Les Québécoises étaient les plus nombreuses

 


Devant les Nations Unies



La militante féministe canadienne, Judy Rebick, remarquait récemment que « même si c’est la Fédération des femmes du Québec qui a initié et conduit cette action au niveau mondial, les médias canadiens l’ont en grande partie ignorée ».

Personnellement, je dirais non pas « même si » mais bien « parce que » c’est la FFQ qui a initié la Marche, les médias canadiens l’ont ignorée. Et on a l’impression aussi que c’est parce que la direction de la Marche n’est pas aux États-Unis qu’elle a été boudée tant par les médias américains que par la puissante organisation NOW qui a des « chapitres » dans toutes les villes et particulièrement à New York. Mais les dix mille militantes venues de partout dans le monde, dont 2 000 du Québec, nous ont vite fait oublier cette défection.

La Marche des femmes à Washington

Le dimanche 15 octobre, une délégation internationale de la Marche mondiale des femmes participe à Washington à la Marche des femmes des États-Unis organisée par NOW – National Organization of Women, la plus grande organisation féministe au monde, qui a réussi pour l’occasion à réunir 25 000 femmes. Récemment, cette organisation a pourtant pu mobiliser plus de 700000 personnes pour réclamer le contrôle des armes à feu, mais peut-être à la veille des élections américaines l’organisation a-t-elle eu peur que les revendications de la Marche leur aliènent une partie plus conservatrice de l’électorat féminin, ou forcent Hilary Rodham Clinton à prendre position sur la mondialisation ou des thèmes controversés comme les droits des lesbiennes.

La Marche donne d’ailleurs lieu à la critique de la politique américaine par plusieurs oratrices des pays du tiers-monde qui dénoncent les sanctions américaines en Irak et ailleurs dont les femmes et les enfants sont les principales victimes et réclament l’annulation de la dette des pays pauvres. Quant aux oratrices américaines, elles incitent les femmes à voter pour des candidates féministes lors des élections du 7 novembre afin d’obtenir une suite concrète à leurs revendications. Le lendemain, les déléguées de la Marche réitéreront en vain leurs demandes au président de la Banque mondiale et au directeur exécutif du Fonds monétaire international.

La Marche des femmes à New York

Dès 9 h du matin le 17 octobre, des tricycles portant une partie des pétitions que des femmes du monde entier ont signées partent du Bronx et traversent tout New York pour se rendre au point de ralliement de la Marche, situé au parc Dag Hammerskjold, devant les Nations Unies. Serrées les unes contre les autres dans le goulot étroit formé par ce parc minuscule, on découvre des délégations aux vêtements colorés en provenance de plusieurs pays d’Afrique, des pays européens francophones, de la Martinique, d’Haïti, du Portugal, de la Tunisie, ainsi qu’une importante délégation d’environ 200 Mexicaines, parmi lesquelles des Indiennes du Chiapas en tenue traditionnelle, très organisées avec des pancartes sur la violence envers les femmes et des dépliants expliquant leurs revendications, des Japonaises dénonçant le nucléaire, une femme afghane en burqua et des groupes de toutes les régions du Québec qui constituent la délégation la plus nombreuse. Une chaîne est formée qui achemine à bout de bras jusqu’à l’ONU l’épaisse pétition de quelques 300 000 signatures sur la totalité de plus de 6 millions recueillies dans le monde.

Les participantes échangent des informations, se photographient, se sourient dans les yeux, pendant qu’au micro, une Québécoise énumère les 157 pays participants et leurs multiples actions au cours de la semaine, avec des résumés traduits en espagnol et en anglais. À midi, quelque 10 000 participantes utilisent crécelles, flûtes, tambours, casseroles, sifflets et leurs propres voix pour qu’on entende de très loin leur détermination à lutter jusqu’à ce que soient mis en branle les moyens pour éliminer la pauvreté et la violence envers les femmes. Au cours du trajet entre la 47e rue et la 14e rue, les marcheuses observent quinze minutes d’un silence très impressionnant à la mémoire des victimes de la violence patriarcale. C’est tout à fait incroyable de déambuler ainsi à travers New York avec des drapeaux québécois, des slogans et des chansons majoritairement en français. On a l’impression d’envahir l’empire ! Jamais nous n’avons été aussi fières d’être québécoises.

