Un amuse-gueule qui nous laisse sur notre faim

 


La vision de M. Larose



La Commission Larose vient de tenir une journée de consultation sur son rapport préliminaire, L’Avenir du français au Québec 0 une nouvelle approche pour de nouvelles réalités. L’exercice a été l’occasion pour son président de nous servir quelques croustillants hors-d’œuvre. Mais le document de travail nous a laissé sur notre faim quant au constat de la situation et aux mesures susceptibles d’assurer l’avenir du français.

Dans le mandat de la Commission, le contexte démographique et la langue de travail ressortent comme préoccupations immédiates du gouvernement. Celui-ci a commandé aux commissaires de préciser l’évolution des principaux indicateurs de la situation, dont celui des transferts linguistiques, et de peser le pour et le contre d’une refonte globale de la loi 101, comprenant notamment les hypothèses d’une révision de ses dispositions sur la langue d’affichage et de l’extension au collégial de son chapitre sur la langue d’enseignement.

Un mandat laissé sans réponse

Le rapport préliminaire ne s’occupe guère de tout cela. On n’y trouve rien sur la tendance actuelle des principaux indicateurs démographiques que sont la composition de la population selon la langue maternelle et la langue d’usage à la maison. Côté langue de travail, le rapport affirme simplement que la francisation stagne dans les entreprises. Au regard des transferts linguistiques, on se contente d’écrire que « il y a eu amélioration en faveur du français, mais l’anglais maintient tout son attrait » (p. 20), sans même se soucier de la contradiction. Quant à refondre la loi 101, pas un mot pour expliquer pourquoi on a écarté la révision des dispositions touchant l’affichage et l’extension aux cégeps de celles sur la langue d’enseignement.

Le document passe outre à ces éléments trop terre-à-terre. Plus qu’une législation, on nous propose le paquet 0 une politique linguistique complète, une stratégie globale à long terme, un plan d’action de longue portée, un saut qualitatif, des effets structurants, une dynamique collective, une vaste mobilisation, une approche globale et concertée, une approche proactive et partenariale, une campagne continue de promotion, et ainsi de suite. Ce discours sonne vite comme une nouvelle langue de bois. En l’absence d’un constat adéquat et de mesures concrètes à l’avenant, il serait étonnant qu’un gouvernement qui, au dire de Larose, a pris l’habitude de gérer la question linguistique comme une maladie honteuse, sache donner corps à pareille vision.

De la fermeté dans la mollesse

Au-delà de la digression rituelle sur la qualité de la langue, les commissaires reconnaissent que la francisation du milieu de travail a besoin d’un second souffle. Ils préconisent toutefois une approche sectorielle, comportant l’analyse des particularités linguistiques de chaque secteur économique et la mise au point d’une stratégie de francisation pour chacun. Or, les représentants syndicaux qui participaient à la journée d’étude ont relevé l’insuffisance de cette approche, dont l’absence d’obligation de résultat. Ils ont proposé d’appliquer dans le domaine du travail l’équivalent des contrats de performance que le gouvernement impose dans le monde de l’éducation.

La fuite en avant marque de même la stratégie choisie vis-à-vis d’Ottawa. Au lieu de proposer d’accorder la politique linguistique fédérale – qualifiée bizarrement de « ethnique » – à celle du Québec et de modifier les conditions d’accès à la citoyenneté de sorte qu’un candidat domicilié au Québec soit tenu de faire preuve d’une connaissance minimale du français, la Commission brûle les étapes. Elle prône d’instaurer une citoyenneté québécoise et de revendiquer la pleine juridiction en matière d’immigration. En interview, M. Larose a forcé encore plus la pédagogie référendaire. Sa commission recommandera au gouvernement Landry d’exiger d’Ottawa le rapatriement au Québec de tous les pouvoirs en matière de langue.

Il y a de quoi distraire la galerie. Mais on est loin de l’approche consensuelle des années 1970, solidement fondée sur l’impératif démographique.

Les mentalités et Gérald Larose ont changé

Le rapport préliminaire n’aborde pas la défrancisation appréhendée de la région de Montréal suite à l’effritement continu du poids et bientôt du nombre de sa population francophone (langue maternelle ou langue d’usage à la maison). Cette inquiétude est à l’origine même de la Commission. Les commissaires ne peuvent l’écarter sans explication.

Dans son allocution d’ouverture à la journée de consultation, M. Larose a répété que « les mentalités ont changé », que « les Québécois ont changé », au point de rappeler le refrain d’Alain Dubuc. Certes, des organismes avaient mis en doute devant la Commission la pertinence des considérations démographiques. Selon le Mouvement national des Québécois, l’État ne saurait, par exemple, intervenir pour que les immigrants effectuent des transferts linguistiques au français dans une proportion souhaitable. Bel angélisme ! Le Conseil des relations interculturelles a abondé dans le même sens 0 va pour le rôle intégrateur du français, langue commune, mais « l’idée d’un rôle assimilateur doit être rejetée, comme doivent l’être les indicateurs de langue d’usage privé car ce sont des indicateurs d’assimilation ».

