Le scandale des petits barrages privés

 

* Défiant les conclusions du rapport d'enquête produit par la Commission Doyon en mars 1997 ainsi que les recommandations faites par la Régie de l'énergie dans son avis de décembre 1999, le ministre des Ressources naturelles du Québec, Jacques Brassard, s'apprête à faire approuver par ses collègues du conseil des ministres un « nouveau régime d'octroi et d'exploitation des forces hydrauliques du domaine de l'État pour les centrales hydroélectriques de 50 MW et moins ».

On évoque la possibilité de développer plus de 450 MW de puissance additionnelle en accordant à des sociétés en commandite des droits d'une durée de 25 ans pour l'aménagement et l'exploitation de petites centrales hydroélectriques sur nos rivières. Les exploitants privés se verraient garantir un prix d'achat par Hydro-Québec pour l'ensemble de leur production et le gouvernement percevrait des redevances annuelles en contrepartie de l'utilisation des forces hydrauliques du domaine public.

Le ministre Brassard tente de justifier son projet de relance de la petite production privée d'électricité en s'appuyant sur les nouvelles dispositions de la Loi sur la Régie de l'énergie, telle qu'amendée par le projet de loi 116, contesté de toutes parts, mais sanctionné tout de même par l'Assemblée nationale, sous le bâillon, en juin 2000. Ce projet de loi, peut-on y lire, « consacre le principe de la déréglementation de la production d'énergie » et impose à Hydro-Québec « de procéder par appel d'offres pour satisfaire ses besoins d'électricité excédant 165 TWh ».

Le ministre soutient ensuite que « la filière de la petite hydraulique est en mesure de produire de l'énergie à un prix concurrentiel » et que « Hydro-Québec et l'industrie (de la petite production privée) pourront convenir de conditions mutuellement avantageuses et concurrentielles sur une base d'affaires ». Il ressort des orientations mises de l'avant par le ministère que la société d'État n'aura pas à inclure ses achats de petite production privée à son plan d'approvisionnement et qu'ils échapperont, par voie de conséquence, au processus d'approbation par la Régie de l'énergie.

Ce projet de relance de la petite production privée, tel que mis de l'avant par Jacques Brassard, est inquiétant à plusieurs égards au point qu'il soulève déjà une vive controverse. En fait, il y a de nombreuses raisons de croire que la détermination du ministre à promouvoir la production privée ne repose pas sur des bases très saines.

A-t-on besoin de la petite hydroélectricité privée ?

S'appuyant sur les prévisions du Plan stratégique 2000-2004 d'Hydro-Québec, le ministre Brassard évoque la possibilité que la croissance de la demande québécoise amène la société d'État à recourir à de nouveaux moyens de production à l'horizon 2004-2007 et soutient que la production privée peut contribuer à satisfaire ses besoins futurs « à des conditions compétitives ».

Or, de ses anciens « Plans de développement » à ses « Plans stratégiques » plus récents, Hydro-Québec a eu tendance, surtout depuis le milieu des années 90, à surestimer significativement la croissance anticipée de la demande québécoise. Un examen sérieux de la croissance de cette demande démontre pourtant que la consommation d'électricité progresse à un rythme très lent au Québec depuis la fin des années 80, tous les experts s'entendant sur le fait que ce marché est arrivé à maturité. D'ailleurs, les prévisions de croissance de la consommation québécoise mises de l'avant par Hydro-Québec dans son Plan stratégique 1998-2002, loin de se réaliser, ont dû être sérieusement révisées à la baisse, pour ne pas dire désavouées, dans son plan suivant couvrant la période 2000-2004. À l'opposé, les ventes de la société d'État sur les marchés extérieurs ont atteint, en 1999 et 2000, des niveaux sans précédent de 24,7 et 37,3 TWh principalement dans le marché de court terme.

Quels sont donc ces besoins futurs en énergie que le ministre des Ressources naturelles prétend vouloir combler en partie par la relance de la petite production privée d'électricité ? Et quels sont les autres moyens dont dispose Hydro-Québec, les autres ressources que le Québec pourrait développer, pour satisfaire cette demande anticipée ?

Sur le plan énergétique 0 une contribution marginale

Hydro-Québec dispose d'une puissance de 31 512 MW provenant de ses propres installations (dont 29 246 MW d'origine hydroélectrique), d'environ 5400 MW de puissance additionnelle en provenance de Churchill Falls et de quelque 500 à 600 MW qu'elle peut racheter d'autoproducteurs privés, soit un total de plus de 37 500 MW.

