Merci, monsieur d’Allemagne

 

Pierre Bourgault profite de cette préface pour rendre hommage à celui qui fut son maître, un des fondateurs et la tête pensante du regretté RIN (1958-1968), le Rassemblement pour l’indépendance nationale 0 «D’Allemagne m’a tout appris », reconnaît-il simplement. « Ses discours étaient si intelligents et si justes que quarante ans plus tard, je suis toujours indépendantiste. »

Dorénavant, Papineau se sent moins seul

Avoir de la suite dans les idées est une qualité rare que Bourgault n’est pas le seul à posséder, il la partage avec toute une génération. Faut-il souligner que c’est là un phénomène nouveau et sans précédent 0 la persévérance dans les convictions politiques n’a jamais été un trait du caractère québécois. Peu importe les divers noms qu’on a donné à La Cause, c’est toujours le même combat, des Patriotes aux Jeune-Canada de Laurendeau, en passant par les Rouges des frères Dorion et les Nationalistes de Bourassa et de Lavergne, la fidélité d’une génération politique à la cause de l’indépendance n’a jamais dépassé vingt ans.

Tout le XIXe siècle n’a connu qu’une seule exception à la règle, mais elle est de taille 0 Louis-Joseph Papineau est demeuré « le même en tout » pendant plus de soixante ans. De toutes les choses que la classe politique lui a reproché, c’est la seule qu’elle ne lui a jamais pardonné. Que de fois depuis n’a-t-on pas déploré « le manque de souplesse » du grand tribun ?

Quand la réponse est claire, la question le devient

Comment expliquer la brusque mutation qui s’est produite dans le comportement politique il y a maintenant une quarantaine d’années ? Dès 1966, André d’Allemagne, qui n’est pourtant pas porté à l’emphase, revendique pour son mouvement de libération la paternité de cette transformation inespérée. « En cinq ans, le RIN et le mouvement indépendantiste, dans son ensemble, ont fait plus pour le Québec que nos partis traditionnels et nos mouvements patriotiques depuis un siècle de Confédération. » Avec le recul du temps, c’est un jugement qu’entérine la suite des événements jusqu’à aujourd’hui, en soulignant, comme le fait d’Allemagne dans un texte plus récent, que depuis, le mot indépendantisme, et son origine québécoise, ont fait leur entrée dans le dictionnaire Larousse.

« J’étais la fougue et la passion», se souvient Bourgault dans la présentation des écrits de son ancien compagnon d’armes. « Il était toute intelligence, toute rationalité, tout calme et sérénité. Ensemble nous étions terriblement efficaces. » L’orateur était aussi percutant que le penseur était incisif, mais leur force commune était la clarté d’exposition de leurs idées. C’est un art qui n’est plus à la mode.

La lutte qui s’annonce en 1963 n’est ni folklorique, ni archaïque. «Il existe en Amérique du Nord, non plus une minorité mais une nation qui entend désormais vivre son destin de nation, rappelle D’Allemagne lors d’une conférence de presse à Paris. Cette nation est la plus ancienne d’Amérique du Nord. Elle existait bien avant le Mexique, bien avant le Canada. De plus, par sa population, c’est la seconde nation française au monde. »

On est moins vaincu en français qu’en anglais

Ce qui distingue le Québec, ce n’est pas uniquement le fait de parler français mais l’exploit d’avoir su conserver sa langue. « Le plus puissant facteur d’évolution des langues est sans aucun doute le contact et l’occurrence d’un idiome étranger, généralement à la faveur d’une invasion militaire. C’est ainsi que les langues celtiques ont cédé la place au latin à mesure que les élites gauloises, s’engageant dans la voie de la “ collaboration ”, ont accepté de jouer un rôle dans l’administration romaine et ont adopté les méthodes, les institutions, les dieux et la langue des Romains, écrit D’Allemagne en 1960. Nous savons qu’en Nouvelle-France le conquérant a implanté ses institutions et tenté d’imposer sa langue. Se croyant incapables de reconquérir leur liberté par les armes, les Canadiens ont en quelque sorte transféré leur résistance du plan militaire au plan linguistique 0 le patriotisme s’est manifesté et se manifeste encore par la volonté de préserver la langue française. Cette lutte culturelle, qui se poursuit encore, a certes été relativement fructueuse puisque le Canada français présente actuellement le cas à peu près unique dans l’histoire d’une nation qui après avoir été conquise puis occupée pendant deux siècles a réussi à ne pas être assimilée sans cependant réussir à se libérer. »

Le talent de saisir l’événement dans l’événementiel

L’histoire a le dos large et lui laisser le soin d’être le dernier juge est une dérobade, très répandue dans le monde politique, comme on a pu le constater récemment lors du décès du fier PET. Rendre un jugement à chaud qui va tenir la route de l’histoire n’est pas le propre des universitaires ou des hommes politiques.

Au Québec, il n’y aura eu qu’André Laurendeau, jadis, et Pierre Bourgault, maintenant, à posséder ce talent rare de saisir l’événement dans l’événementiel. Il faut leur adjoindre André d’Allemagne. « Les libéraux avaient, il y a maintenant longtemps de cela, fait naître des espoirs de libération chez un peuple; ils avaient aussi adopté des méthodes politiques qui reposaient sur le dialogue avec la population,» analyse-t-il, en juin 1966, dans les jours qui suivent les élections qui ont porté l’Union nationale de Daniel Johnson à la tête du gouvernement. « Après quelques années au pouvoir, les Libéraux étaient déjà essoufflés et n’osaient plus pousser plus loin des réformes que l’on sentait cependant indispensables. De plus, on s’est bien aperçu qu’une fois encore, le poids des réformes, leur coût, allait retomber non pas sur les éléments privilégiés de notre société ni sur la grande entreprise favorisée par le régime, mais sur le gros de la population, c’est-à-dire les petits. La Révolution tranquille est morte bien avant le 5 juin 1966. »

De Gaulle et la bataille du RIN

De tous les commentateurs de la visite du général De Gaulle en 1967, D’Allemagne est l’un des rares à avoir identifié sur le champ, le principal effet de la déclaration du balcon. « La visite de De Gaulle a eu pour grand avantage de forcer les hommes et les groupes à se définir. Beaucoup d’illusions se sont éteintes. Drapeau a fait son choix du côté de la collaboration et est devenu la vedette du Canada anglais. Lesage nous a montré une autre fois son visage de petit politicien mesquin et sordidement démagogue. Lévesque a probablement raté sa dernière chance de servir le Québec. Aquin (François) s’est rangé du côté de ceux qui travaillent à la libération nationale. Johnson a agi avec dignité, en authentique chef d’État... il reste à voir maintenant s’il continuera. Et quant au RIN... hé bien, sans le RIN, rien de tout cela ne se serait produit. »

On l’oublie trop souvent 0 René Lévesque a quitté le parti libéral et fondé le Mouvement Souveraineté-Association à l’automne 1967. Puis le Parti québécois en 1968. « Vive le Québec libre ! » C’est le cri de ralliement du Rassemblement pour l’indépendance nationale. Merci, monsieur d’Allemagne.

Une idée qui somnolait, Écrits sur la souveraineté du Québec depuis les origines du RIN (1958-2000), André d’Allemagne, Comeau et Nadeau, Montréal, 2000.