Le revenu des Québécoises représente 56 % de celui des hommes

 


Il faut le rappeler



Il aura fallu la Marche des Femmes contre la pauvreté pour nous rappeler une fois de plus les tristes statistiques sur les revenus des femmes par tranches d’âge, par statut civil, par nombre d’enfants à charge ou par région. Faut-il rappeler que le revenu des Québécoises est 56 % celui des hommes ? Une plus grande proportion de femmes que d’hommes sont sous le seuil de la pauvreté parce que leurs revenus sont insuffisants et si leurs revenus sont inférieurs à ceux des hommes, c’est que leur travail et leurs responsabilités ne sont pas les mêmes. Nous connaissons toutes des femmes engagées dans des métiers non traditionnels, gérantes de banque ou députées, mais quelle est la dernière fois où vous avez rencontré une vendeuse de voitures ou une menuisière ? Le travail de la majorité des femmes est un travail féminin. Il existe une division sexuelle du travail comme il existe une division sexuelle des tâches domestiques.

Les professions féminisées se situent à la périphérie d’un marché du travail où le centre est occupé par un noyau privilégié composé de travailleurs permanents, surtout des hommes qui jouissent de la sécurité d’emploi et de salaires supérieurs. À la périphérie se retrouvent surtout des femmes souvent moins qualifiées, contractuelles et à temps partiel.

15 professions regroupent la moitié des travailleuses

Aujourd’hui, près de 50 % des femmes de plus de quinze ans occupent un emploi (pour 62 % des hommes), mais la hausse spectaculaire du taux d’activité des femmes depuis une cinquantaine d’années n’a pas beaucoup modifié leur situation sur le marché du travail. Encore de nos jours, certaines professions sont étiquetées féminines, d’autres masculines. En général, les femmes accomplissent des tâches assignées à leur sexe et, soit à cause du manque de formation, soit à cause de discrimination plus ou moins subtile, elles se trouvent confinées à un éventail restreint de professions surtout dans le secteur tertiaire, c’est-à-dire dans les services dominés par les cols roses. Au Québec, près de la moitié des travailleuses sont regroupées dans 15 professions, alors que seulement un quart des hommes occupent les 15 principales professions masculines. On devine les écarts de salaire entre les deux catégories.

Les cinq principales professions féminines qui regroupent 23% des travailleuses sont 0 secrétaires, vendeuses et commis-vendeuses au détail, commis à la comptabilité et personnel assimilé, caissières et infirmières diplômées. Les cinq principales professions masculines qui regroupent 11,9 % des travailleurs sont 0 conducteurs de camion, vendeurs et commis-vendeurs au détail, directeurs de la vente au détail, concierges, mécaniciens/techniciens et réparateurs d’automobiles. (Institut statistique du Québec, 1996.)

Cheap labour traditionnel

Malgré la prédominance du sectaire tertiaire, il reste toutefois des travailleuses industrielles dans les secteurs traditionnels basés sur une main d’œuvre bon marché, le fameux cheap labour québécois 0 le textile, la préparation des aliments, la confection de vêtements et de chaussures et, plus récemment, l’assemblage d’appareils électriques. Ces secteurs sont vulnérables et migrent vers des pays à bas salaires et des zones franches d’exportation en Asie et en Amérique latine. Il subsiste quand même des ateliers de confection où travaillent surtout des femmes immigrantes.

À Montréal, 90 % des télétravailleurs sont des femmes

Parallèlement à la perte d’importance du secteur manufacturier, les emplois basés sur les nouvelles technologies sont en expansion rapide. Il ne faudrait pas considérer cette forme de travail comme un progrès. Ces emplois sont souvent non-qualifiés, avec peu de chance de formation ou de promotion.

À Montréal, par exemple, 90% des télétravailleurs sont des femmes soumises à un travail irrégulier et imprévisible 0 les horaires peuvent changer d’un jour à l’autre, les travailleuses doivent être disponibles la nuit ou les fins de semaine. Comme jadis la couture, une partie de ce travail s’effectue à domicile.

Ainsi, comme dans la période préindustrielle, grâce au téléphone et à l’ordinateur, des femmes ne quittent jamais leur foyer pour travailler. De ce ces travailleuses, on exige souplesse et adaptabilité, mais l’organisation du travail n’en est pas moins rigide et soumise aux exigences de la plus grande efficacité.

Vulnérables aux fluctuations de l’économie

De par leur position particulière sur le marché du travail, les travailleuses subissent de plein fouet les fluctuations de l’économie. Ce sont les emplois les moins qualifiés qui déménagent vers les pays du Sud où une main d’œuvre bon marché invite à l’exploitation. Si le travail est « genré », les sursauts économiques affectent les femmes et les hommes de façon spécifique. La place des femmes dans l’économie, leur accès particulier aux ressources productives, leur concentration dans certains services, le rôle familial qui leur est généralement dévolu, toutes ces conditions les rendent plus vulnérables aux crises qui secouent le monde capitaliste depuis plus de vingt ans.

