L’effet « placebo des médias »

 


L’information « à deux vitesses » sur la santé



Lors d’un huis clos, quelques heures avant la sortie officielle du Rapport de la Commission Clair, divers organismes, groupes et individus étaient invités par cette dernière à prendre connaissance de son contenu. En choisissant elle-même ceux qui auront la chance de lire le rapport avant les autres et donc de présenter leur appréciation à des journalistes n’ayant pas eu le temps de se taper ses 454 pages, la Commission s’assurait que les premiers commentaires, si importants pour faire l’opinion publique, seraient positifs. Et, en n’invitant pas la Coalition Solidarité-Santé, pourtant un des groupes les plus importants au Québec sur cette question, la Commission agissait de façon à ce que rien n’entrave sa petite fête.

« La population va être perdante ; on ne va pas vers les objectifs qu’on prétend défendre », affirme Marie Pelchat, porte-parole de la Coalition Solidarité-Santé. « La Commission, souligne-t-elle, propose de remettre en question l’accessibilité, la gratuité et l’universalité du système de santé. »

À ce sujet, une des principales recommandations fait titiller 0 celle de revoir annuellement le panier des services assurés. Toutes les révisions depuis 1982 se sont soldées par le retrait des assurances de services 0 physiothérapie, soins dentaires des enfants de 10 à 16 ans, soins d’optométrie, etc.

Les résultats sont connus. Absence de soins pour les plus pauvres et recours à des assurances privées pour ceux qui en ont les moyens.

Le prix des médicaments continue d’augmenter de près de 15 % annuellement, mais la Commission Clair n’a pas jugé pertinent de revoir les règles du jeu qui drainent des millions de dollars des contribuables vers les compagnies pharmaceutiques. On préfère mettre le blâme sur le vieillissement de la population, un fait connu, mais prévisible depuis longtemps.

La porte à la facturation est grande ouverte

Ce n’est certainement pas le commissaire Gérard A. Limoges qui aurait eu le courage de dénoncer le pillage des ressources publiques par ces compagnies transnationales pour qui « médicaments » rime avec « argent » plutôt qu’avec « patient ». M. Limoges siège sur le conseil d’administration de Supratek Pharma inc., une compagnie pharmaceutique œuvrant en anglais au Québec.

Pour réduire les coûts, la Commission met plutôt de l’avant le principe de « subsidiarité », un euphémisme pour désigner la sous-traitance. Nous savons qu’en dehors des établissements publics, rappelle la Coalition, « la porte est grande ouverte à la facturation d’une panoplie de frais connexes (comme dans les cabinets privés) ou à la tarification des services (comme dans le cas des services d’aide domestique) ». Là encore, c’est une fenêtre ouverte aux compagnies d’assurances pour proposer des plans complémentaires.

Les médecins sont des gérants de cabinet

La proposition de créer des Groupes de médecine familiale, dont les médias ont dit tant de bien, est largement inspirée d’une étude de la firme de consultants SECOR commanditée par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). L’étude aborde la pratique médicale d’un point de vue marchand. « Les médecins, y lit-on, préfèrent que leur cabinet soit considéré comme une entreprise plutôt que comme un organisme public. Mais, pour obtenir cette reconnaissance, ils doivent se comporter comme s’ils géraient une compagnie. »

La volonté de privatisation se confirme avec le désir exprimé par la FMOQ de s’assurer que les cabinets privés demeurent la principale porte d’entrée du système de santé, au détriment des CLSC. « La nouvelle orientation suggérée dans le Rapport SECOR constitue un changement majeur. Aussi important que le coup de barre donné en 1973 », peut-on lire dans le Médecin du Québec de mars 2000. « À cette époque, précise-t-on, devant les CSLC naissants qui risquaient de devenir la principale porte d’entrée des soins médicaux généraux, la Fédération a poussé les cabinets privés à se regrouper en cliniques et en polycliniques. Une opération réussie. »

La Commission retient l’idée de cliniques privées, dites affiliées, fonctionnant en complémentarité avec le secteur public. Ces cliniques, nous dit la Coalition Solidarité-Santé en citant l’exemple albertain, ne sont que des hôpitaux privés où « on offre systématiquement à la clientèle un service amélioré, contre un léger supplément bien sûr ».

Là aussi, les compagnies d’assurances s’empresseront d’offrir des couvertures supplémentaires moyennant « un léger supplément ».

En fait, toute la formule des Groupes de médecine familiale n’est pas sans rappeler les HMO américains de triste réputation qui sélectionnent leur clientèle, écartant les gens trop à risques.

Une catastrophe ne vient jamais seule

La Commission propose également de rééditer la catastrophe de l’assurance-médicaments avec son projet d’assurance-vieillesse. Rappelons que la prime maximale de l’assurance-médicaments, originellement à 175 $, a doublé à 350 $ en juillet 2000 et s’élève maintenant à 375 $ par personne.

Le danger de la création d’une caisse d’assurance-vieillesse vient du fait qu’elle doit s’autofinancer à même une contribution fiscale et obligatoire sur les revenus individuels de tous (travailleurs au salaire minimum, sans-emploi, personnes assistées sociales, aînés, etc.). C’est là une taxe régressive plutôt que progressive. Cela au moment où, signale la Coalition Solidarité-Santé, « le gouvernement a réduit la contribution des employeurs au Fonds des services de santé ».

Étouffer l’opposition démocratique

La Commission Clair propose de revoir la composition des régies régionales de la santé, dont les membres sont élus et souvent issus du milieu communautaire. Cela explique que les régies, fortes de leur autonomie, se sont opposées depuis deux ans aux coupures du gouvernement.

On voudrait que les conseils d’administration soient réduits de 21 à 14 membres et que ceux-ci soient choisis par le gouvernement. Un député serait également invité à faire partie de chacun des conseils d’administration. « La Commission désire que les régies ne soient plus des instances susceptibles de contester le gouvernement », affirme Marie Pelchat.

Un léger « supplément » de manipulation

En somme, la Commission Clair a doublement raté son coup. Elle n’a pas été en mesure de pointer du doigt les causes réelles de l’explosion des coûts de la santé, soit principalement les médicaments. De plus, elle propose d’appliquer la même logique marchande à d’autres secteurs du système pour le plus grand bénéfice des compagnies d’assurances. Faut-il se surprendre qu’elle en soit rendue à manipuler les médias pour repousser dans le temps toute critique constructive du rapport ?