Les véritables enjeux de la réforme de l’éducation

 


Un chambardement peut en cacher un autre



Au cours des derniers mois, le débat a fait rage sur la réforme des programmes et du bulletin scolaires. Mais une réforme peut en cacher une autre, plus menaçante. Pendant que le monde scolaire polémique sur le bulletin, le ministère est en train de procéder à une réforme des structures scolaires qui va modifier de fond en comble notre réseau scolaire.

La publication dans la revue L’actualité d’un palmarès des institutions scolaires – le « bulletin » des écoles – illustre bien la réforme des structures en cours. Que ce palmarès ait été établi par l’Institut économique de Montréal, un organisme néolibéral (voir encadré), en dit long sur l’orientation profonde des modifications structurelles en cours.

Un plan d’affaires comme « plan de réussite »

Peu de temps avant la publication du palmarès de L’actualité, le ministère avait produit son propre palmarès sur CD-ROM en compilant, par école et par commission scolaire, le portrait de la réussite scolaire depuis cinq ans avec ses indices de réussite probable, les taux de diplômation observés et les « taux attendus ».

Le ministre Legault a reconnu que l’approche était empruntée au monde des affaires. « Comme dans un plan d’affaires, on évalue ses forces et ses faiblesses, les forces et les faiblesses de nos compétiteurs et puis on se fait une stratégie », a-t-il déclaré au Devoir.

C’est en fonction de cette logique que chaque école a été tenue de présenter avant le 30 septembre dernier son « plan d’affaires », appelé « plan de réussite ». En échange du dépôt des « plans de réussite », le gouvernement verse cette année 25 $ par élève et laisse entendre que le montant pourrait atteindre 50 $ l’an prochain. C’est là une modification au financement des écoles potentiellement lourde de conséquences.

Pour justifier sa nouvelle approche, le ministre s’appuie sur la baisse de la diplomation au cours des années 1990, qui est passé de 70,4 % en 1995-1996 à 66,1 % en 1997-1998. Mais celle-ci s’explique en bonne partie par les compressions budgétaires. Ainsi, entre 1993-1994 et 1997-1998, la dépense par élève a été réduite de 10 % en dollars courants, passant de 5 804 $ à 5 419 $. En 1998-1999, celle-ci est remontée à 5 573 $ et le taux de diplomation, à nouveau en hausse, est passé à 69,0 %.

Le bulletin du ministre

Les modifications actuelles s’inscrivent dans le prolongement logique de la réforme de la Loi de l’Instruction publique mise en œuvre par l’ex-ministre Pauline Marois au lendemain des États généraux sur l’éducation. La réforme s’est traduite par une dévolution des pouvoirs vers les écoles avec la création des conseils d’établissement où siègent la direction de l’école, des représentants du personnel enseignant et de soutien, des parents et des représentants de la communauté.

Comme la loi reconnaît aux parents la possibilité d’envoyer leurs enfants à l’école de « leur choix », les fondements juridiques étaient jetés pour une éventuelle concurrence entre les écoles. Ne restait plus qu’à procurer aux parents les performances comparées des écoles. Un besoin comblé par la publication du palmarès de L’actualité. Les journaux ont rapporté que, suite à cette parution, les inscriptions dans les écoles privées, classées en tête de palmarès, ont augmenté jusqu’à 30 %.

Le ministre Legault a pris publiquement ses distances à l’égard du palmarès de L’actualité, non par opposition au principe du palmarès, mais à cause de sa méthodologie. Peu de temps après, il annonçait l’introduction prochaine d’examens ministériels pour les différents niveaux d’éducation. Le ministre imposera donc sa propre « méthodologie » pour constituer un futur palmarès ! Pendant que les enseignants dans les écoles se disputent sur la définition du meilleur bulletin, le ministre élabore avec ses examens le seul vrai « bulletin » qui comptera !

Dorénavant, tout ce qui était vrai est faux

Le gouvernement a décentralisé la responsabilité du succès de leurs élèves aux équipes-écoles sous le couvert d’une plus grande autonomie, mais il se dote d’instruments pour évaluer et comparer les « plans de réussite » et financer les écoles en conséquence, en donnant éventuellement plus d’argent aux écoles les plus performantes.

Pourtant, dans plusieurs cas, l’échec est prévisible, malgré toute l’abnégation, la bonne volonté et les efforts qui seront déployés par l’équipe-école. Des recherches ont identifié une série de facteurs liés à l’échec scolaire sur lesquels les enseignantes et les enseignants ont peu ou pas d’emprise 0 l’absentéisme, le trop grand nombre d’heures de travail rémunéré pour les jeunes du secondaire, les cas de maternité précoce, les abus de drogue et, surtout, la pauvreté.

