Même combat contre les civils

 


Plan Colombie et ZLEA



On dit souvent que le Plan Colombie utilise le trafic de drogue comme prétexte à éliminer les guérillas des FARC et de l'ELN. Mais, de passage à Montréal dans le cadre d'une tournée pour « rendre visibles » leurs luttes, des représentants de la vraie « société civile » colombienne sont venus nous dire que, au stade de la mondialisation et de la ZLEA, tuer des guérilleros est bien moins important que de tuer des civils ou déplacer les populations de régions convoitées par les pillards internationaux du libre-échange. Même que, une guérilla, ça aide !

Ce n'est pas une guerre conventionnelle qui se déroule en Colombie, une guerre entre deux armées. Ce n'est pas une guerre civile, mais une guerre contre les civils. » Ainsi s'exprime Carlos Alfonso Rosero, du Mouvement des communautés noires de Colombie.

Depuis 1997, les communautés afro-colombiennes concentrées le long de la côte du Pacifique sont déplacées par les exactions conjuguées de l'armée et surtout des paramilitaires.

« Avec l'intensification de la guerre et les fumigations de récoltes de coca dans le cadre du Plan Colombie, on ne se gêne même plus pour bombarder à grande échelle comme on l'a fait récemment le long du Rio Sucio, forçant plus de 3000 familles à prendre la route. L'armée s'est ensuite excusée d'une soi-disant erreur », de nous dire M. Rosero

« Les terres abandonnées par les déplacés sont destinées à l'État, à qui le FMI conseille de les réserver à des projets d'infrastructures pour moderniser le pays ou de les louer à des multinationales étrangères. Les nettoyages de civils ont souvent lieu dans des zones économiques spéciales comme celle de Buenaventura, ville portuaire qu'on veut transformer en l'un des plus grands ports au monde. »

Les militaires ont des amis

« Entre-temps, ce sont des cadres militaires qui revendent à leurs amis (souvent des narcotrafiquants) les terres que l'État n'ose pas prendre tout de suite. Cette perspective d'enrichissement rapide par la spéculation est la meilleure des motivations à continuer cette guerre non déclarée aux civils. »

Ezequiel Vitonas Talanga fait partie du projet Nasa, vaste réforme agraire populaire que les Indiens de la vallée du fleuve Cauca ont réalisée sur leur territoire. Le projet s'est mérité le prix national du meilleur plan de développement régional en 1998, en plus d'un prix international de la paix en l'an 2000. Il constitue un obstacle pour ceux qui veulent offrir le pays aux étrangers.

« Il y a un lien direct entre la mondialisation et nos souffrances, explique M. Talanga. Ainsi, la loi Paez de 1997 faisait de notre région une zone exempte d'impôts pour les investisseurs étrangers. Les compagnies se sont aussitôt amenées à proximité de nos terres (en fait, entre elles et des régions contrôlées par les FARC) et se sont fait accompagner par l'armée et les paramilitaires pour protéger leurs biens. »

Estomacs ouverts

« Après quelques massacres de paysans rapidement imputés aux guérilleros pour convaincre les populations locales du bien-fondé de leur présence, ajoute M.Talanga, les paramilitaires passent à leur véritable mission 0 semer la violence partout pour faire fuir les populations. Ils font disparaître ceux qui ne fuient pas en les tuant et en les balançant dans le Cauca après avoir pris soin de leur ouvrir l'estomac pour qu'ils restent au fond de l'eau. »

« La Colombie est un cobaye de la mondialisation, poursuit M.Talanga. On y expérimente différentes manières de se débarrasser du principal obstacle qui, loin d'être la guérilla, est la population civile. Une population jugée irrécupérable et qui a le malheur de vivre au-dessus d'un sous-sol riche en or et en pétrole, aux abords de rivières dont on veut s'approprier l'eau douce, et de forêts dont on convoite la bio-diversité. »

Pour Carlos Alfonso Rosero, «l'affrontement des deux armées est la dernière chose qui va arriver en Colombie. Cela aura lieu seulement quand on jugera que le nettoyage civil dont ont besoin les marchés est réalisé de façon satisfaisante. »

Une guérilla bien traitée

Agustin Reyes, représentant du Réseau paysan Communautés et territoires pour la paix, abonde dans le même sens 0 « Nous disons que le Plan Colombie a besoin des guérillas. Sans elles, les paramilitaires et l'armée deviendraient vite une force abusive aux yeux du monde entier.»

