La Nouvelle-Zélande

 


L'exemple à suivre qui est un modèle à fuir



La Nouvelle-Zélande est l’enfant chéri des apôtres du néolibéralisme. Elle a privatisé plus tôt un plus grand nombre d’entreprises d’État que n’importe quel autre pays. Ce n’est pas la première fois que ce petit pays de quatre millions d’habitants sert de laboratoire. En 1893, il adopta un véritable suffrage universel en accordant le vote aux femmes. En 1996, il instaura un système électoral de représentation proportionnelle mixte. En 1935, le gouvernement travailliste créait un État social qui fit de la Nouvelle-Zélande « the social laboratory of the world ».

J’ai vécu à Dunedin, ville de l’Île du Sud de moins de 100 000 habitants, de 1970 à 1978, quand l’État social faisait encore la fierté de la grande majorité de la population. Aujourd’hui, il n’en reste à peu près rien.

C’est qu’en 1986, le pays, sous la férule du gouvernement travailliste et de son ministre des Affaires étrangères et du Commerce Michael Moore, futur directeur général de l’OMC, et du ministre des Finances, Roger Douglas, élève de Milton Friedman à Chicago, embrassa une idéologie qualifiée de nouvelle droite et des politiques maintenant connues sous le terme « rogeromics », soit une libéralisation radicale endossée par les travaillistes et poursuivie avec enthousiasme par le Parti National.

Les biens publics furent vendus aux enchères, le contrôle des investissements, des devises, des importations, en somme une profonde restructuration de l’économie imposa partout les lois du marché. Les chemins de fer allèrent à une compagnie du Wisconsin, l’électricité passa à la compagnie canadienne TransAlta, Bell Atlantic et Ameritech prirent le contrôle de NZ Telecom et les banques sont maintenant surtout australiennes. On pourrait poursuivre la litanie des mines, des forêts, des hectares de terre qui passent chaque année aux étrangers.

Plus on est prospère, plus on bouffe « mondial »

Les apologistes du néolibéralisme ne manquent pas de souligner les conséquences positives de la réorientation économique du pays 0 le contrôle de l’inflation, la croissance du PIB, l’ouverture aux produits de consommation de tous les coins de la terre.

Il est vrai que les classes moyenne et supérieure sont plus prospères que jamais. Les restaurants offrent une gastronomie des plus cosmopolite. George Street, la rue principale de Dunedin, a été reconstruite par la main invisible du marché. Là où il y a vingt ans presque tous les commerces appartenaient à des intérêts néo-zélandais, aujourd’hui Starbuck fait face à McDonald’s, une boutique Esprit côtoie un restaurant japonais, mon petit libraire a été remplacé par une chaîne américaine et, chose inouïe il y a quinze ans, on peut même croiser de grosses voitures allemandes. Dans une culture globale de la consommation, les gens ont le « choix » d’acheter ce qu’ils veulent. S’ils en ont les moyens.

Think Big 0 des gros riches, des grands pauvres

Tous ne peuvent pas se permettre la panoplie de marchandises étalées dans les vitrines. Comme partout ailleurs, l’ouverture des marchés et l’abandon des contrôles ont créé des inégalités. La Nouvelle-Zélande a déjà été un des pays les plus égalitaires. Ce n’était pas tout à fait un pays sans classe et des noyaux de pauvreté existaient – en particulier dans la population maorie, mais l’écart entre les plus riches et les plus démunis était moins prononcé qu’ailleurs et les services sociaux empêchaient une trop grande pauvreté.

Depuis 1984, seul le cinquième supérieur de la population a vu ses revenus réels augmenter 0 80% de la population a éprouvé une perte réelle de revenus et les 20 % à la base de la pyramide n’obtiennent que 3 % des revenus. Car depuis l’inauguration des réformes, le rythme de croissance a été inférieur à celui des membres de l’OCDE. Malgré les promesses de prospérité que devaient apporter les privatisations, l’économie a subi une dépression en 1991-1993 et une autre depuis 1998.

À chacun son resto ou sa banque alimentaire

Il n’y parait rien au cœur de la capitale Wellington où sont absents mendiants et « squeegees », car dans la ville qui s’étend en toute splendeur devant le détroit de Cook se concentrent les plus hauts revenus par habitant grâce aux corps diplomatiques et à la présence de la fonction publique. Dans les banlieues maories et ouvrières de Lower Hutt ou de Porirua, la situation est tout autre et les effets du chômage sont évidents. Point pour eux les quelque 193 restaurants de Wellington. C’est pour ces habitants de banlieue que, chose inexistante avant 1984 car le besoin ne se faisait pas sentir, on a dû créer des banques alimentaires qui distribuent aux chômeurs comme aux travailleurs à faible salaire des millions de dollars de nourriture chaque année.

