La victoire du français passe par le triomphe de l’anglais

 

« La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais; et toute autre race que la race anglaise (j’applique ce mot à tous ceux qui parlent la langue anglaise) y apparaît dans un état d’infériorité. C’est pour les tirer de cette infériorité que je désire donner aux Canadiens notre caractère anglais », écrivait Lord Durham dans son célèbre Rapport. C’est l’essentiel de ce message que reprend aujourd’hui Alain Dubuc, l’éditorialiste de La Presse, dans la soporifique série de huit articles qu’il a consacrés à la langue.

Alain Dubuc a tourné autour du pot pendant six longs et ennuyeux articles avant que le chat sorte du sac. Il a cherché à nous anesthésier en prétendant que la survie du français était assurée. Les craintes exprimées au sein du Parti québécois qui ont mené à la mise sur pied de la Commission sur l’avenir du français auraient été alimentées par Marc Termote et Charles Castonguay, « deux spécialistes, nous dit Alain Dubuc, qui, comme par hasard, sont les chercheurs du domaine qui se distinguent par leur alarmisme ».

Le saviez-vous ? « La bataille du français est gagnée ! »

Les données scientifiques mises de l’avant par Termote et Castonguay sont écartées du revers de la main et qualifiées de « fausses peurs ». Alain Dubuc nous invite à croire que « la bataille du français est gagnée » et il cite pour appuyer ses dires le trio de démographes de service que sont Jacques Henripin, Victor Piché et Jean Renaud.

« Un changement radical s’est produit, car le Québec est une terre d’intégration qui fonctionne », déclare Jean Renaud. « Il faut en finir avec l’obsession linguistique », ajoute Victor Piché. Et la cerise sur le sundae, c’est Jacques Henripin qui la dépose lorsqu’il affirme 0 « Ce ne sont pas les francophones qui doivent s’inquiéter, ce sont les anglophones. »

Dans l’article que nous publions en page un de ce journal, Charles Castonguay accuse Piché, preuves à l’appui, de « s’écarter sciemment de la vérité », Henripin d’« avoir induit la Commission Larose en erreur » et Renaud d’appuyer ses propos « sur la foi d’un échantillon on ne peut plus biaisé ». Dans le numéro de février de l’aut’ journal, Charles Castonguay taillait en pièces les bases scientifiques de l’étude de Renaud intitulée Ils sont maintenant d’ici.

« La bataille contre l’anglais 0 une bataille pour l’ignorance »

Après nous avoir dit que « La loi 101 est au bout de son rouleau », qu’il fallait envisager de « nouvelles approches », Alain Dubuc accouche finalement de sa solution 0 « S’approprier l’anglais » ! Il faut, dit-il, « briser le tabou du bilinguisme ». C’est donc priorité à l’apprentissage intensif de l’anglais à l’école. Deuxièmement, instaurer le bilinguisme institutionnel de la fonction publique. Troisièmement, reconnaître, non pas le caractère français de Montréal, mais son « bilinguisme ».

Enfin, il arrive au cœur de la question 0 la langue de travail. Il affirme que « dans une économie moderne, la bataille contre l’anglais au travail peut devenir une bataille pour l’ignorance » ! ! ! Si une proportion toujours plus grande de francophones parvenait à travailler dans leur langue, « ce serait, affirme-t-il, le signe d’une véritable catastrophe. Cela voudrait dire que le Québec a raté le virage de l’économie du savoir ».

Alors, ces ouvriers de Pratt & Whitney qui exigent de pouvoir travailler en français, comme les ouvriers polonais des usines de la même entreprise peuvent travailler en polonais, ratent « le virage de l’économie du savoir ». C’est une « bataille pour l’ignorance » que mènent les travailleurs et travailleuses qui dénoncent les entreprises qui n’ont pas encore leur certificat de francisation après un quart de siècle de loi 101...

Réjouissons-nous 0 le français régresse !

Il faut sans doute se féliciter que le taux de certification des entreprises ait régressé de 78,2 % en 1995 à 71,7 % en l’an 2000, selon les rapports annuels de l’Office de la langue française. Et puis, que dire de ce 28 % d’entreprises de 50 employés et plus qui, 24 ans après l’adoption de la Charte de la langue française, n’ont pas encore reçu leur certificat de francisation. Ou de ces 150 entreprises qui ne sont toujours pas en règle plus de dix ans après l’approbation de leur programme de francisation. Ou du fait qu’en 1996, seulement 6 % des comités de francisation étaient actifs et, par « actif », on entend « se réunir au moins deux fois par année ». Ou de ces 1000 entreprises qui ont « omis » de s’inscrire, comme l’a révélé M. Bernard Salvail, directeur de la francisation à l’Office de la langue française.

Hier, nous aurions dit que ces entreprises étaient rétrogrades, qu’elles méprisaient les lois du Québec, insultaient leurs employés; mais aujourd’hui nous devrions saluer, à en croire Alain Dubuc, leur lutte d’avant-garde pour nous empêcher de « rater le virage de l’économie du savoir » et de « mener une lutte pour l’ignorance ».

Comme Lord Durham, Alain Dubuc veut nous donner un « caractère anglais » pour nous tirer de notre « état d’infériorité ». La différence entre Lord Durham et Lord Dubuc, c’est que le premier ne dissimulait pas son objectif 0 notre disparition en tant que groupe linguistique et nation sans histoire et sans littérature.