Bordel or not bordel ?

 


Le retour des maisons mal farmées



On l’a tous et toutes vue à la télé ou au coin de la rue 0 elle attend un client et semble sérieusement « en manque » de sa substance habituelle. Eh bien, elle ne gâchera plus notre paysage urbain et on pourra même l’oublier. Désormais, si le Bloc Québécois parvient à faire accepter les propositions de son rapport sur la prostitution de rue, De l’anathème au dialogue, les prostituées seront confinées, nous dit-on, aux bordels, à l’extérieur des quartiers résidentiels, sur l’Île Notre-Dame, par exemple, à côté du Casino de Montréal.

À lire les journaux ou à entendre les reportages et les commentaires sur le sujet, on croirait que la prostitution est aujourd’hui illégale et que demain des « maisons closes » contiendront les ébats de nos mâles en rut. Seuls quelques articles ont souligné que la prostitution est bien légale, mais que le racolage, le proxénétisme et les maisons utilisées à des fins de prostitution ne le sont pas.

Quant aux « maisons closes », le mot est malheureux et inaproprié car les maisons prévues ne seront pas closes. Montréal n’a jamais eu de maisons closes, mais elles ont existé en Europe 0 les femmes qui y travaillaient, qualifiées de « soumises », étaient séquestrées, contraintes à une discipline sévère et privées de leurs droits fondamentaux.

Jusqu’à la belle époque du maire Drapeau, de Pax Plante et de la Commission Caron, les lupanars de Montréal jouissaient d’une réputation qui dépassait les frontières et formaient un de ses attraits touristiques particuliers. Même si ce n’était pas légal, c’était toléré.

Un rapport réaliste

Le rapport rédigé par les députés Réal Ménard, Caroline Saint-Hilaire et Pierrette Venne entend légaliser et restreindre les lieux où pratiquent les travailleuses et travailleurs du sexe ce qui, en principe, n’est pas répréhensible, aussi répugnant que ce métier puisse apparaître à bien des femmes. Il se propose un double but 0 « réduire les préjudices subis par les résidantes et de prévenir la violence à l’égard des travailleuses et des travailleurs du sexe ».

Si on ne peut que louer les efforts pour lever l’illégalité qui frappe les prostituées, il ne faudrait pas se faire d’illusion sur les conséquences de la décriminalisation de la prostitution et du proxénétisme. Les députés admettent eux-mêmes ne pas s’attendre à des miracles. Si on veut débarrasser le Plateau ou le quartier Centre-Sud des seringues qui accompagnent souvent la prostitution de rue, la mesure est illusoire. Les femmes qui consentiront à travailler dans ces bordels contrôlés et à payer l’impôt ne sont pas les mêmes qu’on rencontre aux coins des rues.

Le présent projet a bien fait de laisser tomber l’examen médical des prostituées. Celui-ci, la preuve en a souvent été faite, ne change pas grand-chose et, pour être efficace, il doit être accompagné de l’examen des clients qui devront patienter dans l’attente des résultats.

L’état proxénète ou l’entreprise privée ?

Plusieurs questions demeurent néanmoins sans réponse. Tout d’abord, il faut savoir à qui appartiendraient les bordels proposés et qui les gérerait. Car il s’agit bien de bordels et non de maisons closes où les travailleuses sont enfermées et perdent leurs droits fondamentaux. L’État proxénète n’est pas plus une solution que l’entreprise privée motivée par le plus grand profit. Dans les États australiens qui ont adopté la réglementation, qu’on cite souvent en exemple, les gérantEs retirent jusqu’à 60 % des gains des travailleuses qui n’ont pas le droit de choisir leurs clients. Des conditions de servitude ou d’exploitation n’attireront pas toutes les prostituées même si on leur garantit un milieu de travail protégé de la violence des clients.

Outre la dissuasion de la violence, les grands avantages qu’offriront les bordels seront le port du condom obligatoire et le contrôle du milieu de travail par les travailleuses. En contrepartie, celles-ci, en plus d’avoir des droits – dont l’accès à l’assurance-emploi, par exemple – devront s’acquitter de leurs devoirs de citoyennes en payant l’impôt.

Une tolérance à deux vitesses

Le Comité sur la prostitution de rue entend tolérer cette dernière pendant encore cinq ans pour pouvoir juger de l’influence de la présence des bordels sur le racolage dans les endroits publics. Or, il y a ici une prostitution à deux vitesses pour ainsi dire. La prostitution de rue, refuge des droguées et des femmes les plus pauvres, les plus jeunes et les moins bien prémunies, est aussi la moins chère et elle continuera à attirer certains clients.

Cette forme de prostitution est la plus problématique – les clients offrent souvent plus si on les dispense de porter un condom – et relève plus du travail social que de la criminalité. C’est pour cette raison que le Comité du Bloc demande au gouvernement fédéral un fonds d’intervention et de soutien pour les personnes toxicomanes. La prostitution de rue demeure liée à la pauvreté et à la drogue, et elle sera très peu affectée par l’établissement de bordels.

La prostitution de rue est là pour rester

Dans les rues, les parcs, les ruelles, les chambres ou les draps propres, la prostitution est le travail de choix de peu de femmes, du moins à long terme. Dans les meilleures conditions, il demeure dégradant même s’il offre la possibilité de gagner de l’argent très rapidement sans beaucoup de qualifications.

La tolérance, la répression, la réglementation ou la décriminalisation demeurent des choix de société et les citoyens et citoyennes doivent être conscients que les mesures mises de l’avant ne seront pas une panacée et n’élimineront pas la présence des prostituées dans les rues de la ville. En attendant, je vous suggère un petit exercice 0 demandez-vous et demandez à vos amiEs si on peut imaginer un monde sans prostitution et pourquoi, ou pourquoi pas.