Le cas de Montréal

 


Une fusion ou un varlopage ?



Le processus de fusion est assez simple, sauf à Montréal où le découpage linguistique et la distribution de la richesse compliquent la situation. Le gouvernement a demandé au mandarin Louis Bernard de trouver une solution et celui-ci propose dans son rapport le compromis d’une île, une ville, mais avec 27 arrondissements pour préserver les privilèges des bien nantis de Westmount, Ville Mont-Royal et Outremont, de même que ceux des anglophones du West-Island.

Le rapport Bernard reconnaît que « la création de la nouvelle ville et la création d’arrondissements engendreront plusieurs mouvements de personnel en provenance tant de l’actuelle Ville de Montréal que des villes de banlieue ». Aussi, Louis Bernard recommande-t-il d’encadrer les changements occasionnés par ces transferts par le recours à des règles législatives semblables à celles de la loi 124.

D’autre part, la création d’arrondissements au sein même de la Ville de Montréal engendrera des transferts d’employés, actuellement à l’emploi de la Ville, dans les arrondissements. Le rapport Bernard recommande que les conditions de travail de ces employés syndiqués soient négociées à une table centrale et que la nouvelle ville ait le mandat, par le biais d’ententes de services, de négocier ces conventions collectives. « S’ils le désirent, précise le rapport, les autres arrondissements pourraient également se joindre à cette table centrale »

Bien que le rapport Bernard se veuille rassurant à l’égard des employés municipaux en parlant de « table centrale de négociations » et en disant qu’ils « continueront INITIALEMENT d’être représentés par le même syndicat », il est clair que le projet porte en lui-même le fractionnement éventuel de l’unité syndicale.

Des « économies » sur le dos des employés municipaux

Le projet « une île, une ville » est conçu en fonction de la mondialisation, c’est-à-dire des méga-entreprises qui ont besoin des ressources d’une méga-cité pour concurrencer d’autres méga-entreprises appuyées par d’autres méga-cités. Aussi, pour vendre ce projet à une population qui n’en retirera aucun bénéfice, il faut lui faire miroiter d’éventuelles « économies » découlant des « rationalisations » opérées lors du processus de fusion.

Il est évidemment difficile de parler d’« économies » résultant de la double structure d’une ville et de ses 27 arrondissements – en fait, des mini-villes – créés pour préserver les privilèges des bien-nantis, des anglophones et de tout le personnel politique actuel des villes de banlieue. Alors, ne restent que les « économies » qui pourront être réalisées sur le dos des employés municipaux, particulièrement les cols bleus.

Depuis plusieurs années déjà, on a préparé l’opinion publique à considérer les cols bleus comme des « gras durs » à coups de soi-disant études sur leur rémunération, de reportages télés d’éditoriaux et de commentaires d’animateurs de lignes ouvertes.

Pierre Dupuis conteste ce point de vue. « Il faut considérer, lorsqu’on les compare aux autres employés du secteur public, que les employés municipaux ont leurs propres régimes d’assurances et de fonds de pension. Leur rémunération est comparable avec le privé. »

Plus fondamentalement, Dupuis se demande pourquoi il faudrait toujours niveler par le bas. « Gagner 35 000 $, est-ce trop ? », demande-t-il en rappelant que le seuil de pauvreté est fixé à 33 000 $ pour une famille de deux adultes et quatre enfants. « Et il ne faut pas oublier, ajoute-t-il, que plusieurs ne gagnent que 25 000 $ ! »

Des intérêts puissants derrière les fusions

Il y a quelques mois, les projets de fusion, particulièrement à Montréal, semblaient irréalisables étant donné l’importance de l’opposition des municipalités de banlieue, jointe à celle du Parti libéral. Mais le vent a changé et les commentateurs politiques viennent d’élever le maire Bourque au rang de « visionnaire » pour avoir été le premier à lancer le projet « une île, une ville ». C’est dire toute la puissance des intérêts qui soutiennent la constitution d’une méga-cité sur l’île de Montréal.

