La bataille des 35 heures

 


La France ouvrière se mobilise



À la croisée de deux millénaires, la lutte pour la réduction du temps de travail (RTT) est-elle toujours d’actualité ? Cet automne, l’aut’journal s’est rendu en France rencontrer des métallos de la Confédération générale du travail (CGT), la plus puissante centrale syndicale française avec ses 700 000 adhérents. Daniel Sanchez, secrétaire-général des 70 000 membres de la Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT), nous donne un aut’ point de vue sur le syndicalisme des années 2000.

L’objectif de transformer la société fait toujours partie des orientations de la CGT. Cela passe par la satisfaction immédiate des revendications des salariés. Plus les besoins sont satisfaits, moins il y a de l’argent pour les capitalistes et la finance. Ça veut dire 0 remise en cause des choix financiers de la logique capitaliste pour une autre redistribution des richesses créées dans l’entreprise. Ces richesses doivent revenir principalement aux salariés et à la population », nous explique Daniel Sanchez. La CGT est une centrale « révolutionnaire » exigeant la suppression de l’exploitation capitaliste par la socialisation des moyens de production.

Forte poussée des grèves

Depuis 1998, un véritable bras de fer se joue entre le patronat et les syndiqués sur l’application de la loi des 35 heures. L’année 1999 a vu une forte poussée des grèves, une hausse de 42,9 % par rapport à 1998, autour de deux revendications principales 0 les salaires et la durée du travail. « Sur le premier trimestre 2000, il y a eu autant de grèves que toute l’année 1999. Trop souple, la loi des 35 heures a redynamisé la lutte sociale et mobilisé les salariés, afin d’obtenir une application effective de la semaine de 35 heures sans perte de salaire », affirme-t-il. À elle seule, la CGT est à l’initiative de 29 % des grèves (la CFDT de 9 % et FO de 3 %), alors qu’elles se font à 40 % en Front commun.

Là où la CGT est présente

Sur 1 744 673 salariés de la métallurgie, 498 690 travailleurs ont négocié la RTT. Globalement, sur près de 500 000 métallos concernés par 167 accords d’entreprises travaillant dans 632 usines, le temps de travail moyen est de 36h 25. La majorité des salariés (83,5 %) sont couverts par des accords prévoyant le maintien des salaires. « Dans les entreprises où nous sommes présents, les luttes ont été très fortes. On a de très bons accords sur les 35 heures, avec augmentation de salaire et des embauches. Là où la mobilisation était moins forte, les résultats sont moins bons. La FTM-CGT va se déployer dans ces entreprises », annonce Daniel Sanchez.

Les métallos s’occupent de politique

« Sur la base de ce bilan, la CGT va s’adresser au gouvernement pour dire que la loi des 35 heures n’est pas assez rigide contre les patrons et demander des amendements », ajoute le syndicaliste. Actuellement, la gauche plurielle (parti socialiste et communiste) est au gouvernement et les 36 députés communistes auraient voulu une loi plus radicale. « La CGT n’est pas dépendante du politique, elle est ouverte à tous les salariés, quelles que soient leurs opinions politiques. Mais dans cette bataille, il y a des partis politiques avec qui on se retrouve plus naturellement, et le Parti communiste français (PCF) fait partie de cette bataille pour la transformation de la société », conclut notre camarade.

Repères historiques

Quelques grandes dates de la CGT

1895 Congrès constitutif de la CGT.

1914-1918 Première Guerre mondiale. En 1917, en France, mouvement de 696 grèves avec 293 810 participants contre la guerre impérialiste.

1919 Violente manifestation du Premier Mai. Au total, 2 200 grèves et 1 200 000 grévistes permettent aux travailleurs d’arracher une importante victoire 0 la loi sur les huit heures de travail.

1936 Victoire du Front Populaire, grâce aux 72 élus du Parti communiste français (PCF). En mai-juin, 12 000 grèves avec occupation d’usines et 5 000 000 de grévistes paralysent le pays. Les « Accords Matignon » sont signés (loi sur les 40 heures, deux semaines de vacances payés...).

1939-1945 Seconde Guerre mondiale. Les troupes hitlériennes envahissent la France. Le patronat et le gouvernement de Vichy s’empressent de « collaborer » avec les nazis. À l’appel du général De Gaulle, les militants de la CGT membres du PCF organisent la Résistance ( 75 000 communistes seront fusillés ou tués au combat). En août 1944, la CGT donne l’ordre de grève générale pour la Libération. La Résistance peut ainsi décréter l’insurrection nationale dans les meilleures conditions. On connaît la suite...

1944-1946 Devenu le « parti des fusillés », le PCF fait élire 151 candidats à l’Assemblée nationale sur 522 députés. Cinq ministres communistes entrent au gouvernement formé par le général De Gaulle. Quelques revendications de la CGT sont satisfaites 0 sécurité sociale, statut de la fonction publique, pouvoir des délégués ouvriers aux comités d’entreprise, nationalisation de la Banque de France, des mines de houille, de l’électricité et du gaz, des usines Renault, etc.; juste sanction du comportement des « collabos » sous l’occupation.

1962 Février 0 manifestation à Paris contre la guerre d’Algérie, la répression policière fait neuf morts (tous membres de la CGT, dont huit du PCF) et 250 blessés. Des milliers d’arrêts de travail ont lieu et toute la vie économique est suspendue. En mars, les « Accords d’Évian » mettent fin à cette guerre colonialiste.

1968 Un mois de mai très occupé 0 10 millions de grévistes occupent leurs usines et la France du travail s’arrête. Signature des « Accords de Grenelle ». Bilan 0 augmentation du salaire minimum de 35 %, hausse en moyenne de 10 % des salaires réels et la reconnaissance des droits syndicaux dans l’entreprise.

1981-1982 Soutenu par les syndicats, un socialiste est élu à la présidence de la République, 44 élus du PCF siègent à l’Assemblée nationale. Quatre ministres communistes participent au gouvernement de gauche. D’importantes mesures sociales sont votées 0 nationalisation de cinq groupes industriels, 39 banques et deux compagnies financières, impôt sur les grandes fortunes, semaine de 39 heures (payées 40), une 5e semaine de vacances payée, la retraite à 60 ans, extension des libertés syndicales dans l’entreprise, etc.

1995 La CGT a 100 ans. Hiver de la colère en décembre, 5 millions de grévistes défendent la sécurité sociale, l’égalité d’accès des citoyens aux services publics, les entreprises d’État menacées de privatisation (postes, télécommunications, transports publics, gaz-électricité, etc.), les acquis de 1946-1968-1982. Par son histoire, la classe ouvrière française démontre qu’il est possible de « déstabiliser » sérieusement le système capitaliste !