Flambée des prix en Yougoslavie

 


La médecine néolibérale



Depuis le départ de Milosevic, les médias occidentaux ont cessé de nous informer sur la situation en Yougoslavie. Mais notre chroniqueur Michel Chossudovsky a continué à suivre le déroulement des événements. Son compte rendu explique le silence de nos médias.

Le gouvernement Kostunica a déjà entrepris la mise en place de la « médecine économique » meurtrière du Fonds monétaire international (FMI). Le premier pas consiste dans l’abolition du contrôle des prix sur les biens de consommation de base, l’essence et les services. Déjà, les prix ont augmenté, triplant même dans certains cas, causant des souffrances extrêmes au peuple yougoslave.

Des années de sanctions économiques avaient appauvri le pays, sans mentionner les réformes imposées par le FMI au cours des années 1989-1990 avant le démantèlement de la fédération yougoslave. Mais un système de subventions et de contrôle des prix avait néanmoins empêché l’effondrement complet du niveau de vie, comme cela s’est produit dans la Bulgarie voisine.

Ce système de contrôle des prix est en train d’être démantelé par le semi-gouvernement du mouvement d’opposition de Serbie (DOS) sur les ordres du Fonds monétaire international. Comme le rapporte le Los Angeles Times 0 « Lorsque les partisans de Kostunica ont mis à la porte les gérants des entreprises d’État et les ont remplacés par leurs amis, le système de contrôle s’est immédiatement effondré et les prix se sont mis à grimper. Le coût de l’huile pour la cuisson a plus que triplé depuis vendredi dernier, alors que Milosevic annonçait son départ. Le prix du sucre et des cigarettes est à la veille d’augmenter une nouvelle fois. Les partisans de Milosevic ayant été remplacés par les partisans de Kostunica, ces derniers cherchent à rendre leurs entreprises rentables rapidement. » (Los Angeles Times, 15 octobre 2000)

Le gel de l’émission de papier-monnaie

Pour s’assurer que le gouvernement mettrait fin aux subventions, les économistes du G-17 ont pris de force le contrôle de la Banque centrale et ont immédiatement imposé le gel de toute création de papier-monnaie, privant ainsi le gouvernement des sorties d’argent nécessaires pour maintenir le contrôle des prix sur les biens de consommation de base.

Au début, le DOS annonça que la levée des contrôles était une grande réussite. Les médias occidentaux saluèrent la détermination de Kostunica, qu’ils opposèrent aux soi-disant ruses de Milosevic.

Le Los Angeles Times écrivait 0 « Le contrôle des prix pour empêcher la hausse d’aliments de base comme le lait et l’huile pour la cuisson est un des moyens par lesquels Milosevic a tenté de gagner le soutien de son peuple appauvri. » (Los Angeles Times, 15 octobre 2000)

Des entrevues que nous avons menées auprès de résidents de Belgrade confirment aujourd’hui que le prix du lait, si important dans l’alimentation des enfants, a presque doublé, passant de 8 à 14 dinars le litre. Le prix de l’huile pour la cuisson a plus que triplé, passant de 13,5 à 55 dinars. Le prix du sucre est passé de 8 à 45 dinars. Ces entrevues confirment donc le rapport du Los Angeles Times.

« Ah, ces prix démocratiques ! » disent d’ailleurs les commerçants, avec cet humour noir dans lequel on devine la colère des gens ordinaires.

Le voleur qui crie au voleur

Mais, pour faire face à la rébellion qui couvait, les partisans de Kostunica, y inclus les économistes du G-17, ont opéré un renversement étonnant. L’Agence France-Presse rapporte que « la nouvelle direction (c’est-à-dire la coalition DOS de Kostunica) a accusé les partisans de Slobodan Milosevic de chercher à créer le chaos sur les marchés par une brusque libéralisation, qui pourrait compromettre la démocratie naissante. Le gouvernement de la République serbe, toujours dominé par le personnel loyal à Milosevic, a entrepris de permettre la libéralisation des prix des biens de consommation de masse jusqu’ici sous contrôle étatique. Mais les réformes affirment que la libéralisation pourrait être cause de souffrances pour une population habituée à des prix fixés par l’État et certains ont même demandé au gouvernement de reprendre le contrôle d’une partie du marché. » (AFP, 16 octobre 2000)

Les médias occidentaux qui, quelques jours auparavant, félicitaient Kostunica pour avoir retiré le contrôle des prix, en jetaient maintenant le blâme sur Milosevic ! « Cette décision du gouvernement serbe est une sorte de thérapie de choc », déclare Branko Radulovic du G-17, un groupe d’économistes près du DOS, l’opposition démocratique de Serbie. « De telles mesures vont causer beaucoup de souffrances au peuple », prévient Radulovic. Mladjan Dinkic, le directeur du G-17, va encore plus loin. Cette décision est une « tentative de créer du chaos sur le marché et de provoquer la colère du peuple contre le DOS », déclare-t-il. Pour contrer ce « sabotage », Dinkic se déclare favorable à un « retour à la réglementation des prix pour certains produits de base ainsi qu’à l’importation de l’étranger de produits équivalents à meilleurs coûts pour venir à bout de ces hausses injustifiées des prix. » (AFP, 16 octobre 2000)

Notons que sous le prétexte de baisser les prix, Dinkic parle d’importer des biens « équivalents » à meilleur marché. Autrement dit, d’accepter le dumping de produits étrangers. Une pratique qui a détruit l’industrie locale et les entreprises agricoles en Bulgarie et dans d’autres pays.

Gagner sur les deux tableaux

L’économiste Dinkic du G-17 se déclare inquiet des « souffrances » du peuple. Mais n’est-ce pas précisément là la base même du programme du FMI que M. Dinkic a négocié lors de rencontres secrètes avec des représentants du FMI en Bulgarie, peu après les élections du 24 septembre ?

Alors qu’il était en Bulgarie, M. Dinkic a également rencontré des représentants des pays de l’OTAN. On lui a alors dit que la Yougoslavie devait éliminer le contrôle des prix comme première étape pour l’établissement du « libre marché ». Cela s’appelle la « libéralisation des prix » et le FMI l’impose souvent comme précondition à la négociation de prêts.

Si Dinkic veut réellement revenir au contrôle des prix tel qu’il existait avant les élections, pourquoi les gangs « démocratiques » qui se sont illégalement emparés des magasins d’État ont-ils aboli le contrôle des prix ? En fait, Dinkic veut gagner des deux côtés 0 se débarrasser des contrôles, et blâmer le gouvernement légal pour cette action que lui-même et ses hommes ont prise. Parce que c’est Dinkic lui-même qui s’est emparé du contrôle de la Banque centrale et cela, de façon illégale.

La thérapie de choc

Le programme du groupe d’économistes du G-17, lié au mouvement d’opposition de Serbie (DOS) de Kostunica, prônait la « thérapie de choc » de la fin du contrôle des prix.

« Immédiatement après son accession au pouvoir, le nouveau gouvernement devra abolir toutes les formes de subventions. Cette mesure doit être adoptée sans regrets ni hésitations, sinon il sera difficile, voire impossible de la mettre en vigueur ultérieurement, de puissants lobbies pouvant surgir et tout mettre en œuvre pour la bloquer. Ce premier pas vers la libéralisation économique doit être conçu comme une “ thérapie de choc ” et sa nature radicale ne laisse pas place à quelque forme que ce soit de gradualisme. »

(Extrait du Programme de réforme économique radicale du G-17)