Mais la Commission Larose fait fausse route si elle en a conclu que les Québécois se désintéressent aujourd’hui des comportements linguistiques au foyer. C’est précisément pour cette raison que l’analyse des transferts fait partie de son mandat.

Laisser faire, c’est rien faire !

La préoccupation démographique actuelle s’inscrit d’ailleurs en toute continuité avec les interventions gouvernementales des années 1970. Les démographes de la Commission Gendron avaient explicitement recommandé d’agir sur les transferts linguistiques afin de les réorienter vers le français. L’analyse des transferts suivant le recensement de 1971 a ensuite raffermi la détermination du gouvernement Bourassa d’aller de l’avant avec la loi 22. Enfin, le nécessaire virage démographique en faveur du français se retrouve au cœur de l’énoncé de politique de mars 1977 qui a ouvert la voie à la loi 101.

L’énoncé en cause avait ceci comme première proposition principale 0 « Si l’évolution démographique du Québec se maintient, les Québécois francophones seront de moins en moins nombreux. » Après un rappel de cinq prévisions démographiques connexes, qui sont toutes bien en voie de s’avérer, l’énoncé conclut 0 « Devant ces prévisions, comment n’aurait-on pas pensé que pour l’avenir démographique du Québec, il fallait orienter les options linguistiques des immigrants ? »

Rendre l’école française obligatoire pour les enfants des nouveaux immigrants découlait logiquement de ce constat. L’évaluation démographique qui sous-tend cette décision tient toujours. Si le poids des francophones, langue première, au Québec et à Montréal continue indéfiniment de baisser, il va de soi que le degré d’appui à l’actuelle politique linguistique québécoise suivra la même pente. À terme, cela ne peut que conduire à l’implosion du français en tant que langue publique commune dans la région montréalaise.

Bonnes ententistes debout !

Jusqu’à présent, la Commission Larose ne s’est pas acquittée de façon acceptable de son mandat. Sur le plan de l’analyse démographique, son apport se résume à un optimisme bancal. La population de langue française s’engagera sous peu dans une tendance à la baisse au Québec. Or, la Commission prétend au contraire (p. 21) que « le nombre de locuteurs français (sic) restera sensiblement le même en Amérique et il ne peut augmenter qu’en attirant de nouveaux locuteurs issus de l’immigration pour se maintenir au Québec (re-sic) ». Cette phrase aussi erronée que confuse nous en dit long sur les priorités de ses auteurs. Tout comme le mot qui la suit immédiatement 0 « Mais le repli linguistique n’est pas la stratégie qui sert le mieux la société québécoise. »

Se préoccuper sérieusement des tendances démographiques à Montréal serait-il devenu dépassé aux yeux de la Commission Larose ? À ce compte, l’élément de la loi 101 à avoir notoirement visé à orienter les transferts linguistiques vers le français, soit l’obligation faite aux enfants des nouveaux immigrants de fréquenter l’école française, serait un exemple patent de « repli linguistique » – dont le rapport préliminaire vante d’ailleurs la réussite.

Dans un pays bilingue, l’avenir appartient aux trilingues

Animée de bons sentiments, la Commission prêche le salut par une éducation qui conduirait au bilinguisme individuel, voire au trilinguisme, puis appelle de ses vœux un Québec où le français comme langue commune serait à ce point assuré que la société québécoise ne percevrait plus « la langue anglaise comme un objet de concurrence mais comme une corde de plus à son arc et comme un mode d’accès à une composante majeure de son identité » (p. 29). C’est bien beau, mais dans une Amérique du Nord dominée par l’anglais, pareille sécurisation définitive du français comme langue publique commune à Montréal passe obligatoirement par la stabilisation du poids et du nombre de ceux qui le parlent comme langue première à la maison.

On n’en sort pas. La Commission ne peut se dérober aussi facilement aux éléments premiers de son mandat. Son rapport préliminaire ne propose pas de mesures concrètes susceptibles d’apporter au français une part équitable des transferts linguistiques. En demeurer là équivaudrait à abandonner la proie pour l’ombre.

Le président de la Commission a terminé son allocution d’ouverture par une envolée digne du sympathique maire de Champignac, familier des lecteurs de Spirou et Fantasio 0 « La Commission présente une proposition globale qui sous-tend sous forme de question le défi suivant 0 le Québec consent-il à faire le pari d’un avenir à la fois radicalement ouvert et indubitablement français ? »

À force de vouloir se montrer « cool » et « open », M. Larose aurait-il perdu son latin ?