent de la nourriture et on se demande qui va bientôt alimenter ces réfugiés ! », précise Dora Guzman. « Certaines villes de la région du Magdalena Medio abritent déjà dans des conditions infra-humaines plusieurs centaines de familles de réfugiés. Ces villes n'ont aucune ressource à offrir parce que le gouvernement s'en fout complètement », poursuit-elle.

Sur la côte Pacifique, Buenaventura a vu arriver 4270 réfugiés au cours des dernières semaines. Le Mouvement des communautés noires a déclaré la ville «zone humanitaire » et s'occupe de procurer nourriture et médicaments à ces réfugiés, de protéger leurs leaders et d'alerter les zones où des massacres se préparent.

L'armée collabore

« Il y a tellement de collaboration entre l'armée et les paramilitaires, dit Agustin Reyes, qu'il est facile de prévoir ces massacres. En général, les paramilitaires débarquent là où, une ou deux semaines auparavant, a eu lieu un contrôle militaire. L'armée prépare le terrain aux paramilitaires, donne les noms des personnes à tuer. Et puis, quand les massacres arrivent, les soldats arrivent trop tard, même s'ils sont à cinq minutes de là. »

Patricia Burutica de la Centrale unie des travailleurs (CUT) renchérit 0 « Les paras font des visites dans les locaux des syndicats et donnent huit jours pour fermer l'endroit. Quelque temps après, commencent les massacres et assassinats sélectifs. »

« On a prouvé que certaines entreprises comme la Indupalma (une plantation d'huile de palme) embauchent des paramilitaires pour dé-syndiquer leurs travailleurs ou en empêcher d'autres de se syndiquer. »

L'argent et les fusils

« Nous défendons les valeurs humaines contre la culture de la violence où seuls parlent l'argent et les fusils, ajoute Agustin Reyes. Nous voulons une autorité plus morale, plus respectueuse de la vie, plus solidaire, plus soucieuse de l'éducation. Nous voulons soustraire à une exploitation trop agressive nos ressources génétiques, climatiques, notre eau. C'est notre patrimoine et aussi celui du monde. »

« Nous voulons faire connaître nos luttes, les rendre visibles , parce qu'en ce moment seule la crainte des pressions internationales retient un peu les paramilitaires. Néanmoins, le nombre de déplacés en Colombie correspond à toute la population de Montréal (trois millions de personnes) et les civils tués se comptent annuellement par milliers. »

« Nous voulons également vous demander jusqu'où vous allez tolérer un modèle de développement qui fait des victimes partout. Pas seulement chez ces pauvres petits Colombiens, si pauvres avec leur or, leur eau douce et leur pétrole!»

Courageux investisseurs canadiens !

L'aut'journal se permet de compléter une entrevue de La Presse (14 mars) avec nos camarades colombiens et intitulé 0 Investissements canadiens dénoncés par des Colombiens.

Le hic dans cet article, c'est qu'aucun de ces investisseurs sans peur et sans reproche n'est nommé ! Complétons donc l'article avec les noms des principaux d'entre eux 0 Bata Shoes, Bell Canada, Kappa Energy, Occidental Petroleum Canada, WestCan, McCain Foods, Northern Telecom, Quebecor Printing, Royal Group, Seagrams, Radarsat, Alberta Energy, Talisman Energy, Enbridge, Trans-Canada Pipeline.|198| 
383|Panne d’électricité 0 la Californie lorgne les richesses hydro-électrique du Chiapas|Pierre Dubuc|Pour comprendre les enjeux de la confrontation entre Marcos et les zapatistes d'une part et le gouvernement mexicain de Vicente Fox d'autre part, il faut savoir que l'État du Chiapas est immensément riche en ressources naturelles. Le Chiapas possède les plus importants gisements de pétrole du pays ainsi que les plus importantes réserves de gaz. Il fournit également 40 % de l'énergie hydroélectrique, ce qui permet au Mexique d'alimenter la Californie touchée actuellement par de graves pénuries de courant.

On imagine facilement l'intérêt des États-Unis pour cette région. Le président Bush a déclaré lors de sa récente rencontre avec le président Fox que la sécurité énergétique des États-Unis était sa priorité.|198| 
384|L’effet « placebo des médias »|Louis Préfontaine|

L’information « à deux vitesses » sur la santé



Lors d’un huis clos, quelques heures avant la sortie officielle du Rapport de la Commission Clair, divers organismes, groupes et individus étaient invités par cette dernière à prendre connaissance de son contenu. En choisissant elle-même ceux qui auront la chance de lire le rapport avant les autres et donc de présenter leur appréciation à des journalistes n’ayant pas eu le temps de se taper ses 454 pages, la Commission s’assurait que les premiers commentaires, si importants pour faire l’opinion publique, seraient positifs. Et, en n’invitant pas la Coalition Solidarité-Santé, pourtant un des groupes les plus importants au Québec sur cette question, la Commission agissait de façon à ce que rien n’entrave sa petite fête.

« La population va être perdante ; on ne va pas vers les objectifs qu’on prétend défendre », affirme Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition Solidarité-Santé. « La Commission, souligne-t-elle, propose de remettre en question l’accessibilité, la gratuité et l’universalité du système de santé. »

À ce sujet, une des principales recommandations fait titiller 0 celle de revoir annuellement le panier des services assurés. Toutes les révisions depuis 1982 se sont soldées par le retrait des assurances de services 0 physiothérapie, soins dentaires des enfants de 10 à 16 ans, soins d’optométrie, etc.

Les résultats sont connus. Absence de soins pour les plus pauvres et recours à des assurances privées pour ceux qui en ont les moyens.

Le prix des médicaments continue d’augmenter de près de 15 % annuellement, mais la Commission Clair n’a pas jugé pertinent de revoir les règles du jeu qui drainent des millions de dollars des contribuables vers les compagnies pharmaceutiques. On préfère mettre le blâme sur le vieillissement de la population, un fait connu, mais prévisible depuis longtemps.

La porte à la facturation est grande ouverte

Ce n’est certainement pas le commissaire Gérard A. Limoges qui aurait eu le courage de dénoncer le pillage des ressources publiques par ces compagnies transnationales pour qui « médicaments » rime avec « argent » plutôt qu’avec « patient ». M. Limoges siège sur le conseil d’administration de Supratek Pharma inc., une compagnie pharmaceutique œuvrant en anglais au Québec.

Pour réduire les coûts, la Commission met plutôt de l’avant le principe de « subsidiarité », un euphémisme pour désigner la sous-traitance. Nous savons qu’en dehors des établissements publics, rappelle la Coalition, « la porte est grande ouverte à la facturation d’une panoplie de frais connexes (comme dans les cabinets privés) ou à la tarification des services (comme dans le cas des services d’aide domestique) ». Là encore, c’est une fenêtre ouverte aux compagnies d’assurances pour proposer des plans complémentaires.

Les médecins sont des gérants de cabinet

La proposition de créer des Groupes de médecine familiale, dont les médias ont dit tant de bien, est largement inspirée d’une étude de la firme de consultants SECOR commanditée par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). L’étude aborde la pratique médicale d’un point de vue marchand. « Les médecins, y lit-on, préfèrent que leur cabinet soit considéré comme une entreprise plutôt que comme un organisme public. Mais, pour obtenir cette reconnaissance, ils doivent se comporter comme s’ils géraient une compagnie. »

La volonté de privatisation se confirme avec le désir exprimé par la FMOQ de s’assurer que les cabinets privés demeurent la principale porte d’entrée du système de santé, au détriment des CLSC. « La nouvelle orientation suggérée dans le Rapport SECOR constitue un changement majeur. Aussi important que le coup de barre donné en 1973 », peut-on lire dans le Médecin du Québec de mars 2000. « À cette époque, précise-t-on, devant les CSLC naissants qui risquaient de devenir la principale porte d’entrée des soins médicaux généraux, la Fédération a poussé les cabinets privés à se regrouper en cliniques et en polycliniques. Une opération réussie. »

La Commission retient l’idée de cliniques privées, dites affiliées, fonctionnant en complémentarité avec le secteur public. Ces cliniques, nous dit la Coalition Solidarité-Santé en citant l’exemple albertain, ne sont que des hôpitaux privés où « on offre systématiquement à la clientèle un service amélioré, contre un léger supplément bien sûr ».

Là aussi, les compagnies d’assurances s’empresseront d’offrir des couvertures supplémentaires moyennant « un léger supplément ».

En fait, toute la formule des Groupes de médecine familiale n’est pas sans rappeler les HMO américains de triste réputation qui sélectionnent leur clientèle, écartant les gens trop à risques.

Une catastrophe ne vient jamais seule

La Commission propose également de rééditer la catastrophe de l’assurance-médicaments avec son projet d’assurance-vieillesse. Rappelons que la prime maximale de l’assurance-médicaments, originellement à 175 $, a doublé à 350 $ en juillet 2000 et s’élève maintenant à 375 $ par personne.

Le danger de la création d’une caisse d’assurance-vieillesse vient du fait qu’elle doit s’autofinancer à même une contribution fiscale et obligatoire sur les revenus individuels de tous (travailleurs au salaire minimum, sans-emploi, personnes assistées sociales, aînés, etc.). C’est là une taxe régressive plutôt que progressive. Cela au moment où, signale la Coalition Solidarité-Santé, « le gouvernement a réduit la contribution des employeurs au Fonds des services de santé ».

Étouffer l’opposition démocratique

La Commission Clair propose de revoir la composition des régies régionales de la santé, dont les membres sont élus et souvent issus du milieu communautaire. Cela explique que les régies, fortes de leur autonomie, se sont opposées depuis deux ans aux coupures du gouvernement.

On voudrait que les conseils d’administration soient réduits de 21 à 14 membres et que ceux-ci soient choisis par le gouvernement. Un député serait également invité à faire partie de chacun des conseils d’administration. « La Commission désire que les régies ne soient plus des instances susceptibles de contester le gouvernement », affirme Marie Pelchat.

Un léger « supplément » de manipulation

En somme, la Commission Clair a doublement raté son coup. Elle n’a pas été en mesure de pointer du doigt les causes réelles de l’explosion des coûts de la santé, soit principalement les médicaments. De plus, elle propose d’appliquer la même logique marchande à d’autres secteurs du système pour le plus grand bénéfice des compagnies d’assurances. Faut-il se surprendre qu’elle en soit rendue à manipuler les médias pour repousser dans le temps toute critique constructive du rapport ?|196| 
385|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Ça prend 140 cochons pour faire un jars

On n’en a parlé que peu (une brève dans Le Devoir du 19 janvier) et pourtant, le monsieur qui plastronnait au Téléjournal la veille, au nom de la Pétrolière Impériale, se pétait les bretelles avec des airs de jars suffisant. S’adressant sans honte aux cochons de payants – qui, le jour même, avaient vu le prix du litre d’essence augmenter de cinq cents à la pompe – il se vantait du fait que la compagnie dont il est le porte-parole, le numéro un canadien du pétrole, avait augmenté ses bénéfices de 140 % pour le quatrième trimestre de l’an 2000.

C’est-y pas merveilleux ça ? Une augmentation qui surpasse toutes les attentes des « analystes », pourtant payés pour voir venir les profits. Bénéfices 0 492 millions $ en quatre mois, par rapport à 205 millions (seulement ?) pour la même période l’an dernier (triste année). Et le monsieur, fier comme un paon des succès de l’entreprise qui lui verse un salaire, avait vaguement l’air de trouver ça très drôle, comme s’il s’était plu à narguer les imbéciles de consommateurs auxquels il s’adressait.

Combien de salariés ont vu leurs revenus augmenter de 140 % – même sur une période de dix ans ? Quelle part de ces profits l’Impériale compte-t-elle partager avec ses employés ? Quel admirable système politico-économique permet une telle répartition des biens et des profits ? Mais le capitalisme néolibéral, bien sûr !

Plus on réduit, plus on augmente

Et il faudra s’y faire, car le nouveau papa-qui-est-à-Washington (jadis appelé « notre-père-qui-êtes-aux-cieux ») projette de réduire les impôts de 1 300 milliards $ (oui, vous avez bien lu 0 mille trois cents milliards de dollars) en dix ans. Cette somme faramineuse, que n’auront pas à verser à l’État ceux qui gagnent 100 000 $ et plus par année, s’inscrit dans un procédé permettant, du même coup, de réduire les prestations d’aide sociale. Et comme on sait que quand l’oncle Sam pète, ça pue chez les voisins, on peut s’attendre à devoir porter des masques à gaz pendant quelques années au moins, prix à payer pour vivre si près du bout de la merde, les É.-U.

Un infirmier ne vaut pas une balle de baseball

Donc, ne retournera à l’État qu’une infime partie seulement des deux cent cinquante-deux millions de dollars que touchera, au cours des dix prochaines années, le joueur de baseball Alex Rodriguez, des Rangers du Texas. Incidemment, le principal actionnaire de cette équipe était encore, il y a moins d’un an, un certain George Bush Junior.

Heureusement, Réjean Tremblay remet les pendules à l’heure en nous rappelant à tous, dans La Presse du 13 décembre dernier, que des travailleurs se plaignent de devoir besogner de longues heures pour 20000 $ par année, trouvant injuste que Rodriguez gagne 25,2 millions par saison. « Ce n’est pas injuste, précise le commentateur, ils n’avaient qu’à apprendre à frapper une balle de base-ball au lieu de sauver des vies comme infirmiers ! Que voulez-vous que je vous dise, Karl Marx est mort et enterré... »

L’important, c’est la sacoche !

Après son triple numéro de grand perdant politique (il a coulé le Parti conservateur du Canada, abandonné le Bloc québécois au bord de l’abîme, puis démoniaquement tué dans l’œuf le projet d’indépendance du Québec), Lucien Bouchard peut se retirer de la scène publique. Mission accomplie 0 il est parvenu à ternir l’idée même de la souveraineté aux yeux des Québécois. Il semble hélas n’y avoir déjà aucun doute quant à sa succession et le Parti se regroupera derrière qui ? Derrière son ministre des Finances, bien sûr.

Le PQ a tellement peur de rater le bateau « yankee » de la haute finance, de ne pas être à la hauteur (ou à la bassesse) du mode de fonctionnement économique américain qu’il confie toutes ses billes au grand spécialiste des finances. L’homme qui manipule l’argent chez nous, celui dont les thèses ont mené aux fermetures inconséquentes d’hôpitaux, à la mise à pied de milliers d’infirmières et qui a entreposé quelques centaines de millions en Ontario pour les jours sombres – le tout pour pouvoir se péter les bretelles en affirmant que le Québec n’a plus de déficit budgétaire – cet homme dirigera le Parti. Il faut sans doute s’attendre à un Québec appauvri, qui se pliera comme il se doit aux règles du néolibéralisme et de l’économie planétaire pour mieux « prendre sa place dans le concert des nations » (entrée des violons). Ainsi, si on parvient à se libérer du joug canadian, ce ne sera que pour mieux se placer la tête dans le carcan américain.|196| 
386|La guerre nucléaire de faible intensité|Michel Chossudovsky|

Il suffisait de l’inventer



Le décès des suites de leucémie de huit soldats des forces du maintien de la paix italiennes stationnées en Bosnie et au Kosovo a créé tout un tumulte au Parlement italien, après que le journal La Republica ait coulé un document militaire secret. Au Portugal, le ministre de la Défense s’est retrouvé impliqué dans ce qui semble être une tentative de camouflage de la mort du caporal Hugo Paulino. L’armée a déclaré qu’il était mort d’un « herpès du cerveau », mais a refusé de permettre à sa famille de faire procéder à une autopsie. Au milieu de pressions populaires croissantes, le ministre portugais de la Défense Julio Castro Caldas a avisé en novembre dernier le quartier général de l’OTAN que son pays retirait ses troupes du Kosovo 0 « Nous ne laisserons pas nos soldats devenir de la viande à uranium », a-t-il déclaré.

Au fur et à mesure qu’augmente le nombre de cancers parmi les membres du contingent du « maintien de la paix », l’OTAN a de plus en plus de mal à les camoufler. Plusieurs gouvernements européens ont été obligés de reconnaître publiquement de « prétendus risques de santé » découlant de l’utilisation des obus d’uranium appauvri utilisés par les forces de l’OTAN lors de la guerre de 78 jours contre la Yougoslavie.

Les médias occidentaux ont évoqué une apparente dissension au sein de l’alliance militaire. Mais il n’y avait pas l’ombre d’une divergence entre Washington et ses alliés européens jusqu’à ce qu’éclate le scandale. L’Italie, le Portugal, la France et la Belgique étaient pleinement conscients que des bombes à l’uranium appauvri étaient utilisées. Les impacts pour la santé de ces munitions sont bien documentés et étaient connus des gouvernements européens.

Les partenaires européens de Washington au sein de l’OTAN comme la Grande-Bretagne, la France, la Turquie et la Grèce possèdent dans leur arsenal des armes à l’uranium appauvri. Le Canada est l’un des principaux fournisseurs d’uranium appauvri. Aussi, les pays de l’OTAN portent l’entière responsabilité de l’utilisation d’armes interdites par les conventions de Genève et de la Haye, de même que par la Charte de Nuremberg de 1945 sur les crimes de guerre. Depuis la Guerre du Golfe, Washington a tenté de camoufler les impacts sur la santé des radiations toxiques de l’uranium appauvri connus sous le nom de « Syndrome de la Guerre du Golfe », avec l’appui tacite de ses partenaires de l’OTAN.

Les civils ne respirent pas comme les soldats

Après l’avoir nié jusqu’à tout récemment, l’organisation admet aujourd’hui avoir utilisé des munitions à l’uranium appauvri au cours de la guerre contre la Yougoslavie. Mais l’OTAN déclare que les obus « émettent peu de radioactivité » et que « les débris posant des risques significatifs se dissipent dans l’atmosphère peu après l’impact ». Tout en niant superficiellement « tout lien entre la maladie et l’exposition à l’uranium enrichi », le Pentagone concède néanmoins dans une déclaration ambiguë que « le principal danger lié à l’uranium appauvri survient lorsqu’il est inhalé ».

Et qui inhale la poussière radioactive qui s’est répandue à travers le pays ?

Les déclarations des gouvernements veulent répandre l’illusion que seuls les soldats du maintien de la paix « peuvent être à risque », c’est-à-dire que les particules radioactives ne sont inhalées que par le personnel militaire et les civils étrangers et que personne d’autre dans les Balkans n’est affecté ! On ne mentionne jamais l’impact sur les populations locales.

Complices, les médias ont forgé un nouveau consensus 0 seuls les soldats du maintien de la paix respirent ! Et les autres ? Au Kosovo, quelque deux millions de civils, hommes, femmes et enfants, ont été exposés aux retombées radioactives depuis le début des bombardements en mars 1999.

Uranium appauvri, cancer enrichi

Les premiers signes des effets des radiations, incluant l’herpès sur la bouche et des allergies de la peau dans le dos et les chevilles ont été observés au Kosovo. Dans le nord du Kosovo, le territoire le moins affecté par les obus d’uranium appauvri, 160 personnes sont traitées pour le cancer, en particulier le cancer de l’utérus. Les cas de leucémie ont augmenté de 200 % dans cette région depuis la campagne aérienne de l’OTAN. On note une augmentation similaire du nombre d’enfants nés avec des difformités. Ces informations concernant les victimes civiles – que la Mission des Nations Unies au Kosovo se garde bien de rendre publiques – réfutent l’affirmation de l’OTAN selon laquelle la poussière radioactive ne se répand pas au-delà des cibles visées, qui se retrouvent pour la plupart dans les régions du sud et du sud-ouest près des frontières de l’Albanie et de la Macédoine.

Ces faits sont conséquents avec ce qu’on a constaté en Irak. L’utilisation d’armes à l’uranium appauvri au cours de la guerre du Golfe de 1991 a entraîné à travers l’Irak une augmentation des cancers et de la leucémie, de la maladie de Hodgkin, des tumeurs malignes du tissu lymphatique chez les enfants, de même que des augmentations des maladies congénitales et des déformations du fœtus, avec des membres anormalement réduits et une hausse des anomalies génétiques.

Kosovars ? Connais pas !

Dans le but de continuer à dissimuler la vérité, l’OTAN est maintenant prête à révéler une partie de la vérité. L’alliance militaire – en lien avec les gouvernements des pays membres de l’OTAN – cherche à tout prix à mettre le focus sur les dangers encourus par les « gardiens de la paix » de façon à ce qu’on ne parle pas des civils. Sinon des gens pourraient demander comment il se fait que ces Kosovars, dont nous étions censés venir à la rescousse, se retrouvent aujourd’hui dans le camp des victimes ?

30 000 à 50 000 obus, ça fait pas mal de poussière

Selon les sources de l’OTAN, quelque 112 sites en Yougoslavie, dont 72 au Kosovo, ont été la cible d’obus antichars à l’uranium appauvri. Les forces de l’OTAN ont tiré de 30 000 à 50 000 obus. Des preuves scientifiques confirment que de la poussière radioactive d’uranium appauvri s’est répandue à partir de leurs points d’impact sur un large territoire, laissant croire qu’une grande partie de la province du Kosovo a été contaminée. Selon le radiologiste britannique Roger William Coghill 0 « Les dérivés radioactifs peuvent demeurer suspendus dans l’air pendant des mois. Une seule particule dans les poumons est suffisante, une seule particule peut affaiblir les défenses du corps contre les tumeurs malignes du tissu lymphatique ou de la leucémie. »

L’uranium appauvri relâche un aérosol mortel

Selon la radiologiste de renommée mondiale Rosalie Bertell 0 « Lorsqu’il est utilisé sur les champs de bataille, l’uranium appauvri s’enflamme et relâche dans l’air un aérosol radioactif mortel d’uranium. Cela peut tuer tous les soldats de l’habitacle du blindé. Cet aérosol est beaucoup plus léger que la poussière d’uranium. Il peut voyager dans l’air à des dizaines de kilomètres du point d’impact. Remué par le vent ou les mouvements humains, il peut à nouveau se répandre dans l’air. Les particules sont très petites et peuvent être respirées par n’importe qui 0 un enfant, une femme enceinte, les personnes âgées ou malades. »

Une céramique radioactive collée aux poumons

Rosalie Bertell poursuit 0 « Cette céramique radioactive peut rester collée aux poumons pendant des ans, irradiant les tissus avec des particules alpha dans une sphère d’environ 30 microns, causant l’emphysème et/ou la fibrose. La céramique peut également être avalée et causer des dommages à la région gastro-intestinale. Puis, elle pénètre dans le tissu du poumon et entre dans le flux sanguin. La céramique peut causer des cancers ou accélérer des cancers causés par d’autres matières cancérigènes. »|196| 
387|L’élection dans Mercier est un banc d’essai|Monique Moisan|

La gauche unie derrière Paul Cliche



Porte-étendard de l’Union des forces progressistes, Paul Cliche vient d’annoncer officiellement sa candidature comme candidat unitaire de la gauche à l’élection partielle qui aura lieu ce printemps dans la circonscription montréalaise de Mercier.

Cette candidature a jusqu’ici reçu l’appui de la plupart des formations politiques de cette tendance, soit le Rassemblement pour l’alternative progressiste (RAP) dont il est membre, le Parti de la démocratie socialiste (PDS), le Parti communiste du Québec (PCQ) et le Parti vert. Des personnalités de gauche ont aussi donné leur appui, dont Michel Chartrand et Léo-Paul Lauzon, directeur de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM. Des organismes syndicaux et des associations populaires rendront par ailleurs leur appui public dans les prochaines semaines.

Phénomène nouveau, plusieurs militants péquistes déçus ont rejoint les rangs de l’Union des forces progressistes, dont un ex-président de l’association de Mercier, Pierre Boileau, et un ex-président du comité régional des jeunes péquistes, Marc Tessier.

Une première pour la gauche

C’est la première fois que la gauche s’unit derrière un candidat unique. Paul Cliche explique que sa candidature s’inscrit dans le sillage du Colloque sur l’unité de la gauche politique et des forces progressistes, organisé par le RAP, qui a eu lieu le printemps dernier et auquel 600 personnes ont participé. Ces assises ont permis d’établir un consensus sur la nécessité de l’unité dans l’action. Un comité de liaison se réunit depuis et une campagne en faveur de l’adoption du scrutin proportionnel sera lancée bientôt.

« Il ne s’agit pas d’une coalition puisqu’il n’y a pas eu d’entente entre les dirigeants des différents partis et que la plate-forme défendue par le candidat ne recevra pas l’aval de leurs instances. Cela ne préjuge en rien non plus de ce qui pourrait se passer aux prochaines élections générales », dit Paul Cliche qui ne cache pas cependant que l’élection de Mercier, même si elle est un cas ad hoc, constituera certainement un banc d’essai pour l’unité politique des forces progressistes. « Si le test est passé avec un succès (une troisième place devant l’ADQ, par exemple), la voie à suivre pour les prochaines élections générales sera certes tracée », ajoute-t-il.

L’appui de la gauche est unanime

Après avoir obtenu sans problème l’appui de l’instance régionale du PDS et de l’exécutif du PCQ , la candidature Cliche a fait l’objet de débats au sein du RAP qui s’est transformé en parti politique en novembre. Quelques-uns voulaient présenter un candidat RAP, ce qui aurait eu comme inconvénient majeur de diviser une nouvelle fois le vote des supporteurs des forces progressistes puisque les autres formations auraient présenté des candidats, comme ce fut toujours le cas jusqu’ici.

Consultés à deux reprise lors d’assemblées générales fort courues, les membres du RAP de la région de Montréal ont tranché par des votes de 75 % et 85 % en faveur de la candidature unitaire, en autant que les membres du RAP de Mercier soient d’accord.

Ces derniers, réunis le l6 janvier, ont confirmé cette option dans une proportion encore plus forte. Finalement, le Conseil des régions, instance suprême du RAP entre les congrès, a appuyé unanimement la candidature Cliche le 21 janvier.

Paul Cliche promet un feu roulant

Présent sur le terrain depuis novembre, Paul Cliche a pu constater que les circonstances n’ont jamais été aussi favorables à une candidature progressiste, surtout face à la désaffectation de nombreux militants péquistes.

L’accession de Bernard Landry au poste de premier ministre empirera la situation car il est évident que ce dernier entend faire la souveraineté en mettant de l’avant un projet de société néolibéral, une souveraineté complètement dépouillée de sa portée libératrice. « Devant cette menace, il faut galvaniser les énergies », a déclaré le candidat Cliche, qui entend mener une campagne énergique.

Suite à la conférence de presse du 30 janvier où il a annoncé officiellement sa candidature, il lancera sa campagne le vendredi l6 février avec l’aide de Michel Chartrand (voir l’annonce dans cette page). Le 7 mars, ce sera au tour de Léo-Paul Lauzon, titulaire de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, de venir parler de fiscalité. Plusieurs autres questions prioritaires feront l’objet d’assemblées ultérieures, notamment le logement avec François Saillant, du FRAPRU, et la pauvreté avec Jean-Yves Desgagnés, du Front commun des personnes assistées sociales.

Le 3 mars, il y aura aussi, fait sans précédent, étude et adoption de la plate-forme électorale par les citoyens du comté. Cela constituera la préfiguration du Conseil des citoyens de Mercier que le candidat promet de créer s’il est élu député. « Ce sera un feu roulant jusqu’à la journée de l’élection », promet Paul Cliche dont le comité d’organisation électorale, où travaillent des représentantEs de tous les organismes partenaires, s’est déjà mis en marche.|196| 
388|On nous tire la langue|Charles Castonguay| Oser. Tel était le thème de Lucien Bouchard à l’ouverture de sa première session comme premier ministre. J’oserai. Nous oserons, répétait-il, en présentant son premier cabinet.

On ne peut pas dire qu’il a osé bien fort dans le dossier linguistique. À peine osait-il se regarder dans le miroir. Et il le tenait bien loin, son miroir. Il craignait de voir ce que les médias véhiculent comme image du Québec à l’étranger. Son approche à la question linguistique, c’était le qu’en-dira-t-on à Los Angeles.

Pas besoin de regarder si loin. Il suffit de voir les médias anglophones du Canada et de Montréal.

Si bien que juste avant Noël, les États généraux sur la langue étaient sérieusement esquintés. « Statu quo au cégep et dans l’affichage », disait la manchette de La Presse. L’article signé par Denis Lessard précisait que le gouvernement Bouchard n’avait pas l’intention de restreindre l’accès au réseau collégial anglophone. Il laisserait faire pendant encore cinq ans « pour surveiller la situation et vérifier si cette liberté de choix accroît le nombre des transferts linguistiques vers l’anglais ».

Toujours la bonne vieille position défensive. On va réagir seulement si l’anglicisation devient criante. Pour le moment, ça ne dérange pas. Ça ne dérange pas que le poids des francophones se trouve miné par la faiblesse du français dans le jeu décisif de l’assimilation.

À plat ventre devant le filet

Oser quoi ? Oser restructurer la société québécoise de façon à assurer l’avenir du français au Québec, en lui attirant sa juste part des transferts linguistiques ? Oser mettre fin au pouvoir d’assimilation disproportionné de l’anglais ? Oser remédier au préjudice démographique que cela cause au français ? « Forget it. »

Le gouvernement et le conseil exécutif du PQ en sont venus à conclure, selon Lessard, que rien ne permet d’affirmer que le fait de rendre obligatoire pour les non-anglophones la fréquentation des cégeps francophones changerait quoi que ce soit aux transferts linguistiques. Je me rappelle ce genre d’argument du temps où l’on débattait la langue d’affichage, sauf que ça venait des Libéraux ! « Il n’y a pas d’indice suffisant pour démontrer que les choix linguistiques se font pendant les années où les jeunes fréquentent le cégep », résume-t-on. « Ce ne sont que deux années, et on pense qu’à cet âge, les choix linguistiques sont déjà pas mal cristallisés. L’impact sur la langue serait négligeable, mais socialement, l’effet risque d’être négatif », indique-t-on.

La position défensive tout confort. À plat ventre devant le filet.

Le point est fait, le débat est clos

Derrière ces propos osés se profile le mémoire de Bouchard frère, qu’on peut lire sur le site Web de la Commission Larose. Allez voir, c’est pas long.

Autrement dit 0 chers concitoyens, ne vous fatiguez pas. Faites le point sur les transferts autant que vous voudrez, débattez jusqu’à perdre haleine la pertinence d’étendre au cégep le régime scolaire de la loi 101. Après tout, ce sont deux éléments importants du mandat de la Commission. Mais pour nous qui gouvernons, le point est fait et le débat est clos.

Ça, c’est gouverner !

À un jour près, M. Larose confirmait au Devoir qu’il penche en faveur de « poursuivre l’expérience actuelle » et s’oppose à la prolongation des contraintes de la loi 101 jusqu’au cégep. Alors, on fait quoi maintenant ?

La rectitude et la censure s’autocongratulent

On fait des journées thématiques. C’est bon pour susciter de nouvelles subventions. Une journée sur les transferts linguistiques ? Mais voyons donc ! On en profite pour faire un « remake » du coup d’avant Noël avec le gros bouquin du Conseil de la langue française (CLF) dont je vous ai parlé dans ma chronique précédente. Deux journées dos-à-dos pour noyer les « enjeux démographiques » dans l’« intégration linguistique ».

Comme la brique du CLF, ça se prépare d’avance. Puis, paf ! on sature l’actualité en lançant Ils sont maintenant d’ici, rapport euphorisant où le professeur Jean Renaud démontre hors de tout doute que tout va pour le mieux côté intégration des immigrants à la société francophone de Montréal. Et on enterre les 15 minutes consacrées aux données de recensement sur les transferts en multipliant les exposés sur n’importe quoi, du sort douloureux de la minorité anglaise au rapport réchauffé sur la langue d’usage public, comme si ces thèmes avaient une quelconque crédibilité, en passant par les élucubrations habituelles de Jacques Henripin.

Inviter ce dernier à entretenir les commissaires de ses supputations erronées ? Lui qui, depuis des lustres, ne se tient plus au fait de la recherche en démographie linguistique ? L’art de noyer le poisson...

Croyez-le ou non, Henripin a encore sorti sa rengaine voulant que le poids des francophones est toujours à la hausse au Québec et à Montréal. En vérité, les recensements de 1991 et 1996 indiquent, depuis 1986, une baisse régulière du poids des francophones soit, pour l’ensemble de la décennie en cause, d’un point de pourcentage dans la province et de 1,6 dans la région métropolitaine.

Cette fois, notre démographe national – de quelle nation, je vous le demande ? – a reçu la bénédiction de Victor Piché, directeur du département de démographie à l’Université de Montréal. L’aveuglement idéologique de ces grands pontes est tel qu’ils ne peuvent même plus témoigner correctement de la composition de la population selon la langue maternelle. C’est à se demander ce qu’ils ont bien pu apprendre à leurs étudiants. Décidément, tout était bon pendant ces deux journées pour détourner notre attention des vrais enjeux.

L’Opération Rapport Renaud a-t-elle permis au ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration et à ses chercheurs subventionnés de réussir leur manipulation des États généraux ? Après la présentation du rapport, on se levait à qui mieux mieux pour réclamer qu’on cesse d’employer des mots inconvenants comme « allophone » (personne de langue maternelle autre que française ou anglaise) ou comme « francotrope » (allophone ayant en commun avec les francophones une langue maternelle latine ou une histoire coloniale française). Qu’on ne parle plus d’assimilation ou, même, de transfert linguistique. La rectitude et la censure s’autocongratulaient.

À tout le moins, on peut dire que la Commission Larose s’est laissée organiser.

Un coup d’œil sur le Rapport Renaud suffit pour comprendre pourquoi ses sujets se sont si bien intégrés à la société de langue française. C’est à cause du profil ethnolinguistique atypique de son échantillon. Celui-ci comptait au départ 839 immigrés allophones dont les deux tiers étaient des francotropes, originaires par exemple d’Amérique latine, du Liban, de Haïti ou du Vietnam, et qui s’intègrent plus facilement à la population de langue française qu’à celle de langue anglaise. À la fin de la période d’observation de dix ans, l’échantillon initial s’était effrité à 371 allophones seulement, dont trois sur quatre étaient des francotropes. Avec des comportements linguistiques bien francophones à l’avenant. Ça frise la fumisterie.

Le nerf de la guerre, ce sont les transferts linguistiques

C’était grande pitié de voir ensuite tous ces professionnels du haut savoir – ou serait-ce du haut avoir – solliciter de quoi bricoler d’autres études et indicateurs de boutique.

Quant à la question du cégep français, les données de recensement montrent clairement que seul le passage à l’école primaire ou secondaire hausse de façon significative la part du français parmi les transferts linguistiques consentis par les jeunes allophones. Cela stoppe net lors du passage au collégial. Plus précisément, si l’on suit sur une période de cinq ans l’évolution linguistique de la cohorte de jeunes Montréalais âgés de 10 à 14 ans en 1991 et de 15 à 19 ans en 1996, on compte en fin de période 1500 transferts supplémentaires à l’anglais, contre zéro au français.

Comment ça ? N’y a-t-il aucun allophone d’âge collégial qui se francise ? Si. Seulement, un nombre équivalent de jeunes francophones du même âge s’anglicisent. Sans doute au cégep anglais.

C’est clair comme de l’eau de roche. Pour connaître l’incidence du libre choix de la langue d’enseignement au collégial, pas besoin d’attendre encore cinq ans, Monsieur Bouchard... euh, Monsieur Landry. Ni de dépenser encore des centaines de milliers de dollars pour concocter un autre indicateur ou rapport bidon.

La Commission Larose osera-t-elle au moins porter à l’attention générale les faits sur les transferts linguistiques avant d’arrêter sa recommandation définitive quant au cégep en français ?|196| 
389|Bataille de chiffonniers...|François Parenteau| Pauvre Bernard Landry ! La couronne du PQ n’est pas encore posée sur sa tête que, déjà, il doit rassurer le Canada sur le fait qu’il respecte les Canadiens et leur drapeau. Cette autre « affaire » s’est artificiellement gonflée à une telle vitesse, ce n’est plus une tempête dans un verre d’eau, c’est un ouragan dans un rince-l’œil...

Ainsi la tradition continue des chefs souverainistes qui doivent passer leur temps à rassurer le reste du monde au lieu de promouvoir leur cause. C’était le gros dada de Lucien, ça, l’opinion internationale. C’est pour ça qu’il a maintenu la loi 178, qu’il se faisait tout doux devant les multinationales, qu’il n’a pas voulu qu’on utilise des fonds publics pour promouvoir la souveraineté, qu’il a écrapouti la mouche Michaud d’un coup de bazooka qui, d’ailleurs, fut ce qui a ébruité l’affaire...

Il faut écraser l’infâme

Ce dont il faut se rendre compte, c’est qu’au Canada anglais, le mouvement souverainiste est d’emblée présumé coupable de racisme, d’ethnocentrisme, d’extrémisme, de magouilles électorales et référendaires, de manipulation hypnotique des masses et de consanguinité.

Dans ce contexte, le moindre pet de travers des péquistes ou des bloquistes est perçu comme une preuve à l’appui de ces thèses. Dans les grands titres des journaux et les capsules d’ouverture des nouvelles à la télé, il n’y a pas que des faits qui sont rapportés. Il y a, dans le ton, ce « Ha-ha ! » qui précède normalement un « J’vous l’avais bien dit... »

Alors, vous imaginez, quand Bernard Landry a parlé de chiffons rouges, c’était une occasion rêvée d’y voir la preuve qu’il était un être infâme méprisant les Canadiens. C’est bizarre, les médias se plaignent que les politiciens parlent une langue de bois, mais la moindre de leurs expressions pas assez vernies provoque un scandale. Ça a été le cas aussi pour Pettigrew et son Québec profond.

Même la langue de bois ne suffit plus, et on verra bientôt des politiciens parler la langue de jade de la tradition chinoise. Plutôt que de traiter un opposant de menteur, ils diront alors 0 « Je suis attristé de constater que mon honorable adversaire, des bonnes intentions duquel je ne me permets pas l’outrecuidance de douter, ait pu, dans un moment d’inattention, bifurquer temporairement du noble chemin de la vérité, M. Le Président. » Le public serait alors bien justifié de rétorquer 0 « De kossé ? »

To flag or not to flag

Bernard Landry est souverainiste. On devait bien se douter que les drapeaux canadiens que le fédéral fait pousser partout ne lui apparaissent pas comme de jolies décorations. Une guerre des drapeaux fait rage au Québec. N’est-ce pas Jean Chrétien lui-même qui a déclaré que les séparatistes n’étaient intéressés (et je cite) qu’à avoir leur « flag su’l hood du char»? Landry est tombé dans le piège en s’excusant. Il s’est soumis à la mauvaise foi fédéraliste en lui prêtant de l’importance. En plus, son excuse voulant que « chiffon rouge» ait voulu dire « provocation» comme en tauromachie ne tient pas debout.

Ce qu’il aurait dû dire, c’est qu’on peut respecter les Canadiens et quand même en avoir ras-le-bol que le fédéral nous inonde de drapeaux avec l’argent de nos taxes pour nous coloniser l’esprit. Que cette entreprise de Sheila Copps est vulgaire (et ça ne vient pas du latin pour dire « proche du peuple »...) ! Le drapeau canadien a sûrement de la valeur, tout comme ceux qui s’y identifient. Mais, en bon économiste, Landry aurait pu expliquer que quand l’offre dépasse largement la demande, la valeur baisse. Et qu’au rythme où on nous inonde d’unifoliés depuis quelques années, chiffon, c’était encore poli...

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 27 janvier 2001.|196| 
390|Le grand spectacle politique|Élaine Audet|

Rien ne remplace le frisson du réel



L’extrême médiatisation du vol tranquille des élections américaines par Bush et la Cour suprême des États-Unis ainsi que la couverture mur à mur par nos médias de la démission de Lucien Bouchard montrent que les nouvelles sont désormais conçues comme le meilleur des spectacles en ville. Avec rebondissements, suspense et effets dramatiques. Rien ne remplace le frisson du réel.

Les reportages sur les guerres contre l’Irak et la Serbie ont bien rodé les rouages qui font grimper les cotes d’écoute. Rien n’est moins politique que ces couvertures exhaustives. Elles ne sont que de la poudre aux yeux et induisent le voyeurisme, l’accoutumance et des comportements de passivité totale en nous prenant gentiment par les yeux pour nous mener dans le grand vide convivial de la consommation collective.

L’affaire Michaud

On ne sait par quel bout prendre « l’affaire Michaud ». D’abord, après avoir lu attentivement les textes et les retranscriptions de ses interventions, je ne pense pas qu’Yves Michaud soit antisémite. Il est évident que le peuple juif n’est pas le seul à avoir souffert du totalitarisme au cours de l’histoire. Une telle constatation n’est pas en soi une déclaration haineuse ou raciste ni ne banalise l’Holocauste. On peut reprocher au style de Michaud une constante enflure rhétorique et l’expression d’un ressentiment ancré dans l’histoire du Québec. Pourtant, il serait erroné de considérer le moindre commentaire critique à l’égard de la communauté juive ou du sionisme comme de l’antisémitisme. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu dire que des parlements aient voté pour stigmatiser pareilles opinions de la part d’un individu.

Il faudrait que les éluEs soient constamment mobiliséEs, s’il leur fallait condamner les manifestations de haine envers les femmes. En passant, c’est du massacre de plusieurs millions de femmes au Moyen Âge que vient l’expression « chasse aux sorcières » à la mode au Québec par les temps qui courent. On oublie toutefois ce « gynocide » qui s’est étendu sur plusieurs siècles et a envoyé allègrement au bûcher celles que l’Inquisition jugeait n’être pas assez soumises ou croyantes. On ne peut que constater une fois de plus qu’il y a des trous dans la mémoire collective (monolithiquement patriarcale) de quelque origine ethnique qu’elle soit.

Je ne préjugerai pas des intentions de M. Bouchard en réagissant d’une manière si disproportionnée aux provocations des adversaires de la souveraineté du Québec. Il a ainsi permis que soient citées hors contexte les paroles d’Yves Michaud et que les souverainistes soient une fois de plus discrédités dans le monde. D’ailleurs, ni Michaud ni le gouvernement péquiste n’ont fait preuve du moindre sens politique en agissant de façon aussi irresponsable, sans peser le poids de leurs actes et de leurs paroles. Cela dit, nous vivons dans un pays libre où la liberté d’expression est protégée par la Charte, à tel point que les Galganov et les Richler ont toujours pu exprimer leur mépris envers les Québécois francophones, et les Zumdel leur racisme et leur haine de la différence.

La sortie lyrique de Lucien Bouchard

Il y a peu de chance que les intérêts politiques réels du Québec soient la priorité du gouvernement péquiste après la sortie familialo-vindicative de Lucien Bouchard et le lancement du grand jeu de la course au pouvoir. L’ambition a vite fait de sécher les larmes des prétendantEs. Rincez-vous l’œil, bonnes gens, et préparez-vous à rester sur votre faim !

Dans l’intervalle, Mike Harris déclare que « le Canada perd un solide allié » en Lucien Bouchard. Le Conseil du patronat lui rend hommage. Après l’avoir traité de nazi, le ROC chante ses louanges et les organisations juives lui affirment leur appui total. « Il a fait ce qu’il avait à faire », dit-on le plus fréquemment. Au service de qui ?

N’allez pas chercher dans ce ballet à ras de sol quelques rappels du grand souffle qui a parfois animé notre peuple dans sa lutte pour la justice et la liberté. Vous ne trouverez pas dans les calculs mesquins à venir le moindre écho de la Marche mondiale des femmes, du parlement dans la rue ou de la remise en question du credo économiste par les Commissions régionales sur l’avenir du Québec et les divers sommets parallèles depuis Seattle.

Un angle féministe ?

« Quel serait l’angle féministe dans tout cet imbroglio ? », m’a demandé récemment un ami. D’abord, le fait que Lucien Bouchard ait souligné l’extrême difficulté de concilier la vie privée et la vie socio-politique. Que ce soit un homme de son envergure qui en ait parlé permettra de comprendre ce qui explique, encore aujourd’hui, la faible participation des femmes à la vie politique. Une intervention aussi dramatique entraînera peut-être les réformes qui s’imposent, en tenant compte des exigences de la vie privée et de la famille.

En deuxième lieu, même si j’aimerais qu’il y ait une femme première ministre au Québec, j’ai peu d’espoir qu’il y en ait une. En particulier, une qui corresponde à ma vision d’un Québec déterminé à s’approprier les leviers nécessaires pour réaliser ses idéaux de justice sociale. L’idéal étant de donner à chacun, et surtout à chacune, la possibilité de se réaliser dans le domaine de son choix.

Il y aurait eu éventuellement Louise Harel dont la feuille de route féministe et progressiste aurait pu être le gage d’un changement radical. On dit qu’elle est la mentor de Diane Lemieux qui vient également du milieu féministe. Mais, à tort ou à raison, je ne les vois pas – ni aucune des autres femmes au gouvernement – se démarquer nettement, leurs qualités extraordinaires semblant malheureusement déjà englouties dans le magma indifférencié du néolibéralisme. Même si l’on doit au gouvernement auquel elles appartiennent des réformes comme l’équité salariale, l’économie sociale, la perception des pensions alimentaires et les garderies à 5 $, aucune des femmes au pouvoir ne s’est vraiment impliquée pour défendre les revendications de la Marche mondiale des femmes.

Tout atout ! Françoise David

Reste le tout atout du mouvement progressiste 0 Françoise David et toutes celles et ceux qui, autour d’elle, ont acquis dans la lutte contre la violence et la pauvreté une expertise dans les dossiers qui constituent un véritable projet de société. David a déjà exprimé ses priorités de lutte contre la pauvreté des femmes et des enfants et contre la violence qui est leur lot, la détresse des jeunes, la sauvegarde de l’environnement. L’incontestable succès de la Marche mondiale des femmes et du mouvement de solidarité sociale qu’elle a entraîné montre la possibilité de réaliser concrètement et harmonieusement l’inclusion de toutes les minorités autour d’un même projet de société.

Reste la réalisation d’un front populaire de toutes les forces progressistes pour la justice sociale et l’indépendance du Québec indissociablement, un front ouvert au monde et à la solidarité dans le respect de l’intégrité des peuples. L’étonnante impassibilité des Québécois, à laquelle Lucien Bouchard a fait allusion, vient de ce que les politiques dites d’assainissement économique ont défavorisé les plus démuniEs et envoyé à une retraite prématurée nombre de travailleurs et de travailleuses qui se sentaient encore en mesure de faire bénéficier la société de leur expérience irremplaçable. Entre en ligne de compte également le désespoir de ceux et celles que les baisses d’impôts n’affecteront pas parce qu’ils sont sous le seuil de la pauvreté. Ceux et celles à qui les surplus de la lutte au déficit auraient dû être consacrés par le renforcement du filet de sécurité sociale et non en rendant leur existence plus précaire encore.

L’enjeu de la course à la chefferie aurait pu être l’engagement d’adopter avant les prochaines élections 0 1. Le scrutin proportionnel, déjà mis au programme du PQ par René Lévesque. 2. Le renforcement de la loi 101 et l’augmentation des crédits alloués pour l’enseignement du français et de la culture québécoise aux immigrantEs. 3. La mise en œuvre du projet de revenu de citoyenneté universel prôné par Michel Chartrand qui, à 84 ans, en fait la promotion en personne d’un bout à l’autre du Québec depuis cinq ans. C’est ce genre d’engagement intense dont nous avons besoin en ce moment au Québec et dans le monde. Il est grand temps d’entreprendre ensemble la lutte contre le déficit démocratique et les politiques néolibérales comme base inaliénable de l’indépendance du Québec.

À LIRE 0

Roger Julien, Un peuple un projet, Montréal, Écosociété, 1996.

Paul Cliche, Le scrutin proportionnel, Montréal, Les Éditions du renouveau québécois/l’aut’journal, 1999.

Michel Bernard – Michel Chartrand, Manifeste pour un revenu de citoyenneté, Montréal, Les Éditions du renouveau québécois/l’aut’journal, 1999.|196| 
391|Le nationalisme québécois n’est pas ethnique, mais linguistique|Pierre Serré|

L’affaire Michaud 0 une occasion manquée



Pendant un mois, l’affaire Michaud a secoué tout le Québec. Hauts cris de certains, motion de blâme de l’Assemblée nationale, protestations de divers milieux progressistes contre condamnations publiques de Michaud, démission de Lucien Bouchard avec évocation de l’affaire au passage, retrait de la candidature du controversé Michaud. La faune médiatique y a amplement trouvé sa pitance. Que reste-il de tout ce débat ?

Si Lucien Bouchard a démissionné, les idées qu’il défend n’ont pas pour autant trépassé. Il existe un courant de pensée qui veut qu’il n’y ait aucune possibilité d’interpréter et de comprendre l’évolution de la société québécoise en examinant les relations entre les groupes, qu’ils soient définis par leur origine ethnique ou par leur langue. Or une telle façon de faire empêche de comprendre l’essentiel de la dynamique politique québécoise.

Distinguons deux niveaux de discours. Une définition formelle de la citoyenneté 0 sont citoyens québécois tous ceux qui habitent le territoire du Québec. Tous ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Certains groupes utilisent cette définition pour combattre toute idée de relations entre les groupes. Pour eux, parler, analyser, comprendre les relations entre francophones et anglophones sont autant d’actes suspects qui relèvent d’une curiosité malsaine frisant la xénophobie. La citoyenneté doit faire abstraction de tout référent identitaire et culturel.

Pourtant, l’analyse des relations intercommunautaires (entre francophones et anglophones) permet justement de comprendre l’évolution du Québec. En se basant ainsi sur les comportements réels, qui sont eux-mêmes basés sur l’allégeance nationale des individus, on distingue deux groupes qui se partagent le territoire et qui sont en lutte pour le contrôle des ressources de l’État. En effet, le Québec n’est pas une société intégrée nationalement ni linguistiquement. On y trouve des francophones, indépendantistes ou défenseurs de l’union canadienne mais d’allégeance québécoise, et des anglophones, d’allégeance canadienne. Quant aux allophones, c’est là que non seulement Michaud mais aussi les autorités du Parti québécois ont manqué l’occasion de faire de l’éducation politique.

Les allophones rejettent-ils le Québec, ainsi que l’affirmait Michaud ? Le PQ doit-il les abandonner, leur tourner le dos sous prétexte qu’ils ont toujours été contre lui ? Doit-il au contraire espérer percer leurs rangs et chercher ce qui, dans son discours, les rebute tant ? Doit-il expurger son programme de toute référence à la nation québécoise, effacer le passé pour mieux asseoir la nation civique ? Doit-il entreprendre, pour assouvir la soif de certains groupes, une nouvelle chasse aux délinquants intellectuels ?

Les efforts consacrés à l’intégration des immigrants, autant par le PQ que par le Parti libéral du Québec, ce dernier même à son corps défendant, n’ont pas été vains. La francisation des immigrants, bien qu’insuffisante pour soutenir le maintien du poids des francophones au Québec, a néanmoins permis de multiplier le nombre de francophones d’origine autre que française. À cet égard, les analyses sont on ne peut plus claires 0 plus que d’être de langue maternelle ou d’origine ethnique française, c’est le fait d’être de langue parlée française à la maison qui explique le vote. C’est l’appartenance active à un groupe et non l’héritage linguistique qu’est la langue maternelle ou l’héritage culturel qui vient avec l’origine ethnique. Le nationalisme québécois n’est pas ethnique, mais linguistique.

Dans la région montréalaise, on comptait déjà chez les francophones, en 1991, 15 % d’individus d’autres origines ethniques que française ou britannique. Ces « néo- francophones » votent à toutes fins utiles comme les francophones. Ils constituent une portion de plus en plus importante de la clientèle du PQ (15 % en 1989). Globalement, pour l’ensemble des personnes d’origine immigrante récente, environ le quart d’entre eux, pour la plupart francisés, a opté pour le OUI en 1995 et pour le PQ depuis 1989. Quant à leur impact sur la répartition des sièges, presque 40 % des sièges montréalais en 1989, 1994 et 1998 leur était directement redevable.

Pluralisme ethnique chez les francophones, pluralisme électoral chez les allophones. Le Québec a connu d’importantes transformations grâce à ses politiques plus judicieuses de sélection des immigrants et à l’obligation de fréquentation des écoles primaires et secondaires françaises. Les néo-francophones sont la preuve que la société québécoise est ouverte, bien disposée à l’égard de ses immigrants et désireuse d’intégrer ceux-ci. À partir du moment où les francophones l’ont décidé, qu’ils sont parvenus à traduire cette volonté par des mesures concrètes, le mur qui les séparait de leurs immigrants est tombé. La langue est la condition d’adhésion à la communauté francophone. Parce qu’elle véhicule plus que des mots, parce qu’elle amène les individus à partager des valeurs, des attitudes, des idées et des comportements communs, la langue sert de ciment social. L’élargissement de la base francophone apparaît ainsi comme un moyen, à long terme, de réaliser le projet politique d’un Québec souverain.

Pluralisme francophone contre pluralisme anglophone 0 l’histoire politique du Québec n’oppose plus l’envahisseur britannique aux colons français, mais un groupe anglophone composé majoritairement d’immigrants anglicisés à un groupe francophone de plus en plus métissé. Quelques développements politiques importants que l’affaire Michaud aurait pu permettre de libérer dans l’opinion publique.|196| 
392|Le « nouveau nationalisme politique », cheval de Troie de la mondialisation|Pierre Dubuc| L’affaire Michaud sert de prétexte, sous le couvert d’un débat entre « nationalisme ethnique » et « nationalisme civique », d’une offensive néolibérale qui s’attaque aux fondements de l’existence même de la nation québécoise. Le texte le plus percutant à cet égard est celui paru dans Le Devoir du 9 janvier signé par 15 personnes se présentant comme des jeunes de moins de 35 ans – dont on a su qu’ils gravitaient autour du ministre André Boisclair – et endossé une semaine plus tard par plus de mille personnes.

Intitulé « Pour en finir avec l’affaire Michaud. Le temps est venu de remettre en question le nationalisme canadien-français », le texte présente Yves Michaud comme le porte-étendard d’un « nationalisme ethnique et religieux » issu des années 1930, 1940 et 1950 et qualifié de « défensif et revanchard ».

Dé-nationaliser la question nationale

Se présentant comme des « modernistes », les signataires opposent à la « nation ethnique » ce qu’ils appellent la « nation politique animée par l’idée que la nation est fondée sur l’association démocratique des citoyens dans un État donné ». Ce « nationalisme nouveau », rapidement qualifié par les médias de « nationalisme civique et inclusif », reposerait sur la « volonté des individus de la collectivité plutôt que sur les déterminants ethniques » et nous permettrait de « ne plus être prisonniers de la question identitaire ».

Une telle approche, qui repose « avant tout sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec », permettrait un « dialogue ouvert » de tous les citoyens, « peu importe leur origine ». On pourrait ainsi, affirment nos « modernistes », « dé-ethniser » le débat et mettre de côté « l’attitude de victime et chasser l’intolérance » envers les autres Québécois.

Avant même d’entreprendre la critique de ce « nouveau nationalisme », il faut souligner la malhonnêteté intellectuelle des auteurs qui identifient Yves Michaud au nationalisme religieux des années 1930, 1940 et 1950, alors que celui-ci a commencé sa carrière politique au journal anti-clérical Le Clairon de Saint-Hyacinthe de T.D. Bouchard. De plus, tous ceux qui ont quelques notions d’histoire récente savent qu’Yves Michaud a fait partie de la génération nationaliste des années 1960 et 1970.

La négation de la nation québécoise

Le « nouveau nationalisme », sous des allures de « modernisme », englobe dans sa « nation politique » tous les individus résidant sur le territoire de la province de Québec, « peu importe leur origine ». Il nie, par le fait même, l’existence de la nation québécoise, dissimule le caractère oppresseur de la minorité anglophone et bafoue les droits des autres minorités ethniques et de la nation autochtone. En fait, en donnant un statut quasi constitutionnel à la Charte des droits et libertés, ce « nouveau nationalisme » élimine les droits collectifs au nom des droits individuels, dans la plus pure tradition trudeauiste et néolibérale.

Nos « modernistes » attaquent la nation québécoise de tous les côtés à la fois. En présentant leur « nation politique » comme un simple conglomérat d’individus habitant le territoire québécois, ils ne considèrent que le moment présent. Ils coupent la nation québécoise de ses racines historiques. Ils refusent de la reconnaître comme une communauté historiquement constituée puisant ses origines en Nouvelle-France et ayant assimilé au cours des siècles des gens de différentes origines. Une nation, faudrait-il leur rappeler, n’est pas un phénomène éphémère, mais bien le résultat de relations durables et régulières résultant d’une vie commune de génération en génération.

Une langue détachée de sa culture

La langue française n’est pas reconnue par nos « modernistes » comme le produit de siècles de relations durables des francophones en terre d’Amérique. Ils l’introduisent quasi honteusement, par la porte d’en arrière, comme « partie intégrante du contrat social qui lie les Québécois, peu importe leur origine » !

Mais de quel « contrat social » parlent-ils ? De la loi 101 ? Faut-il leur rappeler que les anglophones ont contesté et contestent encore toutes les dispositions de la loi 101 devant les tribunaux au nom de la Charte des droits et libertés conçue par Trudeau précisément à cet effet. (Voir article de Jacques Larue-Langlois en page 17)

Sur la base d’une telle conception, on peut se demander ce qui empêcherait la « collectivité » de nos « modernistes », de modifier le « contrat social » et d’intégrer l’anglais sur le même pied que le français ! ? En fait, nos « modernistes » ont tout simplement acheté le nouveau concept de « langue d’usage public » élaboré par le Conseil de la langue française pour camoufler le recul du français sur l’île de Montréal.

Cette conception de la langue présentée comme relevant d’un « contrat social » la dissocie complètement de la culture nationale qui est, rappelons-le, l’expression de l’esprit d’un peuple. Leur conception de la langue et de la culture est a-historique et a-nationale. Comment, sur la base d’une telle conception, justifier une opposition à la domination culturelle américaine et défendre la spécificité culturelle québécoise contre la mondialisation ? Le « nouveau nationalisme » est bel et bien le cheval de Troie de l’asservissement culturel.

Une porte ouverte à la domination économique étrangère

Le « nouveau nationalisme » évite soigneusement les questions économiques. Ses adeptes sont sans doute de chauds partisans du libre-échange, de l’ouverture tous azimuts aux marchés internationaux (lire 0 le marché américain) et, bientôt, de l’adoption de la monnaie américaine.

La libéralisation des échanges constitue la politique clef de la mondialisation. C’est la destruction du marché national, la ruine des producteurs locaux, la domination des multinationales étrangères, principalement américaines. C’est ce qui se déroule présentement sous nos yeux avec la vente prochaine de Métro-Richelieu, après Provigo, à des intérêts étrangers, pour ne prendre que l’exemple de la vente au détail.

On comprend pourquoi nos « modernistes » évitent soigneusement de se prononcer sur le nationalisme des années 1960 et 1970 où il était affirmé avec raison qu’il ne pouvait y avoir d’indépendance politique sans indépendance économique.

Bientôt, la nation « montréalaise »

Le seul élément de la nation que les « modernistes » semblent de prime abord vouloir conserver, c’est le territoire. Mais de quel territoire s’agit-il exactement ? L’ensemble du Québec ou simplement le territoire de l’île de Montréal où se retrouve l’essentiel de la population non francophone pour lequel le concept de « nation politique » a été taillé sur mesure ? Parions que nos « modernistes » appuient le projet « Une île, une ville » de création d’une mégacité pour répondre aux impératifs de la mondialisation.

Il ne serait pas surprenant qu’ils se définissent bientôt, à la manière des anglophones de Montréal, comme « Montrealers » plutôt que comme Québécois. Leurs conceptions les mèneront inéluctablement à couper le Québec en deux 0 d’une part, Montréal territoire du soi-disant « nationalisme civique et inclusif » et, d’autre part, le reste de la province, lieu honni du « nationalisme ethnique ». Mais, après tout, n’est-il pas à la mode de dire que les nations sont aujourd’hui dépassées et seront remplacées, dans le cadre de la mondialisation, par les cités ? !

Évidemment, nulle part ne trouve-t-on mention du droit à l’autodétermination de la nation québécoise dans les conceptions de nos « modernistes ». Le droit des peuples est remplacé par les droits individuels, par « la volonté des individus de la collectivité, plutôt que sur les déterminants ethniques ». Si on définit la nation comme la « volonté des individus » qui la composent, qu’est-ce qui empêche que cette « collectivité » soit le Canada plutôt que le Québec ?

Déjà, les tenants de ce « nationalisme civique et inclusif » comme Pierre Paquette du Bloc se bousculent au portillon pour biffer l’article premier du programme du Parti québécois et examiner les propositions de partenariat avec le Canada. C’est évidemment beaucoup moins « revanchard et intolérant ».

Le cheval de Troie de la mondialisation

Le texte publié dans Le Devoir est le cheval de Troie de la mondialisation. C’est un concentré des concepts développés au cours des dernières années par des gens comme Charles Taylor, Michel Seymour et Gérard Bouchard, le frère de Lucien, présenté dernièrement par le journal La Presse comme le « plus grand penseur actuel du Québec ».

Ces idées doivent être combattues sur la base d’un véritable programme démocratique intégrant bien sûr la Charte des droits et libertés, mais également une Charte des droits collectifs de la nation québécoise, de la nation autochtone et des différentes minorités nationales qu’on retrouve sur le territoire du Québec. Enfin, ces droits individuels et collectifs doivent reposer sur un véritable programme d’émancipation sociale et de libération économique. Il ne peut exister de véritable démocratie sociale et nationale dans le contexte de la dictature du marché. Il n’y a pas de véritable démocratie sans démocratie économique.

Sous des allures de « modernisme », le « nouveau nationalisme » ne peut mener qu’à l’autodestruction de la nation québécoise.|196| 
393|Nos lois ne dérangent pas Goodyear|Gabriel Sainte-Marie|

125 plaintes pénales contre la direction



À Valleyfield, un syndicat fait la grève contre la multinationale Goodyear depuis neuf mois. La section 919 des Métallos occupe une situation particulière. Sur la quinzaine d’usines Goodyear d’Amérique du Nord, ce syndicat est le seul à défendre uniquement des employés de bureau 0 magasiniers, techniciens à la planification, aux laboratoires, à l’approvisionnement, à la comptabilité, etc. Il dérange la compagnie.

Ces travailleurs luttent avant tout pour la sécurité de leur emploi. Ils ont en moyenne 25 ans de service. Pour toucher à leur fonds de retraite avant 65 ans, ils doivent accumuler 30 années d’ancienneté. Le problème est que la multinationale cherche à abolir la plupart des postes. Ainsi, en plus de perdre leur emploi, ces syndiqués perdraient l’accès à leur fonds de pension.

La hausse des salaires est également à l’ordre du jour. Goodyear n’offre aux employés de bureau que la moitié de l’augmentation offerte aux syndiqués de la production. « Nos augmentations de salaire ont toujours été semblables à celles accordées au secteur de la production », explique Alain Hogue, président du syndicat. Daniel Mallette, vice-président, remarque que leur dernière augmentation remonte à juin 19950 « On est sans contrat de travail depuis cinq ans! »

Les travailleurs se battent aussi pour la reconnaissance de leur syndicat. Mallette explique 0 «Aussi ridicule que cela puisse paraître, la direction veut redéfinir la charte de notre syndicat! » Par exemple, Goodyear exige qu’à l’intérieur de cette charte se retrouve un article concédant le recours à la sous-traitance. «Accepter cela, c’est disparaître ! », explique Hogue.

Il continue 0 « La direction cherche à enlever le peu de temps de libération syndicale mis à notre disposition. En plus, il faut leur justifier comment on l’utilise! » Daniel Mallette rappelle que la compagnie n’apprécie pas qu’ils usent leur temps de libération syndicale pour faire… du syndicalisme!

Le syndicat réclame enfin une convention collective de trois ans, comme auparavant. « Ils nous proposent une convention qui prendrait fin en 2005, avec une renégociation salariale en 2002, avec arbitrage s’il y avait mésentente. On n’aurait ainsi qu’un seul contrat de travail de 1996 à 2005 !», explique Mallette.

Trois enquêtes gouvernementales condamnent la multinationale

Ainsi, depuis le 24 avril 2000, les 80 travailleurs tiennent un piquet de grève devant la multinationale six jours par semaine. Le 10 novembre dernier, les membres du syndicat rejetaient encore une fois fortement les offres de la direction. Comme dit Alain Hogue 0 «On est prêt à continuer le temps qu’il faudra. » C’est une longue lutte et les difficultés sont nombreuses.

Dès le premier jour du conflit, la compagnie a embauché des briseurs de grève 0 « Des employés de Goodyear non syndiqués ont été transférés à Valleyfield, des fils de cadres ont été engagés, la compagnie a même fait venir de l’Ontario douze fiers-à-bras », commente le président. Il continue 0 « La multinationale viole la loi et ça ne semble même pas la déranger… »

En effet, le gouvernement a tenu trois enquêtes depuis le début du conflit. Les trois condamnent les agissements illégaux de la direction de la compagnie. Les moyens du syndicat sont limités. Lorsque Goodyear enfreint la loi, le syndicat doit porter plainte en cour. Les longs délais et les frais élevés de la justice sont rudes pour le syndicat et ils l’affaiblissent. La compagnie joue cette carte.

« Jusqu’à maintenant, nous avons dû déposer 125 plaintes pénales contre la direction. Le total des poursuites s’élève à 5 millions$! », s’exclame le vice-président. « C’est de l’impérialisme. Le géant américain ne respecte simplement pas nos lois. Par exemple, Goodyear n’a toujours pas son certificat de francisation. Ça fait 20 ans que la loi est en place », poursuit Mallette.

De plus, toujours afin de miner les moyens financiers du syndicat, la transnationale poursuit fréquemment des membres de l’exécutif en justice. Les motifs invoqués sont ridicules.

Il aurait été ici possible de dénoncer les agissements sauvages de certains patrons. Cependant, l’exécutif refuse. Il redoute d’autres poursuites. Nous en restons donc aux cas généraux.

Le soutien de Madeleine Parent et de Françoise David

Malgré ces attaques, les Métallos poursuivent la lutte. Leur moral est toujours très bon. La principale raison de cette persévérance est la solidarité syndicale. «Dans notre région, la fraternité entre les différents syndicats est très prononcée », affirme Daniel Mallette.

Un fond de grève acceptable a pu être constitué grâce à de nombreux dons d’autres syndicats. « Ça nous aide à tenir le coup! », explique Hogue. Mallette explique qu’un important soutien moral est aussi apprécié 0 « Par exemple, Madeleine Parent et Françoise David sont venues nous épauler en juin dernier. »

Dernièrement, les grévistes ont réussi à avoir une petite cabane chauffée à l’entrée de l’usine. Ce sont les travailleurs d’Hydro-Québec qui fendent leur bois de chauffage, qui leur a aussi été donné. « Leur base est en face de la Goodyear et ils viennent sur leurs temps libres. C’est une belle expérience de solidarité », note le vice-président.

Une soirée intersyndicale d’appui aux grévistes s’est déroulée le 6 octobre dernier. Ce fut un succès 0 300 personnes se sont déplacés. Alain Hogue les remercie0 « Leur soutien nous a grandement encouragé à persévérer. »

La seule ombre au tableau vient de l’exécutif du syndicat de la production de l’usine. Ils semblent avoir suivi le jeu de la direction. Ils ne se mêlent pas au conflit. Cependant, leurs membres ont choisi l’autre voie, celle de l’appui, comme l’affirme Hogue0 « Autant financièrement que moralement, les gars de la production nous aident. »

Cette lutte est un bel exemple de solidarité des travailleurs contre les géants impérialistes. L’issue du conflit aura un impact important sur les luttes syndicales au Québec. On ne peut donc que souhaiter leur victoire.|196| 
394|Les véritables enjeux de la réforme de l’éducation|Pierre Dubuc|

Un chambardement peut en cacher un autre



Au cours des derniers mois, le débat a fait rage sur la réforme des programmes et du bulletin scolaires. Mais une réforme peut en cacher une autre, plus menaçante. Pendant que le monde scolaire polémique sur le bulletin, le ministère est en train de procéder à une réforme des structures scolaires qui va modifier de fond en comble notre réseau scolaire.

La publication dans la revue L’actualité d’un palmarès des institutions scolaires – le « bulletin » des écoles – illustre bien la réforme des structures en cours. Que ce palmarès ait été établi par l’Institut économique de Montréal, un organisme néolibéral (voir encadré), en dit long sur l’orientation profonde des modifications structurelles en cours.

Un plan d’affaires comme « plan de réussite »

Peu de temps avant la publication du palmarès de L’actualité, le ministère avait produit son propre palmarès sur CD-ROM en compilant, par école et par commission scolaire, le portrait de la réussite scolaire depuis cinq ans avec ses indices de réussite probable, les taux de diplômation observés et les « taux attendus ».

Le ministre Legault a reconnu que l’approche était empruntée au monde des affaires. « Comme dans un plan d’affaires, on évalue ses forces et ses faiblesses, les forces et les faiblesses de nos compétiteurs et puis on se fait une stratégie », a-t-il déclaré au Devoir.

C’est en fonction de cette logique que chaque école a été tenue de présenter avant le 30 septembre dernier son « plan d’affaires », appelé « plan de réussite ». En échange du dépôt des « plans de réussite », le gouvernement verse cette année 25 $ par élève et laisse entendre que le montant pourrait atteindre 50 $ l’an prochain. C’est là une modification au financement des écoles potentiellement lourde de conséquences.

Pour justifier sa nouvelle approche, le ministre s’appuie sur la baisse de la diplomation au cours des années 1990, qui est passé de 70,4 % en 1995-1996 à 66,1 % en 1997-1998. Mais celle-ci s’explique en bonne partie par les compressions budgétaires. Ainsi, entre 1993-1994 et 1997-1998, la dépense par élève a été réduite de 10 % en dollars courants, passant de 5 804 $ à 5 419 $. En 1998-1999, celle-ci est remontée à 5 573 $ et le taux de diplomation, à nouveau en hausse, est passé à 69,0 %.

Le bulletin du ministre

Les modifications actuelles s’inscrivent dans le prolongement logique de la réforme de la Loi de l’Instruction publique mise en œuvre par l’ex-ministre Pauline Marois au lendemain des États généraux sur l’éducation. La réforme s’est traduite par une dévolution des pouvoirs vers les écoles avec la création des conseils d’établissement où siègent la direction de l’école, des représentants du personnel enseignant et de soutien, des parents et des représentants de la communauté.

Comme la loi reconnaît aux parents la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école de « leur choix », les fondements juridiques étaient jetés pour une éventuelle concurrence entre les écoles. Ne restait plus qu’à procurer aux parents les performances comparées des écoles. Un besoin comblé par la publication du palmarès de L’actualité. Les journaux ont rapporté que, suite à cette parution, les inscriptions dans les écoles privées, classées en tête de palmarès, ont augmenté jusqu’à 30 %.

Le ministre Legault a pris publiquement ses distances à l’égard du palmarès de L’actualité, non par opposition au principe du palmarès, mais à cause de sa méthodologie. Peu de temps après, il annonçait l’introduction prochaine d’examens ministériels pour les différents niveaux d’éducation. Le ministre imposera donc sa propre « méthodologie » pour constituer un futur palmarès ! Pendant que les enseignants dans les écoles se disputent sur la définition du meilleur bulletin, le ministre élabore avec ses examens le seul vrai « bulletin » qui comptera !

Dorénavant, tout ce qui était vrai est faux

Le gouvernement a décentralisé la responsabilité du succès de leurs élèves aux équipes-écoles sous le couvert d’une plus grande autonomie, mais il se dote d’instruments pour évaluer et comparer les « plans de réussite » et financer les écoles en conséquence, en donnant éventuellement plus d’argent aux écoles les plus performantes.

Pourtant, dans plusieurs cas, l’échec est prévisible, malgré toute l’abnégation, la bonne volonté et les efforts qui seront déployés par l’équipe-école. Des recherches ont identifié une série de facteurs liés à l’échec scolaire sur lesquels les enseignantes et les enseignants ont peu ou pas d’emprise 0 l’absentéisme, le trop grand nombre d’heures de travail rémunéré pour les jeunes du secondaire, les cas de maternité précoce, les abus de drogue et, surtout, la pauvreté.

L’approche des réformes en cours n’est pas d’accorder plus de ressources à ces écoles, mais au contraire de faire porter la responsabilité des échecs aux enseignants et de les sanctionner.

Les différents morceaux de la réforme ne sont pas encore tous en place. Mais un coup d’œil ailleurs nous donne une idée de ce qui s’en vient.

Un Office de « la qualité, » comme en Ontario ?

En Ontario, où la réforme est plus avancée qu’au Québec, il existe déjà des tests provinciaux pour vérifier la mise en œuvre du curriculum et le succès des « plans de réussite ». Ces tests ne sont pas administrés directement par le ministère, mais par un Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE).

Les résultats de ces tests servent évidemment à comparer les élèves, les classes, les écoles et les commissions scolaires entre elles. L’impact de la première publication de ces résultats a été telle que les autorités scolaires ont dû intervenir pour tempérer la volonté des parents d’envoyer leurs enfants dans les écoles les plus performantes. Un exode d’autant plus compréhensif que des budgets supplémentaires sont octroyés aux écoles les plus performantes !

Un autre volet de la réforme ontarienne est la mise en place d’un système d’évaluation des enseignantes et des enseignants par leur ordre professionnel. La nouvelle loi ontarienne prévoit que, dès l’an prochain, les enseignantes et les enseignants devront être réaccrédités à tous les cinq ans par la passation d’un test et l’obligation, si nécessaire, de suivre des cours de rattrapage.

En Angleterre ou aux États-Unis, on va plus loin. On ferme les écoles non performantes ou on les confie à l’entreprise privée.

Avec le bâton, vient habituellement la carotte. Dans ce cas-ci, c’est la paye au mérite, déjà en vigueur en Grande-Bretagne et dans certains États américains. La conséquence logique, constatée en Angleterre, est que les parents veulent que leurs enfants ne soient confiés qu’aux professeurs ayant reçu des primes !

Jean Charest répond à l’appel

Ces mesures feront bientôt partie du programme libéral du parti de Jean Charest. Au prochain congrès, on proposera « la mise en œuvre d’évaluations périodiques des compétences des enseignants ». « De telles évaluations, peut-on lire dans les documents du parti, permettront d’encourager l’excellence en récompensant, notamment par des primes salariales, les enseignants émérites, et assureront aux parents que les quelques enseignants qui ne rencontreront pas les critères de compétence minimaux bénéficieront d’un programme d’amélioration de leurs compétences. »

Parions que le gouvernement du Parti québécois va encore une fois chercher à doubler les libéraux en mettant lui-même en vigueur ces politiques.

L’Institut économique de Montréal 0 un « think tank » de droite

L’Institut économique de Montréal (IEM) est un « think-tank » de droite qui travaille en étroite collaboration avec le Fraser Institute de Colombie-Britannique.

L’IEM existe depuis environ un an et demi. Plus de 500 articles se référant aux travaux de l’IEM sont répertoriés dans les journaux québécois. C’est un institut privé. Son financement est secret, mais La Presse du 11 juin 2000 a fait état d’un don de 75 000 $ de la Banque de Montréal.

Le président honoraire de son conseil d’administration est Yves Guérard, président de la firme d’actuaires Ernst & Young, et le président du Conseil est Adrien Pouliot, ancien propriétaire de CFCF-TV. Le président du conseil scientifique est l’économiste Jean-Luc Migué qui a écrit de nombreux articles en faveur de l’impôt à taux unique prôné par Stockwell Day. L’Institut est rattaché à la Société du Mont-Pèlerin mise sur pied par Friedrich von Hayek, le gourou de la philosophie néolibérale.

Le bon exemple vient des États-Unis et d’Angleterre

Dans une allocution prononcée le 29 janvier 2000, le professeur en droit du travail de l’Université Laval, Réjean Breton, a présenté favorablement les réformes de l’éducation en cours en Angleterre et aux États-Unis.

Selon le professeur Breton, pour attirer et retenir les meilleurs enseignants et encourager l’excellence dans l’enseignement, une série de mesures ont été introduites dans ces pays, incluant notamment des incitations salariales et un mécanisme de promotion accélérée. Cela a nécessité des réformes additionnelles 0 la mise en place d’un système efficace d’évaluation de la performance des enseignants; la transformation des directeurs d’école en véritables dirigeants avec le pouvoir d’embaucher, de licencier et d’administrer leur école; et des changements dans la façon d’organiser le système scolaire, notamment sur le modèle américain des « écoles à charte » spécialisées et des bons d’éducation qui permettent aux parents de choisir l’école où ils veulent envoyer leurs enfants.