Le débat continuera à faire rage, particulièrement à Montréal, mais il se fera, semble-t-il, sur la répartition des pouvoirs entre la méga-cité et ses arrondissements, le principe du projet « une île, une ville » étant désormais accepté. Ailleurs, le principe des fusions semble également acquis et le Parti libéral, qui vient de voter en congrès qu’il défera ce qui aura été fusionné, est l’objet de critiques et de risées de la part de ceux-là même qu’il voulait défendre.

Les centrales syndicales CSN et FTQ ont apporté leur appui de principe au projet « une île, une ville », mais la volonté gouvernementale de varloper au passage les droits acquis des employés municipaux risque de tout remettre en question, particulièrement du côté de la FTQ, fortement implantée par le biais du SCFP dans le secteur municipal. C’est donc un dossier à suivre.

« Nos 95 000 membres ont déjà fait leur part » - Pierre Dupuis, directeur du SCFP

Lorsque nous l’avons interviewé dans son bureau du 12e étage de l’édifice de la FTQ à Montréal, Pierre Dupuis, le nouveau directeur du SCFP, était particulièrement fier de la mobilisation des 25 000 employés municipaux que représente son syndicat.

« Nous travaillons là-dessus depuis le printemps dernier. Nous avons tenu un congrès sur cette question. Puis, nous avons effectué une tournée à travers les régions du Québec. On a cherché à mettre notre monde ensemble et on va continuer à le faire », lance-t-il pour expliquer le succès de la mobilisation.

Conseiller syndical depuis 1973 au SCFP (avec un intermède de sept ans à la FTQ proprement dite), directeur au cours des cinq dernières années du Service d’éducation, Dupuis fait de la participation et de la formation des membres la clef du succès. « C’est à cause de l’accent mis sur la participation et la formation que nous avons pu aller chercher un mandat de grève lors des dernières négociations du secteur public », explique-t-il.

Invité à définir ses priorités dans ses nouvelles fonctions, Dupuis fait quelques constats.

« Les 95 000 membres que nous représentons, et qui se retrouvent principalement dans le secteur para-public et les sociétés d’État comme Hydro-Québec, ont été mis à contribution avec le déficit zéro et ils veulent aujourd’hui voir leur sort s’améliorer. Ils ont également été victimes de la réorganisation du travail qui a entraîné le développement de la précarité et l’intensification du labeur. Notre objectif est que le travail redevienne viable et que les gens puissent s’y réaliser en tant qu’êtres humains. Il faut donc démocratiser les lieux de travail. »

Résumé par nos éditorialistes 0 le projet Bernard

Une ville pour la mondialisation et les milieux d’affaires

« Dans une société mondialisée, où les activités humaines transcendent les frontières, les grandes villes joueront un rôle de plus en plus essentiel, comme lieu d’innovation, comme pôle économique, comme outil d’identification sociale et culturelle. »

Alain Dubuc, La Presse, 14 octobre 2000

Des arrondissements pour les anglophones et les privilégiés

« Plusieurs municipalités et quartiers constituent autant de microcosmes culturels qui demandent qu’on les respecte. On pense évidemment aux villes de l’ouest de l’île, qui ont depuis longtemps l’anglais comme langue première, mais aussi à des villes comme Outremont, qui tient, à bon droit, à conserver des outils et l’argent nécessaires pour soutenir une vie communautaire digne de ce nom. »

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, 13 octobre 2000

... et une multitude de syndicats

« L’exercice ne doit surtout pas servir à perpétuer le statu quo, ce dont rêvent les syndicats d’employés municipaux. »

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, 13 octobre 2000

« Le gouvernement profitera-t-il de la réorganisation municipale pour casser les reins des Fauvel (président du Syndicat des pompiers) et Lapierre (président du syndicat des cols bleus) de ce monde? Tout est question de courage politique. »

Michèle Ouimet, La Presse, 17 octobre 2000