La société d'État peut également compter sur des moyens supplémentaires pour satisfaire la demande de pointe, que ce soit par l'importation d'électricité des réseaux voisins via ses interconnexions d'une capacité simultanée de plus de 7000 MW ou par la récupération provisoire d'un autre 500 MW de ses grands clients industriels en vertu de son programme commercial de puissance interruptible. En situation extrême, Hydro-Québec pourrait donc mobiliser une puissance totale d'environ 45 000 MW pour rencontrer ses obligations. Or, ses besoins « globaux » de puissance à la pointe annuelle, incluant ses ventes sur les marchés extérieurs, ont atteint 33 767 MW le 12 décembre 2000, après des records historiques de 35 443 MW en 1994 et de 35 577 MW en 1999.

En résumé, Hydro-Québec surestime, d'une part, ses besoins « globaux » de puissance à la pointe en y intégrant la puissance requise pour réaliser des ventes à court terme sur les marchés extérieurs; et sous-estime, d'autre part, la puissance dont elle dispose pour satisfaire la demande de pointe (besoins prioritaires) en ne comptabilisant pas ses moyens de réserve (importation et puissance interruptible). Par ailleurs, la croissance de ses ventes s'explique en partie par la progression relativement soutenue de la consommation du secteur industriel québécois et, principalement, par l'explosion de ses activités sur les marchés extérieurs.

Pour rencontrer la croissance éventuelle de la demande, la contribution de la petite hydroélectricité privée ne peut être que marginale. À titre de comparaison, la construction d'une cinquantaine de nouveaux petits barrages privés d'une puissance moyenne de 10 MW sur autant de rivières du Québec ne fournirait, au total, pas plus de nouvelle puissance installée que le seul projet hydro-québécois de la rivière Toulnustouc, déjà annoncé, d'une capacité de 440 MW ! La petite production privée d'électricité comporte-t-elle donc des avantages économiques si importants qu'ils justifieraient une telle multiplication des projets, la disparition de nos plus belles chutes, le harnachement des derniers cours d'eau encore à l'état vierge et l'accumulation des impacts environnementaux qui y sont associés ?

Sur le plan économique 0 injustifié et inadéquat

Le p.-d.g. d'Hydro-Québec, André Caillé, soutient que la société d'État peut encore développer de nouveaux projets à un coût de 3 ¢ / kWh. Si cela était vrai, Hydro-Québec aurait la possibilité de poursuivre le développement des ressources hydrauliques québécoises sans influencer significativement le coût moyen de production de l'ensemble de ses installations qui se situe à environ 2,5 ¢ / kWh. Mais on voit mal comment la production d'électricité pourrait encore se faire à un coût aussi bas autrement qu'en privilégiant le détournement d'une partie du débit de certaines rivières vers les centrales de cours d'eau voisins pour produire davantage d'énergie avec les installations existantes. Ce type de développement comporte cependant un coût environnemental significatif et ne devrait pas être autorisé sans la justification socio-économique et les études d'impacts qui s'imposent préalablement.

Le coût de production des meilleurs sites qu'Hydro-Québec pourrait encore aménager s'établit à environ 4 ¢ ou même 4,5¢/kWh. À ce prix, la construction de nouveaux barrages provoquera inévitablement une augmentation éventuelle des tarifs d'électricité facturés aux consommateurs. Elle ne saurait donc être justifiée pour la clientèle québécoise que si la croissance de la demande domestique les rend indispensables et qu'aucune autre option plus économique ne s'offre à la société d'État pour satisfaire cette demande.

Acheter pour revendre à perte

La petite production hydroélectrique privée ne possède aucune des caractéristiques qui pourraient la rendre avantageuse pour la collectivité québécoise. Son prix, qui varie de 4,5 ¢ / kWh pour les meilleurs sites à 5,5 voire 6 ¢ / kWh pour les projets de plus petites dimensions, est nettement plus élevé que le coût moyen de production d'Hydro-Québec, plus élevé également que le coût évité de la société d'État. Si l'on ajoute à ce coût initial de la production privée les coûts d'intégration au réseau existant (environ 0,8 ¢ / kWh), le tarif timbre-poste de transport applicable aux clients de charge locale (environ 1,3 ¢ / kWh) et les coûts de distribution, Hydro-Québec ne pourrait revendre cette électricité qu'à perte dans le marché québécois, même au plus élevé de ses tarifs au détail d'un peu plus de 6 ¢ / kWh. De plus, parce que ce prix d'acquisition de la production privée, garanti par Hydro-Québec, est appelé à être majoré annuellement d'un pourcentage équivalent à l'inflation, l'écart entre le coût de la production privée et celui de la société d'État est appelé à s'accroître puisque les coûts et les tarifs d'Hydro-Québec progressent pour leur part à un rythme plus lent que l'indice général des prix à la consommation.