« C'est pourquoi nous assistons à ce simulacre de négociations de paix qui n'aboutissent jamais, à la saga de la zone démilitarisée, à des trafics d'armes qu'on laisse plus ou moins faire; tout ça, sans vraiment inquiéter Washington. Il est bien plus facile, en Colombie, de tuer un syndicaliste ou un autochtone qu'un guérillero. »

Les cinq représentants populaires rencontrés par l'aut'journal décrivent leurs luttes comme «invisibles ». Luttes qui, à cause de cette invisibilité, coûtent la vie à un grand nombre de civils sans que le moindre châtiment ne soit appliqué aux assassins.

Un paramilitaire dans son lit

« Dans les villages, et même dans certains quartiers des grandes villes, raconte Dora Guzman, de l'Organisation féminine populaire de Barrancabermeja, les paramilitaires frappent aux portes des maisons et exigent la clé. Souvent, ils reviennent s'installer chez les familles terrorisées, dormant dans leurs chambres, mangeant à leur table. »

« Les groupes de femmes accompagnées de membres d'organisations internationales évacuent les familles avant qu'elles soient tuées, les prennent en charge, les protègent. Mais les paramilitaires massacrent les paysans qui nous donnent de la nourriture et on se demande qui va bientôt alimenter ces réfugiés ! », précise Dora Guzman. « Certaines villes de la région du Magdalena Medio abritent déjà dans des conditions infra-humaines plusieurs centaines de familles de réfugiés. Ces villes n'ont aucune ressource à offrir parce que le gouvernement s'en fout complètement », poursuit-elle.

Sur la côte Pacifique, Buenaventura a vu arriver 4270 réfugiés au cours des dernières semaines. Le Mouvement des communautés noires a déclaré la ville «zone humanitaire » et s'occupe de procurer nourriture et médicaments à ces réfugiés, de protéger leurs leaders et d'alerter les zones où des massacres se préparent.

L'armée collabore

« Il y a tellement de collaboration entre l'armée et les paramilitaires, dit Agustin Reyes, qu'il est facile de prévoir ces massacres. En général, les paramilitaires débarquent là où, une ou deux semaines auparavant, a eu lieu un contrôle militaire. L'armée prépare le terrain aux paramilitaires, donne les noms des personnes à tuer. Et puis, quand les massacres arrivent, les soldats arrivent trop tard, même s'ils sont à cinq minutes de là. »

Patricia Burutica de la Centrale unie des travailleurs (CUT) renchérit 0 « Les paras font des visites dans les locaux des syndicats et donnent huit jours pour fermer l'endroit. Quelque temps après, commencent les massacres et assassinats sélectifs. »

« On a prouvé que certaines entreprises comme la Indupalma (une plantation d'huile de palme) embauchent des paramilitaires pour dé-syndiquer leurs travailleurs ou en empêcher d'autres de se syndiquer. »

L'argent et les fusils

« Nous défendons les valeurs humaines contre la culture de la violence où seuls parlent l'argent et les fusils, ajoute Agustin Reyes. Nous voulons une autorité plus morale, plus respectueuse de la vie, plus solidaire, plus soucieuse de l'éducation. Nous voulons soustraire à une exploitation trop agressive nos ressources génétiques, climatiques, notre eau. C'est notre patrimoine et aussi celui du monde. »

« Nous voulons faire connaître nos luttes, les rendre visibles , parce qu'en ce moment seule la crainte des pressions internationales retient un peu les paramilitaires. Néanmoins, le nombre de déplacés en Colombie correspond à toute la population de Montréal (trois millions de personnes) et les civils tués se comptent annuellement par milliers. »

« Nous voulons également vous demander jusqu'où vous allez tolérer un modèle de développement qui fait des victimes partout. Pas seulement chez ces pauvres petits Colombiens, si pauvres avec leur or, leur eau douce et leur pétrole!»

Courageux investisseurs canadiens !

L'aut'journal se permet de compléter une entrevue de La Presse (14 mars) avec nos camarades colombiens et intitulé 0 Investissements canadiens dénoncés par des Colombiens.

Le hic dans cet article, c'est qu'aucun de ces investisseurs sans peur et sans reproche n'est nommé ! Complétons donc l'article avec les noms des principaux d'entre eux 0 Bata Shoes, Bell Canada, Kappa Energy, Occidental Petroleum Canada, WestCan, McCain Foods, Northern Telecom, Quebecor Printing, Royal Group, Seagrams, Radarsat, Alberta Energy, Talisman Energy, Enbridge, Trans-Canada Pipeline.