Le professeur Breton a conclu en affirmant que l’introduction de pareilles réformes dans le système québécois d’éducation constituerait un véritable défi, parce que l’idée même d’attribuer un mérite et d’évaluer la performance des enseignants attaque de front la politique actuelle de rémunération et de promotion fondée sur la séniorité et la « permanence » garanties par le syndicat.

Le seul frein 0 les lois québécoises du travail

En réalité, a-t-il noté, les lois du travail existantes au Québec empêcheraient tout simplement les élus et les directeurs d’école d’enclencher les changements nécessaires à une telle réforme. Toutefois, M. Breton prétend que le statu quo sera impossible à maintenir pour bien longtemps parce que les problèmes auxquels est confronté notre système d’éducation deviennent critiques et forceront les changements.

Ce à quoi contribue évidemment l’IEM par la publication de son palmarès des écoles !

Le palmarès des écoles consacre l’école privée

La publication d’un palmarès des écoles ne peut évidemment qu’être à l’avantage des quelque 400 écoles privées qui écrèment le réseau scolaire québécois en ayant la possibilité de sélectionner les meilleurs élèves.

Près de 100 000 élèves fréquentent les institutions privées de niveau primaire et secondaire au Québec. Cela représente environ 10 % de la clientèle scolaire. Cependant, les écoles privées n’accueillent que 2 % des élèves en difficulté au primaire et 0,2 % au secondaire.

La répartition de la clientèle des écoles privées varie selon les niveaux d’enseignement et les régions. Si l’école privée accueille 5 % des élèves au primaire, ce taux oscille entre 15 % et 17 % au secondaire. Elle se concentre dans les régions urbaines où entre 20 % et 25 % de la population scolaire fréquente l’école privée, soit près d’un élève sur quatre !

Le plus scandaleux est que les écoles privées sont financées à même des fonds publics à hauteur de 60 % à 70 %.

Toute véritable réforme démocratique du système d’enseignement devrait commencer par l’abolition du financement public de l’école privée. Mais nous assistons en fait au phénomène inverse avec une augmentation de jusqu’à 30 % des inscriptions dans les écoles privées suite à la publication du palmarès des écoles.

Les chèques-éducation du président Bush

Cette proportion pourrait augmenter considérablement si on introduit le système des chèques-éducation (« vouchers ») que la nouvelle administration Bush vient de présenter pour adoption au Congrès. Les parents recevraient directement un montant d’argent pour l’éducation de leurs enfants et pourraient les envoyer à l’école de leur choix.

À souligner que d’autres mesures proposées dans le plan Bush (examens standard dans les États, palmarès des écoles, etc.) ressemblent beaucoup à ce qui est discuté actuellement au Québec. Mondialisation, quand tu nous tiens !

Ce qui importe, c’est d’avoir le pas

Que les différents éléments de la réforme de l’éducation en cours au Québec (décentralisation, évaluation, etc.) soient similaires à ce qui se passe en Angleterre, aux États-Unis ou en Ontario n’est pas le fruit du hasard.

La réforme est mondiale. Elle est pensée et prescrite par des organismes internationaux comme l’OCDE, le regroupement des principaux pays industrialisés, et discutée dans le cadre de la ZLEA, la zone de libre-échange des Amériques.

La ZLEA doit se réunir à Québec au mois d’avril et il sera question d’éducation. Déjà, on en a traité lors des rencontres de la ZLEA à Miami en 1994 et Santiago (Chili) en 1998.

Haro sur le nivellement par le bas

C’est à Miami que les chefs d’État ont établi l’objectif d’un taux de réussite de 100 % au primaire. Il y a aussi été convenu de mettre l’accent sur la qualité de l’éducation plutôt que sur l’accessibilité, de rapprocher la formation professionnelle des besoins du marché et des employeurs, et de mettre le secteur privé à contribution. De plus, on a mis de l’avant des stratégies conduisant à une décentralisation des responsabilités financières et à une centralisation du curriculum et de l’évaluation.

Cette orientation avait initialement été développée par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de ses programmes d’ « ajustements structurels » imposés aux pays latino-américains dans les années 1980 pour résoudre le problème de la dette. En éducation, l’accent était mis sur la « crise de la qualité » qui aurait découlé d’une accessibilité accrue – le fameux « nivellement par le bas » – et sur la soi-disant inefficacité de l’État-providence.

À Santiago, on a repris les objectifs définis à Miami et on a élaboré un plan d’action s’articulant autour de onze priorités. Au nombre de celles-ci, on note la volonté de « renforcer les mécanismes d’évaluation de la qualité de l’éducation » et l’établissement d’ « indicateurs » à cet effet.

Par la suite, des rencontres des ministres de l’Éducation ont eu lieu à Brasilia en juillet 1998, puis à Mexico en mars 1999.|196| 
395|Sans les six victimes de Walkerton, le ministère de l'Environnement du Québec aurait continué à faire le mort…|André Bouthillier|Il était une fois en Ontario… dans une petite ville nommée Walkerton, un gestionnaire incompétent laissé à lui-même depuis que le premier ministre de la province restreint l’accès aux outils nécessaires à la surveillance de la qualité de l’eau. Ce qui devait arriver arriva. Deux mille personnes s’ intoxiquèrent et six personnes perdirent la vie du simple fait d’avoir bu de l’eau infectée par un parasite nommé E.coli. Une commission d’enquête confirme déjà l’incompétence du gestionnaire mais aussi sa malhonnêteté. Maintenant les commissaires s’affairent à prouver que le système provincial souffrait de déréglementation aiguë.

Il était une fois au Québec… 1000 réseaux d’aqueduc ne traitant pas l’eau distribuée, un gouvernement qui s’accommode d’un règlement sur la qualité de l’eau qui date de 1984 et qui ne tient pas compte des progrès scientifiques réalisés dans le domaine de l’eau potable, et un premier ministre qui diminue sans cesse les outils du ministère de l’Environnement quant à la surveillance de la qualité de l’eau.

Tout cela se passe en mai 2000... pourtant, en 1999, de nombreux mémoires déposés à la Commission Beauchamp, dont celui de la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau – Eau Secours!, avisent le gouvernement québécois du danger imminent. Même le docteur Payment, microbiologiste et spécialiste de l’analyse des eaux rattaché à l’Institut Armand-Frappier, alerte l’opinion publique en dénonçant les normes vétustes du règlement québécois sur la qualité de l’eau 0 « Les normes québécoises en matière de qualité de l’eau de consommation fournie par les municipalités sont inférieures à celles qui sont en vigueur aux États-Unis et dans les autres provinces canadiennes. »

Dans la foulée des événements de Walkerton... en juin 2000, le ministre de l’Environnement, Paul Bégin, déclare 0 «Nous ne voulons pas de Walkerton au Québec. » Et, sur la même envolée oratoire, il annonce un train de mesures qui seront adoptées par le gouvernement. De nouvelles normes s’appliqueront pour tous les systèmes de distribution d’eau potable, qu’ils soient municipaux ou privés, la désinfection de l’eau potable deviendra obligatoire dans tous les réseaux de distribution, même les plus petits, et la formation des opérateurs de tous les systèmes de traitement de l’eau deviendra aussi incontournable. Yé, de s’écrier le peuple !

Durant tout l’été... des articles de presse traitant de la pollution agricole qui se déverse dans les mêmes rivières où les villes puisent leur eau attirent l’attention du public. Trois éminents spécialistes québécois sur l’eau s’impatientent et demandent au ministre de bouger en dénonçant «l’interminable processus de révision » du règlement qui traîne depuis plus de dix ans.

Nous sommes maintenant rendus à la fin janvier 2001... les porte-parole du ministre continuent d’annoncer une politique sur la qualité de l’eau pour bientôt ! Par contre, un débat lancé à partir d’une étude-sondage réalisée en avril 2000 tente de convaincre l’opinion publique que le manque de formation des gestionnaires de l’eau serait responsable des dangers que courent les Québécois.

Le journal Le Devoir chapeaute... un de ses articles d’une citation du docteur Payment à l’effet « que c’est une question de vie ou de mort ». Comme inflation verbale, cela ne dépasse pas le fameux « génocide municipal » lancé par le maire de Verdun, mais ici l’effet sensationnaliste recherché par certains pourrait aider l’Association des embouteilleurs d’eau du Québec à atteindre son but.

Dites-moi donc à quoi ça sert... un gestionnaire municipal de l’eau compétent, s’il y a toujours plus de 1000 réseaux d’aqueduc dont l’eau n’est pas traitée ? Si aucun règlement n’oblige les propriétaires de puits artésien à faire vérifier leur eau ? À quoi ça sert, si les règlements qui déterminent les paramètres de la qualité de l’eau sont vétustes et surtout si le ministère de l’Environnement n’a plus le personnel nécessaire au suivi de la qualité de l’eau ? Veut-on protéger la population ou trouver des boucs émissaires ?|196| 
396|Précarité et iniquité sont le lot de 10 000 chargés de cours|Sophie Gélinas|

Le « cheap labor » du monde universitaire



Les revendications des chargés de cours ont été au cœur de l’actualité au cours des derniers mois avec la grève à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ça se poursuivra avec les négociations dans les autres universités.

Afin de faire front commun, tous les syndicats des chargés de cours des universités québécoises se sont unis au sein d’une coalition intersyndicale. Selon François Cyr, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), l’objectif premier de l’Intersyndicale est la reconnaissance des chargés de cours. Reconnaissance de leur contribution sociale dans la démocratisation des universités québécoises, reconnaissance de ce corps d’emploi trop souvent méprisé afin qu’il soit davantage intégré dans le processus décisionnel et dans l’enseignement au premier cycle, reconnaissance enfin par le rattrapage salarial afin, dit-il, « que cessent les années d’exploitation et d’iniquité ».

Ils sont là depuis toujours

Avant même la formation de corps professoraux réguliers permanents, les chargés de cours étaient présents au sein des universités québécoises et reconnus socialement pour leur expérience. C’est là la source première de leur précarité. Ils étaient rémunérés de façon symbolique, donc inéquitable, pour leur contribution personnelle et sociale à l’université en retour des connaissances qu’ils y avaient acquises.

Avec la démocratisation et la plus grande accessibilité au cours des années 1970-1980, leur nombre a augmenté. Ils sont aujourd’hui plus de 10 000. Ils dispensent la moitié de l’enseignement du premier cycle, rejoignant ainsi 85 % des étudiantes et étudiants universitaires. Au cours des ans, ils se sont constitués en syndicats, mais leurs conditions de travail sont demeurées inférieures à celles du corps professoral permanent.

De 15 semaines en 15 semaines

Précarité et iniquité, tel est leur lot. Leur contrat de travail ne dépasse pas quinze semaines, soit la durée d’une session universitaire, et ils et elles travaillent de façon irrégulière. La possibilité de pouvoir toucher des prestations de chômage l’été est de plus en plus réduite avec les restrictions à la loi de l’assurance-emploi. À signaler également le peu de protection en cas de maladie.

Leur enseignement se fait dans des conditions matérielles difficiles. Ils n’ont pas de bureaux à leur disposition pour l’encadrement des étudiants. De cette façon, les administrations universitaires épargnent sur les coûts de soutien à l’enseignement et sur les infrastructures nécessaires à l’encadrement des étudiants et des étudiantes.

L’iniquité salariale est une autre donnée importante de la réalité de ce « prolétariat » du milieu universitaire. Une étude gouvernementale menée par l’Institut de recherche et d’information sur la rémunération (IRIR) sur la situation à l’Université de Trois-Rivières nous apprend, qu’à taches d’enseignement comparables, il existe des écarts salariaux importants entre les chargés de cours et les professeurs. Mais, ajoute l’IRIR, « rien dans la description des tâches de ces deux groupes ne donne toutefois à penser que la tâche d’enseignement diffère ».

Le salaire annuel moyen d’un chargé de cours, qui accepte toutes les charges de cours proposées, est de seulement 20 000 $. De plus, selon l’IRIR, il existe un écart moyen de 71,5 % pour une charge de cours, au détriment des chargés de cours, bien sûr. Il obtient pour une charge de cours un peu moins de 5 000 $ alors qu’il devrait en gagner un peu plus de 8 000 $ !

Qui est l’otage de qui ?

Très souvent, les étudiants sont pris entre les légitimes demandes des chargés de cours et une administration appauvrie par les nombreuses compressions budgétaires. Lors de la grève à Trois-Rivières, certains avaient le sentiment d’être « pris en otage ». D’autres, comme dans le cas de l’Association des étudiants des secteurs sciences humaines, arts, lettres et communications de l’UQAM, soutiennent leurs revendications. La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) appuie les revendications de l’Intersyndicale dans la « lutte pour la reconnaissance de leur travail à l’université » ainsi que pour le reclassement salarial. Son président, Christian Robitaille, pense que la reconnaissance des chargés de cours aura des conséquences bénéfiques pour les générations étudiantes futures. De meilleures conditions pour les chargés de cours ne pourront qu’être bénéfiques pour les étudiants et étudiantes.

Quant à François Cyr, il affirme que les associations étudiantes ont intérêt à soutenir les chargés de cours afin de rallier l’opinion publique à leur cause. « Les grèves seront moins nécessaires et, si elles le sont, elles seront plus courtes, étant donné l’appui de la population. »

De nouvelles coupures nous «couperaient » des étudiants

François Cyr se dit très optimiste pour les mois à venir. Pour le vice-président de la FNEEQ, « l’histoire des chargés de cours révèle que la lutte syndicale et l’audace dont les syndicats ont fait preuve ont permis de gagner et de consolider des acquis ». Cependant, des rumeurs sérieuses de nouvelles compressions budgétaires de l’ordre de 400 millions inquiètent la FNEEQ. François Cyr affirme sans détour que « toute coupure supplémentaire viendrait compromettre les efforts d’encadrement des étudiantes et étudiants auxquels les chargés de cours pourraient contribuer par une meilleure reconnaissance de leur travail ».|196| 
397|Un moyen efficace pour vider les écoles|Pascal Bergeron|*

Courrier 0 La fameuse taxe à l’échec



En 1996, devant le refus des étudiants, en grève depuis un mois déjà, de plier dans leur lutte contre le dégel des frais de scolarité, le gouvernement du Parti québécois implante le controversé incitatif financier à la réussite, la fameuse « taxe à l’échec ». Les cégépiens de 23 collèges de la province reviennent à la charge cet hiver 0 ils ne veulent pas de ce moyen coercitif dont l’efficacité n’est toujours pas démontrée.

Selon la direction de l’enseignement supérieur au ministère de l’Éducation, la taxe à l’échec aurait eu des répercussions sur le taux de réussite. Celui-ci a augmenté de 3,3 % entre les sessions automne 1996 et 1999.

Mais au cours de la même période, le taux de passage du secondaire au collégial est passé de 63,4 % à 59,6 %. Cela découle de « diplôme d’études secondaires plus » (DES+), c’est-à-dire anglais et mathématique de secondaire 5 et histoire et physique de secondaire 4 comme préalable à l’admission au réseau collégial.

Considérant que 90 % des nouvelles inscriptions au collégial proviennent des finissants du secondaire, on peut en conclure que les 6 % d’étudiants les plus faibles retranchés du réseau sont le facteur déterminant de la hausse du taux de réussite au collégial mentionné précédemment.

D’autre part, des moyens tels les comités d’aide à la réussite, implantés à l’hiver 2000 dans certains collèges de la province, ont eu un effet impressionnant. Au collège de Rouyn-Noranda, par exemple, ce comité a rencontré tous les étudiants qui ont eu à payer une « taxe » pour des échecs lors de la session automne 1999.

Les résultats du travail de l’intervention sont probants. Le nombre d’étudiants ayant à payer une taxe à l’échec a diminué de 31 % à l’automne 2000 par rapport aux deux sessions d’automne antérieures. Une intervention directe auprès de l’étudiant est donc beaucoup plus rapide et efficace dans la poursuite d’objectifs de réussite que les moyens coercitifs mis en œuvre par le gouvernement.

*Association générale des étudiants du Cégep de Rouyn-Noranda|196| 
398|Au Pied-du-Courant, comme si vous y étiez|Jean-Claude Germain| « Quand les prisonniers seront sortis et qu’on pourra parler, c’est alors qu’il s’en découvrira bien des infamies, des bassesses, des atrocités, des inhumanités, qui feront horreur à tout ce qui a du cœur », ose espérer Denis-Émery Papineau dans une lettre qui date du 25 juin 1838.

Georges Aubin n’a pas choisi sans une certaine ironie de mettre ces mots en exergue de son dernier ouvrage, Au Pied-du-Courant. La grande majorité des lettres et des requêtes de prisonniers politiques de 1837 et de 1838, qu’il a rassemblées pour la première fois dans un même livre, étaient à ce jour peu connues ou inédites. Le roman Le temps de parler qu’annonçait le jeune neveu du Grand Tribun, avec toute la naïveté de ses dix-neuf ans, n’est jamais venu.

Au Québec, le silence de la mémoire n’est pas une maladie, c’est un choix politique. L’histoire est toujours écrite pour ne pas déplaire aux vainqueurs et, à partir du moment où on a adopté leur point de vue, les « Troubles » de 1837 se sont métamorphosés en une « Rébellion ».

La Répression de 1837

Pour les Patriotes détenus à la prison du Pied-du-Courant en 1838, il s’agissait bel et bien d’une « Répression ». « Eût-on médité une révolte, il eut été facile de se procurer dans les États voisins un armement suffisant pour toute la population canadienne », fait remarquer Robert-Shore-Milnes Bouchette à un correspondant anglais. « Le but immédiat n’était pas de renverser la domination britannique; on voulait se protéger contre l’exercice arbitraire du pouvoir ministériel et judiciaire. »

Le notaire Girouard abonde dans le même sens. La «Répression» n’est pas une bavure, c’est une action concertée. « Il avait été décidé par les autorités que les forces considérables qui composaient l’expédition contre les Canadiens n’étaient pas destinées à s’emparer des chefs de la prétendue révolte ou rébellion, mais bien à détruire de fond en comble, s’il était possible, le patriotisme dans le comté, en portant le fer, le feu et le pillage, chez tous les braves bonnets bleus », témoigne le député de Deux-Montagnes qui, le jour du combat de Saint-Eustache et du sac de Saint-Benoît, a vu sa maison brûler sous ses yeux.

Comme tous ses compagnons d’infortune, il est outragé par la sauvagerie de la « Répression ». « Après avoir tout pillé ce qui se trouvait dans la maison et les bâtiments d’une terre, et s’être emparés de tous les animaux, les barbares faisaient déshabiller les hommes, les femmes et les enfants que l’on laissait presque nus à la porte de leur maison embrasée », écrit le notaire à son ami Augustin-Norbert Morin, qui a été l’un des cinq patriotes arrêtés à Québec, puis relâché.

Les visages à deux faces de l’Ordre

Les pire déprédations ont été commises par les volontaires et les loyaux, mais l’inhumanité des conditions de détention n’est pas uniquement le fait de la soldatesque anglaise, elle emprunte les traits plus familiers du shérif. « Roch de Saint-Ours est vil, il est soumis à un domestique anglais, arrogant et hautain jusqu’à la cruauté avec des prisonniers qu’il ne craint pas à présent », rage l’avocat André Ouimet. « Cet hiver, il a laissé des centaines d’hommes pendant trois mois sans lits, sans couvertures et, ce qui arrache le cœur, il les a laissés jusqu’à 48 heures sans eau, les obligeant par là à boire l’eau dans laquelle ces braves gens avaient lavé leur vaisselle et s’étaient lavé les mains. »

Pour le président et fondateur des Fils de la liberté, la goutte qui a fait déborder le vase, c’est la complaisance criminelle de Monseigneur Lartigue envers l’Occupant. « Vous avez encensé Sir John Colborne pour son humanité, sa douceur, c’est admirable ! Mais avouez qu’il vous a fait une injustice, en ne vous faisant point un membre du Conseil spécial », écrit Ouimet à l’évêque dans un contre-mandement anonyme. « Vous auriez bien brillé par vos actes de douceur et d’affection au milieu d’hommes qui, tandis que vous nous auriez condamnés spirituellement, nous auraient, comme ils l’ont fait, condamnés temporellement. »

L’Insurrection de 1838

La « Répression » de 1837 a provoqué l’ « Insurrection » de 1838. Au printemps, avant d’être exilés aux Bermudes ou relâchés, plus de 500 détenus logeaient au Pied-du-Courant; à la fin de l’automne, l’Hôtel de Sa Majesté ouvre ses portes à une deuxième vague de prisonniers politiques. Ils sont maintenant plus de 800 et la majorité d’entre eux sont des cultivateurs illettrés et sans ressources.

Charles-Guillaume Bouc est commis. Il sollicite l’aide de Joseph Masson. « Je me trouve dans une grande misère; je n’ai aucun secours de ma famille, ni d’amis, pour me soulager de ma détresse, » écrit-il au seigneur de Terrebonne qui a un jugement contre lui. « Je vous prie bien de vouloir m’envoyer une couple de piastres pour me procurer des provisions et de faire votre possible pour faire vendre ma terre. »

Une peine encore plus grande que le châtiment

La cour martiale, qui n’a d’un tribunal que l’apparence, a promulgué une centaine de condamnations à mort en un temps record. La première victime de cette justice expéditive est Joseph-Narcisse Cardinal. Arrêté le 4 novembre, condamné le 14 décembre, il devra monter sur l’échafaud le 21. Les soucis de Cardinal sont matrimoniaux. « Est-il possible, chère amie, que tu refuseras toujours de m’écrire un petit mot de consolation que je désire avec tant d’ardeur ? » s’interroge le général de l’armée patriote dans une lettre à sa femme. « Si je ne connaissais ton bon cœur, ton amour pour moi, je soupçonnerais que c’est par ressentiment ou par indifférence que tu me négliges ainsi. »

Quelques jours plus tard, Joseph-Narcisse se fait d’autant plus pressant que, son procès étant terminé, il ne lui sera plus permis de voir ses avocats et de recevoir des nouvelles du dehors. « À quoi dois-je attribuer ton silence assommant ? Tu as pu aisément depuis dimanche répondre à ma lettre et cependant je n’ai encore rien reçu », s’impatiente le condamné. « Est-ce indifférence ? Est-ce haine ? Ou plutôt me refuses-tu le pardon que je te prie de m’accorder et qui m’est si nécessaire pour la paix de mon âme ? »

La veille de sa pendaison, Cardinal doit se résoudre à mourir sans que sa femme lui ait donné signe de vie. « J’espérais te voir, mais l’heure avancée de la veillée me fait perdre espérance. Oh ! qu’il m’eut été doux, que la mort m’eut été moins dure, si j’eusse pu te presser sur mon sein, te donner les derniers baisers », soupire-t-il en vain une dernière fois. « Il paraît donc que lorsque je te quittai en pleurs, le 3 novembre, c’était pour ne plus te revoir. »

Un héros comme dans les livres

Officier français d’origine suisse, Charles Hindelang a été le lieutenant de Nelson à Napierville et à Odelltown. Il n’a pas de famille au Bas-Canada. Dans les heures qui précèdent son exécution, il noircit du papier pour ne pas broyer du noir. « Nous venons de nous séparer mais l’envie de bavarder me tient encore », lance-t-il par écrit à un compère aussi dépareillé que lui. D’origine hongroise et sympathique aux Patriotes, le baron Fratelin est soupçonné d’espionnage par les autorités.

« Baron, si jamais un de ces habits rouges te tombe sous la main, fais lui prendre le même chemin afin qu’il m’apporte de tes nouvelles », raille le futur pendu. « Mais souviens-toi que je suis général et qu’il me faut quelque chose de bien, au moins un colonel0 sans cela je te le renvoie. »

Le lendemain, dans le froid d’un matin de février 1839, Charles Hindelang affronte le silence de la mémoire, avec ses quatre compagnons 0 Daunais, Narbonne, Nicolas et De Lorimier. Les mains liées dans le dos, de manière qu’il ne puisse gesticuler qu’avec la tête, il s’avance au devant de l’échafaud et adresse un discours au peuple que les journaux n’ont pas voulu ou pu reproduire.

Hindelang avait pris soin d’en faire circuler des copies parmi les détenus. « La cause pour laquelle on me sacrifie est noble et grande 0 j’en suis fier », proclame-t-il à la face de l’Histoire. « Canadiens, mon dernier adieu est le vieux cri de la France 0 VIVE LA LIBERTÉ! » Si Charles Hindenlang n’avait pas existé, nous n’aurions pas su l’inventer. Est-ce une raison suffisante pour que notre mémoire continue de se priver du souvenir de son panache ?|196| 
399|Le modèle québécois|Jean-Claude Germain|

Livre et cinéma



La manière tout à fait particulière qu’ont les Américains de donner leur vie pour leur pays ou la démocratie occupe déjà tout un rayon de notre mémoire culturelle. C’est d’ailleurs une collection d’attitudes héroïques que la télévision générale et spécialisée se charge de mettre à jour et d’aviver en permanence.

Bref, notre répertoire des diverses façons qu’ont les autres de mourir pour leur patrie ou la liberté, est fort respectable. Il comprend tout aussi bien la mort à la française que l’australienne, la britannique, la juive, la russe, la japonaise, la mexicaine, la suédoise et l’irlandaise. Il ne lui manquait, symptomatiquement, qu’une image de la mort québécoise.

Le cinéma d’ici abonde en scènes de veillées funèbres, de corbillards et de cercueils erratiques, d’enterrements loufoques, d’agonies larmoyantes et surtout de morts imprévues, inexpliquées et accidentelles. Il aura fallu attendre le film de Pierre Falardeau pour affronter et confronter une mort qui dépasse la disparition des individus puisqu’elle coïncide avec la mort appréhendée de la nation elle-même et de son rêve, qui est sa raison d’être.

18 FÉVRIER 1839 n’est pas uniquement un grand film, c’est un moment de la conscience collective. C’est l’image de la mort québécoise qui nous est donnée dans toute sa fragilité et sa grandeur. On avait jadis sorti Dollard des Ormeaux des boules-à-mythes pour occulter la figure tragique du docteur Chénier. Le temps est enfin venu pour la lucidité et la détermination d’un héros de tête et de cœur, Chevalier de Lorimier.|196| 
400|Trudeau et le cynisme de l’histoire|Michel Lapierre| Le coureur des bois Pierre Trudeau (1919-2000), qui aimait se faire appeler Pierre Elliot Trudeau, cache, au fond de lui, un Québécois on ne peut plus banal. Jésuitique, Trudeau croyait trop à la liberté pour ne pas l’orienter. Sous des dehors progressistes, ce Canayen était bien de sa génération et adorait la grande noirceur de nos forêts. Aussi l’avènement de la télévision et la Révolution tranquille lui ont-ils passé sous le nez. Devant l’émission Point de mire qu’animait René Lévesque, la petite revue Cité libre ne faisait pas le poids. Trudeau sera l’homme de la réaction. La fameuse rose à sa boutonnière sera rouge de colère.

Pour Pierre Trudeau, le Québec porte un nom intime, celui de son propre père Charles-Émile, qui, mort prématurément, levait le coude, brassait des affaires, parlait joual et admirait Camillien Houde. C’est ce Québec bon vivant que Trudeau voudra assassiner, même s’il lui devait l’argent et l’assurance que procure l’argent.

La comédie de la modernité

Voilà, en gros, les idées lumineuses que développe Michel Vastel dans Trudeau le Québécois, excellente biographie, récemment mise à jour. Mais Vastel ménage trop, à mon goût, la chèvre et le chou. Il n’ose pas déboulonner, une fois pour toutes, l’éternel brébeuvois qui a si bien su jouer la comédie de la modernité.

Grâce à l’aisance matérielle, Trudeau a pu se distinguer de la masse, même si cette aisance était moins considérable qu’on l’a parfois cru. Le jeune homme a masqué sa vraie nature de Canayen par un bilinguisme de bon ton, des pitreries, des déguisements, des lectures trop sérieuses et des vagabondages à peu de frais autour du monde. Il s’est forgé un accent de toutes pièces pour ne pas parler notre langue comme son père, fils d’un cultivateur illettré de Saint-Michel-de-Napierville.

Maître de la pirouette, Trudeau avait l’art de l’invention et savait depuis toujours qu’il deviendrait premier ministre du Canada. Sa mère, Grace Elliot, fille d’une Canadienne française et d’un tavernier bilingue, issu de la race glorieuse des « Écossais » de la région de Saint-Gabriel-de-Brandon, n’a même pas réussi à lui transmettre la parfaite intonation anglaise que les vrais Canadians reconnaissent comme l’apanage des leurs. L’Écosse de Trudeau s’était depuis longtemps perdue dans les eaux du lac Maskinongé.

La conception de la démocratie et du progrès social de Trudeau était trop livresque et trop légaliste pour triompher de l’épreuve de la réalité. Sa compréhension de la culture et de l’histoire était si superficielle qu’elle ne lui a pas permis de faire la nette différence entre l’identité nationale et la simple pratique d’une langue. Pour cet esprit dogmatique, qui avait mal digéré le XXe siècle, la justice et les droits de l’homme allaient de pair avec la mystification. La culture de Trudeau était faite de citations. Ce qui permettait tous les faux-fuyants.

Associer le séparatisme au nazisme

Un curieux mélange d’universalisme néothomiste, de libéralisme britannique et de je-m’en-foutisme occupait l’esprit du messie du bilinguisme et du multiculturalisme. Sous l’influence du jésuite manitobain Robert Bernier, son maître à Brébeuf, et de Lord Acton, grande figure du catholicisme anglais au XIXe siècle, Trudeau niait, au nom de Dieu, le principe des nationalités, car il savait très bien que Dieu avait encore bonne presse au Québec. Ce qui lui permettait, en mai 1964, dans Cité libre, d’associer, le plus simplement du monde, le séparatisme au nazisme.

Trudeau, le catholique pratiquant, s’inspirait, à sa façon, des accommodements rendus célèbres par les Jésuites et annonçait, sans problème, la légalisation plus ou moins complète du divorce, de l’avortement, de l’homosexualité et des loteries. La révolution sexuelle et les Lavigueur lui doivent beaucoup. Plus tard, Trudeau se métamorphosera, l’espace d’un instant, en curé de campagne pour nous rappeler que, privé de la revanche des berceaux, le séparatisme perdra tout son sens.

En fait, Trudeau flirtait avec les idées avancées comme il flirtait avec les femmes. Selon Gérard Pelletier, « l’intérêt de Pierre Trudeau pour les femmes venait de son goût de la découverte plutôt que d’un penchant pour le vice ». Si le célibataire endurci a épousé la frivole Margaret Sinclair, c’était pour la réformer. « En échange de quoi elle lui ferait des enfants sains », assure une amie de Trudeau. Si l’homme politique admirait Castro, c’était parce que l’amitié avec cet ennemi des États-Unis affermissait l’indépendance du Canada et le nationalisme Canadian.

Quant à l’intérêt de Trudeau pour le N.P.D., il était si profond que le socialiste bohème deviendra libéral… Pas question de bouleverser le bipartisme fédéral au profit des indépendantistes québécois. Imaginez la situation si le N.P.D., en pleine ascension à l’époque, et un nouveau parti de droite, issu de l’Ouest rouspéteur, avaient simultanément devancé les libéraux et les conservateurs au Canada anglais ! Le Canada anglais serait devenu, pour notre délice, un théâtre politique typiquement anglo-saxon et protestant. Le N.P.D., héritier du Social Gospel des pasteurs Woodsworth et Douglas, aurait affronté une droite populiste, héritière du créditisme des pasteurs Aberhart et Ernest Manning. Laissé pour compte, Elvis Gratton n’aurait plus reconnu son Canada et se serait découvert une destinée québécoise.

La pirouette et la jambette

Toujours aussi jésuitique, Trudeau compensera les méfaits de la révolution sexuelle par une révolution missionnaire, fondée sur le multiculturalisme. Le Canada deviendra de moins en moins anglais et de moins en moins canayen. Quelle chance historique pour le Parti libéral ! Il sera presque appelé, en vertu des lois arithmétiques, à détenir le pouvoir pour l’éternité.

Mais Trudeau n’a pas l’âme tranquille pour autant. L’impensable s’est réalisé. La Caisse de dépôt et placement, création de la Révolution tranquille, est devenue l’un des principaux actionnaires du Canadien Pacifique, symbole même de la Confédération ! En 1982, Trudeau tente de réduire la puissance de la Caisse, mais recule à la dernière minute. Le plaisantin commence à se heurter à l’histoire.

Celui qui, comme le dit Vastel, « en donne aux Anglais plus qu’ils en demandent » constate que ces derniers, préoccupés par la gestion des finances publiques, l’accusent, lui le French Canadian, si pingre dans la vie privée, d’avoir mené le Canada au bord de la faillite. Charles-Émile Trudeau était devenu riche en vendant ses stations-service à l’Imperial Oil ; l’Écosse des Elliot ne remontera jamais à la surface du lac Maskinongé ; et Pierre Elliot Trudeau doit se résoudre à inviter la reine à Ottawa pour qu’elle sanctionne le rapatriement de la Constitution et la Charte des droits et libertés. Le cynisme de l’histoire l’emporte sur le cynisme du premier ministre. Mais, entre une pirouette derrière la reine et une jambette au Québec, Trudeau se vengera de Dieu et du monde entier en léguant au Canada tout ce qu’il mérite 0 Jean Chrétien.

Michel Vastel, Trudeau le Québécois, Éd. de l’Homme, 2000.|196| 
401|Les majuscules de Vadeboncœur|Michel Lapierre|

Livre



Pierre Vadeboncœur a toujours été extrêmement doué pour les grandes proclamations. Dans La Ligne du risque (1963), il reconnaissait en Borduas le père de la modernité québécoise, avec une solennité qui nous laissait tous pantois. Son petit livre La dernière heure et la première (1970), traité de l’indépendance politique, n’était rien de moins que l’apocalypse du Québec. Aujourd’hui, dans L’Humanité improvisée, l’essayiste octogénaire nous livre, à l’improviste, le plus parfait des paradoxes 0 une réfutation postmoderne du postmodernisme.

Pour réussir ce tour de force, Vadeboncœur retrouve, dans l’esthétique, cette pensée en majuscules qui permet de rejeter toute pensée en minuscules. « La poésie, écrit-il, parle de ce qui est absent, ou plutôt de ce qui est Absent. À ce niveau-là de l’absence, il s’agit d’une Présence. » Quoi de plus postmoderne que cette évasion raisonnable hors des frontières du raisonnement ! On ne le sait que trop bien 0 les composantes de la modernité, chère à Vadeboncœur, prennent la majuscule. La Culture, l’Histoire, la Liberté, la Révolution, l’Absolu… Mais si la modernité se résume dans un petit rien typographique, pourquoi donc, comme le fait l’essayiste, décrire la postmodernité comme le règne terrifiant de l’immédiateté, de l’illusion et de la superficialité ? Le présent vulgarisé par la minuscule ne vaut-il pas le passé mythifié par la majuscule ?

L’amour des majuscules conduit Vadeboncœur à la vénération des lettrines médiévales. Il préconise un retour à Péguy, qui a tant célébré Jeanne d’Arc et la cathédrale de Chartres. La profondeur historique de ce grand écrivain serait l’antidote idéal au postmodernisme qui, par sa nature, renie l’histoire. Et, fort heureusement pour nous, Péguy a des épigones québécois, que Vadeboncœur propose à notre dévotion 0 le poète Gaston Miron et le peintre méconnu Gabriel Filion.

Tout cela est fort charmant. Ce qui l’est beaucoup moins, ce sont de petites phrases comme celles-ci, où le passéiste tente de définir la postmodernité 0 « C’est sans doute la première fois que se réalise cette chose bizarre 0 la démocratie de la pensée. Autant dire la fin de toute philosophie constituante. » Comment l’homme de gauche, qui a toujours exalté l’autorité du peuple, peut-il en arriver à une conception aussi élitiste ? L’envoûtement des majuscules l’aurait-il transformé de la tête aux pieds ? Quoi qu’il en soit, Vadeboncœur prend le postmodernisme trop au sérieux, en croyant que cette pensée est tout à fait ce qu’elle prétend être. Il y voit le pouvoir intellectuel de la masse. C’est là une interprétation postmoderne, qui n’a guère de rapport avec la réalité.

Curieusement – compte tenu de son engagement syndicaliste –, Vadeboncœur néglige, dans son essai prolixe, les deux seuls mots qui révèlent la face concrète de la postmodernité, où se cache le royaume des élus 0 néolibéralisme et mondialisation. Qu’est-ce qui mieux que ces mots, tout en minuscules, pourrait donc éclaircir la fin de l’histoire et la mort des idéologies ?|196| 
402|Une Charte écrite par des avocats répond aux besoins des avocats|Jacques Larue-Langlois| « ...la Charte a tellement gonflé l'importance des juristes que les valeurs qu'ils défendent sont en voie de devenir dominantes. » Avec des déclarations de ce genre, Michael Mandel, professeur de droit à l'Université York de Toronto, espère ouvrir les yeux de tous les Canadiens, et en particulier des Québécois, premiers lésés par les multiples tours de passe-passe juridiques auxquels se livre le gouvernement pour masquer son incapacité à gouverner en passant la balle au système judiciaire plutôt que de prendre des décisions susceptibles de lui nuire politiquement.

Or, soutient Mandel, « la profession juridique est loin d'être représentative de la population en général. Les étudiants en droit proviennent de manière disproportionnée des classes les plus aisées de la société. S'il est un corps professionnel qui a prouvé qu'il ne méritait pas qu'on le place au-dessus du gouvernement pour représenter le peuple, c'est bien celui-là. »

« En filtrant l'opposition politique à travers le système juridique, on n'a pas seulement échoué à réduire les inégalités sociales déjà fort importantes au Canada, on les a renforcées. »

Du droit divin au droit humain des juges

Premiers à soumettre leurs lois au contrôle du pouvoir judiciaire, les Américains ont tout simplement substitué au droit divin constitué par l'autorité royale le droit judiciaire fondé sur la suprématie des décisions des tribunaux. Selon la constitution américaine, en effet, la protection des droits de propriété repose, en dernière instance, sur un appareil judiciaire (la Cour suprême des É.-U.) dont les membres sont nommés à vie par le gouvernement central et auxquels ce même gouvernement donne le pouvoir de renverser toute loi qui risque de porter atteinte à ces droits, inaliénables avant tout. Aujourd'hui, tant aux É.-U. qu'au Canada, le système moderne de contrôle judiciaire repose sur ces prémisses.

On l'a vu encore à l'occasion de la récente saga des élections américaines à la présidence, alors que, dans un jugement partagé exactement selon l'appartenance politique, les juges du plus haut tribunal ont tranché en faveur du candidat de celui des deux partis qui les avait personnellement imbus d'une autorité supra-parlementaire. Ce ne sont pas des principes légaux qui ont provoqué la décision finale de la Cour suprême; et pourtant, celle-ci venait mettre fin à un imbroglio sans précédent qui devrait lui permettre, à l'avenir, de choisir le président (en quelque sorte par cooptation). C'est la ligne de parti qui a dicté sa conduite. Le tout au détriment des citoyens d'un État (la Floride) où les bulletins de vote étaient si mal foutus que l'électeur moyen n'a pu, semble-t-il, le remplir correctement.

La Charte des droits canadienne a toujours été une arme contre l’indépendance

Un historique détaillé de ce transfert d'autorité aux É.-U. et au Canada précède d'ailleurs, dans l'excellente analyse de ce juriste ontarien ouvertement ami du Québec, un exposé qui parvient à faire le lien entre l'élection du Parti québécois et le projet d'enchâssement de la Charte des droits dans la constitution canadienne. C'est ainsi que, face aux revendications québécoises en matière de statut constitutionnel, le gouvernement canadien n'a rien trouvé d'autre que de poser aux tribunaux une question distincte sur les conventions constitutionnelles. Selon Michael Mandel, ce faisant, «on leur demandait de s'exprimer sur une chose qui se situe hors du domaine de la loi et du jugement. Les principes de l'institution judiciaire qui limitaient ses fonctions à l'application de la loi dans le jugement des différends, limitant ainsi ses pouvoirs, avaient, toujours selon l'auteur de cette étude, rapidement été relégués aux oubliettes.»

« ...le Canada ne doit pas sa Charte aux sentiments humanistes ou démocratiques de ses promoteurs, insiste-t-il; les grands défenseurs de la charte dans le monde politique l'ont tout le temps perçue comme un expédient visant à lutter contre le mouvement indépendantiste québécois... »

La Charte est moins démocratique que le Parlement

« Une fois admise la nature controversée des droits constitutionnels et la grande différence d'interprétation pouvant résulter des disparités idéologiques existant entre les juges eux-mêmes, et entre les juges et la majorité de la population ensuite, l'idée que le contrôle judiciaire puisse être démocratique – notion comprise ici dans son sens usuel de protection des pouvoirs du peuple – s'envole en fumée. » « La Charte, écrit Mandel, devient ainsi en quelque sorte moins démocratique que la démocratie parlementaire dont elle est censée garantir l'intégrité. Les élus ont abdiqué leur pouvoir au profit du judiciaire, ce qui n'est guère mieux qu'au profit de l'armée. D'autant plus que les frais d'avocats sont absolument prohibitifs pour la plupart des institutions comme des citoyens. Ce sont les minorités riches qui peuvent bénéficier d'une arme prétendument conçue en vue de défendre les minorités des abus du pouvoir. Cette primauté des droits individuels sur les droits collectifs, d'origine essentiellement américaine, suffit à troubler plus d'un légiste. Ainsi, quiconque a visité une bibliothèque juridique canadienne sait quelle place y tient la jurisprudence américaine. »

La Charte des droits contre la Charte de la langue française

La question linguistique se situe au centre... de la judiciarisation du politique... parce qu'elle a eu une incidence sur le moment où la Charte a été promulguée, comme sur sa forme. Dans les années cinquante, c'est le problème constitutionnel que posait le Québec qui avait empêché l'avènement de la Charte au Canada (il semblait impossible d'inclure dans un tel instrument des revendications que d'aucuns considéraient comme des privilèges favorisant la minorité de parlant français entêtés du Québec. Puis, arriva l'ère Trudeau, et la Charte devint le moyen de résoudre le problème québécois. Ce que le gouvernement n'osait faire, les tribunaux étaient mis en demeure de le prescrire formellement.

« Alors que le Parti québécois avait conçu ses lois linguistiques pour promouvoir de façon assez explicite les intérêts sociaux, économiques et politiques d'un peuple bien réel qui se définissait entre autres par sa langue, la judiciarisation a transformé la question en une chose assez différente 0 le droit d'individus abstraits et hypothétiques de choisir l'une ou l'autre langue officielle et de recevoir des services dans cette langue. Ainsi, une lutte concrète qui opposait des forces inégales fut transformée en une lutte de droits individuels, c'est-à-dire de droits d'identités abstraites, égales et libres, ce qui n'existe que dans l'esprit des juges.»

La Charte ne reconnait pas le droit de grève

L'horreur de la démission des élus devant l'exercice réel du pouvoir – qu'ils ont pourtant convoité – va même jusqu'à imposer aux tribunaux d'exclure des preuves, pertinentes ou non, dont l'acceptation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. « En d'autres mots, la réputation du système passe en premier et tout le reste (l'exactitude du verdict, les droits de la victime comme ceux du contrevenant) devient alors secondaire. Et vive, encore une fois, la démocratie ! »

Le mouvement syndical a aussi essuyé ses revers lorsqu'il a utilisé la Charte, rappelle l'auteur. « En 1987, le droit de grève ne put, malgré les demandes des syndicats à cet effet, être placé par la Cour suprême, sous la protection de la loi de la liberté d'association. Cette prétention fut rejetée à la majorité (quatre voix contre deux), sous prétexte que les conventions collectives ne relevaient pas du domaine des droits fondamentaux, mais plutôt de celui de la politique économique.»

Ce qui n'a nullement empêché, deux ans plus tard, le même tribunal d'accorder « ce statut sacro-saint (la liberté d'association) au droit de faire de la publicité et au droit de fusionner ».

s; Il faut apprendre à se protéger de la Charte

« Tout cela rappelle fortement Operation Dismantle et le mouvement en faveur du droit à l'avortement. Cette idée implique que la politique et les médias n'ont vraiment vu le jour qu'avec l'avènement de la Charte ou que, puisqu'elle impose désormais au politique son mode d'expression, il nous faut lui rendre grâce pour l'existence même du politique. »

Ce qu'il faut savoir avant tout, conclut Michael Mandel, ce n'est pas « comment utiliser la Charte mais comment nous en protéger. Il ne semble pas y avoir d'autre stratégie pour ça que d'attaquer le judiciaire à sa source. Il importe de contester l'autorité des tribunaux et, ce faisant, l'autoritarisme en général, tout comme il faut rejeter les prétentions du constitutionnalisme de même que la présumée démocratie de nos élites politiques et financières. » Celles-ci ont tendance à laisser les tribunaux prendre des décisions qui devraient relever des élus mais qui semblent trop controversées pour être politiquement rentables.

La Charte des droits et libertés et la judiciarisation du politique au Canada

Michael Mandel (traduit de l'anglais par Hervé Juste), Boréal, Montréal, 1996.

Une Charte qui protège les bien-nantis

Selon Andrew Peter, légiste torontois renommé, la Charte canadienne des droits est « …un document libéral du XIXe siècle grossièrement adapté à un État providence du XXe siècle. Les droits que renferme la Charte reposent sur la croyance que les principaux ennemis de la liberté ne sont pas la mauvaise répartition des biens ou la concentration des richesses aux mains des pouvoirs privés, mais l'État. (…) La majeure partie des juges, des avocats (…) et des moralistes sont issus d'une classe d'individus qui voient dans les pouvoirs de régulation et de redistribution de l'État moderne la plus grande menace pour leur statut économique. »

Le meilleur ami de l’homme est un avocat

En outre, professe Michael Mandel, « la Charte et les tribunaux offrent aux politiciens les moyens d'éviter de consulter directement les citoyens sur une question dont il n'y a aucun profit politique à tirer ou lorsqu'un problème risque d'engendrer une situation désagréable. L'élargissement de l'emprise de la profession juridique sur notre vie quotidienne peut être perçu comme fonction du besoin croissant de formes abstraites de légitimation pour un système social qui arrive de moins en moins à se défendre sur la base d'avantages concrets, et comme une expression de la nécessité de trouver un substitut sûr à la démocratie quand le suffrage est universel et que l'État s'engage de façon importante dans l'économie. »|196| 
403|Une fondation pour les drames oubliés|Pierre Dubuc|

La première Maison des travailleurs



« Lorsque j’ai été reçu médecin, on m’a offert un sac de golf. Je ne m’en suis jamais servi », m’a-t-il dit. Cependant, à voir de quel pas alerte, malgré ses 74 ans, le docteur Benoît Deshaies nous fait visiter les deux étages de la Polyclinique médicale populaire, située en face du métro Papineau à Montréal, on réalise que ce n’est pas un quelconque handicap physique qui l’a tenu loin des parcours de golf.

Le Dr Deshaies a consacré sa vie aux victimes d’accidents du travail et de lésions professionnelles et il veut aujourd’hui prolonger son action, même lorsqu’il sera dans l’au-delà !

La Polyclinique populaire

« Mon père est mort à 46 ans de silicose. Il travaillait dans une fonderie à Joliette » raconte le Dr Deshaies pour expliquer comment s’est effectué son choix de carrière et son engagement personnel.

En 1967, il a fondé avec Jean-Paul Ménard, alors président du Conseil du travail de Montréal, la Polyclinique populaire en vue d’offrir une ressource médicale et professionnelle pour les travailleurs ayant subi un accident de travail.

La Polyclinique compte aujourd’hui 25 personnes, dont 18 professionnels. Le Dr Deshaies s’est fait un plaisir de me présenter celles et ceux qui se trouvaient sur les lieux en me faisant visiter les salles d’ergothérapie, de physiothérapie, de chiropractie, d’acupuncture même, sans oublier la pharmacie.

Bien entendu, en bon docteur, il m’a demandé, chemin faisant, à quand remontait mon dernier examen médical, si je fumais et il a testé mes capacités cardio-vasculaires en m’obligeant à monter l’escalier les marches deux par deux pour le suivre.

Il faut rendre les services non couverts

Le succès de la Polyclinique populaire serait de nature à satisfaire toute personne normalement constituée. Mais pas le Dr Deshaies ! Aussi, a-t-il décidé de mettre sur pied une fondation qui porte son nom.

Il m’en explique la raison en citant le Rapport d’activités 1999 de la CSST. On y lit que les réclamations refusées, les dossiers en suspens et d’autres dont le sort est inconnu totalisent 21 713 demandes. « On peut présumer, en étant conservateur, dit le Dr Deshaies, qu’au moins 217 personnes, soit 1% des 21 713, sont probablement sans travail, vivent sous le seuil de la pauvreté, ont besoin de services non couverts par les régimes d’assurances publics ou privés, comme une expertise médicale, des traitements en chiropractie ou en psychologie. »

Voilà pour la justification statistique. Mais il y a aussi la justification pratico-pratique beaucoup plus convaincante. Et le Dr Deshaies nous parle de ce travailleur d’Hydro-Québec, électrocuté en 1972, qui démissionne par la suite de son travail, devient vagabond et se présente à la Polyclinique. Ou encore de ce gars de Roberval devenu paralysé par suite d’un accident de travail. Ou encore de cet enseignant qui a développé des problèmes de santé mentale. « Ce sont les plus difficiles à soigner », de me dire le Dr Deshaies à propos du dernier cas.

La prise en charge commence par l’hébergement

La Fondation Docteur Benoît Deshaies a reçu ses lettres patentes au mois d’août 1998. Elle est présentement en campagne de levée de fonds. Le Fonds de solidarité s’est engagé à verser 2 500 $ par année pendant quatre ans. La FTQ et la CSQ ont contribué chacune 1 000 $. Des entreprises comme Gaz Métro et Pétro-Canada ont accepté de doubler la mise de leurs syndicats. Plusieurs syndicats et progressistes participent à un « vins et fromages » bénéfice annuel ou encore à la Loto-voyages mensuelle.

« L’argent recueilli est maintenant suffisant pour que nous puissions procéder à la mise sur pied du comité d’attribution chargé d’évaluer les demandes », de dire le Dr Deshaies. Mais c’est évidemment insuffisant pour combler ses attentes et ses rêves. « Je voudrais que la Fondation fasse l’acquisition d’une résidence pour créer la première Maison des travailleurs du Québec. On y accueillerait les personnes éligibles qui, venues des quatre coins du Québec, pourraient y être hébergées à peu de frais, sinon gratuitement, pour toute la période de leur prise en charge par une équipe médicale professionnelle multidisciplinaire », nous confie-t-il. Chose certaine, le jour n’est pas venu où le Dr Deshaies sortira du placard le sac de golf reçu avec son diplôme de médecin.

On peut rejoindre la Fondation Docteur Benoît Deshaies, 230 boul. Gouin O., Montréal, H3L 1J6. Tél. 0 (514) 331-1937 ; télécopieur 0 (514) 331-0141; courriel 0 fondationdbdeshaies@videotron.ca|196| 
404|Le continent se mobilise contre la ZLEA des marchands|André Maltais|

Un vent se lève qui balaie les poudres aux yeux



Du 20 au 23 avril prochain, à Québec, le gratin de la mondialisation du commerce a rendez-vous pour discuter du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Le traité est une extension de l’ALENA à tous les pays des Amériques. S’inspirant de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), il vise à « ouvrir » tous les pays des Amériques aux prédateurs-investisseurs et à empêcher peuples et gouvernements de mettre des bâtons dans les roues des multimilliardaires avec des sujets comme l’environnement, le syndicalisme, la langue, la culture et le droit de tous à la santé et à l’éducation. Mais, comme le dit le groupe ATTAC-Québec, « un vent citoyen se lève qui balaie toutes les poudres aux yeux que lancent les chantres de la marchandisation du monde ».

Spectacle médiatique qui se tiendra dans une ambiance de galas et de dîners officiels, le Sommet des Amériques réunira les 34 chefs d’État et ministres du commerce de l’hémisphère américain (sauf Cuba qui brillera merveilleusement par son absence) de même que quelques 8000 lobbyistes du milieu des finances et des affaires, gardes du corps et journalistes.

Selon l’organisation Tradewatch, la ZLEA va « renforcer au passage » le pouvoir des entreprises sur les gouvernements. Elle va « accentuer la course vers le bas commencée avec l’ALENA. Même les travailleurs exploités du Mexique auront de la concurrence en la personne de ceux encore plus misérables d’Haïti, du Guatemala ou du Brésil ».

Prolétaires de tous les pays, dollarisez-vous !

Les pays latino-américains sont déjà engagés dans cette course folle avec les privatisations et ventes à rabais d’entreprises d’État et, depuis peu, avec des économies « dollarisées », déconnectées totalement de la grande majorité des populations. Désormais utilisé en Équateur et au Salvador, le dollar US aura cours légal au Guatemala en mai 2001 tandis que les pays anglophones des Caraïbes (Jamaïque, Trinidad/Tobago, etc.) et le Honduras songent sérieusement eux aussi à en faire leur « monnaie nationale ».

Lancée en 1994 lors du premier Sommet des Amériques, à Miami, la ZLEA s’est transformée en ronde de négociations en 1998 lors du Sommet de Santiago. Neuf groupes de travail ont alors été créés (agriculture, règlements des différends, services, propriété intellectuelle, politique de la concurrence, accès aux marchés, investissement, aide gouvernementale et marchés publics). Leurs travaux relèvent des trente-quatre sous-ministres du commerce. À Québec, les pourparlers seront élevés au niveau ministériel. L’entrée en vigueur de la ZLEA est prévue pour 2005.

Depuis 1998, les organismes non gouvernementaux (ONG) exigent en vain l’ajout de groupes de travail sur la démocratie, les droits syndicaux, la protection des consommateurs et l’environnement.

Trop parler nuit au profit

Comme ses semblables, la ZLEA est négociée secrètement à l’insu des parlements et des citoyens. Un récent rapport de la Commission des institutions de l’Assemblée nationale québécoise déplore « qu’on ne retrouve pas les parlementaires ni en amont ni en aval du processus de négociations alors que certains groupes de la société civile y ont une place privilégiée, tel le Forum des gens d’affaires des Amériques ».

Les sujets en discussion

Les négociations visent surtout à faire adopter les points suivants 0

- Une plus grande libéralisation des « services », ceux-ci comprenant éducation, soins de santé, environnement (incluant l’accès à l’eau), énergie et services professionnels en général.

- Le maintien des dispositions du chapitre 11 de l’ALENA permettant aux investisseurs étrangers de poursuivre les États dont les lois restreignent l’accès au marché national.

- Des assouplissements permettant aux États-Unis d’exporter leurs OGM et leurs biotechnologies (domaines où leur avance est insurmontable) aux trente-trois autres pays.

- Un renforcement de la notion de propriété intellectuelle accordant aux entreprises détentrices de brevets le monopole sur la commercialisation de ces derniers partout dans l’hémisphère. Les compagnies pharmaceutiques, par exemple, pourront vendre très cher à des entreprises sud-américaines des licences de fabrication de leurs médicaments brevetés, les rendant hors de prix pour les populations de ces pays.

Le Sommet des peuples

Mais, comme à Seattle, Prague et partout où a défilé récemment le cortège funèbre des « mondialisateurs » de pauvreté, une résistance continentale s’organise à Québec.

Syndicats et ONG des Amériques, regroupés sous le parapluie de l’Alliance sociale continentale, tiendront un sommet parallèle, le Sommet des peuples, du 17 au 20 avril. Une grande manifestation, le 21 avril, clôturera ce sommet. Le Québec est représenté au sein de cette alliance par le Réseau québécois sur l’intégration continentale, une coalition d’organisations syndicales (FTQ, CSN, CSQ), écologistes (regroupées dans le Réseau québécois des groupes écologistes), communautaires (dont Solidarité populaire Québec) et d’aide internationale (CUSO-Québec, Alternatives, Développement et paix, etc.).

La résistance se fait également autour de groupes d’activistes comme la CLAC (Convergence des luttes anticapitalistes), le CASA (Comité d’accueil du Sommet des Amériques), OQP-2001 (Occupation Québec Printemps 2001) et Opération SalAMI.

CLAC, CASA et OQP-2001 s’occupent de loger, transporter et nourrir des opposants venus des quatre coins d’Amérique. Ils ont aussi mis sur pied des comités médical (premiers soins), légal (support aux arrêtés et emprisonnés), culturel/artistique ainsi qu’un comité d’aide à franchir la frontière canadienne pour les militants de l’extérieur.

Avec Opération SalAMI, ils préparent aussi des « coups d’éclat pacifiques » (perquisitions civiles, «teach-in », blocages d’édifice, etc.) et un « carnaval anticapitaliste » visant à « nuire le plus possible » à la tenue du Sommet.

Toute cette opposition commence à inquiéter les organisateurs. Cela explique sans doute le « délire sécuritaire » annoncé pour Québec (voir encadré) de même que les propos du ministre canadien du Commerce international, Pierre Pettigrew, lors d’une entrevue accordée au Globe and Mail (12/12/00) dans laquelle il prétendait que le Canada veut atténuer la portée du chapitre 11 de l’ALENA.

« De la poudre aux yeux », analysait le lendemain ATTAC-Québec en montrant que, depuis 1998, le Canada n’a pas fait l’ombre d’une proposition au groupe de négociation de la ZLEA sur l’investissement.

Protégez-nous du délire sécuritaire

Comme le dit Marie-Ève Sauvé de OQP-2001 0 « Il y a des chefs d’État latino-américains qui risquent de se sentir à l’aise à Québec, en avril prochain, quand ils verront le déploiement de ce que la GRC qualifie de “ plus imposante opération de sécurité jamais effectuée sur le territoire canadien ”. »

En plus d’une armée de plus de 5000 policiers (dans un tout nouvel uniforme qu’on refuse de dévoiler aux médias !), un périmètre de sécurité dépassant largement les besoins sera entouré de 3,8 kilomètres de clôture barbelée (la clôture est déjà sur les Plaines d’Abraham !).

Ce périmètre obligera 25 000 personnes (résidents et travailleurs) à subir des contrôles d’identité comme en Palestine. « Ces mesures, poursuit Marie-Ève Sauvé, impliquent de suspendre la Charte des droits et libertés dans un périmètre de plus de 3 km, là où les droits d’association, de libre opinion, de réunion, de manifestation et de libre circulation ne s’appliqueront plus. »

Le néolibéralisme libère des places dans les prisons et les hôpitaux

Lisa Goodyer, aussi de OQP-2001, s’inquiète du vidage de la prison d’Orsainville (près de 600 places) et de certains hôpitaux. Elle qualifie ces mesures « d’alarmistes » et de « menaçantes » visant à « annihiler des protestations et des réclamations qui n’ont désormais nulle autre tribune que celle de la rue ».

De plus, l’automne dernier, une loi permettant les arrestations préventives a été adoptée par la municipalité. « Ça commence à ressembler à la crise d’Octobre 70 », ajoute Marie-Ève Sauvé.

Un comité de lutte contre le périmètre a été mis sur pied par OQP-2001 0 le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste. On peut consulter son « calendrier des hostilités » contre le périmètre à l’adresse suivante 0 http0//membres.tripod.fr/oqp2001|196| 
405|Le scandale du report d'impôts|Pierre Dubuc|

Le palmarès des compagnies qui paient peu ou pas d'impôts



Dans une importante étude sur les impôts réellement payés par les entreprises canadiennes*, le professeur Léo-Paul Lauzon taille en pièces la prétention des entreprises canadiennes qui réclament des baisses d’impôt en affirmant payer un taux statutaire d'impôt (fédéral et provincial) de 46,6 %.

Le prof Lauzon a analysé les rapports financiers des 390 plus importantes entreprises canadiennes cotées en bourse. Il démontre qu’elles ont réussi à reporter dans le temps près de 30 milliards $ d’impôts qu’elles auraient dû normalement payer et qu’elles ne paieront pas.

Par le jeu des impôts reportés, 40,5 % d'entre elles ont payé un taux réel moyen de 10 % tout en déclarant des profits de 25,6 milliards.

Les trois entreprises championnes de l'impôt reporté sont le Canadien National avec des reports d'impôts de 2,8 milliards $ pour 1999, Seagram avec 2,7 milliards $ et Canadien Pacifique avec 2,6 milliards $.

Reporter, c’est pas frauder !

L'impôt reporté vient de l'autorisation que les gouvernements accordent aux entreprises de déduire pour l'année courante des frais qui s'échelonneront sur plusieurs années. Les entreprises réinvestissant chaque année une bonne partie de leurs profits en immobilisations rapidement amortissables au point de vue fiscal, le jeu du report d'impôts se perpétue indéfiniment.

Cependant, les entreprises continuent à inscrire dans leurs états financiers les impôts reportés comme une dépense réelle au même titre que les impôts exigibles et payables à court terme. Par ce maquillage comptable, elles gonflent artificiellement leur dépense d'impôts et diminuent faussement leur profit net.

C'est ainsi que sept très grandes entreprises ont affiché à leurs états financiers un taux d'impôts moyen de 42 % alors que, dans les faits, leur taux d'impôt véritable, fondé sur les impôts réellement payés, n'a été que de 1% ! Elles indiquaient une dépense totale d'impôts de un milliard $, dont 981 millions $ sont reportés indéfiniment !

Moins les entreprises paient d’impôts, plus elles encaissent des retours

L'étude démontre que plus d'un quart des entreprises analysées ont payé un taux moyen d'impôts (fédéral et provincial) de 3,5 %. C'est ainsi que deux entreprises qui se plaignent régulièrement d'être trop taxées, Molson et Domtar, ont payé respectivement 2 % et 4 % d'impôts tout en affichant des taux d’imposition prétendus de 56 % et 41 %.

Bien plus, vingt entreprises ayant déclaré des profits de 970 millions $ n'ont payé aucun impôt tant au fédéral qu'au provincial. On retrouve là des entreprises comme Brookfield Properties qui a déclaré des bénéfices avant impôts de 303 millions $ et Cominco avec des bénéfices de 111 millions $.

Encore plus scandaleux, treize entreprises ayant cumulé des profits de 812 millions $ ont eu droit à un remboursement d'impôts de 78 millions $ ! Alberta Energy a touché un remboursement de 29,5 millions $ tout en faisant 322,9 millions de profits. Téléglobe a engrangé 12,3 millions $ en retour d'impôts avec des profits de 46,6 millions $. Bien entendu, cela n'a pas empêché Alberta Energy et Téléglobe d'afficher dans leurs rapports financiers des taux d'impôts de 44 % et 36 % !

Pour un revenu garanti de l’impôt

Le professeur Lauzon se prononce en faveur de l'imposition d'un impôt minimum comme c'est le cas aux États-Unis. Ainsi, un impôt minimum modeste de 20 % (10 % au fédéral et 10 % au provincial) appliqué aux 158 compagnies de son étude qui ont payé moins de 20 % d'impôts sur le revenu en 1999 aurait rapporté 2,5 milliards dans les coffres des gouvernements. Il évalue à au moins 5 milliards les recettes fiscales additionnelles si un tel taux était appliqué à l'ensemble des entreprises canadiennes.

De quoi régler le problème du sous-financement de notre système de santé.

Léo-Paul Lauzon. Impôts payés et impôts reportés par les compagnies canadiennes en 1999 0 de la prétention à la réalité. Plaidoyer pour un impôt minimum. Chaire d'études socio-économiques de l'UQÀM. Novembre 2000|195| 
406|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Les réductions augmentent

Afin de se conformer à la loi antidéficit que lui impose le gouvernement du Québec, le CLSC Saint-Michel est forcé, depuis le 14 novembre dernier, de refuser des service de soins à domicile à tout nouveau patient qui en fait la demande. La décision provoquera un engorgement encore plus prononcé dans les hôpitaux qui ne pourront plus donner de congé rapide à plusieurs patients, attendu que le CLSC en question ne sera plus en mesure de les prendre en charge en leur assurant les soins essentiels qu’ils requièrent à domicile.

Le déficit du CLSC Saint-Michel, son premier en 16 ans d’exercice financier, est la conséquence d’une augmentation inattendue du nombre de patients bénéficiant de soins à domicile, qui est passé de 400 en 1998 à 640 aujourd’hui, sans que son budget ne soit augmenté.

L’admirable administration gouvernementale du Québec a forcé des centaines d’infirmières à la retraite et les hôpitaux sont acculés à fermer des lits parce qu’ils manquent de personnel infirmier pour servir adéquatement leur clientèle. La même géniale administration gouvernementale a par ailleurs fermé des hôpitaux et voici que ceux qui restent sont de plus en plus engorgés. Elle en est maintenant à forcer les CLSC à réduire leurs services à la clientèle. Et tout ça en vue de régler une dette fictive à des institutions bancaires qui continuent de s’enrichir sur le dos des plus démunis et des plus fragiles.

Les députés s’augmentent

Pendant ce temps, les députés se votent une augmentation de traitement. J’en suis – parce qu’il vaut sans doute mieux les payer de crainte qu’ils ne se remboursent à l’aide de pots-de-vin ou pire, à même les fonds publics – mais après que tous les citoyens du Québec aient pu bénéficier de l’essentiel0 aliments, logement, vêtements... D’ici là, messieurs les élus, endettez-nous au besoin mais, de grâce, assurez-vous que chacun a à manger.

Les profits explosent

Et juste à côté de cette dégradation des services et par conséquent du niveau de vie d’un grand nombre de citoyens, Tembec, une vaste entreprise de fabrication de pâtes et papiers, n’est pas du tout gênée d’annoncer fièrement que l’exercice financier 2000 lui aura permis d’enregistrer une hausse de 700 % (sic) de son bénéfice net. Résultat 0 21,5 millions de $ de profit pour ses actionnaires qui eux, ne manquent de rien.

Encore plus près de chez nous, la maison Van Houtte (cafés, épicerie fine, aliments et ustensiles d’importation) affiche pour sa part une hausse de bénéfices nets de 10 millions $ pour une période de 28 semaines se terminant le 14 octobre dernier. La somme représente une augmentation de 15 % de la valeur des parts sur le marché. Une entreprise qui marche nécessairement bien puisqu’elle s’adresse aux nantis et est sans doute fréquentée par les actionnaires de Tembec et autres parasites, empochant des profits pour un travail que font des gagne-petits pendant qu’eux jouent au golf.

Les É.-U. dans la mire de Cuba

De Cuba, Fidel Castro a gentiment offert ses services ou ceux d’une commission d’experts neutres en vue de régler le conflit électoral américain qui, au moment d’aller sous presse, n’en finissait pas de déchirer l’opinion publique en deux camps irréductibles 0 la droite et l’extrême-droite. Le nouveau président de la Côte d’Ivoire a pour sa part proposé une supervision neutre de tout le processus électoral américain en vue d’une plus grande transparence et afin assurer l’équité à tous les citoyens du plus puissant pays d’Occident. Ironiques mais justes retours de politesse.

Et le Canada a l’heure de la « pluss meilleure éthique »

Pour sa part, le gouvernement canadien est resté bien coi. Et pour cause 0 un premier ministre qui se fait innocenter, par un conseiller en éthique qu’il a lui-même mis en place, d’ingérence auprès d’un directeur de la Banque du Canada, une société d’État ultimement nommée par le premier ministre lui-même, n’est absolument pas en mesure de servir une leçon de démocratie à mon onc’ Sam. Et tout continue d’aller pour le mieux dans « le pluss meilleur pays du monde ». La preuve d’ailleurs, c’est qu’on vient de le réélire.|195| 
407|Québec Gold|Jean-Claude Germain|L'apparition en force des candidats du Parti marijuana dans le paysage électoral fédéral québécois a pu faire sourire. Leurs performances aux urnes nous invitent à fermer la bouche après avoir pris une longue inspiration. Plus de

24 000 voix dans 31 comtés, c'est du Québec Gold. Et la densité de la fumée est tout aussi consistante que constante 0 le parti a recueilli plus de 1 000 voix dans cinq comtés; entre 500 et 1 000 dans

21 comtés; et moins de 500 dans cinq circonscriptions.

Un geste de protestation? Un moment d'euphorie ? Un sursaut de réalisme ? Probablement un peu des trois. Le Parti marijuana est là pour rester. N'est-il pas le seul à proposer un véritable remède à tous les maux qui nous affligent et le seul qui, dans le cadre de la mondialisation, est d'ores et déjà international.|195| 
408|La juste part de l’assimilation|Charles Castonguay|

85 % des transferts linguistiques au français



Des hauts-placés nous disent parfois des faussetés sur la langue. Par exemple, pendant la dernière campagne référendaire, les professeurs Jacques Henripin et Jack Jedwab nous ont assuré dans La Presse que le poids de la population francophone dans la région de Montréal continue à augmenter. Et Jean Chrétien vient de proférer en pleine campagne électorale qu’au Canada, le français se porte au mieux grâce à son gouvernement.

Voilà pourtant dix ans que le poids des francophones est en baisse à Montréal. Et le recensement de 1971 comptait 280 000 francophones anglicisés au Canada alors que celui de 1996 en énumérait 360 000. En fait, l’assimilation des francophones hors Québec a annulé la francisation de quelques dizaines de milliers d’allophones à Montréal. Si bien qu’après 25 ans de bilinguisme à la Trudeau et 20 ans de loi 101 à la sauce Cour suprême, le bilan de l’assimilation au Canada pour la population francophone demeure aussi négatif en 1996 qu’en 1971.

Le motif derrière pareilles menteries est bien connu. Deux jours après la publication de son texte dans La Presse, Henripin se faisait voir à la télé parmi les leaders des 100 universitaires pour le NON. Jack Jedwab dirige aujourd’hui l’Association d’études canadiennes, un « front » de Sheila Copps. Comme Chrétien, ce sont des croisés de l’unité canadienne. Leur devoir est de peindre en rose la situation du français.

Cacher ce sein qui me fait fourcher la langue…

À Québec, des hauts-fonctionnaires de la langue pratiquent, eux, la dissimulation. Les accusations de fascistes et de flics de la langue semblent avoir rendu tout croches certains de nos cadres. Pour se rendre la carrière plus confortable, ils ont décidé pour nous que la politique linguistique du Québec ne doit pas s’occuper d’assimilation. Elle ne vise que l’intégration linguistique des immigrants. Rayer l’assimilation de notre vocabulaire, parler seulement d’intégration, cela fait bien. C’est plus correct. Ça ne dérange pas.

Mais on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Au lancement de son rapport biaisé sur l’usage du français en public, Mme Nadia Assimopoulos, présidente du Conseil de la langue française (CLF), nous a seriné que la langue que les citoyens choisissent d’utiliser à la maison relève de la vie privée et ne peut résulter d’une intervention de l’État. Du même souffle elle ajoutait, entre parenthèses, « qu’on peut évidemment espérer […] que les immigrants qui choisiront de changer de langue […] adopteront le français et que le transfert linguistique se fera de plus en plus en faveur de la langue officielle ».

Il y a assimilation sous roche. Pense-t-on gagner le respect de l’autre en jouant avec les mots, en faisant l’hypocrite ? Pourquoi ne pas dire que notre politique vise à orienter vers le français, dans les foyers, les transferts linguistiques des immigrants ? L’obligation de fréquenter l’école française n’a pas uniquement pour but de faire apprendre le français aux enfants des nouveaux immigrants. Les écoles anglaises auraient pu – et voulu – s’en charger. Non, par cette disposition de la loi 101, l’État a voulu infléchir en faveur du français leurs éventuels transferts linguistiques. Et ça marche !

Fort heureusement, les États généraux sur le français nous fournissent à tous l’occasion de libérer notre politique linguistique de la langue de bois.

Une brique sur la langue

L’anathème touchant l’assimilation est solennellement réitéré dans Le français au Québec 0 400 ans d’histoire et de vie, grosse brique que le CLF vient de pondre juste à temps pour les Fêtes… et les États généraux. Jean-Claude Corbeil, sous-ministre associé à la politique linguistique avant d’être nommé secrétaire de la Commission Larose, y met les points sur les « i ». Selon lui, notre politique a exclusivement pour but l’intégration linguistique des immigrants, non leur assimilation. Elle ne cherche qu’à favoriser l’adoption du français comme langue d’usage public et non comme langue d’usage privé à la maison 0 « l’assimilation […] est une décision personnelle […] elle ne saurait être, au Québec, l’objectif d’une politique gouvernementale ».

En effet, la brique de plus de 500 pages en quatre parties, 14 chapitres, 58 sections et 96 encadrés ne contient pas le moindre tableau sur les tendances en matière de transferts linguistiques au foyer ! Il y aurait eu tant de choses positives et belles à dire sur la nouvelle tendance parmi les immigrants plus récents à parler le français à la maison. Mais ça ne fait pas partie de nos 400 ans d’histoire, ça !

Dans sa conclusion, Michel Plourde, ancien président du CLF et directeur de cet ouvrage, juge cependant que « les concepts de langue d’usage public et de langue d’usage à la maison auraient intérêt à se compléter et à se renforcer l’un l’autre ». Mais alors, pourquoi cette brique accorde-t-elle autant de place au chimérique indice synthétique de langue d’usage public (SLUP) concocté au CLF, alors que 25 années d’observations portant sur les transferts linguistiques au foyer n’y méritent que des allusions au détour de quelques phrases ? Est-ce parce que Pierre Georgeault, à la fois «collaborateur » de la brique et responsable immédiat au CLF de la minable opération SLUP, y a vu? Serait-ce là la marque d’un incompétent aux abois ?

Qui mène, les fonctionnaires ou les élus ?

Le site Web des États généraux ne présente qu’une synthèse du fumeux rapport SLUP du CLF. Si l’évaluation de notre politique doit se faire au moyen de cet indice bidon, pourquoi a-t-on choisi de ne pas nous offrir le rapport intégral ? Quelqu’un a-t-il peur d’en trop exposer les tares criantes à l’examen public ?

En revanche, le site présente maintenant le rapport des cinq ministres, Les défis de la langue française à Montréal et au Québec au XXIe siècle 0 constats et enjeux (avril 2000), dont j’ai parlé dans ma chronique précédente. Il y est question des tendances touchant les transferts linguistiques au foyer et la langue de travail. Il y a un monde entre le ton direct et responsable de ce rapport de ministres et le flou artistique dans lequel les fonctionnaires enrobent leur langue d’usage public. À la fin, qui mène, au juste ? Les élus ou les fonctionnaires ?

Fait cocasse, on trouve aussi maintenant sur le site Web le Bilan sur la situation de la langue française au Québec en 1995. Ce rapport de fonctionnaires contient une analyse bâclée des tendances de l’assimilation – pardon, des transferts linguistiques – sous le titre « La langue de l’intégration des immigrants » ! Alors quoi ? Intégration et assimilation, cela revient-il en fin de compte à la même chose ? Encore ce naturel qui galope.

Le français, langue d’intégration et d’assimilation

L’objectif des militants péquistes à qui nous sommes redevables pour ces États généraux – cette précieuse occasion offerte au peuple québécois pour reprendre sa parole sur la langue – n’est pas l’assimilation. Mais puisque l’assimilation existe, disent-ils, pourquoi le français n’en tirerait-il pas au moins sa juste part ? Pourquoi ne pas donner à notre politique l’objectif de répartir l’assimilation des allophones au prorata des populations française et anglaise en présence au Québec ? Cela voudrait dire qu’environ 85 % des transferts linguistiques iraient au français et 15 % à l’anglais.

Cette politique serait équitable envers tous. Personne n’aurait à se plaindre. La population francophone ne subirait plus le préjudice démographique causé par l’assimilation disproportionnée des allophones à l’anglais. Elle serait libérée de son appréhension de l’immigration. Les anglophones aussi attireraient leur juste part d’allophones. Et les allophones qui choisiraient de ne s’assimiler ni au français ni à l’anglais continueraient tout simplement à parler leur langue à la maison.

Que nos hauts-fonctionnaires de la langue essaient donc de comprendre avant de monter sur leurs grands chevaux. À peu près personne au Québec ne prône l’assimilation qui se pratique aux États-Unis ou au Canada. Mais que voulez-vous, comme disait l’autre, l’assimilation est une réalité de la vie! À chaque recensement, 10 % des Canadiens déclarent parler à la maison une langue différente de leur langue maternelle. À Montréal, c’est pareil. Dix pour cent des Montréalais déclarent avoir fait un transfert linguistique. Pourquoi ne pas donner à nos politiques canadienne et québécoise l’objectif d’en faire bénéficier de façon équitable la population de langue française au moins au Québec ? Le français, langue d’intégration, d’accord, mais pourquoi pas aussi langue d’assimilation ? Rappelons que, selon le recensement de 1996, la population de langue anglaise en a profité pour recruter à l’échelle du Canada plus de deux millions de nouveaux locuteurs habituels au foyer, tandis que celle de langue française y perdait plus d’un quart de million !