Les projets hydroélectriques privés sont essentiellement des centrales au fil de l'eau particulièrement dépendantes des fluctuations saisonnières du débit des cours d'eau. Sans capacité d'emmagasiner l'eau, elles ne peuvent donc pas contribuer à contrebalancer les périodes de faible hydraulicité, ni contribuer d'ailleurs à la satisfaction de la pointe hivernale de la demande. Le développement de cette filière pour la satisfaction des besoins québécois n'est donc pas justifié sur le plan économique et inadéquat sur le plan énergétique.

Non avantageux pour les exportations

La question du développement hydroélectrique se pose très différemment lorsque l'énergie est destinée à l'exportation. Depuis l'ouverture des marchés de l'énergie chez nos voisins américains, la rentabilité des exportations d'Hydro-Québec ne se mesure plus en fonction des prix convenus en vertu de contrats à long terme mais principalement en fonction des prix très variables qui caractérisent les ventes à court terme sur le marché « spot ». Depuis quelques années, les ventes à long terme d'Hydro-Québec sur les marchés extérieurs sont en nette régression, alors que ses ventes à court terme connaissent une croissance phénoménale.

Pour Hydro-Québec, la possibilité de rentabiliser une part de la production hydroélectrique québécoise sur les marchés extérieurs dépend essentiellement de deux facteurs 0 sa capacité d'entreposer l'eau dans ses immenses réservoirs lorsque les prix sont bas pour vendre lorsque les prix sont élevés, d'une part; et, lorsque les prix sont élevés, sa capacité d'acheminer en très peu de temps une quantité d'énergie limitée par le potentiel de ses interconnexions avec les réseaux voisins. La petite production privée ne possède aucun des avantages requis pour profiter des nouvelles opportunités sur les marchés extérieurs de sorte qu'elle ne peut y être destinée puisque son acquisition par la société d'État à un prix plus élevé que ses propres coûts affecterait à la baisse la rentabilité globale des exportations québécoises.

Les leçons de la Commission Doyon et de la Régie de l'énergie

Lancé sous l'ancien gouvernement libéral, le programme précédent d'attribution des sites hydrauliques du domaine public à l'industrie hydroélectrique privée, l'APR 91, avait résulté en la construction de 57 petites centrales pour une capacité totale d'environ 250 MW. À son arrivée au pouvoir en 1994, le gouvernement du Parti québécois avait institué une commission d'enquête, placée sous la responsabilité du juge François Doyon, pour en examiner l'utilité, la pertinence économique, les incidences environnementales ainsi que la régularité du processus d'attribution des contrats.

Au terme d'une enquête de plusieurs mois, la Commission Doyon avait notamment conclu que le l'acquisition de l'électricité privée avait occasionné des pertes de quelques centaines de millions de dollars pour Hydro-Québec, que les modalités d'octroi des contrats avaient souffert de plusieurs déficiences et que le processus d'évaluation et de suivi environnemental s'était avéré inadéquat. Parmi ses diverses recommandations, la commission avait insisté sur la nécessité d'une évaluation gouvernementale du bien-fondé social et économique de la petite production hydroélectrique privée, dans le cadre d'audiences génériques publiques, avant la mise en vigueur d'un quelconque programme de petites centrales.

Dans un avis fourni au Gouvernement en 1999, la Régie de l'énergie avait pour sa part recommandé au Gouvernement de n'accorder à la petite hydroélectricité privée qu'une quote-part limitée à 150 MW et d'établir un prix plafond de 4,5 ¢ / kWh pour son acquisition éventuelle par Hydro-Québec. La Régie avait dû se résigner à rendre son avis sur cette quote-part sans avoir pu examiner préalablement un quelconque Plan de ressources d'Hydro-Québec et en se fiant à la croissance anticipée de la demande telle qu'établie dans le Plan stratégique 1998-2002 de la société d'État dont les prévisions ont été révisées à la baisse, de façon importante, quelques semaines plus tard. Rappelons que le gouvernement n'avait pas sollicité l'avis de la Régie quant à la pertinence même d'attribuer un support à cette filière énergétique par l'établissement d'une quote-part réservée.

