« On veut syndiquer toute la classe ouvrière ! »

 


Le discours rafraîchissant de Marc Laviolette



J’étais heureux de rencontrer Marc Laviolette le jour où les tribunaux venaient de confirmer l’accréditation du syndicat du McDonald’s de la rue Peel à Montréal. Enfin, une bonne nouvelle !, me disais-je, car je pensais trouver un Laviolette débiné après la pluie des contrecoups qui s’étaient abattus sur la CSN dans le conflit des transporteurs routiers 0 loi spéciale, rejet de 33 requêtes en accréditation par le Conseil canadien des relations de travail (CCRI), retour au travail dans le cadre d’un « moratoire » interprété par tous les commentateurs comme un constat de défaite.

Surprise, c’est un Marc Laviolette fringant, combatif et animé d’une saine colère qui me reçoit. D’entrée de jeu, il s’en prend à ceux qui qualifient la grève des 500 transporteurs routiers de « défaite ». Il sort de son cartable le journal La Presse du 22 novembre. « En éditorial, lance-t-il, Mario Roy parle de notre lutte comme d’une “ aventure irréfléchie ”, d’une “ lutte suicidaire ” et il affirme que pas un seul camionneur ne touchera un sou de plus sur son chèque de paie, ou ne verra ses conditions de travail améliorées de quelque façon. »

Mais Laviolette nous indique un autre article du même journal du 22 novembre dans lequel le journaliste Richard Dupaul cite Paul Gilmore, le vice-président du transporteur maritime CAST, qui confirme que des transporteurs routiers ont annoncé leur intention d’augmenter leurs tarifs de 20 % à 30 %. Gilmore ajoute que « les camionneurs voudront être mieux payés, notamment pour le temps d’attente qui n’est pas actuellement comptabilisé. » Dans le même article, on cite un autre transporteur maritime qui reconnaît que « les camionneurs devront être mieux payés tôt ou tard ».

Et Laviolette de conclure 0 «Mario Roy devrait commencer par lire son propre journal avant de faire un fou de lui en disant n’importe quoi. »

John David Duncan, le porte-parole des camionneurs, nous confirmera par la suite que des transporteurs comme Montreal Container Transport, Transport Verville, Transport Container Garfield et Transport Lafrance ont haussé de 55 $ à 70 $ le prix du conteneur.

« Notre juste part de la croissance »

« Les compagnies peuvent payer davantage », enchaîne Marc Laviolette en me remettant la copie d’une facture de Camionnage Intra-Québec pour un conteneur. La facture s’élève à 512,50 $ et comprend un montant de 22,50 $ pour la hausse du prix du pétrole et 40 $ pour le temps d’attente. « Le travailleur, lui, touchait 55 $, sans prime pour l’essence et sans être payé pour le temps d’attente », rappelle-t-il en soulignant que ces travailleurs indépendants ont d’énormes paiements mensuels à rencontrer, alors que les transporteurs se contentent souvent d’un minuscule bureau.

« Nous sommes en période de croissance économique, nous voulons que les travailleurs aient leur juste part de cette croissance », dit-il pour justifier l’action de sa centrale syndicale.

La grève a permis de réaliser l’importance de l’industrie du camionnage dans l’ensemble de l’économie, particulièrement quand plusieurs entreprises fonctionnent selon le principe du « juste-à-temps» pour augmenter leurs profits en se passant d’inventaires. «On a calculé, rappelle le président de la CSN, que la grève des transporteurs routiers coûtait un demi-milliard par semaine à l’économie québécoise. »

Patronat et gouvernements, même combat

Il n’est donc pas surprenant que le patronat et les gouvernements se soient ligués contre les grévistes et la CSN. Le gouvernement d’Ottawa ne pouvant intervenir pour cause d’élections, le patronat s’est tourné vers Québec qui s’est empressé de répondre à l’appel.

Laviolette me remet un extrait du Journal des débats de l’Assemblée nationale dans lequel le ministre Guy Chevrette fait clairement état de sa connivence avec les employeurs. Chevrette y déclare 0 « Quand on a vu cela, on a travaillé avec les avocats des patrons, on a travaillé... On s’est tenus en perpétuelle liaison avec eux depuis la première semaine du conflit. » (Extrait du Journal des débats du jeudi 2 novembre 2000)

Une fois la loi 157 adoptée, la CSN a proposé aux entreprises, une à une, un protocole de retour au travail. Certaines étaient tentées de le signer, mais l’Association du camionnage du Québec (ACQ) est intervenue auprès des 39 compagnies visées par le syndicat en les avisant de ne rien signer avec la CSN, craignant que cela puisse être interprété comme une reconnaissance syndicale de facto.