La part du français dans l’assimilation est un concept simple et facile à mesurer. Et l’on dispose là-dessus d’une série d’informations qui s’étend déjà sur un quart de siècle. L’indice SLUP est au contraire si fuyant et subjectif que, selon Jean Marcel (L’Action nationale, janvier 2000), seul son auteur pourrait le reproduire. C’est à l’opposé d’un savoir scientifique.

Madame Beaudoin, on vous a monté tout un bateau. Certains de vos fonctionnaires cherchent à s’accaparer beaucoup trop de place. Les États généraux présentent au peuple québécois l’occasion de reprendre le contrôle de sa langue et de sa politique linguistique. Monsieur Larose, bonne chance ! Et Joyeuses Fêtes à tous!|195| 
409|Candidature de Paul Cliche|Pierre Dubuc|

Dans Mercier



Notre collaborateur Paul Cliche se portera, selon toute vraisemblance, candidat de la gauche unie lors de l’élection partielle dans le comté de Mercier.

Initiateur du Rassemblement pour l’alternative politique (RAP) avec le débat qu’il a lancé dans les pages de l’aut’journal en 1997, Paul Cliche juge aujourd’hui que sa candidature dans Mercier est une façon de poursuivre la démarche de rassemblement entreprise il y a trois ans.

Paul Cliche croit encore au RAP. « En autant, dit-il, que celui-ci favorise l’unité de la gauche et ne se comporte pas en groupuscule. » Mais son analyse de la situation l’amène à cette conclusion 0 « Aucune des formations politiques existantes ne peut espérer unir de façon hégémonique sous son parapluie l’ensemble de la gauche », explique-t-il en faisant référence, entre autres, au RAP, au Parti de la démocratie socialiste et au Parti communiste du Québec

C’est donc dans la perspective de donner un nouvel élan au processus d’unité de la gauche qu’il pose sa candidature dans Mercier. « Une élection partielle est une occasion en or. Il n’y a pas de retombées financières pour les partis comme lors d’une élection générale alors que chaque vote est comptabilisé pour le financement du parti. » Cliche a déjà obtenu l’appui du PDS et du PCQ. Le conseil des régions du RAP a fait de même et il compte bien obtenir l’aval des membres du RAP de Mercier.

Le comté idéal

Il ne pouvait y avoir meilleur comté que Mercier pour une telle candidature, selon Cliche. « Mercier a toujours été à l’avant-garde. Mercier a élu Gérald Godin contre Robert Bourassa », rappelle-t-il en soulignant qu’il avait alors eu l’honneur de présenter la candidature de son ami Godin en tant que membre du Parti québécois de Mercier

Depuis, Cliche a démissionné d’un Parti québécois devenu néolibéral et Mercier est un comté dissident dans la grande famille péquiste. « Mercier fait preuve d’esprit gaulois et s’oppose au bunker », de dire Cliche en espérant secrètement que cet esprit d’indépendance l’amènera à élire un indépendant !

En terrain connu

Depuis déjà plusieurs semaines, Paul Cliche arpente le comté de Mercier. Son œil aguerri d’ancien président du FRAP, le Front d’action politique des années 1970, et de conseiller du RCM, représentant le Plateau Mont-Royal de 1974 à 1978, lui a permis de cerner les problèmes du comté.

« Bien que nous soyons sur le Plateau, il y a de la pauvreté », souligne-t-il. « Avec la montée du coût des logements, des familles sont évincées, souvent sauvagement », ajoute-t-il. Beaucoup de personnes seules habitent aussi le Plateau. « 51 % des résidents sont des personnes seules. Beaucoup de jeunes, beaucoup de travailleurs autonomes, beaucoup d’insécurité », lui ont appris ses recherches sur le comté.

Une population qui devrait donc être sensible à la revendication du revenu de citoyenneté de son ami Michel Chartrand qui lui a promis de venir faire campagne dans Mercier. Paul Cliche va évidemment mettre également de l’avant ses propositions pour un scrutin proportionnel. Rappelons qu’il a publié aux Éditions de l’aut’journal le livre le plus complet à ce jour sur cette question au Québec.

Avec ses collaboratrices et collaborateurs, Paul est en train de peaufiner l’ensemble de son programme. Son organisation se met progressivement en place. Connaissant son acharnement pour atteindre les objectifs qu’il se fixe, on peut déjà prévoir qu’il fera une chaude lutte au candidat péquiste, peu importe de qui il s’agira.

Celles et ceux qui veulent participer à la campagne de Paul Cliche dans Mercier peuvent le contacter à 0 (514) 256-8949|195| 
410|Le Rassemblement pour l'alternative progressiste fera la lutte au néolibéralisme|Jean-François Caron|

Une nouvelle aventure électorale pour la gauche québécoise



Annoncée depuis plus d'un an, la transformation du Rassemblement pour l'alternative politique en parti politique a eu lieu au congrès des 24, 25 et 26 novembre 2000, où près de 130 déléguées et délégués provenant de plusieurs régions se sont réunis à l'Université Laval. Cette transformation fait suite au colloque sur l'unité de la gauche de mai dernier, où des personnes des milieux populaire, syndical et politique avaient résolu de respecter la diversité des mouvements en excluant le projet hégémonique d'union politique en un seul parti pour plutôt prôner l'unité dans l'action.

Les conférenciers Michel Chartrand, Jean-Yves Desgagné, François Saillant et Gabrielle Pelletier ont ouvert le congrès, parlant de la nécessité d'une implication électorale respectueuse des forces du RAP, pour s'établir sur des bases solides, tant un échec démobilisateur n'est plus permis.

Un programme politique

Dans une atmosphère studieuse, les projets de plate-forme politique et de statuts du parti ont fait l'objet de discussions en atelier et en assemblée plénière. Le RAP aura comme objectifs l'émancipation sociale, l'indépendance du Québec et la souveraineté populaire dans une vision résolument social-démocrate. Il va promouvoir la rédaction d'une constitution du Québec par le peuple, la proposition d'un traité de réconciliation avec les Premières Nations et la réévaluation de la participation québécoise aux accords internationaux contrevenant aux principes du parti.

Le RAP veut l'adoption d'un mode de scrutin proportionnel et d'une loi assurant la parité entre hommes et femmes à l'Assemblée nationale. Dans le domaine de la santé, le RAP propose la régionalisation des budgets servant au salaire des médecins et l'inclusion de représentants des usagers, des groupes communautaires et des syndicats aux conseils d'administration des régies régionales.

Le RAP fera la promotion de politiques culturelles, linguistiques et éducationnelles non soumises aux lois du marché. Il obligera l'industrie à produire un bilan de l'effet de ses activités sur l'environnement et à être responsable de ses produits, de la production à la disposition. Le RAP va promouvoir une réforme des modes de production pour ne conserver que ceux qui respectent les équilibres écologiques et appliquer un principe de précaution sur tout nouveau produit et toute nouvelle technologie. Le RAP propose d'impliquer citoyens et citoyennes dans la prise de décision sur les projets industriels polluants et se prononce pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Débats enflammés sur la parité homme/femme et le revenu de citoyenneté

Certaines délibérations ont été particulièrement enflammées. Lors des discussions autour des statuts du parti, certains voulurent remettre en cause le principe démocratique de la parité entre hommes et femmes au conseil national de coordination, évoquant la possible difficulté de convaincre des femmes de venir siéger à cette instance et proposant plutôt de réserver quatre sièges à des personnes de chacun des sexes. La règle a cependant été maintenue. Trois aspects sont ressortis des discussions autour du concept d'un revenu de citoyenneté qui éradiquerait la pauvreté.

Plusieurs souhaitaient l'adoption du principe sur-le-champ, quitte à débattre des modalités au congrès d'orientation. D'autres, tout en étant favorables au principe, préféraient reporter toute la discussion au congrès d'orientation pour permettre aux membres d'en discuter et d'en comprendre les enjeux pour mieux le défendre. Enfin, un courant minoritaire mais néanmoins présent s'opposait à l'idée, préférant des politiques de plein-emploi.

Au cours de la discussion, la grogne s'est manifestée et quelques délégués ont quitté. Le débat a été finalement reporté au prochain congrès. Un réseau de jeunes membres, prélude à une aile jeunesse formellement constituée, a aussi été mis sur pied.

Un nouveau comité de coordination

Dix membres ont été élus au conseil national de coordination. Quatre sont issus de l'équipe sortante 0 Diane Cossette, Pierre Dostie, Jacqueline Hekpazo et Sylvain Dupuis. Trois des nouveaux membres, Denys Duchesne, Michel Fontaine et Normand Gilbert, ont été candidats indépendants issus du RAP aux dernières élections québécoises. Madone Landry, Gabrielle Pelletier et Carolyne Proulx-Trottier ont aussi été élues.

Dans les prochains mois, le RAP diffusera son programme et convoquera un congrès d'orientation pour mai 2001 afin de discuter du partage de la richesse collective par le revenu de citoyenneté. Il y aura alors élection au poste de porte-parole national. Cette personne assumera le rôle de chef du parti, selon les termes de la loi électorale.|195| 
411|Flambée des prix en Yougoslavie|Michel Chossudovsky|

La médecine néolibérale



Depuis le départ de Milosevic, les médias occidentaux ont cessé de nous informer sur la situation en Yougoslavie. Mais notre chroniqueur Michel Chossudovsky a continué à suivre le déroulement des événements. Son compte rendu explique le silence de nos médias.

Le gouvernement Kostunica a déjà entrepris la mise en place de la « médecine économique » meurtrière du Fonds monétaire international (FMI). Le premier pas consiste dans l’abolition du contrôle des prix sur les biens de consommation de base, l’essence et les services. Déjà, les prix ont augmenté, triplant même dans certains cas, causant des souffrances extrêmes au peuple yougoslave.

Des années de sanctions économiques avaient appauvri le pays, sans mentionner les réformes imposées par le FMI au cours des années 1989-1990 avant le démantèlement de la fédération yougoslave. Mais un système de subventions et de contrôle des prix avait néanmoins empêché l’effondrement complet du niveau de vie, comme cela s’est produit dans la Bulgarie voisine.

Ce système de contrôle des prix est en train d’être démantelé par le semi-gouvernement du mouvement d’opposition de Serbie (DOS) sur les ordres du Fonds monétaire international. Comme le rapporte le Los Angeles Times 0 « Lorsque les partisans de Kostunica ont mis à la porte les gérants des entreprises d’État et les ont remplacés par leurs amis, le système de contrôle s’est immédiatement effondré et les prix se sont mis à grimper. Le coût de l’huile pour la cuisson a plus que triplé depuis vendredi dernier, alors que Milosevic annonçait son départ. Le prix du sucre et des cigarettes est à la veille d’augmenter une nouvelle fois. Les partisans de Milosevic ayant été remplacés par les partisans de Kostunica, ces derniers cherchent à rendre leurs entreprises rentables rapidement. » (Los Angeles Times, 15 octobre 2000)

Le gel de l’émission de papier-monnaie

Pour s’assurer que le gouvernement mettrait fin aux subventions, les économistes du G-17 ont pris de force le contrôle de la Banque centrale et ont immédiatement imposé le gel de toute création de papier-monnaie, privant ainsi le gouvernement des sorties d’argent nécessaires pour maintenir le contrôle des prix sur les biens de consommation de base.

Au début, le DOS annonça que la levée des contrôles était une grande réussite. Les médias occidentaux saluèrent la détermination de Kostunica, qu’ils opposèrent aux soi-disant ruses de Milosevic.

Le Los Angeles Times écrivait 0 « Le contrôle des prix pour empêcher la hausse d’aliments de base comme le lait et l’huile pour la cuisson est un des moyens par lesquels Milosevic a tenté de gagner le soutien de son peuple appauvri. » (Los Angeles Times, 15 octobre 2000)

Des entrevues que nous avons menées auprès de résidents de Belgrade confirment aujourd’hui que le prix du lait, si important dans l’alimentation des enfants, a presque doublé, passant de 8 à 14 dinars le litre. Le prix de l’huile pour la cuisson a plus que triplé, passant de 13,5 à 55 dinars. Le prix du sucre est passé de 8 à 45 dinars. Ces entrevues confirment donc le rapport du Los Angeles Times.

« Ah, ces prix démocratiques ! » disent d’ailleurs les commerçants, avec cet humour noir dans lequel on devine la colère des gens ordinaires.

Le voleur qui crie au voleur

Mais, pour faire face à la rébellion qui couvait, les partisans de Kostunica, y inclus les économistes du G-17, ont opéré un renversement étonnant. L’Agence France-Presse rapporte que « la nouvelle direction (c’est-à-dire la coalition DOS de Kostunica) a accusé les partisans de Slobodan Milosevic de chercher à créer le chaos sur les marchés par une brusque libéralisation, qui pourrait compromettre la démocratie naissante. Le gouvernement de la République serbe, toujours dominé par le personnel loyal à Milosevic, a entrepris de permettre la libéralisation des prix des biens de consommation de masse jusqu’ici sous contrôle étatique. Mais les réformes affirment que la libéralisation pourrait être cause de souffrances pour une population habituée à des prix fixés par l’État et certains ont même demandé au gouvernement de reprendre le contrôle d’une partie du marché. » (AFP, 16 octobre 2000)

Les médias occidentaux qui, quelques jours auparavant, félicitaient Kostunica pour avoir retiré le contrôle des prix, en jetaient maintenant le blâme sur Milosevic ! « Cette décision du gouvernement serbe est une sorte de thérapie de choc », déclare Branko Radulovic du G-17, un groupe d’économistes près du DOS, l’opposition démocratique de Serbie. « De telles mesures vont causer beaucoup de souffrances au peuple », prévient Radulovic. Mladjan Dinkic, le directeur du G-17, va encore plus loin. Cette décision est une « tentative de créer du chaos sur le marché et de provoquer la colère du peuple contre le DOS », déclare-t-il. Pour contrer ce « sabotage », Dinkic se déclare favorable à un « retour à la réglementation des prix pour certains produits de base ainsi qu’à l’importation de l’étranger de produits équivalents à meilleurs coûts pour venir à bout de ces hausses injustifiées des prix. » (AFP, 16 octobre 2000)

Notons que sous le prétexte de baisser les prix, Dinkic parle d’importer des biens « équivalents » à meilleur marché. Autrement dit, d’accepter le dumping de produits étrangers. Une pratique qui a détruit l’industrie locale et les entreprises agricoles en Bulgarie et dans d’autres pays.

Gagner sur les deux tableaux

L’économiste Dinkic du G-17 se déclare inquiet des « souffrances » du peuple. Mais n’est-ce pas précisément là la base même du programme du FMI que M. Dinkic a négocié lors de rencontres secrètes avec des représentants du FMI en Bulgarie, peu après les élections du 24 septembre ?

Alors qu’il était en Bulgarie, M. Dinkic a également rencontré des représentants des pays de l’OTAN. On lui a alors dit que la Yougoslavie devait éliminer le contrôle des prix comme première étape pour l’établissement du « libre marché ». Cela s’appelle la « libéralisation des prix » et le FMI l’impose souvent comme précondition à la négociation de prêts.

Si Dinkic veut réellement revenir au contrôle des prix tel qu’il existait avant les élections, pourquoi les gangs « démocratiques » qui se sont illégalement emparés des magasins d’État ont-ils aboli le contrôle des prix ? En fait, Dinkic veut gagner des deux côtés 0 se débarrasser des contrôles, et blâmer le gouvernement légal pour cette action que lui-même et ses hommes ont prise. Parce que c’est Dinkic lui-même qui s’est emparé du contrôle de la Banque centrale et cela, de façon illégale.

La thérapie de choc

Le programme du groupe d’économistes du G-17, lié au mouvement d’opposition de Serbie (DOS) de Kostunica, prônait la « thérapie de choc » de la fin du contrôle des prix.

« Immédiatement après son accession au pouvoir, le nouveau gouvernement devra abolir toutes les formes de subventions. Cette mesure doit être adoptée sans regrets ni hésitations, sinon il sera difficile, voire impossible de la mettre en vigueur ultérieurement, de puissants lobbies pouvant surgir et tout mettre en œuvre pour la bloquer. Ce premier pas vers la libéralisation économique doit être conçu comme une “ thérapie de choc ” et sa nature radicale ne laisse pas place à quelque forme que ce soit de gradualisme. »

(Extrait du Programme de réforme économique radicale du G-17)|195| 
412|À Oka, une odeur de magouille…|André Bouthillier| Une route en serpentin offrant, à chacun des tournants, un paysage champêtre s’étendant de collines en vallons. Devant un tel spectacle, je me dis qu’il doit être apaisant de vivre devant un paysage agricole patrimonial. Dans un tel décor, qu’est ce qui pourrait bien inquiéter la population d’Oka ?

Ce n’est pas l’odeur du célèbre fromage, puisque nous savons tous qu’il a perdu cette odeur qui plaisait tant à mon père et qui incitait ma mère à le placer entre deux fenêtres pour protéger la famille de sa fine odeur !

Ce n’est pas le fait que de plus en plus de touristes d’un jour prennent le traversier entre Hudson et Oka pour s’engager dans le circuit agrotouristique qui n’est pas piqué des vers. Pas plus que les pommes qui croissent dans un contexte où les pomiculteurs s’inquiètent un tantinet d’une légère pénurie d’eau qui s’installe depuis quelques années !

Rien n’étant parfait, j’ai trouvé ce qui fait tiquer les citoyens d’Oka.

Voilà trois ans, les résidents du rang Sainte-Sophie se mobilisent lorsque la compagnie Niocan annonce le projet d’exploiter, sur une période minimale de vingt ans, un gisement minier de niobium (anciennement du columbium). Cette mine sera localisée en pleine terre agricole !

Une mine qui nous pompe l’eau

Imaginez l’état d’esprit des citoyens déjà échaudés par une ancienne mine en activité de 1961 à 1976. Le dynamitage, la poussière, le camionnage intensif, l’effondrement de terrains, la perte de valeur des propriétés foncières font partie de la mémoire collective de la population régionale. Les moines trappistes se souviennent encore des dynamitages qui avaient lézardé les fondations du monastère.

C’est la consternation lorsqu’ils découvrent qu’une autre entreprise minière s’installe à Oka et que, pour assurer la mise à sec de la mine, la compagnie pomperait environ 340 gallons d’eau à la minute, 24 heures sur 24. Impossible de croire qu’il n’y aura pas d’impact sur la nappe phréatique lorsque la compagnie offre de prolonger l’aqueduc municipal à ses frais sur le rang Sainte-Sophie (actuellement, les résidants utilisent leur puits artésien).

Les citoyens s’organisent et informent les bailleurs de fonds du promoteur qu’ils ne se laisseront pas faire. Ceux-ci se sentent forts d’une pétition signée par les gens demeurant près du projet et, de l’appui de la Fédération Outaouais-Laurentides de l’Union des Producteurs agricoles qui se prononce contre le projet.

Le niveau de la nappe phréatique va baisser

En décembre 1999, Niocan, probablement rassurée par ses contacts en hauts lieux, demande à la municipalité une modification de zonage visant à permettre l’implantation de son projet minier. À cette époque, la compagnie est la propriété de la SGF-Soquem – une société d’État (12 %), du Fonds de solidarité de la FTQ (8 %), de la banque marchande Norshield et de quelques autres actionnaires minoritaires. Depuis, un remaniement du montage financier de l’entreprise (octobre 2000) démontre que ce sont trois personnes privées qui sont les actionnaires majoritaires. Plus de traces des autres investisseurs !

La municipalité d’Oka s’inquiète et commande une analyse hydrique. L’analyse démontre que les rabattements occasionnés par l’exploitation minière sont sous-estimés et donc que les mesures correctives proposées dans l’étude de la compagnie sont insuffisantes. Un pompage de l’eau souterraine estimée à 1,5 millions de gallons par jour va entraîner obligatoirement une baisse du niveau de la nappe phréatique. Les experts avancent que les impacts se feraient sentir sur un rayon de quatre kilomètres.

Au Saguenay, l’agriculture a disparu

Cette information inquiète d’autant plus la population que cette baisse du niveau d’eau implique des coûts pour recreuser des puits artésiens qui servent à fournir les résidants en eau potable, mais aussi les cultures, les vergers, et même les érablières. Les producteurs agricoles craignent aussi que les consommateurs s’inquiètent du risque de contamination des fruits et légumes arrosés possiblement par de l’eau contaminée !

Cette région progresse économiquement entre autres grâce à un circuit agrotouristique qui accueille chaque année de nombreux visiteurs. Seront-ils invités à contempler des champs de boues résiduelles comme à Saint-Honoré au Saguenay où, sur presque 600 acres autour de la mine de Niobec, l’agriculture a disparu ?

Un référendum concluant

À cause de l’insistance de Niocan, la municipalité décide de tenir un référendum sur cette question simple 0 « Approuvez-vous le projet d’exploitation minière proposé par Niocan inc. dans le secteur du chemin Sainte-Sophie ? »

Dans le coin droit 0 Niocan et ses promesses de défrayer les coûts du prolongement de l’aqueduc, la création de 160 emplois directs et indirects, et la restauration de l’ancien site minier de la St-Lawrence-Columbium dont la ville est maintenant propriétaire du parc à résidus.

Dans le coin gauche 0 les citoyens avec le sentiment qu’il y a anguille sous roche, impuissants à mettre la main sur tous les documents liés au projet et armés d’une étude hydrique inquiétante pour leur approvisionnement en eau.

Première ronde 0 le 16 avril 2000, les électeurs disent non au projet à 62 %. Contrairement à la compagnie qui avait refusé de s’engager à se plier aux résultats du référendum, la municipalité entend respecter la décision référendaire. La MRC de Deux-Montagnes, qui s’était engagée à respecter entièrement le choix du peuple okois, donne l’impression aux citoyens que le dossier est clos.

Où il y a de la mine, il y a du Brassard

En juillet 2000, le ministre Jacques Brassard demande par écrit au conseil municipal son accord pour vendre à Niocan l’ancien site de la St-Lawrence-Columbium afin que cette compagnie puisse exploiter son gisement minier. Le ministre se dit même disposé à intervenir auprès du Conseil du Trésor pour faciliter la transaction. Sans attendre la réponse de la municipalité, le 26 juillet 2000, le même ministre émet un bail minier à la compagnie pour qu’elle puisse exploiter le gisement du rang Sainte-Sophie, à Oka.

Le 7 août 2000, le conseil municipal rejette à l’unanimité cette demande du ministre et de la compagnie Niocan. Loin de baisser les bras, le comité de citoyens reprend son bâton de pèlerin et s’engage à convaincre les politiciens de la pertinence de sa cause.

Voilà une situation exemplaire qui s’inscrit dans le nouveau modèle québécois que je nomme «lutte d’éco-citoyenneté ». C’est à dire 0 risques environnementaux (éco-logique) sous-estimés et citoyens méprisés.

Restez des nôtres pour la suite du combat; c’est pas fini !

Sur le site de la Coalition Eau Secours 0 www.eausecours.org

Voir 0 La mine qui mine le moral des citoyens d’Oka !|195| 
413|« On veut syndiquer toute la classe ouvrière ! »|Pierre Dubuc|

Le discours rafraîchissant de Marc Laviolette



J’étais heureux de rencontrer Marc Laviolette le jour où les tribunaux venaient de confirmer l’accréditation du syndicat du McDonald’s de la rue Peel à Montréal. Enfin, une bonne nouvelle !, me disais-je, car je pensais trouver un Laviolette débiné après la pluie des contrecoups qui s’étaient abattus sur la CSN dans le conflit des transporteurs routiers 0 loi spéciale, rejet de 33 requêtes en accréditation par le Conseil canadien des relations de travail (CCRI), retour au travail dans le cadre d’un « moratoire » interprété par tous les commentateurs comme un constat de défaite.

Surprise, c’est un Marc Laviolette fringant, combatif et animé d’une saine colère qui me reçoit. D’entrée de jeu, il s’en prend à ceux qui qualifient la grève des 500 transporteurs routiers de « défaite ». Il sort de son cartable le journal La Presse du 22 novembre. « En éditorial, lance-t-il, Mario Roy parle de notre lutte comme d’une “ aventure irréfléchie ”, d’une “ lutte suicidaire ” et il affirme que pas un seul camionneur ne touchera un sou de plus sur son chèque de paie, ou ne verra ses conditions de travail améliorées de quelque façon. »

Mais Laviolette nous indique un autre article du même journal du 22 novembre dans lequel le journaliste Richard Dupaul cite Paul Gilmore, le vice-président du transporteur maritime CAST, qui confirme que des transporteurs routiers ont annoncé leur intention d’augmenter leurs tarifs de 20 % à 30 %. Gilmore ajoute que « les camionneurs voudront être mieux payés, notamment pour le temps d’attente qui n’est pas actuellement comptabilisé. » Dans le même article, on cite un autre transporteur maritime qui reconnaît que « les camionneurs devront être mieux payés tôt ou tard ».

Et Laviolette de conclure 0 «Mario Roy devrait commencer par lire son propre journal avant de faire un fou de lui en disant n’importe quoi. »

John David Duncan, le porte-parole des camionneurs, nous confirmera par la suite que des transporteurs comme Montreal Container Transport, Transport Verville, Transport Container Garfield et Transport Lafrance ont haussé de 55 $ à 70 $ le prix du conteneur.

« Notre juste part de la croissance »

« Les compagnies peuvent payer davantage », enchaîne Marc Laviolette en me remettant la copie d’une facture de Camionnage Intra-Québec pour un conteneur. La facture s’élève à 512,50 $ et comprend un montant de 22,50 $ pour la hausse du prix du pétrole et 40 $ pour le temps d’attente. « Le travailleur, lui, touchait 55 $, sans prime pour l’essence et sans être payé pour le temps d’attente », rappelle-t-il en soulignant que ces travailleurs indépendants ont d’énormes paiements mensuels à rencontrer, alors que les transporteurs se contentent souvent d’un minuscule bureau.

« Nous sommes en période de croissance économique, nous voulons que les travailleurs aient leur juste part de cette croissance », dit-il pour justifier l’action de sa centrale syndicale.

La grève a permis de réaliser l’importance de l’industrie du camionnage dans l’ensemble de l’économie, particulièrement quand plusieurs entreprises fonctionnent selon le principe du « juste-à-temps» pour augmenter leurs profits en se passant d’inventaires. «On a calculé, rappelle le président de la CSN, que la grève des transporteurs routiers coûtait un demi-milliard par semaine à l’économie québécoise. »

Patronat et gouvernements, même combat

Il n’est donc pas surprenant que le patronat et les gouvernements se soient ligués contre les grévistes et la CSN. Le gouvernement d’Ottawa ne pouvant intervenir pour cause d’élections, le patronat s’est tourné vers Québec qui s’est empressé de répondre à l’appel.

Laviolette me remet un extrait du Journal des débats de l’Assemblée nationale dans lequel le ministre Guy Chevrette fait clairement état de sa connivence avec les employeurs. Chevrette y déclare 0 « Quand on a vu cela, on a travaillé avec les avocats des patrons, on a travaillé... On s’est tenus en perpétuelle liaison avec eux depuis la première semaine du conflit. » (Extrait du Journal des débats du jeudi 2 novembre 2000)

Une fois la loi 157 adoptée, la CSN a proposé aux entreprises, une à une, un protocole de retour au travail. Certaines étaient tentées de le signer, mais l’Association du camionnage du Québec (ACQ) est intervenue auprès des 39 compagnies visées par le syndicat en les avisant de ne rien signer avec la CSN, craignant que cela puisse être interprété comme une reconnaissance syndicale de facto.

L’enjeu dépasse le camionnage intermodal

Notons que l’ACQ regroupe surtout les très gros transporteurs routiers et que ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans le conflit de l’intermodal. Cela démontre que l’enjeu dépasse de loin les camionneurs de l’Intermodal.

Le même jour, soit le 7 novembre, le Conseil canadien des relations de travail (CCRI) rejette les 33 requêtes en accréditation déposées le 1er juin 2000, mais « se garde bien, souligne Laviolette, de statuer sur les requêtes déposées en janvier 1999, dont les dossiers étaient beaucoup plus complets et pour lesquels les parties avaient été entendues ».

Deux semaines plus tard, quelque 250 camionneurs de l’intermodal adoptent en assemblée générale un protocole de retour au travail qualifié de « moratoire » par la CSN.

Laviolette reconnaît que le «moratoire » est une pause, un recul temporaire découlant de l’impact de la loi 157, des pressions exercées par les employeurs, des congédiements et des difficultés financières des camionneurs. « On est capable de lire une situation », de nous dire le président de la CSN. La lutte est cependant loin d’être terminée. « On veut des solutions durables », d’affirmer Laviolette

Une stratégie à long terme

Pour comprendre les enjeux de cette lutte, il faut la situer dans la stratégie à long terme de la CSN. « Il y a deux ans, de dire Laviolette, nous nous sommes fixés comme objectif la syndicalisation des travailleuses et des travailleurs dans trois secteurs prioritaires 0 le camionnage, le fast food et le secteur bancaire. On va soutenir toutes celles et ceux qui vont vouloir se syndiquer. Ce n’est pas les amendes qui vont nous impressionner ou nous arrêter. On lâchera pas le morceau. »

Au début de son mandat à la tête de la CSN, Marc Laviolette avait répondu à un journaliste qui insinuait que la CSN soutenait la révolte des camionneurs parce qu’elle voulait les syndiquer 0 « Mais c’est exact. On veut les syndiquer, on veut tous les syndiquer. On veut syndiquer toute la classe ouvrière. » Un discours rafraîchissant, qui l’est encore plus en voyant que les actes suivent les paroles.

Les lois spéciales contre les travailleurs

Duplessis 0 4 Parti québécois 0 39

Le président de la CSN ne mâche pas ses mots à l’endroit du gouvernement et son discours laisse penser qu’un changement majeur se dessine dans les relations entre la CSN et le Parti québécois, relations qui étaient au beau fixe sous la présidence de Gérald Larose.

« On a adopté une loi où la circulation des marchandises a priorité sur les droits des travailleurs, sur les droits fondamentaux de la Charte des droits et libertés. On n’a pas vu de grandes contradictions entre le fédéral et le provincial lors de ce conflit. Au contraire, il y avait une très grande unité entre les deux contre les travailleurs », déclare Laviolette.

« Au cours de ses quatre mandats, ajoute-t-il, le Parti québécois a passé 39 lois spéciales contre les ouvriers. C’est beaucoup. Duplessis en avait passé quatre. Il préférait envoyer sa police. Je questionne le nationalisme de droite par rapport à notre projet de société. C’est à travers la lutte sociale qu’on bâtit un pays, pas avec des lois anti-ouvrières.»

Laviolette enchaîne en rappellant que la CSN a enclenché le débat sur l’action politique. « Ça va aboutir au prochain congrès », dit-il.

Des états généraux ? À condition que ce ne soit pas un têtage de têteux

Le conflit dans le port a vu se développer une vive polémique entre la CSN et la FTQ, plus particulièrement avec le syndicat des Teamsters. Laviolette maintient ses accusations 0 « Les Teamsters sont intervenus pendant la grève pour faire signer des cartes d’adhésion à des scabs. » Un facteur qui a affaibli le rapport de force du syndicat CSN.

« Nous avons reçu l’appui du syndicat des fonctionnaires (SFPQ), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), du syndicat des infirmières (FIIQ), mais pas de la FTQ », ajoute-t-il.

À ceux qui s’inquiètent des dérapages actuels et se demandent si l’idée avancée par la Centrale des syndicats du Québec de la tenue d’états généraux du mouvement syndical ne serait pas une bonne idée pour reconstruire l’unité syndicale, Laviolette répond 0 « Je ne suis pas contre. Mais il faudrait que ça ait lieu après la période de maraudage prévue dans le secteur public », précise-t-il en questionnant les intentions de la CSQ qui a affirmé lors de son dernier congrès vouloir élargir son membership dans le secteur public, où la CSN est majoritaire.

« Des états généraux d’accord, à condition que ça ne soit pas un love-club pour têter le PQ. D’accord, si c’est pour bâtir l’unité afin de faire profiter les travailleuses et les travailleurs des fruits de la croissance. D’accord, si on recherche une unité de vues pour une unité d’action ! »|195| 
414|L’heure des « pas le choix »|François Parenteau| Juste avant les élections, selon la firme de sondages Léger Marketing, le portrait des intentions de vote donnait exactement les mêmes résultats qu’il y a cinq semaines, avant le début de la campagne. J’ai même vu M. Léger déclarer à la télévision que ç’en était à se demander pourquoi on faisait des élections. C’est bizarre que ce soit lui qui pose la question parce que moi, je pensais que c’était pour faire vivre les maisons de sondages...

De toute façon, peu importe qui aura gagné, je me demande bien à quoi mon vote de lundi servira. Je sais bien qu’ailleurs dans le monde, des gens sont morts en tentant d’obtenir le droit de vote mais je ne peux pas m’empêcher de penser que, présentement, mon vote (et pas seulement au fédéral) ne sert qu’à cautionner un paquet de politiques que je réprouve, des faveurs rendues aux « pushers » d’OGM aux lois sur les jeunes contrevenants. Le problème, c’est que je n’ai aucun moyen de me prononcer sur ces politiques dont je n’entends jamais parler d’avance.

Prenez le système de santé. Aucun parti ne fait campagne en proposant la privatisation des soins de santé, ne serait-ce que partielle. Que le NPD s’oppose à cette pratique, c’est crédible. Que le Bloc québécois fasse de même aussi. Mais que les libéraux, les conservateurs et l’Alliance se mettent de la partie, ça tient du surréalisme.

C’est ainsi que, sur ce sujet, nous avons vu les cinq chefs de parti jouer à qui ferait le plus vibrant plaidoyer en faveur d’un système de santé public universel. Pourtant, si on entend tellement parler d’ouvrir la porte à des cliniques privées ou même carrément de la privatisation des hopitaux, c’est qu’il doit bien y avoir quelqu’un qui propose ça quelque part. Alors, peut-on m’expliquer pourquoi personne ne défend cette politique dans l’arène électorale.

C’est clair que cette idée fait peur à une vaste majorité d’électeurs. Le système de santé est devenu plus qu’un sujet symbolique, c’est un véritable tabou. Ç’en est presque devenu un élément essentiel des identités canadienne et québécoise. Personne n’osera dire clairement qu’il remettra ça en cause.

Comprenez-moi bien 0 je suis fortement en faveur d’un système de santé public universel. Mais j’aimerais mieux que ceux qui veulent le privatiser le disent franchement et qu’ils tentent de me convaincre de leurs arguments plutôt qu’ils disent ce que je veux entendre en campagne électorale pour ensuite faire ce qu’ils veulent une fois au pouvoir. Parce que ce sera comme ça. C’est déjà comme ça. Personne ne parle d’ouvrir la porte au privé dans les soins de santé et pourtant, les cliniques privées poussent comme des champignons. Si des gens proposaient ça clairement, d’autres pourraient s’y opposer clairement. Présentement, tous ont comme programme la liste de souhaits de la population et jouent à qui a l’air le plus crédible à la défendre.

Et une fois au pouvoir, ils font un paquet de trucs dont personne n’a entendu parler en campagne électorale. Ils nous amènent de nébuleuses lois sur la clarté, ils instaurent des bulletins scolaires qui ont l’air de certificats de bonne conduite de camp de vacances, ils fusionnent de force des municipalités, ils proposent qu’on tourne à droite aux feux rouges, ils achètent des hélicoptères... et ils privatisent les soins de santé. Je peux bien alors rejoindre une gang dans la rue avec des pancartes mais il est trop tard pour que je puisse réagir avec mon arme la plus efficace 0 mon droit de vote.

Ce n’est pas d’être blasés que les citoyens se désintéressent de la politique. C’est d’être lucide de savoir que ça ne changera rien. Stockwell Day peut brûler son petit carton 0 il est clair que s’il était élu, il finirait par ouvrir la porte au privé dans les soins de santé. Personne n’est dupe de cette hypocrisie. Il dirait que la situation des hopitaux était pire que ce qu’il croyait, qu’il fallait faire rentrer l’argent du privé pour sauver le système, qu’il n’avait pas le choix. C’est toujours cette même rengaine. Pour la globalisation de l’économie, les coupures dans l’aide sociale et l’assurance-chômage, le remboursement de la dette, les fusions municipales, le virage ambulatoire, nos élus nous disent qu’ils n’ont pas le choix.

C’est devenu bien étroit, la démocratie 0 nous avons le pouvoir de choisir celui qui n’aura pas le choix...

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 25 novembre 2000.|195| 
415|Une presse libre pour un pays libre|Pierre Dubuc|

Contre la concentration de la presse



L’aut’journal a été invité à participer à un atelier sur la presse alternative lors du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. À cette occasion, nous avons distribué à tous les congressistes le texte qui suit.

Dans son Billet paru dans le Journal du congrès de la FPJQ, la présidente du comité du congrès, Anne-Marie Dussault souligne avec raison la menace que pose à la liberté de presse le raz-de-marée sans précédent de fusions et d’acquisitions dans le monde des médias. « Quelle place reste-t-il alors à la diversité des points de vue et au pluralisme qui ont été le premier combat de la presse, le moteur de son développement et le fondement de sa raison d’être ? », demande-t-elle avec pertinence.

Depuis la parution du Journal du congrès, la menace s’est concrétisée avec l’acquisition des journaux d’Unimédia par Gesca, filiale de Power Corporation de Paul Demarais, mais à écouter et à lire les premiers commentaires des milieux journalistiques et gouvernementaux au lendemain de la transaction, les inquiétudes de Mme Dussault sont loin d’être partagées.

Dans n’importe quel pays normal, la concentration de 96,5 % de la presse quotidienne aux mains de deux conglomérats entraînerait une crise sociale majeure. Dans un Québec normal, elle devrait également provoquer une crise politique, compte tenu du fait que la presque totalité de la presse francophone d’opinion est d’allégeance fédéraliste alors que près de 60 % de la population a voté en faveur de la souveraineté au référendum de 1995.

Mais la majorité des artisans et des soi-disant experts de la presse écrite, avec en prime les politiciens souverainistes, présentent la transaction comme un « progrès » ! On croirait entendre Jean Chrétien déclarer 0 « Tout va très bien, Madame la Marquise. »

La « tradition de respect des salles de rédaction » de Power Corporation

Bien entendu, les propriétaires de Power Corporation nous disent que cette concentration va donner aux salles de rédaction des moyens accrus pour produire de meilleurs journaux. Mais nous savons tous que la concurrence avec les journaux de Québécor va entraîner inexorablement la transformation déjà bien amorcée de La Presse et du Soleil en des clones de la formule du Journal de Montréal et du Journal de Québec, axés sur le fait divers et les sports.

Le président et éditeur de La Presse, Guy Crevier, a écarté du revers de la main les menaces qui pèsent sur la liberté de presse en déclarant 0 « On a une tradition de respect des salles de rédaction. » Mais comment peut-on croire un seul instant que les journalistes de l’empire Desmarais seront libres d’enquêter sur les entreprises du patron et celle de ses amis ? Ce qui, étant donné l’ampleur des possessions de Power Corporation et son réseau de contacts, ne laisse pas beaucoup de champ libre.

Déjà, dans le débat sur le système de santé, les journaux de Desmarais ignorent délibérément les intérêts du principal bénéficiaire d’éventuelles privatisations 0 les compagnies d’assurances. Cela n’a évidemment aucun lien avec le fait que Desmarais est propriétaire de la Great-West et de la London Life, deux des plus importantes compagnies d’assurances au pays !

La concentration de la presse d’opinion aux mains de Desmarais 0 une « condition gagnante » ?

« Les temps ont changé », a déclaré le ministre des Finances Bernard Landry pour saluer l’acquisition par Power Corporation des journaux de Unimedia dont Le Soleil, trente ans après une tentative similaire bloquée par le gouvernement de Robert Bourassa. Qu’est-ce qui a changé ? Sûrement pas Paul Desmarais, dont toute la carrière a été consacrée à combattre les souverainistes québécois. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Serait-ce le Parti québécois qui nous fait aujourd’hui regretter Robert Bourassa ?

Le ministre Landry a également déclaré que les nouveaux acquéreurs des journaux d’Unimédia avaient « une obligation d’éthique capitaliste et d’éthique civique beaucoup plus élevée qu’avant », faisant écho aux propos de Guy Crevier sur la « tradition de respect des salles de rédaction ». C’est sans doute au nom de cette « éthique » et de cette « tradition » que la direction de La Presse a montré la porte à la journaliste Chantal Hébert suite à ses articles critiques à l’égard des libéraux et de Jean Chrétien !

Quand on invoque à tort Internet et les nouvelles technologies...

Pour justifier leur inaction, le premier ministre Bouchard et son ministre Landry ont repris les arguments de soi-disant experts voulant que « la concentration de la propriété n’entraîne pas nécessairement la concentration des contenus » en invoquant la présence d’Internet et la multiplication des canaux de la câblodistribution. Pure foutaise ! Ils confondent délibérément les canaux, effectivement plus nombreux, par lesquels circule l’information, et les producteurs de contenu, en nombre toujours plus restreint.

N’importe quel auditeur des émissions d’information matinales à la radio et à la télévision – si nombreuses soient-elles – sait qu’elles se ressemblent toutes parce leur principale et souvent seule source d’informations, ce sont les journaux du matin.

Politiciens et experts invoquent l’absence de débats dans les médias pour légitimer la transaction Gesca-Unimedia, alors qu’il faut plutôt y voir la preuve de ce que nous dénonçons ! Faut-il se surprendre que la critique ne vienne pas de ce 96,5 % de la presse impliquée dans les méga-fusions ? ! Non, la critique ne peut surgir que de la presse libre et indépendante.

Le Devoir doit opérer un tournant majeur

Nous avons craint un instant que Le Devoir soit prêt à sacrifier son indépendance en échange d’une case dans l’organigramme du Groupe Vaugeois, qui disputait à Power Corporation l’achat des journaux du groupe Unimedia.

Que le Groupe Vaugeois, appuyé par le Mouvement Desjardins et le ministre Landry, ait été écarté pour des considérations politiques – Conrad Black voulait conserver à ses journaux un « ton fédéraliste », a-t-on dit – est certes condamnable, mais il faut se féliciter que la transaction ait échoué si cet échec permet de maintenir l’indépendance du Devoir.

Nous nous réjouissions donc de la condamnation de la transaction par Le Devoir et nous sommes entièrement d’accord avec son directeur, Bernard Descoteaux, lorsqu’il écrit 0 « Il ne fait aucun doute que l’intérêt public et la liberté d’expression sont mieux servis quand il existe une presse écrite, diversifiée, libre et indépendante. »

Mais encore faut-il qu’il y ait réellement diversification, que cette presse libre et indépendante se distingue de la presse des grands conglomérats ! Ce qui n’est pas actuellement le cas du Devoir.

Au cours des dernières années, ses éditorialistes se sont amusés à casser du sucre sur le dos des mouvements syndicaux et populaires, sans parler plus récemment du mouvement des femmes. Cela en faisait peut-être une mariée acceptable pour Vaugeois, le dernier-né des petits « faiseux » néolibéraux de la lignée des Malenfant-Gaucher-Sirois, mais sûrement pas une presse libre et indépendante.

Le Devoir devra opérer un virage majeur s’il veut que son indépendance des grands groupes financiers ait une signification. Il doit redevenir un journal de combat, tant sur le front national que social. Il doit se faire le porte-parole de cette majorité francophone souverainiste, de ces travailleurs et travailleuses, syndiqués et non-syndiqués, précaires ou sans emploi, qui constituent la grande majorité de la population de ce pays. Sinon, il sera inexorablement condamné à la marginalité ou à être absorbé par les conglomérats qu’il dénonce aujourd’hui.

Pour des États généraux sur le droit à l’information

La situation de la presse écrite au Québec est dramatique. Elle exige une action rapide et immédiate de la presse libre et indépendante du Québec. Au premier chef du Devoir, mais également de publications comme l’aut’journal, Recto-Verso et le Mouton noir, que bien des gens, dont les organisateurs de ce congrès, qualifient trop rapidement de « presse marginale ».*

Certains ont lancé un appel à la tenue d’États généraux sur le droit à l’information. Nous sommes prêts, à l’aut’journal, à nous y associer ainsi qu’à toute autre initiative allant dans le même sens. Peu importe sa forme, il faut organiser une réflexion collective très large sur les conséquences pour le Québec de l’extrême concentration des médias.

La réflexion, si elle ne veut pas être stérile, doit déboucher sur les moyens à mettre en œuvre pour défendre la liberté de presse et permettre « la diversité des points de vue et le pluralisme qui ont été le premier combat de la presse, le moteur de son développement, et le fondement de sa raison d’être », comme le disait si bien Anne-Marie Dussault.

Enfin, pour être sérieuse, cette réflexion doit s’accompagner d’une campagne de soutien aux médias de la presse libre et indépendante, car leur situation financière est extrêmement précaire.

* À ce compte-là, il faudra employer le même qualificatif pour Le Devoir avec son tirage de 26 000 exemplaires et son 3,5 % de part du marché. Après tout, l’aut’ journal a un tirage mensuel de 20 000 exemplaires, le Mouton Noir de 10 000 copies et le bi-mensuel Recto-Verso tire à 100 000 exemplaires !|195| 
416|La clé grecque de l’œuvre de Kerouac le Québécois|Michel Lapierre| En 1966, avant de dire oui à Jack Kerouac, père malgré lui de la révolution sexuelle et des hippies, qui, à quarante-quatre ans, la demandait en mariage, Stella Sampas se regarda dans la glace pour se redire 0 « Je ne suis pas une beauté… Jack mérite beaucoup mieux. » La vieille fille de quarante-sept ans avouait même à Sterling Lord, l’agent littéraire de l’auteur d’On the Road 0 « La mescaline ? Je ne sais pas ce que c’est. » Mais Stella, la Grecque de Lowell (Massachusetts), accepta de devenir la troisième femme de Kerouac, qui, ayant du mal à joindre les deux bouts, voyait en cette amie de toujours une providence et lui disait 0 « Je t’aime comme ma sœur. »

L’ange de la route, qui, au sommet de sa gloire, s’était vanté de coucher avec trois filles en même temps, avait besoin de cette étoile pour veiller sur sa mère paralysée, sur lui-même et sur ses chats. Le Canuck, pourra, dès lors, quitter son Lowell natal avec les siens, monter, avec Joe Chaput, dans la station-wagon Lincoln-Mercury du bonhomme Doucette, téter l’une après l’autre ses bouteilles de Johnny Walker Red Label Scotch, jouer de l’harmonica et se laisser conduire en Floride pour ne plus jamais en revenir.

L’influence occulte de Sebastian Sampas

C’est une des belles et des tristes histoires qu’Ann Charters a reconstituées depuis peu, en publiant et en commentant les Selected Letters, 1957-1969, de Kerouac. De son côté, Gallimard vient tout juste de publier, en français, les Lettres choisies (1940-1956), que la brillante exégète avait éditées en 1995. La volumineuse correspondance du fondateur ingénu de la contre-culture nous révèle, en particulier, la profondeur de l’influence occulte de Sebastian Sampas, c’est-à-dire de Sam, le frère de Stella, le jeune poète léniniste de Lowell, mortellement blessé sur la plage d’Anzio, lors du débarquement des Alliés en 1944.

Issu, comme Kerouac, des vagues d’immigrants qui renouvelèrent sans cesse une main-d’œuvre le plus souvent docile et obnubilée par la puissance inépuisable du capitalisme américain, Sam Sampas, encore adolescent, se singularise à Lowell, première ville industrielle d’envergure de l’histoire du Nouveau Monde. Il forme avec ses amis le cercle des Jeunes Prométhéens, où l’on discute de politique, de philosophie et de littérature, où l’on est progressiste et idéaliste, un peu à la manière de John Reed, ce fils de la bourgeoisie de l’Oregon, diplômé de Harvard, qui acclama la révolution d’Octobre, dans son célèbre récit Dix Jours qui ébranlèrent le monde. Kerouac fréquente ce groupe de Grecs et d’Irlandais, se séparant du milieu canadien-français, où régnait l’obscurantisme issu de la blessure coloniale québécoise. Ses parents, Alcide-Léon Kirouack et Gabrielle Lévesque, originaires du Bas-Saint-Laurent, s’étaient déjà démarqués en encourageant leur fils à faire des études poussées.

À cause de Kerouac, les Beatles ne seront pas les Beetles

C’est Sam qui révèle à Jack l’américanisme naïf de William Saroyan et la désillusion de Spengler sur l’avenir de l’Occident, deux visions contradictoires qui nous éclairent sur la révolte complètement apolitique de Kerouac, cette révolte sans objet doublée d’un amour sans raison, ce triomphe de l’instinct qui confine au délire. Sampas souhaite que le futur écrivain en fasse la synthèse. Kerouac ne répondra pas à ce vœu, mais poussera les deux visions jusqu’aux limites de l’hallucination, avant de cracher le sang de ses entrailles, le 21 octobre 1969, à Saint Petersburg, au bord du golfe du Mexique. Au volontarisme des Jeunes Prométhéens, il opposera, sans même le vouloir, l’étrange beauté de l’homme battu, de l’homme bienheureux; et la Beat Generation sortira tout entière de son cerveau, pour le meilleur et pour le pire. Kerouac fera la conquête du monde sans qu’on sache très bien qui il est. À cause de lui, les Beatles ne seront pas les Beetles, comme il se plaira à le remarquer.

Sam, c’est la clé grecque de l’œuvre de Jack le Québécois. Fort de la tradition orthodoxe, en particulier de la mystique byzantine, le Grec rappelle au Canuck qu’il est trop occidental pour comprendre Dostoïevski, c’est-à-dire trop individualiste pour saisir la profondeur de l’âme collective. Pour Sam, le monde n’est pas seulement beau et envoûtant; il a un sens. Avant de mourir à vingt ans, Sampas met Kerouac en garde contre l’esthétisme et l’idolâtrie. On finit toujours par se heurter à ses idoles, lui dit-il. Thomas Wolfe, le romancier idolâtre, dont Jack se réclame, n’est pas nécessairement le modèle à suivre. « Wolfe était en conflit avec le monde… Ne choisis pas, quelle que soit la voie la plus facile. », écrit Sam à Jack, le 15 mars 1943. Il lui adresse ce poème qu’il vient de composer 0

Camarade

Maudites soient les étoiles

balayées par le vent

Et que la nuit soit une

comme le tonnerre

Tu as ta part

de blessures

Camarade ! Nous ne succomberons pas

Plus important que Cassady et Ginsberg

Ann Charters a l’intelligence de souligner l’importance de ces vers en en faisant l’épigraphe des Lettres choisies (1940-1956), livre qu’elle dédie, à bon droit, à la mémoire de Sebastian Sampas. J’ose penser que ce poète inconnu est plus important dans la vie de Kerouac que Neal Cassady et Allen Ginsberg. Certes, ces deux grands amis du vagabond solitaire ont confirmé l’écrivain dans sa résolution de retrouver par la cadence de la prose la liberté perdue de l’Amérique, mais ils ont laissé l’homme devenir sa propre proie.

Kerouac a été le premier à définir l’écrivain américain comme un héros. On the Road, où l’on sent les respirations de Cassady et de Ginsberg entremêlées à celle de l’auteur, est, encore plus que le chant des grands espaces, l’épopée de la révolution de l’écriture. Kerouac a décrit les choses les plus banales comme si l’être humain les voyait pour la première fois. Hymne à la vitesse et à l’instant présent, On the Road est aussi le poème dramatique de la monotonie de l’éternité. Selon Kerouac, nul ne surpasse l’écrivain américain. « Parce qu’il a sa propre poésie, personne ne peut la lui ravir; et sa poésie est la plus grande du monde parce qu’il n’y aurait pas pu y avoir un Whitman en Europe, et que le Whitman d’Afrique est encore à venir. »

Le Bouddha s’appelle Sebastian

Mais cet homme qui exalte tant la vocation littéraire des États-Unis, l’Extrême-Occident, fut un marin avant d’être un routard. Pour lui, les grands espaces, c’est d’abord l’océan. Kerouac était destiné à découvrir l’Orient, ou plutôt à le redécouvrir; car l’Orient, pour lui, signifie le Bouddha, et le Bouddha s’appelle Sebastian Sampas. Sam « était né en ce monde pour pleurer et savoir (instinctivement, intuitivement) tout ce que les grands sages d’autrefois ont offert et préservé pour le salut de toutes les créatures vivantes », écrit-il à Stella, en 1955. Voilà Kerouac prêt, selon le vœu de Sam, à concilier Saroyan et Spengler, à faire la synthèse de l’Amérique triomphante et de l’univers vaincu. Et c’est ainsi que la mer et la route ramènent le Canuck à Lowell, la ville des Sampas, le Lowell des prolétaires, le Lowell des immigrants, « le doux Lowell », précise-t-il à Stella.

Lowell rappelle à Kerouac qu’il se sent « un exilé nord-américain en Amérique du Nord ». Son frère Gérard, l’ami des anges, mort dans cette « sombre » ville, à l’âge de neuf ans, a marqué à jamais son existence. « Gérard était mort, et cela ne voulait dire qu’une chose 0 il était parti au Canada. » Pas le Canada des Anglais, le Canada des Canadiens. « Canuck Canada », c’est le nom que Kerouac donne au Québec. « Le Canada était, pour moi, le sein de Dieu. »

Le retour intérieur à Lowell

Le récit d’enfance Visions of Gerard, écrit en 1956 et publié en 1963, marque, pour l’écrivain, le retour intérieur à Lowell et l’apparition de l’autocritique. En 1962, Kerouac, éreinté par presque tous les critiques américains, veut rompre avec l’écriture spontanée, qui caractérise son œuvre, pour en arriver à un art maîtrisé qui puisse mieux exprimer son être intime. Il formera de nouveau ce projet, trois ans avant sa mort, mais ce sera toujours en vain. « Toute ma connaissance me vient de mon identité canadienne-française, et de nulle part ailleurs », disait-il; mais le désespoir, l’alcool et la drogue refouleront cette connaissance vers l’abîme. Amer, le père incompris et occulté de la contre-culture désavouera sa postérité, en ne voyant dans les bouleversements des années soixante que les manifestations d’une barbarie sans fin, qui nie jusqu’à l’existence de l’acte d’écrire.

Ann Charters sait que ce désaveu n’est pas la réaction aveugle d’un red neck, mais la conséquence d’une profonde illumination. Aussi dédie-t-elle les Selected Letters, 1957-1969 à la mémoire de Stella Sampas, « étoile, sœur magnifique de mon ami » Sebastian, disait l’écrivain en 1958. Elle rappelle, sans trop le vouloir, que la lumière de l’Orient, en révélant l’harmonieuse déchirure de l’univers, révèle les dimensions insoupçonnées du Québec intime de Kerouac.

Une véritable catharsis

Mais Ann Charters se doute-t-elle que la connaissance universelle, d’essence québécoise, provoque finalement, dans l’esprit de l’écrivain déchu, une liquidation, une véritable catharsis, triste mais inéluctable ? Le 20 octobre 1969, veille de sa mort, Kerouac écrit à son neveu, Paul Blake, fils de sa sœur Caroline, pour lui dire qu’il a déshérité sa femme Stella Sampas et qu’il a l’intention de demander le divorce ou même l’annulation de leur étrange mariage. Il ne veut pas, dit-il, laisser « a dingblasted fucking goddamn thing to my wife’s one hundred Greek relatives ». Il lègue le peu de biens qu’il possède, à ce moment-là, à ceux qui sont du « même sang » que le sien, c’est-à-dire à sa mère, Gabrielle Lévesque, et, advenant la mort de cette dernière, à son neveu.

Comme on le devine, une querelle naîtra au sujet de l’héritage, qui, aujourd’hui, grâce à la vente incessante des livres de Kerouac, vaut plus de dix millions de dollars… Mais l’essentiel n’est pas là. Il est d’un tout autre ordre. Le 20 octobre 1969, Kerouac savait qu’il allait mourir, mourir comme son frère Gérard, c’est-à-dire partir pour le Québec.

Excusez-moi de vous écrire en anglais

Extraits d'une lettre de Jack Kerouac à Yvonne Le Maître, qui venait de faire, dans Le Travailleur, une critique élogieuse de son premier roman, The Town and the City. Publié à Worcester (Massachusetts), Le Travailleur était un journal destiné aux Américains d'origine québécoise. Yvonne Le Maître était native de Pierreville, au Québec.

Richmond Hill (New York), le 8 septembre 1950

Excusez-moi de vous écrire en anglais. Il serait tellement mieux de m'adresser à vous en français; mais je ne peux m'exprimer avec facilité dans ma langue maternelle. C'est la triste vérité.

Votre article m'est allé droit au cœur parce que je suis incapable d'écrire dans ma propre langue et que je n'ai plus de chez-moi. L'horrible déracinement que vivent tous les Canadiens français aux États-Unis me bouleverse… Un jour, Madame, j'écrirai un roman canadien-français dont l'action se déroulera en Nouvelle-Angleterre; et je l'écrirai en français. Ce sera dans le français le plus simple, le plus rudimentaire. Si quelqu'un veut le publier – je veux dire Harcourt, Brace ou qui que ce soit –, il devra le traduire.

Toute ma connaissance me vient de mon identité canadienne-française, et de nulle part ailleurs. L'outil qu'est la langue anglaise, je ne l'ai découvert que tardivement, très tardivement. Je n'ai jamais parlé anglais avant l'âge de six ou sept ans. À vingt et un ans, j'étais encore maladroit, et on discernait l'empreinte de l'illettré dans ce que je disais et écrivais. Quel gâchis ! Si je manie l'anglais avec autant d'aisance, c'est parce que ce n'est pas ma propre langue. Je l'ai remodelé, imaginez-vous, pour l'adapter à des images françaises !

Jack Kerouac

Jack Kerouac, Lettres choisies (1940-1956), Gallimard, 2000, et Selected Letters, 1957-1969, Viking, 1999.|195| 
417|Magnola inquiète les agriculteurs|Nathalie Marois|

Des empoisonneurs malgré eux ?



Avec l’appui de nombreux militants dont Michel Chartrand, Daniel Green de la Société pour vaincre la pollution et de l’Opération salami, plus de 200 citoyens et citoyennes ont répondu le 5 novembre dernier à l’appel de la Coalition pour un Magnola propre à une rencontre d’information et à manifester dans la ville d’Asbestos.

On y a dressé un portrait fort inquiétant des performances environnementales de Magnola, tout en dénonçant le laxisme des gouvernements face à leur devoir de protéger la santé de la population. Rappellons que Magnola, qui produira 63 000 tonnes de magnésium annuellement (on prévoit le double d’ici 2010), est appelé à devenir le plus important producteur d’organochlorés au Canada, des substances hautement toxiques.

Paradoxalement, le gouvernement canadien s’apprête à signer un traité international avec 126 autres pays visant l’élimination des organochlorés d’ici 2001. Quant au gouvernement du Québec, il a imposé le projet par décret, faisant fi des recommandations du rapport d’enquête du Bureau d’audience publique en environnement (BAPE) déposé en 1998. Le BAPE demandait des modifications majeures au projet pour justifier son acceptabilité.

Michel Chartrand s’en prend à Noranda

« Les agriculteurs sont inquiets », affirme Lisette Anfousse, membre de la Coalition pour un Magnola propre. « Notre région est le principal bassin laitier du Canada, avec des fermes diversifiées. Les agriculteurs deviendront-ils des empoisonneurs à petit feu ? Les gens se mettront-ils à craindre nos produits ? » Depuis le début de la période de rodage en juin dernier, l’usine a déjà à son actif deux incidents qui auraient pu avoir des conséquences environnementales sérieuses, s’ils étaient survenus en période de production normale.

Michel Chartrand a fait le parallèle avec la lutte syndicale à laquelle il a participé 50 ans plus tôt pour faire valoir le droit à la santé des travailleurs de l’amiante. Cette fois, sa cible est la richissime compagnie Noranda, actionnaire à 80 % de Magnola (20 % des actions sont détenues par le gouvernement du Québec par le biais de la Société générale de financement), qu’il accuse de jouer avec la santé de la population, alors qu’elle pourrait très bien investir dans une technologie non polluante.

Les rejets sont en garde à vue

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le ministère de l’Environnement du Québec a renoncé à son devoir de surveillance environnemental et a confié à la compagnie Magnola le mandat de surveiller les rejets de sa propre usine. La coalition, en collaboration avec la Société pour vaincre la pollution et l’Université d’Ottawa, a entamé la mise en place du suivi environnemental de l’usine. On a procédé à l’échantillonnage puis à l’analyse des tissus d’animaux sauvages morts récoltés avant et après le début des opérations de l’usine.

On cherche à intervenir avant qu’il ne soit trop tard. « Si, aujourd’hui, on observe une contamination chez la marmotte, demain ce sera les vaches laitières », affirme Daniel Green. Tous les résidents et résidentes sont appelés à collaborer à la surveillance de l’usine 0 échantillonnage d’air, observation de l’usine en cas de déversements et informations auprès des employés de l’usine. Un tel suivi constitue une première à l’échelle internationale et servira d’exemple pour de multiples cas similaires partout dans le monde.

Magnola montre patte blanche

Les organochlorés, dont les BPC, les dioxines et les hexachlorobenzènes, s’accumulent dans les tissus des êtres vivants (plantes, animaux et humains) et sont reconnus pour leurs effets cancérigènes.

Parce qu’ils imitent le comportement biochimique des hormones, ces polluants organiques persistants (POPs) perturbent gravement les systèmes reproducteurs, immunitaires et nerveux de tous les êtres vivants.

Les fœtus et les jeunes enfants seraient particulièrement vulnérables à ces substances puisque leur croissance dépend de ces signaux hormonaux. Les organochlorés sont également responsables de la disparition de l’aigle à tête blanche dans la région des Grands Lacs et menacent la survie de la population de bélugas du Saint-Laurent.

Désobéissance civile

Le Collectif de lutte aux organochlorés (CLO), nouvellement formé, fait pression pour que leur production soit interdite. Le 6 novembre dernier, le collectif organisait en collaboration avec l’Opération salami une action pacifique de désobéissance civile devant l’usine dans le but d’obtenir un rendez-vous avec son directeur. Deux par deux, les manifestants ont escaladé la clôture qui entoure l’usine sous le regard des policiers et des gardiens de l’usine qui les prenaient en photos. Aucune arrestation n’a toutefois été effectuée.

« De toute évidence, il y avait collusion entre la compagnie et les policiers. On n’a pas procédé à des arrestations pour éviter que la compagnie fasse mauvaise figure », affirme Carole McKenty du CLO.

Quelques jours après l’événement, lors d’une visite impromptue à un souper d’affaires réunissant des représentants du gouvernement et des dirigeants de Magnola, Madame Mc Kenty a réussi à obtenir un rendez-vous avec le président de Magnola. Celui-ci s’est engagé à défrayer les coûts d’un suivi indépendant de l’usine. Reste à voir si l’action suivra la parole.

Site Web de la Coalition pour un Magnola propre 0 www.magnola.wd1.net|195| 
418|Le Groupe Lemaire ne fait pas l’unanimité|Sophie Gélinas|

Une structure antidémocratique, illégitime et contre-productive ?



Une importante et, de plus en plus, incontournable polémique est en train de se développer à propos du Groupe conseil sur l’allégement réglementaire, présidé par Bernard Lemaire de Cascades. Plusieurs groupes et individus questionnent son caractère antidémocratique puisqu’il est composé de membres non-élus, possédant le pouvoir d’influencer sérieusement la prise de décision des dirigeants politiques.

Mis sur pied sous recommandation du Premier ministre Lucien Bouchard en 1997 dans la lancée du Sommet socio-économique, le Groupe conseil sur l’allégement réglementaire, dont le but premier est de réduire les obligations des gens d’affaire envers le gouvernement et la population, est formé de dix représentants du monde des affaires (Cascades, GM, Bell, Alcan, etc.) et de deux représentants de milieux syndicaux.

Son président, Bernard Lemaire, affirme que l’allégement réglementaire ne vise qu’à réduire le fardeau administratif qui pèse sur les entreprises québécoises. Cependant, on peut constater que ce prétendu « allégement » d’exigences administratives corrode au détour des domaines déjà érodés par le déferlement destructeur de la vague néolibérale, c’est-à-dire la réglementation visant la protection de l’environnement, du travail, du consommateur, le régime professionnel québécois et les petits agriculteurs.

La contre-offensive des écolos

Au cours des dernières semaines, c’est l’écologiste Pierre Morency, au nom du Conseil régionale de l’environnement de l’Estrie (CREE) qui a attaché le grelot. Il a accusé le Groupe Lemaire de « détournement de démocratie et de favoritisme » puisqu’il possède le statut de conseiller législatif, position stratégique face au pouvoir permettant de rejeter toute recommandation, projet de loi ou règlement.

À leur tour, le Centre québécois du droit à l’environnement (CQDE), l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) ont réclamé de façon immédiate l’abolition du Groupe conseil considéré comme une « structure antidémocratique, illégitime et contre-productive » au plan social et environnemental.

Prônant le « laisser-faire, laisser-aller » propre au libre marché, le Groupe conseil sur l’allégement réglementaire possède, selon ces groupes, un veto implicite sur toute législation qu’il juge contraire à l’épanouissement de ces idées.

L’Assemblée des travailleuses et travailleurs accidenté-e-s du Québec (ATTAQ) avait publié l’an dernier une version commentée du rapport Lemaire et appelé à des actions communes contre le Groupe conseil. Roch Lafrance de l’Union des travailleuses et travailleurs accidenté-e-s de Montréal (UTTAM) affirme qu’une lecture de ce rapport démontre « que l’objectif véritable de cet exercice est de réduire au maximum les droits des citoyennes et citoyens qui sont vus comme un obstacle au libre marché et à la compétitivité des entreprises ».

Enfin, rappelons que dans le dernier numéro de l’aut’journal, André Bouthillier résumait l’essence du Groupe Lemaire en le qualifiant de comité de Hells pour nous protéger des Hells !

Une chaise à moitié pleine est à moitié vide

Des questions surgissent évidemment sur la présence syndicale au sein du Groupe Lemaire. Appelé à commenter la situation, Louis Fournier, porte-parole de la FTQ, nous dit que sa centrale syndicale ne prône pas la politique de la chaise vide. Émile Vallée, le représentant de la FTQ siégeant sur le Groupe, ajoute que « ce serait pire si on n’était pas là ». Le Rapport Lemaire ne vise à faire, selon lui, qu’un simple « nettoyage » et un « débroussaillage de paperasserie ». Lorsque questionné sur la légitimité d’un tel groupe, M. Vallée répond que le Groupe conseil est aussi légitime que n’importe quel autre groupe de consultation, qu’il ne possède pas de droit de veto et que les décisions sont prises par consensus.

Nous n’avons malheureusement pas pu tâter le pouls de la CSN puisque son représentant, Claude Rioux, n’a pas retourné les appels de l’aut’journal.

Québec réplique

Suite aux critiques formulées à l’endroit du Groupe conseil sur l’allégement réglementaire, le gouvernement du Québec a émis un communiqué dans lequel il salue bien haut « la contribution gratuite et attentionnée de ces personnes [NDLR représentants siégeant sur le Groupe] déjà accaparées par des obligations personnelles et professionnelles [qui] témoigne de leur volonté manifeste de contribuer activement au développement social du Québec ».

De plus, le communiqué affirme que les pouvoirs de ce groupe ne s’étendent pas aux nouveaux projets de loi et de règlement, mais s’avèrent être des « solutions à des problèmes concrets soulevés par les milieux d’affaires ». Les groupes sociaux et environnementaux demanderaient-ils son abolition inutilement ?

Pourtant, on peut se demander en quoi ces règlements (environnement, travail, consommateurs, etc.) constituent un poids et, surtout, à qui semblent-ils si lourds ? Chose certaine, la grogne se fait de plus en plus sentir chez les divers organismes sociaux et environnementaux. Un débat à suivre.|195| 
419|D’une lune à l’autre|Élaine Audet| Selon Martin Dufresne du Collectif masculin contre le sexisme, au Québec seulement, 601 femmes et enfants ont été tuéEs par des hommes depuis le drame de Polytechnique, du 6 décembre 1989 au 31 octobre 2000. Il précise 0 « Nous parlons de crimes commis par des hommes en tant qu’hommes parce qu’il s’agit dans presque tous ces cas, de pouvoir et de contrôle. L’immense majorité de ces femmes et enfants ont été tuéEs dans un geste délibéré, terroriste et essentiellement propriétaire, où l’on peut reconnaître l’influence et l’appui d’une culture et d’un appareil judiciaire profondément sexistes. »

Eminem donne libre cours à sa mysoginie

Le concert donné récemment au Centre Molson par Eminem, un groupe rap qui fait de la misogynie sa marque de commerce, rappelle que les lois sur la propagande haineuse ne couvrent pas les incitations à la violence envers les femmes, mais uniquement, selon l’article 319 du code criminel canadien, « un groupe identifiable de par la couleur, la race, la religion ou l’origine ethnique ».

Cette carence est inadmissible, surtout que les femmes ne sont pas une catégorie parmi d’autres, mais constituent plus de la moitié de l’humanité, encore victimes au XXIe siècle de discrimination et d’esclavage sexuel. Le Fond des Nations Unies pour la population (FNUAP) dénombrait en octobre quatre millions de femmes et de fillettes achetées et vendues chaque année à de futurs époux, des proxénètes ou des marchands d’esclaves.

Eminem peut continuer en toute impunité à hurler à travers le monde un de ses plus grands succès « Kill You » 0 « Slut, you think I won’t choke no whore/til the vocal cords don’t work in her throat no more?! (…) Bitch I’ma kill you! You don’t wanna fuck with me/Girls neither – you ain’t nuttin but a slut to me/Bitch I’ma kill you! » (Salope, tu penses que je suis incapable d’égorger une putain / jusqu’à ce que ses cordes vocales ne vibrent plus jamais dans sa gorge ? ! (…) Putain, je vais te tuer ! Tu ne veux pas baiser avec moi / Les filles non plus – tu n’es rien qu’une salope pour moi / Putain, je vais te tuer).

Baise-moi 0 un retour à la barbarie de la loi du talion

La promotion d’un film comme Baise-moi, qui ne fait que renverser au féminin le viol, la haine et la violence meurtrière, est tout aussi révoltante et nous retourne à la barbarie de la loi du talion. Inutile de dire que le féminisme ne consiste pas à prouver que les femmes peuvent faire tout ce que fait un homme, mais simplement qu’elles peuvent équitablement devenir ce qu’elles veulent dans le domaine de leur choix.

Il faut espérer que, conformément aux revendications de la Marche mondiale des femmes de l’an 2000, les millions accordés par le gouvernement québécois pour lutter contre la violence envers les femmes serviront à multiplier les campagnes de sensibilisation dans les écoles et les médias. Il faut également souhaiter que ce ne soit pas seulement les féministes qui montent aux barricades à chaque fois que des femmes sont victimes de la haine et de la violence, mais l’ensemble de la société.

Patrick Roy ne niaise pas avec la puck

Pendant que nos politiciens multiplient les métaphores de football et de hockey, cherchant manifestement à élever le niveau de notre culture, Patrick Roy a montré une fois de plus qu’il ne niaise pas avec la puck. Sa femme, Michèle Piuze, en a fait l’expérience lorsqu’elle a dû appeler le 911 après que le valeureux gardien de but ait arraché deux portes pour la rejoindre dans la pièce où elle s’était réfugiée lors d’une « querelle conjugale ».

Mais comme vous l’aurez compris, notre viril joueur de hockey qui, à 35 ans touche un salaire de 7,5 millions $ US chaque saison, se doit d’en finir rapidement avec cette fâcheuse « source de distraction », comme le lui enjoignent ses coéquipiers. Quel dommage que les femmes ne soient pas muettes ! Il suffit d’un seul regard sur la photo où on voit le couple avec leurs trois enfants pour comprendre toute la problématique de la violence conjugale. À sa prochaine colère, Roy s’arrangera probablement pour arriver au téléphone plus vite que sa femme. O.J. Simpson et d’autres héros sportifs ont montré qu’on peut aller très loin en matière d’impunité.

Un site féministe 0 Les Pénélopes

Le 7 octobre 2000, le site féministe français, Les Pénélopes, recevait dans la grande salle de conférences de l’Unesco à Paris, le Prix Argos Lewis Carroll, récompensant le meilleur site Web de l’année par « l’incitation à la création » qu’il représente. Le prix leur a été décerné par le Centre national de recherche scientifique (CNRS) et l’Institut international de l’audiovisuel et du cinéma. Nous nous réjouissons avec elles de cette reconnaissance prestigieuse pour un site exemplaire tant par sa forme que par son contenu.

Ce site a été créé en 1996 par une équipe de femmes, sans soutien institutionnel ou mécénat, pour donner leur vision de l’actualité internationale dans les domaines culturel, politique, social, intellectuel et économique. Les organisatrices ont su mettre à profit et promouvoir parmi les femmes les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TICs), comme le fait au Québec l’excellent site NETFEMMES qui, nous l’espérons, sera aussi reconnu à sa juste valeur.

Les Pénélopes produisent une émission de télévision interactive, Cyberfemmes, collaborent au journal Politis, organisent ou participent à des réseaux et rencontres locales, nationales ou internationales pour mettre en commun et faire connaître les réflexions et les pratiques féministes. À visiter régulièrement pour être au courant de l’actualité des femmes dans le monde.

Le Cran des femmes a Le cran de le dire

Le Cran des femmes, un organisme de prévention de la violence faite aux femmes, en collaboration avec la Fondation des victimes du 6 décembre, présente la quatrième édition de son spectacle Le cran de le dire avec notamment Lhasa de Sela et Yves Desrosiers, Térez Montcalm, Arianne Moffatt, Marc Déry et Luc De Larochellière.

Mercredi le 6 décembre 2000 à 19 h 30 au Spectrum, 318, rue Ste-Catherine Ouest.

Billets 15 $ 0 Réseau admission (514) 790-1245 / 1-800-361-4595 ou Spectrum (514) 861-5851

La santé est à l’Agenda des femmes 2001

Cette année, l’indispensable agenda des femmes porte sur le problème qui préoccupe le plus les QuébécoisEs 0 la santé dans tous ses états. On y trouvera au fil des douze textes une mine de renseignements sur les nombreuses initiatives des femmes dans plusieurs domaines dont la contraception, la ménopause, le cancer, la santé mentale, les handicaps, la situation chez les femmes des Premières Nations et les lesbiennes.

À noter le texte d’Hélène Pedneault qui, avec son humour corrosif habituel, illustre l’étendue de la déshumanisation et de la détérioration d’un des meilleurs systèmes de santé au monde, et le texte de Michèle Boisvert, L’image-magie, sur l’obsession de la minceur, essentiel et d’une belle écriture. Il faut également souligner la contribution de Nikole Dubois sur la méthode Antidote de santé mentale, mise au point pour et avec les femmes du Témiscouata et maintenant appliquée un peu partout dans le monde.

En conclusion, « Attention ! Virage dangereux pour la santé des femmes », nous préviennent à juste titre Michèle Asselin et Lorraine Guay de la Coalition féministe pour une transformation du système de santé, alors que de plus en plus de femmes se voient attribuer le rôle de « soignantes naturelles » et font désormais elles-mêmes partie du problème.