L’ONU n’était pas la bonne adresse

Pendant ce temps, une délégation de 200 femmes de différents pays rencontre, en l’absence de Kofi Annan, toujours au Moyen-Orient pour le conflit israëlo-palestinien, Louise Fréchette, secrétaire générale associée de l’ONU, et Angela King, conseillère du secrétaire général en matière de condition féminine. Elles exposent leurs revendications sur la violence faite aux femmes, l’égalité, la pauvreté et la redistribution de la richesse. Des femmes provenant de pays aux prises avec des guerres, comme l’ex-Yougoslavie, le Kurdistan, la région africaine des Grands Lacs, la Colombie, la Palestine, relatent de façon extrêmement émouvante les sévices dont elles sont victimes avec leurs enfants. Louise Fréchette n’ayant pu rester jusqu’à la fin, Angela King les félicite de leur détermination, mais leur explique que les Nations Unies ne sont que la somme de tous les pays et que c’est sur leurs gouvernements respectifs qu’elles devraient faire pression afin que les Nations Unies puissent être efficaces. Donc, à ce niveau aussi les résultats sont loin d’être satisfaisants.

Michèle Rouleau et Karen Young à l’Union Square

Environ deux heures plus tard, nous arrivons à l’Union Square où une scène a été édifiée avec écran géant afin que nous puissions toutes voir le spectacle animé avec brio par l’Amérindienne Michèle Rouleau et la Portoricaine Caridad avec les prestations de Karen Young et son groupe qui interprètent la belle chanson multilingue de la Marche « Capiré mossamam mam Capiré el ham mossamam el ham », signifiant « compréhension, détermination, inspiration ». Plusieurs groupes et artistes se manifestent, entrecoupés d’interventions des déléguées de différents pays dont celle très attendue de Françoise David qui remercie les participantes, dit que la mobilisation ne fait que commencer et qu’elle n’écarte aucune forme d’action, mais que d’abord on doit faire le bilan de la Marche et en tirer les conséquences qui s’imposent. « À partir de maintenant, les dirigeants de la planète doivent savoir que les femmes du monde entier se tiennent la main et partagent la même analyse de la mondialisation et du patriarcat », conclut alors la présidente de la Fédération des femmes du Québec.

L’après-Marche sera politique

Après le demi-succès à court terme de la Marche, beaucoup de questions sont dans l’air au Québec. Le mandat de Françoise David comme présidente de la FFQ venant à échéance en juin, beaucoup de militantes l’incitent à se lancer en politique et surtout à créer un parti politique féministe où les hommes seraient admis, mais dont la priorité serait de faire entendre la voix des femmes, de mettre de l’avant leurs revendications, de transformer l’organisation du travail et les rapports entre la vie privée et publique et dont une des premières tâches consisterait à réclamer la représentation proportionnelle afin d’avoir au Parlement un pourcentage de représentantes reflétant notre force politique et d’être en mesure de changer les choses. Les organisatrices n’excluent ni une grève générale visant à montrer l’importance du travail des femmes (rémunéré ou non) ni des gestes spontanés et pacifiques de désobéissance civile à l’image des récentes manifestations de SalAMI.

Un bilan serré de la Marche sera fait dans les prochaines semaines pour évaluer qu’elle serait la suite la plus pertinente à donner à l’immense mouvement des femmes qui a secoué la planète, alors que déjà se pose l’échéance du Sommet des Amériques en avril 2001. Quant à nous, notre bilan est très positif, que ce soit sur la qualité des interventions de toutes les porte-parole de la Marche, sur l’excellence des documents d’éducation et de sensibilisation mis à la disposition des participantes, sur l’énorme effort accompli pour financer cette entreprise gigantesque et sur la persévérance sans failles qui a permis de la mener à bien.