Le syndicalisme obligatoire n’est pas un syndicalisme libre

Les taux de chômage, avant la restructuration, étaient ridiculement bas 0 à 4 % on s’inquiétait sérieusement en 1983. Depuis cette date, il n’a fait qu’augmenter pour dépasser les 10 % et se situer aujourd’hui autour de 7 %. Le crash financier de 1987 fut catastrophique et le gouvernement choisit de couper dans les services sociaux en 1991, quand le pays entrait dans sa pire dépression depuis les années 1930. La sécurité d’emploi est chose du passé et les syndicats ont perdu beaucoup de leur pouvoir.

La nouvelle droite a aboli le syndicalisme obligatoire qui prévalait depuis des décennies et a instauré une « liberté de contrat » pour privilégier les accords individuels plutôt que les conventions collectives. Ce bouleversement dans les relations de travail a fait des employeurs les enfants gâtés du gouvernement pendant les années 90 et s’est traduit par l’effondrement de syndicats comme ceux des cols bleus ou des employéEs de magasin. Un mouvement ouvrier affaibli ne peut rien contre le remplacement des emplois permanents par des contrats de courte durée ou par le travail à temps partiel. Et, en toute logique néo-libérale, alors que le chômage augmentait et que les emplois se précarisaient, le gouvernement privatisait les logements sociaux, la médecine et l’éducation.

Comme le constate Sukhi Turner, maire de Dunedin, la mondialisation a apporté à la Nouvelle-Zélande la perte d’entreprises, d’emplois, d’opportunités pour les jeunes, ainsi qu’une détérioration de l’environnement, une augmentation de la violence familiale et des problèmes sociaux, en somme un changement de mentalité et une société darwinienne où domine la survie des plus aptes dans un pays dépossédé.

Le prix de la pire transnationale

Il y a eu depuis le début une opposition continue mais impuissante aux réformes néolibérales d’abord du parti de l’Alliance, une coalition formée surtout de dissidents travaillistes opposés aux réformes, et du Parti Vert, ainsi que de la société civile, des syndicats, des groupes tels CAFCA, Campaign Against Foreign Control of Aotearoa, ou GATT Watchdog. Chaque année, ces deux organisations décernent le Prix Roger pour la pire transnationale en Nouvelle-Zélande. La compagnie américaine TransRail, la compagnie albertaine TransAlta et le producteur de semences transgéniques Monsanto se sont méritées cet honneur.

Depuis 1999, un gouvernement de coalition élu à la proportionnelle tente de renverser la vapeur ou au moins de freiner les dégâts avec plus ou moins d’ardeur selon les partis. Selon Phillida Bunkle, ministre des Affaires aux consommateurs et de l’Environnement, la volonté fait souvent défaut au parti travailliste qui domine le parlement, ce qui n’est pas étonnant puisque c’est lui qui a instauré les politiques de restructuration pendant les années 1980. Le parti de l’Alliance, à sa gauche, et les Verts, avec leurs quatre députés, sont des fervents partisans d’un retour à l’État keynesien.

Il ne reste plus rien à privatiser

Depuis son élection, le gouvernement de centre-gauche a adopté des mesures qui ne font que freiner l’élan néolibéral alors qu’il ne reste plus rien à privatiser et à réparer, tant que faire se peut, quelques pots cassés comme les loyers sociaux ou certains services de santé. Il était beaucoup plus facile et rapide de vendre le pays que de réparer les conséquences de la main mise de l’entreprise privée, souvent étrangère, sur l’économie.

Tous ceux qui seraient tentés par la mondialisation néolibérale devraient se pencher sur le cas néo-zélandais, un modèle à ne pas imiter.

Qui s’instruit s’endette

La Nouvelle-Zélande était pionnière dans le domaine de la médecine socialisée. Les soins hospitaliers et les médicaments étaient pris en charge par l’État, et le pays pouvait se vanter des plus bas taux de mortalité infantile et maternelle. On a réorienté les services vers les consommateurs 0 ceux qui peuvent payer obtiennent les meilleurs soins. Parallèlement aux hôpitaux et aux cliniques publiques foisonnent les institutions privées.

Ainsi, d’une part on a créé des maternités privées pour les femmes qui viennent d’accoucher, alors que d’autre part des hôpitaux publics congédient les mères six heures après l’accouchement. Régis par le marché, les bureaux régionaux de santé doivent acheter différents services au moindre coût. Pour offrir plus de services, ils doivent couper dans le personnel, remplacer les permanentes par des contractuelles et les contractuelles par des bénévoles.

Une médecine de consommation de soins

Les coupures dans le domaine de l’éducation rivalisent avec celles dans celui de la santé. Je me souviens des années où les étudiantEs recevaient une allocation pendant leurs études universitaires en autant que les notes se maintenaient à un certain niveau. Cela permettait de payer le loyer et même de se nourrir. Les réformes ont aboli ces extravagances et imposé des frais de scolarité qu’aucunE étudiantE ne peut acquitter sans s’endetter pour des années à venir pendant que les paiements seront déduits de leur salaire.