Crise mondiale du pétrole, sauf à La Presse

 


La vérité selon Paul Desmarais



« Fausse crise du pétrole », c’est par ce titre que Frédéric Wagnière coiffe son long éditorial du 30 août. « Tempête dans un bidon d’essence », écrit une semaine plus tard Alain Dubuc. Un vent de panique s’empare des consommateurs en Amérique du Nord, la France et la moitié de l’Europe sont paralysées, l’attention de la planète entière est rivée sur l’augmentation des prix du pétrole. Mais, pour les éditorialistes de La Presse, « y’a rien là ! »

Les propos rassurants de Wagnière et Dubuc ne sont sans doute pas étrangers au fait que leur patron Paul Desmarais est, par l’intermédiaire du Groupe Bruxelles-Lambert (qu’il contrôle avec les frères Albert de Belgique), le principal actionnaire de la compagnie Total-Elf, quatrième plus importante pétrolière au monde. Paul Desmarais est l’un des seize membres du conseil d’administration de cette compagnie qui a enregistré une augmentation de 165 % de son bénéfice net au cours du premier trimestre.

Qui se souvient de la NEP ?

Elle est loin l’époque où Desmarais incitait le gouvernement canadien de Pierre E. Trudeau à ce que Pétro-Canada se porte acquéreur de Pétro-Fina, une compagnie belge, pour élargir son réseau de distribution à travers le Canada.

C’était en 1981. En pleine flambée des prix du pétrole, le gouvernement Trudeau lance sa Nouvelle politique énergétique (NEP), une politique nationaliste qui oblige l’Alberta à vendre son pétrole à la moitié du prix mondial pour alimenter l’industrie manufacturière de l’Ontario et du Québec.

La NEP déclenche une réaction hystérique dans l’Ouest du pays. Le premier ministre Lougheed de l’Alberta menace de couper l’approvisionnement en pétrole à l’est du pays. Lors de l’élection suivante, les libéraux y laissent leur chemise et la crise donnera éventuellement naissance au Reform Party, l’ancêtre de l’Alliance canadienne de Stockwell Day.

Washington marque également son opposition vigoureuse à la NEP, et les pressions s’accentuent contre les politiques nationalistes du gouvernement canadien avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Reagan.

Une disposition peu connue de l’ALENA

L’élection du gouvernement Mulroney allait marquer un changement dramatique de politique. Mulroney démantèle la NEP et se fait le promoteur de l’intégration économique du Canada aux États-Unis par le biais de l’accord de libre-échange.

Un des termes majeurs de l’ALENA prévoit que le gouvernement canadien ne peut, même en cas de crise majeure au Canada, détourner vers l’est du pays les exportations de gaz naturel et de pétrole de l’Alberta acheminées aux États-Unis.

Le principal fournisseur d’énergie des États-Unis

Cette disposition extrêmement importante prend tout son sens lorsqu’on constate que le Canada a, au cours de la dernière décennie, doublé ses exportations de pétrole et triplé ses exportations de gaz naturel vers les États-Unis.

En fait, si l’on tient compte à la fois du pétrole et du gaz naturel, le Canada est aujourd’hui le principal fournisseur d’énergie des États-Unis, le premier consommateur mondial. Le Canada devance à ce chapitre l’Arabie saoudite, le Venezuela et le Mexique.

La volte-face de Desmarais

Suite à l’échec des politiques nationalistes de Trudeau, en butte à l’hostilité de l’establishment torontois qui bloque ses tentatives de prise de contrôle d’Argus Corporation et du Canadien Pacific, et dans le contexte du Parti québécois au pouvoir à Québec, Desmarais décide de « geler » ses activités économiques au Canada et de s’intéresser plutôt à l’Europe. Il vend le Montreal Trust et la papetière Consolidated-Bathurst et n’effectue aucun investissement majeur au Canada avant 1989, alors qu’il prend le contrôle de la compagnie d’assurances London Life.

Par contre, les activités européennes de Desmarais se développent au point où il s’assure le contrôle du Groupe Bruxelles-Lambert. Il est ironique de constater qu’il se porte alors acquéreur de Pétro-Fina, la même entreprise dont Pétro-Canada avait acheté les intérêts canadiens au début des années 1980. Au début de 1999, Pétro-Fina fusionne avec la française Total, puis avec Elf Aquitaine pour former Total-Elf-Fina.

Finie pour Desmarais la politique énergétique nationaliste, vive la mondialisation, vive la hausse du prix du pétrole ! Ses éditorialistes ont bien compris le message, de même que le beau-père de son fils, le premier ministre Chrétien 0 « Il n’y a pas de crise du pétrole! »