6 décembre 1989 - 6 décembre 2001

Lettre à celle qui a vingt ans aujourd’hui

Je voudrais te dire à toi

Qui t’apprêtes à chevaucher ta vie

Comme la plus belle des aventures

N’oublie rien et ouvre les yeux

Vois le clonage de la violence

Le maquillage trompeur des chaînes

L’arrogance de la bêtise

La pensée mise au clou

Découvre l’envers du monde

L’essentiel dans la chute d’un flocon

Les feintes sauvages de la passion

Refuse la fusion de l’ivresse et du plomb

Voici venu le temps de la clairvoyance

Vois le pouvoir de la peur figer la nuit

La répétition fanatique du même

La folie faire foin de la tendresse

Pour mieux tuer l’éclat du printemps

Vois la brume du matin se lever lente

Comme une fugue dans les remous du vide

Apprends à rester seule devant un lac vierge

Seule devant la résistance du bleu

Voici venu le temps de la rébellion

Vois la coquille vide de l’artifice

Ses volutes t’enrober de désespoir

La haine triompher dans les mots

Dans la pluie corrosive des imprécations

Dans les mines personnelles de l’exclusion

Voici venu le temps du soulèvement

Ne cède pas à la grammaire du plus fort

Ne panse pas tes blessures dans le confort

Seul le vrombissement de vieillir

Bruit encore de profondes colères

Voici venu le temps du cri

Vois la même salve de décembre

Clouer au sol l’oiseau incommensurable du désir

Viser en toi et en chacune de nous

Le vif de la mémoire le cœur de la fidélité

Voici venu le temps d’allumer un feu dans les yeux|195| 
420|Le revenu des Québécoises représente 56 % de celui des hommes|Andrée Lévesque|

Il faut le rappeler



Il aura fallu la Marche des Femmes contre la pauvreté pour nous rappeler une fois de plus les tristes statistiques sur les revenus des femmes par tranches d’âge, par statut civil, par nombre d’enfants à charge ou par région. Faut-il rappeler que le revenu des Québécoises est 56 % celui des hommes ? Une plus grande proportion de femmes que d’hommes sont sous le seuil de la pauvreté parce que leurs revenus sont insuffisants et si leurs revenus sont inférieurs à ceux des hommes, c’est que leur travail et leurs responsabilités ne sont pas les mêmes. Nous connaissons toutes des femmes engagées dans des métiers non traditionnels, gérantes de banque ou députées, mais quelle est la dernière fois où vous avez rencontré une vendeuse de voitures ou une menuisière ? Le travail de la majorité des femmes est un travail féminin. Il existe une division sexuelle du travail comme il existe une division sexuelle des tâches domestiques.

Les professions féminisées se situent à la périphérie d’un marché du travail où le centre est occupé par un noyau privilégié composé de travailleurs permanents, surtout des hommes qui jouissent de la sécurité d’emploi et de salaires supérieurs. À la périphérie se retrouvent surtout des femmes souvent moins qualifiées, contractuelles et à temps partiel.

15 professions regroupent la moitié des travailleuses

Aujourd’hui, près de 50 % des femmes de plus de quinze ans occupent un emploi (pour 62 % des hommes), mais la hausse spectaculaire du taux d’activité des femmes depuis une cinquantaine d’années n’a pas beaucoup modifié leur situation sur le marché du travail. Encore de nos jours, certaines professions sont étiquetées féminines, d’autres masculines. En général, les femmes accomplissent des tâches assignées à leur sexe et, soit à cause du manque de formation, soit à cause de discrimination plus ou moins subtile, elles se trouvent confinées à un éventail restreint de professions surtout dans le secteur tertiaire, c’est-à-dire dans les services dominés par les cols roses. Au Québec, près de la moitié des travailleuses sont regroupées dans 15 professions, alors que seulement un quart des hommes occupent les 15 principales professions masculines. On devine les écarts de salaire entre les deux catégories.

Les cinq principales professions féminines qui regroupent 23% des travailleuses sont 0 secrétaires, vendeuses et commis-vendeuses au détail, commis à la comptabilité et personnel assimilé, caissières et infirmières diplômées. Les cinq principales professions masculines qui regroupent 11,9 % des travailleurs sont 0 conducteurs de camion, vendeurs et commis-vendeurs au détail, directeurs de la vente au détail, concierges, mécaniciens/techniciens et réparateurs d’automobiles. (Institut statistique du Québec, 1996.)

Cheap labour traditionnel

Malgré la prédominance du sectaire tertiaire, il reste toutefois des travailleuses industrielles dans les secteurs traditionnels basés sur une main d’œuvre bon marché, le fameux cheap labour québécois 0 le textile, la préparation des aliments, la confection de vêtements et de chaussures et, plus récemment, l’assemblage d’appareils électriques. Ces secteurs sont vulnérables et migrent vers des pays à bas salaires et des zones franches d’exportation en Asie et en Amérique latine. Il subsiste quand même des ateliers de confection où travaillent surtout des femmes immigrantes.

À Montréal, 90 % des télétravailleurs sont des femmes

Parallèlement à la perte d’importance du secteur manufacturier, les emplois basés sur les nouvelles technologies sont en expansion rapide. Il ne faudrait pas considérer cette forme de travail comme un progrès. Ces emplois sont souvent non-qualifiés, avec peu de chance de formation ou de promotion.

À Montréal, par exemple, 90% des télétravailleurs sont des femmes soumises à un travail irrégulier et imprévisible 0 les horaires peuvent changer d’un jour à l’autre, les travailleuses doivent être disponibles la nuit ou les fins de semaine. Comme jadis la couture, une partie de ce travail s’effectue à domicile.

Ainsi, comme dans la période préindustrielle, grâce au téléphone et à l’ordinateur, des femmes ne quittent jamais leur foyer pour travailler. De ce ces travailleuses, on exige souplesse et adaptabilité, mais l’organisation du travail n’en est pas moins rigide et soumise aux exigences de la plus grande efficacité.

Vulnérables aux fluctuations de l’économie

De par leur position particulière sur le marché du travail, les travailleuses subissent de plein fouet les fluctuations de l’économie. Ce sont les emplois les moins qualifiés qui déménagent vers les pays du Sud où une main d’œuvre bon marché invite à l’exploitation. Si le travail est « genré », les sursauts économiques affectent les femmes et les hommes de façon spécifique. La place des femmes dans l’économie, leur accès particulier aux ressources productives, leur concentration dans certains services, le rôle familial qui leur est généralement dévolu, toutes ces conditions les rendent plus vulnérables aux crises qui secouent le monde capitaliste depuis plus de vingt ans.

Les emplois non qualifiés, contractuels, non syndiqués se déplacent plus facilement là où les profits sont plus prometteurs. Que ce soit dans les maquilladoras de la frontière mexicaine où on assemble du matériel électronique, ou dans les télécentres de Bangalore où des doigts rapides entrent des données informatiques, la migration vers le Sud guette nombre d’emplois féminins. Jusqu’à maintenant, le taux de chômage masculin était supérieur au taux de chômage féminin, mais déjà dans l’Union européenne le chômage des femmes est supérieur à celui des hommes, alors qu’ici les taux sont presque égaux.

En 1997, en Europe, le taux de chômage des femmes était de 12,4% et celui des hommes de 9,3%. (Statistiques de l’OCDE, 1999.)

Une discrimination systémique

L’importance du temps partiel, le manque de qualification et la concentration des professions payées près du salaire minimum, la précarité, l’insécurité et l’irrégularité du travail, la faible participation syndicale expliquent pour une large part les écarts de salaires et de revenus entre les sexes.

Quoiqu’en disent les membres de la Coalition pour les droits des hommes du Québec, les femmes n’ont pas des emplois subalternes et ne sont pas pauvres par inertie ou par choix. Elles subissent une discrimination systémique qui limite leur formation et les confine trop souvent à des emplois moins bien payés et plus précaires, et qui s’attend à ce qu’elles soient les premières à soigner les rougeoles et à préparer la soupe.

Temps plein à la maison et temps partiel au travail

Les services sont particulièrement bien adaptés au travail à temps partiel qui attire trois à quatre fois plus de femmes que d’hommes. L’importance du travail de moins de trente heures par semaine marque une des grandes différences entre les travailleuses et les travailleurs. Le temps partiel continuera à être essentiel pour ces vendeuses, ces caissières, ces serveuses et ces infirmières qui doivent concilier les responsabilités familiales et le travail rémunéré. Des études répètent que la majorité des travailleuses à temps partiel acceptent ce genre de travail « par choix ». On peut s’interroger sur le sens du mot choix. Pour celles qui doivent cumuler travail salarié, tâches domestiques et soins aux enfants ou à d’autres membres de la famille, on comprend l’attrait du travail à temps partiel et des horaires flexibles qui font aussi l’affaire des patrons qui échappent ainsi aux charges sociales. Comme une bonne partie du travail à temps partiel est aussi sous contrat et irrégulier, les femmes doivent recourir à des prodiges d’organisation pour gérer enfants, gardiennes, repas au travers des horaires souvent imprévisibles.

Comme le salariat, le travail ménager est « genré »

On devrait se questionner sur la faible représentation des hommes dans le travail à temps partiel, mais on trouve un début d’explication quand on constate que 80 % des femmes avec un conjoint et 60 % des hommes avec conjointe préparent les repas; que 74 % des femmes avec conjoint et 35 % des hommes avec conjointe font la vaisselle; et que 72 % des femmes avec conjoint et 23 % des hommes avec conjointe s’occupent de l’entretien intérieur. Ce à quoi il faut ajouter les soins aux enfants aussi inégalement répartis. Quand on tient compte à la fois du travail rémunéré et du travail non-rémunéré, les femmes travaillent une demi-heure de plus par jour que les hommes. Ce qui peut paraître minime, mais qui se traduit par cinq semaines de plus par année. Cette situation a un impact direct sur les revenus des femmes et est, mais en partie seulement, responsable de l’écart des revenus entre les femmes et les hommes. Comme le salariat, le travail ménager et le soin des enfants sont largement « genrés ». C’est seulement parce qu’ils peuvent échapper aux responsabilités domestiques que les hommes peuvent occuper un travail à temps plein.

Le congé de maternité demeure une chimère

L’État reconnaît maintenant la spécificité des travailleuses dont la plupart, tout comme leurs collègues masculins, voudront avoir des enfants. Cette reconnaissance des congés de maternité est d’autant plus importante depuis la réforme fédérale de l’assurance-chômage, rebaptisée assurance-emploi. Pour la plupart des travailleuses autonomes, occasionnelles et contractuelles, le congé de maternité demeure une chimère. Le congé parental, payé par l’État, est un élément essentiel pour le partage égalitaire des responsabilités domestiques. Les syndicats et les groupes de pression comme le Regroupement pour un régime québécois d’assurance-parentale, qui est formé de 14 organisations de femmes, syndicats et organisations communautaires, réclament une telle mesure qui devrait encourager le partage des soins aux enfants.

Les récentes réformes de l’assurance-chômage exigent 700 heures de travail continu, ou 37 semaines de quinze heures/semaine, pour accorder un congé payé, alors qu’auparavant il ne fallait que 300 heures ou 47 semaines.

Mais même avec les congés parentaux, la situation est loin d’être égale. Le salaire des mères étant inférieur à celui des pères, ce sont elles plutôt que leur conjoint mieux payé qui, en toute logique, resteront le plus souvent à la maison. C’est ainsi que l’interruption de travail désavantage surtout les femmes. Il est futile de parler d’équité tant que les mères plutôt que les pères seront pénalisées par la venue d’un enfant, et tant que les mères monoparentales seront désavantagées par rapport aux pères monoparentaux.|195| 
421|A beau mentir qui vient de Nazareth|Jean-Claude Germain| Avant d'être poète, auteur-compositeur et musicien, Lawrence Lepage est un fabulateur ambulant, comme on était anciennement ramasseur de cendres, fondeur de cuillère ou raccommodeur de parapluie.

Gilles Vigneault le présente comme « un menteur de village, engagé pour l'hiver ». Lawrence a pris le barde au mot et je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il se soit proposé au Cégep de Rimouski pour enseigner le métier, sûrement un de ces jours, où comme il l'écrit « Le vent, le froid / Le givre, la neige / La scie, la hache / Le bois, le poêle / Tout est là ».

A-t-il tort de croire « qu'il faudrait de plus en plus de menteurs dans les villages pour supporter le quotidien » ? Ses réflexions sont aussi malicieuses que ses observations sont faussement candides. «Il y a moins de suicides par défesnestration chez les gens qui habitent les sous-sols, note-t-il narquoisement dans Chapeau dur et cœur de pomme », la somme de ses écrits, où Sylvain Rivière a réuni les chansons de Lepage, ses poèmes, ses monologues, des documents, des témoignages et un racontement de sa vie, présenté récemment sur les ondes de Radio-Canada.

Le Nazaréen de Rimouski

Je n'ai jamais croisé qu'un seul Nazaréen, en chair et en os, et c'est Lawrence, qui est natif de Nazareth dans l'arrière-pays rimouskois. Sans qu'on sache trop pourquoi, la particularité de ce lieu de naissance accorde une certaine légitimité à la singularité de son plus illustre rejeton.

J'ignore si la même règle peut s'appliquer à l'autre Nazaréen, celui du village d'origine en Galilée, mais la fréquentation assidue de Lawrence m'a appris que plus les histoires qu'il racontait semblaient improbables ou incroyables, plus elles avaient des chances d'être minimalement vraies.

En revanche, si la narration d'un événement entrait dans les normes et tenait la route, sa véracité n'était pas garantie. À l'aise dans le fabuleux « comme deux gouttes d'eau tombant dans l'eau », Lawrence ne faisait appel à l'imagination que pour inventer l'ordinaire.

J'ai connu Lawrence Lepage à l'été 1970, par l'entremise de Michel Garneau, qui me l'avait proposé comme guitariste pour Rodéo et Juliette, un spectacle présenté à Terre des Hommes, dont j'ai écrit le texte, les chansons, et dont Michel a composé les musiques. La prestation de notre nouvelle acquisition relevait de l'exploit; il devait jouer de son instrument, pendant une heure et quart, sans arrêt. Lawrence s'est révélé magistral et notre collaboration s'est poursuivie pendant deux saisons.

0 Qui a peur de Rodéo Cadieux ?

Dans les deux versions de Rodéo et Juliette auxquelles il a participé, Lawrence s'était pris d'affection pour un monologue où le personnage principal, Rodéo Cadieux, lance au public 0 « J'ai-tu l'air d'un héros, moé ? Han ? Ben, j'en suis un ! » Et enchaîne avec la chanson qui porte son nom. « P'tit train va loin, p'tit train va pas loin / Pis quand un gars est ben ben tanné / y se réveille / un beau matin d'été / en plein soleil / habillé tout en cow-boy / de la tête aux pieds / sur l'asphalte / avec un goût de .303 dans les mains / les doigts y démangent / un gars se tanne. »

Les explications de l'intéressé ayant toujours été nébuleuses, je n'ai jamais su trop comment le monologue et la chanson se sont retrouvés dans son spectacle et Rodéo Cadieux dans le corpus des personnages lepagiens, Mon vieux François, Le garçon du grand Paulin, Ti-Jean le Marin, Monsieur Marcoux Labonté, Ti-Paul Bossé et Jean Roméo.

Lawrence a adopté Rodéo dans sa famille et l'a fait sien, au point que dans sa préface, Sylvain Rivière se souvient s'être reconnu dans « ces chansons de geste, de cœur et d'âme… dans la désespérance de Rodéo Cadieux ou l'abandon de Ti-Jean-la-Ruelle ». J'en serais flatté si Chapeau dur et cœur de pomme m'en reconnaissait la paternité. Pour l'instant, je dois me contenter d'une garde partagée avec Michel Garneau

Les souliers de l'homme au chapeau noir

« C'est dans les années soixante-dix / Que le Québec a perdu ce visage que j'aimais / Il a tout simplement été défiguré / Par les doits d'un enfant / Qui s'amusait à dégivrer une fenêtre », soupire un Lepage nostalgique.

À l'époque, il portait une version différente du couvre-chef noir qu'il arbore en permanence, c'était la copie d'un chapeau célèbre pour tous les fervents de jazz, celui de Lester Young, le légendaire pork pie hat qui, planté sur le crâne de Lawrence, ne recouvrait pas un solo de saxophone mais « une guitare, une chanson / Une symphonie de souvenirs dans un bourgeon / Une migration d'oiseaux sauvages à l'horizon ».

Trappeur et homme des bois, Lawrence s'était laissé dire que Montréal était une ville tropicale et rien n'était parvenu à lui faire changer d'avis. Peu importe la température ou la saison, sous la pluie ou sous la neige, pour sortir il s'habillait toujours de la même façon 0 des souliers vernis noirs à semelle de cuir, un pantalon noir, une chemise noire, une veste de daim à franges, son chapeau noir et sa guitare dans un étui noir. Si Lawrence n'avait pas été Lawrence, il aurait pu être Hamlet.

Un jour que nous l'attendions pour une répétition musicale, il se présente avec une heure et demie de retard. Pour toute excuse, il nous raconte que tout le long du parcours, qui va du carré Saint-Louis où il habite jusqu'à la rue Papineau où se trouve le théâtre, il a dû s'accrocher aux clôtures et aux murs des maisons pour ne pas perdre pied. Lawrence n'était pas sous l'effet de l'acide comme on l'a tout d'abord cru. Le verglas s'était effectivement abattu sur la ville, rendant les trottoirs comme les rues impraticables, surtout pour les piétons en souliers. La réalité, cette fois, se confondait avec la fabulation.

La chanson du Pays dans l'pays

Comme musicien de scène, le grand talent de Lawrence Lepage était de pouvoir moduler son accompagnement sur la musicalité même du comédien. De la musique ou de la voix, on ne distinguait plus laquelle des deux menait ou suivait. La fusion et la confusion étaient parfaites, un état éminemment lepagien.

Au printemps de 1971, dans le cadre d'un spectacle qui s'intitulait Si les Sansouscis s'en soucient, ces Sansouscis-ci s'en soucieront-ils ? Bien parler, c'est se respecter ! et qui portait sur les procès du FLQ qui étaient en cours, j'ai écrit une chanson en m'inspirant d'une phrase tiré d'une lettre de Paul Rose 0 «Chaque Québécois a son secret. »

La chanson qui a comme titre Le pays dans l'pays cherchait à traduire l'étrange climat engendré par la Loi des mesures de guerre. «Ceux qui croient qu'on ose pas parler / C'est des gens qui savent pas écouter / Chaque Québécois a son secret / Bien malin qui s'y reconnaît / Tous les mots ont un double fond / Tous les lacs ont un double lit / Chaqu'mot qu'on dit, comme de raison / Vient du pays qu'est dans l'pays.

Si tous les sacres qu'on a sacrés / S'creusaient un trou dans l'dictionnaire / Y manqu'rait d'place pour les garder / Y manqu'rait de mots pour les traduire / Tout c'quon a dit s'rait d'ja écrit / Tout c'qui est sous-bois s'rait en lumière / Y manqu'raient d'chiens pour nous faire peur / Y manqu'raient d'murs pour nous r'tenir / Y aurait deux noms pour chaqu'saison / Deux sons tout l'temps, toute en même temps / Qui f'raient l'amour dans chaque maison / Comme si l'printemps n'attendait plus / N'attendait plus après l'hiver. »

Le pays dans l'pays que Lawrence a mis en musique se retrouve sur son deuxième microsillon où je suis toujours identifié comme étant l'auteur des paroles. Dans Chapeau dur et cœur de pomme, la fusion et la confusion étant enfin parfaites, il s'en attribue la paternité. Ça me fait royalement chier ! D'autant plus que si l'éditeur avait pris la peine de relire son livre, il se serait rendu compte en parcourant la section Revue de presse qu'à la page 197 et 199 l'attribution est conforme à la vérité.

« Moi je suis fils de bûcheron, nom de nom / Gigueur, joueur, inventeur de jurons », écrit fort justement Lawrence Lepage. La mémoire fabulante n'entre en jeu qu'au vers suivant 0 « Mais j'ai aussi la mémoire des noms ! »|195| 
422|L'immortalité du théâtre|Jean-Claude Germain|

Jean-Louis Millette, Portrait d'un comédien



Pour un intervieweur, Jean-Louis Millette n'a jamais été un client facile à harponner. « Les gens qui veulent me connaître n'ont qu'à venir me voir au théâtre, où j'essaye d'être le plus impudique possible », rappelle-t-il matoisement à Daniel Pinard qui signe ces entretiens. Le comédien ne se défile pas devant les questions à caractère intime, il conteste leur pertinence. Les rencontres qui ont changé sa vie sont celles qu'il a faites au théâtre. « Sans Sutto, Buissonneau ou Brassard, je ne serais pas le même ! »

La vraie vie n'est pas l'endroit mais l'envers du théâtre. Millette sait d'expérience que sur scène comme dans la vie, personnages ou personnes se révèlent souvent moins par le sens de leurs paroles que par leurs façons de les dire. Là où le comédien n'a d'autre choix que de travailler à partir des répliques, il ne faut pas perdre de vue que le personnage, lui, y a abouti. « Chaque fois donc il faut réinventer le texte, et retrouver, par l'intérieur, une respiration qui s'accorde avec la pulsion de ce que l'auteur propose. »

Lorsque la symbiose est quasi parfaite, cela donne l'interprétation de Gaston Talbot par Millette, dans The Dragonfly of Chicoutimi de Larry Tremblay, ou celle de Philippe Couture dans L'héritage, le téléroman de Victor-Lévy Beaulieu. « Si tu savais Lévy, lui a un jour écrit son interprète, ce que c'est difficile d'avoir l'air de ne rien faire, de paraître à son aise, de s'amuser à faire croire que c'est vrai. »

Pour un comédien, il n'y a pas de vérité plus « vraie » que celle de l'acteur. Et c'est à celle-là même que la critique italienne a rendu hommage lors du passage de Jean-Louis Millette à Rome. «Dans The Dragonfly of Chicoutimi, pouvait-on lire dans l'Humanita, il nous a donné la possibilité de croire à l'immortalité du théâtre. » C'est nous enlever les mots de la bouche, comme on dit.

Jean-Louis Millette, Portrait d'un comédien, Daniel Pinard, Trois-Pistoles, 2000|195| 
423|Les procès risquent d’être sans fin|Jacques Pelletier|

Au tribunal de l’Histoire



Nous vivons dans une société où les droits individuels et collectifs prolifèrent, où les rapports sociaux sont de plus en plus régis par une charte des droits et des libertés qui protège d’une certaine manière les individus et les groupes, et c’est assurément un progrès, mais qui les encourage également à vouloir régler leurs différends par le mode des tribunaux de préférence à tout autre mode de résolution des conflits. D’où l’actuelle manie des procès qui caractérise aussi bien la vie sociale et politique que la sphère des rapports privés, de telle sorte qu’on peut affirmer que nous connaissons un processus de juridiciarisation accéléré des rapports sociaux dans notre monde moderne.

Sur le terrain proprement politique, la vague des procès a tendance à se répandre, qu’il s’agisse de procès mettant en cause des personnalités singulières (comme Barbie ou Papon en France, jugés pour crimes contre l’humanité, ou comme Pinochet, détenu et accusé pour les atrocités commises durant les années où il était au pouvoir au Chili) ou des régimes politiques tenus responsables de génocide, comme le nazisme en Allemagne ou le stalinisme en U.R.S.S. Dans un cas comme dans l’autre, les acteurs dont on fait le procès, sur lesquels on entend porter jugement, sont soumis au tribunal ultime de l’Histoire.

Qu’est-ce que cela veut dire ? En quoi l’Histoire peut-elle constituer un principe, et un principe supérieur, à partir duquel on pourrait rendre un jugement, une sentence qui serait juste et équitable? C’est à cette complexe et très difficile question que s’attaque Daniel Ben Saïd dans Qui est le juge ? à partir de l’étude de quelques cas particulièrement révélateurs, dont ceux évoqués plus haut.

Peut-on « annuler » un crime contre l’humanité ?

Rappelant les procès Eichmann, Barbie, Papon, il fait remarquer que, même lorsqu’ils sont ardemment désirés, ils se terminent en générant de la déception chez ceux-là même qui en défendaient la nécessité. C’est que la sentence – même sous forme de condamnation à mort dans le cas d’Eichmann, ou de réclusion dans le cas de Papon – apparaît toujours disproportionnée, sans commune mesure avec la gravité des crimes commis. Si bien qu’on a l’impression – justifiée – qu’il n’y a pas eu de véritable réparation. Or, comme le constate Ben Saïd, cela est inévitable 0 comment une telle sentence, s’appliquant à un acteur singulier, longtemps après que la faute a été commise, et au terme d’un procès dont l’instruction même a été problématique par certains aspects, pourrait-elle « annuler » le crime contre l’humanité qu’elle devrait en principe réparer ?

Cette déception tient dans une large mesure à la discordance des temps, entre le temps contemporain du procès et le temps historique de l’événement. L’écart, la distance temporelle, accentue le malaise et limite du coup la portée judiciaire et politique du jugement, du verdict prononcé contre l’accusé. Cela n’implique pas que ces procès soient inutiles. Il faut les instruire mais sans illusions sur leurs vertus possibles 0 les sentences ne réparent pas les fautes commises et ne servent généralement pas non plus d’avertissement pour d’éventuels bourreaux; la condamnation d’Eichmann n’a pas empêché les génocides du Cambodge ou, plus près de nous, du Rwanda. Et s’il faut y tenir, c’est pour leurs vertus pédagogiques 0 ils peuvent servir à l’instruction civique de nos concitoyens, à leur prise de conscience sociale et politique bien au-delà de leur visée immédiate de réparation.

Si la leçon de ces procès est discutable lorsque ceux-ci mettent en cause des personnalités singulières, elle l’est davantage encore lorsqu’il s’agit de la lecture et de l’interprétation des réalités historiques elles-mêmes. À ce titre, les procès du nazisme et du stalinisme sont particulièrement révélateurs.

L’Holocauste et le goulag sont-ils « historicisables » ?

Dans le cas du nazisme, Ben Saïd fait remarquer que si certains historiens allemands récents ont défendu avec raison le principe d’historicisation, c’est-à-dire la nécessité, pour le comprendre, de situer ce phénomène – y compris la « solution finale » qu’il comportait – dans le contexte global des années 1930-1940, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille le justifier. La « révision » en histoire est une nécessité, elle fait partie de la discipline, qui est toujours en reconstruction, mais elle n’autorise pas pour autant n’importe quoi, et elle ne dispense pas du jugement moral et politique. Dans la querelle des historiens allemands à propos de la réinterprétation du nazisme, il n’y a pas qu’un enjeu historiographique, il y a aussi un enjeu politique qui devient très clair, notamment dans la comparaison établie par certains d’entre eux entre l’Holocauste et le Goulag soviétique, comparaison tentant à justifier le premier par le second, comme réponse – condamnable et injustifiable, bien sûr – à la terreur stalinienne, comme si celle-ci avait été d’une certaine manière la cause de l’antisémitisme hitlérien.

Ainsi comparées, et parfois réduites l’une à l’autre, ces deux réalités apparaissent comme les deux visages d’une même perversion totalitaire dont le léninisme, pour les historiens révisionnistes du communisme comme François Furet ou Stéphane Courtois, représenterait la figure annonciatrice. D’où, du coup, la disqualification non seulement du stalinisme et du léninisme, mais au-delà du marxisme et de l’idée même de révolution. Là encore, l’Histoire est convoquée comme témoin à charge d’un procès qui est d’abord politique et qui se drape du manteau de la science historique. La discordance des temps opère de nouveau, confondant dans une même nébuleuse le temps du présent juridique et politique et le temps passé de l’histoire.

Il n’est donc pas facile de juger de manière générale – on sait que les erreurs sont fréquentes, même dans les domaines pourtant bien balisés de la justice civile et criminelle – et encore moins lorsqu’il s’agit d’événements historiques où les procès sont généralement instruits par les « vainqueurs » contre les « vaincus » – qu’il s’agisse d’individus ou de faits collectifs. Le livre de Daniel Ben Saïd a le mérite de mettre en lumière ces limites qui tiennent aux objets du litige et à la nature même de cette singulière opération que constitue toujours un jugement qu’un Péguy avait en horreur au point de préférer comme il l’écrivait dans une formule paradoxale, condamner un homme plutôt que de le juger !

Daniel Ben Saïdsaïd, Qui est le juge ?. Pour en finir avec le tribunal de l’Histoire, Paris, Fayard, 1999.|195| 
424|Mettre fin à la violence ou à l’occupation ?|Saël Lacroix|

Le conflit israélo-palestinien



La couverture médiatique a-t-elle pour effet de créer une distorsion des enjeux réels du conflit israélo-palestinien ? Tel est le thème de la conférence qui avait lieu récemment au centre de l'AQOCI (Association québécoise des organisme de coopération internationale). À cette occasion, le sociologue Rachad Antonius a dressé un portrait du rôle joué par nos médias comme véhicule idéologique et constaté l'interprétation faussée du conflit qui nous est suggérée.

Selon ce spécialiste du monde arabe, des faits ouvertement reconnus par tous les observateurs, israéliens compris, ne sont pas suffisamment rapportés dans nos journaux. La politique de dépossession sévit encore à tous les jours en Israël. De sources israéliennes, au moins un millier de maisons et plus d'une centaine d'autres infrastructures auraient été détruites depuis la conférence d'Oslo en 1993. Ces démolitions « administratives » visent l'établissement de colonies de peuplement juives dans les territoires militairement occupés et une prise de contrôle de ce qu'il reste du territoire palestinien. Ainsi, durant la même période, le nombre de colons juifs a doublé, pour atteindre 200 000.

Cette politique ségrégationniste constitue une violation des accords de paix ainsi qu'une violation des droits humains. Malheureusement, ces faits sont trop souvent négligés par la presse nord-américaine. La couverture se consacre presque exclusivement au processus diplomatique qui ressemble de plus en plus à un artifice visant à gagner du temps pendant que l'expansion territoriale israélienne suit son cours. M. Antonius appelle « colonisation pacifique » cette stratégie qui ne cherche au fond qu'à amener les Palestiniens à légitimer leur propre dépossession.

Les images ne projettent que les réactions

Quant à la sélection d'images « sur le terrain », elle ne projette que les réactions des insurgés et non les violations à l'origine de ces réactions, enlevant du même coup tout le poids de leur appel. Les comportements palestiniens sont marginalisés et implicitement associés à leur culture, leur « arriération civilisationnelle », leur fondamentalisme religieux, bref une foule de préjugés nourris et entretenus pour ignorer la défense naturelle d'un peuple refoulé. Cela explique cette croyance aberrante qui circule toujours selon laquelle les Palestiniens envoient leurs enfants se battre pour eux…

Pas un territoire « contesté » mais un territoire « occupé »

La manipulation médiatique ne relève pas que des images mais également des termes utilisés pour la description des événements. Comme le faisait remarquer Rachad Antonius, combien de fois utilise-t-on, pour qualifier cette partie du Moyen-Orient, l'expression de territoire contesté ? Or il ne s'agit pas d'un territoire contesté, mais plutôt d'un territoire occupé. La différence est majeure. Ainsi, nos médias et politiciens diront qu'il faut mettre fin à la violence, jamais à l'occupation.

Une autre formule maintes fois utilisée dans le discours médiatique est celle du processus de paix. Mais de quel processus de paix parle-t-on exactement ? Existe-t-il ? Ou d'abord a-t-il déjà existé ? Malgré tous les accords, traités, ententes signés depuis 1967, la politique d'expansion territoriale israélienne n'a jamais cessé. Cette conception « internalisée » d'une volonté de « paix », sur un territoire « contesté », tend à légitimer la position israélienne en dépit de l'oppression qui persiste.

Toutefois, la généralisation est peut-être la plus dangereuse des confusions puisqu'elle est directement à l'origine du discours raciste. Les sionistes sont les promoteurs d'un discours raciste et sont à l'origine de cette politique fondée sur l'agressivité et l'exclusion. Agissant au nom du judaïsme, ils insistent pour se faire identifier à l'ensemble du peuple juif.

Cependant, tous les Juifs ne croient pas à une telle idéologie. Plusieurs intellectuels israéliens dénoncent cette identification reprise par les médias, mais ne se font malheureusement pas assez entendre ici. La distinction est capitale puisque aucun espoir de paix ne sera possible dans cette région du monde sans une sincère tolérance et un respect mutuel entre les deux peuples.|195| 
425|« Maîtres chez nous ! », un modèle exportable|Gabriel Sainte-Marie| Pour faire contrepoids à la réunion du E-7 (Électricité-7), le regroupement des sept pays produisant le plus d’électricité au monde, les syndicats de huit entreprises de ces pays se sont rencontrés à Montréal les 11 et 12 octobre derniers.

Les pays du E-7 se demandaient, dans le cadre de leur rencontre, s’il était possible dans un cadre déréglementé de contribuer au développement durable de l’électricité sur la planète. Leur réponse tarde toujours. La réponse du forum intersyndical est 0 non !

Ce forum était organisé par les syndicats d’Hydro-Québec, à partir d’une idée de la Fédération des mines et de l’énergie française, et il regroupait des représentants syndicaux du Japon, de l’Italie, de l’Allemagne, de la France, de l’Ontario et du Québec. Des syndicalistes d’autres pays, dont certains de l’Amérique latine, participaient également à la rencontre.

Qu’est-ce que le E-7 ?

Le huit firmes du E-7 se rencontrent à tous les ans depuis 1991. Bien que le E-7 fasse toujours référence au développement durable en abordant la question du développement mondial, « leur discours ne concorde pas avec leurs actions », de nous dire Charles Paradis, organisateur du forum et représentant des travailleurs d’Hydro-Québec. « Hydro-Québec, donne-t-il en exemple, ne participera aux projets du Sénégal, du Pérou, du Panama, de la Guinée et de l’Argentine que s’il peut s’en dégager un profit intéressant ». La rentabilité passe bien avant le développement durable.

Les syndicats présents au forum sont unanimes pour considérer l’électricité comme un bien essentiel au même titre que l’air et l’eau 0 « Seul l’être humain importe. La technique, le capital et les ressources naturelles, telle l’électricité, doivent servir la population, non pas enrichir sans fin quelques compagnies », commente Paradis.

L’électricité et la mondialisation

Selon l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’électricité est l’industrie ayant le plus grand potentiel de croissance. On prévoit que ce secteur explosera d’ici dix ou quinze ans et Charles Paradis estime que cette industrie représente environ 225 milliards $ uniquement pour les États-Unis.

Il n’est donc pas surprenant de voir les organisations mondiales capitalistes travailler d’arrache-pied à la privatisation de cette industrie. En Amérique latine, plusieurs sociétés d’État produisant de l’électricité ont été vendues pour réduire la dette écrasante des pays 0 « La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont obligé les États à vendre leur patrimoine public à rabais », explique Paradis. Depuis, les tarifs d’électricité ont augmenté, les conditions de travail ont dégringolé et la situation de ces pays s’est détériorée. C’est l’illustration de la loi du profit.

« Maîtres chez nous ! »

Pour les syndicats présents au forum, le développement économique des pays du tiers monde passe avant tout par le contrôle de l’énergie, donc de l’électricité. « Comment utiliser l’Internet sans même avoir l’électricité ? », demande Charles Paradis.

Il rappelle à juste titre que le thème utilisé par le gouvernement québécois lors de la nationalisation de l’électricité était « Maîtres chez nous ! » Le modèle de développement industriel du Québec peut être suivi par les États défavorisés 0 « Suite à la nationalisation de l’électricité, le Québec a connu un boom économique », rappelle-t-il.

Le E-7 sous surveillance

La rencontre des syndicats fut un succès. L’expérience se répétera chaque année. La prochaine réunion se tiendra probablement en Italie, endroit prévu de la rencontre des huit compagnies. Le E-7 est désormais surveillé par ses travailleurs et travailleuses.|195| 
426|Nouvelle ruée vers l’or pour les compagnies minières canadiennes !|André Maltais|

Syndicalistes péruviens en tournée au Québec



Du 10 au 16 novembre, Montréal accueillait des représentants du Groupe de Vigilance sociale des Entreprises transnationales et de PLADES (Programme de Développement du Travail), deux organisations péruviennes de défense des droits sociaux, économiques et syndicaux. L’aut’journal a rencontré Giovanna Larco Drouilly (PLADES), Teresa Capunay Carillo (syndicat de Nabisco, alimentation), Julio Rivera Salvador (syndicat de SUTREL, électricité) et Pedro Fuentes Garcia (syndicat de Shougang Hierro, mines).

LAJ 0 Parlez-nous des entreprises canadiennes installées au Pérou ?

Pedro G. 0 En 1990, il n’y en avait pas. En 1999, elles étaient une centaine, presque toutes dans le secteur minier, et elles comptaient déjà pour 20 % du total de tout l’investissement étranger dans ce secteur. Il y a Cominco, Placer Dome, Guitennes Exploration, Sundust Resources, Oroperu Resources/Pan American Silver, Teck/Southwestern, Balaclava, Sulliden Exploration, Pacific Rim Mining, etc. C’est une nouvelle ruée vers l’or ! Mais aussi vers le cuivre, le zinc, l’argent, l’étain.

Barrick Gold détient la mine Pierina qui a produit le cinquième de tout l’or péruvien en 1999 et qui est l’une des mines les plus rentables du monde, vu le coût de production de l’once d’or très bas chez nous.

Deux importants projets très contestés impliquent actuellement des minières canadiennes 0 Tambogrande dont les droits appartiennent à Manhattan Minerals (la mine passe sous une ville de 70 000 habitants qu’on veut relocaliser !) et Antamina, le plus grand projet de mine de cuivre présentement en développement dans le monde (la mine est sous enquête de la Banque mondiale pour pratiques douteuses dans le rachat des titres de propriété aux paysans de la région).

Les mesures drastiques imposées par le FMI dans la première moitié des années 90 ont rendu le secteur minier péruvien extrêmement attirant pour l’investissement étranger 0 entreprises minières nationales privatisées, coût des impôts et des concessions minières réduit, contrats avec l’État avantageant les compagnies étrangères en termes de déductions fiscales et d’utilisation des profits, loi minière moins rigoureuse dû à la décroissance de l’État.

LAJ 0 Quels effets ont sur les travailleurs péruviens ces investisseurs/envahisseurs étrangers?

Pedro G. 0 En théorie, il n’y a pas d’obstacle à créer un syndicat, chez nous. Pas plus qu’à négocier une convention collective ou à militer dans un syndicat. Mais il s’agit là d’une norme écrite seulement. En réalité, ce sont les pressions et les tactiques des employeurs qui comptent.

Une loi récente a fait passer de cinq à 20 le nombre de raisons acceptables pour congédier un travailleur, augmentant d’autant les prétextes pour se débarrasser des syndicalistes. De plus, les entreprises s’échangent des renseignements entre elles et il devient impossible pour un militant syndical congédié d’être réembauché dans une autre multinationale étrangère.

Une autre loi récente refuse le statut de travailleur aux jeunes de 16 à 25 ans qui sont très nombreux au Pérou. Ces jeunes sont « stagiaires » et ils n’ont aucun droit à la syndicalisation, même dans les entreprises où il y a des syndicats.

Négocier une convention collective n’est possible que pour les syndicats dûment enregistrés. Pour les autres, les salaires sont payés selon la production et des systèmes d’échelons imposés par les propriétaires.

Teresa C. 0 Officiellement, pour les syndicats qui peuvent négocier, on règle les salaires en fonction du taux d’inflation. Mais l’Institut national de la statistique manipule continuellement ce taux. En 1999, par exemple, le gouvernement parlait d’un taux de 6,1 % alors qu’il était en réalité de 12 %!

Pedro G. 0 Il y a aussi les faux états financiers des entreprises ! Traditionnellement, celles-ci répartissaient entre leurs employés un montant annuel (les « utilidades ») variant selon les profits réalisés. Les compagnies s’arrangent maintenant pour présenter aux syndicats une comptabilité de façade déclarant de maigres profits voire des pertes, pendant qu’elles réservent leur vraie comptabilité à leurs actionnaires.

Teresa C. 0 Au plan de la syndicalisation, maintenant. Dans le secteur minier, les capitaux canadiens sont investis en ce moment dans de nouveaux projets. Il n’y a donc jamais de syndicat pour commencer.

C’est seulement au bout d’une période de « souffrances » qu’on va permettre le déclenchement du long processus judiciaire de syndicalisation. Entre-temps, sur le terrain, on va pratiquer intimidation, tactiques de division des travailleurs, recours à des sous-contractants encore moins protégés, etc. Enfin, bien des années plus tard, quand les travailleurs ne se sont pas découragés et qu’ils commencent à peine à récolter les fruits de la syndicalisation, on vend, on fusionne, on déménage et tout recommence... sans syndicat !

Mais je voudrais dire que, malgré tout ça, malgré les coups très durs portés aux syndicats sous l’ère Fujimori, on sent une volonté de lutte comme jamais dans la population. Une volonté de donner un second souffle au mouvement syndical par qui tout commence.

Aprés Fujimori, le syndicalisme doit repartir à zéro

LAJ 0 Qu'est-ce que le Groupe de Vigilance sociale ?

Julio S. 0 Nous existons depuis 1996 et sommes formés d'une quarantaine de syndicats d'ex-entreprises nationales récemment privatisées. Notre objectif est de s'appuyer mutuellement entre syndicats en dénonçant tous les abus des nouveaux propriétaires transnationaux (congédiements de masse, intimidations, négociations sélectives au lieu de collectives, etc.).

Nous visons aussi à doter le mouvement syndical de notre pays des mêmes moyens de communication technologiques (pages Web, bulletin d'information électronique, adresses de courrier électronique, etc.) que ceux des entreprises pour révéler à leurs actionnaires les souffrances que d'autres doivent endurer pour que, eux, retirent davantage de dividendes.

Nous espérons créer des liens permanents avec des organisations syndicales québécoises et canadiennes 0 coopérations diverses, programmes d'action conjoints, échanges de connaissances, d'informations et d'expériences sur les conditions de travail, sur les politiques, stratégies et pratiques des entreprises et des syndicats tant ici qu'au Pérou; tout nous intéresse.

Nous rencontrons des syndicats canadiens de multinationales opérant au Pérou, des ONG, des organismes de coopération internationale et des centrales syndicales comme la CSN, nous tenons des assemblées publiques, donnons des entrevues à des journaux comme le vôtre et à des radios communautaires.

LAJ 0 Quels premiers résultats attribuez-vous à votre action?

Giovanna D. 0 Il faut dire que les syndicats chez nous sont moribonds. Fujimori a utilisé le terrorisme pour les discréditer, arrêter leurs dirigeants et changer les lois. Il nous faut recommencer à la base, fournir les outils pour empêcher les syndicats restants de disparaître.

Julio S. 0 Par exemple, nous avons permis aux travailleurs de Telefonica del Peru (télécommunications) d'arracher une convention collective au nouvel acheteur espagnol. On a aussi empêché Edegel, autre transnationale espagnole qui a acheté la compagnie nationale d'électricité de notre pays, d'exécuter ses menaces de congédiement à l'endroit de trois dirigeants syndicaux.

LAJ 0 Êtes-vous impliqués dans la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques ?

Giovanna D. 0 Bien sûr. Nous contribuons aux efforts de l'Alliance sociale continentale qui, avec l'ORIT (Organisation Régionale Interaméricaine des Travailleurs, branche des Amériques de la Confédération Internationale des Syndicats Libres), s'occupe plus particulièrement des questions de commerce international.

Le chapitre « Pérou » de l'Alliance sociale continentale est composé de 67 associations féminines, paysannes, syndicales et communautaires. Des représentants de ces associations comptent bien venir ici, en avril prochain, lors des mobilisations contre la ZLEA.

PLADES (Programa Laboral de Desarrollo) 0 http0//www.plades.org.pe

Groupe de Vigilance sociale des Entreprises transnationales0 http0//www.plades.org.pe/vigilia

Alianza Social Continental0 http0//www.plades.org.pe/asc|195| 
427|Mobilisation générale des cols bleus et des cols blancs contre les fusions|Pierre Dubuc| Près de 12 000 employés municipaux au stade olympique à Montréal, 1 500 à Québec, 400 à Jonquière, quelques centaines à Baie-Comeau, tous réunis pendant les heures de travail pour une journée d’études. Le message était clair 0 « Les fusions municipales ne se feront pas sur notre dos. » Pour comprendre les enjeux en cause et les ressorts de cette mobilisation exemplaire, nous avons rencontré Pierre Dupuis, le nouveau directeur québécois du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui regroupe 70 % de l’ensemble des employés municipaux.

Débat de l’heure, aux enjeux multiples et souvent non avoués, que celui de la fusion des municipalités. Le gouvernement fait sien le discours de la mondialisation qui réclame de pousser la compétition à un niveau plus élevé avec la création de méga-cités.

Droits d’association, de négocier et de faire grève suspendus

Les craintes des employés municipaux trouvent leur raison d’être dans la loi-cadre 124 sur les fusion des municipalités adoptée à toute vapeur en fin de session, nous explique le directeur du SCFP Pierre Dupuis. « D’abord, explique-t-il, la loi stipule que s’il y a fusion pendant qu’une ville est en processus de négociation pour le renouvellement de la convention collective, la négociation est automatiquement repoussée d’un an. À cette échéance, s’il n’y a toujours pas d’entente pour la convention de la nouvelle ville, une partie peut demander l’arbitrage. La ministre donne peu de latitude à l’arbitre pour statuer sur les prochaines conditions de travail des employés qui font partie de la fusion. »

Bien entendu, les villes auront beau jeu de laisser pourrir la situation et de recourir à l’arbitrage. « D’autant plus, ajoute Dupuis, que la ministre stipule que l’arbitre doit tenir compte dans son rapport, qu’il ne doit pas augmenter le total des dépenses de la municipalité quant à la masse salariale. S’il y a une fusion de deux villes qui ont chacune des conditions de travail et une masse salariale différentes, l’arbitre doit rendre, dans son rapport une décision qui n’augmente pas la masse salariale. Ceci équivaut à baisser certaines conditions de travail à un groupe d’employés. »

Pour bien nous faire réaliser l’importance de ces dispositions, Dupuis rappelle que dans bon nombre de régions, les employés des villes-centres sont syndiquées, alors que ceux des villes avoisinantes avec lesquelles les villes-centres seront forcées de fusionner ne le sont généralement pas. « On peut donc retrouver des écarts salariaux importants et on comprend l’inquiétude de nos membres », précise-t-il.

Enfin, la loi interdit aux employés municipaux non-syndiqués de se syndiquer au cours de la période de fusion. « Le droit de grève, le droit de négocier et le droit d’association se trouvent donc suspendus avec la loi 124 », conclut le directeur du SCFP.|194| 
428|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| L’huile des riches, c’est la graisse des pauvres

16,4 % des familles du Québec et 47,4 % des personnes vivant seules ont des revenus situés sous le seuil de la pauvreté (Institut de la statistique du Québec, septembre 2000). Pendant ce temps, le ministre fédéral des Finances, Paul Martin (dont les navires battent pavillon étranger afin de ne pas payer d’impôt dans son propre pays), annonce fièrement un surplus budgétaire qui devrait atteindre plus de 63 milliards de dollars en six ans. Pour la seule année en cours, le gouvernement fédéral disposerait de 12,2 milliards qu’il prévoit utiliser afin de réduire les impôts et de rembourser la dette nationale.

Les citoyens vivant sous le seuil de la pauvreté, dont certains ne mangent pas à leur faim depuis des mois, voire des années, se joignent aux sans-emploi (1 098 800 Canadiens dont 306 900 Québécois, selon Statistique Canada) pour se foutre pas mal de la dette nationale. Pour eux, qui ne paient pas ou peu d’impôt, une réduction de cette taxe universelle constitue une nouvelle injustice. Elle permet en effet aux seuls nantis de profiter des surplus budgétaires et de se graisser encore davantage la patte pendant qu’un grand nombre de citoyens continuent de manquer parfois de l’essentiel.

Un gros dix cennes comme aux quêteux, il y a 40 ans

Et ce n’est pas sur le gouvernement québécois qu’il faut compter pour tenter de rectifier cette situation. Notre propre ministre des Finances, Bernard Landry, a fait preuve récemment d’une infinie générosité en acceptant d’augmenter de dix cents l’heure le salaire minimum exigé par la loi, le portant à sept dollars. Imaginez, les pauvres patrons devront verser dorénavant 3,50 $ de plus par semaine pour chaque employé à leur service pendant 35 heures. De quoi se ruiner ou songer à déménager leurs entreprises vers des régions plus raisonnables.

Tel est en effet la raisonnement du ministre Landry qui a déclaré, sans rire 0 « Il faut faire un choix. C’est une augmentation de dix cents l’heure ou une fuite de capitaux de la part des patrons; en d’autre mots 0 une petite augmentation de salaire ou pas de salaire du tout. » Les nantis sont, bien sûr, incapables de verser davantage à des employés qui n’ont qu’à se contenter de miettes. Et cette générosité répondait à une demande des femmes qui ont marché dans toutes les régions du Québec pour revendiquer une amélioration de leur condition. Pour ma part, je trouve très polie et nettement inadéquate la réponse de Mme Françoise David, présidente de la Fédération des femmes du Québec, qui a encaissé la gifle avec un sourire presque résigné.

L’alternative électorale n’est guère plus brillante, si l’on songe que le leader du Parti libéral, Jean Charest, estime pour sa part que le gouvernement n’aurait pas dû augmenter le salaire minimum mais le laisser à 6,90 $ l’heure, soit au même niveau qu’en Ontario. À têteux, têteux et demi.

Le coût de la cerise est déductible comme le gâteau

Et puisque nous parlions d’impôt et de ceux qui en paient le moins possible, saviez-vous que, selon la loi du plus fort – celle qui prédomine chez nous comme partout ailleurs en démocratie dite néolibérale – plusieurs des frais liés aux placements (lesquels sont réalisés en vue de se livrer à cette immondice pratique qui consiste à faire de l’argent avec de l’argent) sont déductibles d’impôt.

C’est ce qu’apprenait La Presse à ses lecteurs boursicoteurs, il y a une couple de semaines, sous la signature d’un dénommé Michel Lanteigne, qui est associé-directeur de la fiscalité pour le Canada chez Ernst & Young, courtiers en placements.

Ainsi donc, si vous disposez de suffisamment de dollars pour investir dans quelque entreprise que ce soit, la loi vous autorise à déduire les frais suivants 0

. frais de coffre-fort (il faut bien, je suppose, se protéger contre les maudits pauvres, qui ne songent qu’à voler);

. frais d’intérêt (tout intérêt permettant de s’enrichir est déductible d’impôt, cela va de soi);

. frais de gestion de placements (s’il fallait payer l’impôt là-dessus, on pourrait pas s’en sortis);

. honoraires des conseillers en placement (pour fourrer tout le monde comme ça, il faut recourir à des experts);

. frais de comptabilité (À partir d’un certain montant de profits, impossible de compter ça tout seul);

. frais de préparation de déclarations de revenus s’ils se rapportent à la comptabilité de divers placements déclarés dans la dite déclaration (la cerise sur le gâteau 0 on paye le maître crosseur dont les tours de passe-passe vont permettre d’éviter de payer raisonnablement).

Même s’ils visent à permettre à des déjà nantis de se faire encore plus riches au dépens de la loi de l’impôt et même s’ils forcent plus pauvres qu’eux à casquer pour leurs extorsions, ces propos ne sont évidemment en rien subversifs puisqu’ils sont publiés dans La Presse de Power Corporation et de Paul Desmarais.|194| 
429|Le cas de Montréal|Pierre Dubuc|

Une fusion ou un varlopage ?



Le processus de fusion est assez simple, sauf à Montréal où le découpage linguistique et la distribution de la richesse compliquent la situation. Le gouvernement a demandé au mandarin Louis Bernard de trouver une solution et celui-ci propose dans son rapport le compromis d’une île, une ville, mais avec 27 arrondissements pour préserver les privilèges des bien nantis de Westmount, Ville Mont-Royal et Outremont, de même que ceux des anglophones du West-Island.

Le rapport Bernard reconnaît que « la création de la nouvelle ville et la création d’arrondissements engendreront plusieurs mouvements de personnel en provenance tant de l’actuelle Ville de Montréal que des villes de banlieue ». Aussi, Louis Bernard recommande-t-il d’encadrer les changements occasionnés par ces transferts par le recours à des règles législatives semblables à celles de la loi 124.

D’autre part, la création d’arrondissements au sein même de la Ville de Montréal engendrera des transferts d’employés, actuellement à l’emploi de la Ville, dans les arrondissements. Le rapport Bernard recommande que les conditions de travail de ces employés syndiqués soient négociées à une table centrale et que la nouvelle ville ait le mandat, par le biais d’ententes de services, de négocier ces conventions collectives. « S’ils le désirent, précise le rapport, les autres arrondissements pourraient également se joindre à cette table centrale »

Bien que le rapport Bernard se veuille rassurant à l’égard des employés municipaux en parlant de « table centrale de négociations » et en disant qu’ils « continueront INITIALEMENT d’être représentés par le même syndicat », il est clair que le projet porte en lui-même le fractionnement éventuel de l’unité syndicale.

Des « économies » sur le dos des employés municipaux

Le projet « une île, une ville » est conçu en fonction de la mondialisation, c’est-à-dire des méga-entreprises qui ont besoin des ressources d’une méga-cité pour concurrencer d’autres méga-entreprises appuyées par d’autres méga-cités. Aussi, pour vendre ce projet à une population qui n’en retirera aucun bénéfice, il faut lui faire miroiter d’éventuelles « économies » découlant des « rationalisations » opérées lors du processus de fusion.

Il est évidemment difficile de parler d’« économies » résultant de la double structure d’une ville et de ses 27 arrondissements – en fait, des mini-villes – créés pour préserver les privilèges des bien-nantis, des anglophones et de tout le personnel politique actuel des villes de banlieue. Alors, ne restent que les « économies » qui pourront être réalisées sur le dos des employés municipaux, particulièrement les cols bleus.

Depuis plusieurs années déjà, on a préparé l’opinion publique à considérer les cols bleus comme des « gras durs » à coups de soi-disant études sur leur rémunération, de reportages télés d’éditoriaux et de commentaires d’animateurs de lignes ouvertes.

Pierre Dupuis conteste ce point de vue. « Il faut considérer, lorsqu’on les compare aux autres employés du secteur public, que les employés municipaux ont leurs propres régimes d’assurances et de fonds de pension. Leur rémunération est comparable avec le privé. »

Plus fondamentalement, Dupuis se demande pourquoi il faudrait toujours niveler par le bas. « Gagner 35 000 $, est-ce trop ? », demande-t-il en rappelant que le seuil de pauvreté est fixé à 33 000 $ pour une famille de deux adultes et quatre enfants. « Et il ne faut pas oublier, ajoute-t-il, que plusieurs ne gagnent que 25 000 $ ! »

Des intérêts puissants derrière les fusions

Il y a quelques mois, les projets de fusion, particulièrement à Montréal, semblaient irréalisables étant donné l’importance de l’opposition des municipalités de banlieue, jointe à celle du Parti libéral. Mais le vent a changé et les commentateurs politiques viennent d’élever le maire Bourque au rang de « visionnaire » pour avoir été le premier à lancer le projet « une île, une ville ». C’est dire toute la puissance des intérêts qui soutiennent la constitution d’une méga-cité sur l’île de Montréal.

Le débat continuera à faire rage, particulièrement à Montréal, mais il se fera, semble-t-il, sur la répartition des pouvoirs entre la méga-cité et ses arrondissements, le principe du projet « une île, une ville » étant désormais accepté. Ailleurs, le principe des fusions semble également acquis et le Parti libéral, qui vient de voter en congrès qu’il défera ce qui aura été fusionné, est l’objet de critiques et de risées de la part de ceux-là même qu’il voulait défendre.

Les centrales syndicales CSN et FTQ ont apporté leur appui de principe au projet « une île, une ville », mais la volonté gouvernementale de varloper au passage les droits acquis des employés municipaux risque de tout remettre en question, particulièrement du côté de la FTQ, fortement implantée par le biais du SCFP dans le secteur municipal. C’est donc un dossier à suivre.

« Nos 95 000 membres ont déjà fait leur part » - Pierre Dupuis, directeur du SCFP

Lorsque nous l’avons interviewé dans son bureau du 12e étage de l’édifice de la FTQ à Montréal, Pierre Dupuis, le nouveau directeur du SCFP, était particulièrement fier de la mobilisation des 25 000 employés municipaux que représente son syndicat.

« Nous travaillons là-dessus depuis le printemps dernier. Nous avons tenu un congrès sur cette question. Puis, nous avons effectué une tournée à travers les régions du Québec. On a cherché à mettre notre monde ensemble et on va continuer à le faire », lance-t-il pour expliquer le succès de la mobilisation.

Conseiller syndical depuis 1973 au SCFP (avec un intermède de sept ans à la FTQ proprement dite), directeur au cours des cinq dernières années du Service d’éducation, Dupuis fait de la participation et de la formation des membres la clef du succès. « C’est à cause de l’accent mis sur la participation et la formation que nous avons pu aller chercher un mandat de grève lors des dernières négociations du secteur public », explique-t-il.

Invité à définir ses priorités dans ses nouvelles fonctions, Dupuis fait quelques constats.

« Les 95 000 membres que nous représentons, et qui se retrouvent principalement dans le secteur para-public et les sociétés d’État comme Hydro-Québec, ont été mis à contribution avec le déficit zéro et ils veulent aujourd’hui voir leur sort s’améliorer. Ils ont également été victimes de la réorganisation du travail qui a entraîné le développement de la précarité et l’intensification du labeur. Notre objectif est que le travail redevienne viable et que les gens puissent s’y réaliser en tant qu’êtres humains. Il faut donc démocratiser les lieux de travail. »

Résumé par nos éditorialistes 0 le projet Bernard

Une ville pour la mondialisation et les milieux d’affaires

« Dans une société mondialisée, où les activités humaines transcendent les frontières, les grandes villes joueront un rôle de plus en plus essentiel, comme lieu d’innovation, comme pôle économique, comme outil d’identification sociale et culturelle. »

Alain Dubuc, La Presse, 14 octobre 2000

Des arrondissements pour les anglophones et les privilégiés

« Plusieurs municipalités et quartiers constituent autant de microcosmes culturels qui demandent qu’on les respecte. On pense évidemment aux villes de l’ouest de l’île, qui ont depuis longtemps l’anglais comme langue première, mais aussi à des villes comme Outremont, qui tient, à bon droit, à conserver des outils et l’argent nécessaires pour soutenir une vie communautaire digne de ce nom. »

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, 13 octobre 2000

... et une multitude de syndicats

« L’exercice ne doit surtout pas servir à perpétuer le statu quo, ce dont rêvent les syndicats d’employés municipaux. »

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, 13 octobre 2000

« Le gouvernement profitera-t-il de la réorganisation municipale pour casser les reins des Fauvel (président du Syndicat des pompiers) et Lapierre (président du syndicat des cols bleus) de ce monde? Tout est question de courage politique. »

Michèle Ouimet, La Presse, 17 octobre 2000|194| 
430|Les États généraux doivent aller plus loin que la loi 101|Charles Castonguay|

Une tour de Babel en français ?



C’est parti ! Fin septembre, l’équipe de Gérald Larose a invité les simples citoyens ainsi que les associations régionales à lui adresser pour le 23 octobre des mémoires sur la situation du français. Mais à en juger par le document de consultation mis à la disposition des intéressés sur le site Web des États généraux, c’est parti dans tous les sens, sauf le bon.

Mme Louise Beaudoin souhaite pourtant que la population se mobilise et confirme sa volonté de vivre en français. C’est ce qu’elle disait ce printemps lors du lancement du rapport sur le maintien du caractère français de Montréal.

Ce rapport, préparé par un comité de cinq ministres, est autrement plus mobilisateur que le document de consultation des États généraux. En peu de pages, il présente quantité de faits bien documentés portant sur la faiblesse du français comme langue d’assimilation ou comme langue de travail à Montréal, et sur les défis que posent au français la concentration des immigrants dans l’île, l’implantation des nouvelles technologies, l’expansion de l’informatique et la mondialisation des échanges économiques. Le rapport des cinq ministres se termine sur un appel bien senti – et bien justifié – à la mobilisation collective pour assurer la vitalité, le pouvoir d’attraction et l’avenir du français à Montréal et au Québec.

Est-on encore capable de parler du français en français ?

Pourquoi n’a-t-on pas annexé ce vibrant constat des faits au document de consultation des États généraux ? Il y a de belles énergies qui s’épuisent dans les méandres de l’administration gouvernementale.

Le document est d’une rédaction médiocre. On dirait que certains responsables de la question linguistique au Québec ne sont plus capables de parler du français en français. C’est-à-dire dans une langue claire, vive, précise et concise. Plus capables d’informer efficacement de manière à susciter la participation.

Des exemples ? L’entrée en matière commence par un paragraphe d’une seule phrase qui s’étend sur neuf lignes de texte ! Plus loin, on se heurte à une phrase incomplète. Le tout est farci de conjonctions ad nauseam. On peut compter jusqu’à cinq « et» en une ligne et demie de texte ! Sans doute un record mondial.

Ce serait moins grave si on avait pensé à annexer au site Web, en temps utile, des constats plus accessibles de la situation. À une semaine de la date limite de réception des mémoires, tout ce que la Toile offre sous cette rubrique tient toujours en deux mots et trois points de suspension 0 « À venir… » À chacun, donc, d’y aller de son opinion à partir de sa perception des choses. Et place à la tour de Babel !

Quant à la façon dont le document de consultation définit la situation, il existe une large voie de solution qu’on ne semble pas vouloir ouvrir. C’est pourtant la voie royale, qui va au fond des choses. Nombre de constats aussi lourds qu’incontestables témoignent de la faiblesse endémique du français face à l’anglais dans le cadre politique actuel. En prenant appui sur une opinion publique bien informée à ce propos, le gouvernement du Québec – il faudrait espérer ici l’Assemblée nationale, à l’unanimité – pourrait exiger d’Ottawa qu’on change de cadre.

Le dilemme de l’immigrant

Le document de consultation se contente d’une allusion sibylline à ce cadre. Comme si c’était une fatalité qu’il fallait accepter. Cela se trouve d’ailleurs incorrectement rangé comme « nouvelle réalité » dans la liste des « tendances démographiques », alors que c’est un problème d’un tout autre ordre. Il s’agit d’une incompatibilité aussi durable que fondamentale entre deux visions de la société québécoise.

Là encore, le rapport des cinq ministres a mis fermement le doigt sur le bobo 0 « …les nouveaux arrivants sont soumis à un double discours et à un double modèle d’intégration0 celui du gouvernement fédéral qui favorise la liberté de choix par le bilinguisme se confrontant au discours du gouvernement québécois qui préconise une langue commune et l’intégration à une société de langue française. Il n’est donc pas surprenant que bon nombre d’immigrants arrivant en sol québécois soient tentés de faire l’économie de l’apprentissage du français au profit de l’anglais. »

Bon an mal an, le (ou la) commissaire aux langues officielles constate que l’actuelle politique fédérale ne parvient pas à protéger de l’assimilation les minorités francophones au Canada anglais. Qu’attend donc Québec pour condamner sans appel l’illusion trudeauiste d’un Canada officiellement bilingue « coast-to-coast » ? Pour enfin revendiquer haut et fort une politique canadienne réaliste et efficace ayant pour but premier de renforcer l’usage du français partout où se trouvent des collectivités francophones encore viables ?

Une citoyenneté canadienne et linguistique

Qu’on s’entende, pour commencer, sur une conception innovatrice et territoriale de la citoyenneté canadienne, faisant en sorte qu’un immigrant qui s’établit à Montréal doive, pour devenir citoyen, faire preuve d’une connaissance minimale du français. N’est-ce pas là une condition indispensable pour participer à la prise de décisions dans une société qui a le français en partage comme langue commune ? Une société au sein de laquelle l’essentiel des débats sur les questions que les électeurs devront éventuellement régler se déroule en français ?

Au lieu de hisser le regard à ce niveau, le document des États généraux semble plutôt se contraindre à espérer des solutions à l’intérieur d’une problématique uniquement provinciale. Comme s’il pouvait suffire à la société québécoise d’essayer encore une fois de s’arranger à l’interne. Comme si, à force de se forcer les méninges, on pouvait réussir la quadrature du cercle et trouver le moyen d’assurer l’avenir du Québec français sans brasser la cage canadienne.

Le Québec tarde trop à s’engager dans cette voie. La loi 101 ne suffit plus. Mme Beaudoin l’a déjà dit. À quelques éléments près, Québec est allé aussi loin que possible en matière de politique linguistique dans le cadre actuel. On ne saurait plus changer de façon décisive le rapport du français à l’anglais sans changer le rapport entre le Québec et le Canada.

Il faut oser maintenant la confrontation et insister pour que le Canada transforme sa politique linguistique dans un sens plus territorial. Et si Ottawa refuse ? Son obstination à voir mourir le français à petit feu deviendra aussitôt une puissante condition gagnante sur un autre plan.

Le Québec français ne peut perdre s’il ouvre le jeu. Les États généraux doivent ratisser plus large. Les mémoires individuels et régionaux sont déjà rédigés. Mais il est encore temps de se rattraper au niveau national.|194| 
431|Partage de la Yougoslavie|Michel Chossudovsky|

Entre Washington et Berlin



Nous reproduisons la traduction d’une entrevue que le professeur Michel Chossudovsky a accordée à Max Sinclair sur la situation dans les Balkans au lendemain des élections en Yougoslavie.Sinclair0 Certains partisans du nouveau président Kostunica prétendent, ou espèrent, que celui-ci pourra empêcher la mainmise américaine à cause de ses liens avec les pays européens, dans le contexte où l’Europe chercherait à se libérer de la domination américaine et acquérir une certaine indépendance.

Chossudovsky0 Je pense qu’ils sont très naïfs de mettre leurs espoirs en une telle hypothèse. Berlin et Washington interviennent main dans la main en Yougoslavie. Les deux pays coordonnent leurs initiatives en politiques étrangères. Les services secrets allemands ont étroitement collaboré avec la CIA tout au long des 78 jours de bombardement de la Yougoslavie et leur collaboration s’est poursuivie après les bombardements.

Tout indique que leur objectif est de transformer la Yougoslavie en un protectorat allemand avec la présence de troupes allemandes stationnées sur le sol yougoslave et l’imposition du deutschmark comme monnaie. C’est ce qui s’est produit dans les autres républiques yougoslaves, y compris en Macédoine et en Croatie. Au Montenegro et au Kosovo, le deutschmark a cours légal.

Au Kosovo, la Commerzbank allemande contrôle l’ensemble du système bancaire commercial. Au même moment, c’est le Groupe de Washington, une transnationale américaine liée à l’industrie de la défense américaine, qui contrôle les mines de Trepca dans le nord du Kosovo.

Les Américains et leurs alliés britanniques convoitent l’Asie centrale. Le consortium formé des pétrolières BP-Amoco et ARCO, le plus gros consortium anglo-américain au monde, est le principal intervenant dans les champs pétrolifères de la mer Caspienne. L’OTAN, par le biais du GUUAM, l’alliance militaire régionale, protège les routes des pipelines qui vont du Caucase jusqu’aux Balkans.

Comme l’Allemagne n’est pas un joueur important de l’industrie pétrolière, l’entente entre les grandes puissances va comme suit0 les États-Unis et la Grande-Bretagne s’octroient le bassin de la mer caspienne et l’Asie centrale alors que l’Allemagne obtient les Balkans et une partie de l’Europe de l’Est. Telle est ce qui semble être l’entente entre les États-Unis et l’Allemagne sur la répartition des sphères d’influence.

Sinclair0 Les deux pays sont donc complètement unis ?

Chossudovsky0 Unis sur certains rapports, mais divisés sur d’autres. Par exemple, l’industrie de la Défense est l’un des points de divergence majeurs entre les États-Unis et l’Allemagne. Deux conglomérats géants s’affrontent. La puissante firme Deutsche Aerospace, liée au groupe Daimler, a conclu une alliance avec la firme française Aerospatiale Matra. Par contre, l’aérospatiale britannique a des relations étroites avec d’importantes entreprises américaines et est intégrée au complexe militaro-industriel américain.

Autrement dit, l’industrie militaire occidentale est divisée entre l’axe anglo-américain et l’axe franco-germanique. Soulignons également que dans l’industrie pétrolière, les anglo-américains sont en compétition avec le consortium franco-belgo-italien Elf-Aquitaine-Petrofina-ENI, lequel a des liens avec les compagnies pétrolières iraniennes et russes.

Sinclair0 Qu’en est-il de la tentative de Dinkic de prendre le contrôle de la banque centrale yougoslave au profit du FMI ?

Chossudovsky0 En Yougoslavie, on veut imposer le deutschmark, ce qui signifierait que l’Allemagne dominerait le système monétaire. Pour y arriver, il faut contrôler la Banque centrale. Je pense que l’enjeu principal présentement en Yougoslavie est précisément de savoir qui va avoir la main haute sur la Banque centrale. Il semble que M. Mladjan Dinkic du G17, un groupe d’économistes, tient actuellement les rênes de la Banque centrale, au profit du Fonds monétaire international (FMI).

Si la Yougoslavie veut conserver sa souveraineté nationale, il est essentiel qu’elle réaffirme sa souveraineté sur le système bancaire et par le fait même sur sa politique monétaire. Si Kostunica, Dinkic et le G-17 remettent les destinées de la Banque centrale entre les mains du FMI, les banques allemandes vont s’amener comme ce fut le cas au Kosovo et en Bosnie. Le FMI acquiert alors un contrôle de facto et nous nous retrouvons devant une situation coloniale, peu importe ce qui pourrait se produire sur la scène politique. En d’autres mots, si le FMI, par l’intermédiaire des économistes du G-17 et de M. Dinkic, s’empare de la Banque centrale, il s’assure ainsi le contrôle des secteurs clefs du pouvoir du pays. Si, en plus, ils en viennent à détenir le ministère des Finances, ils contrôleront tout ! M. Dinkic semble avoir assumé les fonctions de gouverneur de la Banque centrale sans l’assentiment légal du parlement. Des faits, révélés sur la place publique, démontrent que le FMI a déjà commencé à détruire le système monétaire. Pour que la Yougoslavie conserve sa souveraineté, la politique monétaire doit être sous la juridiction de gens redevables au parlement et non du FMI. Cela signifie en arracher le contrôle à Dinkic et à ses associés.

Sinclair0 J’ai lu dernièrement un article qui laissait entendre que Kostunica avait l’appui de la France, ce qui lui permettait une certaine indépendance de manœuvre.

Chossudovsky0 La France et l’Allemagne agissent de concert. Comme je l’ai mentionné précédemment, leurs systèmes de défense sont complètement intégrés. Leur collaboration est très étroite. On peut même parler d’un nouvel axe. D’un côté, il y a la France, l’Allemagne et l’Italie, et de l’autre, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Sinclair0 Peut-on en tirer l’espoir que les Serbes trouveront auprès de l’Allemagne et de la France protection contre les États-Unis ?

Chossudovsky0 Non, non, ils n’y trouveront rien de la sorte. Bien entendu, il y a plusieurs désaccords et accrochages entre l’Allemagne et les États-Unis. En Albanie, par exemple, les Allemands soutiennent le parti des démocrates alors que les États-Unis soutiennent le parti des socialistes. Les Allemands ont perdu et le grand consortium minier Preussag s’est vu ravir le droit d’exploiter le sous-sol albanais par une compagnie minière américaine lorsque les socialistes ont pris le pouvoir. Soulignons que l’Albanie est l’un des principaux producteurs de chrome au monde.

Mais en Yougoslavie, Américains et Allemands collaborent. Rappelons-nous que c’est un Allemand qui se trouve à la tête du Fonds monétaire international. Soyons clairs 0 dans les Balkans et en Europe de l’Est, le FMI est autant un instrument de la domination allemande que de la domination américaine.

Il y a également les implications historiques de l’occupation, une nouvelle fois, de la Yougoslavie par l’Allemagne. Cela a toujours été un des objectifs de l’empire allemand, y compris lors de la Deuxième guerre mondiale.|194| 
432|«Tout est sur la table, surtout la privatisation »|Louis Préfontaine|

La commission Clair



« La commission Clair a la prétention de traiter de toute la santé, mais elle ne regarde que la relation médecin-malade », affirme Jacques Létourneau, du CCMM (Conseil Central du Montréal Métropolitain). « Elle ne met pas le doigt sur les vrais problèmes de l’augmentation des coûts de la santé. On dirait qu’il y a un plan de privatisation derrière tout ça et je ne crois pas que ce serait bénéfique pour la population. »

En effet, lorsqu’on sait qu’entre 1985 et 1997, les dépenses privées de santé au Québec sont passées de 21,2 % à 32,2 % (une augmentation de 52%) alors que la qualité des soins fournis aux citoyens a considérablement diminué, il y a de quoi douter. Parallèlement, on note depuis 1993 une diminution du budget consacré aux établissements de 14,2 % alors que les médecins et les médicaments se voient allouer une augmentation respective de 11,2 % et 38,1 %.

Le vieillissement n’est pas en cause

Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition Solidarité Santé, croit que c’est un mensonge de faire porter le chapeau des problèmes actuels sur le dos du vieillissement de la population. « Le gouvernement a coupé un milliard $ dans le réseau, puis il l’a réinvesti 0 800 millions pour les médicaments et 200 millions pour les médecins. Ce n’est pas vrai qu’il n’a pas d’argent; il choisit simplement ses priorités. »

Comme le souligne un bulletin spécial de la Coalition, la Suède et le Danemark ont atteint un taux de vieillissement que le Québec connaîtra dans quinze ans. En 1999, selon l’OCDE, le PIB consacré à la santé était de 13,9 % aux États-Unis, 9,2 % au Canada et 8,6% en Suède. Pourtant, la Suède a un système de santé public à 83,3% tandis qu’il n’est que de 69,8 % au Canada et 46,4 % aux États-Unis. Le système de santé suédois est-il au bord de la faillite? Absolument pas.

Le problème central, selon Marie Pelchat, est celui des médicaments. « La commission Clair surévalue le vieillissement de la population et sous-estime l’impact du coût des médicaments », affirme-t-elle. « Il y a des mesures fiscales très favorables à l’industrie pharmaceutique au Québec et le gouvernement paie le prix fort pour l’achat de médicaments qui ne sont pas toujours indispensables. »

Les compagnies d’assurance empochent

Un autre mythe que la Coalition Solidarité Santé tente d’éliminer est celui qui veut que le Québec dépense trop dans la santé. En 1997, le Québec dépensait

1 604 $ par habitant au secteur public, soit la somme la plus faible au Canada, bien loin derrière la moyenne de 1 802 $ par habitant. En 1993, les dépenses québécoises étaient de 1 736 $ par habitant, ce qui constitue une chute de financement de l’ordre de 7 % en quatre ans pour le public, pendant que les coûts au privé (ceux que vous payez en souscrivant à une assurance privée) augmentaient de 10%, passant de 622 $ à 683 $.

L’augmentation des dépenses privées va directement dans les poches des compagnies d’assurances privées, comme la Great West co. de Paul Desmarais (qui possède également La Presse) ou encore chez les assurances personnelles Desjardins (Desjardins est l’un des principaux bailleurs de fonds du journal Le Devoir). Faut-il s’étonner alors que les vraies questions ne soient pas posées dans les principaux médias ?

Selon Marie Pelchat, toute cette commission n’est qu’une mascarade. « La commission a des commandes claires du gouvernement. Elle sert à préparer les gens à un plus grand rôle du privé et à revoir le rôle de l’État, ce qui est exactement conforme aux “ recommandations ” de la Banque mondiale. » (voir encadré)

Le PQ continue son virage amorcé en 1996 avec la commission Arpin qui affirmait 0 « Tout est sur la table, sauf un système à deux vitesses. » La seule différence, c’est qu’aujourd’hui ce système à deux vitesses existe bel et bien par la sous-traitance ou par de nombreux traitements offerts par le privé. Alors, lorsqu’aujourd’hui on affirme que « tout est sur la table, sauf la privatisation », comment y croire ?

La Banque mondiale a émis des « recommandations » pour les États désireux de privatiser des services publics dans un rapport publié en 1997 s’intitulant 0 L’État dans un monde en mutation. Ces méthodes sont celles du défaut de ressources, de la déréglementation, de la décentralisation, de la privatisation pure et simple et de l’économie sociale. Elles ont toutes comme finalité de transférer un secteur appartenant à la collectivité vers des intérêts privés. Dans le secteur de la santé, le Québec utilise toutes ces méthodes !|194| 
433|Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle centrale syndicale canadienne ?|Pierre Dubuc|

Les TCA expulsés du CTC



Il y a quelques mois, le Congrès du Travail du Canada (CTC), qui représente deux millions de membres, a expulsé de ses rangs une de ses sections les plus combatives, le Syndicat canadien des travailleurs de l’Automobile (TCA) (250 000 membres), provoquant une crise majeure au sein du mouvement syndical canadien, une crise qui ne manquera pas d’avoir des répercussions sur la scène syndicale québécoise. Nous avons rencontré Luc Desnoyers, le président des TCA-Québec, qui nous donne le point de vue de son syndicat sur ce conflit. uelques rares articles ont paru sur le sujet dans la presse québécoise, sans doute parce que les TCA-Québec, qui représentent des syndicats aussi importants que ceux de Pratt & Whitney et de General Motors à Sainte-Thérèse, n’ont pas été expulsés de la FTQ, même si cette dernière fait partie du CTC canadien.

