Un octogénaire infatigable

 

En connaissez-vous des politiciens assez populaires au Québec pour être invités spontanément par une centaine de groupes en moins de cinq mois et pour attirer, grâce à leur magnétisme, 20 000 personnes venues entendre parler d’un sujet aussi sérieux que le revenu de citoyenneté? Cet exploit, que même des Lucien Bouchard et des Jean Chrétien ne réussissent pas à accomplir malgré leur dispendieux cirque électoral lors de tournées publicisées par les manchettes des médias complaisants, Michel Chartrand vient de le réaliser à 83 ans, seul et à ses propres frais, dans une quasi-obscurité médiatique. Réclamé par des gens ordinaires, il a rencontré, de la fin janvier au début de juin, plus de citoyens que tous les membres du conseil des ministres québécois pendant la même période.

On sait depuis les élections de novembre l998, alors qu’il s’est présenté contre le premier ministre Bouchard dans Jonquière sous le thème de «pauvreté zéro» pour établir la contrepartie au «déficit zéro» néolibéral de son adversaire, que Michel est convaincu de la nécessité d’adopter le revenu de citoyenneté pour atteindre cet objectif primordial. Mais il veut surtout convaincre suffisamment de citoyens pour forcer les politiciens à bouger. Depuis bientôt deux ans, il a donc déclenché une véritable croisade qui s’est intensifée avec la publication, l’automne dernier, du livre qu’il a rédigé sur le sujet en collaboration avec le professeur Michel Bernard.

À tel point que la grande virée du vert octogénaire a pris l’allure d’un véritable marathon depuis le début de l’an 2000, en plein hiver québécois. Qu’on en juge par les faits suivants. Au cours des 20 semaines qui se sont écoulées entre le 23 janvier et le 9 juin dernier, le champion de la «pauvreté zéro» a participé à l30 activités, soit une moyenne de 6,5 par semaine, dont l00 assemblées au cours desquelles il a adressé la parole à quelque 20 000 personnes. Il a fait le tour du Québec plusieurs fois et il est même allé rencontrer des Acadiens et des Franco-Ontariens, franchissant quelque 30 000 kilomètres, soit 120 fois la distance entre Montréal et Québec, la plupart du temps au volant de sa vieille Volvo.

Qui a-t-il rencontré ? En bonne partie des étudiants dans des universités, des cégeps et même des écoles secondaires, des travailleurs syndiqués, des assistés sociaux, des féministes, des membres d’associations communautaires, des nationalistes, des enseignants, des fonctionnaires, des personnes agées, des écologistes mais surtout du monde ordinaires. Un véritable microcosme de notre société ! Ses assemblées les plus importantes, il les a tenues en Gaspésie sous les auspices du mouvement des Patriotes gaspésiens (1 100 personnes à Grande-Rivière, 1 000 à Rivière-aux-Renards, 500 à Sainte-Anne-des-Monts). Il a aussi participé aux salons du livre de Québec, de Hull, de Sept-Iles, de Val d’Or et, fin 1999, à ceux de Rimouski et de Montréal. A travers toutes ces activités, il a trouvé le moyen de participer à une quizaine d’émissions de télévision et de radio.

Dans quelles régions s’est-il rendu ? La plupart des rencontres ont eu lieu à l’extérieur de Montréal. Ainsi s’est-il rendu l4 fois en Montérégie, six fois dans la région de Québec, six fois en Mauricie, trois fois au Saguenay-Lac-St-Jean, trois fois en Estrie, trois fois en Outaouais, trois fois dans le Centre du Québec, deux fois en Abitibi, deux fois dans les Laurentides, deux fois en Gaspésie, deux fois dans le Bas-Saint-Laurent, deux fois à Laval, une fois sur la Côte-Nord, une fois dans Lanaudière, une fois dans la Beauce, une fois en Ontario et une fois au Nouveau-Brunswick (Tracadie, Bathurst, Campbelton).

En février, Radio-Canada a télédiffusé la série Chartrand et Simonne qui a sans doute moussé la popularité du personnage mais a surtout révélé le vrai Michel Chartrand à des dizaines de milliers de ses concitoyens qui, comme bien d’autres auparavant, se sont reconnus en lui et ont senti qu’ils pouvaient lui faire confiance contrairement à tous ces veules politiciens qui désolent le paysage. Au début de juin, alors que j’ai rencontré celui qui se fait le héraut d’un ordre social et politique nouveau depuis 60 ans, il était naturellement fatigué. Il rêvait de vacances pour mieux reprendre le boulot dans quelques semaines, car sa croisade en faveur du revenu de citoyenneté est loin d’être terminée. «Ce n’est pas la première campagne du genre que je fais», dit-il en rappelant celle en faveur des allocations familiales au début des années quarante alors qu’il militait pour le Bloc populaire. Celle-là avait eu une conclusion fructueuse puisque les libéraux fédéraux avaient accédé à cette demande durant la campagne électorale de l944, pour tenter de faire réélire leur allié Godbout au provincial. Michel est convaincu que l’histoire pourrait se répéter avec le revenu de citoyenneté si un nombre suffisant de citoyens se mobilisent, ce qui est en train de se produire. «J’ai fait voter à la fin de chacune de mes exposés. Tous lèvent la main. Je n’ai encore vu personne s’opposer», relate-t-il. Sa tactique préférée 0 «Je m’adresse aux femmes, confie-t-il, car elles ont plus de sens politique que les hommes.» C’est donc une histoire à suivre car Michel entend bien animer la scène publique pendant un certain nombre d’années encore au grand dam certes de «Lulu le toupet, le crosseur en chef», surnom dont il affuble le premier ministre péquiste.