La mouche et le bazooka

 

J’avais très envie d’aller à Québec pendant le Sommet des Amériques, de voir et de sentir ce qui s’y passerait. L’occasion s’est présentée lorsqu’avec les ZAPARTISTES (une gang dont je fais partie qui présente des spectacles d’humour politique), on a décidé que ce serait une bonne idée d’aller y présenter notre nouveau cabaret d’humour politique.

Ce qui m’a frappé en s’approchant de Québec, c’était déjà la présence policière. Ça avait même quelque chose de surréel 0 c’était la première fois que je voyais toutes les voitures sur la 40 rouler à 100 km/heure.

Ça va prendre des bandits !

En arrivant à Québec, vendredi après-midi, tout avait l’air calme. Depuis un moment, on écoutait la radio. Les journalistes avaient l’air de se vider les batteries à faire croire qu’il y avait de l’électricité dans l’air. C’était la grande attente du geste d’éclat. Puis, nous avons croisé des voitures de police. Une… deux… cinq… dix… quinze… vingt… cent… Nous avons ensuite dû nous tasser pour laisser passer une sombre caravane d’une vingtaine de camionnettes remplies de brigadiers anti-émeute. Démesuré. Sinistre. Ça ressemblait à un carnaval dont le bonhomme aurait été Darth Vader. Et quand j’ai vu la colonne de zoufs en kaki qui remontait une rue de Limoilou au trot, je me suis rappelé ces paroles de Richard Desjardins 0 «Y’ a tellement de police ici-dedans, ça va prendre des bandits bien vite…»

Pourtant, la foule éparpillée semblait plutôt paisible. Il y avait bien quelques punks à l’air patibulaire, mais rien de bien pire qu’aux alentours du Centre Molson le soir d’un match contre Boston. La vaste majorité des gens étaient calmes, souriants et très poilus.

Le périmètre est agrandi

On a ensuite appris que des manifestants avaient percé le périmètre, qu’un policier avait été battu et qu’il saignait abondamment. Les nouvelles se passaient comme ça de bouche de poilu à oreille de poilu, sous le bruit constant des hélicoptères. Jean Chrétien avait affirmé à la télévision que 200 à 300 manifestants, même 3000, ça ne l’empêcherait pas de dormir. Mais les hélicoptères, M. Chrétien, elles ont bien dû vous achaler, vous aussi ? Ça faisait des jours qu’elles empêchaient tout le monde de dormir… Tout ça finissait par être écœurant…

Notre spectacle s’est bien déroulé, quoiqu’il ait été pénible par moments de jouer devant un public qui n’était pas là pour ça. Les gens voulaient juste prendre une bière dans ce bar qui s’était drapé de clôtures de broches en hommage sarcastique au fameux périmètre. Après la représentation, nous avons justement voulu voir ce qui se passait près des barricades.

Surprise 0 il venait d’être agrandi ! Le bar où nous devions présenter notre spectacle le lendemain en faisait désormais partie et nous ne savions pas si nous pourrions nous y rendre. On a aussi appris que les policiers avaient tiré sur une centaine de manifestants avec des balles de caoutchouc. Une centaine ! Contre des milliers de beus. Ça les démangeait vraiment de les essayer, leurs nouveaux jouets…

Même les pavés pleuraient

Nous approchons du périmètre. C’est là que j’ai senti pour la première fois de ma vie les effets du gaz lacrymogène. Je n’oublierai jamais cette sensation. Très efficace comme arme 0 j’aurais eu beau être déterminé à foncer sur la colonne de flics, mon corps entier m’en empêchait. Cette arme est suprêmement humiliante parce qu’elle vous rend impuissant de tout. C’est le moyen de répression le plus pur. Tu ne peux même pas recevoir un coup de matraque, tu fuis. Et ils en ont mis partout. PARTOUT. Même les pavés pleuraient. Quelle lâcheté 0 pour ne pas avoir à porter l’odieux de quelques coups de matraque qui auraient terni leur image, ils ont gazé tout le monde.

Peu importe la teneur intellectuelle des manifestants qui étaient alors dans les rues à cette heure tardive, ce parfum insupportable du gaz irritant me branche d’un seul coup sur la même indignation que j’ai si souvent vue exprimée aux Nouvelles en Palestine, en Afrique du Sud, à Oka. Et quand nous avons finalement joué notre spectacle le lendemain, devant une foule aux yeux rougis (et ce n’était pas l’émotion…) en criant pour couvrir le bruit des hélicoptères et en arrêtant chaque fois qu’on entendait des tirs, j’avais vraiment l’impression de faire de la résistance.

On a beaucoup vu les manifestants au sommet dénigrés dans les médias. Mais les pires clowns dans toute cette histoire étaient clairement à l’intérieur du périmètre. Voilà ce qui me fait croire que la ZLEA est tout sauf un projet démocratique. J’aimerais bien un jour être en mesure de nuancer ces propos. Mais il faut toujours se fier à sa première répression…

Texte lu à l’émission Samedi et rien d’autre, 1ère chaîne de Radio-Canada, le 21 avril 2001.