« Bush, malgré son petit air benêt, est très dangereux »

 


Entrevue avec Solanges Vincent



J’ai connu Solanges Vincent au début des années 80 quand je suis entrée dans la militance par la porte de l’anti-nucléaire. J’avais trouvé un article sur Solanges qui avait commencé à militer dans sa cuisine. J’étais impressionnée et je me disais qu’avec des gens comme elle, ça valait la peine de continuer...

Solanges, une de MES AMIES DE FILLES (émission de radio, voir l’aut’journal, mars 2001), auteure, conférencière et militante, a bien voulu laisser de côté son humilité coutumière pour m’accorder cette entrevue que j’ai réalisée chez elle à Montréal, le 5 mai dernier, la veille de ses 74 ans. Elle est maintenant à la retraite, forcée par sa santé, et continue de se tenir informée.

Un apprentissage précoce

MF 0 Solanges, toi, la militante de longue date, contre le nucléaire et les jouets militaires, pour la paix et la justice, tu as fait le lien avec la domination des femmes et celle de la planète, la base de l’écoféminisme, et j’en passe ! Comment tout ça a-t-il commencé pour toi ?

SV 0 J’ai commencé très jeune à être curieuse. Chez nous, ça discutait ferme ! On s’intéressait à ce qui se passait. Je lisais le journal à 6 ans ! Mes parents me permettaient de veiller tard pour écouter les derniers résultats des élections à la radio.

Je suis née à Pointe-Saint-Charles, la deuxième de quatre enfants. J’avais trois ans quand on est allé vivre à la campagne à Saint-Hubert et six ans lorsqu’on est revenu à Montréal, tout un contraste...

C’était la crise, mon père démarrait un commerce qui lui prenait beaucoup de temps et maman s’occupait des enfants. Grand-mère militait à sa façon en fabriquant des choses pour des gens qui en avaient besoin. D’ailleurs, elle a été un modèle extraordinaire pour moi. Elle m’a donné de la force dans les bouts difficiles, l’Évangile aussi. Pour moi, ça a toujours été vrai qu’on est responsable les uns des autres. L’important ce n’est pas tant la religion que les personnes qui vivent un amour de Dieu vrai dans le quotidien, c’est comment je les vois mener leur vie et leurs engagements.

Déjà, à 12 ans au couvent, je contestais les religieuses qui disaient que nos parents nous aimaient mieux vu qu’ils nous plaçaient pensionnaires, et que les autres filles étaient moins chanceuses. Moi qui rêvais de justice sociale, je ne trouvais pas ça très chrétien ! Rappelons-nous qu’avant le rapport Parent, il n’y avait pas d’éducation secondaire publique pour les filles.

L’engagement politique

Je me suis mariée à 22 ans et j’ai eu six enfants. Je me tenais informée, mais n’ai commencé à militer que vers les années 60, au NPD, au PQ et dans divers groupes par la suite. Je vivais dans un milieu assez aisé et ce que je voulais pour mes enfants, je le voulais pour tous. Dans un secteur de Montréal, le niveau de mortalité infantile égalait celui du tiers-monde !

Pour bien parler de répartition des biens, il fallait s’informer. J’organisais des conférences... Il n’y avait pas beaucoup de femmes, mais après ça, certaines sont restées actives, avec des préoccupations autres que simplement électoralistes.

La question des femmes

En 65, j’ai commencé à la Voix des femmes, on travaillait entre autres pour la paix, pour que le Canada ne vende plus d’armes et de napalm au Vietnam. Claire Culhane, dont j’admirais le courage, a passé plusieurs semaines devant le Parlement à Ottawa à son retour du Vietnam où elle était allée comme infirmière. Elle avait demandé aux gens là-bas ce qu’elle pouvait faire, ils lui ont répondu de retourner chez elle arrêter la guerre au lieu de venir au Vietnam pour réparer les dégâts !