Les emplois non qualifiés, contractuels, non syndiqués se déplacent plus facilement là où les profits sont plus prometteurs. Que ce soit dans les maquilladoras de la frontière mexicaine où on assemble du matériel électronique, ou dans les télécentres de Bangalore où des doigts rapides entrent des données informatiques, la migration vers le Sud guette nombre d’emplois féminins. Jusqu’à maintenant, le taux de chômage masculin était supérieur au taux de chômage féminin, mais déjà dans l’Union européenne le chômage des femmes est supérieur à celui des hommes, alors qu’ici les taux sont presque égaux.

En 1997, en Europe, le taux de chômage des femmes était de 12,4% et celui des hommes de 9,3%. (Statistiques de l’OCDE, 1999.)

Une discrimination systémique

L’importance du temps partiel, le manque de qualification et la concentration des professions payées près du salaire minimum, la précarité, l’insécurité et l’irrégularité du travail, la faible participation syndicale expliquent pour une large part les écarts de salaires et de revenus entre les sexes.

Quoiqu’en disent les membres de la Coalition pour les droits des hommes du Québec, les femmes n’ont pas des emplois subalternes et ne sont pas pauvres par inertie ou par choix. Elles subissent une discrimination systémique qui limite leur formation et les confine trop souvent à des emplois moins bien payés et plus précaires, et qui s’attend à ce qu’elles soient les premières à soigner les rougeoles et à préparer la soupe.

Temps plein à la maison et temps partiel au travail

Les services sont particulièrement bien adaptés au travail à temps partiel qui attire trois à quatre fois plus de femmes que d’hommes. L’importance du travail de moins de trente heures par semaine marque une des grandes différences entre les travailleuses et les travailleurs. Le temps partiel continuera à être essentiel pour ces vendeuses, ces caissières, ces serveuses et ces infirmières qui doivent concilier les responsabilités familiales et le travail rémunéré. Des études répètent que la majorité des travailleuses à temps partiel acceptent ce genre de travail « par choix ». On peut s’interroger sur le sens du mot choix. Pour celles qui doivent cumuler travail salarié, tâches domestiques et soins aux enfants ou à d’autres membres de la famille, on comprend l’attrait du travail à temps partiel et des horaires flexibles qui font aussi l’affaire des patrons qui échappent ainsi aux charges sociales. Comme une bonne partie du travail à temps partiel est aussi sous contrat et irrégulier, les femmes doivent recourir à des prodiges d’organisation pour gérer enfants, gardiennes, repas au travers des horaires souvent imprévisibles.

Comme le salariat, le travail ménager est « genré »

On devrait se questionner sur la faible représentation des hommes dans le travail à temps partiel, mais on trouve un début d’explication quand on constate que 80 % des femmes avec un conjoint et 60 % des hommes avec conjointe préparent les repas; que 74 % des femmes avec conjoint et 35 % des hommes avec conjointe font la vaisselle; et que 72 % des femmes avec conjoint et 23 % des hommes avec conjointe s’occupent de l’entretien intérieur. Ce à quoi il faut ajouter les soins aux enfants aussi inégalement répartis. Quand on tient compte à la fois du travail rémunéré et du travail non-rémunéré, les femmes travaillent une demi-heure de plus par jour que les hommes. Ce qui peut paraître minime, mais qui se traduit par cinq semaines de plus par année. Cette situation a un impact direct sur les revenus des femmes et est, mais en partie seulement, responsable de l’écart des revenus entre les femmes et les hommes. Comme le salariat, le travail ménager et le soin des enfants sont largement « genrés ». C’est seulement parce qu’ils peuvent échapper aux responsabilités domestiques que les hommes peuvent occuper un travail à temps plein.

Le congé de maternité demeure une chimère

L’État reconnaît maintenant la spécificité des travailleuses dont la plupart, tout comme leurs collègues masculins, voudront avoir des enfants. Cette reconnaissance des congés de maternité est d’autant plus importante depuis la réforme fédérale de l’assurance-chômage, rebaptisée assurance-emploi. Pour la plupart des travailleuses autonomes, occasionnelles et contractuelles, le congé de maternité demeure une chimère. Le congé parental, payé par l’État, est un élément essentiel pour le partage égalitaire des responsabilités domestiques. Les syndicats et les groupes de pression comme le Regroupement pour un régime québécois d’assurance-parentale, qui est formé de 14 organisations de femmes, syndicats et organisations communautaires, réclament une telle mesure qui devrait encourager le partage des soins aux enfants.

Les récentes réformes de l’assurance-chômage exigent 700 heures de travail continu, ou 37 semaines de quinze heures/semaine, pour accorder un congé payé, alors qu’auparavant il ne fallait que 300 heures ou 47 semaines.

Mais même avec les congés parentaux, la situation est loin d’être égale. Le salaire des mères étant inférieur à celui des pères, ce sont elles plutôt que leur conjoint mieux payé qui, en toute logique, resteront le plus souvent à la maison. C’est ainsi que l’interruption de travail désavantage surtout les femmes. Il est futile de parler d’équité tant que les mères plutôt que les pères seront pénalisées par la venue d’un enfant, et tant que les mères monoparentales seront désavantagées par rapport aux pères monoparentaux.