« Cela résulte, nous explique Luc Desnoyers, du statut particulier de la FTQ au sein du CTC et de relations qui pourraient être qualifiées de “ souveraineté association”. » Un statut négocié avant le référendum de 1995, sous la présidence de Bob White, l’ancien dirigeant canadien des TCA. Aujourd’hui, le CTC est dirigé par Ken Georgetti.

Maraudage ou démocratie ?

« C’est la décision de huit sections locales ontariennes, représentant 30 000 travailleuses et travailleurs, de se séparer de l’Union internationale des employés de services (UIES) et de s’affilier au TCA qui a mis le feu aux poudres », rappelle Desnoyers. Alors que le CTC parle de maraudage et accuse les TCA d’avoir enfreint le protocole quasi sacré régissant les relations entre ses syndicats membres, les TCA parlent de démocratie syndicale et d’affrontement entre deux visions du mouvement syndical.

Desnoyers nous souligne, documents à l’appui, que « les 120 membres de l’exécutif ont voté en faveur du changement, les 800 délégués l’ont appuyé unanimement et les 10 000 membres ayant participé aux assemblées générales ont entériné la décision à 98 % ! »

La désaméricanisation

Les syndicats en cause, représentant principalement des travailleuses et travailleurs d’hôpitaux, se plaignaient depuis longtemps de l’absence d’autonomie au sein de l’UIES, un syndicat qui compte vingt fois plus de membres américains que de membres canadiens.

« Le problème s’est aggravé au cours des dernières années, précise Desnoyers, alors que l’UIES a haussé ses cotisations, réorganisé ses structures et procédé à une nouvelle répartition de ses ressources pour se lancer dans une vaste campagne de syndicalisation dans le secteur de la santé aux États-Unis.»

Cette orientation était justifiée aux États-Unis où le taux de syndicalisation est tombé à 15 % au cours des dernières décennies et elle a mené John Sweeny, le président des UIES, à la tête de l’AFL-CIO, la grande centrale américaine, avec une équipe plus militante.

« Mais cette orientation ne tenait pas compte de la situation canadienne où plus de 90 % des travailleurs et travailleuses de la santé sont déjà syndiqués », de dire Luc Desnoyers. « Le ressentiment s’est alors exprimé, attisé par l’absence d’autonomie des syndicats canadiens, et les huit sections locales ontariennes ont choisi par le biais des TCA la canadianisation de leurs structures syndicales.» Cela reflète un mouvement de fond. Il y a trente ans, plus de 70 % des membres des affiliés au CTC appartenaient à un syndicat américain, contre à peine 30 % à l’heure actuelle.

Un affrontement idéologique et politique

Accusés de recruter des membres hors de leur champ de juridiction, les TCA affirment que les modifications du marché du travail ont fait sauter les juridictions traditionnelles. « Si jadis, la syndicalisation par secteur industriel a permis de surmonter les vieilles divisions entre les métiers, nous en sommes arrivés à une nouvelle époque où l’appartenance syndicale ne repose plus sur les métiers, ni sur l’industrie qui nous emploie, mais où elle est davantage le résultat d’un choix idéologique », nous dit Desnoyers en nous faisant part de l’analyse menée par son syndicat.

Sur cette base, les TCA font de leurs divergences avec le CTC un conflit qui va bien au-delà du non-respect du protocole de non-maraudage. Ce sont deux visions du mouvement syndical qui s’affrontent, selon les TCA. « Nous voulons bâtir un mouvement syndical qui lutte contre les concessions, qui prolonge les luttes au-delà du lieu de travail et rejette les demandes de partenariat du patronat », précisent les documents des TCA. Force est de reconnaître que les TCA ont été au cœur des grèves générales et des journées d’action contre le gouvernement Harris en Ontario.

La scission idéologique se transporte également au plan politique où les TCA, contrairement au CTC, refusent d’appuyer le NPD qu’ils accusent de vouloir s’orienter vers la droite et emprunter la voie des Tony Blair en Grande-Bretagne et Lionel Jospin en France. Buzz Hargrove, le président canadien des TCA, a déclaré que son syndicat n’appuierait pas le NPD au cours de la présente élection fédérale et qu’il souhaitait même une défaite cinglante du NPD, considérée comme une occasion de faire le ménage ou de créer un nouveau parti ouvrier. Desnoyers ajoute qu’il ne digère pas non plus « l’appui du NPD à la loi sur la clarté référendaire de Chrétien ».

La scission s’annonce inévitable

Les négociations se poursuivent toujours entre le CTC et les TCA pour trouver un terrain d’entente, mais la scission semble irrémédiable étant donné la profondeur des divergences idéologiques. Les TCA parlent de former une nouvelle centrale syndicale canadienne. Une telle éventualité ne manquerait évidemment pas de provoquer des tensions au sein de la FTQ entre les syndicats affiliés au CTC et les TCA et elle ne serait pas sans répercussions sur le paysage syndical québécois.

Membership des TCA

250 000 membres dont 67 % en Ontario et 40 000 au Québec

Grands constructeurs automobiles 0 50 000 membres

Fabricants indépendants de pièces automobiles 0 33 000

Aérospatiale 0 13 000

Électricité 0 8 000

Aliments et boissons 0 6 400

Hôtellerie et restauration 0 15 400

Véhicules spécialisés 0 10 900

Construction navale 0 3 000

Lignes aériennes 0 10 500

Chemins de fer 0 13 600

Camionnage et autres transports routiers 0 7 200

Mines, fonderies et traitement du minerai 0 4 600

Services 0 11 900 |194| 
434|Fantasme déréglementaire !|André Bouthillier|

L’art de repartir à zéro



En juin 2000, le Groupe conseil sur l’allégement réglementaire, dont le mandat consiste à étudier toutes les lois et règlements actuels et à venir qui pourraient nuire à la compétitivité des entreprises, présentait son rapport au Premier ministre du Québec. Les enjeux que soulève le rapport sont de taille.

Nous ne parlons pas ici de faire disparaître la réglementation désuète qui contrôle la qualité de l’eau dans les abreuvoirs à chevaux !

Il s’agit plutôt de laisser libre cours aux projets des promoteurs d’affaires et de n’intervenir qu’après coup, si nous pouvons prouver que leurs agissements ont nui à la société ! Pour réaliser ce fantasme, dont la conception date de l’époque du comité des sages mis de l’avant par le Parti libéral du Québec en 1986, le Parti québécois a créé en 1998 un comité de personnes non-élues provenant presque exclusivement du monde des affaires.

Le Groupe n’y va pas avec le dos de la cuillère; il recommande, entre autres, que le ministère de l’Environnement ne demande plus de voir les plans et devis de construction des établissements industriels lors de l’analyse environnementale des projets, donc de diminuer les exigences se rattachant à la délivrance d’un certificat d’autorisation.

Ces documents sont pourtant les seuls éléments contenant des faits dont disposent les experts pour considérer les risques qui pourraient affecter les citoyens et prévenir tout dommage à l’environnement.

Un comité de Hells pour nous protéger des Hells !

Pour faire une image qui vous semblera un peu simple à première vue, mais qui n’est pas dénuée de fondement, vous viendrait-il à l’idée de confier aux Hells Angels le mandat de vérifier si la réglementation pénitentiaire nuit au développement de leur commerce ?

Pourquoi donc confier à des gens d’affaires non-élus, le mandat de vérifier si la réglementation commerciale nuit au développement de leur commerce ? Selon vous, l’ensemble de la réglementation gouvernant le commerce des gens d’affaires fut-elle adoptée afin d’éviter des tourments théoriques aux citoyens et aux citoyennes ? Ou si c’était pour régler de vrais problèmes ?

Pas de morts, pas de règlements

Souvenons-nous qu’il a fallu que des gens d’affaires laissent circuler de la nourriture rendue insalubre et qu’il y eût mort d’êtres humains pour que naisse une réglementation de l’alimentation, et qu’il aura fallu des milliers de plaintes de consommateurs pour que le gouvernement réglemente les relations commerciales entre les citoyens et les gens d’affaires.

Combien y a-t-il eu de morts sur les chantiers de construction du Québec avant que nous voyions poindre le début d’une réglementation ? Il aura fallu 15 ans de lutte et une grève illégale pour que les travailleurs chez Hydro-Québec obtiennent une réglementation sévère qui les protège lorsqu’ils travaillent dans une centrale électrique. Comme cette règle n’existe pas dans le secteur privé, Boralex nous a fourni en 1999 nos deux premiers morts dans les petites centrales privées !

Il s’agit bien du même Boralex, entreprise de Bernard Lemaire, le même qui préside le Groupe conseil sur l’allégement réglementaire dont le mandat a été reconduit jusqu’au 31 mars 2001 et le même dont l’entreprise bénéficiera de la déréglementation proposée.

Au moment où la société commence à dénoncer la mondialisation sans visage, ici, au Québec, nous avons l’occasion de connaître les artisans de la déréglementation qui fragilisent les recours, la santé et la sécurité des citoyens. Voilà pourquoi de plus en plus de groupes sociaux exigent du gouvernement le non-renouvellement du mandat de ce Groupe conseil formé de non-élus qui ne s’enfargent pas dans les règles d’éthique… C’est vrai que cela aussi, ça se déréglemente!

Voir le dossier de l’allègement réglementaire sur le site de la Coalition québécoise pour une gestion responsable - Eau Secours ! http0//www.eausecours.org|194| 
435|Dion contre Turp|François Parenteau| Le vendredi 20 octobre, à Maisonneuve à l’écoute, un débat opposait le bloquiste Daniel Turp au capitaine Plan B lui-même, Stéphane Dion. Pierre Maisonneuve avait beau décorer son visage de G.I Joe d’un large sourire le plus souvent possible pour détendre l’atmosphère, on était clairement là en présence de deux gars à ne pas inviter au même party. Le problème ne doit pas se poser souvent puisque, de toute façon, voilà deux gars qu’on n’a pas tellement envie d’inviter à un party.

L’occasion de ce Hilton-Ouellet constitutionnel était la publication récente par Turp de son livre La nation baillonnée et par Dion du sien Le parti de la franchise. J’avoue que j’ai manqué le début mais j’ai trouvé l’échange frustrant. Maisonneuve a trop souvent dû intervenir pour démêler des corps à corps où les deux parlaient en même temps et s’interrompaient tout le temps, de sorte que les arguments n’étaient jamais déployés jusqu’à leur punch. Beaucoup de jabs mais aucun knock-out.

Turp avait délaissé son fameux nœud papillon qui lui donne un air de waiter mais il avait toujours son ton prêcheur et ses formules compliquées. Tout au long de l’affrontement, il n’a jamais daigné nommer son adversaire, préférant le désigner comme « le ministre ». Ça sonnait comme le chanteur Prince qui se fait appeler « The artist ». À certains moments, je me demandais même de quel ministre il parlait.

Stéphane Dion, lui, avait toujours cette étrange voix où un calme apparent dans l’intonation n’arrive pas à effacer la fébrilité de l’élocution. J’ai toujours l’impression qu’il va dire 0 « Sinon, je devrai le dire à ma mère... »

Je dois avouer que ce ministre aux allures de mulot hautain me fascine de plus en plus. Il démontre un inébranlable entêtement dogmatique fédéraliste et centralisateur et un féroce négationnisme de l’idée d’un peuple québécois. Il ne laisse rien à l’adversaire. Pour lui, la révolution tranquille fut largement le fait du fédéral et la nuit des longs couteaux n’a été que le résultat de la mauvaise volonté de René Lévesque. En fait, charisme en moins, remarquez à quel point il ressemble à Trudeau...

C’est ce côté « incorruptible » et tout d’un bloc qui fait la force de Dion. Turp, en face de lui, avait souvent l’air de vasouiller. Les politiciens souverainistes ont tellement dilué, reformulé et déguisé leur option que leurs discours ne peuvent plus être sincères. En plus de s’attaquer minutieusement à tous leurs arguments, Stéphane Dion, en bon sophiste, a le don de renvoyer les souverainistes à leurs contradictions.

J’aimerais aussi lui souligner les siennes. Par exemple, à propos de la partition, son slogan « Si le Canada est divisible, le Québec l’est aussi » est très habile. Mais le Canada est une confédération dont les provinces sont les corps composants. On a souvent comparé le débat Québec-Canada a une chicane de couple. Transposé dans cette image, son slogan se traduirait par0 « Si notre mariage peut se briser, ta jambe aussi... » À ce genre de déclaration, on envoie la police...

Monsieur Dion dit avoir la responsabilité de protéger le droit des citoyens canadiens du Québec de rester canadiens. Il mentionne souvent à ce titre les peuples autochtones qui ont répondu largement non aux référendums et il accuse les souverainistes d’un nationalisme ethnique qui refuse de reconnaître la diversité des peuples de son territoires. Mais j’aimerais bien savoir ce que ce grand démocrate pense des Mohawks qui foutent à la porte de leur réserve tous les non-Indiens ? Ce n’est pas du nationalisme ethnique, ça ?

Stéphane Dion est aussi très prompt à dire que la séparation du Québec entraînerait le chaos. Encore à Maisonneuve à l’écoute, il a fini avec ça. Mais de quel chaos parle-t-il ? Le seul véritable « chaos », avec toute la connotation terrible que porte ce mot, qui pourrait résulter d’un vote majoritaire pour la souveraineté du Québec, c’est si le fédéral répliquait à la décision en envoyant l’armée. Si c’est à ça qu’il pense, qu’il le dise avec franchise, puisqu’il en a pris le parti...

Et en bon émule de la manière Trudeau qu’est le ministre Dion, il va falloir le « watcher » pour ce qui est de l’armée...|194| 
436|Landry moins seul|Pierre Dubuc|

Yves Michaud dans Mercier



Bernard Landry se sent très seul au conseil des ministres, dit-on, depuis le départ de Robert Perreault. Il serait aujourd’hui le seul ministre, avec Louise Beaudoin, dont c’est la responsabilité ministérielle, à se préoccuper de la cause de la langue française.

Aucune surprise donc à ce qu’il soutienne la candidature d’Yves Michaud dans Mercier 0 « Quand des observateurs disent que cela déplairait à l’establishment péquiste si Michaud était candidat, je peux vous dire que ce n’est sûrement pas mon cas », a-t-il déclaré à La Presse.

Quant au Robin des banques, sa position a quand même le mérite de ramener la discussion à l’ordre du jour lorsqu’il exprime son grand intérêt pour l’investiture péquiste dans Mercier, essentiellement pour faire valoir ses idées dans le débat linguistique. « Je ne veux pas appauvrir ma liberté de parole », a-t-il dit au correspondant de La Presse à Québec. « Quand les lignes de parti seront à mon sens dans l’intérêt national, je les respecterai, mais sinon, il n’en sera pas question. »|194| 
437|L’Octobre noir de l’information|Paul Rose| Un bon matin d’octobre 70, se levant du mauvais pied, les felquistes se seraient dit 0 « Que faire aujourd’hui pour se dégourdir les jambes ? Tiens pourquoi pas un enlèvement ! Ou deux ! » Voilà bien l’impression qu’ont laissé la quasi-totalité des émissions et des articles sur le trentième anniversaire d’octobre 70 dans « nos » grands médias.

Et pas seulement par des représentants de la droite ! Deux ou trois « analystes » « paniquars » d’une certaine gauche caviar, pour ne point la nommer, s’en sont tenus eux aussi aux quelques éléments les plus sensationnels. Ils ont donné volontiers dans le « groupuscule »... curieusement une expression jamais utilisée pour désigner la poignée de milliardaires québécois avec lesquels ils s’affichent, partenariat oblige ! Et rapidement, ils ont sombré dans les raccourcis simplets du genre « mouvement spontanéiste autoproclamé de si et de ça », passant soigneusement sous silence l’étendue du climat contestataire révolutionnaire de l’époque et le blocage des voies démocratiques par les « autorités en place ». Bref, ce sans quoi Octobre perd tout son sens. Pas un traître mot sur le règlement anti-manifestation à la fin de 1969, les mandats d’arrêt contre les principaux leaders de la gauche contestataire. Rien non plus sur le « coup de la Brink’s », sur les descentes policières à répétition et la déstabilisation des organismes populaires socio-politiques au printemps 70...

Pas une ligne sur les appuis larges pendant et après les événements de 70 0 assemblée au Centre Paul Sauvé, manifs, sondage de l’université Laval montrant qu’en 1970 la population craignait plus l’armée que le FLQ. Aucune mention des spectacles de la Résistance, non plus que du lancement, par les présidents des centrales syndicales, des leaders de groupes populaires et quelque 500 personnalités du milieu culturel, d’une campagne pour la libération et l’amnistie des prisonniers politiques felquistes, pétition signée en quelques mois par plus de 70000 personnes et déposée devant l’Assemblée nationale au début des années 80, etc.

Chapeau pour Les chasseurs d’idées

Une heureuse exception dans la noirceur des grands médias 0 l’émission Les chasseurs d’idées de Télé-Québec, diffusée dans les derniers jours d’octobre. L’analyse, même si je ne la partage pas entièrement, dépassait de plusieurs têtes tout ce qui a été vu, lu et entendu pendant le mois. Y compris à Télé-Québec !

Pour le reste, à droite toute ! On nage en plein délire du déclamatoire, du pathos... et du patof ! Même pas d’analyse de droite... d’ordinaire pourtant pas si compliquée que ça à faire ! Non, le vide le plus total. Comme prévu, les passages des quelques témoignages felquistes retenus ont été, dans la presque totalité des cas, triturés, hachurés, re-ficelés, au mieux, réduits au niveau le plus simple du human interest (selon l’expression consacrée par Michel Chartrand), à savoir des questions sur l’état des « papillons qui vous flottaient dans le ventre ». Et je vous fais grâce de toutes les erreurs de noms, de faits, de dates, de lieux, de citations... Quant à l’essentiel, le pourquoi d’octobre, le grand silence noir.

PET et FLQ, même combat ?

À droite, sans contredit, le Black October de CBC bat tous les records de turpitude. On atteint le bas-fond de la noirceur médiatique d’octobre 2000. Il ne fallait pas s’attendre à grand-chose de l’auteur qui avait commis en 1992 le soi-disant documentaire sur les « Mémoires » de PET avec lequel on nous a pété les oreilles une semaine durant à RDI... Surtout pas à ce qu’il fasse référence au contexte populaire québécois de l’époque, sinon, à contrario, sous le mode du Beau Grand Canada brisé en deux.

Cela dit, on ne s’attendait pas à ce qu’il invente des phrases de toutes pièces ! Et qu’il les fasse dire par un comédien, en anglais, avec accent s.v.p. ! Puis, sans avertissement, qu’il procède comme si les paroles étaient prononcées de vive voix par un membre du FLQ 70, alors qu’au même moment, sous la photo figée à l’écran, apparaissaient sous-titré en grosses lettres, par exemple 0 « Mots de ... Paul Rose. »

En effet, il y a de quoi figer ! On flotte en pleine fiction, la pire, celle qui se cache ! Au point que certaines de mes connaissances, et pas des plus éloignées, étaient convaincues que j’avais effectivement donné une entrevue à CBC, au surplus en anglais, eux et elles qui savent pourtant bien que je ne suis pas bilingue pour cinq cennes ! Oh, force trompeuse de l’image ! Ce qui explique sans doute pourquoi le « documentaire » d’Octobre noir, tire une bonne partie de ses images québécoises de la filmographie de fiction.

Un beau cas pour le Conseil de presse d’aujourd’hui et la sociologie de demain que cet Octobre noir de l’information !|194| 
438|Voter ou non pour le Bloc ?|Pierre Dubuc|Jean Chrétien a déclenché prématurément des élections en disant que les Canadiennes et les Canadiens devaient faire un choix de société entre les valeurs représentées par son parti et celles défendues par l’Alliance canadienne.

Mais comment le croire lorsque, quelques jours auparavant, son ministre des Finances, Paul Martin, déposait un mini-budget dans lequel les surplus volés à la caisse de l’assurance-emploi servaient à financer d’importantes exemptions fiscales pour les corporations et les mieux nantis de la société. Des mesures concoctées à la dernière minute uniquement dans le but de ramener au bercail libéral les financiers de Bay Street qui venaient de dépenser 25 000 $ le couvert pour assister à un souper-bénéfice qui a rapporté la somme record de 1,7 million $ au parti... de Stockwell Day.

Au Québec, le choix est fait

Au Québec, nous avons déjà fait notre choix de société lors de l’échec du Lac Meech et du référendum de 1995, alors que les francophones ont voté à plus de 60 % en faveur d’un Québec indépendant. Sur la scène fédérale, cela s’est traduit par un appui massif des francophones au Bloc québécois.

Cet appui est cependant conditionnel à ce que le Bloc défende à Ottawa les idées qui ont prévalu à sa création, c’est-à-dire l’indépendance du Québec et les valeurs social-démocrates.

Mécontents du Bloc

Il y a trois ans et demi, l’appui au Bloc a sensiblement diminué par rapport à l’élection précédente et n’a même pas atteint les 40 %. Une partie importante de l’électorat souverainiste a fait l’élection buissonnière pour exprimer son mécontentement à l’égard du Bloc et, par parti interposé, au Parti québécois.

Au moment où ces lignes sont écrites, la campagne électorale ne fait que débuter et il est évidemment trop tôt pour se prononcer. Nous devrons appuyer notre décision sur la campagne que mènera le Bloc.

S’il cherche à reconquérir l’électorat qui lui a fait faux bond la dernière fois en faisant la promotion de l’indépendance et des valeurs de justice sociale – raisons pour lesquelles il a été créé – nous devrons voter pour le Bloc sans aucune réserve.

Non à une réédition du « beau risque »

Cependant, s’il met l’indépendance en sourdine dans le but de séduire l’électorat conservateur, cela n’augurerait rien de bon. Nous verrions alors poindre le danger d’une coalition avec l’Alliance canadienne dans l’éventualité d’un gouvernement minoritaire. Ce serait la réédition du « beau risque ». Cela ne nous surprendrait évidemment pas que Lucien Bouchard, ancien ministre conservateur du gouvernement Mulroney, cherche à pousser le Bloc dans cette direction.

Nous demandons donc à Gilles Duceppe, aux candidates et candidats du Bloc de s’affranchir de la tutelle de Lucien Bouchard et du Parti québécois. Nous leur demandons de profiter de la campagne électorale pour parler d’indépendance, de tenir un discours véritablement de gauche, ce qui est fort différent d’un discours « populiste » à la Elliott Ness.

Si le Bloc parle d’indépendance et de justice sociale, il faudra mettre notre X dans le cercle accolé au nom du candidat ou de la candidate du Bloc de notre circonscription. Sinon, il faudra suivre la recommandation que Michel Chartrand donnait à sa mère 0 « Maman, tous ces candidats vous veulent du bien, on met des croix partout. »|194| 
439|Vas-y, Françoise ! Vas-y !|Pierre Dubuc|Dans ce qui semblait être les premiers éléments du bilan de la Marche mondiale des femmes, la coordonnatrice Françoise David évoquait la possibilité de créer un parti féministe sur la scène politique québécoise. C’est une excellente idée !

Déjà, à l’été 1996, au lendemain de la Marche du Pain et des Roses, nous invitions en éditorial le mouvement des femmes à emprunter une telle voie. Cependant, tout débat sur cette question a été repoussé au profit de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000.

Le succès de celle-ci confirme pour plusieurs la justesse de ce choix. Cependant, le mouvement des femmes ne peut continuer indéfiniment à marcher autour de la planète, sinon il tournera en rond, soulignait récemment Riccardo Petrella.

Que faire ?

Françoise David a évoqué comme perspective le recours à la désobéissance civile ou à l’organisation d’une grève générale des femmes le 8 mars 2002. Cependant, on peut imaginer la difficulté d’une mobilisation aussi large pour des actions de désobéissance civile, et mars 2002 est une échéance bien lointaine.

De plus, la question ne manquera pas de surgir 0 qu’est-ce qui nous garantit que la désobéissance civile ou une grève d’une journée permettront d’obtenir plus de 10 sous d’augmentation du salaire minimum et 50 millions de dollars?

À toutes celles et ceux qui s’interrogent sur les résultats concrets de la Marche mondiale, on souligne l’ampleur du travail d’éducation réalisé et la nouvelle solidarité, tout en reconnaissant que les gouvernements n’ont pas répondu aux revendications des femmes. Cela ne saurait satisfaire celles qui vivent dans la pauvreté ou sont victimes de violence.

En fait, le Mouvement des femmes ne pourra repousser à plus tard le débat central sur l’action politique, sinon il risque de s’effilocher.

Profiter de l’expérience du RAP

Le Mouvement des femmes pourra profiter de l’expérience du Rassemblement pour une alternative politique. Le RAP constituait une première rupture politique avec le néolibéralisme et l’engouement soulevé lors du grand rassemblement de novembre 1997 était indéniable. Mais le RAP n’a pas réussi à prendre son envol.

Paul Cliche en résumait bien, au lendemain du colloque de la gauche du printemps dernier, la cause 0 « Le principal obstacle à la création d’une alternative politique, écrivait-il, réside dans l’absence d’un organisme catalyseur. » (l’aut’ journal, no. 191)

Le Mouvement des femmes pourrait combler cette lacune. La Marche mondiale a permis la constitution, autour de Françoise David, d’un noyau central de personnes extrêmement efficaces ayant acquis une expérience inestimable. Le mouvement a aussi réussi à susciter une adhésion très large à une série de revendications qui peuvent constituer l’ossature d’un véritable programme politique.

Vas-y, Françoise ! Vas-y !

En 1984, le pasteur noir Jesse Jackson avait évoqué la possibilité de sa candidature aux élections présidentielles à la tête d’un troisième parti politique aux États-Unis. Une vaste coalition, débordant largement le mouvement noir pour rejoindre le mouvement ouvrier et tous les milieux progressistes, s’était alors constituée pour l’inciter à se porter candidat autour du slogan « Run, Jesse ! Run ! »

Malheureusement, Jackson a renoncé à se porter candidat, préférant les tractations stériles au sein du Parti démocrate. On a bien essayé par la suite de susciter à nouveau sa candidature, mais le momentum n’y était plus.

Il y a des occasions à saisir qui ne se représentent pas.

Alors, Vas-y, Françoise ! Vas-y !|194| 
440|Journal d’une semaine extraordinaire|Élaine Audet| Depuis le lancement en 1995 de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 jusqu’à son démantèlement à New York le 17 octobre, on a assisté, d’un bout à l’autre de la planète, à une gigantesque entreprise de sensibilisation, de conscientisation, d’éducation, d’intervention sur la condition des femmes. En dépit de la fin de non-recevoir ou des réponses insuffisantes, indifférentes ou insultantes des instances gouvernementales québécoises, canadiennes, onusiennes et des institutions financières internationales, la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 est une réussite incontestable et il faut d’abord en féliciter chaleureusement les organisatrices qui y ont mis le plus clair de leur énergie sans jamais compter leur temps.

Le 9 octobre, la Marche est inaugurée à Jonquière par 3 000 femmes en présence de Françoise David. C’est un rassemblement haut en couleurs avec des ballons et des colombes qui sont lancés dans le ciel pour porter haut notre message en faveur de l’équité, de la justice et de la non-violence. Dans les quartiers des grandes villes, dans toutes les régions du Québec, même dans des petites localités comme Chertsey (Lanaudière) où une cinquantaine de femmes et une dizaine d’hommes ont marché au flambeau, une même scène se répétera durant toute la semaine, permettant aux participantes de se rencontrer pour discuter et porter les revendications de la Marche à travers leur région.

Il faudrait parler de chacune des initiatives suscitées par la Marche et de l’imagination dont elles témoignent. Par exemple, au Bas-Saint-Laurent, un contingent de 75 marcheuses sillonne, à partir du 9 octobre, huit MRC. Même la pluie et la neige ne peuvent arrêter leur élan. En trois jours, plus de 1400 personnes marchent dans les villes et villages qu’elles traversent, de Matane à Cabano en passant par Amqui, Mont-Joli, Rimouski et Trois-Pistoles. Et plusieurs continuent par Pohénégamook, Rivière-du-Loup et La Pocatière jusqu’à Montréal et New York.

À Nicolet, 250 marcheuses et marcheurs partent de la Cathédrale de Nicolet alors que les cloches sonnent à toute volée pour se rendre dans les jardins du Collège Notre-Dame de l’Assomption où les attendent les 530 filles du collège ! Elles reçoivent un accueil extraordinaire suivi d’une cérémonie au cours de laquelle des femmes de plusieurs générations leur transmettent symboliquement la responsabilité de continuer la lutte pour les générations à venir.

Fait assez rare et important, des hommes connus dans le milieu artistique et social ont signé un manifeste d’appui à la marche 0 « Nous marcherons avec toutes les femmes, nos amies, nos collègues, nos conjointes, nos mères, nos sœurs et nos filles, nos amantes et nos confidentes 0 nous marcherons parce que ce projet fou et ambitieux de mondiales solidarités nous enthousiasme nous aussi… » Il s’agit notamment d’Yvon Deschamps, de Michel Tremblay, de Pierre Curzi, de Frédéric Back, de Hubert Reeves, du Dr Réjean Thomas, de Ghislain Picard, chef régional des Premières Nations, de François Saillant du FRAPRU, de Robert Cormier, président de l’Association des ressources intervenant auprès des hommes violents. De son côté, Jacques Languirand a ouvert son émission du 15 octobre en manifestant un appui enthousiaste au mouvement de solidarité mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté.

Un grand bout de chemin dans notre histoire

En arrivant au Parc Lafontaine, en ce samedi mémorable, nous ne pouvons nous empêcher d’avoir l’impression que toutes, nous venons de faire un grand bout de chemin dans notre histoire et nos vies. Retrouvailles, bises, jasette sont aussi joyeuses que les pancartes, les kiosques, les affiches et les costumes sont colorés. La musique est également au rendez-vous et des artistes sont déjà sur scène pour quintupler notre plaisir. Nous sommes plus de 30000 au rendez-vous de la solidarité avec beaucoup de jeunes femmes, de mères avec leurs enfants et quelques centaines d’hommes venus nous appuyer.

Tout au long du trajet, il y a des rappels de nos raisons de marcher comme sous le viaduc Berri parsemé de rubans blancs en mémoire de celles qui furent et continuent d’être assassinées par des hommes de leur connaissance, ou le long des rues rebaptisées en rue de la Solidarité, du Travail, de la Diversité. Sur Cherrier, la chanson « Du pain et des roses », jouée au violoncelle et à la guitare électrique, a fait le bonheur des marcheuses ainsi que celui de mon petit-fils Micha qui, à 22 mois, participe à sa première manifestation. À nos côtés, faisant un contraste éloquent, une octogénaire marche tout aussi ravie. Un parcours de trois kilomètres où l’on sent la détermination des marcheuses à faire en sorte « que ça change ».

À l’arrivée à la Place des arts, les Judi Richard, Marie-Claire Séguin et de nombreuses autres chantent les thèmes qui nous tiennent à cœur et les comédiennes Andrée Lachapelle, Francine Ruel, Patricia Pérez, Geneviève Rioux, Sylvie Legault lisent, avec Hélène Pedneault qui en est l’auteure, le Manifeste des femmes du Québec en l’an 2000, dédié à la mémoire de Léa Roback. Une si belle journée n’aurait pas été complète sans la présence de Madeleine Parent qui, à l’instar de Françoise David, considère que le but principal de cette Marche est déjà atteint parce qu’elle nous a rassemblées et nous a permis de créer un réseau féministe planétaire. L’intense solidarité que nous venons de vivre n’allait pourtant pas de soi, nous rappelle-t-on, chacune d’entre nous ayant des conditions de vie et de classe différentes et ayant hérité d’un tas de préjugés véhiculés par la société patriarcale. Cette compréhension de nos différences, acquise en luttant côte à côte, constitue d’ores et déjà une des plus belles réussites de la Marche.|194| 
441|Entre le mépris et la fin de non recevoir|Élaine Audet|La réponse du gouvernement québécois aux revendications de la Marche a indigné à juste titre les femmes. Ce gouvernement, qui jette notre argent à tout vent pour enrichir les compagnies multimilliardaires, fait un véritable affront aux femmes et aux plus démunis en leur lançant un maigre dix cennes qu’elles auraient dû ramasser avec reconnaissance. La disproportion entre leurs demandes et les sommes attribuées pour répondre à des urgences vitales, tant sur le plan de la pauvreté que de la violence, est inacceptable. Pourtant, elles ne demandent, avec un salaire minimum de 8,70 $, qu’à passer au niveau du seuil de la pauvreté. Ce dix sous ne leur permet même pas de rattraper la perte de leur pouvoir d’achat depuis deux ans.

La misère et la violence

Avec les récentes diminutions d’impôt, on voit qui bénéficie des largesses des gouvernements. Certainement pas le grand nombre de femmes monoparentales, d’assistées sociales et d’itinérantes trop pauvres pour payer des impôts et qui s’enfoncent chaque jour davantage dans une misère et une violence insupportables. Ni les étudiantes qui s’endettent de quelque 20 000 $ qui les handicaperont le reste de leur vie. À aucun moment, le gouvernement ne semble se préoccuper du sort angoissant qui les attend à l’approche de l’hiver. Il faudra surveiller attentivement où ira la manne des subventions dans les prochains mois pour mesurer le cynisme de nos politicienNEs.

La détresse et le désespoir

Quant aux centres de femmes, ils devront se résigner encore à choisir entre la détresse des unes et le désespoir des autres. Devant un tel mépris et la fin de non-recevoir du gouvernement fédéral qui leur a infligé les pires coupures de leur histoire, les femmes ont montré en marchant d’un bout à l’autre du Québec leur refus d’être menées en bateau plus longtemps par les belles paroles de leurs représentantEs politiques. Il est clair que la vision néolibérale du gouvernement est incompatible avec les revendications de justice sociale et de solidarité planétaire de la Marche. Il n’est pourtant pas sorcier de comprendre que l’inégalité, c’est la violence. Face à l’inaction des élus, plusieurs femmes arrivent à la conclusion qu’on n’est jamais si bien servie que par soi-même.|194| 
442|Les Québécoises étaient les plus nombreuses|Élaine Audet et Caroline Perron|

Devant les Nations Unies



La militante féministe canadienne, Judy Rebick, remarquait récemment que « même si c’est la Fédération des femmes du Québec qui a initié et conduit cette action au niveau mondial, les médias canadiens l’ont en grande partie ignorée ».

Personnellement, je dirais non pas « même si » mais bien « parce que » c’est la FFQ qui a initié la Marche, les médias canadiens l’ont ignorée. Et on a l’impression aussi que c’est parce que la direction de la Marche n’est pas aux États-Unis qu’elle a été boudée tant par les médias américains que par la puissante organisation NOW qui a des « chapitres » dans toutes les villes et particulièrement à New York. Mais les dix mille militantes venues de partout dans le monde, dont 2 000 du Québec, nous ont vite fait oublier cette défection.

La Marche des femmes à Washington

Le dimanche 15 octobre, une délégation internationale de la Marche mondiale des femmes participe à Washington à la Marche des femmes des États-Unis organisée par NOW – National Organization of Women, la plus grande organisation féministe au monde, qui a réussi pour l’occasion à réunir 25 000 femmes. Récemment, cette organisation a pourtant pu mobiliser plus de 700000 personnes pour réclamer le contrôle des armes à feu, mais peut-être à la veille des élections américaines l’organisation a-t-elle eu peur que les revendications de la Marche leur aliènent une partie plus conservatrice de l’électorat féminin, ou forcent Hilary Rodham Clinton à prendre position sur la mondialisation ou des thèmes controversés comme les droits des lesbiennes.

La Marche donne d’ailleurs lieu à la critique de la politique américaine par plusieurs oratrices des pays du tiers-monde qui dénoncent les sanctions américaines en Irak et ailleurs dont les femmes et les enfants sont les principales victimes et réclament l’annulation de la dette des pays pauvres. Quant aux oratrices américaines, elles incitent les femmes à voter pour des candidates féministes lors des élections du 7 novembre afin d’obtenir une suite concrète à leurs revendications. Le lendemain, les déléguées de la Marche réitéreront en vain leurs demandes au président de la Banque mondiale et au directeur exécutif du Fonds monétaire international.

La Marche des femmes à New York

Dès 9 h du matin le 17 octobre, des tricycles portant une partie des pétitions que des femmes du monde entier ont signées partent du Bronx et traversent tout New York pour se rendre au point de ralliement de la Marche, situé au parc Dag Hammerskjold, devant les Nations Unies. Serrées les unes contre les autres dans le goulot étroit formé par ce parc minuscule, on découvre des délégations aux vêtements colorés en provenance de plusieurs pays d’Afrique, des pays européens francophones, de la Martinique, d’Haïti, du Portugal, de la Tunisie, ainsi qu’une importante délégation d’environ 200 Mexicaines, parmi lesquelles des Indiennes du Chiapas en tenue traditionnelle, très organisées avec des pancartes sur la violence envers les femmes et des dépliants expliquant leurs revendications, des Japonaises dénonçant le nucléaire, une femme afghane en burqua et des groupes de toutes les régions du Québec qui constituent la délégation la plus nombreuse. Une chaîne est formée qui achemine à bout de bras jusqu’à l’ONU l’épaisse pétition de quelques 300 000 signatures sur la totalité de plus de 6 millions recueillies dans le monde.

Les participantes échangent des informations, se photographient, se sourient dans les yeux, pendant qu’au micro, une Québécoise énumère les 157 pays participants et leurs multiples actions au cours de la semaine, avec des résumés traduits en espagnol et en anglais. À midi, quelque 10 000 participantes utilisent crécelles, flûtes, tambours, casseroles, sifflets et leurs propres voix pour qu’on entende de très loin leur détermination à lutter jusqu’à ce que soient mis en branle les moyens pour éliminer la pauvreté et la violence envers les femmes. Au cours du trajet entre la 47e rue et la 14e rue, les marcheuses observent quinze minutes d’un silence très impressionnant à la mémoire des victimes de la violence patriarcale. C’est tout à fait incroyable de déambuler ainsi à travers New York avec des drapeaux québécois, des slogans et des chansons majoritairement en français. On a l’impression d’envahir l’empire ! Jamais nous n’avons été aussi fières d’être québécoises.

L’ONU n’était pas la bonne adresse

Pendant ce temps, une délégation de 200 femmes de différents pays rencontre, en l’absence de Kofi Annan, toujours au Moyen-Orient pour le conflit israëlo-palestinien, Louise Fréchette, secrétaire générale associée de l’ONU, et Angela King, conseillère du secrétaire général en matière de condition féminine. Elles exposent leurs revendications sur la violence faite aux femmes, l’égalité, la pauvreté et la redistribution de la richesse. Des femmes provenant de pays aux prises avec des guerres, comme l’ex-Yougoslavie, le Kurdistan, la région africaine des Grands Lacs, la Colombie, la Palestine, relatent de façon extrêmement émouvante les sévices dont elles sont victimes avec leurs enfants. Louise Fréchette n’ayant pu rester jusqu’à la fin, Angela King les félicite de leur détermination, mais leur explique que les Nations Unies ne sont que la somme de tous les pays et que c’est sur leurs gouvernements respectifs qu’elles devraient faire pression afin que les Nations Unies puissent être efficaces. Donc, à ce niveau aussi les résultats sont loin d’être satisfaisants.

Michèle Rouleau et Karen Young à l’Union Square

Environ deux heures plus tard, nous arrivons à l’Union Square où une scène a été édifiée avec écran géant afin que nous puissions toutes voir le spectacle animé avec brio par l’Amérindienne Michèle Rouleau et la Portoricaine Caridad avec les prestations de Karen Young et son groupe qui interprètent la belle chanson multilingue de la Marche « Capiré mossamam mam Capiré el ham mossamam el ham », signifiant « compréhension, détermination, inspiration ». Plusieurs groupes et artistes se manifestent, entrecoupés d’interventions des déléguées de différents pays dont celle très attendue de Françoise David qui remercie les participantes, dit que la mobilisation ne fait que commencer et qu’elle n’écarte aucune forme d’action, mais que d’abord on doit faire le bilan de la Marche et en tirer les conséquences qui s’imposent. « À partir de maintenant, les dirigeants de la planète doivent savoir que les femmes du monde entier se tiennent la main et partagent la même analyse de la mondialisation et du patriarcat », conclut alors la présidente de la Fédération des femmes du Québec.

L’après-Marche sera politique

Après le demi-succès à court terme de la Marche, beaucoup de questions sont dans l’air au Québec. Le mandat de Françoise David comme présidente de la FFQ venant à échéance en juin, beaucoup de militantes l’incitent à se lancer en politique et surtout à créer un parti politique féministe où les hommes seraient admis, mais dont la priorité serait de faire entendre la voix des femmes, de mettre de l’avant leurs revendications, de transformer l’organisation du travail et les rapports entre la vie privée et publique et dont une des premières tâches consisterait à réclamer la représentation proportionnelle afin d’avoir au Parlement un pourcentage de représentantes reflétant notre force politique et d’être en mesure de changer les choses. Les organisatrices n’excluent ni une grève générale visant à montrer l’importance du travail des femmes (rémunéré ou non) ni des gestes spontanés et pacifiques de désobéissance civile à l’image des récentes manifestations de SalAMI.

Un bilan serré de la Marche sera fait dans les prochaines semaines pour évaluer qu’elle serait la suite la plus pertinente à donner à l’immense mouvement des femmes qui a secoué la planète, alors que déjà se pose l’échéance du Sommet des Amériques en avril 2001. Quant à nous, notre bilan est très positif, que ce soit sur la qualité des interventions de toutes les porte-parole de la Marche, sur l’excellence des documents d’éducation et de sensibilisation mis à la disposition des participantes, sur l’énorme effort accompli pour financer cette entreprise gigantesque et sur la persévérance sans failles qui a permis de la mener à bien.|194| 
443|La myopie des médias paternalistes|Élaine Audet|« Une histoire de jupes de terre cuite », aurait dit un commentateur de radio. Personne n’aurait pris le temps de lire la liste des revendications. « Ça ratisse trop large », conclura un éditorialiste. Pour une autre, « la marche des femmes suscite au mieux un intérêt mitigé ». Des revendications trop éparpillées qui mêlent en vrac les revendications de fond, la dénonciation de toutes les formes de discrimination et des revendications ponctuelles. En voulant sortir de son rôle de groupe de pression et jouer celui (foncièrement masculin ?) de parti de gauche qui élaborerait dans l’action un projet de société, la FFQ éloignerait la plupart des femmes, surtout les jeunes.

« Si c’est être de gauche que de demander que tout le monde ait de quoi se chauffer cet hiver, nous sommes fières de l’être », répliquera Françoise David à l’éditorialiste de La Presse qui reprochait aux organisatrices de marginaliser le mouvement en le radicalisant. Les médias continueront à répéter ad nauseam leur discours paternaliste en dépit des 20 000 Québécoises qui ont marché dans toutes les régions du Québec, des 30 000 qui ont manifesté à Montréal et des centaines de milliers de femmes mobilisées à travers le monde.

Encore une fois, on nous sert « le misérabilisme » des féministes qui devraient laisser la parole « à des jeunes femmes ambitieuses ». Pour répercuter à l’infini la voix mondiale de leurs maîtres payeurs qui ont besoin de jeunes et beaux visages pour médiatiser leur message mercantile comme nous le montrent les revues féminines qui, elles, savent garder leur place ? Bien qu’une activité de la commission des jeunes ait dû être annulée par manque de participantes, j’ai vu dans la couverture télévisée des événements et dans les marches de Montréal et de New York davantage de femmes entre 25 et 45 ans que de la génération des soixante ans et plus. L’une de ces jeunes femmes a d’ailleurs fait remarquer qu’il est normal que les jeunes ne soient pas présentes durant le jour puisqu’elles sont aux études ou au travail. Il est aussi caractéristique de l’intérêt des médias que la couverture de la Marche de Montréal ait occupé la troisième place à Radio-Canada, la cinquième à TVA et que seule TQS l’ait mise à la une.|194| 
444|La bataille des 35 heures|Pierre Klépock|

La France ouvrière se mobilise



À la croisée de deux millénaires, la lutte pour la réduction du temps de travail (RTT) est-elle toujours d’actualité ? Cet automne, l’aut’journal s’est rendu en France rencontrer des métallos de la Confédération générale du travail (CGT), la plus puissante centrale syndicale française avec ses 700 000 adhérents. Daniel Sanchez, secrétaire-général des 70 000 membres de la Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT), nous donne un aut’ point de vue sur le syndicalisme des années 2000.

L’objectif de transformer la société fait toujours partie des orientations de la CGT. Cela passe par la satisfaction immédiate des revendications des salariés. Plus les besoins sont satisfaits, moins il y a de l’argent pour les capitalistes et la finance. Ça veut dire 0 remise en cause des choix financiers de la logique capitaliste pour une autre redistribution des richesses créées dans l’entreprise. Ces richesses doivent revenir principalement aux salariés et à la population », nous explique Daniel Sanchez. La CGT est une centrale « révolutionnaire » exigeant la suppression de l’exploitation capitaliste par la socialisation des moyens de production.

Forte poussée des grèves

Depuis 1998, un véritable bras de fer se joue entre le patronat et les syndiqués sur l’application de la loi des 35 heures. L’année 1999 a vu une forte poussée des grèves, une hausse de 42,9 % par rapport à 1998, autour de deux revendications principales 0 les salaires et la durée du travail. « Sur le premier trimestre 2000, il y a eu autant de grèves que toute l’année 1999. Trop souple, la loi des 35 heures a redynamisé la lutte sociale et mobilisé les salariés, afin d’obtenir une application effective de la semaine de 35 heures sans perte de salaire », affirme-t-il. À elle seule, la CGT est à l’initiative de 29 % des grèves (la CFDT de 9 % et FO de 3 %), alors qu’elles se font à 40 % en Front commun.

Là où la CGT est présente

Sur 1 744 673 salariés de la métallurgie, 498 690 travailleurs ont négocié la RTT. Globalement, sur près de 500 000 métallos concernés par 167 accords d’entreprises travaillant dans 632 usines, le temps de travail moyen est de 36h 25. La majorité des salariés (83,5 %) sont couverts par des accords prévoyant le maintien des salaires. « Dans les entreprises où nous sommes présents, les luttes ont été très fortes. On a de très bons accords sur les 35 heures, avec augmentation de salaire et des embauches. Là où la mobilisation était moins forte, les résultats sont moins bons. La FTM-CGT va se déployer dans ces entreprises », annonce Daniel Sanchez.

Les métallos s’occupent de politique

« Sur la base de ce bilan, la CGT va s’adresser au gouvernement pour dire que la loi des 35 heures n’est pas assez rigide contre les patrons et demander des amendements », ajoute le syndicaliste. Actuellement, la gauche plurielle (parti socialiste et communiste) est au gouvernement et les 36 députés communistes auraient voulu une loi plus radicale. « La CGT n’est pas dépendante du politique, elle est ouverte à tous les salariés, quelles que soient leurs opinions politiques. Mais dans cette bataille, il y a des partis politiques avec qui on se retrouve plus naturellement, et le Parti communiste français (PCF) fait partie de cette bataille pour la transformation de la société », conclut notre camarade.

Repères historiques

Quelques grandes dates de la CGT

1895 Congrès constitutif de la CGT.

1914-1918 Première Guerre mondiale. En 1917, en France, mouvement de 696 grèves avec 293 810 participants contre la guerre impérialiste.

1919 Violente manifestation du Premier Mai. Au total, 2 200 grèves et 1 200 000 grévistes permettent aux travailleurs d’arracher une importante victoire 0 la loi sur les huit heures de travail.

1936 Victoire du Front Populaire, grâce aux 72 élus du Parti communiste français (PCF). En mai-juin, 12 000 grèves avec occupation d’usines et 5 000 000 de grévistes paralysent le pays. Les « Accords Matignon » sont signés (loi sur les 40 heures, deux semaines de vacances payés...).

1939-1945 Seconde Guerre mondiale. Les troupes hitlériennes envahissent la France. Le patronat et le gouvernement de Vichy s’empressent de « collaborer » avec les nazis. À l’appel du général De Gaulle, les militants de la CGT membres du PCF organisent la Résistance ( 75 000 communistes seront fusillés ou tués au combat). En août 1944, la CGT donne l’ordre de grève générale pour la Libération. La Résistance peut ainsi décréter l’insurrection nationale dans les meilleures conditions. On connaît la suite...

1944-1946 Devenu le « parti des fusillés », le PCF fait élire 151 candidats à l’Assemblée nationale sur 522 députés. Cinq ministres communistes entrent au gouvernement formé par le général De Gaulle. Quelques revendications de la CGT sont satisfaites 0 sécurité sociale, statut de la fonction publique, pouvoir des délégués ouvriers aux comités d’entreprise, nationalisation de la Banque de France, des mines de houille, de l’électricité et du gaz, des usines Renault, etc.; juste sanction du comportement des « collabos » sous l’occupation.

1962 Février 0 manifestation à Paris contre la guerre d’Algérie, la répression policière fait neuf morts (tous membres de la CGT, dont huit du PCF) et 250 blessés. Des milliers d’arrêts de travail ont lieu et toute la vie économique est suspendue. En mars, les « Accords d’Évian » mettent fin à cette guerre colonialiste.

1968 Un mois de mai très occupé 0 10 millions de grévistes occupent leurs usines et la France du travail s’arrête. Signature des « Accords de Grenelle ». Bilan 0 augmentation du salaire minimum de 35 %, hausse en moyenne de 10 % des salaires réels et la reconnaissance des droits syndicaux dans l’entreprise.

1981-1982 Soutenu par les syndicats, un socialiste est élu à la présidence de la République, 44 élus du PCF siègent à l’Assemblée nationale. Quatre ministres communistes participent au gouvernement de gauche. D’importantes mesures sociales sont votées 0 nationalisation de cinq groupes industriels, 39 banques et deux compagnies financières, impôt sur les grandes fortunes, semaine de 39 heures (payées 40), une 5e semaine de vacances payée, la retraite à 60 ans, extension des libertés syndicales dans l’entreprise, etc.

1995 La CGT a 100 ans. Hiver de la colère en décembre, 5 millions de grévistes défendent la sécurité sociale, l’égalité d’accès des citoyens aux services publics, les entreprises d’État menacées de privatisation (postes, télécommunications, transports publics, gaz-électricité, etc.), les acquis de 1946-1968-1982. Par son histoire, la classe ouvrière française démontre qu’il est possible de « déstabiliser » sérieusement le système capitaliste !|194| 
445|La locomotive des 35 heures est en Belgique|Pierre Klépock|

Au pays des métallos



Avec un taux de 68 %, la Belgique, région de la métallurgie en Europe, se situe parmi les pays les plus syndicalisés au monde, juste après les pays scandinaves. La puissante Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) rassemble 1 200 000 membres. Pour faire connaître une autre culture syndicale, l’aut’journal s’est rendu à Bruxelles rencontrer Nico Cue, secrétaire national et Johan Vanbuylen, adviseur de la Centrale des métallurgistes de Belgique (CMB-FGTB), regroupant 180 000 métallos.

Très à gauche, la FGTB est une centrale socialiste, revendiquant le « contrôle ouvrier » et des réformes de structure anticapitaliste. Son principe d’action est « négocier quand c’est possible, se battre chaque fois que nécessaire ». Fondée en 1898, la FGTB travaille à la réalisation des revendications immédiates des travailleurs. « Cette société n’est pas égalitaire, le combat des travailleurs pour disposer de leur outil de travail continue. Les bénéfices des entreprises doivent revenir au social et on est contre le système capitaliste. Notre organisation essaie d’avoir des leviers de contre-pouvoir ou de pouvoir sur tout ce qui touche le fonctionnement de la société pour essayer de la transformer », déclare Nico Cue.

Une RTT bien amorcée

« Dans la métallurgie, nous sommes pratiquement tous à 36 heures/semaine depuis 1985. L’objectif des 36 heures est né dans les années soixante-dix. On a demandé aux métallos d’être la locomotive de la RTT. On a d’abord commencé la lutte dans certains bassins de la métallurgie, notamment à Liège et à Anvers, contre le patronat local. Des usines se sont mises en grève et nous sommes passés à la fin des années soixante-dix à 38 heures pour ensuite passer à 36 heures/semaine. Dans les gros bastions de la métallurgie et de la sidérurgie, nous sommes passé à 35h 30 semaine depuis la dernière convention collective », poursuit Nico Cue.

Un accord gagnant chez Volkswagen

« À l’usine Volkswagen, nous avons commencé une lutte sur la RTT en 1998 et réussi à obtenir, l’an passé, la semaine de 32 heures sans perte de salaire avec création d’emplois, suite à une dure grève qui a touché 4 500 travailleurs. Ce qui a permis l’embauche de 1 500 travailleurs, passant de 4 500 à 6000 salariés dans l’entreprise », ajoute Johan Vanbuylen. Précisons que 80 % des ouvriers métallurgistes sont syndiqués en Belgique et que les non-syndiqués sont quand même à 39 heures semaine. Actuellement, les syndicalistes de la FGTB discutent de la possibilité de passer à la semaine de quatre jours sans perte de salaire, sans annualisation du temps de travail, avec embauche et maintien du statut de travailleur à temps plein, dans la plupart des branches industrielles, en convergence sur les lois française et italienne sur les 35 heures.

Un siècle de solidarité

Historiquement, la FGTB est née dans les grands bastions ouvriers miniers, textiles, verriers, sidérurgiques et métallurgiques... où elle a connu de nombreuses grèves insurrectionnelles, surtout dans la Wallonie « Rouge » (région francophone). Elle est rapidement devenue un moteur de l’action sociale. Elle est présente dans tous les secteurs industriels, économiques, administratifs et sociaux. La FGTB a mené tout au long de son existence de nombreux combats et elle est à l’origine de nombreuses conquêtes sociales. La centrale socialiste a beaucoup de liens fraternels avec la CGT-France. Après plus de 100 ans d’existence, la FGTB est convaincue que la solidarité est et reste le seul choix d’avenir.|194| 
446|Les 35 heures partout en Europe|Pierre Klépock| La lutte pour la RTT sans perte de salaire est une revendication du mouvement ouvrier international. Votée en France en juin 1998, définitivement adoptée en décembre 1999, la durée légale du travail, fixée à 35 heures depuis le 1er janvier 2000, intéresse l’Europe syndicale. La FTM-CGT échange avec d’autres syndicats afin d’imposer la RTT au patronat européen. Alain Mennesson, animateur du collectif fédéral des 35 heures, fait le point.

J’ai participé à une journée d’étude en Belgique, avec des syndicalistes belges, hollandais, italiens et portugais. Ce groupe européen de la sidérurgie, composé de camarades voulant des informations sur la RTT en France, va lancer des batailles qui vont déferler sur l’Europe », avertit Alain Mennesson. Déjà, en Italie, les députés socialistes et communistes ont voté une loi abaissant la durée légale du travail à 35 heures par semaine. Les métallos allemands ont aussi les 35 heures hebdomadaires.

Améliorer les 35 heures

« En France, il faut obtenir des compléments législatifs et des décrets supplémentaires. Le temps de travail est actuellement fixé par deux dispositions 0 les 35 heures hebdomadaires ou les 1 600 heures annuelles. Les patrons ont la possibilité d’imposer l’annualisation du temps de travail en faisant, par exemple, travailler les gens 25 heures une semaine et 45 heures la suivante, sans dépasser 1 600 heures annuellement », commente-t-il.

Des résultats différents

« La loi oblige les négociations et entraîne des résultats différents d’une entreprise à l’autre, en fonction des forces syndicales en présence 0 soit l’annualisation du temps de travail soit, quand le syndicat est assez puissant, les 35 heures/semaine ou encore le remplacement de la RTT par 23 journées de congés supplémentaires. La CGT veut faire modifier la loi pour empêcher de telles disparités. En Europe, les salariés vont s’emparer des 35 heures et, petit à petit, on y viendra », prévient l’animateur. Pour la CGT, les 35 heures sont des droits nouveaux à conquérir à l’échelle européenne et internationale. Qu’en est-il en Amérique lorsqu’on sait qu’en France, au 23 août dernier, 38 000 accords d’entreprise concernant les 35 heures ont été enregistrés, couvrant 3,9 millions de salariés ?

L’exception française

En plus de 100 ans d’histoire, la CGT n’a jamais laissé tomber la classe ouvrière. Malgré 10 % de taux général de syndicalisation, la capacité de mobilisation des salariés est beaucoup plus grande qu’ailleurs dans le monde. Les chiffres et les comparaisons internationales des taux de syndicalisation cachent bien des choses. Car l’adhésion à un syndicat en France est libre et volontaire. L’engagement syndical y est une démarche militante et de classe. Rappelons aussi que le Parti communiste français regroupe 250 000 adhérents, représente 10% de l’électorat, 909 municipalités communistes, 36 députés et 15 sénateurs. C’est un des partis de gauche les plus puissants du monde. Les actions de masse de la CGT et du PCF ont fait surgir des législations sociales (liberté syndicale, droit de grève, protection sociale, services publics), plus articulées qu’en Amérique du Nord.|194| 
447|Des règles sociales internationales|Pierre Klépock| Avec les négociations à venir au Québec sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), l’aut’journal a voulu faire connaître un aut’point de vue sur l’inclusion de clauses sociales dans les traités commerciaux.

Face à l’Union européenne et la mondialisation capitaliste, la CGT avance l’idée de rénover l’Organisation internationale du travail (OIT), contre le pillage des richesses nationales par quelques-uns, contre l’aggravation du fossé entre pays riches et pays pauvres. Jean-François Carré, chargé des questions internationales à la FTM-CGT, nous explique.

Il n’y a rien à mettre à la place de l’OIT. La CGT n’est pas pour l’inclusion de clauses sociales dans les traités commerciaux. Ça voudrait dire que la clause sociale est directement sous l’objectif du patronat. La vocation d’un traité commercial est de régler les rapports capitalistiques entre les États et les multinationales. On pense qu’à chaque traité commercial, il devrait y avoir la mise en place d’une Commission tripartite entre les États, les patrons et les syndicats, pour examiner si les conventions de l’OIT sont respectées dans ce traité. Ce qui laisserait toute liberté à l’OIT pour inciter les États à faire respecter les droits humains », déclare le syndicaliste.

Inventer de nouveaux droits

« L’OIT est la seule organisation de l’ONU comprenant une représentation des salariés. Quelque part, ça gêne le grand capital et les États qui veulent son dépérissement. La réponse à cette tentative de prise en main par le capital de l’OIT doit être au contraire la rénovation des conventions de l’OIT, l’invention d’un certain nombre de nouveaux droits. Un tribunal pénal international du travail serait-il souhaitable ? Il faut réfléchir à toutes ces questions par rapport à la mondialisation, aux restructurations régionales capitalistiques et trouver comment porter des plaintes et imposer des réparations aux salariés qui sont victimes de ces opérations capitalistes », conclut Jean-François Carré. |194| 
448|La lutte de classe se poursuit|Pierre Klépock|

Dans le Nord-Pas-de-Calais



Du siège de la fédération des métaux à Paris, l’aut’journal s’est déplacé dans le Nord de la France, rencontrer Hervé Brocail, secrétaire-général de l’Union syndicale des travailleurs de la métallurgie (USTM-CGT) du Pas-de-Calais, région marquée par les luttes ouvrières et les grèves insurrectionnelles. Véritable « bastion rouge » de la CGT, nous avons demandé à un ouvrier sortant d’une grève, pourquoi il en est membre ? « Parce que c’est le seul syndicat qui emmerde les patrons ! » Pour vous convaincre de la combativité des gens du « Pays de Germinal », environ une quarantaine de municipalités sont communistes...

Le Nord-Pas-de-Calais est la deuxième région où le nombre de grèves est le plus élevé, tout de suite après la région parisienne. « Notre région a une histoire de lutte de classe et le mouvement syndical a été forgé dans les conflits des mines, du textile et de la sidérurgie. Lutter est une tradition chez nous. Juste ces dernières semaines, une dizaine d’entreprises ont connu des conflits avec piquets de grève et occupations des locaux, sur les salaires, les qualifications et l’application des 35 heures. Dans ce contexte de lutte, les patrons menacent les militants de la CGT qui sont les précurseurs de ces grèves », nous raconte Hervé Brocail.

Imposer les 35 heures

Selon la CGT, le temps nécessaire à la fabrication d’une voiture a été divisé par deux en l’espace de dix ans; il fallait encore 18 000 heures de travail pour construire un moteur d’avion en 1995 contre 8900 heures seulement aujourd’hui... Puisque nous produisons plus et mieux avec moins de travail, il paraît légitime de travailler moins longtemps. « La loi des 35 heures doit imposer une réduction du chômage et l’amélioration des conditions de vie au travail, permettre l’avancement de l’âge de la retraite avec un départ, une embauche, et maintenir le pouvoir d’achat des salariés avec augmentation des minima salariaux », argumente Hervé Brocail.

Pas de partenariat patronal-syndical

« À la CGT, on ne considère pas le patronat comme un partenaire social. Tant qu’il n’y a pas de rapport de force bien établi, le patronat ne s’assoit pas à la table de négociation. Il préfère de loin négocier avec des organisations syndicales réformistes ou social-démocrates, plutôt que de répondre à l’ensemble des besoins revendicatifs des salariés. Les seules occasions où le patronat veut négocier de lui-même, c’est quand il veut remettre en cause des dispositions dans les conventions collectives. Nous considérons qu’un vaste rapport de force est nécessaire pour permettre aux salariés de contrôler leur vie économique et politique dans l’entreprise, dans leur localité et leur pays », précise le syndicaliste.

Une affirmation de classe

De par ses statuts, la CGT « combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat ». Elle défend la démocratie à tous les niveaux, dans tous les domaines, une démocratie qui ne peut s’arrêter à la porte des entreprises. « On pratique toujours un syndicalisme de combat et de classe. Ceux qui disent que la lutte de classe est périmée, dépassée, qui prônent l’abandon ou qui essaient de l’évacuer des syndicats en disant que ça n’existe plus, ont intérêt à ce que le syndicalisme soit moins revendicateur et militant. Notre souci permanent, c’est de mesurer l’état de notre propre rapport de force », déclare le militant syndical.

La CGT indépendante de tout parti politique

La CGT ne s’assigne pas le rôle d’agitateur pour ensuite déléguer à un parti politique le mouvement social. Politiquement neutre, elle ne s’empêche pas d’être présente dans le mouvement de transformation social. « Historiquement, il y a eu des liens très forts entre le PCF et la CGT pour des raisons qui sont fort simples à comprendre 0 les communistes ont toujours défendu la classe ouvrière. C’est pas de notre faute si le choix des sociaux-démocrates ou de la droite est de ne pas défendre les salariés. La CGT a une indépendance syndicale, vis-à-vis du patronat, du gouvernement et enfin de tous les partis politiques, et notre identité première est de combattre l’exploitation capitaliste », conclut notre camarade.|194| 
449|Les typographes de The Gazette ont gain de cause en Cour suprême après une bataille qui a duré sept ans|Jacques Larue-Langlois|

Une victoire qu’on a pris soin de taire



Dans une décision majeure rendue publique à la mi-octobre et dont les grands médias n’ont pas cru bon de se faire l’écho, la Cour suprême du Canada a donné raison aux typographes du quotidien montréalais The Gazette, privés de travail depuis sept ans et que le journal devra réembaucher.

Le tribunal maintenait ainsi la décision de deux instances inférieures en refusant d’entendre l’appel de l’employeur qui contestait des sentences arbitrales rendues en faveur des syndiqués, en 1996 et en 1997. « Il s’agit d’une grande victoire pour ces travailleurs, sans emploi depuis le 17 mai 1993 », a déclaré Michel Handfield, président de la section locale 145 du Syndicat des communications, de l’énergie et du papier, affilié à la FTQ (près d’un demi-million de membres).

Victoire historique, pourrait-on ajouter, du plus vieux syndicat en Amérique, fondé en 1870. Les syndiqués ont maintenu les lignes de piquetage de façon quasi continue pendant sept ans en plus de participer à des centaines d’autres manifestations destinées à cimenter leur solidarité et à publiciser le conflit. Ils sont parvenus à tenir tête à un patron méprisant grâce à ce puissant syndicat, qui a pu verser des indemnités de subsistance à ses membres pendant tout ce temps.

Le journal, partie de la chaîne Southam News, contrôlée par le groupe Hollinger, propriété du nabab exploiteur Conrad Black, n’a pas cessé d’afficher des profits faramineux dépassant les dizaines de millions de dollars par année, depuis le lockout qui affectait les 63 typographes à son emploi, en 1993. La partie patronale invoquait alors les progrès technologiques lui permettant de se dispenser de ces ouvriers spécialisés dont le salaire moyen se situait alors autour de 55 000 $ par année.

Pour épargner 22 millions de dollars en salaires (55 000 x 57 typographes x 7 ans) ce qui constitue moins d’un tiers des profits nets réalisés par l’entreprise au cours de la seule année 1994, The Gazette a embauché du nouveau personnel, à des conditions de travail et de salaire réduites de moitié, violant la garantie de sécurité d’emploi prévue à la convention collective signée avec ses employés. Ce document, signé en 1982 alors que le journal employait quelque 200 typographes, assure « un emploi régulier à temps plein dans la salle de composition, jusqu’à l’âge de 65 ans ».

Des 63 lockoutés initiaux, dont l’âge moyen était de 57 ans en 1993, au moment où a éclaté le conflit, 52 ont pris leur retraite ou accepté des plans de compensation concoctés par l’employeur. Quant aux onze qui ont tenu le coup durant ces années, le journal devra, par suite de cette décision, les réintégrer dans leurs fonctions et respecter la garantie d’emploi, ou les dédommager entièrement pour les pertes de revenu subies par suite du conflit.

Cette lutte des typographes montréalais constitue une bataille exemplaire et son issue aura nécessairement des effets d’entraînement sur la sécurité d’emploi de plus de 2 000 autres typographes et salariés de journaux, au Québec et au Canada. On peut imaginer que les discussions devant mener à une entente finale dureront quelques semaines encore et que le richissime patron devra se faire tirer l’oreille pour accepter de se soumettre à une décision pourtant irrévocable du plus haut tribunal du pays.|194| 
450|Le Lac Saint-Jean prend la rue|Gabriel Sainte-Marie|

La colère des sans-emploi déborde



Trois mille personnes, en grande majorité des travailleurs de la construction et des travailleurs forestiers, mais aussi des femmes et des enfants, ont marché quatre kilomètres dans les rues d’Alma au Lac Saint-Jean le 4 octobre dernier pour protester contre le régime d’assurance-chômage. À signaler que la manifestation était organisée par le comité de chômeurs du coin.

Deux mille cinq cents personnes dans les rues d’Alma, c’est l’équivalent d’au moins 50 000 personnes dans les rues de Montréal. Mais, pour tout reportage, le journal local, Le Quotidien, s’est limité à une photo en page 16 avec une vignette ! Une honte ! Une insulte à la population de la région !

Pour contourner ce boycottage médiatique, des membres du Comité des chômeurs sont venus manifester à Montréal le vendredi 6 octobre. L’aut’ journal a rencontré un de ses porte-parole 0 Bruno Lévesque.

Lévesque était sidéré par le traitement journalistique du Quotidien. « Ils ont mis un petit médaillon représentant trente personnes dans la page des décès, alors qu’on était plus de 2 500 personnes. » Pourtant, le journal ne pouvait invoquer la surprise. Une semaine plus tôt, trois mille personnes défilaient dans les rues de Chicoutimi pour la même raison.

De plus, les chômeurs ont fait en sorte que le ministre Cauchon ne puisse pas annoncer un investissement de 90 000 $. Bruno Lévesque raconte 0 « On était 90 personnes à lui crier0 “ Chez vous ! Chez vous ! Tu reviendras dans la région quand t’auras fait tes devoirs. ” »

Les chômeurs ont également empêché que se tienne la conférence de presse du député Harvey – celui que Chrétien appelle Tremblay – prévue pour annoncer qu’il virait capot et passait des conservateurs aux libéraux.

Vendu, Le Quotidien est à vendre

D’ailleurs, certains soupçonnent un lien entre cet événement et la piètre couverture de la manifestation d’Alma par Le Quotidien.

D’autre part, Le Quotidien, propriété de Conrad Black, est à vendre et l’acquéreur probable est Paul Desmarais. Les liens de ce dernier avec le Parti libéral sont bien connus (le fils Desmarais a marié la fille de Jean Chrétien). La question se pose alors 0 la direction du Quotidien veut-elles trouver grâce aux yeux de Desmarais afin de pouvoir conserver ses postes ? Minimiser tout ce qui pourrait nuire aux chances de réélection du nouveau candidat libéral, le député André Harvey, irait en ce sens.

La colère des sans-emploi

Parties de la Gaspésie, pour s’étendre ensuite à la Côte-Nord, à Charlevoix et maintenant au Saguenay-Lac-Saint-Jean, les manifestations des sans-emploi trouvent leur source dans le nouveau zonage défini par le gouvernement. Par exemple, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, des travailleurs œuvrant dans un autre secteur que celui délimité par la zone Chicoutimi – La Baie – Jonquière, voient le nombre d’heures nécessaires pour se qualifier au régime passer de 420 à 525 heures de travail. Plusieurs travailleurs de la construction et salariés saisonniers se verront ainsi privés des prestations d’assurance-emploi.

En fait, la colère est profonde parce que seulement quatre chômeurs sur 10 ont maintenant droit à l’assurance-chômage. Une colère d’autant plus justifiée que le ministre des Finances Paul Martin se vante de s’être accaparé des surplus de 30 milliards $ de la Caisse de l’assurance-emploi.

C’est du vol qualifié, car le régime fonctionnant sur le principe de l’assurance, les surplus devraient servir à augmenter les prestations. D’ailleurs, le mouvement des chômeurs place au sommet de sa liste de revendications l’établissement d’une commission autonome chargée de gérer le régime.

De plus, le mouvement réclame de ramener le taux de prestation à 60 % du salaire, de revenir aux critères d’admissibilité de 1996 et que le nombre d’heures nécessaires pour se qualifier soit le même partout.

« Le peuple n’est solidaire que lorsque confronté aux difficultés, comme lors du déluge au Saguenay ou du verglas », nous dit Bruno Lévesque. « Dans deux ans, on va être solidaires, parce qu’il va y avoir pas mal de monde dans la misère. C’est le gouvernement qui fabrique les révolutionnaires et c’est vers ça qu’on s’en va ! », nous a-t-il déclaré.|194| 
451|Les travailleurs intellectuels ne cessent pas d’être des ouvriers|Jacques Pelletier| La classe ouvrière existe-t-elle toujours ? Certains, on le sait, le mettent en doute sous prétexte que celle-ci se serait non seulement recomposée mais serait disparue suite aux bouleversements engendrés par la révolution technologique.

Du coup, certains éléments de la classe auraient connu une sorte de promotion sociale qui leur aurait permis d’accéder à la vaste nébuleuse que constituerait la « classe moyenne ». D’autres, par ailleurs, auraient subi un déclassement par le bas, devenant chômeurs puis assistés sociaux, et étant donc exclus de la vie sociale active.

Qu’en est-il en réalité ? L’essai publié récemment par Marie Nicole l’Heureux sur les papetiers de Windsor est de nature à remettre en question ce lieu commun de l’idéologie dominante. Non seulement la classe ouvrière existe toujours, mais elle conserve encore aujourd’hui une conscience claire de ce qui la caractérise et la distingue des autres groupes sociaux, en particulier des patrons dont elle sait très bien qu’ils appartiennent à un « autre monde » dont les intérêts sont différents des siens.

Cela apparaît clairement au terme d’une enquête qu’elle a menée auprès des papetiers de Windsor confrontés à une innovation technologique proposée par les patrons et qui était de nature à remettre en question non seulement leurs habitudes de travail mais leur conscience collective elle-même et leur appartenance au milieu social très dense de la ville de Windsor.

Des travailleurs manuels intellectuels

Au milieu des années 1980, la Domtar, pour soutenir la concurrence au niveau international, doit moderniser ses installations de l’usine de Windsor, qui constitue elle-même le cœur de cette petite municipalité. Cette opération de modernisation implique la formation des travailleurs aux nouvelles technologies et ils seront associés à cette démarche, à la fois comme « étudiants » et comme instructeurs. L’expérience n’est pas banale 0 elle suppose un changement complet du rapport au travail, à la production qui ne procède plus de la manipulation directe des machines mais de leur contrôle par l’intermédiaire des ordinateurs. Les ouvriers, de travailleurs manuels qu’ils étaient jusque là, deviennent des travailleurs intellectuels pour ainsi dire, sans cependant que leur maîtrise du processus global de production augmente pour autant.

Comment ce profond changement a-t-il été vécu par les ouvriers ? C’est à cette question que l’auteure s’attarde essentiellement dans son ouvrage et qu’elle analyse à partir des témoignages des acteurs largement mis à contribution, non sans quelques répétitions et redondances à l’occasion. Il en ressort que le stress est plus important dans la nouvelle usine que dans l’ancienne, que les rapports entre les ouvriers et la direction sont devenus plus formels et plus distants, et parfois conflictuels notamment avec les ingénieurs, que les liens entre les travailleurs eux-mêmes sont moins directs et moins chaleureux, la nouvelle organisation de l’entreprise conduisant à une plus grande spécialisation et menaçant du coup l’esprit d’équipe.

La fierté ouvrière est toujours là

La modernisation a un prix 0 elle favorise la formalisation et l’abstraction des rapports de travail et met en péril la longue tradition communautariste du groupe. Celle-ci peut survivre à condition que les travailleurs s’approprient les nouveaux instruments de travail, comme c’est progressivement arrivé à Windsor, et qu’ils conservent un sentiment d’appartenance collective. Or, signale l’auteure dans sa conclusion, il semble bien que ce soit le cas, la révolution technologique ayant entraîné une réaffirmation de la conscience « fière » des papetiers de Windsor.

Cette conscience collective forte ne se traduit pas nécessairement sur le plan politique ni même sur le plan de la militance syndicale. Le syndicat des papetiers a mené ses grandes luttes avant la construction de la nouvelle usine et la modernisation de l’entreprise. Mais sa cohésion sociale demeure et c’est l’essentiel car elle constitue la donnée de base à partir de laquelle de nouvelles luttes pourront éventuellement apparaître dans le cadre d’un projet de transformation global de la société faisant place à l’autonomie et à l’initiative ouvrières.

On trouvera dans le livre de Marie Nicole L’Heureux un portrait d’autant plus juste de ce groupe qu’il est d’une certaine manière le produit des acteurs eux-mêmes. Pierre Vadeboncoeur, dans sa préface, insiste avec raison sur le caractère original d’une démarche qui s’appuie essentiellement sur les témoignages des intéressés qui dressent ainsi eux-mêmes un portrait de leur groupe et de sa façon de lire le monde et de s’y inscrire, en tenant compte à la fois des exigences du présent et des enseignements d’une longue tradition de fraternité et de solidarité agissante.|194| 
452|Le grand Charles, Roger, Jean et Dédé|Michel Lapierre| Roger Taillibert est un architecte qui embrasse tout du regard et sait distinguer les choses de très loin. Aussi se permet-il d’envoyer des lettres directement au ciel, à son très cher ami Drapeau. Il ose même faire entendre du bout de sa plume une voix d’outre-tombe 0 celle du général de Gaulle. N’est-ce pas la meilleure façon d’interpeller le Québec, la France et le monde entier ? « Notre cher stade olympique », dit-il en substance à Jean Drapeau, est l’une des « voix du silence », dont parlait Malraux, la voix même du Québec, plus québécoise que les Québécois, « plus humaine que le monde », qui défie la mort et les galaxies en se moquant de « la nuit qui ne connaît pas l’Histoire ».

On se doute un peu que la hauteur de vues de Taillibert ressemble à celle de Drapeau. Mais le petit homme en noir, fédéraliste impénitent et politicien de droite jusqu’au bout des ongles, que l’architecte se plaît à décrire comme un notaire de province tranquille et doux, ne contemplait le stade que de la pelouse de sa modeste demeure du Nouveau Rosemont. Taillibert, lui, le regardait à partir du chemin du Roy, qu’il avait suivi, en juillet 1967, derrière la limousine de De Gaulle. Son livre Notre cher stade olympique fait pendant au tome III de C’était de Gaulle, d’Alain Peyrefitte.

Le stade 0 symbole de l’indépendance du Québec !

