Le libre-échange passe par la guerre à la carte

 


Pour préparer le terrain à la ZLEA



L'instauration de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) prévue pour 2005 nécessite de préparer le terrain aux investisseurs qui viendront « faire des affaires » partout dans une zone allant du Mexique à l'Argentine. Il faut nettoyer le continent de tout ce qui pourrait nuire 0 guérillas colombiennes; mouvements sociaux des Sans Terre brésiliens et des indigènes de Bolivie et de l'Équateur; nationalismes économiques vénézuélien ou brésilien; et monnaies de pauvres telles l'ex-sucre équatorien et les devises d'Amérique centrale.

Ce n'est pas un hasard si le Plan Colombie visant à financer une solution militaire au conflit entre les guérillas colombiennes et l'État de ce pays est né en 1999, soit un an après que le Sommet des Amériques de Santiago eut lancé les négociations de la ZLEA.

Plusieurs analyses parues sur un excellent site Internet intitulé Plan Colombia1, soulignent que la véritable motivation derrière ce plan est de sécuriser l'accès aux ressources naturelles non seulement de la Colombie mais de toute une région parsemée de foyers de résistance.

C'est en mettant le feu partout puis en « aidant à reconstruire» (comme on l'a fait en Bosnie et au Kosovo) que les États-Unis vont s'assurer de la modernisation de la région dont ont absolument besoin les commerçants de la ZLEA.

Regarder courir le brasier

Le choix de la Colombie pour partir le bal est évident puisque le pays était déjà en guerre. Ne restait plus qu'à injecter suffisamment d'argent, d'armes et de combattants pour que la guerre s'étende et déborde les frontières, puis à regarder courir le brasier jusqu'à ce que l'opinion internationale soit mûre pour accepter une intervention dirigée par l'Oncle Sam.

On espère surtout à Washington que les débordements de la guerre entraîneront dans le conflit les pays les moins soumis au nouvel ordre mondial, soit le Brésil, le Vénézuéla et l'Équateur, qui partagent tous une frontière commune avec la Colombie.

On estime déjà à deux millions le nombre de personnes déplacées en Colombie suite aux exploits des paramilitaires et des arroseurs de plantations de coca. Certains réfugiés ont déjà pénétré en territoire vénézuélien et équatorien tandis que les paramilitaires ont provoqué des incidents de frontière avec la police panaméenne.

Selon ces analyses, les Américains projettent de construire un canal plus moderne dans le Nord d'une Colombie débarrassée de ses guérillas et ce, dans l'optique toute continentale de la ZLEA et de l'augmentation vertigineuse des flux de marchandises entre l'Asie du Sud-Est (avec l'ajout de la Chine), la Communauté européenne et les États-Unis.

Briser le nationalisme économique

La guerre vise également à briser les élans de nationalisme économique au Brésil et au Vénézuéla.

Au Brésil, en plus de la vaste résistance populaire aux politiques du FMI et de l'OMC symbolisée par le récent Sommet de Porto Alegre, les performances du constructeur aéronautique Embraer et les lois sur la production locale obligatoire de certains médicaments brevetés à l'étranger inquiètent Washington.

Au Vénézuéla, la révolution «bolivarienne » et populiste du régime de Hugo Chavez fait peur, puisque celui-ci a maintes fois mentionné que les revenus du pétrole devaient augmenter et servir prioritairement les besoins de la population du pays.

Les policiers saisissent les couches de bébé

Quant à l'Équateur, pour la seconde fois en autant d'années, les indigènes du pays viennent de se soulever et de forcer le gouvernement à appliquer seulement partiellement les directives économiques du FMI.

Malgré la proclamation de la loi d'urgence, malgré les tirs de policiers dans les groupes de manifestants (une dizaine de personnes sont mortes), malgré l'arrestation des leaders indigènes, syndicaux et populaires, et surtout malgré le siège de plusieurs jours contre 6000 manifestants bloqués dans le bâtiment de l'École Polytechnique Salésienne, les insurgés sont parvenus à arracher d'importantes concessions.

