Désunifoliez-vous !

 


La compilation Québec-Libre



Soirée du 27 mars 2001. Jamais le siège social de la SSJB de Montréal n'aura vu rassemblés dans ses vieux murs de chêne autant de jeunes aussi engagés. En fait, un événement jeunesse plutôt inhabituel dans ces lieux.

Peut-être même depuis un certain 24 juin 1969 quand, attroupés devant une SSJB sous état de siège, les jeunes que nous étions savourions une « grande victoire », tout aussi intense que symbolique, sur un défilé un peu trop réacto-religieux. Quelques minutes après avoir renversé, rue Sherbrooke Ouest, face au richissime Ritz, le char allégorique de queue du géant (de carton-pâte) Saint-Jean-Baptiste, faisant alors rouler, pour une deuxième fois, la tête du malheureux personnage biblique.

Dernier clou, pensions-nous à l'époque, dans le cercueil du mouton politique et du saint patron des peuples décapités… Aujourd'hui, à l'heure du Sommet des Amériques des milliardaires, dans ce toujours masochiste Québec, hôte de son exclusion, les jeunes prennent de nouveau l'assaut des lieux. De l'intérieur cette fois.

Un reflet de la chanson engagée actuelle

De l'intérieur, tant physiquement que politiquement, puisque l'événement du 27 mars 2001 avait été concocté avec la complicité d'une SSJB aujourd'hui résolument indépendantiste… et même à l'occasion un tantinet teintée à gauche (actions communes avec les autochtones, soirée Louis Riel, réceptions populaires avec des ministres révolutionnaires du Sinn Féin, reconnaissance de l'apport du féminisme, appuis aux détenuEs politiques d'ici et d'ailleurs, etc.).

L'événement d'aujourd'hui0 le lancement de la Compilation Québec-Libre ! Désunifolliez-vous, un CD regroupant les chansons d'une vingtaine de jeunes artistes et de groupes d'ici qui, dans la très large majorité des cas, ont été inscrits sur la liste noire de Musique Plus et autres médias soi-disant à la mode. Comme, par exemple, le groupe Guérilla dont le vidéo-clip Manifeste, créé à partir du texte du Manifeste de 1970, a été censuré dès sa sortie pour « message politique trop corrosif ».

Selon Martin Lamontagne, principal instigateur de la compilation avec Julie Lafrenière (musicienne responsable de la pochette) et Normand Desrochers (batteur de Guérilla), il s'agit d'une création militante par des artistes qui ont à cœur la destinée ultime du Québec, un « reflet de la chanson engagée actuelle », une « vision du Québec moderne et populaire ». Plus particulièrement, une œuvre de sensibilisation, de conscientisation et de compréhension face à ce Canada qui continue et continuera à nier l'existence du peuple québécois, un acte de riposte à la loi sur la clarté référendaire, d'où le sous-titre du disque, Désunifoliez-vous, une expression claire… et impossible à prononcer d'une traite !

Un pays tronqué qui n’en finit pas de renaître

Les auteurEs du disque, qui se définissent plutôt comme la relève alternative (lire engagée), sont de toutes les tendances musicales. Du pop au rock, du métal au rap, du folk au punk. Ce qui peut surprendre l'oreille au premier abord. Du groupe La Vesse du Loup aux « vents » de Guérilla et de Loco Locass, mettons que l'air ne se déplace pas pareil ! Mais il faut absolument dépasser le choc de la première écoute pour goûter le disque dans toutes ses essences. Fines et moins fines.

Le ciment d'une pièce à l'autre, la liberté, l'émancipation, la solidarité, l'indépendance des peuples opprimés, permet justement d'apprivoiser tous les tympans… et ce qu'il y a derrière ! Mes trois pièces préférées à ce moment-ci, après trois ou quatre écoutes 0 Mon pays des Cowboys Fringants , Québec Réveille de Ivy (qui a fait toute une prestation au spectacle bénéfice de Paul Cliche)… et Octobre dans mes veines des Accros furieux.

Bref, dans l'ensemble, un son et des textes riches de toute une relève d'auteurEs-compositeurEs frappés d'interdit chez eux dans un pays tronqué qui n'en finit plus de renaître de lui-même. Une jeunesse engagée, condamnée comme hier à la clandestinité, des réseaux parallèles mais qui, dans les circonstances, n'a pas l'air de trop mal s'en sortir s'il faut en juger par la participation active de plus de trois cents jeunes à ce grand sommet de la création boudé par les mass média. Ces mêmes médias qui ne manqueront pas demain de leur taper dessus à bras raccourcis, de les démoniser et de jouer aux vierges offensées lors des manifestations de Québec…