Taillibert et Peyrefitte ont écrit les deux livres que Drapeau aurait tant voulu écrire 0 la réponse au juge Malouf sur l’affaire du stade et l’essai sur la signification du « Vive le Québec libre ! ». Si Peyrefitte donne tout à fait tort à Drapeau en prouvant, citations à l’appui, que le Général savait parfaitement ce qu’il disait, Taillibert donne raison au maire en affirmant que le stade est une étonnante réussite artistique, sociale et même financière. Mais l’architecte va au-delà de ce que Drapeau aurait pu imaginer. Dans l’esprit de Taillibert, le stade olympique de Montréal, réalisation franco-québécoise, devient le symbole gaullien de l’indépendance future du Québec !

Taillibert révèle que les ennemis du maire étaient plus réfléchis qu’on ne le croyait et que ses amis n’étaient pas toujours de vrais amis. Il voit dans l’affaire du stade un véritable « roman policier ». On reconnaît bien là les Français, me direz-vous. Toujours aussi imaginatifs, toujours aussi théâtraux ! Mais de Gaulle nous a prouvé que le théâtre était parfois plus vrai que la vie. Taillibert dit à Drapeau 0 « Rien d’autre ne comptait que de réduire votre puissance, tant à Ottawa qu’à Québec. » Les ennemis étaient les Canadiens anglais et même les Américains ; les faux amis, Pierre Elliott Trudeau, Robert Bourassa, Paul Desrochers, Lucien Saulnier, Bernard Lamarre…

En plein cœur de l’est de Montréal

Le stade et les Jeux olympiques mettaient Montréal, et par conséquent le Québec, en vedette à travers le monde, tout particulièrement au sein de la francophonie. Drapeau insistait sur le caractère désintéressé de l’olympisme, doctrine formulée par le Français Coubertin, rénovateur des Jeux. Faire de la rue Boyce l’avenue Pierre-de-Coubertin et construire le stade, en plein cœur de l’est de Montréal, dans la circonscription très ouvrière et très péquiste d’Hochelaga-Maisonneuve, c’était finalement un peu plus qu’une question de détail. Même aujourd’hui, des amateurs de baseball anglophones ont peur, dit-on, de perdre leur âme en se rendant si loin dans le East End.

En fait, deux conceptions du sport s’affrontaient secrètement, à cause du symbole qu’était vite devenu le stade olympique 0 la conception universaliste, qui permet à des athlètes des pays de l’Est et des nations du tiers monde de rivaliser avec des athlètes occidentaux, et la conception américaine du sport professionnel et capitaliste, dont Maurice Richard fut pour nous à la fois le héros et la victime. Drapeau, qui ne savait même pas lancer un ballon, se doutait-il qu’opposer Coubertin aux sportifs de taverne, c’était un peu révolutionnaire ?

Le mot « culture » pour parler du sport

Taillibert, en tout cas, est convaincu qu’il s’agissait là d’une grande audace. Peut-on lui donner tort ? Il n’y a guère de réalité plus populaire que le sport, succédané pacifique de la guerre ; et les engouements du peuple ne trompent jamais. Deux conceptions du sport cachent nécessairement deux conceptions du monde. Taillibert rappelle que les Américains détestaient de Gaulle et regardaient comme une horreur sa vision de l’équilibre des forces internationales, contre-pied de leur impérialisme. La francophobie des Québécois, dont il a lui-même beaucoup souffert, Taillibert en voit la cause dans l’influence omniprésente des États-Unis. Le sport professionnel américain – représenté, chez nous, par le hockey et le baseball – n’est-il pas la liturgie de l’Oncle Sam – de Papa Boss, dirait Ferron – et la bière, sa Sainte Communion ? À côté de ça, le football universel, que les Américains appellent le soccer, fait figure de sport indigène et prolétarien, de divertissement de va-nu-pieds et de communistes. Les Canadiens anglais ont assez d’intuition pour savoir que la disparition du hockey et du baseball professionnels au Québec serait une catastrophe politique. Elle mènerait tôt ou tard au reniement d’une religion continentale, garante de la Confédération. Ce n’est pas pour rien qu’ils emploient le mot « culture » pour parler du sport.

Les aspects techniques et financiers de la rocambolesque histoire du stade olympique ne se comprennent, en effet, qu’à la lumière de la culture. En imposant le béton précontraint, Taillibert suscite l’hostilité de nos ingénieurs qui, formés à l’américaine, méconnaissent ce procédé, mis au point dès 1928 par l’ingénieur français Eugène Freyssinet. C’est pourtant la méthode qui permet d’obtenir ces belles lignes courbes qui feront du stade une œuvre originale et vivante. Ce n’est pas un stade, diront les détracteurs, c’est une sculpture. Pour donner à l’endroit une touche authentiquement québécoise, Drapeau exige qu’on commande des fontaines à notre plus grand sauvage 0 Jean-Paul Riopelle, admirateur de Maurice Richard et témoin du génie populaire.

Au Ritz, avec Dédé Desjardins

Mais les jaloux, ingénieurs et hommes politiques, n’ont eu qu’un mot à la bouche 0 déficit. Taillibert leur répond 0 « Les Jeux olympiques ont rapporté indirectement à l’économie du Québec un montant égal à plus du double du coût des investissements... » Et tout ça a été rendu possible, précise-t-il, grâce à Dédé Desjardins. Eh oui ! C’est lors d’un repas au Ritz-Carlton, raconte-t-il, que Drapeau a demandé à Dédé, l’audacieux syndicaliste, d’achever les travaux de construction du stade à temps pour l’ouverture des Jeux. Par-delà le bien et le mal, le stade serait à la fois l’expression du génie de Taillibert et celle de la toute-puissance de Dédé, bref la symbiose parfaite de l’artiste français et de l’ouvrier québécois…

Le général de Gaulle n’avait-il pas dit, en 1967, à Mme Drapeau 0 « Madame, votre époux est un grand homme. » Taillibert rapporte ces paroles en rappelant que Drapeau était pétainiste, lors de la Deuxième Guerre mondiale, et que lui, le créateur du stade, était gaulliste et résistant. Son ami Prosper Legourd, déporté à Buchenwald, « mourut deux heures après l’arrivée des troupes alliées sans jamais avoir révélé un seul nom ». Si Legourd avait parlé, Taillibert affirme qu’il n’aurait pas été là pour dessiner les plans du stade olympique.

Ce n’est pas pour rien que l’architecte rapporte la suite du dialogue entre de Gaulle et Mme Drapeau. « Pourquoi avez-vous utilisé le slogan des ennemis de monsieur Johnson ? », demanda-t-elle à propos du « Vive le Québec libre ! ». Après avoir pris une grande respiration, le Général répondit 0 « Madame, quand j’ai choisi de faire quelque chose, rien ne m’arrête, je le fais. » C’était d’une nécessité absolue comme l’existence du stade olympique de Montréal, laisse deviner Taillibert.

Roger Taillibert, Notre cher stade olympique, Stanké, 2000.|194| 
453|Merci, monsieur d’Allemagne|Jean-Claude Germain|Pierre Bourgault profite de cette préface pour rendre hommage à celui qui fut son maître, un des fondateurs et la tête pensante du regretté RIN (1958-1968), le Rassemblement pour l’indépendance nationale 0 «D’Allemagne m’a tout appris », reconnaît-il simplement. « Ses discours étaient si intelligents et si justes que quarante ans plus tard, je suis toujours indépendantiste. »

Dorénavant, Papineau se sent moins seul

Avoir de la suite dans les idées est une qualité rare que Bourgault n’est pas le seul à posséder, il la partage avec toute une génération. Faut-il souligner que c’est là un phénomène nouveau et sans précédent 0 la persévérance dans les convictions politiques n’a jamais été un trait du caractère québécois. Peu importe les divers noms qu’on a donné à La Cause, c’est toujours le même combat, des Patriotes aux Jeune-Canada de Laurendeau, en passant par les Rouges des frères Dorion et les Nationalistes de Bourassa et de Lavergne, la fidélité d’une génération politique à la cause de l’indépendance n’a jamais dépassé vingt ans.

Tout le XIXe siècle n’a connu qu’une seule exception à la règle, mais elle est de taille 0 Louis-Joseph Papineau est demeuré « le même en tout » pendant plus de soixante ans. De toutes les choses que la classe politique lui a reproché, c’est la seule qu’elle ne lui a jamais pardonné. Que de fois depuis n’a-t-on pas déploré « le manque de souplesse » du grand tribun ?

Quand la réponse est claire, la question le devient

Comment expliquer la brusque mutation qui s’est produite dans le comportement politique il y a maintenant une quarantaine d’années ? Dès 1966, André d’Allemagne, qui n’est pourtant pas porté à l’emphase, revendique pour son mouvement de libération la paternité de cette transformation inespérée. « En cinq ans, le RIN et le mouvement indépendantiste, dans son ensemble, ont fait plus pour le Québec que nos partis traditionnels et nos mouvements patriotiques depuis un siècle de Confédération. » Avec le recul du temps, c’est un jugement qu’entérine la suite des événements jusqu’à aujourd’hui, en soulignant, comme le fait d’Allemagne dans un texte plus récent, que depuis, le mot indépendantisme, et son origine québécoise, ont fait leur entrée dans le dictionnaire Larousse.

« J’étais la fougue et la passion», se souvient Bourgault dans la présentation des écrits de son ancien compagnon d’armes. « Il était toute intelligence, toute rationalité, tout calme et sérénité. Ensemble nous étions terriblement efficaces. » L’orateur était aussi percutant que le penseur était incisif, mais leur force commune était la clarté d’exposition de leurs idées. C’est un art qui n’est plus à la mode.

La lutte qui s’annonce en 1963 n’est ni folklorique, ni archaïque. «Il existe en Amérique du Nord, non plus une minorité mais une nation qui entend désormais vivre son destin de nation, rappelle D’Allemagne lors d’une conférence de presse à Paris. Cette nation est la plus ancienne d’Amérique du Nord. Elle existait bien avant le Mexique, bien avant le Canada. De plus, par sa population, c’est la seconde nation française au monde. »

On est moins vaincu en français qu’en anglais

Ce qui distingue le Québec, ce n’est pas uniquement le fait de parler français mais l’exploit d’avoir su conserver sa langue. « Le plus puissant facteur d’évolution des langues est sans aucun doute le contact et l’occurrence d’un idiome étranger, généralement à la faveur d’une invasion militaire. C’est ainsi que les langues celtiques ont cédé la place au latin à mesure que les élites gauloises, s’engageant dans la voie de la “ collaboration ”, ont accepté de jouer un rôle dans l’administration romaine et ont adopté les méthodes, les institutions, les dieux et la langue des Romains, écrit D’Allemagne en 1960. Nous savons qu’en Nouvelle-France le conquérant a implanté ses institutions et tenté d’imposer sa langue. Se croyant incapables de reconquérir leur liberté par les armes, les Canadiens ont en quelque sorte transféré leur résistance du plan militaire au plan linguistique 0 le patriotisme s’est manifesté et se manifeste encore par la volonté de préserver la langue française. Cette lutte culturelle, qui se poursuit encore, a certes été relativement fructueuse puisque le Canada français présente actuellement le cas à peu près unique dans l’histoire d’une nation qui après avoir été conquise puis occupée pendant deux siècles a réussi à ne pas être assimilée sans cependant réussir à se libérer. »

Le talent de saisir l’événement dans l’événementiel

L’histoire a le dos large et lui laisser le soin d’être le dernier juge est une dérobade, très répandue dans le monde politique, comme on a pu le constater récemment lors du décès du fier PET. Rendre un jugement à chaud qui va tenir la route de l’histoire n’est pas le propre des universitaires ou des hommes politiques.

Au Québec, il n’y aura eu qu’André Laurendeau, jadis, et Pierre Bourgault, maintenant, à posséder ce talent rare de saisir l’événement dans l’événementiel. Il faut leur adjoindre André d’Allemagne. « Les libéraux avaient, il y a maintenant longtemps de cela, fait naître des espoirs de libération chez un peuple; ils avaient aussi adopté des méthodes politiques qui reposaient sur le dialogue avec la population,» analyse-t-il, en juin 1966, dans les jours qui suivent les élections qui ont porté l’Union nationale de Daniel Johnson à la tête du gouvernement. « Après quelques années au pouvoir, les Libéraux étaient déjà essoufflés et n’osaient plus pousser plus loin des réformes que l’on sentait cependant indispensables. De plus, on s’est bien aperçu qu’une fois encore, le poids des réformes, leur coût, allait retomber non pas sur les éléments privilégiés de notre société ni sur la grande entreprise favorisée par le régime, mais sur le gros de la population, c’est-à-dire les petits. La Révolution tranquille est morte bien avant le 5 juin 1966. »

De Gaulle et la bataille du RIN

De tous les commentateurs de la visite du général De Gaulle en 1967, D’Allemagne est l’un des rares à avoir identifié sur le champ, le principal effet de la déclaration du balcon. « La visite de De Gaulle a eu pour grand avantage de forcer les hommes et les groupes à se définir. Beaucoup d’illusions se sont éteintes. Drapeau a fait son choix du côté de la collaboration et est devenu la vedette du Canada anglais. Lesage nous a montré une autre fois son visage de petit politicien mesquin et sordidement démagogue. Lévesque a probablement raté sa dernière chance de servir le Québec. Aquin (François) s’est rangé du côté de ceux qui travaillent à la libération nationale. Johnson a agi avec dignité, en authentique chef d’État... il reste à voir maintenant s’il continuera. Et quant au RIN... hé bien, sans le RIN, rien de tout cela ne se serait produit. »

On l’oublie trop souvent 0 René Lévesque a quitté le parti libéral et fondé le Mouvement Souveraineté-Association à l’automne 1967. Puis le Parti québécois en 1968. « Vive le Québec libre ! » C’est le cri de ralliement du Rassemblement pour l’indépendance nationale. Merci, monsieur d’Allemagne.

Une idée qui somnolait, Écrits sur la souveraineté du Québec depuis les origines du RIN (1958-2000), André d’Allemagne, Comeau et Nadeau, Montréal, 2000.|194| 
454|Mickey Mouse et Ronald McDonald vont sauver l’ONU|André Maltais| L’ONU, seul contrepoids d’envergure internationale à la mondialisation, se lance dans la coopération avec le secteur privé international. Verrons-nous bientôt, devant les sièges sociaux des agences onusiennes, flotter les drapeaux de Nike et de McDonald’s entre ceux du Brésil et de la Tanzanie ? Entendrons-nous, lors d’un prochain Sommet de la Terre, un haut-fonctionnaire du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) donner la parole au représentant de Shell après que le délégué de l’Inde aura exprimé la position de son pays ?

Un rapport intitulé Tangle up in blue et signé Kenny Bruno et Joshua Karliner de l’organisme Corporate Watch nous apprend que, le 26 juillet dernier, à New York, Kofi Annan lançait officiellement le Pacte global (« Global compact ») par lequel toutes les agences de l’ONU sont encouragées à nouer des partenariats avec les plus grandes entreprises mondiales.

Ces agences comprennent le Bureau international du travail, le PNUE (environnement), le Haut-Commissariat pour les droits humains, le Programme pour le développement (PNUD), l’Unicef (enfance), l’Organisation mondiale de la santé, le Haut-Commissariat aux réfugiés et l’Unesco (science et culture).

Les entreprises « partenaires » n’auront qu’à publiciser leur allégeance à neuf principes (voir encadré) dérivés des accords des Nations Unies en matière de protection environnementale, de droits humains et de normes du travail sans qu’aucun mécanisme de contrôle ne soit prévu par le Pacte. L’ONU admet ne pas avoir les moyens d’exercer cette nécessaire surveillance ni d’imposer des sanctions à ses « partenaires » coupables de tricherie.

Viol, violation, violeurs !

Quelques jours à peine après avoir déclaré « non-éligibles à des partenariats avec l’ONU » les entreprises complices de violation des droits humains, Kofi Annan violait lui-même ce principe en invitant Shell (dont les « exploits » au Nigéria sont bien connus) à faire partie de l’Accord global.

En plus de Shell, Nike, McDonald’s, Walt Disney, Novartis et Aventis (génie génétique), BP Amoco et Chevron (pétrole), Rio Tinto plc (mines) et DuPont (produits chimiques), sont officiellement au nombre de la cinquantaine d’entreprises désireuses de se refaire une vertu en finançant les « bonnes causes » des Nations Unies.

Qui plus est, la Chambre de commerce internationale (organisme de défense des intérêts des plus grandes multinationales de la planète) constitue le principal appui au projet. Or, cette même Chambre travaille jour et nuit à affaiblir le moindre accord international visant à civiliser ses membres, accord à l’origine duquel on retrouve souvent l’ONU ou l’une de ses agences.

Des organismes tels Amnistie internationale et la Confédération internationale des syndicats libres appuient aussi le Pacte global, mais avec de plus en plus de réserves.

Le meilleur adoucisseur d’images, c’est l’ONU

Tout commence en janvier 1999, lors d’un discours prononcé par Kofi Annan devant les leaders du monde des affaires au Forum économique mondial de Davos. Le Secrétaire général de l’ONU met au défi les grandes multinationales « d’adoucir » leur image dans le monde sans quoi, dit-il, elles ne pourront « éviter les menaces qui planent sur le marché global ».

L’ONU, ajoute Annan, peut non seulement « humaniser » les multinationales en leur permettant de financer ses projets, d’utiliser ses logos, etc., mais elle s’engage aussi à créer des marchés pour les entreprises « converties » par l’entremise de ses activités partout dans le monde. Sur un plan plus général, Kofi Annan promet que l’ONU, si le Pacte global devient réalité, se fera l’avocate du libre-échange et des grands marchés ouverts.

Bref, « faire le beau » pour montrer aux États-Unis qu’ils n’ont plus aucune raison de retenir les centaines de millions en cotisations qu’ils doivent à l’organisme mondial !

Les neuf principes onusiens que doivent respecter les partenaires

1. Appuyer et respecter les droits humains à l’intérieur de leur sphère d’influence.

2. S’assurer qu’elles-mêmes ne sont pas complices d’abus contre les droits humains.

3. Reconnaître la liberté d’association et le droit à la négociation collective.

4. Éliminer toute forme de travail forcé ou coercitif.

5. Abolir le travail des enfants.

6. Éliminer toute discrimination à l’embauche et sur les lieux de travail.

7. Appuyer le principe de précaution en matière environnementale.

8. Mettre sur pied des initiatives pour promouvoir une plus grande responsabilité environnementale.

9. Encourager le développement et la diffusion de technologies respectueuses de l’environnement.

Les mauvaises pommes du baril

Haut-Commissariat aux réfugiés et Unocal 0

L’ancien haut-commissaire Sadako Ogata a co-parrainé deux rencontres du Forum des affaires humanitaires en compagnie de John Imle, président d’Unocal. Cette compagnie, partenaire de la junte militaire birmane dans le projet de construction du pipeline Yadana, bénéficie d’une main-d’œuvre forcée. Ses activités chassent des populations de leurs terres et valent à ceux qui résistent emprisonnement, torture et meurtre.

Unesco et Walt Disney 0

L’Unesco a permis à Disney d’utiliser son nom et son logo pour une cérémonie de remise de trophées aux « Jeunes rêveurs du millénaire » qui a eu lieu au printemps dernier, à Disneyland (Floride). Disney dont les films sont pleins de stéréotypes à caractère racial et sexuel, est la championne du « cheap labor » en Haïti.

PNUD et Chevron 0

La pétrolière Chevron finance un « Centre des affaires » au Kazakhstan dans le cadre d’un projet de « développement durable » du PNUD. Chevron s’est opposée à la convention de l’ONU sur le climat et le réchauffement global et provoque des dommages environnementaux au Texas, en Californie, en Indonésie et au Nigéria. Dans ce dernier pays, elle est poursuivie pour complicité de violations des droits humains.

UNAIDS et l’industrie pharmaceutique 0

UNAIDS (parrainé entre autres par l’Unicef et l’OMS) s’est associée à cinq géants pharmaceutiques (Bristol Myers Squibb, Glaxo Wellcom, Boehringer Ingelheim, Hoffman-LaRoche et Merck) pour officiellement faire baisser les prix des médicaments pour les Africains victimes du sida, prix que ces mêmes compagnies ont pourtant élevé à leur niveau actuel ! Mais des militants accusent ces compagnies de vouloir en réalité devancer les gouvernements africains et asiatiques pour s’emparer des brevets sur ces médicaments.

Pour le texte complet du rapport intitulé Tangle up in blue, voir le site web de Corporate Watch 0 (http0//www.corpwatch.org)|194| 
455|Crise mondiale du pétrole, sauf à La Presse|Pierre Dubuc|

La vérité selon Paul Desmarais



« Fausse crise du pétrole », c’est par ce titre que Frédéric Wagnière coiffe son long éditorial du 30 août. « Tempête dans un bidon d’essence », écrit une semaine plus tard Alain Dubuc. Un vent de panique s’empare des consommateurs en Amérique du Nord, la France et la moitié de l’Europe sont paralysées, l’attention de la planète entière est rivée sur l’augmentation des prix du pétrole. Mais, pour les éditorialistes de La Presse, « y’a rien là ! »

Les propos rassurants de Wagnière et Dubuc ne sont sans doute pas étrangers au fait que leur patron Paul Desmarais est, par l’intermédiaire du Groupe Bruxelles-Lambert (qu’il contrôle avec les frères Albert de Belgique), le principal actionnaire de la compagnie Total-Elf, quatrième plus importante pétrolière au monde. Paul Desmarais est l’un des seize membres du conseil d’administration de cette compagnie qui a enregistré une augmentation de 165 % de son bénéfice net au cours du premier trimestre.

Qui se souvient de la NEP ?

Elle est loin l’époque où Desmarais incitait le gouvernement canadien de Pierre E. Trudeau à ce que Pétro-Canada se porte acquéreur de Pétro-Fina, une compagnie belge, pour élargir son réseau de distribution à travers le Canada.

C’était en 1981. En pleine flambée des prix du pétrole, le gouvernement Trudeau lance sa Nouvelle politique énergétique (NEP), une politique nationaliste qui oblige l’Alberta à vendre son pétrole à la moitié du prix mondial pour alimenter l’industrie manufacturière de l’Ontario et du Québec.

La NEP déclenche une réaction hystérique dans l’Ouest du pays. Le premier ministre Lougheed de l’Alberta menace de couper l’approvisionnement en pétrole à l’est du pays. Lors de l’élection suivante, les libéraux y laissent leur chemise et la crise donnera éventuellement naissance au Reform Party, l’ancêtre de l’Alliance canadienne de Stockwell Day.

Washington marque également son opposition vigoureuse à la NEP, et les pressions s’accentuent contre les politiques nationalistes du gouvernement canadien avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Reagan.

Une disposition peu connue de l’ALENA

L’élection du gouvernement Mulroney allait marquer un changement dramatique de politique. Mulroney démantèle la NEP et se fait le promoteur de l’intégration économique du Canada aux États-Unis par le biais de l’accord de libre-échange.

Un des termes majeurs de l’ALENA prévoit que le gouvernement canadien ne peut, même en cas de crise majeure au Canada, détourner vers l’est du pays les exportations de gaz naturel et de pétrole de l’Alberta acheminées aux États-Unis.

Le principal fournisseur d’énergie des États-Unis

Cette disposition extrêmement importante prend tout son sens lorsqu’on constate que le Canada a, au cours de la dernière décennie, doublé ses exportations de pétrole et triplé ses exportations de gaz naturel vers les États-Unis.

En fait, si l’on tient compte à la fois du pétrole et du gaz naturel, le Canada est aujourd’hui le principal fournisseur d’énergie des États-Unis, le premier consommateur mondial. Le Canada devance à ce chapitre l’Arabie saoudite, le Venezuela et le Mexique.

La volte-face de Desmarais

Suite à l’échec des politiques nationalistes de Trudeau, en butte à l’hostilité de l’establishment torontois qui bloque ses tentatives de prise de contrôle d’Argus Corporation et du Canadien Pacific, et dans le contexte du Parti québécois au pouvoir à Québec, Desmarais décide de « geler » ses activités économiques au Canada et de s’intéresser plutôt à l’Europe. Il vend le Montreal Trust et la papetière Consolidated-Bathurst et n’effectue aucun investissement majeur au Canada avant 1989, alors qu’il prend le contrôle de la compagnie d’assurances London Life.

Par contre, les activités européennes de Desmarais se développent au point où il s’assure le contrôle du Groupe Bruxelles-Lambert. Il est ironique de constater qu’il se porte alors acquéreur de Pétro-Fina, la même entreprise dont Pétro-Canada avait acheté les intérêts canadiens au début des années 1980. Au début de 1999, Pétro-Fina fusionne avec la française Total, puis avec Elf Aquitaine pour former Total-Elf-Fina.

Finie pour Desmarais la politique énergétique nationaliste, vive la mondialisation, vive la hausse du prix du pétrole ! Ses éditorialistes ont bien compris le message, de même que le beau-père de son fils, le premier ministre Chrétien 0 « Il n’y a pas de crise du pétrole! »|193| 
456|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Toutes les religions sont bonnes, sauf la laïque

La secrétaire d’État aux affaires extérieures des États-Unis, Madeleine Albright, déclarait, il y a quelques semaines, que la laïcité absolue prônée par la France en particulier – et par la plupart des autres gouvernements européens – brimait l’exercice des religions et constituait une entrave à la liberté de culte. Pour tout dire, il serait intéressant de connaître la réaction de Mme Albright (et de tous les Américains bien-pensants) à l’affirmation ouverte d’Islamistes, insistant pour porter le tchador dans les écoles. Car c’est bien là que mène l’autorisation de pratiques religieuses publiques. À moins qu’il n’y ait qu’une bonne religion et que toutes les autres soient mauvaises, comme le rappelait gentiment Jean-Paul II, au début du mois dernier.

Qui protégera les travailleurs du virus de la CSST ?

« La CSST et les employeurs ont bel et bien réussi à mettre à leur service une poignée de médecins serviles, grassement payés, dont la fonction première est de contredire l’opinion des médecins traitant les travailleurs et travailleuses, compromettant ainsi leur santé et leurs droits. »

L’accusation, portée dans un récent numéro du Journal de l’uttam (Union des travailleurs et travailleuses accidenté-e-s de Montréal), repose sur des informations obtenues par ce regroupement, auprès du ministère du Travail du Québec et portant sur les statistiques, au cours des dernières années, concernant les lésions professionnelles.

On y note entre autre que, depuis 1994, la CSST (Commission de santé et de sécurité au travail) elle-même a déposé deux fois plus de contestations que les employeurs. Ainsi, pour la seule année 1999, on dénombre 6233 contestations émanant de la CSST et 2 995 émanant des employeurs. Phénomène étrange si on pense au fait que la CSST est un organisme de surveillance visant à la protection des travailleurs auxquels des employeurs négligeants imposent souvent des conditions de travail contraignantes et dangereuses.

Les dossiers contestés sont soumis à des évaluations médicales réalisées par des médecins arbitres du BEM (Bureau d’évaluation médicale), lesquels sont choisis par le ministère du Travail. En 1999, le ministère a désigné 94 médecins aptes à remplir ces tâches. Dans les faits, neuf d’entre eux ont réalisé plus de 40 % de toutes les évaluations médicales entreprises (3 701 sur 8884). À lui seul, le docteur Pierre-Paul Hébert a procédé à 7 % de toutes ces révisions de dossier, ce qui lui a rapporté au minimum 213 200 $ pour cette seule année. Ce qui, comme le souligne Roch Lafrance, auteur de l’article du Journal de l’uttam, « fait tout de même une rondelette somme pour un “ side line ” ». Espérons au moins que ce praticien reconnaissant souscrit généreusement à la caisse du Parti québécois.|193| 
457|Pleurons en chœur la mort du roi nègre|Jacques Larue-Langlois|

Je me souviens



Distant, méprisant, presque dédaigneux à l’égard des siens, c’était, dit-on, un homme bien qui a tant aimé son peuple. Candidat du NPD dans le comté fédéral de Mont-Royal en 1962, il n’aura mis que quelques brèves années à renier l’idéal social-démocrate pour réintégrer le libéralisme, plus susceptible de lui procurer le pouvoir qu’il a toujours convoité.

Anti-nationaliste chez lui, au Québec, il se fit pourtant champion du nationalisme canadien. Admirable abnégation de sa part.

Plus flamboyant que substantiel, PET a rapatrié la constitution du Canada sans l’accord de sa province d’origine, pourtant la première qui, au départ, réclamait cette récupération formelle de l’autonomie canadienne.

Il ne mâchait pas ses mots, a-t-on soutenu. Heureusement pour lui et pour son haleine car, aux syndiqués en grève de Lapalme, il n’a pas hésité à lancer un « Mangez d’la marde » plein de compassion pour les travailleurs.

Quant au célèbre « Fuddle Duddle » masquant mal un plus classique « Fuck You », il ne visait que ses collègues du Parlement et témoignait bien sûr de sa grande foi en la démocratie.

« Brillant et haut en couleur », a-t-on dit de lui, mais capable aussi de profiter d’une insurrection – par lui et ses sbires exclusivement appréhendée – pour mettre en prison ses adversaires politiques, coupables ou non d’un crime de subversion qui n’existait pas aux termes de la loi, au moment où il aurait présumément été commis.

500 Québécois-es emprisonné-es pour leurs idées sans qu’aucun-e ne fut jamais trouvé-e coupable de quelque crime que ce soit. Les trois « colombes » qui, cinq ans plus tôt, s’étaient portées à la défense du Canada menacé par le FLQ se faisaient dorénavant faucons pour briser les reins des méchants séparatistes.

« Le plus grand politicien canadien du XXe siècle », a-t-on encore prétendu. « Une tête exceptionnelle en politique ». Je veux bien le croire, si c’est de « tête à claques » qu’on parle.

Il ne faut pas s’attendre à ce que le peuple québécois tombe en larmes et prenne le deuil de son bourreau. PET ne fut jamais l’ami des siens et s’il faut le comparer à un autre personnage de notre histoire, c’est à Lord Durham qu’on doit penser. Les deux hommes ont partagé le désir d’écraser toute velléité de liberté culturelle chez ce que tous deux considéraient comme un peuple de simples porteurs d’eau. La différence, c’est que si Lord Durham représentait le colonialisme étranger, PET, lui, était issu de ce peuple qu’il s’est efforcé d’humilier au profit du colon, en bon roi nègre qu’il fut.|193| 
458|La francisation s’essouffle|Charles Castonguay|

En occultant la langue de travail



Les États généraux sur la langue nous renseigneront-ils sur la situation actuelle du français dans le monde du travail ? L’équipe de Gérald Larose sera-t-elle en mesure de vraiment faire le point sur les tendances touchant l’usage du français comme langue de travail à Montréal au cours des années 1980 et 1990 ? Ce n’est pas sûr.

Pourtant, à l’époque des grandes commissions d’enquête sur la langue, la Commission BB puis la Commission Gendron, et même Robert Bourassa avec sa loi 22, avaient parfaitement pigé l’importance primordiale de la langue de travail aussi bien pour le mieux-être économique des francophones que pour l’avenir du français. Maîtres chez nous, Québec français 0 même combat.

On s’attaquait alors de front à la vision du monde formulée plus tôt par lord Durham 0 « Malgré leur lutte contre l’assimilation aux coutumes anglaises, il est évident que le processus est bel et bien enclenché 0 la langue anglaise gagne du terrain et continuera à le faire en tant que langue des riches et des employeurs. »

En particulier, il fallait désormais faire jouer au profit du français le puissant effet d’entraînement de la langue de travail sur la langue d’assimilation des immigrants allophones à Montréal.

Un pas en avant... Two steps en arrière

L’ambitieux projet de franciser les milieux de travail a d’abord marqué des points au cours des années 1970. Comparés aux informations recueillies en 1971 pour la Commission Gendron, les résultats d’une enquête du Conseil de la langue française (CLF) en 1979 montraient des progrès substantiels du français comme langue de travail dans la région métropolitaine de Montréal, tant chez les travailleurs francophones que chez les anglophones et les allophones. Une partie de ce succès initial s’explique par des interventions réelles en milieu de travail, notamment dans les entreprises de 50 employés ou plus. Une partie s’explique aussi par défaut, c’est-à-dire par une importante migration d’anglophones de Montréal vers Toronto et le reste du Canada.

Le mouvement s’est ensuite enlisé au cours des années 1980. Une enquête menée par le CLF en 1989 montrait que depuis celle de 1979, l’usage du français n’avait pas progressé à Montréal parmi les travailleurs francophones. Son usage par les travailleurs anglophones et allophones marquait encore des points durant les années 1980, mais à un degré moindre qu’au cours des années 1970.

Il ne faut pas réveiller le vieux démon

On ne peut pas dire que les Québécois aient été adéquatement informés de cet essoufflement de la francisation dans le monde du travail. On se rappellera que la ministre Beaudoin avait créé en 1995 un comité gouvernemental ayant pour but de faire le point sur la situation du français au Québec. L’appareil gouvernemental a accouché d’un bilan qui situe pour l’essentiel entre 1971 et 1989 le progrès du français au travail, et gomme la distinction entre le progrès marqué des années 1970 et le surplace relatif des années 1980.

Comment se fait-il que le CLF n’a pas cru bon de saisir l’opinion publique de cet aspect inquiétant de la situation du français à Montréal ? Pourquoi l’appareil gouvernemental a-t-il présenté, en cette matière comme dans l’ensemble de son bilan, un tableau vaguement rassurant, du genre « le-français-a-fait-du-progrès-mais-il-reste-du-chemin-à-faire » ? Pourquoi le gouvernement et le CLF se sont-ils ensuite lancés tête baissée à la poursuite d’un faux-fuyant, leur chimérique indicateur de langue d’usage public, au lieu de mettre adéquatement à jour nos connaissances sur la langue de travail à Montréal, notamment sur son évolution durant les années 1990 ? Pourquoi a-t-on laissé filer ainsi le temps ?

Parce qu’il ne fallait pas « réveiller les vieux démons ». Plus précisément, comme le père de la loi 101 lui-même nous l’a patiemment expliqué à l’époque sur les ondes de Radio-Canada, il ne fallait pas insister pour raffermir davantage la loi 101 car, autrement, les anglophones crieraient au martyre, ce qui ameuterait à son tour l’opinion internationale contre le Québec et, finalement, compromettrait la reconnaissance éventuelle d’un éventuel petit oui à un éventuel troisième référendum.

Le mensonge est une condition gagnante

À force de finasser de la sorte, on finit avec un monde à l’envers. Dissimuler l’état du français à Montréal fait maintenant partie des conditions gagnantes ! «Maîtres chez nous » et « Québec-français » n’avancent plus du même pas, bras-dessus bras-dessous.

Voilà pourquoi un CLF trop à la remorque du gouvernement a concocté un indicateur biaisé de la langue d’usage public qui a si bien fait paraître la situation du français que The Gazette et Alliance Québec en sont morts de rire. L’avocat Brent Tyler se vante fort de pouvoir maintenant se servir du rapport du CLF sur la langue d’usage public pour plaider devant les tribunaux la fin des restrictions touchant l’accès à l’école anglaise.

Quel manque de jugement ! Quel gâchis ! Le gouvernement Bouchard, la ministre Beaudoin, le CLF, tous censés veiller sur le français au Québec, se sont tiré dans le pied ! Des têtes tomberont-elles ? Que non ! Même qu’on reconduit pour un autre mandat de cinq ans la présidente du CLF, qui a l’insigne mérite d’avoir été vice-présidente du PQ.

La chose est d’autant plus difficile à avaler, pour qui a à cœur l’avenir du français et du Québec, qu’on peut trouver parmi le fouillis de résultats consignés dans le rapport sur la langue d’usage public certaines données qui suggèrent un recul de la position du français dans le monde du travail à Montréal au cours des années 1990. Serait-ce pour cette raison que la ministre a depuis commandé au CLF de se pencher maintenant sur la langue de travail ? Toujours est-il que la fumisterie sur la langue d’usage public nous a fait perdre de précieuses années en désinformation et tergiversations de tout genre.

La montre de Gérald Larose

Le temps perdu va demeurer tel. Gérald Larose pourra-t-il nous donner l’heure juste sur les tendances touchant la situation du français comme langue de travail à Montréal ? C’est à suivre.

Quoi qu’il en soit, ce sont surtout des francophones qui votent oui. Et l’opération langue d’usage public n’a pas empêché les anglophones de grimper dans les rideaux, loin de là ! Ne vaudrait-il pas mieux viser une information transparente et complète sur la situation linguistique ? Cela préparerait un oui plus retentissant et d’emblée plus convaincant aux yeux des observateurs internationaux.

« Maîtres chez nous » et « Québec français » reprendraient alors leur marche, main dans la main.|193| 
459|L’eau sera privatisée par la langue de bois|André Bouthillier| Privatiser signifie « transférer au secteur privé de l’économie des services normalement distribués par l’État ». Les ministres et les sous-ministres récusent les mots privatisation et déréglementation, afin de ne pas trop attiser nos réactions. Ils préfèrent parler d’imputabilité des opérateurs ou d’obligation de résultats.

Comme le révélait Vision Stratégique, un document présenté aux cadres du ministère de l’Environnement en 1996, le ministère est en voie d’être démantelé. Ce qui signifie, en langue explicite, que le ministère n’offrira plus certains services et que ceux qui les recevaient devront dorénavant s’assurer de répondre par leurs propres moyens aux exigences du ministère. On peut associer ce procédé à une « privatisation par vacuum ». Contrairement à votre aspirateur, cette technique ne fait pas de bruit.

On déménage Montréal à Québec

Dans la région de Montréal, l’équipe régionale responsable de l’assainissement et du traitement de l’eau du MEQ soutient sur le plan technique les initiatives de la Communauté urbaine de Montréal aux prises avec les grandes entreprises polluantes de l’île de Montréal. Au moment même où Québec crée la nouvelle Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), à laquelle il entend confier une responsabilité globale en matière d’assainissement et de traitement de l’eau, le ministère de l’Environnement décide de redéployer vers Québec ses seize spécialistes de l’eau. Et pour s’assurer que la CMM ne puisse bénéficier de cette expertise du MEQ, le ministère annonce clairement que les postes seront abolis si les spécialistes ne déménagent pas à Québec.

Voilà le vacuum créé. La CUM ou la nouvelle CMM n’a pas à son emploi de spécialistes de remplacement. Il nous est facile d’imaginer les firmes de consultants du secteur privé piaffer d’impatience devant la possibilité de combler le trou. À moins que ces derniers ne sachent déjà que ce geste est en réponse à leur demande. Depuis longtemps, ils pressent le ministère de l’Environnement de leur donner du travail, soit directement ou en réglementant plus sévèrement.

On confie la pollution aux pollueurs

Comment croire qu’il y aura une augmentation de la réglementation avec des dents, alors que le ministère de l’Environnement fait tout pour ne pas respecter les règlements existants, et que le gouvernement et le rapport de son comité à la déréglementation, présidé par monsieur Bernard Lemaire, s’opposent en général à toutes règles qui pourraient nuire un tant soit peu aux profits des entreprises! En se dégageant de l’activité, le ministère de l’Environnement laisse la place au secteur privé. C’est-à-dire à une hausse des coûts de l’expertise et à des erreurs de parcours, le tout dû au manque d’expérience terrain de ces nouveaux joueurs. L’ironie du sort serait que le Syndicat des spécialistes de l’eau du MEQ soit remplacé par des entreprises qui sont des filiales des grandes entreprises polluantes de la région métropolitaine.

Voir le dossier de l’abolition des postes de spécialistes de l’eau sur le site Internet de la Coalition québécoise pour une gestion responsable - Eau Secours ! http0//www.eausecours.org|193| 
460|Champs de mines politiques|François Parenteau|Finalement, les provinces ont réussi à s’entendre avec le fédéral à propos du financement de la santé. Il semblait pourtant que le consensus allait s’écrouler et que le Québec allait une fois de plus se retrouver isolé pour raisons d’empiètement dans ses champs de compétence. Puis, un sondage a été publié dévoilant que la majorité de la population disait en choeur à son gouvernement provincial0 « Prends l’oseille et tire-toi. »

C’est ce que Bouchard a fait, en prenant bien soin de préciser qu’il ne faisait pas ça de gaieté de cœur. De toute façon, je ne me souviens plus de la dernière fois que Lucien Bouchard ait donné l’impression de faire quoi que ce soit de gaieté de cœur. Cet homme-là s’est toujours fait prier pour tout 0 par Mulroney pour aller en politique, par Bourassa pour fonder le Bloc, par le PQ pour remplacer Parizeau après le référendum et encore aujourd’hui pour qu’il parle de souveraineté. Il semble cependant apprécier ces situations qui lui permettent de faire complètement à sa tête. Bouchard a commencé sa carrière comme négociateur, il sait bien que celui qu’on a prié d’accepter une job a ensuite les coudées franches pour la faire comme il veut...

Et ce que Lucien Bouchard semble vouloir, dernièrement, c’est créer une crise fédéral-provincial qui ferait réagir la population. C’est sa condition gagnante. Cet été, il y a eu toutes sortes d’échauffourées diplomatiques qui n’ont pas eu beaucoup d’écho. Et souvenez-vous qu’il y a quelques semaines, son gouvernement dépensait des centaines de milliers de dollars pour nous dire à pleines pages dans les journaux que l’argent de la santé devait servir à la santé et non à un odieux chantage. Mais Bouchard a fini par se rendre compte que son soufflet ne ranimait aucune flamme et il a arrêté.

Il faut dire que depuis cinq ans, les médias jouent en première page le moindre allongement des listes d’attente dans les hôpitaux. Que ce soit exagéré ou non 0 « Perception is reality. » Il y a donc une crise. Normal alors que l’offre du fédéral de donner de l’argent à condition de devoir rendre des comptes ne puisse pas se refuser. À ce point là, les Hells Angels auraient proposé de financer une partie des soins de santé qu’on n’aurait pas pu refuser.

Bien sûr, on ne peut que se réjouir de cette nouvelle. Entre autres, les millions supplémentaires (qui, faut-il le rappeler, passent par Ottawa mais viennent de nos poches) devraient permettre d’envoyer au moins un anesthésiste à Shawinigan. En effet, ces temps-ci, on dirait que le prix du pétrole empêche les pauvres médecins de se rendre pratiquer en région. Une chance que les voiturettes de golf sont électriques, sinon ils seraient vraiment de mauvaise humeur...

Mais c’est précisément la nouvelle règle d’or de l’empiètement dans les champs de compétence 0 proposer un bonbon qui permette de mettre le pied dans la porte. C’était la même chose avec les bourses du millénaire. Une approche de « pusher ». Et Chrétien sait bien qu’on a rarement vu une révolution se former pour contester un « empiètement de champs de compétence »...

Cependant, les récents agissements innommables des motards criminalisés viennent de donner au gouvernement Bouchard une occasion rêvée d’utiliser la même stratégie à son avantage. Plutôt que de demander à Ottawa de quitter un champ de compétence où il n’a pas d’affaire, pourquoi ne pas se plaindre de son inaction dans un champ bien à lui... Le code criminel est de responsabilité fédérale et la situation exige que le fédéral agisse sur ce dossier-là. Cette fois, la population ne peut qu’être d’accord avec Bouchard.

Loin de moi l’idée de vouloir banaliser les crimes des bandes de motards. Mais il est clair que c’est la même règle d’or qui est à l’œuvre0 joindre le stratégique au moralement inattaquable. Bouchard et Duceppe se plaignent que le fédéral, qui veut montrer comment la job devrait se faire à ceux qui devraient la faire, ne fait même pas la job qui lui appartient. Par le fait même, ils démontrent aussi à quel point on serait mieux si ce champ-là serait aussi à nous. On passe de la défensive à l’offensive. Toute réclamée qu’elle soit, une loi spéciale antigang peut avoir des conséquences dans plein d’autres dossiers. Et la dernière fois, il y a exactement 30 ans, ça a foutu tout un bordel. Le fédéral hésite donc, pris avec cette patate chaude. Bouchard et Duceppe gagnent des points et empêchent Stéphane Dion de se promener une semaine entière en criant sur tous les toits à quel point le fédéralisme canadien fonctionne à merveille...

C’est ainsi que nos gouvernements passent leur temps à poser des mines politiques dans les champs de compétence de l’autre. Mais au lieu de mobiliser les gens, ces chicanes de clocher écœurent tout le monde non seulement du débat constitutionnel mais de la politique en général. Et ça, ce n’est pas une condition gagnante pour la démocratie.

Chronique présentée à l’émission Samedi et rien d’autre (SRC), 16 septembre 2000 |193| 
461|Comment les États-Unis ont créé une opposition corrompue en Serbie|Michel Chossudovsky|

Cent millions pour la démocratie ?



Alors que les résultats des élections en Yougoslavie défraient la manchette, nous publions des extraits d’un texte sur l’opposition serbe écrit par Michel Chossudovsky, Jared Israël (États-Unis), Max Sinclair (États-Unis), Peter Maher (États-Unis), Karen Talbot (Covert Action Quaterly des États-Unis) et Niko Varkevisser (Global Reflexion, Pays-Bas).

La coalition de l’opposition yougoslave se proclame « démocratique et indépendante ». Toutefois, nos recherches démontrent qu’elle est contrôlée par Washington, par les mêmes personnes qui sont intervenues au cours des dix dernières années pour tenter de disloquer la Yougoslavie.

Des audiences révélatrices devant le Sénat américain

En juillet 1999, le Sénat américain a tenu des audiences sur la Serbie. L’envoyé spécial des États-Unis dans les Balkans, Robert Gelbard, son assistant, James Pardew, et le sénateur Joseph Biden ont témoigné. Ils ont affirmé ouvertement que les États-Unis finançaient et contrôlaient la soi-disant opposition « indépendante et démocratique ».

La journée qui a précédé les audiences, le Sénat américain a voté cent millions de dollars pour cette opposition. L’envoyé spécial Gelbard a déclaré 0 « Au cours des deux années qui ont mené à la crise du Kosovo, nous avons dépensé 16,5 millions $ dans différents programmes pour soutenir la démocratisation de la Serbie. » Il a ajouté que plus de 20 millions $ ont été octroyés à Milo Djukanovic qui dirige le gouvernement de la République yougoslave du Montenegro.

Cet argent a servi à financer, voire même créer, des partis politiques, des stations de radio et même des syndicats. Si une puissance étrangère avait agi de la sorte aux États-Unis, leurs agents locaux auraient été jetés en prison.

Le témoignage de James Pardew, l’assistant de Gelbard

Pardew 0 « Nous sommes intervenus par le biais d’organisations non gouvernementales. Nous avons établi un anneau autour de la Serbie d’émissions internationales, mais nous l’offrons également aux voix indépendantes de Serbie qui utilisent les installations internationales. » (Remarquez l’utilisation peu usuelle de l’expression « indépendante » qui signifie « indépendantes d’eux mais dépendantes des États-Unis ».)

Le sénateur Joseph Biden ne semble pas croire que les mesures décrites par Pardew soient suffisantes.

Biden 0 « Nous pouvons rendre des installations disponibles. Mais sommes-nous prêts à fermer les installations qui répandent de la propagande ? »

Gelbard essaya de défendre la politique du gouvernement américain, en soulignant que durant la guerre, l’an dernier, contre la Yougoslavie, les États-Unis avaient effectivement « fermé » les installations de la télévision serbe en les bombardant.

Gelbard 0 « Eh bien, nous avons, sénateur, au cours du conflit du Kosovo, avec nos alliés... »

Le sénateur Biden l’interrompt, craignant que Gelbard en dise trop.

Biden 0 « Non, je sais cela. Je veux savoir ce qui se fait maintenant. »

Gelbard 0 « Eh bien, en autant que je sache, les communications n’ont pas été rétablies entre la télévision serbe et les installations Eutelsat et nous nous sommes assurés qu’elles seraient interrompues si on essayait de les rétablir. »

Le sénateur Biden et l’envoyé spécial Gelbard ont eu cet échange au sujet de l’« opposition démocratique en Serbie ».

Biden 0 « Que pouvons-nous faire en Serbie même ? Par exemple, Vuk Draskovic continue à nier l’accès à Studio B, qui est supposément... »

Gelbard 0 « Non, il vient de donner accès à Studio B à la Radio B-92, qui vient de rouvrir sous le nom de Radio B-292. Nous voulons que Draskovic ouvre Studio B au reste de l’opposition et c’est le message que nous lui acheminerons au cours des prochains jours. »

Rappelons que Gelbard était le principal conseiller de Clinton à propos de la Yougoslavie et que Biden fait partie des principaux sénateurs américains engagés dans l’opposition contre la Serbie. Ces deux hommes sont tellement impliqués dans le contrôle de l’opposition « indépendante » de la Serbie qu’ils savent – à la minute près – si Draskovic, Djindjic et Djukanovic se partagent équitablement espace et temps d’antenne au Studio B à Belgrade.

Soutenir un seul candidat

L’Agence France-Presse rapportait le 2 août dernier qu’une délégation de « l’opposition démocratique » avait rencontré les dirigeants du Montenegro pour les convaincre de soutenir le candidat de l’« opposition démocratique » à la présidence.

« La délégation serbe comprenait Zoran Djindjic du Parti démocratique et Vojislav Kostunica du Mouvement démocratique pour la Serbie, le candidat pressenti pour faire face à Milosevic. »

« La rencontre eut lieu le lendemain de la rencontre de la secrétaire d’État Madeleine Albright avec le président monténégrin Milo Djukanovic à Rome, au cours de laquelle elle pressa de façon urgente les groupes d’opposition à abandonner leurs menaces de boycott des élections et de s’unir pour vaincre Milosevic. »

D’autres informations nous sont parvenues sur le voyage de Albright à Rome et sur sa rencontre avec Djukanovic.

« En plus des échéances électorales, Albright a déclaré qu’elle avait discuté avec Djukanovic des moyens d’accroître l’aide au Montenegro qui est en proie à une crise économique » (Agence France-Presse, 1er août 2000). Ainsi, Albright a offert des fonds à Milo Djukanovic s’il acceptait d’apporter son soutien à la soi-disant opposition « indépendante ».

Au début, Djukanovic refusa. Kostunica le critiqua publiquement de ne pas se joindre à son équipe. Puis, le 11 septembre, Djukanovic endossa la candidature de Kostunica. Albright en a eu pour son argent.

C’est un coup de chance pour les agents américains en Yougoslavie d’avoir réussi, en travaillant avec les gens du National Endowment for Democracy, de manœuvrer Kostunica dans une alliance avec Djindjic et Djukanovic et plusieurs autres sous le parapluie américain.

L’organisation de Kostunica est très faible. Sa campagne électorale dépend des partis, groupes et médias contrôlés par les États-Unis. S’il remporte la victoire, les marionnettes locales des États-Unis lui fourniront le personnel étatique requis.

Le programme de l’« opposition démocratique »

L’« opposition démocratique » a fait sienne un programme rédigé par le G-17, un groupe d’économistes néolibéraux de Belgrade, financé par le National Endowment for Democracy. Ce programme est disponible sur les sites web du G-17 et du « groupe étudiant » Otpor. Il comprend un certain nombre d’items que l’« opposition démocratique » s’est engagée à mettre en œuvre dans le cas d’une victoire aux élections présidentielles ou dans d’autres élections. Les principaux points du programme sont les suivants 0

L’adoption du mark allemand comme monnaie pour l’ensemble de la Yougoslavie, suivant en cela ce qui s’est fait en Bosnie, au Kosovo et au Montenegro.

Cela aurait pour effet d’appauvrir immédiatement le peuple yougoslave en transformant le pays en dépendance économique de l’Allemagne.

La fin du contrôle des prix. La fin des subventions pour la nourriture, la fin des protections sociales.

Le peuple travailleur, y compris le million de réfugiés dont les conditions sont déjà difficiles, devra acheter la nourriture aux prix occidentaux, mais sans les salaires occidentaux.

Un traitement de choc pour transformer la Yougoslavie en pays capitaliste sans d’abord accorder aux Yougoslaves les moyens financiers nécessaires pour participer à une telle économie. Il en résultera la transfert en des mains étrangères du contrôle de l’ensemble de l’économie yougoslave. De telles applications de la soi-disant « idéologie économique moderne » ont déjà réussi à détruire l’économie russe.

Curieusement, le programme ne mentionne pas l’agression criminelle de l’OTAN contre la Yougoslavie.

Le programme appelle à réduire les dépenses publiques, démilitariser et apporter de radicales transformations au système de taxation. Toutes ces mesures permettront à la Yougoslavie d’être contrôlée de l’extérieur.

Le programme accepte le diktat américain selon lequel la Yougoslavie n’existe plus et que la Serbie devra se mettre à genoux devant Washington pour être reconnue à nouveau sur la scène internationale.

Cela signifie la reddition immédiate de tous les actifs et des droits historiques de l’État yougoslave. Ces actifs incluent des milliards de dollars en ambassades, navires, avions, comptes de banque gelés à travers le monde, actifs à l’étranger et propriétés accumulés par le peuple yougoslave depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Le National Endowment for Democracy et le mécanisme de la subversion

Dans son témoignage, Gelbard a affirmé que le gouvernement américain avait distribué de l’argent en Yougoslavie par l’intermédiaire d’une soi-disant « organisation non-gouvernementale », le National Endowment for Democracy (Fonds national pour la démocratie). Mais il ne s’agit pas d’un organisme non-gouvernemental. Il est financé par le Congrès américain !

Le National Endowment for Democracy a été créé en 1983 pour un but bien précis. Tout le monde savait à ce moment-là que la CIA poursuivait les objectifs de la politique américaine en soudoyant des gens et en mettant sur pied des groupes bidons. Comme le souligne le Washington Post 0 « Lorsque ces activités étaient révélées (ce qui était inévitable), l’effet était dévastateur. » (22 septembre 1991)

Le Congrès américain a alors mis sur pied le National Endowment for Democracy dans le but de faire ouvertement ce que la CIA avait l’habitude de faire clandestinement. Il y avait là un grand avantage. La subversion n’étant plus secrète, elle ne pouvait plus faire l’objet de révélations !

Bénéficiant de fonds considérables, le National Endowment for Democracy et ses filières ont commencé à recruter dans les pays ciblés des « activistes pour la démocratie », des « activistes pour la paix » et des « économistes indépendants ». Ces gens furent invités à festoyer dans les plus grands restaurants et reçurent beaucoup d’argent pour leurs comptes de dépense. On leur octroya des bourses d’études et des stages à l’étranger. On cultiva chez eux l’idée qu’ils étaient les leaders de demain de l’empire américain.

Ces « activistes » créèrent des « organisations indépendantes » dans leur propre pays et sollicitèrent des fonds auprès du National Endowment for Democracy qui, rappelons-le, les avait lui-même recrutés ! Et le National Endowment for Democracy leur octroya les fonds demandés !

Texte original disponible sur le site Internet 0 www.emperors-clothes.com|193| 
462|La folklorisation d’Octobre 70|Paul Rose| Trente ans, toutes ses dents, même pas jaunies ! Si vous saviez tous les appels de journalistes reçus ici et là... Tous, à une rare exception près, dans le même sac, malheureusement ! Celui de la chronologie du « Qui a fait quoi ? », du « scoop ». Celui du passé déconnecté, désincarné. Déconnecté par rapport au présent. Désincarné par rapport au passé même. Octobre dégriffé, aseptisé, réduit en quelque sorte au rang de fait divers pour Allo-Police d’intellos. Au mieux, un accident de l’Histoire. Folklorisation, oh que j’en ai rien à foutre !

Ce qui importe c’est le présent, plus précisément le passé dans le présent et vice-versa, en deux mots 0 le changement social, la mobilisation politique. Bref, tout ce qui, profondément, a fait Octobre 70, ce qui a fait tous les Octobres du Québec, tous les Octobres de la planète terre.

Mais quand, en pleine campagne électorale, moult conférences de presse du Parti de la démocratie socialiste n’attirent pas un des médias qui aujourd’hui te courent après – tu comprends vite ! Quand aucun de ces organes de presse ne peut (et ne veut !) désigner un seul de ses représentants à la couverture d’un congrès sur l’unité de la gauche0 tu comprends en maudit là aussi ; d’autant plus lorsque, à la fin de la deuxième journée de l’événement, le journaliste, qui passait par-là une demi-heure après la clôture, veut juste prendre une photo et quelques déclarations à la sauvette ! Quand tu vois le nombre de journalistes affectés aux affaires syndicales et communautaires, c’est-à-dire un gros zéro, et que tu observes la panoplie de pseudo-spécialistes qui couvrent à pleines pages et sur tous les écrans les multiples tendances qui touchent le milieu des affaires, c’est-à-dire celui de leurs grands boss, là aussi t’as pas besoin qu’on te fasse un dessin.

Dans de telles conditions, où règne la pensée unique comme jamais, comment ne pas se surprendre qu’Octobre soit encore d’actualité ! Profondément d’actualité !

La réalité d’Octobre

C’est précisément cette actualité-là, cette réalité-là d’Octobre qui m’intéresse. Pas celle que les grands médias et leurs boss tentent, depuis trente ans, de dénaturer et d’enfermer dans un sac en l’isolant de l’Histoire.

Certes, j’ai la conviction morale que sans les mesures de guerre, il n’y aurait pas eu mort de ministre, mais je suis aussi conscient qu’Octobre 70 est un événement politique qui appartient à un phénomène de changement social révolutionnaire plus large.

Aujourd’hui, cette réalité profonde d’Octobre qui ne se laisse pas enfermer est faite de la résistance à une mondialisation tous azimut, qui n’est rien d’autre qu’une totale «liberté d’exploiter » tout le monde. Cette réalité au fond de nous, elle est faite de luttes contre l’oppression nationale, pour la libération et l’émancipation des peuples, des femmes, des classes populaire et ouvrière et de ces couches grandissantes de gens condamnés à l’exclusion.

Cette réalité-là d’Octobre, d’aujourd’hui comme d’hier, elle passe d’abord dans mon quotidien, comme dans celui de combien d’autres, par l’engagement dans le syndicalisme actif, dans l’action politique du PDS et la construction d’une alternative indépendantiste de gauche, à l’aut’journal et dans l’édification d’une presse populaire large.

C’est la mémoire profonde du changement social et politique qui doit être mise de l’avant, notamment celle qui va de 1837-38 aux mesures de guerre de 1918, de la conscription des années quarante aux grèves des années cinquante et soixante, de la montée du mouvement populaire et de la contestation étudiante du milieu et de la fin des années soixante jusqu’aux Événements de 1970.

Événements d’Octobre qui, sans ces liens socio-politiques d’avant, pendant et après 1970, n’ont aucun sens.

Sous ce rapport, donc, peu d’espoir du côté des médias traditionnels.

Pour l’heure, je concentre mes énergies, avec d’autres, dans des modes de communication parallèle, de formes et d’accès moins onéreux, plus souples et démocratiques, tels le multimédia et la production de cassettes numériques audio et vidéo pour circulation libre et/ou diffusion large (« broadscast ») sous copropriété intellectuelle...

Rendez-vous après octobre 2000, donc ! Après le cirque médiatique à sensation.

Au-delà du livre ou de la fiction, un droit plus large de réplique militante en trente ans, ce n’est certes pas trop exiger!|193| 
463|Quand l’appréhension prend force de loi|Élaine Audet|

Les femmes et les événements d’Octobre 70



C’est sous prétexte qu’une insurrection armée était « appréhendée » au Québec que les trois niveaux de gouvernement, dirigés respectivement par MM. Trudeau, Bourassa et Drapeau, ont ordonné, il y a trente ans, l’intervention de l’armée canadienne, le 15 octobre, et proclamé à 4 heures du matin le vendredi 16 octobre, la Loi des mesures de guerre. Une loi, qui déclarait « association illégale » le Front de Libération du Québec, rendait passible de 14 ans de détention toute personne appuyant l’association illégale, permettait de procéder à des arrestations et à des perquisitions sans mandat, et de garder en détention les personnes arrêtées pendant trois semaines sans porter d’accusations.

Il y aura plus de 500 arrestations la nuit même et environ 4500 perquisitions avec saisies et plus de 30 000 lors de ratissages partout au Québec. La plupart des personnes arrêtées appartenaient à des groupes militant ouvertement pour la justice sociale et l’indépendance du Québec. Parmi elles, on comptait une cinquantaine de femmes dont certaines très connues comme la chanteuse Pauline Julien, l’écrivaine et militante indépendantiste Andrée Ferretti, la future présidente du Conseil du statut de la femme, Claire Bonenfant.

Des milliers de femmes et d’enfants ont été à jamais traumatiséEs par l’irruption brutale dans leur maison, en pleine nuit, de policiers anti-émeutes, casqués et la mitraillette au poing, traitant de simples citoyenNEs comme des criminels dangereux. Souvent, les enfants ont vu leurs parents brutalisés et emmenés menottés, avant d’être confiés sans ménagement à des voisins.

Au bout de trois semaines, 90 % des gens arrêtés étaient libérés sans qu’aucune accusation ne soit portée. Sur les 36 personnes accusées d’appartenance au Front de Libération du Québec (FLQ), seules une vingtaine d’entre elles furent appelées à subir un procès dont sept femmes qui furent condamnées de six à 12 mois de prison. Les accusations contre les autres ayant été suspendues par manque de preuves (Nole prosequi) et retirées complètement quelques années plus tard.

Bien qu’aucune mention de la discrimination envers les femmes n’apparaisse dans le manifeste du FLQ, la façon concrète et puissante dont il exprimait les revendications de l’ensemble du peuple québécois a rejoint et touché beaucoup de femmes qui en ont repris plusieurs passages à leur compte. On se souviendra du disque Québékiss de Marie Savard, des prestations de Pauline Julien, Louise Forestier, Michèle Lalonde, Michelle Rossignol, Hélène Loiselle, Nicole Leblanc et Louisette Dusseault lors du spectacle Poèmes et Chants de la résistance, tenu en pleine Loi des mesures de guerre.

Ces jours denses, où trois niveaux de gouvernement, avec une démagogie consommée, ont suspendu les règles démocratiques et déclenché une répression disproportionnée en prétendant mensongèrement qu’ils devaient affronter plus de 3 000 révolutionnaires armés jusqu’aux dents, doivent rester à jamais gravés dans nos mémoires afin que nous ne soyons plus jamais abuséEs par des dirigeants politiques dont les intérêts n’ont clairement rien à voir avec ceux de la majorité d’entre nous.|193| 
464|L’héritage d’Octobre 1970|Pierre Dubuc| Rien de plus révélateur de notre statut de colonisés que de constater, trente ans après les Événements d’Octobre, que ni le mouvement nationaliste ni le mouvement syndical ne se soient résolus à en assumer l’héritage populaire et révolutionnaire. Octobre est réduit à l’action spectaculaire de quelques cellules felquistes ou à l’imposition des mesures de guerre.

Mais l’essentiel est ailleurs. Octobre, c’est la pointe de l’élan véritablement révolutionnaire qui animait à cette époque le mouvement ouvrier et populaire. Grèves, occupations, manifestations donnaient son caractère à ce mouvement et les statistiques sur le nombre de jours perdus en grève confirment que nous étions un des détachements les plus combatifs du mouvement ouvrier international.

Octobre, c’est aussi trois siècles de soumission qu’on secoue. Ce sont les « nègres blancs », les laissés-pour-compte, les inorganisés, qui déplient l’échine, se redressent, lèvent le poing, tant ils se reconnaissent dans le Manifeste du Front de Libération du Québec.

Octobre réduit à un drame kafkaïen

Notre élite souverainiste tait cet Octobre de délivrance, comme le chante Claude Gauthier dans « Le plus long voyage ». Elle préfère l’interprétation proposée par Michel Brault dans le film « Les Ordres » d’un Octobre transformé en drame kafkaïen où les personnes arrêtées en vertu de la Loi des mesures de guerre sont présentées comme des « innocents » au plan juridique, mais également politique !

Ce qu’elles n’étaient certainement pas au plan politique. Au contraire, c’était des militantes et des militants d’un mouvement en pleine ébullition. D’ailleurs, c’est précisément pour tenter de « casser » ce mouvement que furent décrétées les mesures de guerre.

Une « sainte horreur » d’Octobre

Tout mouvement de libération digne de ce nom intégrerait aujourd’hui fièrement dans son histoire l’action de ces patriotes d’Octobre 1970. Au premier chef, le Parti québécois qui a largement profité des retombées d’Octobre. Qui niera que la victoire électorale de 1976 est une conséquence d’Octobre 70 ?

Mais l’aile réformiste qui dominait le Parti québécois avait en « sainte horreur » la seule mention d’Octobre et l’indépendantisme radical qu’il représentait. On préférait s’en remettre à la stratégie étapiste de Claude Morin qui collaborait en même temps avec la GRC pour marginaliser l’aile radicale, qualifiée de « gogauche » au sein du Parti québécois pour la tourner en dérision.

Que la droite ait rejeté l’héritage d’Octobre n’a rien d’étonnant, mais le traitement que lui a réservé la gauche est plus problématique.

Le tandem Vallières-Gagnon

Le couple Vallières-Gagnon a longtemps symbolisé le felquisme et plus largement le mouvement de libération nationale et sociale. Pierre Vallières et Charles Gagnon en étaient les idéologues, auréolés à bon droit de leur long et pénible emprisonnement pour leurs idées.

Vallières fut le premier à rendre les armes. Dans « L’Urgence de choisir », publié en 1972, il réclame l’abandon de la lutte révolutionnaire et invite la gauche à rallier le Parti québécois. On pourrait dire, en empruntant la terminologie de Malcolm X pour distinguer les révolutionnaires des réformistes, que l’auteur de Nègres blancs d’Amérique passe de « field-nigger » à « house-nigger », de l’esclave noir besognant sous le fouet au champ à l’esclave domestique dans la maison du maître.

Mais c’est avec la publication de « L’exécution de Pierre Laporte » en 1977 que Vallières tourne définitivement le dos à Octobre, en n’y voyant que mise en scène et manipulation du gouvernement fédéral. Cette interprétation (que Vallières réitère dans le film de Jean-Daniel Lafond « La liberté en colère ») a eu un effet d’autant plus dévastateur qu’elle était formulée par quelqu’un dont on pouvait présumer « qu’il savait ».

Gagnon et le groupe En Lutte

L’itinéraire politique de Charles Gagnon est différent. Tout en étant d’accord avec Vallières pour rompre en 1972 avec la lutte armée, Gagnon critique l’adhésion de celui-ci au Parti québécois et publie « Pour un parti prolétarien », document à l’origine du groupe En Lutte.

Mais, rapidement, le groupe En Lutte se retrouve embourbé dans la mouvance « marxiste-léniniste » qui est essentiellement une mouvance « maoïste ». Par suite des débats menés en particulier avec la Ligue « m-l », qui deviendra plus tard le Parti communiste ouvrier (PCO), En Lutte entreprend un virage idéologique à 180 degrés. D’une organisation qui, à ses origines, mettait au premier plan la lutte de libération nationale du Québec et la dénonciation de l’impérialisme américain, elle devient, après s’être empêtrée dans la « dialectique maoïste », une organisation qui relègue la question nationale et celle de l’impérialisme américain à des « contradictions secondaires ».

Un mouvement maoïste pro-américain

En Lutte, comme l’ensemble de cette mouvance maoïste internationale, adhère à la « théorie des trois mondes » de Mao-tsé-toung selon laquelle doivent s’unir l’ensemble du tiers-monde et les pays du « second monde » – comme le Canada – pour lutter contre le « premier monde » formé des deux superpuissances, les États-Unis et l’URSS. Rapidement, pour le maoiste international qui fait la promotion de cette théorie, une moitié du « premier monde », c’est-à-dire les États-Unis, bascula dans le « camp du progrès » pour contrer « la superpuissance la plus dangereuse », c’est-à-dire l’URSS ! ! !

L’écroulement de l’URSS en 1989 a montré toute l’absurdité de cette théorie. Mais déjà la poignée de main entre Nixon et Mao en Chine en 1972 aurait dû faire prendre conscience que ce mouvement maoïste international – qui était essentiellement un mouvement de la jeunesse issu de Mai 68 – était un instrument de l’alliance sino-américaine lancé contre les différents partis communistes d’obédience soviétique à travers le monde.

L’annulation au référendum de 1980

Au Canada, à défaut d’un parti communiste à détruire, le mouvement maoïste se déchaîna contre le mouvement souverainiste, particulièrement ses composantes syndicales, et le Parti québécois. Le référendum de 1980 en fut le point culminant, alors que le PCO et le groupe En Lutte, qui comprenaient alors plusieurs milliers de membres et avaient une influence non négligeable sur de larges secteurs du mouvement ouvrier et de la jeunesse, firent activement campagne pour l’annulation, qui n’était que la forme honteuse du Non.

Bien entendu, le prestige de Charles Gagnon, un des idéologues du FLQ, contribua à dévoyer vers l’option fédéraliste ce qui aurait dû constituer l’une des sections les plus militantes du mouvement de libération nationale. Peu après le référendum, leur mission accomplie, les groupes « m-l » furent dissous, sans véritable bilan de leur action. Quant à Charles Gagnon, il réaffirmait lors du référendum de 1995 ses convictions fédéralistes dans un essai intitulé Le référendum, syndrome québécois.

Répétitions caricaturale et virtuelle d’Octobre

Les Événements d’Octobre et le FLQ sont inscrits dans une époque bien particulière de notre histoire, celle des années 1960 et 1970, et toute tentative de les ressusciter aujourd’hui ne fait que confirmer la maxime de Marx selon laquelle la répétition d’un événement tragique ne peut être qu’une comédie. Raymond Villeneuve et son MLNQ confirment, si besoin en est, cette thèse.

À notre époque de mass media, on pourrait ajouter que la répétition d’un événement historique peut également être « virtuelle » ! C’est ainsi qu’on a vu des journalistes interviewer le cinéaste Pierre Falardeau, auteur du film « Octobre », comme s’il était l’un des protagonistes des Événements de 1970 ! ! !

Un héritage à assumer

Le mouvement souverainiste et syndical doit assumer Octobre. (Est-il besoin de souligner que sans Octobre, le Front commun de 1972 n’aurait pas eu lieu ?) Car Octobre est le symbole de l’élan révolutionnaire de tout un peuple.

Octobre, ce sont des patriotes qui, une fois le vin tiré, ont accepté de le boire. Des militants qui ont refusé de plier, malgré l’acharnement de l’appareil judiciaire et pénitentiaire, une denrée rare dans notre histoire où les compromissions des vire-capots sont célébrées.

C’est cet héritage de détermination et de courage que reconnaît le peuple québécois dans Octobre 70, malgré les efforts des René Lévesque, Claude Morin, Pierre Vallières et Charles Gagnon pour le dénigrer ou le dévoyer. C’est pour cela qu’on ne parvient pas à « en finir avec Octobre ».|193| 
465|Élargir nos solidarités|Élaine Audet|

Pour défendre nos acquis



Après cinq ans de mobilisation, au plan national et international, nous voilà à la veille de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté. Il me semble important en ce moment crucial de mesurer le chemin parcouru afin de nous appuyer fermement sur nos acquis pour aller plus loin.

Depuis une cinquantaine d’années, les Québécoises ont fait des pas de géantes sur le plan juridique en obtenant le droit de vote en 1940 et celui, en 1964, d’être gardiennes de leurs propres enfants, d’intenter un procès, d’être exécutrices testamentaires, de recevoir un héritage, d’effectuer des transactions, de subir une opération sans la signature de leur mari à qui elles ne sont désormais plus forcées d’obéir et, en 1971, le droit d’être jurées à des procès. Difficile aujourd’hui d’imaginer que les Québécoises sont parties de si loin, il y a si peu de temps!

Elles ont acquis des droits égaux à l’éducation, au travail rémunéré et à l’équité salariale. Le droit à l’avortement, toujours menacé, leur est reconnu ainsi que le respect de leur intégrité physique et morale. La violence sexuelle est dénoncée et criminalisée, bien que le traitement des crimes envers les femmes laisse encore fort à désirer sur le plan judiciaire et policier. Combien de femmes ont été assassinées même si la violence conjugale avait été plusieurs fois signalée à la police. On ne prend pas au sérieux les plaintes des femmes et ce sont toujours les victimes qui sont mises en accusation lors des procès pour viol.

Une initiative québécoise

La plus grande réussite de La Marche du pain et des roses, en 1995, a très certainement été l’élargissement du front de solidarité et le ralliement autour de revendications claires de l’ensemble du mouvement des femmes. Il ne faut pas minimiser des gains tels que l’augmentation du salaire minimum, les lois sur l’équité salariale, le paiement des pensions alimentaires, les sages femmes, l’augmentation des logements sociaux, le financement des centres de femmes, la diminution du temps de parrainage pour les immigrantes.

C’est forte de cette réussite que, lors de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) prend l’initiative d’appeler les quelque 40000 militantes présentes à organiser une marche mondiale pour mettre fin à la pauvreté et à la violence faite aux femmes. La réponse est enthousiaste et, depuis cinq ans, tous les moyens sont mis en œuvre pour mobiliser le plus grand nombre possible de femmes à travers le monde.

Le succès de cet événement sans précédent dans l’histoire de l’humanité dépendra de sa capacité d’entraîner l’ensemble des femmes à ne plus tolérer aucun rapport de domination et de violence, tant dans leur vie privée que collective. Le 17 octobre marquera non pas la fin, mais la poursuite jusqu’à la victoire de notre marche pour une meilleure répartition du temps de travail, du savoir et des ressources matérielles dans le monde afin de permettre le plein épanouissement du potentiel de chacune et chacun d’entre nous.|193| 
466|Calendrier des activités de la Marche des femmes|Élaine Audet|Soyez des nôtres pour ce grand événement de solidarité sans précédent. Grâce à vous, grâce à nous toutes, demain sera meilleur, au Québec et dans le monde !

Il y aura des activités du 9 au 17 octobre dans 17 régions du Québec. Pour obtenir des informations sur les activités dans votre région, téléphonez à la Coordination de la Marche

à Québec 0 (418) 647-5885

à Montréal 0 (514) 252-3342

ou consultez notre site internet 0 http0//www.ffq.qc.ca

Montréal, le 14 octobre

Le 14 octobre 2000 à Montréal, des femmes de tout le Québec se retrouveront après cinq jours d’activités en région. Ce rassemblement national où tous et toutes sont invité-e-s montrera notre détermination à obtenir des gains du gouvernement du Québec. Nous devons être des dizaines de milliers de personnes dehors, dans la rue, beau temps, mauvais temps, à scander nos 2 000 bonnes raisons de marcher… Voici donc l’horaire d’une journée qui promet d’être inoubliable. Apportez votre lunch !!!

9 h 30 - Nous vous attendons au parc Lafontaine pour une matinée consacrée à diverses activités d’animations et de spectacles.

12 h - Départ de la marche avec un trajet animé et haut en couleur (3 km).

14 h - Minute de silence.

15 h 30 à 17 h - Spectacle.

17 h 00 à 18 h - Démantèlement de la foule et embarquement dans les autobus pour le retour en région.

Pour s’y rendre 0

L’utilisation du transport en commun est fortement recommandée, car il sera très difficile de circuler en voiture dans les environs. La station de métro la plus proche du parc Lafontaine est la station Sherbrooke, mais vous pouvez aussi arriver par la station Mont-Royal.

Les activités, incluant la Marche, seront accessibles aux personnes à mobilité réduite.

Si vous habitez à l’extérieur de Montréal et que vous désirez vous rendre en autobus au grand rassemblement, vous devez absolument en informer votre Comité régional d’organisation de la marche (CROM). Chaque région recevra une heure de débarquement qu’il faudra respecter afin d’assurer une circulation minimalement fluide et sécuritaire. On prévoit un débarquement de 200 autobus en 2 heures (10 000 personnes environ), nous avons donc besoin de votre collaboration.

Ottawa, le 15 octobre

Le lendemain du rassemblement à Montréal, c’est à Ottawa que ça se passe ! N’oublions pas que le gouvernement fédéral a un rôle déterminant à jouer pour satisfaire certaines de nos demandes, compte tenu de ses réserves financières importantes. Soyons-y en grand nombre puisque nous avons l’avantage de la proximité.

Nous rejoindrons nos consœurs venant de partout au Canada pour une marche et un rassemblement sur la colline parlementaire. Nous sommes attendues au parc Jacques-Cartier, à Hull, au plus tard à midi. Nous traverserons ensuite le pont Alexandra à pied pour nous rendre à Ottawa et rejoindre tout le monde. Si vous avez besoin d’une place dans un autobus, veuillez communiquer avec votre Comité régional d’organisation de la Marche pour vous inscrire au plus tard le 15 septembre.

Washington, le 15 octobre

Rendez-vous 0 11 heures au Freedom Plaza (av. Pennsylvania et 13e Rue nord-ouest.