Pendant le siège de l'École Polytechnique, le gouvernement est allé jusqu'à ordonner aux policiers de saisir couches, nourriture et médicaments destinés aux familles assiégées et d'arrêter les conducteurs qui transportaient ces provisions, en plus de faire couper l'eau, l'électricité et le téléphone dans le bâtiment.

En plus du gel des prix des produits de première nécessité jusqu'en 2005, de l'annulation des accords avec le FMI, du déblocage de fonds pour les besoins sociaux et du maintien de l'intégrité des territoires indigènes, ceux-ci exigeaient que « l'Équateur ne soit pas impliqué dans la régionalisation du Plan Colombie ».

Retrait de la dollarisation

Les indigènes exigeaient également le retrait de la dollarisation qui, depuis son implantation, a fait fondre de moitié la valeur des épargnes de la population sans toucher à l'inflation qu'elle devait pourtant éliminer complètement selon les économistes du FMI.

Bien au contraire, le pays a connu un taux d'inflation de 91 % au cours de la première année d'usage du dollar US contre 61 % en 1999, année précédant la dollarisation.

De plus, selon le New York Times (5 février 2001), l'Équateur serait devenu un lucratif marché pour les fabricants de faux dollars US de la Colombie voisine puisque la population équatorienne, illettrée à plus de 20 %, est loin de pouvoir détecter les contrefaçons.

Les 25 cents US sont trop lourds

Combiné à une faible structure légale, l'usage du dollar US fait aussi de l'Équateur un lieu privilégié pour le blanchiment des revenus de l'héroïne et de la cocaïne des cartels colombiens qui ont toutes les facilités à y implanter des entreprises légales.

Sans compter que les pièces de monnaie sont en quantité insuffisante dans un pays où, le salaire minimum étant sous les 100 $ par mois, un nombre incalculable de transactions quotidiennes se font en pièces de 5, 10 et 25 cents !

Sans compter également que le pays manque d'avions capables de transporter les lourdes charges de pièces métalliques dans les centres éloignés !

Mais la dollarisation a beaucoup d'avenir en Amérique latine puisqu'elle protège les investisseurs étrangers contre les risques de monnaies nationales instables. Ces monnaies font donc partie du grand ménage de l'Amérique latine avant l'arrivée de la visite et le commencement du « party ».

Le Brésil va trop loin, il faut le remettre à sa place

Le boycottage des importations de bœuf brésilien par le Canada montre une fois de plus que, dans la ZLEA, si on veut rester « partenaires », il faut rester à sa place.

Personne ne doute que la mesure annoncée le 5 février par Ottawa a très peu à voir avec la maladie de la vache folle, d'autant plus que le Canada n'importe à peu près pas de bœuf du Brésil, un pays où on n'a pas détecté un seul cas de « vache folle ».

En fait, comme c'est son habitude, le Canada n'agit probablement pas seul, comme l'a montré la vitesse avec laquelle les États-Unis ont emboîté le pas au Canada.

Il y a une tête de « beu » derrière la « vache folle »

Le geste canadien vise surtout à ternir l'image du bœuf brésilien auprès de son meilleur client (l'Union européenne) afin de donner une leçon à un pays qui n'a pas encore compris que son rôle dans la ZLEA demeurera inchangé 0 fournir à prix d'ami les richesses naturelles et les bras humains aux investisseurs canadiens et américains.

Depuis quelque temps, le Brésil va trop loin. Il ose exceller dans une industrie de pointe (l'aéronautique) et conquérir des marchés qui sont l'apanage exclusif des pays du G-7 et de l'OTAN. Il ose également défier les géants de l'industrie pharmaceutique par des lois permettant de produire localement les médicaments dont le pays a besoin (par exemple, les médicaments contre le SIDA) en détenant les brevets sans le consentement des multinationales.

1. http0//pages.hotbot.com/edu/stop.wto/Plan_Colombia.html