Vers 1976, j’ai fondé un centre de femmes cheffes de famille. C’était juste avant mon divorce et je me disais qu’ensemble on pouvait s’épauler. On faisait du bon travail, comme une garderie, du recyclage académique et même en sauver quelques unes de la violence... L’année suivante, le gouvernement l’a transformé en centre de loisirs ! Ils n’avaient pas apprécié qu’on occupe un bureau d’aide sociale...

Vers 1980, il y a eu Action Travail des femmes, une époque importante parce que j’ai pu construire quelque chose en trois ans, pour moi c’était du long terme! J’élaborais des projets dont plusieurs se sont concrétisés, comme un cours d’horticulture parrainé par le Jardin botanique. On avait travaillé fort, surtout Simone Bernier, et le cours se donne encore.

La fiction nucléaire

MF 0 1978 dans ta vie, ça a été un tournant ?

SV 0 Oui, un divorce, un diplôme de traduction et un déménagement à Québec avec ma fille de 15 ans, la plus jeune. C’était l’année de la fondation des AmiEs de la Terre de Québec avec Michel Jurdant et la question énergétique prenait beaucoup d’importance au Québec.

J’ai participé à une recherche sur le nucléaire pour un film de l’ONF en 1979 La fiction nucléaire dont j’ai tiré un livre du même nom. Des journalistes de Québec Science avaient aussi publié un livre sur le sujet. Je disais parfois en plaisantant 0 si vous voulez savoir comment ça devrait marcher, faut lire ce livre-là. Pour savoir comment ça marche en réalité, c’est mieux de lire le mien !

Il fallait reconnaître que le développement nucléaire s’est fait pour des compagnies privées avec des fonds publics et que les contribuables y ont perdu au change.

Ça n’avait aucun sens, on avait déjà des surplus qu’ils ont été obligés de donner à Alcan et d’autres parce qu’ils n’arrivaient pas à les vendre au prix réel. Tout ça, sous la pression des prêteurs des États-Unis.

Aujourd’hui avec Bush, ça continue...

L’avenir selon Bush

MF 0 Si ta santé ne t’avait pas forcée à arrêter de militer en 1995, ton choix de militance se dirigerait vers quoi aujourd’hui?

SV 0 Contre la militarisation ! Pour contrer l’armement, les ventes d’armes au tiers-monde... Rien n’est réglé... Le budget de guerre US est de 300 milliards $ et on parle d’un bouclier anti-missile qui va coûter 100 milliards ! Quant à notre participation à la station spatiale, si on n’a pas les moyens de soigner les malades, on n’a pas les moyens de faire des sparages dans l’espace ! C’est ça que je combattrais... Surtout maintenant avec Bush qui, malgré son petit air benêt, est très dangereux. Il n’y a que des faucons dans son entourage, des gens qui veulent la guerre, qui veulent détruire...

La lutte contre la ZLEA, c’est une lueur d’espoir

MF0 Les mêmes luttes, est-ce que ce n’est pas désespérant ?

SV0 Quelqu’un a déjà dit qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre. Je continue de croire qu’il va y avoir un changement, même si je ne sais pas comment ni d’où il va venir. Pour le moment, il faut résister.

L’organisation contre la ZLEA, c’est une lueur d’espoir, ça rassemble toutes les luttes, et il ne faudrait pas que ça tombe à plat. Et pour être efficaces, les luttes devront être internationales. La mondialisation des solidarités est essentielle ainsi qu’une réévaluation des vrais besoins. Je suis toujours scandalisée de voir le gaspillage actuel, qui prend des ressources précieuses...

MF0 Parfois, on se dit que la machine est trop grosse, qu’on ne peut rien y changer, qu’est-ce que tu dirais pour nous aider à continuer?

SV0 Si on ne fait rien, c’est sûr qu’il n’arrivera rien... Et si on fait quelque chose, ensemble, on a des chances...