Si, malgré tout, il donnait suite au projet de relance de la petite production privée mis de l'avant par le ministre des Ressources naturelles, le gouvernement du Parti Québécois commettrait un geste d'une grave inconséquence politique. Car en favorisant la multiplication des petits barrages et le harnachement éventuel de nombreuses rivières encore à l'état vierge, la mise en œuvre du projet du MRN compromettrait de nombreux autres usages à forte valeur récréo-touristique et la préservation pour les générations futures d'un patrimoine environnemental inestimable.

Les alternatives

Une filière plus avantageuse 0 l'éolienne

En matière de développement énergétique, le Québec dispose pourtant d'autres options fort intéressantes. La filière éolienne, notamment, connaît à l'échelle mondiale le plus haut taux de développement de tout le secteur énergétique 0 au cours des trois dernières années seulement, la puissance installée est passée de 8000 MW à plus de 17 000 MW. On prévoit que l'Europe à elle seule disposera d'ici l'an 2010 d'une capacité de production de source éolienne de plus de 60 000 MW. Pour sa part, le gouvernement fédéral américain encourage le développement de cette filière tant par l'attribution de subventions directes qu'en imposant aux distributeurs l'obligation de réserver une part de leurs approvisionnements aux « énergies vertes ».

On estime que le Québec possède plus de la moitié de l'ensemble du potentiel éolien réalisable au Canada, évalué à 4500 MW, soit environ 2500 MW. Grâce à une évolution technologique constante, l'accroissement de la dimension et de la capacité des éoliennes, la flambée des prix des produits pétroliers et le support consenti par plusieurs États pour favoriser son développement, la filière éolienne est en voie de devenir une source d'énergie concurrentielle en plus d'être pratiquement exempte d'impacts environnementaux.

En décembre 1997 d'ailleurs, la Régie de l'énergie recommandait au gouvernement du Québec de favoriser le développement de cette filière prometteuse par l'installation de 450 MW de puissance éolienne à intégrer au parc de production d'Hydro-Québec sur une période de dix ans. Or, le gouvernement n'a donné aucune suite aux recommandations de la Régie, de sorte que le Québec est en train de manquer le bateau alors que cette filière est privilégiée par les leaders mondiaux du développement énergétique.

Les économies d'énergie

La mise en œuvre d'un programme national d'économies d'énergie représente également, à tous égards, une voie éminemment avantageuse pour le Québec dans laquelle le gouvernement refuse pourtant de s'engager. Une réduction de l'ordre de 10% de la consommation d'électricité québécoise aurait pour effet de libérer annuellement plus de 15 TWh d'énergie qui serait remise en disponibilité pour fin d'exportation par la société d'État. Tout le monde y trouverait son compte 0

· les consommateurs, en profitant d'une réduction de leur facture énergétique;

· Hydro-Québec, en réalisant des ventes équivalentes redirigées vers les marchés extérieurs et en reportant la construction de nouvelles centrales plus coûteuses que son parc existant;

· le gouvernement, en percevant tout autant de dividendes sur les ventes hydro-québécoises et en profitant au surcroît des retombées économiques résultant d'un chantier national de rénovation des bâtiments.

Voilà donc une filière susceptible de favoriser la réconciliation des rôles traditionnellement conflictuels de l'État québécois 0 celui d'État actionnaire, intéressé à profiter des bénéfices générés par les ventes d'électricité, et celui d'État défenseur de l'intérêt public.

Malheureusement, en l’absence de mesures appropriées, les objectifs annuels d'économies d'énergie de 10 TWh mis de l'avant par Hydro-Québec au début des années 90 ne se sont jamais réalisés et ont été abandonnés graduellement par manque de volonté politique de son actionnaire.

Développer le potentiel résiduel

Si, après avoir déployé des efforts importants pour réduire les besoins énergétiques québécois, il s'avérait que la poursuite du développement hydroélectrique s'avère économiquement justifiée et socialement pertinente, la collectivité québécoise devrait nécessairement prendre en compte l'évolution récente du secteur énergétique et les tendances qui la caractérisent. Hydro-Québec possède un atout majeur qui réside dans sa capacité d'entreposer l'eau dans ses immenses réservoirs pour vendre son électricité lorsque les prix sont avantageux. Mais la rentabilité de ses ventes sur les marchés extérieurs est affectée par l'éloignement considérable de son parc de production des marchés qu'elle convoite et les coûts de transport que cela implique. Ce handicap risque de s'aggraver au fur et à mesure que ses compétiteurs américains construisent de nouvelles centrales de production, principalement des turbines à gaz, à proximité immédiate des centres de consommation.