Trajet devant le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.

New York, le 17 octobre

Le 17 octobre, à New York, une délégation politique internationale rencontrera le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, et une marche réunira quelques milliers de femmes venues de 157 pays. Parallèlement, à travers le monde, des millions de femmes participeront à ce moment historique en démontrant leur appui de mille et une façons.

Rendez-vous 0 11 heures au parc Dag Hammarskjöld (47e Rue et 1èreAvenue).

Apportez bannières, affiches, ustensiles, casseroles, instruments de musique pour le grand tintamarre !

Le 17 octobre au Québec « À midi, on fait du bruit !!! »

Ce sera notre façon à nous de marquer notre solidarité avec les femmes du monde. On doit nous entendre jusqu’à New York !!!

Partout, où que vous soyez, quels que soient votre nombre et votre situation (au travail, au chômage, en congé, à la maison, etc.), vous pourrez, vous aussi, à votre manière, démontrer votre appui en faisant du bruit ! Nous savons que certaines actions d’appui sont déjà planifiées. Communiquez avec votre CROM pour l’informer de ce que vous avez prévu. Nous pourrons par la suite en être informées par leur entremise.

Voici trois principes qu’il peut être utile de garder en tête 0

1. Soyez bruyante ! L’important cette journée-là c’est que les gens autour de vous vous remarquent et sachent pourquoi vous posez ce geste ! Vous pouvez par exemple organiser des manifestations locales devant les institutions financières de votre localité, dans les restaurants, partout !!!

2. Visez la simplicité ! Par exemple, le fait de frapper – doucement – sur vos verres à la cafétéria ou au restaurant pour porter un « toast » d’appui aux femmes du monde ne requiert pas beaucoup d’organisation, juste beaucoup de conviction ! Vous pouvez aussi regrouper quelques collègues de bureau et faire du bruit dehors. Idem pour celles qui sont à la maison. Regroupez vos voisines !

3. Exprimez votre solidarité ! Que cela soit en écoutant en groupe de la musique du monde ou en lisant tout haut des messages d’appui aux femmes du monde, donnons-nous la chance de ressentir la présence des millions de femmes à travers la planète qui pensent comme nous, à nous !|193| 
467|La résistance au changement|Élaine Audet| Avec la mondialisation et l’établissement partout de politiques économiques sauvages, on assiste à la remise en question de nombreux acquis sociaux et matériels des femmes. Pensons seulement aux téléphonistes de Bell qui ont dû se résigner à travailler pour la moitié de leur salaire et aux nombreuses mises à pied dans des secteurs majoritairement féminins. Le discours antiféministe est à la mesure de la montée de la droite partout dans le monde.

Sur le plan idéologique, le backlash antiféministe, loin de s’atténuer, prend de l’ampleur, les médias de masse ne perdant jamais une occasion de qualifier les féministes d’exacerbées, les accusant d’être allées trop loin, de victimiser aussi bien les femmes que les hommes, d’être responsables du retard scolaire des garçons, de la détresse des hommes, voire de la mort de l’amour.

La mort annoncée du féminisme

Y a-t-il vraiment lieu, sans un profond cynisme, d’appeler au sabordage du féminisme alors que les conditions de vie de la majorité des femmes ne font que se dégrader ? Partout les tâches familiales continuent à reposer principalement sur les femmes, le marché du travail ainsi que le pouvoir économique et politique restent fortement sexués, la majorité des plus pauvres dans le monde continuant à être des femmes.

Plus que jamais, elles sont systématiquement violées lors des guerres, comme on l’a vu récemment en ex-Yougoslavie, en Ouganda, au Timor oriental, etc. La situation inhumaine des femmes en Afghanistan et dans nombre d’autres pays continue d’être tolérée. Le trafic sexuel des femmes et des enfants à l’échelle planétaire est systématisé et banalisé sous l’appellation hypocrite d’industrie du sexe, comme s’il s’agissait d’un travail comme un autre.

Après avoir, pendant des siècles, acculé les femmes au mariage en les gardant ignorantes et hors du domaine public, on cherche aujourd’hui à les pousser vers la prostitution en les réduisant à la misère et au désespoir.

Les chantres féminines de l’ordre établi cherchent, en dénonçant le « politiquement correct » et la « discrimination positive », à occulter l’évidence que ce sont très majoritairement des hommes qui sont responsables et bénéficiaires de la discrimination envers les femmes.

Elles répètent comme un mantra que les femmes et les hommes doivent lutter ensemble. Y a-t-il une femme qui a déjà refusé la solidarité masculine ? Les femmes s’organisent entre elles parce qu’elles partagent des intérêts spécifiques, mais elles ont toujours invité les hommes à soutenir leurs revendications de toutes les manières possibles.

Prendre la parole

Les pseudo-féministes de service, au Québec et ailleurs, sont toujours prêtes à se porter à la défense de la suprématie masculine et de ses valeurs. Leurs thèmes favoris sont la ghettoïsation et la victimisation des femmes par les féministes. Belle ghettoïsation en effet que la mobilisation de 5 000 groupes de femmes dans 157 pays, et drôle de victimisation que celle qui pousse des centaine de milliers de femmes à se solidariser à travers le monde pour transformer leurs conditions de vie!

Les antiféministes prétendent également que l’autonomie grandissante des femmes a pour résultat de tuer le désir masculin et de faire fuir les hommes. Je ne crois pas que les jeunes femmes, à qui s’adresse ce discours liant soumission et séduction, se résignent à se changer en paillassons par crainte de se retrouver sans hommes.

Mentir gros et chercher à diviser les femmes reste toujours une stratégie de choix pour contenir la poussée irrésistible des femmes du monde vers la conscience, la justice et la liberté. Il serait cependant faux de minimiser la portée démobilisatrice du discours antiféministe qui bénéficie toujours des tribunes les plus prestigieuses pour ses campagnes de désinformation. La meilleure riposte reste la vigilance et la prise de parole des femmes pour porter leurs aspirations à la plus grande échelle possible. En marche, toutes !

Des « féministes » de droite à la rescousse des « garçons »

Ce n’est pas la première fois que l’hebdomadaire Voir donne la préséance à la parole antiféministe. Nous avons eu droit, il y a quelques années, à la démagogie de Camille Paglia, prête à tout pour faire parler d’elle. Cette fois-ci, c’est une autre « féministe » de droite, Christina Hoff Sommers, qui est appelée à la rescousse des « pôvres » hommes infériorisés par les méchantes féministes.

Une fois de plus, ce journal appelle au secours de la suprématie masculine la grosse batterie des vedettes médiatiques toujours prêtes à dénoncer les excès du féminisme et jamais ceux du néolibéralisme et du patriarcat dont elles profitent largement. Susan Faludi a déjà démasqué la croisade antiféministe de Christina Hoff Sommers, généreusement financée par les fondations de droite Olin et Bradley (Ms, mars-avril, 1995, p. 36).

Pour Sommers, les hommes sont devenus le deuxième sexe et les succès scolaires des filles écrasent la masculinité des garçons. Vivement des écoles non mixtes et des professeurs mâles, prône d’ailleurs cette championne de la virilité pure et dure. La réussite des garçons dépendrait-elle de l’exclusion et de l’infériorisation des filles, comme dans le bon vieux temps ?

Nous avons déjà eu ce débat au Québec, en novembre dernier, lors de la publication du Rapport du Conseil supérieur de l’éducation quand des voix se sont élevées pour attribuer le retard des garçons au féminisme des enseignantes, insinuant que ces dernières avaient déclaré « la guerre contre les garçons », comme l’affirme le titre du dernier livre de Christina Hoff Sommers.|193| 
468|Pour faire changer les choses|Caroline Perron|

Entrevue avec Ann McBrearty



La Marche mondiale des femmes, ambitieux projet amené par la Fédération des femmes du Québec, voit venir son aboutissement dans la semaine du 14 au 18 octobre où des milliers de femmes provenant de 5 161 groupes de femmes issus de 157 pays viendront marcher et présenter 17 revendications aux représentants du FMI, de la Banque mondiale et de l’Organisation des Nation Unies. Un tel consensus de revendications est chose rare. Nous en avons parlé avec Ann McBrearty, agente de liaison pour la Marche, secteur international, qui voit enfin venir avec enthousiasme l’aboutissement de beaucoup de travail au sein de l’organisation de cet événement planétaire.

Les revendications mondiales de la Marche

Parmi les revendications mondiales qui seront déposées conjointement dans chacun des pays participants – le 16 octobre prochain à Washington auprès de la Banque mondiale et du FMI, et le 17 à New York auprès de Koffi Annan, secrétaire général des Nations Unis – six revendications portent sur l’élimination de la pauvreté et 11 sur l’élimination de la violence faite aux femmes. Cependant, de ces 17 revendications, trois n’ont pas fait l’unanimité et ont été plus difficiles à faire passer, deux portant sur le droit des lesbiennes et l’autre sur le trafic sexuel. « Dans certains pays, comme ceux du Moyen-Orient par exemple, on peut courir de graves dangers juste à prononcer le mot homosexualité; alors on comprend que les femmes de ces pays n’appuient pas haut et fort ces revendications », de nous dire Anne McBrearty.

Des actions partout dans le monde

Les activités de la Marche ne se limitent pas à des manifestations, c’est aussi un vaste mouvement d’éducation populaire. Depuis le 8 mars dernier, les femmes ont organisé des ateliers de sensibilisation, des forums, des rencontres, des manifestations aussi. Que cela se passe au Gabon, en Croatie ou en Suisse, les revendications sont identiques. « Sous un arbre ou dans un centre de femmes, le message reste le même », d’ajouter Mme McBrearty.

Cependant, il sera intéressant de voir comment se manifestera concrètement la Marche des femmes dans d’autres points du globe. Par exemple, les Mexicaines organisent une caravane qui partira du Chiapas et d’autres endroits du pays pour se rendre à New York. Au Brésil, les femmes marcheront dans tous les États et il y aura une marche nationale à Brasilia, où les revendications des femmes seront présentées au parlement.

En Colombie, les femmes ont déposé leurs revendications auprès de la guerilla afin que le mouvement révolutionnaire considère les revendications des femmes du peuple. Au Gabon, un livre d’or regroupant les doléances des femmes sera remis au Président de la République le 7 octobre, jour de la marche nationale au Gabon. Les Européennes, quant à elles, en plus de manifester dans leur pays respectif, concluront leurs activités le 14 octobre dans une grande manifestation à Bruxelles.

Après la Marche

Après tant de travail, de sueurs, d’énergie, nous sommes en droit de nous demander ce qui va se passer après le 17 octobre ? Ann McBrearty espère sincèrement que les femmes de la Marche et toutes celles qui appuient ces revendications, soit des millions de personnes, seront écoutées et pourront influencer les décideurs. « C’est certain que nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait de l’eau potable pour tous au lendemain du 17 octobre, ou encore que la dette des pays du tiers monde soit abolie, mais nous voulons qu’il y ait une véritable volonté de faire changer les choses. On a regardé quelles revendications sont les plus réalistes à court terme, et c’est sur celles-là bien sûr que les femmes à New York et à Washington vont appuyer plus fortement. Il faudra également se poser la question suivante 0 la FFQ qui a joué un rôle prédominant dans ce projet mondial va-t-elle remettre le flambeau à un autre groupe ? Ce sont toutes des question dont il faudra débattre après le 17 octobre, mais pour l’instant, nous avons encore beaucoup de pain sur la planche », conclut l’agente de liaison de la Marche mondiale.

Nous sommes donc toutes et tous invités à porter ces revendications et à manifester, que ce soit dans nos régions, à Montréal ou à New York. Ce n’est pas le lieu qui importe, mais c’est plutôt la direction vers laquelle diriger nos demandes bien légitimes.

Nous vous invitons à signer la carte d’appui en ligne sur le site Internet de la Marche. Toutes les carte vont être envoyées à M. Koffi Annan.

Six revendications pour l’élimination de la pauvreté

1- La mise en place par tous les États d’une loi-cadre et de stratégies visant l’élimination de la pauvreté.

2- L’application urgente de mesures comme 0

a)- la taxe Tobin, les revenus de cette taxe seront versés dans un fonds spécial 0 dédié au développement social; géré démocratiquement par l’ensemble de la communauté internationale; selon des critères de respect des droits humains fondamentaux et de démocratie; avec une représentation paritaire des femmes et des hommes.

b)- l’investissement de 0,7 % du produit national brut (PNB) des pays riches dans l’aide aux pays en voie de développement.

c)- le financement adéquat et la démocratisation des programmes des Nations Unies essentiels à la défense des droits fondamentaux des femmes et des enfants, tels UNIFEM (Programme pour les femmes), le PNUD (Programme pour le développement) et UNICEF (Programme pour les enfants).

d)- la fin des programmes d’ajustement structurel.

e)- la fin des compressions et coupures dans les budgets sociaux et les services publics.

f)- le rejet du projet d’Accord multilatéral sur les investissements (AMI).

3- L’annulation de la dette de tous les pays du tiers monde en tenant compte des principes de responsabilité, de transparence de l’information et d’imputabilité.

4- L’application de la formule 20/20 entre pays donateurs et pays récepteurs de l’aide internationale. Ainsi, 20 % de l’argent versé par les pays donateurs doit être dédié au développement social et 20 % des dépenses de l’État qui reçoit des dons doit être consacré aux programmes sociaux.

5- Une organisation politique mondiale, non monolithique, ayant autorité sur l’économie, avec une représentativité égalitaire et démocratique entre tous les pays de la terre (s’assurer d’une parité entre pays pauvres et pays riches) et avec une représentativité paritaire entre les femmes et les hommes.

6- Que soient levés les embargos et les blocus décrétés par les grandes puissances à l’égard de plusieurs pays et qui affectent principalement les femmes et les enfants.

11 revendications pour éliminer la violence faite aux femmes

1- Que les gouvernements qui se réclament des droits humains condamnent tout pouvoir politique, religieux, économique ou culturel qui exerce un contrôle sur la vie des femmes et des fillettes, et qu’ils dénoncent les régimes qui ne respectent pas leurs droits fondamentaux.

2- Que les États reconnaissent dans leurs lois et actions que toutes les formes de violence à l’égard des femmes sont des violations des droits humains fondamentaux et ne peuvent être justifiées par aucune coutume, religion, pratique culturelle ou pouvoir politique. Ainsi, les États doivent reconnaître aux femmes le droit de disposer de leur vie et de leur corps et de maîtriser leur fécondité.

3- Que les États mettent en œuvre des plans d’action, des programmes et des projets efficaces assortis des ressources financières et des moyens adéquats pour mettre fin aux violences faites aux femmes.

4- Que l’ONU fasse de véritables pressions pour que tous les États ratifient sans réserve et appliquent les conventions et les pactes relatifs aux droits des femmes et des enfants 0 notamment, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention sur les droits de l’enfant, la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants.

5- Que soient adoptés dans les plus brefs délais des protocoles et des mécanismes de mise en œuvre 0 à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; à la Convention sur les droits de l’enfant.

6- Que la Convention de 1949 pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui soit assortie d’un mécanisme d’application qui tienne compte des documents récents, dont les deux résolutions de l’assemblée générale de l’ONU (1996) concernant le trafic des femmes et des fillettes et la violence à l’égard des femmes migrantes.

7- Que les États reconnaissent la juridiction de la Cour criminelle internationale et souscrivent aux dispositions selon lesquelles, notamment, les viols et les agressions sexuelles constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

8- Que tous les États mettent en œuvre des politiques de désarmement, autant en ce qui a trait aux armes classiques qu’aux armes nucléaires et biologiques.

9- Que soit adoptée dans les plus brefs délais la possibilité du droit d’asile pour les femmes victimes de discrimination et de persécutions sexistes et/ou de violences sexuelles.

10- Que l’ONU et les États de la communauté internationale reconnaissent formellement, au nom de l’égalité de toutes les personnes, que l’orientation sexuelle ne doit priver personne du plein exercice des droits prévus dans les instruments internationaux que sont 0 la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes.

11- Que soit adoptée dans les plus brefs délais la possibilité du droit d’asile pour les personnes victimes de discrimination et de persécution en raison de leur orientation sexuelle.|193| 
469|Coupable d’être un homme, un pamphlet de droite|Martin Dufresne| Les chefs de rédaction connaissent bien le syndrome du soi-disant « innocent », qui débarque dans leurs bureaux avec une caisse de documents prouvant prétendument son innocence d’un crime dont un tribunal l’a jugé coupable. Lorsque Monsieur (c’est habituellement un homme) a suffisamment d’argent, il publie à compte d’auteur un pamphlet où il persifle son ex, réécrit le procès à son avantage, dénonce ses avocats, tout en pleurant la «répression » infligée aux hommes dans notre société.

Pourquoi les « hommes » ? Parce que c’est le plus souvent les crimes sexistes (viol, violence conjugale, vol de pension alimentaire, harcèlement ou menaces de mort contre femme et enfants) qui font l’objet de ces autojustifications tarabiscotées, de cette poursuite du harcèlement par médias interposés. Et la stratégie de l’agresseur est de se draper dans une innocence prêtée à tous les agresseurs sexistes face à un système décrit comme répressif, délirant, tombé aux mains des féministes et des « calomniatrices ».

Dans le meilleur des cas, on explique à l’agresseur-auteur que le journal n’est pas un tribunal et on refile son livre au service des publications, qui a la charité de ne pas en parler.

Mais, trop souvent, cela donne une charge de plus contre « les féministes » dans L’Actualité, quelques articles à sensation dans la grosse Presse. Cela peut même donner le pamphlet de droite de Georges Dupuy, de la « Coalition pour les droits des hommes du Québec », Coupable d’être un homme, publié ces jours-ci chez VLB éditeur dans la collection Partis pris actuels (Quelle pitié... Gérald Godin et Pierre Maheu doivent se retourner dans leur tombe!).

Désinformation patente

Le propos du livre est trop mince pour en faire une véritable critique. « Faits » non attribués ou cités de seconde ou de troisième main, multiplication de citations de deux ou trois « autorités » auto-publiées, contradictions montées de toutes pièces entre des champs statistiques différents, agresseurs qualifiés d’ « hommes en difficulté » (pour qui on réclame des subventions au même titre que leurs victimes). L’auteur va jusqu’à tenter de rendre plus crédible les rationalisations d’un des membres de son groupe en « citant » leur transcription dans... Casino Hebdo, le nouveau journal judiciaire !

Là où le reste de la société documente, analyse et tente de contrer la violence conjugale, l’auteur (lui-même un de ces hommes condamnés à tort, mais il refuse de s’identifier) invite le lecteur à un retour du bâton 0 croire sur parole les accusations à l’emporte-pièce que lui et ses comparses lancent contre leurs victimes 0 « L’habileté des femmes en matière de manipulation est indéniable... [...] Les juges n’ont d’autre choix que de reconnaître les hommes coupables. » La tentative de désinformation est patente 0 « On note une forte augmentation des fausses accusations et des verdicts de culpabilité non fondés...» Qui ça, on ? aurait demandé un éditeur sérieux.

Une stratégie dangereuse

Ce livre a au moins l’utilité de nous renseigner sur les liens de tels groupes avec le lobby pro-inceste et pro-pédophilie et de révéler un cynisme certain. L’auteur s’est improvisé conseiller conjugal et incite les hommes accusés de violence conjugale ou de harcèlement à refuser de signer tout engagement à ne pas troubler l’ordre public ! En plus de mettre en danger les vies de femmes et d’enfants par une stratégie aussi jusqu’au-boutiste, n’est-ce pas contrevenir au Code criminel qui interdit à un non-avocat de donner des conseils juridiques ? Même les hommes ont gros à perdre à se laisser ainsi manipuler et détourner d’un soutien véritable, si moins misogyne. En mars dernier, Darrin White, un agresseur conjugal en instance de divorce, s’est pendu après avoir été (très mal) conseillé et défendu par d’autres « avocats d’estrade » masculinistes qui l’aidaient à refuser toute pension à ses enfants.

Même cynisme lorsqu’il s’agit d’obtenir des fonds publics (car c’est l’argent de nos impôts qui permet aux groupes masculinistes d’avoir pignon sur rue dans les CLSC). L’auteur nous apprend que le Groupe d’entraide aux pères et de soutien à l’enfant (GEPSE) est en fait l’Association des hommes séparés et divorcés qui a changé de nom parce qu’ « il est toujours bon d’ajouter la thématique de l’enfant » pour obtenir une subvention, comme l’a fait promptement le GEPSE.

On cherchera en vain dans ce livre quelque souci de mettre fin aux dégâts du sexisme. En plus de citer avec admiration les artifices statistiques de Roch Côté (Manifeste d’un parfait salaud), l’auteur ramène les meurtres de femmes et d’enfants à une simple illustration de la « détresse » masculine à l’idée de perdre l’« accès aux biens», une valeur exprimée à chaque chapitre. Comme d’autres accusés qui s’improvisent animateurs de micro-groupes masculinistes désireux de redorer « l’image de l’homme », l’auteur présente essentiellement l’agresseur sexiste comme un honnête citoyen, injustement convaincu de délits pour lesquels il n’aurait même pas été inquiété dans d’autres pays moins «politically correct »...

Un pamphlet de droite

Finalement, c’est le parti pris explicite anti-minorités de l’auteur et sa volonté de bâillonner les victimes en l’absence de « preuve hors de tout doute » de violences exercées en privé qui assimilent le discours de la Coalition à la droite la plus traditionnelle, qui hurle à la « destruction du tissu social » par les protections (bien maigres) consenties aux femmes et aux enfants.

Il faut demander au directeur de cette collection (Pierre Graveline, qui a connu de meilleurs jours) ce que ce ramassis de clichés a de commun avec « une critique radicale des diverses formes de domination qui s’exercent dans la société québécoise », le mandat de la collection Partis pris actuels.

Georges Dupuy, Coupable d’être un homme, VLB, 2000|193| 
470|Au pain et à l’eau comme dans le bon vieux temps...|Nathalie Marois| Au Canada, 96 % des travailleuses domestiques étrangères, en majorité philippines, sont victimes d’exploitations diverses, parfois extrêmes. Sous-alimentation, exploitation économique, surcharge de travail, harcèlement sexuel, intimidation et isolement forcé sont au nombre des abus décrits et décriés par Myriam Bals, chercheure et consultante en immigration, dans son livre intitulé Les domestiques étrangères au Canada, esclaves de l’espoir.

Ayant recueilli le témoignage de centaines de ces jeunes femmes, Myriam Bals relate ici les expériences parmi les plus dramatiques auxquelles personne ne peut rester indifférent.

C’est le cas de Suzy et Jenny, toutes deux philippines, venues au Canada pour exercer leur profession d’infirmière. Sans personne pour les informer de leurs droits, elles se sont retrouvées domestiques pour des employeurs sans scrupules. Pendant deux mois, toutes deux n’ont reçu comme seule nourriture que du pain et de l’eau, et elles durent travailler sept jours par semaine pour un salaire inférieur au salaire légal.

L’expérience de Sylvia, d’origine indienne, est tout aussi pathétique. Contrainte par ses employeurs à ne pas sortir de la maison sous prétexte de la protéger des dangers, elle fut ainsi coupée du monde pendant plusieurs années. En plus des menaces et d’intimidations, Sylvia n’a touché que 250 $ pour huit mois de travail, à raison de sept jours par semaine. Si ces expériences extrêmes ne peuvent être généralisées à l’ensemble des travailleuses rencontrées par l’auteure, il n’en reste pas moins que toutes travaillent approximativement 75 heures par semaine.

La complicité d’Immigration Canada

Myriam Bals pointe du doigt les règles du jeu trop restrictives imposées par Immigration Canada qui contribuent à perpétuer des situations d’abus. Parmi celles-ci, l’obligation pour les jeunes femmes de travailler pour un même employeur à temps plein pendant deux ans comme condition d’obtention du statut de résidente permanente. Chaque changement d’employeur et chaque mois perdu compromettent leurs chances d’obtenir la résidence permanente. Cette obligation décourage un grand nombre d’entre elles à quitter des situations d’abus ou encore à dénoncer leur employeur.

Chacun des acteurs concernés tire profit de ce système abusif. Les premiers bénéficiaires, les employeurs eux-mêmes, évitent ainsi des frais de garderie et de femme de ménage. Le gouvernement fédéral empoche des dollars pour l’octroi de permis de travail sans compter les économies qu’il réalise en soins spécialisés auprès de personnes malades, handicapées et âgées, services de plus en plus en demande dans le cadre du programme pour les aides familiaux résidents.

De son côté, le gouvernement provincial, qui partage avec le fédéral la responsabilité de sélectionner les candidates, se fait payer pour l’émission de certificats de sélection. Sans oublier les avocats sans scrupules qui profitent grassement de l’ignorance de celles qui tentent de contourner le système de sélection officiel en croyant pouvoir acheter leur permis de travail. Généralement, endettement et désillusion attendent celles-ci.

Résultat de plus de dix années de recherche et d’engagement personnel, le livre de Myriam Bals a le mérite d’être bien documenté et de présenter de façon exhaustive tous les aspects de la problématique. Si on peut lui reprocher son style un peu trop didactique, elle réussit tout de même à nous communiquer son indignation et à nous sensibiliser à une cause encore trop mal connue.

Myriam Bals, Les domestiques étrangères au Canada, Esclaves de l’espoir, Montréal et Paris, L’Harmattan, 1999, 239 pages.|193| 
471|Mieux vaut prévenir que guérir|Gabriel Sainte-Marie|

Ce n’est pas vrai pour 86,4 % des travailleurs



Le 13 septembre dernier, 600 déléguéEs syndicaux se réunissaient à Montréal avant de passer à l’offensive. Les membres de la CSQ (anciennement CEQ), de la CSN et de la FTQ en plus de ceux de la CSD ont discuté d’un plan d’action commun afin de gagner la parité en santé et sécurité au travail. La Loi sur la santé et sécurité au travail, adoptée en 1979, ne s’applique toujours pas au complet chez 86,4 % des QuébécoisEs qui travaillent.

Les maigres résultats des luttes menées sur la santé et sécurité ont poussé les centrales à s’unir afin d’augmenter leur force d’impact. Les moyens de pression débutant cet automne permettront aux travailleurs et travailleuses de se doter d’« outils essentiels à l’élimination des dangers qui menacent leur santé, leur sécurité, leur intégrité », comme le déclarait François Valois, président de la CSD, lors du rassemblement.

Les règlements de la loi qui concernent le comité paritaire et le représentant à la prévention en milieu de travail sont ceux qui ne s’appliquent toujours pas à la majorité.

La sécurité est un privilège

Suite à l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, la CSST a scindé le monde du travail en six groupes. Les groupes furent alors classés par ordre de priorité pour faciliter la mise en place de la loi. Encore aujourd’hui, seuls les deux premiers groupes et une partie du troisième ont été déclarés prioritaires. C’est donc 13,6 % des travailleurs et travailleuses qui sont entièrement couverts par la loi. Les proportions sont sensiblement les mêmes chez les femmes.

Tous les accidents ne sont pas légaux

Les secteurs prioritaires sont évidemment les plus dangereux, tels les secteurs du bâtiment, des scieries, des mines, de la fabrication de produits en métal, etc. Cependant, les accidents arrivent partout 0 en 1999, 73 % des accidents et maladies causés par le travail et déclarés à la CSST provenaient des groupes non-réglementés. (Commission de la santé et de la sécurité au travail, Rapport annuel d’activités, p.71)

Par exemple, des problèmes de santé mentale comme la dépression et le « burn-out » sont courants dans les secteurs de l’enseignement, de la santé et des services sociaux, surtout depuis les récentes compressions. Même situation dans plusieurs entreprises privées. Monique Richard, présidente de la CSQ, insistait également sur la question de la violence0 « Lorsqu’un élève frappe un enseignant, lorsqu’un patient menace un membre du personnel soignant, lorsqu’un supérieur engueule une travailleuse ou un travailleur, ça ne fait pas partie du travail ! »

Le secteur de l’environnement n’est pas jugé comme prioritaire, la loi ne s’y applique donc pas en entier. Il est pourtant à risque. Bilan 0 dix morts en cinq ans, en plus des graves accidents.

Il n’est pas possible d’énumérer les problèmes de chaque secteur. Cependant, ils existent. Avec l’application totale de la loi et des revendications syndicales, les accidents au travail seront diminués et même éliminés.

La santé ne fait pas partie de la compétitivité

Il reste étonnant que le patronat s’oppose à l’amélioration des conditions de travail en santé et sécurité. Comme François Vaudreuil le remarquait 0 « Encore trop d’employeurs choisissent délibérément de dépenser leur argent en frais juridiques et en expertises médicales plutôt que d’investir dans la prévention ou de faciliter la réintégration des personnes victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. »

La santé et sécurité au travail est rentable à long terme pour le patron. Pourquoi s’y oppose-t-il ? Marc Laviolette répond par cet exemple 0 « Le secteur de l’industrie de l’environnement est en plein essor et il existe une compétition féroce entre les employeurs. C’est cette compétitivité féroce qui est le principal empêchement à la négociation locale de clauses en santé et sécurité au travail. »

La compétition entres entreprises mine les conditions de travail, phénomène qui s’accentue avec la mondialisation.

Le gouvernement oublie trop facilement qu’il est un employeur

Le gouvernement n’applique pas sa propre loi, même si la santé et sécurité rapporte, par exemple en économisant des coûts reliés aux accidents (santé, allocations etc.).

Il ne faut cependant pas oublier que le gouvernement est aussi un employeur important 0 « … le gouvernement a une entente, négociée, signée et en vigueur avec ses fonctionnaires, qui prévoit des minimums et des maximums plus bas que ceux proposés par la grille administrative de la CSST », notait Marc Laviolette. L’application totale de cette loi lui occasionnerait des coûts supplémentaires à court terme. Il est clair que le gouvernement préfère remporter un autre mandat que d’investir dans le développement durable.

Il faut aussi garder à l’esprit que les grands partis politiques sont, au Québec et au Canada, financés par le patronat avec qui ils travaillent main dans la main. On préfère appuyer celui qui finance, comme le remarquait Henri Massé 0 « Le patronat, lui, n’a même pas besoin de “ 2x4 ” en “ styrofoam ” pour forcer les portes du gouvernement… On jurerait qu’on leur a donné la clé. »

Revendications

Les sept revendications de la campagne priorité prévention partout ont été énumérées par Marc Laviolette, président de la CSN.

Premièrement, les parties de la loi concernant le programme de prévention et de santé, les comités paritaires et les représentants à la prévention devront être appliqués dans tous les lieux de travail.

Deuxièmement, un plan d’action en prévention, garanti par l’employeur, devra remplacer l’actuel programme de prévention.

Troisièmement, les propriétaires d’édifices devront être tenus responsables de santé et sécurité au travail comme les patrons.

Quatrièmement, les programmes de santé provinciaux actuels devront être améliorés et des programmes de santé adaptés au niveau local devront être mis en place.

Cinquièmement, les acquis des comités paritaires et du rôle joué par les représentants à la prévention devront être conservés.

Sixièmement, le droit à des représentants à la prévention en milieu de travail avec un nombre d’heures de libération garanti devront être assurés.

Septièmement, la CSST devra respecter l’ensemble des accréditations syndicales et des structures de relations de travail déjà négociées dans le cas où elle aura à trancher sur une question.

Enfin, les centrales ne luttent pas ici que pour les syndiqués, comme l’affirmait Henri Massé, président de la FTQ 0 « Ce que nous visons, ce que nous voulons, ce que nous faisons, c’est pour l’ensemble de la classe ouvrière du Québec. »|193| 
472|L’équité fiscale n’est plus la capacité de payer|Valmi Dufour| Depuis plusieurs années, les mieux nantis ont pu profiter de baisses d’impôt considérables, tandis que la charge fiscale des pauvres n’a eu de cesse d’augmenter. La progressivité du système fiscal québécois est d’autant en danger que la tendance ne semble que s’amorcer.

Dans une étude analysant la politique fiscale québécoise des vingt dernières années, Gino Lambert, Sylvain Charron et Jean-Eddy Péan de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM en arrivent à la conclusion que celle-ci, non contente de s’éloigner de plus en plus de toute progressivité, constitue un obstacle au développement économique du Québec. *

Car non seulement les baisses d’impôt continuellement annoncées ne profitent exclusivement qu’à la classe supérieure qui, n’ayant qu’une propension restreinte à la consommation, ne collabore pas ainsi au développement de l’économie; mais ces baisses s’opèrent généralement au détriment des classes moyenne et inférieure qui elles, si elles disposaient d’un plus grand pouvoir d’achat, en feraient usage.

Malheureusement, ce pouvoir d’achat est miné par les hausses faramineuses des taxes à la consommation, de même que par la détérioration croissante des services sociaux, les fonds disponibles étant réservés aux baisses d’impôt des nantis.

À qui profitent les cerveaux en fuite ?

L’idée centrale de la progressivité fiscale consiste à répartir l’impôt en fonction de la capacité de payer de chacun. C’est ce concept qui, jusqu’à récemment, guidait la répartition de la charge fiscale québécoise. Jusqu’à ce que les mieux nantis se mettent à hurler à l’injustice généralisée, invoquant des arguments mythiques – tels la fuite des cerveaux – et clamant que les contribuables québécois devaient supporter le plus lourd « fardeau » fiscal en Amérique du Nord.

Le gouvernement étant très réceptif aux demandes de la classe supérieure n’a pas hésité à réduire, de 1988 à 1998, de seize à trois le nombre de paliers d’imposition, allégeant grandement la charge de la tranche supérieure, tout en faisant passer le taux inférieur de 13 à 20 %.

En plus de quoi, il a élargi les possibilités de déductions fiscales qui ne profitent qu’à ceux des contribuables qui peuvent se permettre de ne pas affecter leur revenu à la satisfaction de leurs besoins – l’exonération de 500 000 $ sur les gains réalisés sur la vente d’actions de PME, par exemple, qui vient s’ajouter à celle de 25 % (33 % à compter de l’an prochain) déjà accordée sur tous les gains en capitaux.

Dans le même ordre d’esprit, les taxes à la consommation, elles, ont augmenté ces dernières années. En effet, plus le revenu d’un contribuable est élevé, plus petite en est la proportion affectée à la consommation, et donc moins il est affecté par ces hausses de taxes. Ce qui explique sans doute l’absence de protestations, seuls les membres des classes inférieure et moyenne étant fortement pénalisés.

Si l’on ajoute à l’équation les taxes municipales et fédérales, comme le soulignent les auteurs de l’étude, on constate rapidement que la progressivité, fondement fiscal de la solidarité sociale, s’effrite considérablement.

D’après une étude de 1998 du ministère de l’Économie et des Finances du Québec, une personne vivant seule, à Montréal, et disposant d’un revenu annuel de 15 000 $, donc en dessous du seuil de pauvreté, devra pourtant payer 21 % – sans compter les impôts fonciers, lui laissant donc moins de 12 000 $ pour vivre. Si cette personne avait gagné 100 000 $, elle n’aurait payé que 47 % – impôts fonciers compris, cette fois – bénéficiant donc d’un revenu net de 53 000 $. Avec un salaire de 250 000 $, le pourcentage d’imposition n’aurait augmenté que de 4 %, passant à 51 %. C’est dire que passé un certain seuil, la progressivité, déjà fortement ébranlée, cesse littéralement d’exister, précisent les auteurs.

Et cette évolution ne constitue pas qu’une tendance passagère tirant déjà à sa fin 0 37 % des fonds attribués aux baisses d’impôt lors du dernier budget profiteront aux 11 % de ménages disposant d’un revenu de 75 000 $ et plus, tandis que les 52 % de ménages dotés de moins de 25 000 $ devront se partager un maigre 7 %.

Il faut cesser d’enrichir les riches

La régressivité croissante de notre système fiscal, affirment les chercheurs, constitue un frein considérable au développement de l’économie réelle.

Si les baisses d’impôt sont inévitables, elles devraient être opérées au profit des classes moyenne et inférieure, pour autant qu’elles s’accompagnent du rétablissement des budgets dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des services sociaux, afin de rétablir une certaine progressivité.

Par ailleurs, les taxes purement régressives, telles les taxes de vente, devraient revenir à des taux raisonnables, sinon être complètement abolies. La réduction de ce type de taxes profiterait réellement à l’ensemble de la population, et en particulier aux contribuables à faibles et moyens revenus.

Toutes les sommes qui leur seraient ainsi consenties seraient immédiatement réinjectées dans l’économie par le biais de l’accroissement de la consommation de biens et services, tandis que les diminutions d’impôt s’appliquant aux contribuables à haut revenu tendent plutôt à se solder par une hausse de l’épargne.

* Gino LAMBERT, Sylvain CHARRON et Jean-Eddy PÉAN (CESE). Le système fiscal québécois est-il vraiment progressif ? Montréal, MM, UQÀM. 29 p. http0//www.unites.uqam.ca/cese/etude19.htm.|193| 
473|Dandurand et le coup de grâce porté à l’empire britannique|Michel Lapierre| Le Montréalais Raoul Dandurand (1861-1942), sénateur libéral, fut délégué du Canada à la Société des Nations, à Genève, et même président de la sixième Assemblée générale de cet ancêtre de l’ONU, parce qu’il parlait français et avait l’appui de la France. Longtemps oublié, il vient tout à coup d’être promu père de l’indépendance du Canada et de la diplomatie canadienne. Un timbre-poste rappelle le souvenir de ce conseiller de Laurier et de Mackenzie King, une bourse porte son nom, deux chaires de hautes études internationales honorent sa mémoire et son buste trône, rue Sainte-Catherine, dans une vitrine de l’ancien magasin à rayons Simpson. L’ancien magasin Eaton eut sans doute été mieux indiqué. À Toronto, ne croyait-on pas, jusqu’à la retentissante déconfiture de la maison, que les Eaton, après avoir supplanté les Windsor, étaient devenus la véritable famille royale du Canada ?

Mais, du haut du ciel, Dandurand est très certainement ravi, lui qui, plus ambitieux qu’orgueilleux, adorait les médailles et méconnaissait la gloire. Il méritait bien quelque honneur. Ce Canadien français, qui refusa, en 1905, de faire un discours au pied de la colonne Nelson de Montréal, pour célébrer le centenaire de la victoire de Trafalgar, donnera, vingt ans plus tard, sans trop s’en rendre compte et avec une exquise politesse, le coup de grâce à l’empire britannique.

Ses Mémoires, qui viennent d’être réédités, nous révèlent presque tout du personnage. Dandurand était trop diplomate pour être, en politique, un véritable héritier de Papineau; mais, citoyen éclairé, il suivra les traces du grand républicain en se faisant le champion de l’instruction obligatoire. En cela, il était fidèle à son milieu. Son cousin Joseph Doutre (1825-1886), qui l’initia à la profession d’avocat, comptait parmi les grandes figures de l’Institut canadien. Son beau-père, Félix-Gabriel Marchand (1832-1900), premier ministre libéral du Québec, fit adopter par l’Assemblée législative, en janvier 1898, un projet de loi visant à mettre sur pied un ministère de l’Instruction publique, malgré la violente opposition de l’archevêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési. Dandurand se fait un devoir de nous raconter cette affaire qu’il suivit avec passion.

Mgr Bruchési 0 plus catholique que le pape

Mgr Bruchési, craignant l’érosion des privilèges du clergé dans le domaine de l’éducation, avait noirci les libéraux devant le pape. Alertée par Marchand et par le lieutenant-gouverneur Adolphe Chapleau (pourtant conservateur), Rome ne s’y laissa pas prendre. Malgré la réserve qu’exige le pontificat, Léon XIII était plus moderne que Mgr Bruchési ! Néanmoins, les conservateurs, majoritaires au Conseil législatif, rejetèrent le projet de loi, sous l’influence des ecclésiastiques les plus obscurantistes, qui, à cette époque, donnaient franchement le ton. En forgeant l’expression « être plus catholique que le pape », le génie populaire n’avait jamais été si bien inspiré.

Le Québec est la province du Dominion qui compte le plus grand nombre d’analphabètes. Ému par cette situation tragique, Dandurand donne, en 1918, une conférence, à Montréal, au club de Réforme, sur les écoles primaires et l’instruction obligatoire. Peu après, devant Mgr Bruchési toujours aussi ombrageux, il rappelle que dans un pays catholique, comme le royaume de Belgique, éloigné des principes impies de la France républicaine, l’instruction obligatoire a déjà force de loi. Il souligne également que l’épiscopat catholique, aux États-Unis, s’accommode très bien de la législation scolaire de ce grand pays pluraliste, où le nom de Dieu est sur toutes les lèvres.

Les éboueurs du père Lalande

Mais Dandurand ne peut empêcher le père Hermas Lalande, jésuite très écouté, professeur de philosophie célèbre, de dire publiquement qu’imposer l’école aux enfants, de l’âge de six à quatorze ans, entraînerait la catastrophe; puisque, la société devenant trop intellectuelle, il n’y aurait plus de manœuvres, de charretiers et d’éboueurs, à moins, précise-t-il, que nos juges et nos parlementaires soient prêts à mettre la main à la pâte pour arrondir leurs fins de mois. Après tant d’esprit, faut-il s’étonner que l’État du Vatican instaure l’instruction obligatoire avant le Québec ? En 1929, dès que l’Italie reconnaît la souveraineté du minuscule territoire, Pie XI sanctionne ce principe. Le Québec attendra jusqu’en 1943, sous le libéral Godbout, pour faire de même. Avant cela, il fallait se contenter d’une loi artificieuse, promulguée en 1919, par le gouvernement libéral de Lomer Gouin, qui interdit l’engagement d’enfants de moins seize ans révolus qui ne savent ni lire ni écrire, loi contre laquelle s’éleva, bien entendu, le journal L’Action catholique.

Comme nos collèges classiques comptent trop de professeurs aussi subtils que le père Lalande, Dandurand rêve d’un lycée français, purement laïque. Mais devant la résistance ecclésiastique, il a tôt fait de se raviser. Son rêve se réalise, en 1938, à Outremont, sous la forme d’une école catholique, dirigée par des prêtres français, filiale du fameux collège Stanislas de Paris. Ce nouvel établissement suscite encore la méfiance et la jalousie de notre clergé. On y voit même un repaire de socialistes. Imaginez, des professeurs, comme Guy et Jeannette Boulizon, chrétiens de gauche, qui lisent la revue Esprit ! Le jéciste Gérard Pelletier et le père Ambroise sont dans les parages. Stanislas reflète bien notre confusion et notre goût du neuf. L’atmosphère qui y règne se rapprochera de l’esprit de Cité libre, mais influencera également des élèves comme André d’Allemagne, président fondateur du R.I.N., et, bien sûr, Jacques Parizeau…

Quelle héroïque servilité !

Dandurand, le réformiste prudentissime, reste incapable de dépasser l’élitisme, même le plus fragile. Sa fierté patriotique, son sens du progrès et son ouverture au monde fléchissent devant sa monstrueuse courtoisie, qui, nourrie d’une ambition toute contenue, le pousse à un extraordinaire masochisme, presque émouvant de naïveté. Que de patience chez cet homme qui eut toute sa vie à traiter avec les Anglais ! Quelle héroïque servilité ! Délégué du Canada à la Société des Nations, il résiste avec beaucoup d’élégance aux Britanniques qui voient d’un fort mauvais œil le Canada parler en son nom propre, à la place de la Grande-Bretagne, tête de l’Empire, et donner le ton aux autres dominions, moins puissants et, le plus souvent, moins audacieux.

Élu, en 1925, président de l’Assemblée générale de la Société des Nations, Dandurand, sujet du roi d’Angleterre, confirme, par ce seul fait, que la S.D.N. est la rivale de l’empire britannique et montre, sans mot dire, que la première appartient à l’avenir, alors que le second relève du passé. Juste après son élection, il traite d’un sujet brûlant 0 le sort des minorités et étonne le monde entier (y compris les Britanniques) en citant en exemple le Québec où, dit-il, la minorité anglaise et protestante jouit de libertés sans égales, au sein de la majorité française et catholique.

La locomotive vivante

« Où est-il, le Canadien ? », s’écriait sans cesse, lors d’un grand dîner à deux cents couverts, Anna de Noailles, l’amie intime de Proust et de Rostand, la reine du Tout-Paris. Il faut dire qu’un petit billet froissé circulait d’un convive à l’autre, où l’on pouvait lire, évidemment en français 0 « Demain, l’Assemblée choisira comme président un Canadien pacifique. » Cette locomotive vivante fascinait la célèbre poétesse, entichée des libérateurs des peuples, si bien que, plus tard, elle s’exclamera 0 « Je quitte Genève avec deux grandes passions dans l’âme 0 pour Benès, le Tchécoslovaque, et Dandurand, le Canadien. » Le président de l’Assemblée générale de la Société des Nations ne s’était jamais imaginé aussi révolutionnaire.

Dandurand s’est fait, sur la scène internationale, le champion de l’indépendance du Canada; mais il se serait contenté de l’instruction obligatoire pour le Québec, rien de plus. Saint-Laurent, Trudeau et Chrétien ne le contrediront pas.

Raoul Dandurand, Mémoires (1861-1942), P.U.L. et I.Q.H.E.I., 2000.|193| 
474|Sommes-nous tous des Michel Auger ?|Jean-Claude Germain| Six cents journalistes québécois dans la rue ! Il y a de quoi s’étonner en tout temps et encore plus à une époque où il y a de moins en moins de journaux, et de moins en moins de journalisme dans ceux qui restent. Qu’est-ce à dire ? Une sainte colère ou un baroud d’honneur ?

C'est la première fois depuis trente ans que les journalistes manifestent pour quoi que ce soit ! » Pierre Vennat se faisait fort de le rappeler sur les ondes de la radio. Ce jour-là, les vétérans, qui , comme lui, ont fait la grève de La Presse en 1972, étaient tout ragaillardis de participer à une dernière manif, la der des ders, avant de prendre leur retraite dans l’honneur et la dignité.

Le 13 septembre dernier, ils étaient donc six cents à défiler, rue Mont-Royal, en direction des anciens abattoirs, aujourd’hui occupés par le Journal de Montréal, pour proclamer urbi et orbi 0 «Nous sommes tous des Michel Auger!» Si ce n’est pas le fion de la lettre, c’était l’esprit.

Un gars correct qui ne fait le jeu de personne

Michel Auger – à ne pas confondre avec son homonyme qui assure la chronique parlementaire au même journal – est de loin le journaliste le mieux informé au Québec sur le crime organisé. C’est sa spécialité exclusive depuis 25 ans.

Le journalisme d’enquête sur le monde du crime n’obéit pas aux mêmes impératifs que la rubrique des faits divers, les pages sportives ou la critique dramatique; son exercice se doit d’être plus rigoureux, du seul fait que le journaliste peut être appelé à répondre de sa personne et de sa vie pour ce qu’il a écrit. Ce fut le cas pour Michel Auger, récemment.

Auger n’est pas un cow-boy, c’est un pro. Du côté de la mafia, on le considère comme un gars correct, c’est-à-dire intraitable, mais fiable, qui a toujours exercé son métier en respectant les règles non écrites de sa pratique 0 se méfier de tout le monde, des corps policiers comme des criminels, de la justice comme des politiciens; ne faire le jeu de personne; et ne publier que les informations dont il était absolument sûr. Qu’est-ce qui a déraillé ?

Il y a un bon Dieu pour les journalistes

L’actuel président de l’Assemblée nationale et ancien journaliste d’enquête sur les activités mafieuses, Jean-Pierre Charbonneau, s’est posé la même question en 1973, lorsqu’il a été la victime d’un attentat contre sa vie, sur les lieux mêmes de son travail, comme Auger. La fusillade, cette fois-là, n’a pas eu lieu dans un stationnement extérieur mais dans une salle de rédaction, celle du Devoir.

« Le problème est de savoir qui m’a tiré et pour quelle raison », se demandait Jean-Pierre Charbonneau interviewé sur son lit d’hôpital. « J’ai toujours été “ straight ” et je pensais que dans le milieu, on aurait un certain respect pour un gars qui n’a jamais “ double-crossé” personne. Si mes informations sont incomplètes, j’aime mieux me taire. Mon métier est de rapporter les faits tels qu’ils sont. Et on a voulu me descendre pour ça ? »

Michel Auger, pour sa part, a été atteint de cinq projectiles. «Son heure n’était pas arrivée », a commenté le lieutenant J.-F. Martin qui mène l’enquête. « La tentative de meurtre était bien planifiée, mais elle a échoué. Le bon Dieu aime Michel Auger ! » Peu importe qu’elle ait été exécutée par des amateurs ou des cracks, l’opération n’en demeure pas moins une bavure, tout comme l’avait été l’agression de Charbonneau, il y a près de trente ans.

Tout est permis, sauf appuyer sur la gachette

Pour mener à bien leurs guerres intestines et étendre leur empire, les Hells Angels ont tout avantage à demeurer dans l’ombre, sauf que, ces derniers temps, les motards n’ont pas pu résister à la tentation de vouloir contrôler leur image publique. C’est une présomption qu’ils partagent avec les corps policiers et les gouvernements.

Dès qu’on parle d’image publique, on implique nécessairement relations de presse, c’est-à-dire avec les communicateurs qui sont les relais obligés des faiseurs d’image. Or, dans la vraie vie, la crédibilité des messages dépend de la crédulité des messagers. C’est le talon d’Achille des manipulateurs d’opinion dont on comprend la frustration lorsque les commissionnaires s’obstinent à livrer une autre image que celle qui avait été programmée.

Cela dit, dans une démocratie, même si le sport favori de tous les pouvoirs en place est de tirer à boulets rouges sur tous les porteurs de mauvaises nouvelles, assassiner un journaliste demeure un fantasme de relationniste.

Pire qu’une bavure, une bourde

Si les Hells Angels ont pris sur eux de le réaliser, comme on le laisse entendre, leur geste n’a pas eu l’effet d’intimidation escompté; il aura plutôt servi à redorer le blason d’une profession pour laquelle Michel Auger n’était pas jusque là un exemple à suivre, mais une exception.

Pire qu’une bavure, l’attentat contre le journaliste est une bourde, qui a permis à six cents de ses collègues de se convaincre par solidarité que l’exercice quotidien de leur métier était dangereux, et de descendre dans la rue pour défendre une liberté de presse attaquée par le crime organisé, alors que sa prise en tutelle et sa mise en coupe réglée par la concentration du pouvoir de la presse entre les mains d’un nombre de plus en plus restreint de patrons n’a suscité jusqu’à maintenant – et ne suscite toujours – que des haussements d’épaules fatalistes.

Les cinq balles que Michel Auger a pris dans la peau mériteraient plus qu’un simple baroud d’honneur pour sa seule raison d’être. Il n’est jamais trop tard pour une sainte colère.|193| 
475|L’infatigable Nader poursuit la lutte malgré l’indifférence des médias|Saël Lacroix|

Le candidat présidentiel de la démocratie



Le 21 février dernier, Ralph Nader annonçait officiellement sa candidature à la course présidentielle américaine sous la bannière des Verts. Véritable alternative dans cette pseudo-démocratie dominée par deux partis identiques à la solde de l’entreprise privée, Nader dénonce les injustices grandissantes du système néo-libéral américain et remet en question le pouvoir du citoyen dans cette ploutocratie démesurée. Soucieux de protéger leurs intérêts, les grands médias nationaux se sont efforcés d’ignorer le candidat aux idées nouvelles. Malgré la faible couverture médiatique, la campagne Nader va bon train et pourrait bien en surprendre quelques-uns le 7 novembre prochain.

Nous pouvons avoir une société démocratique ou nous pouvons avoir une concentration des richesses entre les mains de quelques-uns. Nous ne pouvons pas avoir les deux. » Cette citation du célèbre juge de la Cour suprême américaine, Louis Brandeis, exprime bien le fondement du discours de Ralph Nader. « Trop d’intérêts privés commandent les intérêts publics pour leur propre profit », a déclaré ce dernier à un journaliste. « Il s’agit de décider dans quel genre de société nous voulons vivre. »

Rappelons que cet avocat, qui a été considéré par le magazine Newsweek comme l’un des cent hommes les plus influents de notre siècle, avait mené une croisade dans les années soixante contre la compagnie General Motors parce qu’elle ne respectait pas les normes de sécurité de base. D’ailleurs son best-seller Unsafe at Any Speed, publié en 1965, s’inscrit parmi les ouvrages les plus déterminants pour la protection des consommateurs.

À présent engagé dans une longue lutte pour dénoncer les effets néfastes de la mondialisation, il a été l’animateur du regroupement Public Citizen qui, avec la centrale syndicale AFL-CIO, avait organisé les manifestations anti-OMC de Seattle. Il avait alors déclaré 0 « Nous subissons un système oligarchique placé sous l’égide des multinationales géantes dont l’OMC est la matrice. »

Un revenu minimum garanti

Cette année, Ralph Nader se présente aux élections présidentielles. Certes, il avait fait campagne en 1996, mais il n’avait pas investi l’énergie et l’argent nécessaires (à peine 5 000 $, soit l’équivalent de 10 secondes de publicité télévisée), ce qui avait abouti à un décevant résultat de 1 % des voix. Cette fois, par contre, il est bel et bien actif et compte quintupler son dernier score, ce qui lui permettrait de bénéficier d’une subvention fédérale aux élections de 2004. Soutenu par une équipe mieux structurée qu’il y a quatre ans, Nader parcourt les quatre coins des États-Unis et peut compter sur l’appui de plusieurs artistes de renom comme Susan Sarandon, Linda Rondstadt et Paul Newman.

Les idées défendues par les Verts de Nader reposent sur cinq grands domaines problématiques aux États-Unis 0 les conditions minimales des citoyens, les soins de santé, les campagnes de financement politiques, la défense nationale et l’environnement. Il préconise l’établissement d’un revenu minimum garanti, un système de santé universel et accessible à tous les Américains, un financement public pour des élections publiques, une réduction des dépenses militaires pour une redistribution dans les domaines sociaux tels la santé et l’éducation, et la stricte application d’une législation dans la défense de l’environnement.

La chasse gardée des débats télévisés

Les médias se sont évidemment fait extrêmement discrets sur la campagne de Nader. Peut-être que celui-ci ne correspondait pas au profil du politicien vide, superficiel et servile tant valorisé par la propagande médiatique. Cette complicité entre « gros partis » et «gros médias » a atteint son apogée en septembre. La Commission on Presidential Debates, un organisme fondé par les deux partis dominants, a alors décidé qu’un troisième candidat devait avoir recueilli au moins 15 % des intentions de vote dans les sondages pour pouvoir participer au débat télévisé. Bien entendu, cette commission est consciente que dans la structure politique actuelle, aucun parti ne peut réussir à soutirer 15% de l’électorat aux deux partis en place sans couverture médiatique à grande portée, comme le débat, justement, peut le permettre (l’indépendant Jesse Ventura était passé de 8 % à 38 % des voix pour devenir gouverneur du Minnesota grâce aux débats télévisés). « On ne peut grimper dans les sondages sans les médias de masse et on ne peut profiter des médias de masse sans avoir grimpé dans les sondages », a lancé Nader. Mentionnons que les réseaux CBS, NBC et ABC ont tous contribué massivement à la levée de fonds des campagnes démocrates et républicaines. Ces corporations, pas aussi désintéressés qu’elles le laissent entendre, profitent pleinement du système établi et sont prêtes, à prendre les mesures nécessaires pour le maintenir tel quel. Après tout, l’information n’a jamais été aussi rentable...|193| 
476|Les nouvelles présences militaires américaines en Amérique latine|André Maltais|

Déménager et rester là



Tout au long de 1999, Washington a dû abandonner ses nombreuses installations militaires au Panama. Mais d’importantes composantes des bases panaméennes ont déménagé ailleurs dans les bases toujours actives des Caraïbes ou d’Amérique Centrale. De plus, un nouveau concept, les FOL, permet une présence américaine plus mobile que les bases traditionnelles.

J'usqu’au début de 1999, le Panama comprenait neuf sites militaires américains d’importance 0 Fort Clayton, Fort Sherman, Fort Kobbe, Rodman, Galeta, Pina, Balboa West, Empire et Howard.

Fort Clayton, situé à l’entrée Pacifique du canal de Panama, abritait les quartiers généraux de l’USARSO (US Army South) –l’armée du Commandement Sud des États-Unis (US Southern Command) – et de ses « Opérations spéciales » logées dans un quartier appelé Corozal.

Fort Sherman était situé sur la côte atlantique du Panama. Depuis 1951, plus de 9 000 militaires américains et latino-américains y étaient entraînés annuellement aux techniques de guerre et de survie dans la jungle.

Fort Kobbe était aussi situé à l’entrée Pacifique du canal. Il accueillait trois unités de l’USARSO dont le 228e régiment d’aviation qui compte la plupart du matériel aérien de l’Armée Sud.

« Top secret »

Depuis 1943, la base navale Rodman logeait une partie de la Flotte américaine de l’Atlantique et l’École d’entraînement au maniement et à la technique des petites embarcations (NAVSCIATTS). Avec la fermeture de la base, les activités navales américaines en Amérique latine seront désormais coordonnées à Norfolk, en Virginie.

Galeta (situé sur l’île de Galeta à l’entrée Atlantique du canal) était spécialisé dans la surveillance satellite et les renseignements secrets. Sa mission réelle demeure « top secret », même si l’unité qu’il abritait a été dissoute en 1995.

Les bases Pina, Balboa West et Empire étaient des « rampes de tir » et de tests de munitions. Les Américains ont rétrocédé des terrains couverts d’engins non explosés (ayant tué, au cours des décennies, au moins un soldat américain et 24 panaméens) et contaminés par des produits hautement toxiques, tels le gaz moutarde, le sarin, le phosgène et l’herbicide Agent Orange.

Deux mille décollages quotidiens

La base aérienne Howard, « joyau » des installations militaires américaines au Panama, date de 1939. Elle abritait la 24e Aile des Forces aériennes ainsi que les opérations de lutte antidrogue des États-Unis. Au cours des années 1990, plus de 2 000 appareils décollaient quotidiennement de Howard.

Les planificateurs de la défense avaient espéré conserver cette base après 1999, mais les négociations, entamées dès 1993 avec le Panama, ont échoué. Le 1er mai 1999, les activités antidrogue de la base de Howard déménageaient à Key West (Floride).

Les bases panaméennes fermées, les États-Unis conservent aujourd’hui Guantanamo (Cuba), Soto Cano (Honduras) et de nombreux sites à Porto Rico. Ils ont aussi 17 stations radar en territoire latino-américain et trois « postes d’opérations avancés ».

Guantanamo, une présence humanitaire

Guantanamo, base navale depuis 1903, se trouve dans une région isolée de la pointe sud-est de Cuba. Le bail est perpétuel et la base assure, selon son site web, un « support logistique aux opérations dans les Caraïbes et aux entraînements à des opérations humanitaires ». Elle n’a recueilli aucun effectif en provenance du Panama.

La base aérienne Soto Cano (située près de Comayagua) appartient au Honduras et les Américains la partagent avec l’Académie hondurienne des forces aériennes. Depuis 1983, elle abrite le « Comité Conjoint Bravo » qui a aidé les tortionnaires de l’Amérique centrale tout au long des guerres civiles des années 1980. Elle a recueilli, l’an dernier, le 228e régiment d’aviation de Fort Kobbe au Panama.

Selon la constitution du Honduras, toute présence étrangère permanente est interdite dans le pays et un accord comme celui-là peut être abrogé en tout temps après un court préavis.

L’honneur douteux d’héberger la plus forte concentration de forces militaires américaines de l’Amérique latine revient maintenant à Porto Rico. Plus de 16 000 militaires y sont stationnés principalement dans les bases de Fort Buchanan, Roosevelt Roads et Vieques.

Porto Rico si !

Fort Buchanan, situé sur une colline dans la capitale San Juan, vient de recevoir les quartiers généraux de l’USARSO localisés auparavant à Fort Clayton.

La base navale Roosevelt Roads, à la pointe est de Porto Rico (près de Ceiba), a accueilli les quartiers généraux des opérations spéciales du Commandement Sud (eux aussi anciennement à Fort Clayton) ainsi que d’autres éléments en provenance du Panama.

Vieques occupe les deux tiers de l’île du même nom tandis que l’autre tiers est habité par des civils portoricains. Le 19 avril 1999, une bombe d’exercice perdue tuait un civil, et la population (dont les protestations durent depuis les années 1940) exige maintenant la fermeture de la base.

Plusieurs autres installations militaires portoricaines dont Isla Grande, Borinquen et Muniz ont hébergé une partie des équipements et effectifs de Howard. De plus, Washington construit des installations radar ultra puissantes (capables de détecter jusqu’en Amérique du Sud) à Fort Allen (centre de Porto Rico) et à Vieques.

La multinationale des radars

Dix-sept stations radar observent officiellement les vols de contrebande de drogue. Trois d’entre elles sont au Pérou (Iquitos, Andoas et Pucallpa) et trois en Colombie (San Jose del Guaviare, Marandua et Leticia). La Maison Blanche recommandait récemment la construction d’un quatrième radar en Colombie (Tres Esquinas).

Les autres opèrent à partir d’un réseau des Forces aériennes américaines dispersé dans six « pays des Caraïbes », dont la Colombie avec deux stations le long de sa côte Caraïbes (Riohacha et San Andres).

Les « postes d’opération avancés » (en anglais, FOL, c’est-à-dire « Forward Operations Locations ») sont destinés à remplacer les installations antidrogue de la base de Howard.

Il s’agit d’aéroports, possédés et administrés par les pays hôtes, auxquels ont accès en tout temps les avions américains en mission « antidrogue ». Un personnel américain réduit (entre 200 et 300 militaires, agents de la DEA, douaniers, etc.) est sur place pour aider les avions américains (entre cinq et dix) et coordonner les renseignements obtenus.

Washington a décidé de créer trois FOL, un dans les Caraïbes, un en Amérique centrale et un en Amérique du Sud.

Pour les Caraïbes, Washington a obtenu des Pays-Bas les aéroports Reina Beatrix (Aruba) et Hato (Curaçao) dans les Antilles néerlandaises. L’accord est « exploratoire » jusqu’au 13 septembre.

Pour l’Amérique du Sud, les Américains viennent d’arracher pour dix ans l’aéroport de Manta (Équateur) situé à 210 milles de la Colombie et cela, malgré l’état de total délabrement de ses installations.

Quant à l’Amérique centrale, des négociations se poursuivent avec le Costa Rica pour l’aéroport Liberia.

Bien que motivés par la lutte antidrogue, les FOL et leur budget ne relèvent pas de la DEA mais des Forces aériennes et de la Marine américaine !|193| 
568|Un octogénaire infatigable|Paul Cliche|En connaissez-vous des politiciens assez populaires au Québec pour être invités spontanément par une centaine de groupes en moins de cinq mois et pour attirer, grâce à leur magnétisme, 20 000 personnes venues entendre parler d’un sujet aussi sérieux que le revenu de citoyenneté? Cet exploit, que même des Lucien Bouchard et des Jean Chrétien ne réussissent pas à accomplir malgré leur dispendieux cirque électoral lors de tournées publicisées par les manchettes des médias complaisants, Michel Chartrand vient de le réaliser à 83 ans, seul et à ses propres frais, dans une quasi-obscurité médiatique. Réclamé par des gens ordinaires, il a rencontré, de la fin janvier au début de juin, plus de citoyens que tous les membres du conseil des ministres québécois pendant la même période.

On sait depuis les élections de novembre l998, alors qu’il s’est présenté contre le premier ministre Bouchard dans Jonquière sous le thème de «pauvreté zéro» pour établir la contrepartie au «déficit zéro» néolibéral de son adversaire, que Michel est convaincu de la nécessité d’adopter le revenu de citoyenneté pour atteindre cet objectif primordial. Mais il veut surtout convaincre suffisamment de citoyens pour forcer les politiciens à bouger. Depuis bientôt deux ans, il a donc déclenché une véritable croisade qui s’est intensifée avec la publication, l’automne dernier, du livre qu’il a rédigé sur le sujet en collaboration avec le professeur Michel Bernard.

À tel point que la grande virée du vert octogénaire a pris l’allure d’un véritable marathon depuis le début de l’an 2000, en plein hiver québécois. Qu’on en juge par les faits suivants. Au cours des 20 semaines qui se sont écoulées entre le 23 janvier et le 9 juin dernier, le champion de la «pauvreté zéro» a participé à l30 activités, soit une moyenne de 6,5 par semaine, dont l00 assemblées au cours desquelles il a adressé la parole à quelque 20 000 personnes. Il a fait le tour du Québec plusieurs fois et il est même allé rencontrer des Acadiens et des Franco-Ontariens, franchissant quelque 30 000 kilomètres, soit 120 fois la distance entre Montréal et Québec, la plupart du temps au volant de sa vieille Volvo.

Qui a-t-il rencontré ? En bonne partie des étudiants dans des universités, des cégeps et même des écoles secondaires, des travailleurs syndiqués, des assistés sociaux, des féministes, des membres d’associations communautaires, des nationalistes, des enseignants, des fonctionnaires, des personnes agées, des écologistes mais surtout du monde ordinaires. Un véritable microcosme de notre société ! Ses assemblées les plus importantes, il les a tenues en Gaspésie sous les auspices du mouvement des Patriotes gaspésiens (1 100 personnes à Grande-Rivière, 1 000 à Rivière-aux-Renards, 500 à Sainte-Anne-des-Monts). Il a aussi participé aux salons du livre de Québec, de Hull, de Sept-Iles, de Val d’Or et, fin 1999, à ceux de Rimouski et de Montréal. A travers toutes ces activités, il a trouvé le moyen de participer à une quizaine d’émissions de télévision et de radio.

Dans quelles régions s’est-il rendu ? La plupart des rencontres ont eu lieu à l’extérieur de Montréal. Ainsi s’est-il rendu l4 fois en Montérégie, six fois dans la région de Québec, six fois en Mauricie, trois fois au Saguenay-Lac-St-Jean, trois fois en Estrie, trois fois en Outaouais, trois fois dans le Centre du Québec, deux fois en Abitibi, deux fois dans les Laurentides, deux fois en Gaspésie, deux fois dans le Bas-Saint-Laurent, deux fois à Laval, une fois sur la Côte-Nord, une fois dans Lanaudière, une fois dans la Beauce, une fois en Ontario et une fois au Nouveau-Brunswick (Tracadie, Bathurst, Campbelton).

En février, Radio-Canada a télédiffusé la série Chartrand et Simonne qui a sans doute moussé la popularité du personnage mais a surtout révélé le vrai Michel Chartrand à des dizaines de milliers de ses concitoyens qui, comme bien d’autres auparavant, se sont reconnus en lui et ont senti qu’ils pouvaient lui faire confiance contrairement à tous ces veules politiciens qui désolent le paysage. Au début de juin, alors que j’ai rencontré celui qui se fait le héraut d’un ordre social et politique nouveau depuis 60 ans, il était naturellement fatigué. Il rêvait de vacances pour mieux reprendre le boulot dans quelques semaines, car sa croisade en faveur du revenu de citoyenneté est loin d’être terminée. «Ce n’est pas la première campagne du genre que je fais», dit-il en rappelant celle en faveur des allocations familiales au début des années quarante alors qu’il militait pour le Bloc populaire. Celle-là avait eu une conclusion fructueuse puisque les libéraux fédéraux avaient accédé à cette demande durant la campagne électorale de l944, pour tenter de faire réélire leur allié Godbout au provincial. Michel est convaincu que l’histoire pourrait se répéter avec le revenu de citoyenneté si un nombre suffisant de citoyens se mobilisent, ce qui est en train de se produire. «J’ai fait voter à la fin de chacune de mes exposés. Tous lèvent la main. Je n’ai encore vu personne s’opposer», relate-t-il. Sa tactique préférée 0 «Je m’adresse aux femmes, confie-t-il, car elles ont plus de sens politique que les hommes.» C’est donc une histoire à suivre car Michel entend bien animer la scène publique pendant un certain nombre d’années encore au grand dam certes de «Lulu le toupet, le crosseur en chef», surnom dont il affuble le premier ministre péquiste.|191| 
569|La démocratie en marche|Jacques Larue-Langlois| Les pétrolières empochent

En cinq mois, les trois grandes pétrolières actives au Québec ont doublé leur marge de profit sur le raffinage de l’essence. Alors qu’elles prélevaient 4,5 cents le litre en janvier dernier, elles empochaient 9,5 cents le litre en mai. Esso, Pétro Canada et Shell sont ainsi responsables de 70 % de la hausse du pétrole à la pompe.

En fait, les profits des entreprises en question ont, de leur propre aveu, augmenté respectivement de 116, 111 et 92 %, durant le premier trimestre de cette année, par rapport à la même période l’an dernier. Pour s’excuser de cette augmentation pour le moins phénoménale des profits, un porte-parole de l’Association des raffineurs de pétrole canadiens rappelait que ce taux de croissance reste, selon lui, inférieur à celui des grandes banques, laissant entendre que si les banques sont autorisées à fourrer le monde, pourquoi pas les marchands de pétrole ? Au fait, quel a été le pourcentage d’augmentation du revenu des travailleurs au cours des, disons... cinq dernières années ?

Un total de 36,6 % du prix d’un litre d’essence vendu à Montréal revient en taxe aux deux paliers de gouvernement impliqués. Québec touche 22 cents et Ottawa 14,6 cents sur un litre payé 75,9 cents à la pompe. Une augmentation aussi importante profite aussi aux gouvernements, qui ne font rien pour l’empêcher.

On se vend, mais pas à n’importe qui

Nouvelle manifestation de soumission du colonisé québécois aux intérêts du colonisateur 0 la famille Chagnon ne consentira à vendre Vidéotron qu’aux Anglais et à personne d’autre. C’est en effet ce qu’implique la récente déclaration du président de l’entreprise, Claude Chagnon. Ce dernier affirme que même si la Caisse de dépôt parvenait à bloquer la transaction qu’il tente de négocier avec Rogers Communications, «elle ne pourrait tout de même pas nous forcer à vendre cette entreprise que ma famille et moi avons bâtie depuis 35 ans, à Québécor ou à qui que ce soit d’autre.»

Les patrons criminels en prison

Lorsqu’un travailleur est blessé ou tué dans un accident de travail par suite de négligence de la part de l’employeur, ce dernier doit en être tenu criminellement responsable et les dirigeants de l’entreprise soumis aux mêmes peines que les individus reconnus coupables de faire du mal à autrui. Tel est l’avis de 65 % des Canadiens, exprimé dans un sondage effectué du 26 mai au 6 juin dernier auprès de mille personnes par la maison Pollara, pour le compte des Métallurgistes unis d’Amérique, qui représentent 190 000 travailleurs, affiliés au Congrès du travail du Canada.

85 % des personnes interrogées conseilleraient à leur député d’approuver un amendement au code criminel visant à permettre d’imposer des amendes et des peines d’emprisonnement aux dirigeants d’une entreprise reconnue criminellement responsable de la mort ou de blessures subies par un employé dans l’exercice de son travail. Et justement, la chef néo-démocrate Alexa McDonough et le député conservateur Peter McKay se sont unis pour soumettre au Comité permanent de la Justice, à Ottawa, des modifications au code criminel afin d’y introduire cette notion d’imputabilité à l’endroit des employeurs négligeants ou imprudents. Tous deux représentent des comtés de Nouvelle-Écosse, province où 26 travailleurs ont été tués, il y a huit ans, dans la mine de Westray. Les familles des victimes demeurent, à ce jour, dans l’impossibilité de tenir les dirigeants de la mine responsables.

Le parapublic fait de bonnes affaires

La Caisse de dépôt et de placement du Québec investit 150 millions de dollars pour regrouper ses 1 000 employés de Montréal dans un édifice de 600 000 pieds carrés sur 13 étages, qui sera construit près du Palais des congrès. En fait, l’immeuble à bureaux coûtera 102 millions de dollars, mais on y adjoindra un stationnement souterrain de 1200 places. Beaucoup d’argent... et qui rapportera sans doute davantage encore, puisque la Caisse de dépôt a pour fonction de faire fructifier l’économie.

Mais quelle économie ? Celle des nantis qui s’échangent des immeubles à coups de centaines de millions de dollars pendant qu’à quelques pâtés de maison de ce haut-lieu du grenouillage financier, des milliers de citoyens sont mal logés ou pas logés du tout, et qu’on tergiverse sur la possibilité de peut-être, hypothétiquement, prendre des initiatives positives en vue de leur bien-être, comme le dirait tout politicien.

Or, la Caisse de dépôt et de placement est un organisme parapublic, c’est-à-dire dont le financement provient autant du secteur public que privé, sans dépendre d’aucun ministère particulier. Ce statut lui permet d’échapper au contrôle ministériel, un mécanisme pourtant essentiel au bon fonctionnement de la démocratie. Qui va toucher les profits des nombreux immeubles que la Caisse entend mettre en vente prochainement ? Certainement pas les mal logés et les sans-abri.

La paille et la poutre

«Je suis sidéré par la réaction de cet homme... qui n’écoute personne, qui n’entend pas la voix de la raison... Il y a un blocage psychologique, je dirais même pathologique. C’est très grave 0 aucune discussion, aucune porte ouverte pour des négociations, aucune manifestation de souplesse ou d’ouverture... Cette réaction doit nous plonger dans une réflexion profonde sur la capacité de cet homme d’assumer ses fonctions.»

Ces propos du premier ministre québécois, Lucien Bouchard, à l’endroit de son homologue fédéral, Jean Chrétien, sont tout à fait justifiables en l’occurrence. Mais au fond, ne pourraient-ils pas s’appliquer à la majorité des politichiens et politichiennes participant à nos structures dites démocratiques ? Par exemple, ne conviennent-elles pas parfaitement mot à mot à l’attitude de Lucien Bouchard lui-même face aux autorités municipales et aux citoyens des municipalités qu’un projet de loi de son gouvernement tente de regrouper contre leur gré ?|191| 
570|La tirade des bonnes soeurs|Jean-Claude Germain|Ces jours-ci, notre premier ministre porte son âme en écharpe et sa conscience en bandoulière. Chaque fois qu’on lui pose la question des Orphelins de Duplessis, en Chambre, il reprend la même tirade sur le dévouement remarquable des religieuses, au temps de la Grande Noirceur.

Quatre fois en moins de deux semaines, c’est beaucoup de violons pour une seule question. Quelle sainte mouche a piqué Lucien Bouchard ? Que peut-il donc trouver de si exemplaire chez les bonnes soeurs ? Pour ma part, je crois que ce que le chef du Parti québécois apprécie chez elles, c’est un engagement qui fait cruellement défaut à ses députés 0 le vœu d’obéissance. Et une vertu que ses ministres ne pratiquent pas encore assez 0 l’abnégation.|191| 
571|Un pas dans la bonne direction mais quelles seront les suites ?|Paul Cliche|

Le colloque sur l’unité de la gauche et des forces progressistes



Le colloque sur l’unité de la gauche politique et des forces progressistes, qui s’est tenu à Montréal les 26 et 27 mai, a connu un franc succès grâce à une participation étonnante – 600 personnes venant de toutes les régions du Québec –, à la diversité des intervenants - plus de 20 associations populaires, syndicats et organisations politiques –, ainsi qu’à l’atmosphère de camaraderie et à l’enthousiasme qui y ont prévalu. On a aussi parlé avec raison de «moment historique» parce que c’était la première fois qu’une telle assemblée avait lieu au Québec.

Mais on a aussi pu constater que les ambitieux objectifs de ce forum, organisé par le Rassemblement pour l’alternative politique, ne pourront être réalisés qu’à la suite d’une longue et patiente démarche, que seules les organisations politiques ont démontré la volonté d’entreprendre jusqu’ici. (voir l’encadré)

Ces objectifs visent aussi bien les associations populaires, les groupes communautaires et les syndicats, désignés sous l’appellation de forces progressistes, que les organisations politiques de gauche0

1) s’entendre sur un projet alternatif de société face au néolibéralisme triomphant;

2) tisser des liens de collaboration entre les forces progressistes et les partis politiques de gauche;

3) faire l’unité de ces partis politiques.

Les associations populaires

Les conférences de la séance d’ouverture, ainsi que les exposés des huit associations populaires et de la revue participant à la table ronde sur un projet alternatif de société, ont démontré qu’un consensus peut s’établir facilement lorsqu’il s’agit de faire le procès du néolibéralisme et de constater ses séquelles.

Mais les propositions ont été beaucoup plus timides, sinon inexistantes, lorsqu’il s’est agi de mentionner des éléments susceptibles d’être intégrés à une éventuelle plate-forme alternative. Plusieurs s’en sont tenus à énumérer les objectifs poursuivis par leur organisme.

