On crie au déficit pour faire augmenter les primes

 


La politique des médicaments au Québec



Le conflit entre les 1400 pharmaciens de l’AQPP (Association québécoise des pharmaciens propriétaires) et le gouvernement du Québec a permis d’illustrer l’échec de la politique des médicaments en vigueur.

La réforme de l’assurance-médicaments de 1997 a considérablement augmenté la charge de travail des pharmaciens. « Les pharmaciens sont devenus des agents d’assurances, des centres d’information pour le gouvernement », affirme Normand Cadieux, directeur général de l’AQPP. « Ils doivent affronter la frustration des gens. »

Avant la réforme, il en coûtait un prix fixe de deux dollars, alors que maintenant, plusieurs doivent payer jusqu’à trente dollars. C’est pourquoi la Coalition des médecins pour la justice sociale a présenté une pétition de 10 000 signatures en faveur de la gratuité des médicaments pour les plus démunis. La prime maximale, de 150 $ en 1997, est passée à 350 $ en juillet 2000, puis à 385 $ depuis le premier janvier dernier.

« Le principe de toutes les caisses du type de l’assurance-médicaments, c’est qu’elles doivent faire leurs frais », affirme Marie Pelchat, de Solidarité Santé. «C’est la stratégie des petits pas. On crée une caisse à part pour réduire la responsabilité gouvernementale, puis on crie au déficit pour enfin augmenter plus facilement les primes. »

De cette façon, on refile la facture à la population en dépolitisant un choix tout à fait politique 0 celui de ne pas s’attaquer aux causes réelles de l’augmentation des coûts de la santé.

Les brevets vieillissent moins vite que la population

Le gouvernement et la Commission Clair essaient de nous faire croire que le « vieillissement accéléré » de la population est seul responsable de l’augmentation des coûts. C’est faux. Entre 1978 et 1998, la population ayant plus de 65 ans a augmenté de 53 % alors que le prix des médicaments a explosé de 290 % (en dollars constants) ! Selon le Price Review Board, nous sommes ceux des pays de l’OCDE qui payons nos médicaments les plus chers.

Même si le problème date de la fin des années 1970, il s’est amplifié dangereusement à partir de 1993. Cette année-là, on a adopté la loi C-91, qui permet d’étendre la protection des brevets des compagnies pharmaceutiques à 20 ans. « Plus de 95 % des nouveaux médicaments sont des modifications mineures d’anciennes versions », affirme Paul Saba, de la Coalition des médecins pour la justice sociale. « Cela permet aux compagnies pharmaceutiques de prolonger les brevets de 20 ans, 40 ans ou même 60 ans, en ne changeant que quelques composantes marginales du produit. »

Selon M. Saba, il faudrait inciter davantage les médecins à offrir des médicaments génériques. Par exemple, ils prescrivent souvent l’Omerprazole contre les ulcères. Ce médicament coûte 2,20 $ alors que le Cimetidine, un générique, est offert à 0,10 $.

Les profits grimpent plus vite que ceux du pétrole

« Nous sommes esclaves des compagnies pharmaceutiques », laisse tomber crûment Paul Saba. « Nous sommes en train de retourner vers le Moyen Âge avec ces monopoles. » L’argument central de la thèse défendant la spécificité en matière de brevets (il est possible de prolonger les brevets au-delà de vingt ans au Québec) est celui de la création d’emplois. En engraissant quelques monopoles, ceux-ci auraient en retour la gentillesse de nous donner des milliers d’emplois.

Pourtant, le mémoire du Conseil central métropolitain, remis à la Commission Clair, nous apprend que malgré toutes les mesures incitatives, le nombre d’emplois dans ce domaine était de 7 808 au Québec comparé à 9 250 en Ontario, en 1999.

Pourquoi le gouvernement favorise-t-il les brevets si ça coûte plus cher et que ça ne crée pas plus d’emplois ? Paul Saba s’impatiente en entendant cette question. « Si vous aviez le choix entre manger un repas dégueulasse avec un médecin dans un hôpital ou manger un repas à 300 $ avec l’industrie pharmaceutique, où iriez-vous ? »

Des repas au restaurant, l’industrie peut en payer. Une étude de Gino Lambert, pour la Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM, publiée en 1998, fait état de l’enrichissement absolument fantastique des principales compagnies pharmaceutiques. Entre 1992 et 1996, le bénéfice net (en millions de dollars US) de Merck-Frosst est passé de 1 984 $ à 3 881 $, celui de Bristol-Myers Squibb de 1 962 $ à 2 850 $ et celui de Pfizer de 811 $ à 1 929 $. Pendant cette période, le secteur pharmaceutique fut le plus payant de tous les secteurs économiques, pétrole compris.

La catastrophe n’est pas un effet secondaire, c’est un choix

Le rapport de la Commission du bon Samaritain, à laquelle a participé M. Saba, en décembre dernier, recommandait d’écourter la durée du brevet d’un nouveau médicament dès que l’entente avec l’ALENA pourra être renégociée.

Selon Matthew Sanger du Centre canadien de politiques alternatives, le gouvernement canadien a déjà engagé la santé dans le traité de la ZLEA, une extension de l’ALENA. Une telle disposition pourrait éventuellement permettre de bloquer toute tentative d’instaurer une politique progressiste au Québec, notamment un régime national d’achat global des médicaments et un régime d’assurance-médicaments public.

Le conflit entre l’AQPP et le gouvernement du Québec est un moment propice pour se rappeler que la catastrophe actuelle fut causée par des choix politiques.