Pol Chantraine, écrivain et libre-penseur, 1944-2001

 

L’écrivain, auteur-compositeur et journaliste Pol Chantraine est décédé le 7 février à sa résidence des Îles de la Madeleine, foudroyé par un cancer à l’âge de 56 ans. Il avait traversé l’Atlantique en immigrant, avec sa famille, au début des années 60. Ils s’étaient installés à Brockville, en Ontario.

Pol Chantraine a fait ses premières armes en journalisme au Photo-Journal. En plus d’écrire ses articles, nous racontait-il 25 ans plus tard, il construisait les mots croisés et rédigeait l’horoscope. Ceux qui l’ont connu imaginent bien Pol, sourire en coin devant sa machine à écrire, inventer le menu quotidien des férus d’astrologie ! Comme on dit, il est allé à la bonne école. C’est ainsi qu’il devient successivement journaliste à Perspectives, au Maclean et à L’actualité. Ses articles sont primés par le Toronto Press Club et au Grand prix des Magazines canadiens. Pol Chantraine se lasse toutefois de ce qu’il appelle ses « écritures alimentaires », des papiers publiés pour gagner sa vie. Homme de gauche, il a de plus en plus de mal à se faire le chantre des valeurs exaltées par une certaine presse à grand tirage. Invité à faire le portrait d’un artiste québécois dont on n’entend guère plus parler, son papier décrit sans ménagement la descente aux enfers d’un homme autrefois adulé. La rédaction commande une réécriture. Pol s’y refuse et n’écrira plus jamais une ligne pour cette publication. « Je n’ai pas le goût de me faire le thuriféraire de la néo-bourgeoisie. Il faudrait plutôt composer des odes à la paresse et à la dé-fonctionnarisation de l’existence », dit-il des années plus tard. Et puis encore 0 « Il y a peu d’espace pour exprimer des points de vue dissidents, sauf dans la si petite presse que personne ne les voit jamais. » Il écrira tout de même dans l’aut’journal et dans l’hebdomadaire des Îles de la Madeleine...

L’écrivain

Pol Chantraine publie son premier ouvrage, La vie mouvementée des papes, en 1972. C’est l’année suivante qu’il s’installe dans l’archipel madelinot. Il y retrouve la paix, le calme, l’espace dont il avait besoin. Cette profondeur de champ du milieu insulaire, l’horizon. « C’est mon point d’observation sur le monde », confiait-il lors d’une émission de radio enregistrée au printemps 2000. Pol Chantraine a publié neuf ouvrages, des livres polémiques ou poétiques, un recueil de nouvelles et, le plus récent, le roman policier Du sang sur ta soutane. La suite, Le crucifix sur la gorge, sera probablement publié à titre posthume. Il venait d’acheminer la version finale à son éditeur, après avoir passé des semaines à la correction des épreuves. Son gros roman sur l’été 70 ne verra cependant jamais le jour. Dommage, quand on imagine qu’il fut l’un des témoins privilégiés de cette tumultueuse époque.

Pol Chantraine se définissait d’abord comme un écrivain. Il avait choisi d’exercer ce difficile métier. Parce qu’il s’était juré de ne plus jamais se constituer prisonnier de quiconque, disait-il. Parce que sa liberté devait passer avant tout. Il écrivait beaucoup, et il jetait bien davantage qu’il n’osait conserver. « Je pense, je rêve de l’envoyer chez Grasset... alors je me dis que c’est impossible, que je dois dérailler quelque part, et je ne vois que les fautes, les lourdeurs, les inélégances de fond et de forme – mais ça ne va jamais jusqu’à l’envie de tout jeter, parce que dans l’ensemble, tout pétage de bretelles proscrit, je crois qu’il est pas mal ce gros truc, et que je suis peut-être ce que je pense être 0 un écrivain, ou alors que le travail m’en fera devenir un. » (1991) Comme nul autre, il a pris fait et cause pour les chasseurs de phoque dans son livre La Grande-Mouvée. Suite au moratoire sur la pêche au poisson de fond de l’Atlantique, il a pourfendu le gouvernement fédéral pour sa gestion catastrophique des stocks dans La dernière queue de morue. Il aimait l’environnement maritime et les pêcheurs, parmi lesquels il comptait d’ailleurs nombre d’amis.

L’auteur-compositeur

Pol Chantraine a été réalisateur à Radio-Québec, directeur des programme à CFIM, la radio communautaire des Îles, et pigiste à la radio de Radio-Canada. On se souviendra en outre du formidable narrateur de L’Aventure. Celle de la chasse au loup-marin, des Îles, de la pomme de terre, du cheval ou de Cervantès. À ses heures, il était aussi auteur-compositeur et interprète. Trois semaines avant son décès, Pol a d’ailleurs enregistré 14 de ses chansons, lors d’une intense semaine de travail en compagnie de son ami, Georges Langford. Un projet auquel il tenait beaucoup. À titre d’interprète, Pol Chantraine n’a jamais cessé de chanter Brassens, depuis les boîtes à chansons québécoises des années 60 jusqu’à tout récemment, sur la scène d’un café ou entre amis. Ce Georges Brassens qu’il avait découvert à l’âge de six ans et qu’il considérait comme le plus grand poète populiste français du siècle. Pol Chantraine a visité l’espace Brassens et sa tombe, à l’automne 1993, « dans l’incroyable cimetière des pauvres, disait-il, tout cerné de hauts cyprès sombres et aux tombes couvertes de fleurs multicolores, ce jour des Morts, à donner envie d’y rester » !