Mais Jean-Yves Desgagné, du Front commun des personnes assistées sociales, François Saillant du FRAPRU, Pierre Henrichon d’ATTAC-Québec et Sébastien Rivard de l’Opération SalAMI ont souligné la nécessité pour le mouvement social de déboucher sur une action de nature politique; c’est-à-dire de déborder du champ des luttes défensives et cloisonnées auquel il se confine actuellement pour passer à l’offensive en englobant l’ensemble des domaines d’intervention, et en se donnant comme tâche prioritaire de construire un programme alternatif commun susceptible de rallier de larges pans de la population.

Les constats ont été sombres mais réalistes 0 «Il y a une dispersion presque dramatique des forces de gauche», a noté Henrichon. «Au Québec, la droite n’a pas de contrepoids idéologique; aucune riposte ne provient de la gauche, a déploré Desgagné. La gauche est dépolitisée, éloignée de la population, constamment sur la défensive et incapable de défendre des revendications communes. Il est temps d’agir !» Cet immobilisme de la gauche, Saillant l’a aussi souligné 0 «Nous sommes bien peu actifs. La gauche s’est dérobée devant bien des batailles, comme celle qu’elle aurait dû livrer contre les ravages causés par le déficit zéro. Aujourd’hui encore, les séquelles s’en font sentir sans que personne ne réagisse.»

Les organisations syndicales

Du côté syndical, où certains dirigeants - on peut hélas le constater - agissent comme des compagnons de route béats du parti au pouvoir bien plus que comme des militants progressistes, les nouvelles ne sont guère plus réjouissantes.

Lors du colloque, les intervenants à la table ronde sur les liens à établir entre les forces progressistes et la gauche politique - cinq militants syndicaux de gauche convaincus - sont venus expliquer quelles seraient les conditions propices à l’émergence de convergences entre les deux, et comment le mouvement syndical pourrait contribuer à la création d’une alternative politique, notamment en développant un discours et une pratique plus radicale à l’endroit des politiques gouvernementales d’inspiration néolibérale ainsi qu’en mettant sur pied un programme de formation et d’éducation politique pour les membres.

L’absence coûteuse d’un organisme catalyseur

En réalité, le principal obstacle à la création d’une alternative politique sur le front social semble résider dans l’absence d’un organisme susceptible de jouer le rôle de catalyseur politique des luttes et des revendications des forces progressistes ainsi que de jouer un rôle de coordination sur le plan d’une action politique non-partisane.

Pourtant, Solidarité populaire Québec (SPQ), une coalition qui regroupe quelque l50 organismes syndicaux, populaires et communautaires - tant au niveau national que régional, a été mis sur pied dans ce but il y a plus d’une décennie.

Mais après l’effervescence prometteuse des premières années qui a permis l’adoption de La Charte d’un Québec populaire et démocratique par des milliers de militantEs, cet organisme, lequel jouit d’un budget substantiel provenant en grande partie des centrales syndicales, est entré dans une période de léthargie politique dont il ne s’est pas encore sorti.

On a espéré son réveil en l997 alors que, suite à une décision de son assemblée générale, SPQ a organisé une tournée sur l’analyse de la conjoncture et les stratégies alternatives afin de développer un mouvement de résistance et d’alternative aux politiques néolibérales. Mais à peine amorcée au printemps l998, cette tournée pan-québécoise, qui aurait dû déboucher sur l’élaboration d’un programme unificateur des forces progressistes, a été interrompue et on n’en a plus entendu parler depuis.

Le Rassemblement pour l’alternative politique a tenté de prendre la relève sous une autre forme à compter de la fin de l997. Tel que le stipule le préambule de ses statuts, il se voulait «un lieu de rassemblement permettant de multiplier les échanges entre les militantEs s’activant sur le plan social dans les différents réseaux, groupes, associations et syndicats». Voulant travailler à l’implantation d’un projet de société alternatif, il souhaitait jouer un rôle se situant dans «le prolongement (politique) des organisations syndicales, populaires, communautaires, écologistes et étudiantes».

Mais l’aventure du RAP n’aura duré que quelques mois. Car, à son congrès de l’automne l999, les délégués ont décidé par un vote serré de transformer en parti ce mouvement d’action politique axé sur l’instauration de la démocratie participative et la reconnaissance effective de la souveraineté populaire.

Tant qu’il n’y aura pas d’organisation permanente qui se donnera comme mission de soutenir une démarche vers l’unité, les chances semblent donc minces que les forces progressistes québécoises se mettent en frais de préparer une alternative politique commune.

C’est du moins ce que les faits semblent confirmer. Car, des l4 organismes participants invités par les organisateurs du colloque à une réunion de suivi le 4 juin, un seul a délégué un représentant. Serait-ce que les l3 autres, trop pris par leurs activités pressantes, ne soient pas intéressés à entreprendre une telle démarche beaucoup plus exigeante que de participer à une table ronde lors d’un colloque ? On peut malheureusement parier que oui.

Les partis de gauche amorcent leur démarche vers l’unité

Comme il fallait s’y attendre, ce sont les organisations politiques qui se sont senti les plus concernées par l’appel à l’unité qu’a constitué la tenue du colloque de la fin mai. Le déroulement de la table ronde sur l’unité de la gauche politique, qui a clôturé l’événement et en a été le clou, a fourni une première preuve de cette assertion quand un consensus s’est spontanément dégagé, aussi bien chez les porte-parole des organisations que parmi les intervenants de la salle, sur la nécessité d’amorcer une démarche vers l’unité et ce, dans les meilleurs délais.

Une deuxième preuve s’est ajoutée, le 4 juin, alors que les six organisations politiques ayant participé au colloque - le Bloc Pot, le Parti communiste du Québec (PCQ), le Parti de la démocratie socialiste (PDS), le Parti marxiste-léniniste du Québec (PMLQ), le Rassemblement pour l’alternative politique (RAP) et le Parti vert - ont répondu à l’invitation des membres du comité organisateur en participant à une réunion devant servir à amorcer la démarche.

Les bases du consensus

Le consensus qui s’est dégagé comporte les caractéristiques suivantes 0

1- On abandonne le vieux rêve de la création d’un parti de gauche unique établissant son hégémonie sur les formations existantes, car on estime qu’il serait irréaliste de nier la diversité des composantes de cette mouvance politique.

2- L’unité se fera avant tout par de l’action sur le terrain, et non par des discussions idéologiques en vase clos. Ainsi, lors de la réunion du 4 juin, les représentants des cinq organismes politiques ont accepté de faire partie d’un comité de liaison qui remplacera désormais le comité organisateur du colloque constitué seulement de représentants du RAP. Ce comité de liaison étudiera la possibilité de lancer, dès la reprise des activités à la fin de l’été, une campagne en vue de l’instauration du scrutin proportionnel au Québec, ce qui constituerait la première activité unitaire.

3- Parallèlement au déroulement de ces actions sur le terrain, certains partis, mais pas tous, semblent disposés à envisager l’élaboration d’une plate-forme commune qui pourrait cimenter une éventuelle coalition électorale. Cette question n’a toutefois pas été discutée formellement le 4 juin.

Le score de la gauche

Pour mettre les choses en perspective, il faut se rappeler que les cinq organisations politiques de gauche ayant présenté ou soutenu des candidats lors des dernières élections québécoises, celles de novembre l998, ont inscrit l72 candidats en lice qui n’ont recueilli que 45 053 votes, soit l,l2 % des suffrages globaux, ou une moyenne de 262 votes par candidat.

Michel Chartrand, qui s’est présenté comme indépendant avec l’appui du RAP contre le premier ministre Bouchard dans Jonquière, a été de loin le candidat le plus populaire de la gauche en recueillant 5 023 votes, soit l5 % des suffrages.

C’est aux élections de l989 que les partis de gauche ont obtenu leurs meilleurs résultats en recueillant l26 539 votes, soit 3,71 % des suffrages globaux. Les 46 candidats du Parti vert avaient alors recueilli 65 675 votes, et les 55 du NPD-Québec 0 41 504 voix.

Aux élections de l985, les 90 candidats du NPD-Québec avaient recueilli 82 588 votes, soit 2,42 % des suffrages globaux. Le travail à accomplir est donc considérable avant que la gauche n’occupe enfin la place qui lui revient sur l’échiquier politique québécois.|191| 
572|Deboutte jusqu’au boutte|Pierre Klépock|

Téléphonistes d’Entraide diabétique



Les 43 travailleuses et travailleurs de l’Entraide diabétique de Montréal ont adhéré au Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP-FTQ), en septembre 1999, pour améliorer leurs conditions de travail et mettre fin aux abus du boss. La partie patronale refusant de négocier de bonne foi, les syndiquées, majoritairement des femmes, ont décidé de sortir en grève le 14 avril dernier. Pour toute réponse, l’employeur met la clef dans la porte le 12 juillet prochain, afin de se débarrasser du syndicat, malgré des demandes plus que raisonnables des salariées.

L'Entraide diabétique est un organisme sans but lucratif qui amasse des vêtements usagés pour financer la recherche sur le diabète. Ces vêtements sont ensuite vendus au volume pour environ 8 $ la poche au Village des Valeurs. Lors des négociations, le patron a refusé tout réajustement de salaire de ses employées, qui gagnent à peine plus que le salaire minimum (certaine téléphoniste ont quatre ans d’ancienneté et gagnent 7,15 $ de l’heure). «C’est un droit de se syndiquer pour être capable de se défendre contre les patrons qui abusent de leurs employés. On se syndique, mais l’employeur ferme l’entreprise. Il se fout carrément de nous. Les lois du travail devraient interdire de telles pratiques», déclare Louise Mongeault, présidente de l’unité syndicale.

Des conditions de travail déplorables

«Notre local de travail était trop petit et mal entretenu. On y respirait mal et on manquait de matériel pour bien faire notre job. Une fille était obligée de travailler sur une boîte de carton virée à l’envers, parce qu’il n’y avait pas suffisament de bureau», ajoute Anna Laramée, travailleuse dans l’entreprise. «Malgré tout, le patron nous disait 0 soyez productifs !» Les six camionneurs effectuaient environ 500 collectes de vêtements par jour, cinq jours par semaine... et le boss n’a toujours pas les moyens de payer décemment ses téléphonistes et ses chauffeurs de camion. Pourtant, les syndiquées ont accepté de réajuster leurs demandes selon la capacité de payer du boss, pour ne pas nuire à la cause du diabète.

Un job d’avenir ?

«Le télémarketing est un milieu de travail terriblement dur, où on exige beaucoup des gens. Si on veut faire de Montréal la plaque tournante du télémarketing, ce sera surement la plaque tournante du cheap labor. En se basant sur ce qu’on voit à l’heure actuelle, ce sont des métiers difficiles, peu payants, et sous pression. Une téléphoniste peut faire jusqu’à 400 appels par jour. Avec l’exemple qu’on a ici, quelle sera la qualité de ces emplois ?» note Manon Dubuc, conseillère syndicale du SCEP-FTQ.

Vendre de la guenille sur le dos des pauvres, ça paye !

Saviez-vous que deux organismes, la Fondation québécoise de la déficience intellectuelle (FQDI) et l’Entraide diabétique du Québec (EDQ), recueillent officiellement des vêtements et divers objets pour le compte de la multinationale américaine Village des Valeurs ? Les employés de la la Fondation de la déficience intellectuelle et de l’Entraide diabétique téléphonent chez vous pour solliciter des dons de vêtements usagés qu’ils viendront chercher par camion. Ensuite, ils seront vendus au Village des Valeurs. Mais où va l’argent ? Sûrement pas dans les poches des téléphonistes et des camionneurs.

Selon le magazine Option consommateurs de l’automne 1999, les profits ne sont pas tous versés aux organismes de charité, soit l’Association du Québec pour l’intégration sociale (AQIS) et l’Association du diabète du Québec (ADQ), toutes deux fondatrices de l’Entraide diabétique et de la Fondation de la déficience intellectuelle. En 1997, la Fondation de la déficience intellectuelle a amassé près de 3 millions de dollars et remis

300 000 $, soit moins de 10 % de ses recettes, à des œuvres de charité. Quant à l’Entraide diabétique, elle a récolté plus de 2 millions de dollars et donné 97 000 $ à l’ADQ, moins de 5 % de ses recettes. Le même magazine nous apprend que la Fondation de la déficience intellectuelle accuse un gouffre de un million de dollars dans sa comptabilité et que l’AQIS est propriétaire d’un immeuble évalué à un demi-million de dollars. La question se pose alors 0 quels sont les liens entre Village des Valeurs et ces organismes de bienfaiteurs ? Comme quoi, vendre de la guenille sur le dos des pauvres, c’est payant. Et comme le dit si bien le dicton, charité bien ordonnée commence par soi-même, surtout pour les «crosseurs».|191| 
573|Les 19 500 salariés se portent mal|Gabriel Sainte-Marie|

Hydro-Québec les rend malades



Environ 15 000 consultations l’an dernier pour des problèmes psychologiques (dépression, fatigue chronique, épuisement, burn-out...) au service de santé d’Hydro-Québec. Comme l’affirme Charles Paradis, du Syndicat des métiers d’Hydro-Québec, même si le patient consulte plus d’une fois, la donnée reste éloquente. «Les employés d’Hydro-Québec utilisent de plus en plus leur régime d’assurance-maladie, s’absentent plus souvent et plus longtemps et, enfin, demandent davantage de relocalisations», ajoute-t-il.

Sylvie Tremblay, du Service des relations publiques d’Hydro-Québec, parle de 2000 emplois de moins au cours des deux dernières années. Charles Paradis compte plus de 7000 emplois perdus au cours de la dernière décennie 0 préretraites, départs avec indemnités, employés temporaires licenciés et postes coupés.

Les réorganisations constantes des neuf dernières années et le dégraissage excessif ont contribué à miner le moral des salariés 0 «Ton travail n’est plus valorisant, tu as l’impression de pédaler dans le beurre», affirme Paradis.

«Quand une personne est malade et arrête de travailler, poursuit-il, son poste reste vaquant plus de trois fois sur quatre et ce sont ses camarades de travail qui doivent se partager la tâche.»

Nouveaux calculs

La direction d’Hydro-Québec fait preuve de basse démagogie pour culpabiliser ses travailleurs syndiqués. Pour parvenir à ces chiffres, elle les accuse de coûter chacun des centaines de dollars l’heure. On additionne le salaire horaire de l’employé, la valeur de l’espace de son bureau, une partie du coût du service des ressources humaines et une portion du salaire de ses patrons.

On compare ensuite ce total au coût d’un employé en sous-traitance, calculé en ne tenant compte que de son salaire et de quelques frais minimes. C’est ainsi qu’on harcèle les syndiqués.

Charles Paradis explique que selon la méthode élaborée pour comparer les employés d’Hydro à la sous-traitance, négociée en 1995-1996 entre les syndicats et la direction, les résultats diffèrent. Ces données ont toujours démontré que, pour un même salaire, les employés de l’entreprise d’État étaient plus rentables que les autres.

«Sous-traitance ou pas, les gros patrons garderont leur emploi. Le module des ressources humaines sera toujours nécessaire. Et le sous-traitant devra bien travailler quelque part», dit le représentant syndical. La méthode de calcul utilisée pour faire pression sur les employés est donc à bannir. Le tableau ci-dessous que la direction d’Hydro-Québec garde confidentiel, mais dont nous avons réussi à obtenir copie, illustre quelques exemples de ces calculs.

L’Omertà ?

Autre facteur de tension 0 la loi du silence. Le code d’éthique d’Hydro-Québec stipule que les employés ne peuvent faire de déclarations publiques pouvant ternir l’image de l’entreprise. Donc, pratiquement seuls les employés du service de relations publiques d’Hydro s’adressent aux médias. Le célèbre Flannagan, porte-parole d’Hydro-Québec durant la crise du verglas, en constitue le meilleur exemple.

Changement de mission

«La mission d’Hydro-Québec est de produire, transporter et distribuer l’électricité. Avant 1982, c’était au meilleur coût possible pour le client. Depuis la notion de dividende s’est rajouté», explique Paradis.

Depuis qu’André Caillé est p.-d.g. chez Hydro-Québec, le profit est l’épine dorsale de l’entreprise de service public. Le milliard dix millions $ de profit prévu pour cette année était déjà réalisé à 85% en juin. Le climat change 0 «Syndicalement, on sent que la philosophie de travail, c’est-à-dire être au service de la population du Québec, disparaît pour laisser place à celle de l’entreprise privée.» C’est le but du p.-d.g. En plaçant ses anciens amis comme dirigeants de Gaz Métropolitain aux postes de direction, Caillé réussit tranquillement à changer l’âme de la société d’État.

La sous-traitance tire les salaires et la qualité du service vers le bas

La direction fait constamment allusion à la sous-traitance. La main-d’œuvre ne travaillant pas directement dans le domaine de l’électricité est davantage sensible à la menace puisque ses tâches peuvent être exécutées plus facilement par d’autres entreprises. Il s’agit des services connexes 0 mécaniciens, magasiniers... Charles Paradis du syndicat des métiers d’Hydro-Québec estime qu’il y a entre 1 000 et

1 500 employés œuvrant dans ces services

Paradis donne un exemple 0 «Il est difficile pour le service de photocopie d’un département d’Hydro d’être compétitif face à une compagnie sous-traitante offrant à ses travailleurs des conditions minimales.» Lorsque les budgets sont limités, il est fort tentant d’aller au moins cher.

Ces nouvelles pratiques contribuent à tirer vers le bas les salaires, les avantages sociaux et la sécurité d’emploi des employés d’Hydro-Québec.

Jusqu’à présent, le service de cafétéria, qui a failli être privatisé, a pu être sauvé par les syndicats. Par contre, à la Baie-James, certains services connexes d’Hydro-Québec ont déjà été légués à la sous-traitance, ce qui a permis de noter que le peu d’argent économisé sur les salaires se reflète lourdement dans la qualité du service.

«Services connexes ou autres, la direction accuse toujours les employés de coûter trop cher. Ils ne remettent jamais en question leur organisation», conclut Paradis.|191| 
574|Passer de 35 à 14 % de syndicalisation|Pierre Klépock|

L’american dream des boss



«Tel qu’il est actuellement, le Code du travail fait l’affaire des boss. Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) se satisfait pleinement du statu quo. Sans compter que le gouvernement du Québec manque de courage politique pour modifier le Code dans notre sens. Faut-il rappeler au parti au pouvoir, que lors du dernier référendum, les syndiqués ont voté majoritairement pour la souveraineté ? Lorsque nous serons plus de 50 % de syndiqués, nous gagnerons le prochain référendum. Il faut permettre à plus de salariés de se syndiquer». C’est sur ces mots que Roger Valois, vice-président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), a ouvert le 3 mai dernier la conférence sur la réforme du Code du travail.

Convié par la CSN sous le thème Un nouveau Code du travail dans la nouvelle économie, c’est au Palais des congrès de Montréal que le monde du travail s’est donné rendez-vous. Des représentants et des représentantes des centrales syndicales CSD, CEQ, FTQ et des organismes militant en faveur des droits des jeunes et des femmes, ainsi que du milieu universitaire, y ont pris la parole. Après une présentation des grands enjeux, force est de constater que les transformations du marché du travail se sont accentuées en faveur du patronat 0 multiplication vertigineuse des PME, phénomène de la sous-traitance, effritement du salariat, augmentation du travail autonome, judiciarisation des rapports collectifs de travail, etc. Ce qui se traduit par la détérioration des droits sociaux et du travail, et un nombre croissant d’employé-es qui ne peuvent exercer librement leur droit de se syndiquer.

Le nouveau marché du travail et les faiblesses du Code du travail

Notre régime du travail date pour l’essentiel de 1964. Pensé en fonction des grandes entreprises, il ne tient plus compte de la réalité des travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui, de plus en plus à l’emploi de PME. L’augmentation du travail autonome est surtout le lot des jeunes et des femmes. Ils sont des milliers travaillant pour le compte de plusieurs employeurs, sans protection sociale ou syndicale. Le droit de se syndiquer est de plus en plus difficile à exercer 0 les nombreuses possibilités d’appel, les délais indus permis par le Code du travail, l’augmentation des congédiements pour activité syndicale, les montants d’argent investis par des boss véreux contre des campagnes de syndicalisation, etc., sont monnaie courante dans le monde du travail. Résultat 0 le pourcentage de syndiqué-es au Québec a chuté de 49,7 % en 1992 à 39,5 % en 1999. C’est clair qu’il y a une offensive patronale contre les salariés et leurs syndicats.

Les orientations de la ministre du Travail

Au lieu de retenir les revendications syndicales, la ministre du Travail, Diane Lemieux, préfère se donner l’obligation de tenir compte du contexte nord-américain. De 1954 à aujourd’hui, le taux de syndicalisation aux États-Unis est passé de 35 % à 14 %, un rêve pour le patronat québécois.

C’est ainsi qu’elle rendait public, le 7 mars dernier, ses «orientations ministérielles» dans un document intitulé Pour un Code du travail renouvelé. De plus, alors qu’il y a peu de conflits de longue durée au Québec (33 entre 1996 et 1998, soit 12 % de l’ensemble des grèves et des lock-outs), Mme Lemieux souhaite encadrer le droit de grève, déjà fort restreint dans notre Code, lorsqu’un arrêt de travail dépasse 100 jours ouvrables. Plusieurs moyens sont proposés 0 tenir un vote obligatoire des syndiqués suite à une recommandation d’un médiateur, porter le différent en arbitrage, etc. Pourtant, il y a une autre solution pour freiner les conflits de longue durée. En France, on fait payer les grèves par les boss, ce qui les obligerait à ne pas laisser pourrir les conflits.

La riposte s’organise ?

Sous l’effet des attaques concertées de l’État et du patronat, le mouvement syndical a subi des reculs importants ces dernières années 0 taux de syndicalisation en chute libre, insécurité face aux mises à pied et aux fermetures, recul sur plusieurs droits syndicaux. Certains secteurs d’emploi restent difficilement syndicables en l’absence de modifications au Code du travail qui permettraient l’accréditation multipatronale. Par solidarité avec les sans-voix, cette situation interpelle les syndiqués. Les boss veulent mettre en balance les conditions de travail arrachées de haute lutte. «Il faut absolument que l’article Un du Code affirme que son objectif est de favoriser l’accès à la syndicalisation. C’est encore le meilleur outil pour partager la richesse et combattre la pauvreté. Fini le tétage politique ! C’est la responsabilité du monde syndical d’organiser un vaste mouvement social pour nous permettre d’arracher la réforme du Code du travail. Il faut faire la vie dure aux boss qui empêchent le droit de se syndiquer», a conclu Marc Laviolette, le président de la CSN.

La liberté, c’est le libre exercice du droit de se syndiquer

Dans les pays où les taux de syndicalisation sont très élevés (Scandinavie) et où les syndicats sont extrêmement combatifs (France, Italie, etc.), les services publics et les programmes sociaux sont grandement développés. En intégrant ces revendications immédiates de la CSN dans un nouveau Code québécois du travail, on élargirait les protections sociales à l’ensemble de la population, en augmentant le pourcentage de syndiqué-es au Québec 0

UNE COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL aurait le pouvoir, entre autres, d’accréditer sur-le-champ un nouveau syndicat quand un boss utilise des pratiques déloyales qui ont pour effet de briser toute tentative de syndicalisation.

DES NÉGOCIATIONS REGROUPÉES 0 L’obligation devrait être faite aux boss de rencontrer un regroupement syndical d’un même secteur économique (par industrie, profession, commerce, petite entreprise, etc.) et de négocier au niveau régional ou national (exemple 0 les employés syndiqués de six restaurants McDonald et de quatre restaurants Harvey’s dans un même quartier négocient une convention collective avec ce même groupe patronal).

LA RECONNAISSANCE DU TRAVAIL AUTONOME 0 le droit d’association et de négociation des travailleurs et travailleuses autonomes par un mode d’accréditation multisectorielle (camionnage, pigistes, etc.).

LA DÉCLARATION D’EMPLOYEUR UNIQUE 0 les entreprises associées devraient être déclarées comme employeur unique lorsqu’il y a manifestement un seul donneur d’ouvrage.

LA RESTAURATION DE L’ARTICLE 45 DU CODE DU TRAVAIL 0 protection des emplois syndiqués par la reconnaissance du syndicat et de la convention collective lorsque l’entreprise change de propriétaire, déclare faillite ou donne de l’ouvrage en sous-contrat, ou encore lorsqu’il y a vente en justice.

Le marché du travail a changé... Mais un boss reste un boss. Les profits passent avant le bien-être des classes laborieuses. Le Code du travail a besoin d’être modernisé et renforcé en faveur des syndicats. Il ne répond plus aux nouvelles réalités du travail, ni à l’anti-syndicalisme des patrons. Des milliers de travailleuses et de travailleurs non-syndiqués ne peuvent pas se défendre contre la voracité capitaliste. C’est pourquoi le Code du travail doit favoriser l’accès au syndicalisme à un plus grand nombre.|191| 
575|La grève selon trois syndicalistes québécois|Pierre Klépock| La conférence sur le Code du travail n’a pas fait mention du droit de grève très limité au Québec. Ce droit fondamental, reconnu par le droit international, ne devrait-il pas être une liberté publique, consacrée par le Code du travail et la Charte des droits et libertés ?

En France et dans plusieurs pays du monde, la reconnaissance du droit de grève, légal en tout temps, même pendant l’application d’une convention collective en cours d’exécution, est protégé, garanti et consacré par la Constitution. Tout bon syndicaliste sait très bien que sans droit de grève, le droit d’association et de négociation est pure fumisterie.

Un syndicat n’est pas un club de pêche

«Le droit de grève qui est un corollaire essentiel du droit d’association, comme le droit de négociation d’ailleurs, est sérieusement remis en cause dans les secteurs public et parapublic de même que dans toute l’industrie de la construction au Québec.

On a patenté par loi un Conseil des services essentiels qui doit appliquer les restrictions au droit de grève dans le secteur public. La grève, dans ces conditions, devient symbolique. Comme personne ne s’associe pour rien (un syndicat n’est pas un club de pêche), s’il n’est pas permis d’exercer un rapport de force pour négocier sur un pied d’égalité, le droit d’association est largement entamé.»

Marcel Pepin, syndicaliste socialiste, président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) de 1965 à 1976 et de la Confédération mondiale du travail (CMT) de 1973 à 1981. Le nécessaire combat syndical, éd. ACFA, 1987, p. 364.

Jean Gérin-Lajoie, syndicaliste social-démocrate, directeur au Québec du Syndicat des Métallos (FTQ) de 1965 à 1981. La lutte syndicale chez les Métallos, éd. Du Jour, 1973, p. 90 et 92.

une limite de temps au droit de grève

«Le mémoire de la FTQ sur la liberté d’association contenait cette revendication de donner aux travailleurs le droit de grève pendant la durée des conventions collectives. J’ai plusieurs fois indiqué qu’elle me semblait le seul espoir de sortir du carcan actuel des arbitrages pour régler tous nos problèmes concrets de conditions de travail (...).

Une priorité importante de l’action syndicale doit être non seulement d’être prêt à recourir à la grève, mais aussi à lutter jalousement pour protéger nos droits légaux de faire la grève et surtout pour étendre ces droits à tous les travailleurs.»

grève est le seul moyen d’être écouté

«Il n’y a pas de dialogue possible avec le patronat, à moins d’avoir de la force en arrière.»

Congrès du CCSNM, 1973.

«Tant que t’es pas sorti en grève, le patronat ne sait pas si tu vas sortir. Quand tu es sorti, il sait où tu es. Cela me paraît une évidence.»

Congrès du CCSNM, 1976.

«Je n’ai pas envie de voir les membres de l’exécutif de la CSN avoir l’air de bouffons. Allez parler à des employeurs ! Le seul temps qu’ils nous écoutent, c’est pas quand on va leur présenter des mémoires, c’est quand les travailleurs disent 0 “Tu l’auras plus ta marchandise, mon ti-gars, tu vas t’en passer.”»

Congrès du CCSNM, 1977.

Michel Chartrand, syndicaliste-révolutionnaire, président du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal (CCSNM-CSN) de 1968 à 1978. Les dires d’un homme de parole, Lanctôt Éditeur, Fernand Foisy, 1997, p. 223|191| 
576|La «flexibilité» pour détruire la classe ouvrière|Pierre Dubuc|

Chronique de l’An zéro



Les débats qui viennent de s’amorcer entourant la réforme du Code du travail nous font prendre conscience de l’incroyable effort déployé par le patronat au cours des dernières décennies pour fragmenter, parcelliser et provoquer l’éclatement de la classe ouvrière. Au-delà de l’individualisme à tous crins distillé par l’idéologie néolibérale, il faut s’attarder aux stratégies patronales mises en œuvre au niveau des entreprises. Dans un livre publié récemment*, deux sociologues français, Luc Boltanski et Ève Chiapello, analysent l’évolution du marché du travail en France depuis la fin des années 1970. On y retrouve beaucoup de similitudes avec notre propre expérience.

C'est sous le drapeau de la «flexibilité» que s’est opérée ce qu’il convient d’appeler l’offensive patronale parce qu’il apparaît que les profondes modifications apportées au marché du travail sont le fruit d’une stratégie concertée des dirigeants d’entreprise.

«Flexibilité» interne avec l’introduction de la polyvalence des métiers, la production juste-à-temps, les cercles de qualité, l’instauration de la concurrence entre les équipes de travail à l’intérieur même de l’usine.

«Flexibilité» externe avec la sous-traitance, les emplois précaires, le recours à des agences de placement et à des travailleurs «autonomes». Dans plusieurs entreprises, le nettoyage, le gardiennage, la blanchisserie, la restauration, le transport ont été transférés de l’industrie au secteur des services. Ce fut aussi le cas des services-conseils, de la recherche, des services informatiques, juridiques, comptables.

Ces transferts expliquent pour une bonne part, nous disent les auteurs, l’augmentation trompeuse du nombre de PME et le gonflement du tertiaire au cours des dernières décennies. Cet éparpillement camoufle également la concentration économique et le renforcement des grands groupes industriels et financiers.

Un double marché du travail

Ces modifications ont transformé radicalement le marché du travail. On pourrait même parler d’un double marché du travail 0 d’un côté, en rétrécissement, une main d’œuvre stable, qualifiée, syndiquée, bénéficiant d’un niveau de salaire relativement élevé dans des grandes entreprises et, de l’autre, en pleine expansion, une main d’œuvre instable, peu qualifiée, sous-payée et faiblement protégée dans les petites entreprises dispensatrices de services connexes.

Plusieurs des emplois autrefois stables se retrouvent aujourd’hui précaires, à temps partiel ou temporaires. Des emplois autrefois considérés comme «ouvriers» ont glissé vers les services et se retrouvent dans la catégorie fourre-tout dite des «employés».

Comme jamais auparavant, les salariés sont mis en compétition les uns avec les autres par le biais de la sous-traitance et du travail précaire, mais également à l’intérieur de l’usine avec la création de groupes de travail comme l’illustre bien un dossier sur les usines Renault publié dans Le Monde diplomatique du mois de décembre 1999.

Récupérer «les idées de Mai 68»

Pour les auteurs de l’ouvrage Le nouvel esprit du capitalisme, le renversement de situation qui s’est produit entre la décennie 1968-1978 et la décennie 1985-1995 (voir encadré) n’est pas le fruit du hasard. Leur analyse démontre que le patronat s’est assez rapidement rendu compte au début des années 1970 que sa politique de concessions salariales, d’une part, et d’augmentation des contrôles sur le plancher de l’usine, d’autre part, était improductive. Elle ne parvenait pas à freiner l’agitation sociale ni à contrer dans l’usine l’absentéisme, le turn-over, les malfaçons, sans parler des grèves.

Des fractions plus éclairées du patronat prennent alors au sérieux les avis des consultants, spécialistes en relations humaines et sociologues qui les invitent à comprendre que tout n’est pas à rejeter dans les «idées de Mai 68», c’est-à-dire dans les aspirations à plus d’autonomie, de liberté, voire d’«autogestion» !

Dans un rapport publié en 1978, la Commission Trilatérale des Rockefeller** opte pour le développement de formes de participation directe sur le lieu de travail. Le cœur de cette approche consiste à remplacer le management autoritaire par «des groupes de travail semi-autonomes, qui ont la responsabilité de l’organisation du travail confié au groupe».

Les auteurs démontrent essentiellement que le capitalisme a récupéré les «idées gauchistes» de Mai 1968 et en a fait le pivot de la réorganisation du travail. Le changement a consisté à remplacer le contrôle exercé par le management par l’auto-contrôle, et à en faire assumer le poids et les coûts par les salariés.

La contribution des «nouveaux mouvements sociaux»

Cette opération n’aurait évidemment pas pu s’opérer sans l’affaiblissement du mouvement syndical par suite de nombreuses fermetures d’usine et leur relocalisation dans le tiers-monde. Mais, chose à la fois étonnante et intéressante, Boltanski et Chiapello soulignent la «contribution» de nouveaux «mouvements sociaux» qui ont fait du rejet du totalitarisme leur credo. Ils énumèrent les mouvements féministes, homosexuels, antinucléaires et écologistes.

Selon eux, le changement auquel travaillaient les entreprises et qui allait aboutir à la formation de nouvelles formes d’expression et de représentation «directes» des salariés (cercles de qualité, groupes d’expression, etc.), allaient bénéficier de la critique des hiérarchies de ces «nouveaux mouvements sociaux».

En fait, la critique classique du capitalisme axée sur les revendications sociales (salaires, législations sociales, sécurité du travail) subissant les contre-coups de l’écroulement du bloc soviétique, aurait cédé la place à une critique petite-bourgeoise, autogestionnaire, vite récupérée par les entreprises pour leur plus grand profit. Désormais, «l’autonomie» du travailleur est célébrée, son appartenance de classe est proclamée disparue.

Quand l’exclusion remplace l’exploitation

Dans un autre chapitre de leur ouvrage, les auteurs décrivent l’affaiblissement des défenses du mouvement ouvrier par suite de cette déconstruction du monde du travail. Ils insistent sur la désyndicalisation, très importante en France, par suite de la répression, des restructurations, du contournement des syndicats par le néomanagement. Les particularités du syndicalisme français limitent cependant la comparaison avec notre situation.

Par contre, nous pouvons nous reconnaître dans leurs remarques sur la remise en cause des classes sociales, du déplacement du débat social du terrain de l’exploitation vers celui de l’exclusion, alors que l’antagonisme entre classes sociales est remplacé par l’idée d’un large consensus, tout juste contrarié par quelques situations extrêmes. Le résultat est évidemment le remplacement de l’idée de lutte pour une société sans exploitation, le socialisme, par un repli sur l’action humanitaire ou charitable.

Pour renverser la tendance, il faudrait d’abord revaloriser le statut de travailleur syndiqué et reconnaître à la classe ouvrière son identité.

De la lutte des classes à l’aide humanitaire

«On ne peut qu’être frappé par le contraste entre la décennie 1968-1978 et la décennie 1985-1995. Première période 0 un mouvement social offensif qui déborde largement les limites de la classe ouvrière; un syndicalisme très actif; des références aux classes sociales omniprésentes, y compris dans le discours politique et dans celui des sociologues et, plus généralement, des intellectuels qui développent des interprétations du monde social en termes de rapports de forces et voient de la violence partout; un partage de la valeur ajoutée qui s’infléchit en faveur des salariés qui bénéficient aussi d’une législation accroissant leur sécurité; et, parallèlement, une diminution de la qualité des produits et une baisse des gains de productivité imputables, au moins en partie, à l’incapacité du patronat, des directions et du management à contrôler la force de travail.

Seconde période 0 un mouvement social qui ne se manifeste pratiquement plus que sous la forme de l’aide humanitaire; un syndicalisme désorienté et qui a perdu l’initiative de l’action; un quasi-effacement de la référence aux classes sociales (y compris dans le discours sociologique) et, au premier chef, de la classe ouvrière, dont la représentation n’est plus assurée au point que des analystes sociaux de renom peuvent affirmer sans rire qu’elle n’existe plus; une précarisation accrue de la condition salariale; une augmentation des inégalités de revenu et un partage de la valeur ajoutée de nouveau favorable au capital; une remise sous contrôle de la force de travail marquée par une diminution très importante des conflits et des grèves, par un recul de l’absentéisme et du turn-over et un accroissement de la qualité des biens manufacturés.» (p. 242)

* Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, nrf essais, Gallimard, 1999, 843 p.

** Voir notre dossier sur la Commission Trilatérale, l’aut’journal, no. 188.|191| 
577|L’écroulement des prochains viaducs ne sera peut-être pas imputable à des vices de fabrication|Pierre Dubuc|Le ministre Guy Chevrette s’est taillé la réputation d’un ministre qui n’est pas à ses affaires. Alors qu’il était ministre des Régions, il s’en était fait passer de «p’tites vites» – pour reprendre son expression – et sa propre région de Lanaudière avait été dépouillée dans le temps de le dire de cinq directions régionales, sans compter le siège social de la Commission scolaire des Samares qui avait émigré dans le comté voisin de Berthier. On avait alors calculé qu’il manquait 650 fonctionnaires à Joliette pour atteindre la moyenne nationale.

Cordonnier mal chaussé d’un pays colonisé

La feuille de route du ministre des Transports n’est pas plus reluisante. Les chemins de son comté sont reconnus pour être parmi les plus mal foutus et les plus dangereux du Québec avec des ornières profondes comme des dalots d’allées de bowling et l’absence de lignes blanches de signalisation.

Cela n’empêche évidemment pas notre ministre Chevrolette de faire très chèrement payer, à même les augmentations à répétition des frais d’immatriculation, les automobilistes de son comté et de l’ensemble du Québec pour les dommages causés aux voies publiques par le passage de camions trop lourdement chargés par suite d’une législation trop permissive.

Drôle de pays que le Québec, où on transforme en pistes cyclables les voies ferrées, où pourraient circuler des trains alimentés à l’électricité – notre principale ressource naturelle –, ce qui diminuerait d’autant notre dépendance à l’égard des importations de pétrole. Mais on préfère plutôt subventionner nos exportations d’électricité aux États-Unis et enrichir les pétrolières étrangères.

Taxer l’automobiliste, le promeneur... et le manifestant

Toujours est-il que notre Chevrolette est aujourd’hui un partisan du principe de l’utilisateur-payeur. Bien entendu, cela ne vise pas les puissants de ce monde, comme les compagnies de transport qui «maganent» nos routes. Marcel Pepin avait bien pris la mesure de l’homme lors de la Commission Cliche dans les années 1970. Dans le livre que Jacques Keable lui a consacré, Pepin déclare 0 «J’en ai connu qui perdaient pied quand ils avaient l’occasion de rencontrer du monde important. Et je me suis rendu compte que Chevrette était de cette catégorie.»

On se rappellera que Chrevrolette s’est fait le promoteur de ponts payants pour enjamber le Saint-Laurent dans la région de Montréal. Plus récemment, lui qui est aussi ministre responsable de la Faune et des Parcs vient de décréter qu’il en coûtera 4 $ par adulte pour emprunter les sentiers des parcs du Québec pour aller entendre le gazouillis des oiseaux. C’est la «taxe sur le bol d’air».

Mais rien n’arrête notre Chevrolette dans son projet de taxer tout ce qui emprunte sentiers, chemins ou routes. Le coq de Joliette promet en effet de taxer lourdement et saisir les véhicules des agriculteurs, camionneurs, syndicalistes et autres Gaspésiens qui oseront «entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l’accotement ou les abords, ou y placer un obstacle», pour reprendre les termes du projet de loi qu’il a présenté.

Les amendes seront salées. De 300 $ à 600 $ pour une première infraction. De 3 000 $ à 6 000 $ en cas de récidive. Ceux qui auront planifié, organisé ou dirigé l’action concertée risquent plus gros encore. Une amende de 3 000 $ à 9 000 $ et, en cas de récidive, de 9 000 $ à 27 000 $ !

De plus, les policiers seront habilités à faire enlever aux frais du propriétaire les obstacles, de même qu’à les saisir. Sur déclaration de culpabilité, un juge pourra même ordonner la confiscation des objets ou véhicules saisis. Le ministre de la Sécurité routière s’improvise maintenant ministre de la Sécurité civile !

Les prochains ponts qui s’écrouleront...

Jadis le maire Jean Drapeau avait fait adopter un règlement anti-manifestation pour empêcher toute contestation publique et collective dans les rues de Montréal. En octobre prochain, nous commémorerons le trentième anniversaire des événements auxquels avait conduit cette mesure antidémocratique. Notre Chevrolette, son patron Bouchard et le conseil des ministres devraient y réfléchir à deux fois. Si la voie publique n’est plus publique, comment la colère profonde qui court dans ce pays parviendra-t-elle à se faire entendre ? L’écroulement des prochains viaducs ne sera peut-être pas imputable à des vices de fabrication.|191| 
578|Trop de touristes ! Pas assez d’îles...|Pol Chantraine| – Que c’est joli ! Que la vie y est belle ! Dire qu’il y a des chanceux qui vivent là à l’année longue !

Les vacanciers qui envahissent les endroits touristiques durant l’été se font souvent une idée fausse des lieux réputés enchanteurs où ils séjournent. D’une part, parce qu’ils portent un jugement de gens en vacances; d’autre part, parce qu’ils ne perçoivent pas les problèmes que suscite leur visite massive pendant deux mois de l’année, ni ceux liés au développement d’une industrie touristique.

Depuis un quart de siècle et la mise en service d’un traversier entre Souris (Île-du-Prince-Édouard) et Cap-aux-Meules, les Îles-de-la-Madeleine ont vu leur tourisme croître de façon exponentielle1. Quelques centaines de «visiteurs» autrefois, ce sont maintenant au moins quatre dizaines de milliers de «touristes» qui y estivent. Leur apport économique incontestable se paie au prix d’impacts écologiques et sociaux que l’on ne comptabilise jamais dans les bilans. Et on appelle sans cesse un accroissement de l’affluence sans tenir compte des limites de la capacité d’accueil d’un petit territoire insulaire où quatorze mille personnes vivent en permanence.

Les «cages à touristes»

Outre sa lourde taxe sur l’environnement et la dégradation du patrimoine architectural qu’il amène, du fait que les «cages à touristes», roulottes reconverties et autres constructions «parallépipédiques» flétrissent le coup d’oeil et font outrage aux jolies maisons acadiennes traditionnelles du voisinage, l’impact touristique s’est signalé, l’été dernier, de façon olfactive. La plupart des municipalités de l’archipel n’ayant pas de système d’égout, on dispose des eaux usées dans des réservoirs septiques et des champs d’épuration individuels. Les réservoirs sont périodiquement vidés de lisier humain mis à décanter dans de grands réservoirs à ciel ouvert au Centre de traitement des déchets, où il est ensuite composté en terreau. Or, ces réservoirs sont conçus pour les besoins de quinze mille personnes et non pour ceux du double ou du triple. Ils débordaient donc de juin à septembre 1999, dégageant alentour l’odeur de fleurs des champs que l’on sait. Le camion citerne qui vidange les fosses septiques a été vu déchargeant son contenu dans les dunes. Avant d’envisager le financement d’un navire de croisière de quatre cents passagers pour amener encore plus de touristes dans l’archipel, comme ça se discute, ne faudrait-il pas investir dans cette moins noble nécessité ?

Si le problème de l’approvisionnement en eau ne s’est pas encore vraiment posé pendant les deux mois du tourisme, on le doit à l’effondrement de la pêche et à la fermeture des usines de transformation du poisson, grandes consommatrices d’eau, pendant les années où augmentait considérablement l’affluence touristique. Mais que cette activité reprenne et que s’y ajoute la consommation des 15 000 Madelinots plus une vingtaine de milliers de touristes nord-américains, qui sont les plus gros gaspilleurs d’eau de la planète, et ce sera l’assèchement des réserves, du reste souvent frôlé au cours des mois d’été dans certaines municipalités.

On a perdu la fleur de lys

Autre impact du tourisme sur l’environnement 0 la dégradation du paysage. Outre que c’est un paradoxe puisque celui-ci, fait de longues plages blondes, de falaises rouges et de collines verdoyantes, est publicisé comme le principal attrait touristique des Îles, il a été lourdement taxé et continue à l’être pour la construction d’infrastructures routières et portuaires indispensables à l’industrie de la visite. Le Cap de l’Est, avec ses trois promontoires qui le faisaient ressembler à une fleur de lys gigantesque2, en a perdu un et demi, dont il ne reste qu’un moignon, pour la construction de chaussées de routes et de digues. Même situation avec la butte à Cajetan, du massif de Havre-aux-Maisons, autrefois le troisième sommet de l’archipel et encore célébrée dans l’Encyclopédie Larousse des Beautés du Monde de 1972. Elle est aujourd’hui complètement rasée. Chaque fois qu’il se construit un havre, ce qui est assez normal dans des îles, c’est par millions de tonnes que les caps pierreux se font gruger et démolir. Ainsi, l’agrandissement du port de Cap-aux-Meules en 1998, pour accueillir le nouveau traversier, a-t-il infligé de nouvelles blessures au territoire, et l’allongement des pistes de l’aéroport pour accueillir des jets, souhaité par l’industrie touristique, contribuerait-il encore au nivellement du paysage.

Ce gros traversier, racheté d’Irlande, emporte autant de touristes et d’approvisionnement en un seul voyage que l’ancien en trois. C’est très bien pendant les deux mois du tourisme. Il fait sa navette quotidienne, et les Madelinots tout comme les touristes doivent y réserver leur place plusieurs jours d’avance, ce qui est un peu injuste pour les premiers, vu que ce navire est pour ainsi dire leur route. Or, une fois l’afflux touristique passé, ce gros bateau ne navigue plus que vers Moncton (à 250 km) une fin de semaine en octobre ou en novembre. Les passagers doivent partir le jeudi et ne revenir que le mardi suivant.

L’avant et l’après

Les touristes qui prolongeraient leur séjour, ne serait-ce que jusqu’à la fin septembre, seraient effarés par la diminution des services 0 la plupart des bons restaurants vantés par la publicité, les cafés, les galeries sont fermés pour dix mois; fermées, les boutiques et même la poissonnerie; il n’y a plus aucun spectacle ni vie culturelle visible alors qu’on a fait tant de gorges chaudes sur ce fameux pays «d’accueil et de culture» qui offre à la centaine spectacles et expositions pendant les soixante jours du tourisme; les boulangeries ont licencié une partie de leur personnel et n’offrent plus toutes ces variétés de bons pains, de tartes et de gâteaux qui ont donné l’illusion aux touristes que les insulaires n’avaient vraiment rien à envier sur ce plan aux citadins.

En fait, l’industrie touristique opère un déséquilibre profond de la vie même des insulaires, laquelle avait déjà tendance à être débalancée par la saisonnalité de la pêche. Tout arrive en deux mois et en un tel feu d’artifice qu’il fait paraître d’autant plus désolant quelque-chose qui perdure pendant les dix autres. Cela n’est pas sans changer la mentalité des insulaires envers les estivants, qui se teinte parfois d’un certain cynisme. Autrefois appelés visiteurs et chaleureusement accueillis dans les maisons par les îliens avides des nouvelles «d’en dehors», ceux-ci repartaient imprègnés du caractère débonnaire et spontané des Madelinots; maintenant plus nombreux que les insulaires en saison, les touristes sont ressentis comme une marchandise quelque peu envahissante, mais nécessaire. Mais par la force du nombre, c’est la mentalité de clients de l’industrie touristique et d’urbains qui déteint sur celle des insulaires. Et qui a tendance à s’y incruster.

1 Lire Pol Chantraine, Les Îles-de-la-Madeleine, dernier refuge du vent, l’Actualité, Montréal, avril 1981.

2 Lire Marie-Victorin, Chez les Madelinots, Procure des frères des Écoles chrétiennes, Montréal, 1920.|191| 
579|Nouvelle victoire de l’industrie forestière|Nathalie Marois|

La forêt sort perdante



En mai dernier, le ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard, déposait son projet de loi visant à apporter des modifications à la Loi sur les forêts, résultat d’une consultation publique où seuls trois groupes écologistes et dix représentants du milieu autochtone se sont exprimés sur un total d’environ 500 participants appartenant majoritairement au milieu industriel. Une fois de plus, l’industrie forestière sort gagnante de cette mascarade, au détriment de la nature et de la démocratie.

La dernière révision de la loi n’ébranle en rien les fondements du régime forestier, instauré en 1986; l’industrie forestière demeure la principale bénéficiaire d’une ressource à 90 % collective (forêt publique), laissant ce qui reste aux autres utilisateurs.

La privatisation de la forêt

Les contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestiers (CAAF) conclus sur un horizon de 25 ans et révisés tous les cinq ans permettent aux industries de puiser tout le bois nécessaire à leurs opérations, dans la mesure où elles assurent la régénération naturelle de la forêt ou qu’elles effectuent des travaux d’aménagement afin de garantir le rendement soutenu de la forêt.

Or, là où le bât blesse, c’est notamment sur le mode de calcul qui détermine les volumes de bois accordés aux industries. Ceux-ci sont octroyés en fonction de savants modèles informatiques supposés prévoir le rendement de la forêt sur les 150 prochaines années. Ainsi, on permet aux forestiers de récolter plus de bois que la forêt n’en produit en présumant pouvoir atteindre les objectifs de rendement fixés grâce aux travaux d’aménagement.

Or, comment peut-on prévoir les effets des changements climatiques et des pluies acides sur la forêt de demain, de même que la fréquence et l’ampleur des feux de forêts et des épidémies d’insectes ? «C’est comme gruger sur le capital en espérant que les taux d’intérêt futurs seront assez élevés pour le rembourser», affirme Henri Jacob, président du Réseau québécois des groupes écologistes.

Cette foresterie virtuelle a d’ailleurs été dénoncée par plusieurs ingénieurs forestiers dont certains devant la caméra de Robert Monderie et de Richard Desjardins dans le film L’Erreur boréale. Même des fonctionnaires du ministère des Ressources naturelles ont affirmé dans un document interne, dont The Gazette a obtenu copie, douter sérieusement des hypothèses de renouvellement de la ressource.

Du côté de la Fédération des travailleurs de bois du Québec qui regroupe des extracteurs de bois de la forêt privée, on est peu rassurée par le fait que le gouvernement laisse l’industrie contribuer à 50 % au fonds forestier qui finance notamment la recherche et l’inventaire forestier. «Qui dit financement, dit pouvoir de décision et de surveillance. Le gouvernement devrait contribuer majoritairement au financement pour avoir un point décisionnel plus important», affirme Victor Brunette, directeur général de la fédération.

Du rendement soutenu au rendement accru

Dans la dernière révision de la loi, le ministre Brassard introduit le principe de rendement accru sur certaines parties du territoire de façon à en soustraire d’autres de l’exploitation, créant ainsi des aires protégées. Il faut dire que, sur l’ensemble des États de l’Amérique du Nord, le Québec est celui qui protège le moins de territoires. Cette mesure palliative ne semble toutefois pas rassurer le milieu écologiste. «On ne serait pas étonné que les espaces protégés qui seront sélectionnés soient de toute façon improductifs et inutilisables», affirme Henri Jacob.

Parmi les initiatives de protection, le ministre impose également une limite nordique (à partir du nord de Chibougamau) au-delà de laquelle aucune activité d’aménagement forestier ne sera permise à l’exception de celles destinées à satisfaire les besoins des communautés locales. En accord avec le principe, les écologistes ne sont toutefois pas dupe du fait que cette mesure n’est pas très dérangeante pour l’industrie qui prélève peu de bois à cette latitude.

«Le ministre a choisi le rendement accru, car il n’arrive pas à fournir le bois qu’il s’est engagé à donner aux compagnies dans les CAAF», ajoute Henri Jacob. Le principe de rendement soutenu consiste théoriquement à assurer la repousse d’un volume équivalent de bois à celui récolté. Pour atteindre l’objectif de rendement accru on devra ainsi intensifier «l’artificialisation» de la forêt par l’utilisation d’arbres transgéniques, de clones à croissance rapide, et recourir à des pesticides pour éliminer la végétation indésirable. À quand les arbres en plastique !

De l’avis de Pierre Dubois, coordonnateur de la Coalition sur les forêts vierges nordiques qui regroupe des syndicats, des écologistes, des autochtones et des organisations populaires et cléricales, le mode d’attribution des volumes de bois est non viable sur les plans économiques et écologiques. «Une réforme du régime forestier s’impose si l’on veut assurer la survie des emplois dans le secteur forestier», affirme-t-il.

Moins on en sait plus on en cache

Le manque de crédibilité accordée au processus de consultation publique sur la révision du régime forestier en a fait reculer plusieurs. «Un délai de trois semaines a été accordé pour consulter la documentation et pour produire un mémoire. C’est dérisoire !», affirme Henri Jacob. De plus, allant à l’encontre de demandes populaires, le gouvernement a maintenu sa position de tenir les consultations en période électorale. «Les fonctionnaires sont discrets sur les... données quand ils ne savent pas qui sera leur prochain boss», ajoute Henri Jacob.

De l’avis des écologistes, seule une enquête publique indépendante permettrait de rétablir la crédibilité du gouvernement sur la gestion des forêts.«Il est primordial d’avoir un portrait juste de la situation car actuellement la population n’est pas correctement informée et les décisions se prennent en faveur du lobby de l’industrie», affirme Pierre Dubois. Dès septembre prochain, on débattra du projet de loi en commission parlementaire où le gouvernement sera à la fois juge et partie. On est encore loin du débat démocratique sur la question forestière que réclame 80 % de la population québécoise. |191| 
580|De Gaulle était québécois|Michel Lapierre| Au pays du frère André et de Maurice Richard, tout est question d’interprétation. Avant de mourir, Jean Drapeau espérait écrire un livre pour nous démontrer, par A plus B, que le général de Gaulle, le 24 juillet 1967, n’avait pas voulu dire «Vive le Québec libre !» en criant «Vive le Québec libre !». Pour Drapeau, l’indépendance, c’était l’impensable; et, de plus, c’était l’horreur. Le sens du grandiose qui animait Drapeau n’était pas le sens de la grandeur qu’incarnait de Gaulle.

Le métro, l’Expo 67, et plus tard les Jeux olympiques, ne suffiront pas à Drapeau. Visant toujours plus haut, le maire rêvait d’installer la tour Eiffel à Montréal — oui, la tour Eiffel ! —, en la démontant pièce par pièce, selon la technique éprouvée du meccano. Mais, de son côté, de Gaulle avait dit, dès le 29 mars 1967 0 «…je n’irai pas au Québec pour faire du tourisme. Si j’y vais, ce sera pour faire de l’Histoire.» C’est ce que rapporte Alain Peyrefitte, dans le tome troisième de C’était de Gaulle, compte rendu des incroyables propos de l’homme qui, en résumant sa vie, avouait, en 1969, à son ami André Malraux 0 «Le seul révolutionnaire, c’était moi.»

Un délire solitaire

Que de Gaulle, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, ait voulu dire ce que les mots veulent dire, nous le savions déjà. Le 27 novembre 1967, la conférence de presse du Général, qui, en grande partie, portait sur l’événement, ne pouvait être plus limpide. Mais Peyrefitte nous révèle que l’intérêt très ancien de De Gaulle pour le Québec atteignait le niveau du délire, et du délire solitaire. Pompidou, le premier ministre, le disait sans ambages, dès 1965 0 «L’engouement du Général pour le Québec est une sorte de folie gratuite.» C’était là le jugement péremptoire de l’ancien employé de la banque des Rothschild. À la même époque, le protestant Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, se prononçait sur la question avec le flegme ancestral et l’anglophilie atavique des huguenots, à qui Louis XIV avait interdit de fouler le sol de la Nouvelle-France 0 «La passion du Général pour le Québec ne peut conduire à rien de bon. Notre devoir est de le retenir sur cette pente.» L’allergie à nos velléités de libération est d’une rare puissance. Même Charles Maurras, qui passe pour avoir eu quelque influence sur la pensée du Général, avait vu, jadis, dans la Confédération canadienne une merveille constitutionnelle. Mais eût-il fallu s’attendre à autre chose de ce théoricien désincarné, compte tenu de l’anglomanie d’une bonne partie de la droite monarchiste ?

Lorsqu’il manifestait son amour véhément pour nous, de Gaulle avait contre lui, à part quelques exceptions, tout le Quai d’Orsay, tout le Conseil des ministres, toute la majorité parlementaire, toute l’opposition, toute la presse, bref toute la France, ou à peu près. Quant au milieu politique québécois, il ne réagissait guère mieux. En 1967, de Gaulle ne secouait pas seulement Drapeau, il choquait Daniel Johnson père, Jean Lesage, jusqu’à René Lévesque et Yves Michaud ! Seuls Bourgault et les vrais séparatistes de l’époque faisaient bande à part. Bien qu’estomaqués, ils avaient encore assez de souffle pour exulter.

Les polis petits chiens

«La grandeur, avouait de Gaulle, est un chemin vers quelque chose qu’on ne connaît pas.» Si le Général doute de l’authenticité du sentiment révolutionnaire des enragés de Mai 68, qu’il voit comme des enfants gâtés et de simples trublions, c’est pour mieux l’opposer, dans son esprit, à la vraie révolution. «Guevara est plus un personnage de vos romans que des leurs», dira-t-il à Malraux. «La justice sociale se fonde sur l’espoir, sur l’exaltation d’un pays, non sur les pantoufles», clamera-t-il.

Belles paroles qui expliquent l’homme, mais dont on peut douter de la sincérité. De Gaulle affectait de mépriser la politique. Les politiciens étaient à ses yeux les «politichiens», les polis petits chiens… Mais n’était-il pas lui-même un maître dans le grand art de la politique ? Son jeu est subtil; toutefois, «il arrive que l’élégance y tombe dans la manigance», dira Henri Guillemin, l’historien de gauche soupçonneux, qui s’avoue pourtant incapable de le haïr et se contente de l’appeler «le Général clair-obscur», le chef impénétrable. Les actes et les paroles de De Gaulle témoignent peut-être d’une cohérence trop belle pour être vraie, mais ils sont assez vraisemblables pour nous ébranler.

Et rien n’exprime mieux cette force de conviction, cette symbiose entre la fidélité au passé et l’esprit de révolte, que la mission particulière dont le Général se croit investi lorsqu’il tourne son regard vers le Québec. Le 5 octobre 1961, il recevait déjà Jean Lesage avec les égards réservés à un chef d’État souverain. Le 24 avril 1963, au moment même où explosent les premières bombes du FLQ, il dira 0 «Un jour ou l’autre, les Français se rebelleront contre les Anglais. Du moins au Québec, puisque partout ailleurs au Canada, ils sont minoritaires… Pourquoi aurions-nous donné l’autodétermination aux Algériens, et pourquoi les Anglais ne l’accorderaient-ils pas aux Français du Canada ?… Un jour ou l’autre, le Québec sera libre.» Il ira même plus loin 0 «Le Québec, c’est notre devoir de nous en mêler.» Et encore, à son retour à Paris, le 27 juillet 1967 0 «Il fallait répondre à l’appel de ce peuple. Je n’aurais plus été moi-même si je ne l’avais pas fait.»

Un mystérieux personnage 0 Philippe Rossillon

Il faut dire qu’un mystérieux personnage s’intéressait déjà très activement au Québec 0 Philippe Rossillon, missionnaire de la civilisation française à travers le monde et gaulliste impénitent. En 1997, le diplomate Bernard Dorin accordera encore beaucoup d’importance à la rencontre qu’il avait eue avec lui, à Paris, en 1959. En «est sortie, écrira-t-il, la détermination commune de consacrer l’essentiel de notre vie publique au fait français en Amérique du Nord et, plus particulièrement, à l’émancipation politique du Québec». Le 12 novembre 1964, Pompidou, lui-même, met en garde Alain Peyrefitte contre Rossillon, «qui mène une action clandestine», précise l’auteur de C’était de Gaulle. Le 31 août 1967, Pompidou se fait encore plus pressant lorsqu’il s’agit de la mission québécoise confiée par de Gaulle à Peyrefitte 0 «Je ne vous recommande pas d’emmener Rossillon. C’est un extrémiste, qui nous mettrait à dos la terre entière.» Rossillon, en effet, n’est pas un homme tout à fait banal. Sa femme s’appelle Véronique Seydoux, du clan Schlumberger-Seydoux, dont la revue Forbes évaluera, en 1996, la fortune à quatre milliards de dollars américains. La H.S.P. (la haute société protestante)… Encore le paradoxe de l’histoire !

Et pourquoi donc s’étonner de la dimension séculaire de toute chose lorsqu’on aborde l’univers gaullien ? Chaque pensée, chaque mot du Général interpellent la planète tout entière et l’histoire universelle. Au moins en apparence. Et l’apparence, plus précisément le symbolisme, compte énormément aux yeux de De Gaulle qui, pour venir chez nous, prendra la peine de traverser l’Atlantique sur le Colbert, vaisseau de guerre qui honore le grand ministre du XVIIe siècle, le bienfaiteur de la Nouvelle-France. En mai 1967, lors de la visite à Paris de Daniel Johnson, le gouvernement canadien exige que seul l’unifolié flotte à Orly; la délégation générale du Québec, elle, ne veut y voir que le fleurdelisé. Avec son sens du dépouillement tout calviniste, Couve de Murville tranche 0 «Il n’y aura pas de drapeaux du tout.» De Gaulle casse la décision de son ministre 0 «Il ne faut que des drapeaux du Québec ! Il en faut partout !» Sur le chemin du Roy, le Général répète 0 «Toute la France vous regarde. Elle vous entend, elle vous aime.» Mais il sait bien que «les Français se moquent éperdument du Québec», comme le reconnaît d’ailleurs Peyrefitte. Qu’importe ! Le Général n’est-il pas, lui-même, la France ?

«Que diriez-vous si je leur criais 0 Vive le Québec libre ?»

Dans la mise en scène historique, rien n’est laissé à l’improvisation. Sur le pont du Colbert, au beau milieu de l’Atlantique, de Gaulle interroge l’amiral Philippon 0 «Que diriez-vous si je leur criais 0 Vive le Québec libre ? — Oh, vous n’allez pas faire ça, mon général ! — Eh bien, je crois que si! Ça dépendra de l’atmosphère.» Le drame est si contagieux que les spectateurs participent. C’est un perpétuel happening. Avant sa fameuse visite au Québec, le Général et Mme de Gaulle avaient convié à un déjeuner intime à l’Élysée, Pauline Vanier, veuve depuis peu du gouverneur général du Canada. Connaissant le fédéralisme viscéral de son invitée, de Gaulle avait proclamé presque cruellement 0 «Le seul avenir possible pour le Québec, c’est de devenir souverain.» Mme Vanier avait, ce jour-là, quitté le palais présidentiel en larmes.

Et Daniel Johnson — «mon ami Johnson», se plaisait-il à dire — , eh bien, de Gaulle a failli le tuer, le pauvre homme ! Le premier ministre du Québec venait d’avoir une crise cardiaque, et c’était là un secret d’État. Le 13 septembre 1967, l’anniversaire de la défaite des plaines d’Abraham, Johnson reçoit en robe de chambre, dans sa retraite de l’hôtel Bonaventure, Alain Peyrefitte, l’envoyé extraordinaire de De Gaulle. Peyrefitte lui fait part du projet du Général de tenir des entretiens réguliers franco-québécois sur le modèle des conversations semestrielles franco-allemandes. Le choc est foudroyant. Johnson «porte la main à son cœur», nous raconte l’envoyé. Mettre le Québec sur le même pied que l’Allemagne ! Entretenir des relations d’égal à égal avec la France ! Mais c’est déclarer la guerre aux Anglais ! Mais c’est la fin du monde !

La gloire de Danville n’illuminera pas Versailles

Au retour de Peyrefitte, de Gaulle s’exclame 0 «Johnson ne sait pas forcer le destin… C’est un politicien de province… Un petit bonhomme.» Pour le Général, il est tragique de constater que nos marguilliers sont complètement inconscients de la grandeur du Québec, qui a su, par lui-même, maintenir son identité après deux siècles de domination anglo-saxonne. Dire que le 1er août 1940, à la radio de Londres, de Gaulle nous lançait un message empreint d’admiration, bien qu’il se doutât, peut-être, que nos élites seraient en grande partie pétainistes sans même savoir ce que Vichy représenterait ! «L’âme de la France, déclarait-il, cherche et appelle votre secours, parce qu’elle trouve dans votre exemple de quoi ranimer son espérance en l’avenir.»

Bien qu’amèrement déçu par Johnson, le Général tiendra à le recevoir en grande pompe en juillet 1968. Il voudra même le placer au-dessus du commun des chefs d’État en l’hébergeant dans un palais royal, le Trianon, où le premier ministre du Québec n’aurait été précédé que par le prince Philippe. Mais la gloire de Danville n’illuminera pas Versailles. Avant de se rendre en France, Johnson mourra d’une nouvelle crise cardiaque.

De par sa position stratégique au sein du monde anglo-saxon, le Québec était au cœur de la singulière politique internationale de De Gaulle, qui, surtout avec le recul, apparaît comme une lutte, aussi subtile qu’épique, contre la mondialisation, c’est-à-dire contre l’hégémonie américaine. Des expressions furieusement anachroniques, comme «les Français du Canada», et l’évocation trop fréquente de la Nouvelle-France ne doivent pas nous induire en erreur. De Gaulle ne confond pas le Québec et la France. Et puis, il a en tête le XXe siècle, et surtout le XXIe siècle. Sa vision grandiose fait certes sourire, agace par moments, choque même quelquefois; mais pourquoi ne pas admettre qu’elle fait aussi réfléchir? La politique est de l’ordre de l’éphémère. Mais nous sommes en présence de quelqu’un qui est avant tout un soldat, de quelqu’un pour qui la parole et le signe restent les armes les plus magnifiques et les plus redoutables.

Un vrai soldat. Pas un soldat d’opérette

Un vrai soldat. Pas un soldat d’opérette, comme le pensent les plus obtus des Anglais et nos trop nombreux Ti-Counes, qui ignorent que le théâtre est le prolongement de la réalité. Même le sceptique Henri Guillemin reconnaît que de Gaulle a prouvé son courage physique sur la ligne de feu, à Dinant, puis en Champagne et devant Verdun, lors de la Première Guerre mondiale ; devant Laon et Abbeville, en mai 1940. Un soldat incompris, dont le livre Vers l’armée de métier (1934) qui préconisait la modernisation militaire, avait été plus lu en Allemagne qu’en France ! Un soldat pas comme les autres, qui respecte le pacifisme éclairé du Jaurès de L’Armée nouvelle, mais qui reproche à Léon Blum d’avoir permis l’invasion allemande en ne donnant pas à la France une armée motorisée et blindée. Un soldat qui s’allie aux communistes français, mais qui admire davantage les communistes russes, à ses yeux, beaucoup plus révolutionnaires.

Un soldat qui, après avoir hésité, ou plutôt fait semblant d’hésiter, choisit la voie de la décolonisation, alors que le Parti communiste (indirectement) et l’extrême droite (en toute clarté) se prononcent en faveur de l’Algérie française. De Gaulle ne veut pas, en Afrique, de guerre du Vietnam à la française. Ce qui lui vaudra d’être la cible de pas moins de cent cinquante balles, le 22 août 1962, sur la route du Petit-Clamart, tirées par ceux-là même que plusieurs croyaient être les siens. «Ils ont tiré comme des cochons», dira-t-il des prétendus héritiers des croisés. Évincés par l’histoire, ils ont beau tirer, ils n’atteignent plus personne, pas même Mme de Gaulle. Leur chef, le lieutenant-colonel Jean-Marie Bastien-Thiry, nostalgique de l’empire colonial, peut bien soutenir, devant la cour, que tuer un tyran est, selon saint Thomas d’Aquin, un acte méritoire pour le ciel ! Qu’il y aille, au ciel ! pense le Général, qui refuse de le gracier. Bastien-Thiry sera fusillé, le chapelet à la main, au fort d’Ivry; car de Gaulle a la ferme conviction que la vieille France de ce desperado n’est pas du tout celle que ses parents révéraient. Elle en est la contrefaçon, et puis elle n’est en rien québécoise.

Un drame prodigieux

Le Québec, dont de Gaulle veut effacer le caractère encore colonial, se retrouve donc dans un drame prodigieux où, au lieu d’opposer l’impérialisme français, mort de sa belle mort, à l’impérialisme américain, la France se fera, pour restaurer sa grandeur, l’avocate des petits, la conciliatrice des grands, bref l’arbitre des nations, du moins en donnera-t-elle la splendide illusion. Le «Vive le Québec libre !» s’inscrit, dès lors, dans une logique à la dimension du monde. Il s’accorde avec les autres coups d’éclat du Général 0 reconnaissance de la Chine populaire, dès 1964; rapprochement avec le bloc de l’Est; retrait de l’OTAN ; dénonciation, en 1966, à Phnom Penh, de la guerre du Vietnam; condamnation de l’attaque israélienne contre les Arabes, en juin 1967; explosion, dans le Pacifique, de la première bombe thermonucléaire française, en 1968.

Mais le Québec ne serait-il donc, dans l’esprit de De Gaulle, qu’une entité théâtrale ? Point du tout, puisque son sort est intimement lié à celui de la France, et que le grand dramaturge qui incarne cette France, lui, est bien réel. Le Général prend d’ailleurs la peine d’apporter cette indispensable précision, en 1967, après son séjour chez nous 0 «Désormais, il ne faut plus ni de France sans le Québec, ni de Québec sans la France.»

Couché sur le papier bible de la Pléiade

Laissons donc le sage de Colombey errer en paix, dans la forêt des Dhuits, à la recherche des champignons les plus merveilleux. Écoutons-le, avec respect, scander à voix haute le poème élogieux que Paul Claudel lui avait dédié en septembre 1944, après en avoir écrit un, il est vrai, à la gloire du maréchal Pétain, presque quatre ans plus tôt. Mais le génie des grands poètes évolue si vite…

De Gaulle, l’auteur des Mémoires de guerre et des Mémoires d’espoir, peut dormir dans la sérénité, couché sur le papier bible de la Pléiade, aux côtés de Claudel bien sûr, mais aussi de son ami Malraux, de Péguy («le seul maître d’esprit qu’il ait jamais reconnu», nous assure Peyrefitte), de Chateaubriand, de Michelet, de Las Cases, de Rousseau (dont il admirait Le Contrat social), de César naturellement, d’Eschyle et de Sophocle (tragiques qu’il lisait au soir de vie), et des prophètes de l’Ancien Testament. En criant «Vive le Québec libre !», il a cru payer la dette de Louis XV, mais il est allé bien au-delà. Notre abandon par la France était chose du passé. Néanmoins, notre entrée en scène, au beau milieu du drame absurde, écrit, à la fois contre la France et pour la France, par le plus solitaire des Français, faisait de ce dernier un Québécois; et ainsi, nous comblait d’aise. Ce stupéfiant spectacle valait bien, en remboursement de notre monnaie de papier, les onze millions et demi de livres que, depuis 1764, nous devait Versailles.

Champagne ontarien et libération du Québec

Extrait du tome III de C'était de Gaulle, d'Alain Peyrefitte

Éditions de Fallois / Fayard, 2000

24 avril 1963

De Gaulle 0 — Staline a eu le mauvais goût de me porter un toast avec du champagne russe. Les Canadiens, en 60, ont cru me faire plaisir en me faisant boire du champagne canadien, à Toronto. C'était un comble. Je leur ai dit 0 «Il faut autant de courage pour fabriquer du champagne au bord des Grands Lacs, qu'il en faudrait pour transporter les Grands Lacs en Champagne.» Ils ont pris ça pour un compliment. C'était des Canadiens anglais.

Il reprend au bout d'un instant 0 «En réalité, les Canadiens anglais ne comprennent pas les Canadiens français. On peut même dire qu'ils ne les aiment pas. Et réciproquement. Depuis deux siècles qu'ils vivent ensemble, ils ne se sont pratiquement pas mélangés. Ce n'est pas maintenant qu'ils vont le faire, alors que partout on assiste au réveil des nationalités… Un jour ou l'autre, le Québec sera libre.»

«Québec libre», les deux mots qui vont faire le tour du monde sont déjà là, quatre ans et trois mois à l'avance.

Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome III, Éditions de Fallois / Fayard, 2000.|191| 
581|La FTQ s’inquiète|Pierre Klépock|

L’Office de la langue réduite de moitié



La FTQ est depuis longtemps préoccupée par l’avenir du français au Québec. Suite à la tenue d’une journée de réflexion sur la francisation des milieux de travail en mars dernier, la centrale syndicale réclame que Québec consacre davantage de ressources et de personnel à l’Office de la langue française (OLF) en vue d’accélérer la francisation des milieux de travail, surtout en ce qui concerne l’intégration des immigrants et la francisation des technologies de l’information.

À la FTQ, on a toujours considéré que travailler en français est une condition de travail vraiment importante. Si on ne peut pas travailler dans sa langue, à la limite, cela peut même être dangereux, on n’a qu’à penser à la sécurité, à toutes les machines qu’on utilise, à toutes les lectures qu’on doit faire pour exécuter notre travail», souligne Lola Le Brasseur du Service de la francisation de la FTQ. «Il faut que le projet de francisation au Québec soit un enjeu collectif pour l’ensemble du mouvement syndical, comme les dossiers en santé-sécurité ou de condition féminine», ajoute-t-elle.

L’Office de la langue française joue un rôle de premier plan dans la francisation des entreprises, mais compte tenu des compressions gouvernementales, en moins de vingt ans, le nombre de postes a été réduit de plus de la moitié, passant de 413 en 1980-1981 à 200 en 1998-1999. Ce qui constitue une menace pour notre projet de société, celui du français, langue commune du Québec. La FTQ a décidé de se porter à la défense de l’Office de la langue française, car c’est un outil essentiel pour les travailleurs et travailleuses. Rappelons que l’OLF collabore avec les syndicalistes de la FTQ actifs dans les comités de francisation de quelque 600 grandes et moyennes entreprises au Québec.

De nouveaux défis

«Aujourd’hui, le mouvement syndical fait face à deux nouveaux défis de francisation. D’abord, les technologies de l’information imposent une langue de travail, celle des logiciels, qui n’est pas toujours le français. Ensuite, c’est l’intégration linguistique des personnes immigrantes qui n’ont pas une connaissance fonctionnelle du français au travail et il faut les intégrer dans nos structures syndicales pour que ces personnes connaissent leurs droits», conclut Lola Le Brasseur.

g Travailler en français

Adoptée par l’Assemblée nationale en 1977, la Charte de la langue française (Loi 101) représente l’aboutissement de longues années de luttes syndicales et populaires 0 Manifestation McGill Français et occupations d’écoles à Saint-Léonard en 1969; grève des ouvriers de la General Motors en 1970; lutte des Gens de l’air en 1975, pour avoir le droit de vivre et travailler en français. Ce ne sont là que quelques exemples des batailles, au cours des années 60 et 70, pour faire du français une langue nationale.

La Charte vise à faire du français la langue de l’État et de la loi au Québec. Aussi, son objectif majeur est de faire du français la langue de travail. Elle comprend des dispositions pertinentes pour les syndicats, principaux acteurs de la francisation d’un pays qui reste à faire, dont les deux fonctions sont 0

- LA LANGUE DU TRAVAIL 0 La Charte donne des droits aux travailleurs et travailleuses que nos syndicats doivent faire respecter par les employeurs (ex. 0 Les patrons sont tenus d’utiliser seulement le français dans les communications collectives adressées au personnel; il est interdit à un boss de congédier un salarié parce qu’il ne parle pas l’anglais; etc.).

- LA FRANCISATION DES ENTREPRISES 0 Les entreprises comptant 50 personnes et plus à leur emploi sont dans l’obligation de posséder un certificat de francisation, programme qui vise à faire acquérir au français un statut acceptable dans les entreprises (ex. 0 Il faut que le français soit utilisé à tous les niveaux de l’entreprise et il doit devenir la langue de travail).

Les entreprises employant 100 personnes ou plus doivent mettre sur pied un comité de francisation d’au moins six personnes, constitué pour au moins le tiers d’une représentation ouvrière ou syndicale. La Charte oblige la tenue d’au moins trois réunions par année du comité, et son mandat est d’élaborer un programme de francisation et d’en surveiller l’application.

Les entreprises de moins de 50 employés sont simplement tenues de respecter les articles exécutoires de la Charte. C’est pourquoi la FTQ revendique que tous les organismes et entreprises employant 25 personnes ou plus élaborent un programme de francisation. Bien plus qu’une simple loi, la Charte de la langue française au Québec est un projet de société visant à corriger une situation d’injustice historique qui dure depuis la conquête britannique de 1760.