Alliance Québec peut aller se rhabiller

 


Se plaindre le ventre plein



C'était d'abord aux démographes Jacques Henripin et Louise Marmen (Statistique Canada) d'essayer d'émouvoir la Commission Larose quant à l'avenir incertain de la population de langue anglaise au Québec. C'est maintenant au tour d'Alliance Québec, du Congrès juif canadien et tutti quanti de réclamer un accès élargi à l'école anglaise et l'abolition de la préférence accordée aux candidats à l'immigration au Québec qui connaissent déjà le français.

Il s'agit justement des deux seules politiques qui ont contribué de façon sensible à orienter vers le français une plus grande part des transferts linguistiques des allophones arrivés plus récemment au Québec. Avant de songer à les modifier, il convient de vérifier le bien-fondé des inquiétudes de nos anglophones quant à leur avenir démographique.

En bref, au Québec, la minorité anglophone se trouve, tout comme la majorité francophone, aux prises avec une sévère sous-fécondité chronique. Mais le pouvoir d'assimilation de l'anglais compense en grande partie la sous-fécondité anglophone. De sorte que, du point de vue du remplacement des générations, la population de langue anglaise se porte aussi bien au Québec que dans le reste du Canada, et nettement mieux que la population québécoise de langue française.

La minorité anglophone a même pu stabiliser ses effectifs grâce à la résorption récente de ses pertes migratoires. Son intégration plus poussée au sein d'une société de langue française promet donc d'assurer l'avenir de la population de langue anglaise au Québec. Il vaut la peine d'examiner cela de plus près au moyen des données des recensements de 1971 à 1996 portant sur la langue maternelle et la langue d'usage actuelle à la maison.

La population de langue anglaise se stabilise

La population de langue anglaise a d'abord connu une baisse importante entre 1971 et 1991 (voir notre tableau). Sur l'ensemble de cette période, la réduction totale des effectifs est de 21 % selon la langue maternelle et de 14% selon la langue d'usage. Puis, entre 1991 et 1996, la minorité n'a baissé que légèrement en matière de langue maternelle et est demeurée stable quant à la langue d'usage.

L'évolution moins défavorable de la minorité du point de vue de la langue d'usage traduit la puissance de l'anglais en tant que langue d'assimilation. L'excédent de la population de langue d'usage anglaise relativement à celle de langue maternelle anglaise provient surtout du fait que de nombreux allophones de la région de Montréal adoptent l'anglais comme langue principale à la maison. Les deux dernières lignes du tableau font ressortir que, malgré le déclin de la population de langue maternelle anglaise, les gains de l'anglais par voie d'assimilation ne cessent de croître au Québec en chiffres tant relatifs qu'absolus.

L'anglicisation compense la sous-fécondité

Cette assimilation à l'anglais compense en bonne partie la sous-fécondité des anglophones. La fécondité anglophone est en fait très insuffisante depuis 1971. Mais les allophones anglicisés élèvent leurs enfants en anglais. Ceux-ci sont donc de langue maternelle anglaise. Si bien que malgré la sous-fécondité, les enfants de langue maternelle anglaise sont presque aussi nombreux que les jeunes adultes anglophones.

Cela ressort clairement du profil de la minorité selon l'âge (voir notre figure). Les jeunes enfants au bas du profil sont à peine moins nombreux que les jeunes adultes qui se trouvent au milieu du profil. En chiffres, le nombre de jeunes enfants représente 91 % du nombre de jeunes adultes susceptibles d'être leurs parents.

En d'autres mots, le taux de remplacement des générations anglophones au Québec est à l'heure actuelle d'environ 91 %. Ce qui équivaut à un déficit entre les générations de seulement 9 %. Sans l'assimilation, la sous-fécondité anglophone aurait dû entraîner un déficit de plus de 20 % entre les générations. Les retombées de l'assimilation des allophones – en tant que moyen de générer davantage d'enfants de langue maternelle anglaise – comblent ainsi à l'heure actuelle la majeure partie du déficit « biologique » de la minorité anglophone.

Une situation démographique enviable

Il est instructif de comparer ce profil démographique à celui d'autres populations. Au Québec, le taux de fécondité des francophones est identique à celui des anglophones. Mais parce que le français n'assimile pas une part équitable d'allophones comparativement à l'anglais, le taux de remplacement des générations francophones est seulement de 84 %.

D'autre part, le taux de remplacement des générations anglophones dans le reste du Canada est de 93 %. En somme, du point de vue du remplacement des générations, la population de langue anglaise se porte aussi bien au Québec que dans le reste du Canada, et nettement mieux que la population québécoise de langue française.

L'importante réduction de la minorité de langue anglaise survenue au Québec entre 1971 et 1991 est donc attribuable avant tout à des pertes migratoires exceptionnelles. Il semble toutefois que la grande majorité de ceux qui, dans la foulée de la Révolution tranquille, tenaient à quitter le Québec sont partis.

Une fois cette conjoncture franchie, le déficit migratoire de la minorité anglophone s'est largement résorbé. N'eût été de sa sous-fécondité persistante, le recrutement de nouveaux effectifs par voie d'assimilation aurait pu entraîner plus récemment une reprise de la croissance de la population de langue anglaise au Québec.

La minorité anglophone québécoise se maintient

Si la minorité anglophone demeure aussi sous-féconde, son poids continuera à se réduire au profit de celui des allophones, qui bénéficient d'une immigration régulière. En revanche, il est difficile de prévoir son évolution future en chiffres absolus. Par suite de la loi 101, la part de l'anglais dans l'assimilation des allophones baissera sans doute relativement à celle du français. Mais cela se trouvera compensé par la croissance de la population allophone 0 il y aura de plus en plus d'allophones à assimiler.

Par conséquent, la stabilisation de la population de langue anglaise devient possible, comme cela s'est produit entre 1991 et 1996, dans la mesure où ses pertes migratoires demeurent assez faibles. Pour assurer l'avenir de la minorité de langue anglaise, il suffirait ainsi de maintenir son déficit migratoire à un niveau assez bas.

Dans ce but, il faudrait encourager la jeunesse anglophone à s'intégrer avec enthousiasme à une société de langue française. Cela veut dire, entre autres, qu'au lieu de contester à outrance le caractère français du Québec, les représentants de la minorité auraient intérêt à réorienter leur discours politique de manière à promouvoir plutôt une perception positive du français comme langue commune, notamment dans la région de Montréal. Des ajustements de ce genre seraient susceptibles d'atténuer de façon définitive la propension des jeunes anglophones à quitter le Québec.

Les minorités francophones hors Québec s’amenuisent

Par ailleurs, au bout du compte, la redistribution de la population de langue anglaise par voie de migration interprovinciale n'a rien d'un processus de disparition, irréversible et absolu. Les anglophones qui quittent le Québec ne disparaissent pas pour autant. Tout simplement, ils évoluent autrement au sein de la majorité de langue anglaise du Canada.

Autrement dit, le monde n'est pas plat. Et ceux qui s'aventurent au-delà de la rivière des Outaouais ne tombent pas dans le vide. Aux dernières nouvelles, les anglophones qui migrent vers l'Ontario, l'Alberta ou la Colombie-Britannique n'en souffrent pas trop.

Il n'en va pas de même de l'érosion des minorités francophones hors Québec par la voie de l'assimilation à l'anglais. Leurs enfants grossissent les rangs de la population anglophone et sont perdus pour la population francophone. Pareil mécanisme contribue de façon définitive à la réduction de la population de langue française à l'extérieur du Québec comme au Canada dans son ensemble. Nous en reparlerons.

En attendant, Alliance Québec et consorts peuvent aller se rhabiller.