L’enjeu dépasse le camionnage intermodal

Notons que l’ACQ regroupe surtout les très gros transporteurs routiers et que ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans le conflit de l’intermodal. Cela démontre que l’enjeu dépasse de loin les camionneurs de l’Intermodal.

Le même jour, soit le 7 novembre, le Conseil canadien des relations de travail (CCRI) rejette les 33 requêtes en accréditation déposées le 1er juin 2000, mais « se garde bien, souligne Laviolette, de statuer sur les requêtes déposées en janvier 1999, dont les dossiers étaient beaucoup plus complets et pour lesquels les parties avaient été entendues ».

Deux semaines plus tard, quelque 250 camionneurs de l’intermodal adoptent en assemblée générale un protocole de retour au travail qualifié de « moratoire » par la CSN.

Laviolette reconnaît que le «moratoire » est une pause, un recul temporaire découlant de l’impact de la loi 157, des pressions exercées par les employeurs, des congédiements et des difficultés financières des camionneurs. « On est capable de lire une situation », de nous dire le président de la CSN. La lutte est cependant loin d’être terminée. « On veut des solutions durables », d’affirmer Laviolette

Une stratégie à long terme

Pour comprendre les enjeux de cette lutte, il faut la situer dans la stratégie à long terme de la CSN. « Il y a deux ans, de dire Laviolette, nous nous sommes fixés comme objectif la syndicalisation des travailleuses et des travailleurs dans trois secteurs prioritaires 0 le camionnage, le fast food et le secteur bancaire. On va soutenir toutes celles et ceux qui vont vouloir se syndiquer. Ce n’est pas les amendes qui vont nous impressionner ou nous arrêter. On lâchera pas le morceau. »

Au début de son mandat à la tête de la CSN, Marc Laviolette avait répondu à un journaliste qui insinuait que la CSN soutenait la révolte des camionneurs parce qu’elle voulait les syndiquer 0 « Mais c’est exact. On veut les syndiquer, on veut tous les syndiquer. On veut syndiquer toute la classe ouvrière. » Un discours rafraîchissant, qui l’est encore plus en voyant que les actes suivent les paroles.

Les lois spéciales contre les travailleurs

Duplessis 0 4 Parti québécois 0 39

Le président de la CSN ne mâche pas ses mots à l’endroit du gouvernement et son discours laisse penser qu’un changement majeur se dessine dans les relations entre la CSN et le Parti québécois, relations qui étaient au beau fixe sous la présidence de Gérald Larose.

« On a adopté une loi où la circulation des marchandises a priorité sur les droits des travailleurs, sur les droits fondamentaux de la Charte des droits et libertés. On n’a pas vu de grandes contradictions entre le fédéral et le provincial lors de ce conflit. Au contraire, il y avait une très grande unité entre les deux contre les travailleurs », déclare Laviolette.

« Au cours de ses quatre mandats, ajoute-t-il, le Parti québécois a passé 39 lois spéciales contre les ouvriers. C’est beaucoup. Duplessis en avait passé quatre. Il préférait envoyer sa police. Je questionne le nationalisme de droite par rapport à notre projet de société. C’est à travers la lutte sociale qu’on bâtit un pays, pas avec des lois anti-ouvrières.»

Laviolette enchaîne en rappellant que la CSN a enclenché le débat sur l’action politique. « Ça va aboutir au prochain congrès », dit-il.

Des états généraux ? À condition que ce ne soit pas un têtage de têteux

Le conflit dans le port a vu se développer une vive polémique entre la CSN et la FTQ, plus particulièrement avec le syndicat des Teamsters. Laviolette maintient ses accusations 0 « Les Teamsters sont intervenus pendant la grève pour faire signer des cartes d’adhésion à des scabs. » Un facteur qui a affaibli le rapport de force du syndicat CSN.

« Nous avons reçu l’appui du syndicat des fonctionnaires (SFPQ), de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), des Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), du syndicat des infirmières (FIIQ), mais pas de la FTQ », ajoute-t-il.

À ceux qui s’inquiètent des dérapages actuels et se demandent si l’idée avancée par la Centrale des syndicats du Québec de la tenue d’états généraux du mouvement syndical ne serait pas une bonne idée pour reconstruire l’unité syndicale, Laviolette répond 0 « Je ne suis pas contre. Mais il faudrait que ça ait lieu après la période de maraudage prévue dans le secteur public », précise-t-il en questionnant les intentions de la CSQ qui a affirmé lors de son dernier congrès vouloir élargir son membership dans le secteur public, où la CSN est majoritaire.

« Des états généraux d’accord, à condition que ça ne soit pas un love-club pour têter le PQ. D’accord, si c’est pour bâtir l’unité afin de faire profiter les travailleuses et les travailleurs des fruits de la croissance. D’accord, si on recherche une unité de vues pour une unité d’action ! »