Cela devrait amener les décideurs, s'ils sont éclairés, à privilégier le développement du potentiel résiduel des grands cours d'eau déjà harnachés plutôt qu'à favoriser la dispersion des projets hydroélectriques et le détournement massif de rivières patrimoniales et ce, pour plusieurs raisons 0

· en développant prudemment le potentiel résiduel de rivières déjà harnachées à proximité de ses lignes de transmission existantes, Hydro-Québec maximiserait l'usage et la rentabilité de son réseau de transport et réduirait d'autant son handicap lié à l'éloignement des marchés;

· en turbinant 2, 3, 4 fois l'eau provenant d'un même cours d'eau, la société d'État pourrait à la fois satisfaire la demande québécoise en entamant moins ses réserves énergétiques et bonifier sa capacité de profiter des opportunités sur les marchés extérieurs lorsque les prix sont élevés;

· en renonçant aux détournements de rivières, l'intégrité de cours d'eau d'une valeur patrimoniale inestimable serait préservée pour les générations futures.

Si le coût unitaire de mise en service des sites encore aménageables sur les cours d'eau déjà harnachés peut s'avérer un peu plus élevé à court terme, un tel développement, plus conséquent, serait nécessairement plus rentable à long terme, à tous égards, tant pour Hydro-Québec que pour l'ensemble de la société.

La rupture d'un pacte social

Depuis la nationalisation de ce secteur économique, la propriété publique des installations de production, de transport et de distribution d'électricité en a assuré le développement au prix le plus avantageux pour la collectivité. Les coûts et les bénéfices ont été assumés et répartis uniformément au profit de tous les citoyens québécois, gage de solidarité sociale et d'identification nationale.

Mais voici que le ministre des Ressources naturelles propose de confier le développement de l'hydroélectricité au secteur privé en créant des sociétés en commandite dans lesquelles les MRC et les bandes autochtones pourront avoir une participation financière. Ainsi, les communautés locales pourraient participer au partage des bénéfices tirés de l'exploitation des forces hydrauliques du domaine public par le secteur privé.

Dans les faits, l'industrie de la petite production hydroélectrique privée ne pourrait être développée, ni même obtenir de financement, sans qu'Hydro-Québec ne lui garantisse un prix d'achat à long terme. Ce que le gouvernement envisage, c'est de subventionner indirectement une industrie privée non viable par l'entremise de la société d'État. C'est l'ensemble des consommateurs d'électricité qui assumeront éventuellement dans leurs tarifs les coûts de cette subvention, sans compter les dommages causés au patrimoine environnemental de la collectivité par la multiplication des petits barrages sur nos plus belles rivières.

Sous prétexte de concertation préalable des communautés locales et de leur implication dans le développement des projets, le gouvernement exacerbe les besoins régionaux de création d'emploi au point de court-circuiter l'examen du bien-fondé économique et social du modèle de développement proposé. Il devient impossible dans ces conditions de tenir un débat public, rigoureux et éclairé sur les orientations les plus souhaitables pour la collectivité en matière de développement énergétique, sans remettre en question la réalisation des petits projets privés déjà convenus avec les communautés locales. La justification des projets est ainsi évitée. Une sorte de fuite en avant soigneusement planifiée 0 nos rivières offertes au privé en location à long terme pour quelques emplois à court terme!

En attisant ainsi la soif économique des régions défavorisées, le gouvernement risque de provoquer des conflits sociaux, le morcellement territorial du développement et la fracture du pacte social de l'électricité. La participation financière des communautés locales dans des sociétés en commandite chargées de la réalisation des projets, quoique enrobée d'intentions vertueuses, crée une dangereuse situation de polarisation d'intérêts.

Le gouvernement péquiste serait-il à ce point inquiet de ses chances de réélection, de l'effritement de son membership, de ses problèmes de financement, de l'érosion de ses appuis politiques qu'il doive se rabattre sur un nouveau régime de patronage basé sur le saupoudrage de petites subventions régionales aux dépens de la collectivité ?

*L’auteur du dossier, Jean-François Blain est analyste dans le secteur de l'énergie; il est membre du comité Rivières de la Coalition Eau Secours !