L’équité fiscale n’est plus la capacité de payer

 

Depuis plusieurs années, les mieux nantis ont pu profiter de baisses d’impôt considérables, tandis que la charge fiscale des pauvres n’a eu de cesse d’augmenter. La progressivité du système fiscal québécois est d’autant en danger que la tendance ne semble que s’amorcer.

Dans une étude analysant la politique fiscale québécoise des vingt dernières années, Gino Lambert, Sylvain Charron et Jean-Eddy Péan de la Chaire d’études socio-économiques de l’UQÀM en arrivent à la conclusion que celle-ci, non contente de s’éloigner de plus en plus de toute progressivité, constitue un obstacle au développement économique du Québec. *

Car non seulement les baisses d’impôt continuellement annoncées ne profitent exclusivement qu’à la classe supérieure qui, n’ayant qu’une propension restreinte à la consommation, ne collabore pas ainsi au développement de l’économie; mais ces baisses s’opèrent généralement au détriment des classes moyenne et inférieure qui elles, si elles disposaient d’un plus grand pouvoir d’achat, en feraient usage.

Malheureusement, ce pouvoir d’achat est miné par les hausses faramineuses des taxes à la consommation, de même que par la détérioration croissante des services sociaux, les fonds disponibles étant réservés aux baisses d’impôt des nantis.

À qui profitent les cerveaux en fuite ?

L’idée centrale de la progressivité fiscale consiste à répartir l’impôt en fonction de la capacité de payer de chacun. C’est ce concept qui, jusqu’à récemment, guidait la répartition de la charge fiscale québécoise. Jusqu’à ce que les mieux nantis se mettent à hurler à l’injustice généralisée, invoquant des arguments mythiques – tels la fuite des cerveaux – et clamant que les contribuables québécois devaient supporter le plus lourd « fardeau » fiscal en Amérique du Nord.

Le gouvernement étant très réceptif aux demandes de la classe supérieure n’a pas hésité à réduire, de 1988 à 1998, de seize à trois le nombre de paliers d’imposition, allégeant grandement la charge de la tranche supérieure, tout en faisant passer le taux inférieur de 13 à 20 %.

En plus de quoi, il a élargi les possibilités de déductions fiscales qui ne profitent qu’à ceux des contribuables qui peuvent se permettre de ne pas affecter leur revenu à la satisfaction de leurs besoins – l’exonération de 500 000 $ sur les gains réalisés sur la vente d’actions de PME, par exemple, qui vient s’ajouter à celle de 25 % (33 % à compter de l’an prochain) déjà accordée sur tous les gains en capitaux.

Dans le même ordre d’esprit, les taxes à la consommation, elles, ont augmenté ces dernières années. En effet, plus le revenu d’un contribuable est élevé, plus petite en est la proportion affectée à la consommation, et donc moins il est affecté par ces hausses de taxes. Ce qui explique sans doute l’absence de protestations, seuls les membres des classes inférieure et moyenne étant fortement pénalisés.

Si l’on ajoute à l’équation les taxes municipales et fédérales, comme le soulignent les auteurs de l’étude, on constate rapidement que la progressivité, fondement fiscal de la solidarité sociale, s’effrite considérablement.

D’après une étude de 1998 du ministère de l’Économie et des Finances du Québec, une personne vivant seule, à Montréal, et disposant d’un revenu annuel de 15 000 $, donc en dessous du seuil de pauvreté, devra pourtant payer 21 % – sans compter les impôts fonciers, lui laissant donc moins de 12 000 $ pour vivre. Si cette personne avait gagné 100 000 $, elle n’aurait payé que 47 % – impôts fonciers compris, cette fois – bénéficiant donc d’un revenu net de 53 000 $. Avec un salaire de 250 000 $, le pourcentage d’imposition n’aurait augmenté que de 4 %, passant à 51 %. C’est dire que passé un certain seuil, la progressivité, déjà fortement ébranlée, cesse littéralement d’exister, précisent les auteurs.

Et cette évolution ne constitue pas qu’une tendance passagère tirant déjà à sa fin 0 37 % des fonds attribués aux baisses d’impôt lors du dernier budget profiteront aux 11 % de ménages disposant d’un revenu de 75 000 $ et plus, tandis que les 52 % de ménages dotés de moins de 25 000 $ devront se partager un maigre 7 %.

Il faut cesser d’enrichir les riches

La régressivité croissante de notre système fiscal, affirment les chercheurs, constitue un frein considérable au développement de l’économie réelle.

Si les baisses d’impôt sont inévitables, elles devraient être opérées au profit des classes moyenne et inférieure, pour autant qu’elles s’accompagnent du rétablissement des budgets dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des services sociaux, afin de rétablir une certaine progressivité.

Par ailleurs, les taxes purement régressives, telles les taxes de vente, devraient revenir à des taux raisonnables, sinon être complètement abolies. La réduction de ce type de taxes profiterait réellement à l’ensemble de la population, et en particulier aux contribuables à faibles et moyens revenus.

Toutes les sommes qui leur seraient ainsi consenties seraient immédiatement réinjectées dans l’économie par le biais de l’accroissement de la consommation de biens et services, tandis que les diminutions d’impôt s’appliquant aux contribuables à haut revenu tendent plutôt à se solder par une hausse de l’épargne.

* Gino LAMBERT, Sylvain CHARRON et Jean-Eddy PÉAN (CESE). Le système fiscal québécois est-il vraiment progressif ? Montréal, MM, UQÀM. 29 p. http0//www.unites.uqam.ca/cese/etude19.htm.