L’approche des réformes en cours n’est pas d’accorder plus de ressources à ces écoles, mais au contraire de faire porter la responsabilité des échecs aux enseignants et de les sanctionner.

Les différents morceaux de la réforme ne sont pas encore tous en place. Mais un coup d’œil ailleurs nous donne une idée de ce qui s’en vient.

Un Office de « la qualité, » comme en Ontario ?

En Ontario, où la réforme est plus avancée qu’au Québec, il existe déjà des tests provinciaux pour vérifier la mise en œuvre du curriculum et le succès des « plans de réussite ». Ces tests ne sont pas administrés directement par le ministère, mais par un Office de la qualité et de la responsabilité en éducation (OQRE).

Les résultats de ces tests servent évidemment à comparer les élèves, les classes, les écoles et les commissions scolaires entre elles. L’impact de la première publication de ces résultats a été telle que les autorités scolaires ont dû intervenir pour tempérer la volonté des parents d’envoyer leurs enfants dans les écoles les plus performantes. Un exode d’autant plus compréhensif que des budgets supplémentaires sont octroyés aux écoles les plus performantes !

Un autre volet de la réforme ontarienne est la mise en place d’un système d’évaluation des enseignantes et des enseignants par leur ordre professionnel. La nouvelle loi ontarienne prévoit que, dès l’an prochain, les enseignantes et les enseignants devront être réaccrédités à tous les cinq ans par la passation d’un test et l’obligation, si nécessaire, de suivre des cours de rattrapage.

En Angleterre ou aux États-Unis, on va plus loin. On ferme les écoles non performantes ou on les confie à l’entreprise privée.

Avec le bâton, vient habituellement la carotte. Dans ce cas-ci, c’est la paye au mérite, déjà en vigueur en Grande-Bretagne et dans certains États américains. La conséquence logique, constatée en Angleterre, est que les parents veulent que leurs enfants ne soient confiés qu’aux professeurs ayant reçu des primes !

Jean Charest répond à l’appel

Ces mesures feront bientôt partie du programme libéral du parti de Jean Charest. Au prochain congrès, on proposera « la mise en œuvre d’évaluations périodiques des compétences des enseignants ». « De telles évaluations, peut-on lire dans les documents du parti, permettront d’encourager l’excellence en récompensant, notamment par des primes salariales, les enseignants émérites, et assureront aux parents que les quelques enseignants qui ne rencontreront pas les critères de compétence minimaux bénéficieront d’un programme d’amélioration de leurs compétences. »

Parions que le gouvernement du Parti québécois va encore une fois chercher à doubler les libéraux en mettant lui-même en vigueur ces politiques.

L’Institut économique de Montréal 0 un « think tank » de droite

L’Institut économique de Montréal (IEM) est un « think-tank » de droite qui travaille en étroite collaboration avec le Fraser Institute de Colombie-Britannique.

L’IEM existe depuis environ un an et demi. Plus de 500 articles se référant aux travaux de l’IEM sont répertoriés dans les journaux québécois. C’est un institut privé. Son financement est secret, mais La Presse du 11 juin 2000 a fait état d’un don de 75 000 $ de la Banque de Montréal.

Le président honoraire de son conseil d’administration est Yves Guérard, président de la firme d’actuaires Ernst & Young, et le président du Conseil est Adrien Pouliot, ancien propriétaire de CFCF-TV. Le président du conseil scientifique est l’économiste Jean-Luc Migué qui a écrit de nombreux articles en faveur de l’impôt à taux unique prôné par Stockwell Day. L’Institut est rattaché à la Société du Mont-Pèlerin mise sur pied par Friedrich von Hayek, le gourou de la philosophie néolibérale.

Le bon exemple vient des États-Unis et d’Angleterre

Dans une allocution prononcée le 29 janvier 2000, le professeur en droit du travail de l’Université Laval, Réjean Breton, a présenté favorablement les réformes de l’éducation en cours en Angleterre et aux États-Unis.

Selon le professeur Breton, pour attirer et retenir les meilleurs enseignants et encourager l’excellence dans l’enseignement, une série de mesures ont été introduites dans ces pays, incluant notamment des incitations salariales et un mécanisme de promotion accélérée. Cela a nécessité des réformes additionnelles 0 la mise en place d’un système efficace d’évaluation de la performance des enseignants; la transformation des directeurs d’école en véritables dirigeants avec le pouvoir d’embaucher, de licencier et d’administrer leur école; et des changements dans la façon d’organiser le système scolaire, notamment sur le modèle américain des « écoles à charte » spécialisées et des bons d’éducation qui permettent aux parents de choisir l’école où ils veulent envoyer leurs enfants.

