Les États généraux doivent aller plus loin que la loi 101

 


Une tour de Babel en français ?



C’est parti ! Fin septembre, l’équipe de Gérald Larose a invité les simples citoyens ainsi que les associations régionales à lui adresser pour le 23 octobre des mémoires sur la situation du français. Mais à en juger par le document de consultation mis à la disposition des intéressés sur le site Web des États généraux, c’est parti dans tous les sens, sauf le bon.

Mme Louise Beaudoin souhaite pourtant que la population se mobilise et confirme sa volonté de vivre en français. C’est ce qu’elle disait ce printemps lors du lancement du rapport sur le maintien du caractère français de Montréal.

Ce rapport, préparé par un comité de cinq ministres, est autrement plus mobilisateur que le document de consultation des États généraux. En peu de pages, il présente quantité de faits bien documentés portant sur la faiblesse du français comme langue d’assimilation ou comme langue de travail à Montréal, et sur les défis que posent au français la concentration des immigrants dans l’île, l’implantation des nouvelles technologies, l’expansion de l’informatique et la mondialisation des échanges économiques. Le rapport des cinq ministres se termine sur un appel bien senti – et bien justifié – à la mobilisation collective pour assurer la vitalité, le pouvoir d’attraction et l’avenir du français à Montréal et au Québec.

Est-on encore capable de parler du français en français ?

Pourquoi n’a-t-on pas annexé ce vibrant constat des faits au document de consultation des États généraux ? Il y a de belles énergies qui s’épuisent dans les méandres de l’administration gouvernementale.

Le document est d’une rédaction médiocre. On dirait que certains responsables de la question linguistique au Québec ne sont plus capables de parler du français en français. C’est-à-dire dans une langue claire, vive, précise et concise. Plus capables d’informer efficacement de manière à susciter la participation.

Des exemples ? L’entrée en matière commence par un paragraphe d’une seule phrase qui s’étend sur neuf lignes de texte ! Plus loin, on se heurte à une phrase incomplète. Le tout est farci de conjonctions ad nauseam. On peut compter jusqu’à cinq « et» en une ligne et demie de texte ! Sans doute un record mondial.

Ce serait moins grave si on avait pensé à annexer au site Web, en temps utile, des constats plus accessibles de la situation. À une semaine de la date limite de réception des mémoires, tout ce que la Toile offre sous cette rubrique tient toujours en deux mots et trois points de suspension 0 « À venir… » À chacun, donc, d’y aller de son opinion à partir de sa perception des choses. Et place à la tour de Babel !

Quant à la façon dont le document de consultation définit la situation, il existe une large voie de solution qu’on ne semble pas vouloir ouvrir. C’est pourtant la voie royale, qui va au fond des choses. Nombre de constats aussi lourds qu’incontestables témoignent de la faiblesse endémique du français face à l’anglais dans le cadre politique actuel. En prenant appui sur une opinion publique bien informée à ce propos, le gouvernement du Québec – il faudrait espérer ici l’Assemblée nationale, à l’unanimité – pourrait exiger d’Ottawa qu’on change de cadre.

Le dilemme de l’immigrant

Le document de consultation se contente d’une allusion sibylline à ce cadre. Comme si c’était une fatalité qu’il fallait accepter. Cela se trouve d’ailleurs incorrectement rangé comme « nouvelle réalité » dans la liste des « tendances démographiques », alors que c’est un problème d’un tout autre ordre. Il s’agit d’une incompatibilité aussi durable que fondamentale entre deux visions de la société québécoise.

Là encore, le rapport des cinq ministres a mis fermement le doigt sur le bobo 0 « …les nouveaux arrivants sont soumis à un double discours et à un double modèle d’intégration0 celui du gouvernement fédéral qui favorise la liberté de choix par le bilinguisme se confrontant au discours du gouvernement québécois qui préconise une langue commune et l’intégration à une société de langue française. Il n’est donc pas surprenant que bon nombre d’immigrants arrivant en sol québécois soient tentés de faire l’économie de l’apprentissage du français au profit de l’anglais. »

Bon an mal an, le (ou la) commissaire aux langues officielles constate que l’actuelle politique fédérale ne parvient pas à protéger de l’assimilation les minorités francophones au Canada anglais. Qu’attend donc Québec pour condamner sans appel l’illusion trudeauiste d’un Canada officiellement bilingue « coast-to-coast » ? Pour enfin revendiquer haut et fort une politique canadienne réaliste et efficace ayant pour but premier de renforcer l’usage du français partout où se trouvent des collectivités francophones encore viables ?

Une citoyenneté canadienne et linguistique

Qu’on s’entende, pour commencer, sur une conception innovatrice et territoriale de la citoyenneté canadienne, faisant en sorte qu’un immigrant qui s’établit à Montréal doive, pour devenir citoyen, faire preuve d’une connaissance minimale du français. N’est-ce pas là une condition indispensable pour participer à la prise de décisions dans une société qui a le français en partage comme langue commune ? Une société au sein de laquelle l’essentiel des débats sur les questions que les électeurs devront éventuellement régler se déroule en français ?

Au lieu de hisser le regard à ce niveau, le document des États généraux semble plutôt se contraindre à espérer des solutions à l’intérieur d’une problématique uniquement provinciale. Comme s’il pouvait suffire à la société québécoise d’essayer encore une fois de s’arranger à l’interne. Comme si, à force de se forcer les méninges, on pouvait réussir la quadrature du cercle et trouver le moyen d’assurer l’avenir du Québec français sans brasser la cage canadienne.

Le Québec tarde trop à s’engager dans cette voie. La loi 101 ne suffit plus. Mme Beaudoin l’a déjà dit. À quelques éléments près, Québec est allé aussi loin que possible en matière de politique linguistique dans le cadre actuel. On ne saurait plus changer de façon décisive le rapport du français à l’anglais sans changer le rapport entre le Québec et le Canada.

Il faut oser maintenant la confrontation et insister pour que le Canada transforme sa politique linguistique dans un sens plus territorial. Et si Ottawa refuse ? Son obstination à voir mourir le français à petit feu deviendra aussitôt une puissante condition gagnante sur un autre plan.

Le Québec français ne peut perdre s’il ouvre le jeu. Les États généraux doivent ratisser plus large. Les mémoires individuels et régionaux sont déjà rédigés. Mais il est encore temps de se rattraper au niveau national.