Le professeur Breton a conclu en affirmant que l’introduction de pareilles réformes dans le système québécois d’éducation constituerait un véritable défi, parce que l’idée même d’attribuer un mérite et d’évaluer la performance des enseignants attaque de front la politique actuelle de rémunération et de promotion fondée sur la séniorité et la « permanence » garanties par le syndicat.

Le seul frein 0 les lois québécoises du travail

En réalité, a-t-il noté, les lois du travail existantes au Québec empêcheraient tout simplement les élus et les directeurs d’école d’enclencher les changements nécessaires à une telle réforme. Toutefois, M. Breton prétend que le statu quo sera impossible à maintenir pour bien longtemps parce que les problèmes auxquels est confronté notre système d’éducation deviennent critiques et forceront les changements.

Ce à quoi contribue évidemment l’IEM par la publication de son palmarès des écoles !

Le palmarès des écoles consacre l’école privée

La publication d’un palmarès des écoles ne peut évidemment qu’être à l’avantage des quelque 400 écoles privées qui écrèment le réseau scolaire québécois en ayant la possibilité de sélectionner les meilleurs élèves.

Près de 100 000 élèves fréquentent les institutions privées de niveau primaire et secondaire au Québec. Cela représente environ 10 % de la clientèle scolaire. Cependant, les écoles privées n’accueillent que 2 % des élèves en difficulté au primaire et 0,2 % au secondaire.

La répartition de la clientèle des écoles privées varie selon les niveaux d’enseignement et les régions. Si l’école privée accueille 5 % des élèves au primaire, ce taux oscille entre 15 % et 17 % au secondaire. Elle se concentre dans les régions urbaines où entre 20 % et 25 % de la population scolaire fréquente l’école privée, soit près d’un élève sur quatre !

Le plus scandaleux est que les écoles privées sont financées à même des fonds publics à hauteur de 60 % à 70 %.

Toute véritable réforme démocratique du système d’enseignement devrait commencer par l’abolition du financement public de l’école privée. Mais nous assistons en fait au phénomène inverse avec une augmentation de jusqu’à 30 % des inscriptions dans les écoles privées suite à la publication du palmarès des écoles.

Les chèques-éducation du président Bush

Cette proportion pourrait augmenter considérablement si on introduit le système des chèques-éducation (« vouchers ») que la nouvelle administration Bush vient de présenter pour adoption au Congrès. Les parents recevraient directement un montant d’argent pour l’éducation de leurs enfants et pourraient les envoyer à l’école de leur choix.

À souligner que d’autres mesures proposées dans le plan Bush (examens standard dans les États, palmarès des écoles, etc.) ressemblent beaucoup à ce qui est discuté actuellement au Québec. Mondialisation, quand tu nous tiens !

Ce qui importe, c’est d’avoir le pas

Que les différents éléments de la réforme de l’éducation en cours au Québec (décentralisation, évaluation, etc.) soient similaires à ce qui se passe en Angleterre, aux États-Unis ou en Ontario n’est pas le fruit du hasard.

La réforme est mondiale. Elle est pensée et prescrite par des organismes internationaux comme l’OCDE, le regroupement des principaux pays industrialisés, et discutée dans le cadre de la ZLEA, la zone de libre-échange des Amériques.

La ZLEA doit se réunir à Québec au mois d’avril et il sera question d’éducation. Déjà, on en a traité lors des rencontres de la ZLEA à Miami en 1994 et Santiago (Chili) en 1998.

Haro sur le nivellement par le bas

C’est à Miami que les chefs d’État ont établi l’objectif d’un taux de réussite de 100 % au primaire. Il y a aussi été convenu de mettre l’accent sur la qualité de l’éducation plutôt que sur l’accessibilité, de rapprocher la formation professionnelle des besoins du marché et des employeurs, et de mettre le secteur privé à contribution. De plus, on a mis de l’avant des stratégies conduisant à une décentralisation des responsabilités financières et à une centralisation du curriculum et de l’évaluation.

Cette orientation avait initialement été développée par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de ses programmes d’ « ajustements structurels » imposés aux pays latino-américains dans les années 1980 pour résoudre le problème de la dette. En éducation, l’accent était mis sur la « crise de la qualité » qui aurait découlé d’une accessibilité accrue – le fameux « nivellement par le bas » – et sur la soi-disant inefficacité de l’État-providence.

À Santiago, on a repris les objectifs définis à Miami et on a élaboré un plan d’action s’articulant autour de onze priorités. Au nombre de celles-ci, on note la volonté de « renforcer les mécanismes d’évaluation de la qualité de l’éducation » et l’établissement d’ « indicateurs » à cet effet.

Par la suite, des rencontres des ministres de l’Éducation ont eu lieu à Brasilia en juillet 1998, puis à Mexico en mars 1999.